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Message par puzzl Sam 2 Aoû 2014 - 18:05

Dans « La Pensée et le Mouvant », Bergson fait remarquer que pour saisir l’essence d’une chose (ou d’un être) il faut par l’intuition « se mettre à la place de cette chose, ressentir ce qu’elle ressent », que l’analyse ne fera que multiplier les points de vue, se rapprochant de l’essence sans jamais la saisir.
« il suit de là qu’un absolu ne saurait être donné que dans une intuition, tandis que tout  le reste relève de l’analyse. Nous appelons intuition la sympathie par laquelle on se transpose à l’intérieur d’un objet pour coïncider avec ce qu’il a d’unique et par conséquent d’inexprimable »
Ne peut-on penser que l’intuition véritable, le troisième genre de connaissance selon Spinoza, apparait nécessairement en pensant sans les mots, ceux-ci ne servant ensuite uniquement à tenter une description analytique, forcément imparfaite ?
Lorsque par exemple Descartes à eu l’intuition du cogito, il l’a exprimé de différentes façons, aucune ne semblant lui convenir parfaitement.
Or, on pense essentiellement en mots, ils enrichissent notre pensée en nous permettant de l’exprimer de façon  précise, ce sont des éléments d’expression et de construction.
La pensée ainsi exprimée est enrichie mais aussi limitée par l’articulation et le sens des mots, c’est une pensée articulée.
Il existe nécessairement une forme de pensée en amont ou en parallèle de cette pensée articulée, faite de sensations, d’images, de sentiments, d’impressions, etc…une pensée protéiforme, non articulée.
Or il semble très difficile de séparer ces deux types de pensées, de se défaire de la pensée articulée, même pour quelques instants…
On peut se demander si la prééminence de cette pensée articulée dans notre conscience n’est pas une entrave à l’intuition ?

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Message par kercoz Dim 3 Aoû 2014 - 17:51

J' ai déja avancé mes arguments , mais ne sais plus si c'est sur cette même chaine .
Il me semblait qu' on ne pouvait penser du concept sans les mots. Mais qu'une fois " fabriqué" , le concept devait repasser par du "mot" pour être verbalisé et , de ce fait subissait une "réduction".
On est devant un truc contradictoire : Les mots sont une réduction simplifiée de concepts complexes qui ne peuvent s'élaborer que grace aux mots .
Maintenant j' apprends que neuromachins prétendent le contraire ...que le concept peut se passer de mots ...C'est dommage ..j' aimais bien ma thèse .
Pour Bergson, son concept d'" intuition", est intéressant du fait qu' il l' oppose a la "raison" . L' intuition peut tres bien rejoindre le concept de "mémoire ancienne" , collective transmise par la culture , validée par un comportement qui a autorisé la survie.

tu écris :
///////////Il existe nécessairement une forme de pensée en amont ou en parallèle de cette pensée articulée, faite de sensations, d’images, de sentiments, d’impressions, etc…une pensée protéiforme, non articulée.////////////
C'est presque évident, mais rien ne prouve que l' " intuition" doive emprunter cette route plus que ne le fait la raison.

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Message par euthyphron Dim 3 Aoû 2014 - 18:18

Merci puzzl pour avoir lancé avec clarté et orthographe ce sujet intéressant penser sans les mots ? 4017359721 !
puzzl a écrit:Dans « La Pensée et le Mouvant », Bergson fait remarquer que pour saisir l’essence d’une chose (ou d’un être) il faut par l’intuition « se mettre à la place de cette chose, ressentir ce qu’elle ressent », que l’analyse ne fera que multiplier les points de vue, se rapprochant de l’essence sans jamais la saisir.
« il suit de là qu’un absolu ne saurait être donné que dans une intuition, tandis que tout  le reste relève de l’analyse. Nous appelons intuition la sympathie par laquelle on se transpose à l’intérieur d’un objet pour coïncider avec ce qu’il a d’unique et par conséquent d’inexprimable »
D'accord. C'est bien ce que pense Bergson, et c'est effectivement un élément fondamental de sa doctrine.
puzzl a écrit:Ne peut-on penser que l’intuition véritable, le troisième genre de connaissance selon Spinoza, apparait nécessairement en pensant sans les mots, ceux-ci ne servant ensuite uniquement à tenter une description analytique, forcément imparfaite ?
On peut le penser, mais je ne suis pas sûr qu'on puisse identifier l'intuition bergsonienne et le troisième genre de connaissance selon Spinoza. Je suis encore moins sûr que ce soit vrai, à moins de se représenter l'intuition comme infra-rationnelle, et non supra. Ce serait dans ce cas à peu près la thèse qu'Agatha Christie attribue à Hercule Poirot!
puzzl a écrit:Lorsque par exemple Descartes à eu l’intuition du cogito, il l’a exprimé de différentes façons, aucune ne semblant lui convenir parfaitement.
Inexact. Il l'a reformulé en fonction du public auquel il s'adressait, et la formulation des Méditations métaphysiques apparaît définitive : ""Je suis, j'existe": cette proposition est vraie toutes les fois que je la prononce ou que je la conçois en mon esprit".
puzzl a écrit:Or, on pense essentiellement en mots, ils enrichissent notre pensée en nous permettant de l’exprimer de façon  précise, ce sont des éléments d’expression et de construction.
Oui, tout à fait.
puzzl a écrit:La pensée ainsi exprimée est enrichie mais aussi limitée par l’articulation et le sens des mots, c’est une pensée articulée.
Pourquoi "limitée"?
puzzl a écrit:Il existe nécessairement une forme de pensée en amont ou en parallèle de cette pensée articulée, faite de sensations, d’images, de sentiments, d’impressions, etc…une pensée protéiforme, non articulée.
Or il semble très difficile de séparer ces deux types de pensées, de se défaire de la pensée articulée, même pour quelques instants…
On peut se demander si la prééminence de cette pensée articulée dans notre conscience n’est pas une entrave à l’intuition ?
Que serait cette intuition "libérée" de ses entraves? Quelle différence avec une sensation vague et irréfléchie?

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Message par Sébastien Dim 3 Aoû 2014 - 19:02

La différence en l'intuition (ou "pensée en amont") et la pensée en mots n'est pas équivalente à la différence entre émotions et langage ?

Sur ce sujet, voir les questionnements de George Steiner sur la pensée du sourd-muet de naissance, de l'être sans langage !

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Message par quid Dim 3 Aoû 2014 - 19:26

Ah et bien je croyais ce sujet orphelin, et j'avais préparé une petite réponse pour le ranimer et pour que puzzl ne se sente pas trop seul. Mais je vois qu'il a tout de même ameuté des intervenants.  penser sans les mots ? 2101236583

Pour ma part, il ne me semble pas que je pense directement en mot.
Quand j'observe quelque chose, pour essayer de le cerner, c'est plutôt en essayant de le conceptualiser, de me le représenter, de me faire une idée de sa raison d'être ou de son fonctionnement, de voir quelque chose que je ne sais pas encore, mais que je pense pouvoir relever.

Donc, il y a un processus de captation qui pour moi ne passe pas en premier lieu par les mots. Cela est une démarche active, dans le sens où il faut y prêter attention, cela passe par une concentration, mais également par une vision générale, ce qui signifie, que les mots ne sont pas encore là pour définir.
Je dirais que cela est le mode de connaissance que présente qu'Aristote :
Aristote a écrit:La marche qui semble ici toute naturelle, c’est de procéder des choses qui sont plus connues et plus claires pour nous, aux choses qui sont plus claires et plus connues par leur propre nature.

Cependant, les mots deviennent vite nécessaires pour formaliser et fixer certaines compréhensions. On va hésiter entre tel mot ou tel autre, qui nous semble mieux correspondre. Mais plus que des mots, cela va s'articuler sur un vocabulaire qui va ensemble, qui est du même niveau d'appréhension concernant l'aspect de l'objet au sens large, sur lequel on porte sa réflexion.
Aristote a écrit:car on ne pense jamais connaître une chose que quand on en connaît les causes premières, les principes premiers, et jusqu'à ses éléments

Je pense que sans cette concentration sur un aspect particulier, bien que général à l'objet, l'appréhension est peut-être entière, mais confuse.
Aristote a écrit:Ce qui est d'abord pour nous le plus notoire et le plus clair, c'est ce qui est le plus composé et le plus confus. Mais ensuite en partant de ces composés mêmes, les éléments et les principes nous sont rendus clairs par les divisions que nous en faisons.

Par contre, une fois que cette appropriation avec des mots est faite, moi cela me laisse un vide, comme si l'appréhension en moi de l'objet avait été désintégré par sa formalisation. Il reste une connaissance détachée, qui manque un peu de sens, voire de certitude si l'on ne réitère pas le processus de compréhension, si l'on ne rétabli pas le lien.

La compréhension qu'on a d'un objet, c'est à dire lorsqu'on se dit oui je comprends cela, ne passe pas par des mots, mais elle doit passer par le « savoir que l'on sait ». Et les mots sont des jalons qui permettent de se convaincre qu'on a bien en nous cette compréhension, et également de la retrouver.
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Message par euthyphron Dim 3 Aoû 2014 - 19:34

Sébastien a écrit:La différence en l'intuition (ou "pensée en amont") et la pensée en mots n'est pas équivalente à la différence entre émotions et langage ?
Non, puisqu'il peut y avoir émotion sans intuition, et intuition sans émotion.
Que veux-tu dire en invoquant Steiner? Je n'ai pas compris. Je ne me suis jamais intéressé à cet auteur.
quid a écrit:La compréhension qu'on a d'un objet, c'est à dire lorsqu'on se dit oui je comprends cela, ne passe pas par des mots, mais elle doit passer par le « savoir que l'on sait ».
Mais peut-on savoir que l'on sait sans les mots? Comment même savoir ce que l'on pense? D'ailleurs, la phrase qui suit parle de retrouver la compréhension, ce qui suppose qu'elle était perdue.

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Message par neopilina Dim 3 Aoû 2014 - 20:10

Comme quid, je suis aussi convaincu que la formalisation en mots est une réduction supplémentaire. Certaines choses, pensées, réclament des litanies de mots pour être décrites. La formulation étant un mal nécessaire, vital, sinon, comment partager, communiquer.
C'est sans difficulté que je fais l'expérience d'une pensée non-formalisée, bouillonnante, sans doute non-formalisable de ce fait, et donc ensuite, quand ça s'est un peu calmé, la possibilité de formaliser. Je crois qu'on a tous fait cette expérience avec nos lectures les plus ardues : j'ai annoté aujourd'hui, ce que j'avais relevé, marqué, souligné, etc, hier ( La deuxième citation de quid est une des innombrables définitions d'Aristote de la métaphysique, ou, pour être correct, ce mot entrant en usage après ce livre d'Aristote, et reprendre les termes alors en vigueur, philosophie première. ).

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" Tout Étant produit par moi m'est donné (c'est son statut philosophique), a priori, et il est Mien (cogito, conscience de Soi, libéré du Poêle) ". " Savoir guérit, forge. Et détruit tout ce qui doit l'être ", ou, équivalents, " Tout l'Inadvertancier constitutif doit disparaître ", " Le progrès, c'est la liquidation du Sujet empirique, notoirement névrotique, par la connaissance ". " Il faut régresser et recommencer, en conscience ". Moi.
C'est à pas de colombes que les Déesses s'avancent.
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Message par kercoz Dim 3 Aoû 2014 - 20:23

puzzl a écrit:Dans « La Pensée et le Mouvant », Bergson fait remarquer ........... que l’analyse ne fera que multiplier les points de vue, se rapprochant de l’essence sans jamais la saisir.
Sur ce sujet Bergson , qui a des problèmes avec la notion de "Temps" , a aussi écrit :
////////////////////////////

"Or, je crois bien que notre vie intérieure tout entière est quelque chose comme une phrase unique entamée dès le premier éveil de la conscience, phrase semée de virgu­les, mais nulle part coupée par des points. Et je crois par conséquent aussi que notre passé tout entier est là, subconscient —
//////////////////////
Proust a assisté a certains de ses cours .

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Message par Sébastien Dim 3 Aoû 2014 - 20:47

euthyphron a écrit:Que veux-tu dire en invoquant Steiner? Je n'ai pas compris. Je ne me suis jamais intéressé à cet auteur.
Je voulais juste signaler qu'il en parle joliment dans plusieurs de ses ouvrages, de cette étendue d'indicible, de ce qui se perd quand on décide de parler. Bon, il ne propose rien ; ce n'est pas un philosophe.

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Message par quid Dim 3 Aoû 2014 - 21:07

euthyphron a écrit:Mais peut-on savoir que l'on sait sans les mots? Comment même savoir ce que l'on pense? D'ailleurs, la phrase qui suit parle de retrouver la compréhension, ce qui suppose qu'elle était perdue.
Sans m'avancer trop, les mots ne sont pas dans les objets, et non plus dans ce que je perçois de ces objets. Pourtant je peux sans les nommer me concentrer sur tel ou tel objet particulier, y compris quand l'objet a disparu, je peux me le remémorer, sans pour autant le nommer.
La preuve en est que parfois, on reconnaît une chose pour laquelle on n'arrive plus à mettre de nom dessus. Une odeur, une couleur, … De plus, le nommage des choses intervient chronologiquement après leur perception.
De la même manière, si par exemple je refais par remémoration, un trajet, je verrais des routes, des chemins, des cailloux, toute sorte de choses bien distinctes que je n'aurais pas besoin de nommer pour me les rappeler.

Le mot rappelle, c'est à dire qu'il structure la pensée, mais il n'est pas la pensée. La pensée passe plutôt par association, des pensées en rappellent d'autres, mais le mot n'a pas ce privilège, et qu'est-ce qui rappellerait le mot ?
Donc la compréhension qui semblait oubliée a besoin d'être rappelée, mais pas forcément par les mots, mais cependant par association.

Les mots, dans une compréhension, sont sans doute un outils supplémentaire, qui permet d'ordonner plus précisément et justement cette compréhension.

Et il est vrai qu'il y a ce besoin de dire explicitement avec des mots, pour se convaincre que l'on a compris (en tout cas pour ma part) ; les mots pourrait devenir nécessaires lorsqu'ils portent sur des idées abstraites, et encore, on peut se faire des images de ces idées.

Si quelqu'un nous fait un bon petit plat cuisiné, il a la connaissance de ce plat, pas seulement par des mots et la connaissance des ingrédients. Pourtant nul doute qu'on dira qu'il maîtrise ce plat et cette recette comme nul autre pareil.

Il me semble que la compréhension a rapport avec la présence. Il faut que cette compréhension soit présente à la conscience pour dire que l'on comprend, mais le rappel de cette compréhension passe-t-elle nécessairement par des mots ?
La compréhension et les mots sont bien distincts non ?

Après peut-être faut-il distinguer compréhension et connaissance ? Je ne sais pas.
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Message par Courtial Dim 3 Aoû 2014 - 22:40

quid a écrit:Le mot rappelle, c'est à dire qu'il structure la pensée, mais il n'est pas la pensée. La pensée passe plutôt par association, des pensées en rappellent d'autres, mais le mot n'a pas ce privilège, et qu'est-ce qui rappellerait le mot ?
Donc la compréhension qui semblait oubliée a besoin d'être rappelée, mais pas forcément par les mots, mais cependant par association.

Je rebondis là-dessus : il faut peut-être éclaircir ce que l'on appelle "pensée", non ?.
Pour l'instant, je vois devant moi un écran d'ordi - ce que l'on appelle "percevoir" - le sentiment que j'en ai n'étant pas la chose même, un objet, je dois bien l'appeler une "pensée", une cogitatio. Et je n'ai besoin d'aucun langage pour cela.
Par ailleurs, la rêverie ou l'imagination, qui procède, comme le dit Quid, par association, n'est pas nécessairement une association de mots. Un paysan qui aperçoit une trace de sabot de cheval, nous dit Spinoza, pensera aussitôt au labour (et le soldat : à la guerre). Et ce n'est pas parce que le mot "sabot" renvoie langagièrement au travail des champs ou aux travaux guerriers. Mais nous sommes tout de même bien là dans le domaine de la "pensée".

La question ne se pose donc en réalité, il me semble, que si l'on envisage une "pensée" tout à fait particulière, et que je vais baptiser pour l'instant la pensée abstraite généraliste.
Elle entretient déjà une homologie avec le langage, les mots étant abstraits généralistes.

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Message par Aldo Dim 3 Aoû 2014 - 23:26

Pour ma part, je pars de la compréhension et vois deux types de compréhension sans les mots.

Une première où, en suivant une situation par exemple, on comprend tout ce qui se passe au fur et à mesure : les protagonistes, leurs actions, le pourquoi de leurs actions, les effets de ces actions sur les autres, la réaction des autres, et ainsi de suite. Là on n'a pas besoin des mots, et sans doute parce qu'on les a déjà, quelque part, en mémoire. C'est quand Euthyphron dit que "la compréhension passe par le savoir qu'on sait". C'est la sensation de "tout comprendre"... mais en fait, on sait ce qui se passe : cette vision ne nous fascine que parce que la compréhension semble "en continu"... on a l'impression de "voir" le sens.

Et puis il y a un autre type de compréhension plus intéressante, où la situation est comme perçue "en un bloc" où il est quelque part question de sens, mais cette fois sans que chaque moment soit perçu comme familier, et sans non plus que le sens en soit immédiatement perceptible* : on sait qu'on a "vu" quelque chose, mais on ne sait pas quoi. Comme si quelque chose de l'ordre de la compréhension était déjà en nous de manière latente, en train de faire son chemin, mais pas encore formalisé (comme une idée en train de faire son chemin dans la tête).
C'est comme une "vision" en fait.
C'est en cela le même processus que l'idée quand elle nous vient à l'esprit, une idée qui sait déjà, elle, qu'elle a compris, mais dont on est dans l'obligation de trouver un fil à tirer pour savoir ce qu'elle a bien pu comprendre.

Il y a quelque chose d'une photographie dans le second exemple, avec un temps de pause de la durée de la situation ; et je crois rejoindre Quid pour dire que dans cette forme d'image contractée de la durée, plutôt contemplative, il y a déjà de la pensée... ou des éléments de la pensée. Quelque chose pense ou peut-être commence à penser (Deleuze parle d'état "larvaire" nécessaire, important, pour emmagasiner les informations sans que la raison n'intervienne). Ça ressemble beaucoup à la façon dont on croit voir les animaux penser : une attention, une attitude "aux aguets", une espèce de contraction de l'attention.


Ensuite, je me demande si le travail des mots n'est pas une volonté de préserver de la compréhension... de refuser son oubli (ou encore et aussi bien sûr une habitude). Alors on formalise le truc pour l'insérer dans la mémoire où des circuits de l'ordre du connu (causes et effets etc) permettront de le retrouver. (certains en font un savoir, c'est leur problème)
(bien sûr formaliser est aussi et avant tout une habitude puisque la culture fonctionne à 90% à base de langage)

La seconde compréhension pourrait préfigurer d'une sorte d'image stockée par la mémoire, tant celle-ci semble fonctionner comme chemin vers un répertoire d'images :
-images pour les choses ne demandant pas trop à penser (objets, mots habituels, sensations) ;
-et peut-être chemin et non image (supposée finale) pour des formes complexes de pensée (concepts, bribes ou ébauches d'idées en attente de compréhension, traumatismes, fantasmes etc)
... mais tout ça est encore nettement à l'état d'ébauche.


Pour finir sur la dernière phrase de Quid, je distingue en ce qui me concerne nettement compréhension et savoir : je cherche à comprendre et non à savoir (ce qui à mes yeux est une démarche très différente).

* je pense que ces situations nous arrivent à tous sans cesse (surtout jeunes), et qu'on en tire bien trop rarement quelque chose...


Dernière édition par Aldo le Lun 4 Aoû 2014 - 0:26, édité 1 fois

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Message par Axiome Lun 4 Aoû 2014 - 0:17

Mais cela va encore bien plus loin que cela me semble-t-il ! Il y a une partie inconsciente et subconsciente. Ne vous est-il jamais arrivé de comprendre après coup le pourquoi d’un rêve par exemple ? (D’ailleurs certains parlent de rêve prémonitoire alors qu’en réalité cela n’en est pas).

D’anticiper ce qu’il allait arriver ?

Après des exercices de maths et un problème insoluble d’aller vous coucher, de laisser faire la moulinette et le lendemain d’avoir la solution !

Faut-il réellement des mots pour ça ?

Même entre nous, 80% de la communication est non verbale.

(Et nous n’utilisons que 10% de notre cerveau…. penser sans les mots ? 4017359721  )

Dommage, je repars aussi. Topic très intéressant.

N’allez pas trop vite si vous parlez des neurosciences …..  penser sans les mots ? 2577518336 

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Message par kercoz Lun 4 Aoû 2014 - 8:13

Le mot sert d'abord ( et donc a d'abord servi ) à communiquer . Son usage pour la "pensée" peut aussi être considéré comme un effet (dégât) ?) collatéral.
En usage de communication ( émission, transmission, réception) , on remarque aussi une certaine "perte en ligne" suivant ce que le mot désigne . Le mot table ne posera guère de problème. Par contre pour le mot désignant un concept ( chaos par ex) ou même , le terme de concept ne pourra jamais désigner le même objet pour 2 individus quelconques .
Apres il y a l' usage perso du mot . Comment penser le concept de concept sans mot ?
Un rationaliste positiviste extrémiste dira par exemple qu'un concept désignant un "objet" complexe puisque son équation de modélisation mobilisera plus de 3 variables non stabilisées , il est nécessaire de réduire cette complexité pour l' utiliser comme un intrant simple dans un objet plus complexe .....le mot rempli a merveille ce rôle . Le fait qu'il désigne pour 2 individus , 2 objets non identiques ne présente que peu d' inconvéniants pourvu qu'ils désignent 2 objets semblables .

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Message par euthyphron Lun 4 Aoû 2014 - 9:56

Je propose un biais : il arrive que des questions apparemment légitimes et sérieusement débattues se réduisent en réalité à une querelle de mots. Il suffirait de s'entendre sur une définition et le motif de la querelle disparaîtrait.
N'est-ce pas ici ce qui se produit à propos du mot "pensée"? Courtial utilise le terme "cogitatio", ce n'est pas je présume parce qu'il pense que ce mot est davantage connu de ses interlocuteurs que le mot "pensée", c'est que si on le comprend, on ne dira pas "ça dépend de ce qu'on appelle cogitatio", car ceci est clair. Et j'ai l'impression que tout le monde peut s'accorder sur ce point : on peut appeler "pensée" ce qui se saisit immédiatement sans qu'il y ait de mots pour la formuler, comme on peut appeler "pensée" ce qui est formulé de telle sorte que cela s'offre à la réflexion possible. Apparemment, donc, la question serait résolue : tout dépend de ce qu'on appelle "pensée".
Une question incidente cependant : ce qui en nous fait la part des choses entre "querelle de mots" et "vraie question", est-ce une pensée sans langage?

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Message par kercoz Lun 4 Aoû 2014 - 10:24

Il ne faut pas s'étonner si beaucoup de philosophes ont mis en chantier des dictionnaires philosophiques .

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Message par Courtial Lun 4 Aoû 2014 - 11:45

@ Euthyphron et au Monde : j'ai employé le terme cogitatio pour écarter une confusion (mais j'en ai peut-être créé une autre) : la "pensée", une "pensée", cela peut désigner la chose pensée (le contenu, si on veut) ou alors le simple fait qu'on la pense. Comme je voulais désigner le second, j'ai mis "cogitatio" (à opposer à cogitatum). J'avais songé à parler, comme Kant, de "représentation", mais ce terme comporte la même ambiguité que pensée, aussi me suis-je rabattu sur le jargon phénoménologique.
Bon, j'espère que c'est plus clair maintenant...

Quant à la teneur de mon propos (écrit un peu tard, peut-être...), je voulais dire simplement qu'il y a des "degrés" de "pensée" : pour la perception et l'imagination, on peut sans doute se passer de mots, si l'on en vient à une pensée plus abstraite, théorique, cela me paraît très difficile.
On peut méditer ceci, par exemple :


Rousseau a écrit:Les idées générales ne peuvent s'introduire dans l'esprit qu'à l'aide des mots, et l'entendement ne les saisit que par des propositions. C'est une des raisons pour quoi les animaux ne sauraient se former de telles idées, ni jamais acquérir la perfectibilité qui en dépend [...] Toute idée générale est purement intellectuelle ; pour peu que l'imagination s'en mêle, l'idée devient aussitôt particulière. Essayez de vous tracer l'image d'un arbre en général, jamais vous n'en viendrez à bout, malgré vous il faudra le voir petit ou grand, rare ou touffu, clair ou foncé, et s'il dépendait de vous de n'y voir que ce qui se trouve en tout arbre, cette image ne ressemblerait plus à un arbre. Les êtres purement abstraits se voient de même, ou ne se conçoivent que par le discours. La définition seule du triangle vous en donne la véritable idée : sitôt que vous en figurez un dans votre esprit, c'est un tel triangle et non pas un autre, et vous ne pouvez éviter d'en rendre les lignes sensibles ou le plan coloré. Il faut donc énoncer des propositions, il faut donc parler pour avoir des idées générales ; car sitôt que l'imagination s'arrête, l'esprit ne marche plus qu'à l'aide du discours.

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Message par Ataraxie Lun 4 Aoû 2014 - 19:14

Je trouve qu'il y a deux négligences à ne pas commettre : réduire le langage à des mots et négliger la part d'autrui.

1) Développer un langage, ce n'est pas seulement acquérir des mots et une grammaire. C'est, au-delà de la diversité des langues et des variations entre sujets, développer un mode de fonctionnement commun à tout homme qui consiste à faire des distinctions et des abstractions. Donc développer le langage c'est avant tout développer une faculté parfaitement silencieuse qui est celle de faire des distinctions et des abstractions. Et qu'est ce que penser si ce n'est faire les bonnes distinctions et les bonnes catégorisations ? Il s'ensuit que langage et pensée obéissent aux mêmes principes.    

2) Le langage n'est pas fait pour que nous puissions pensez pour nous-mêmes. Il est fait pour autrui. Le caractère communément partagé du langage fait que de l'altérité est constamment présente à notre esprit. C'est une approche plus communicationnel du rapport entre langage et pensée. Je voudrais citer plusieurs texte à ce sujet :

Kant, Critique de la faculté de juger
Les maximes suivantes du sens commun n'appartiennent pas à notre propos en tant que parties de la critique du goût; néanmoins elles peuvent servir à l'explication de ses principes. Ce sont les maximes suivantes :
1. Penser par soi-même;
2. Penser en se mettant à la place de tout autre;
3. Toujours penser en accord avec soi-même.
La première maxime est la maxime de la pensée sans préjugés, la seconde maxime est celle de la pensée élargie, la troisième maxime est celle de la pensée conséquente.

La première maxime est celle d'une raison qui n'est jamais passive. On appelle préjugé la tendance à la passivité et par conséquent à l'hétéronomie de la raison; de tous les préjugés le plus grand est celui qui consiste à se représenter la nature comme n'étant pas soumise aux règles que l'entendement de par sa propre et essentielle loi lui donne pour fondement et c'est la superstition. On nomme les lumières la libération de la superstition'; en effet, bien que cette dénomination convienne aussi à la libération des préjugés en général, la superstition doit être appelée de préférence un préjugé, puisque l'aveuglement en lequel elle plonge l'esprit, et bien plus qu'elle exige comme une obligation, montre d'une manière remarquable le besoin d'être guidé par d'autres et par conséquent l'état d'une raison passive.

En ce qui concerne la seconde maxime de la pensée nous sommes bien habitués par ailleurs à appeler étroit d'esprit (borné, le contraire d'élargi) celui dont les talents ne suffisent pas à un usage important (particulièrement à celui qui demande une grande force d'application). Il n'est pas en ceci question des facultés de la connaissance, mais de la manière de penser et de faire de la pensée un usage final; et si petit selon l'extension et le degré que soit le champ couvert par les dons naturels de l'homme, c'est là ce qui montre cependant un homme d'esprit ouvert que de pouvoir s'élever au-dessus des conditions subjectives du jugement, en lesquelles tant d'autres se cramponnent, et de pouvoir réfléchir sur son propre jugement à partir d'un point de vue universel (qu'il ne peut déterminer qu'en se plaçant au point de vue d'autrui).

C'est la troisième maxime, celle de la manière de penser conséquente, qui est la plus difficile à mettre en oeuvre ; on ne le peut qu'en liant les deux premières maximes et après avoir acquis une maîtrise rendue parfaite par un exercice répété. On peut dire que la première de ces maximes est la maxime de l'entendement, la seconde celle de la faculté de juger, la troisième celle de la raison.

Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience
Ainsi chacun de nous a sa manière d'aimer et de haïr, et cet amour, cette haine, reflètent sa personnalité tout entière. Cependant le langage désigne ces états par les mêmes mots chez tous les hommes ; aussi n'a-t-il pu fixer que l'aspect objectif et impersonnel de l'amour, de la haine, et des mille sentiments qui agitent l'âme. Nous jugeons du talent d'un romancier à la puissance avec laquelle il tire du domaine public, où le langage les avait ainsi fait descendre, des sentiments et des idées auxquels il essaie de rendre, par une multiplicité de détails qui se juxtaposent, leur primitive et vivante individualité. Mais de même qu'on pourra intercaler indéfiniment des points entre deux positions d'un mobile sans jamais combler l'espace parcouru, ainsi, par cela seul que nous parlons, par cela seul que nous associons des idées les unes aux autres et que ces idées se juxtaposent au lieu de se pénétrer, nous échouons à traduire entièrement ce que notre âme ressent : la pensée demeure incommensurable avec le langage.

A travers ces deux textes, on peut se poser la question suivante : une pensée est-elle déjà pensable par autrui  (Kant) ou bien est-ce la verbalisation qui contraint des pensées singulières et uniques à devenir pensables pour autrui (Bergson) ?

Ce qui est intéressant chez Kant, c’est qu’il ne conçoit pas la pensée comme un acte isolé de tout rapport avec autrui. Au contraire, la deuxième maxime fait que cet autrui est constamment présent à l’esprit de celui qui pense. Si le penseur doit penser par lui-même (première maxime), pour autant il ne doit pas penser pour lui-même et ce qu’il pense doit nécessairement être pensable par autrui. Dans ce cas, la fonction du langage consiste simplement à transmettre la pensée.

Bien au contraire, chez Bergson, les idées, les pensées et les états d’âmes du sujet sont incommunicables de façon fidèle. Le langage, avec ses mots communs, trahit l’exceptionnalité et l’irréductibilité d’une pensée, et au fond, pour Bergson, il n’y a que ça qui compte. En définitif, ce qu’autrui comprend de ma pensée à travers les mots ce n’est que la part impersonnelle et publique de cette pensée. Il y aurait donc une déperdition de la pensée lorsqu’elle est verbalisée. Si on suit ce raisonnement jusqu’au bout, je suis condamné à être l’unique témoin de ma pensée et c’est le langage qui me contraint, moyennant une déformation, à rendre cette pensée pensable par autrui.    

Bréal (linguiste), Les idées latentes du langage
Je me propose de montrer qu'il est dans la nature du langage d'exprimer nos idées d'une façon très incomplète, et qu'il ne réussirait pas à représenter la pensée la plus simple et la plus élémentaire, si notre intelligence ne venait constamment au secours de la parole, et ne remédiait, par les lumières qu'elle tire de son propre fonds, à l'insuffisance de son interprète. Nous avons une telle habitude de remplir les lacunes et d'éclaircir les équivoques du langage, qu'à peine nous sentons ses imperfections. Mais si, oubliant pour un instant ce que nous devons à notre éducation, nous examinons un à un les éléments significatifs dont se composent nos idiomes, nous verrons que nous faisons honneur au langage d'une quantité de notions et d'idées qu'il passe sous silence, et qu'en réalité nous suppléons les rapports que nous croyons qu'il exprime. (…) L'esprit devine ou sait par tradition des rapports qui ne sont nullement exprimés par les mots, et notre entendement achève ce qui est seulement indiqué par le langage. (…)  La pensée est un acte spontané de notre intelligence qu'aucun effort venant du dehors ne peut mettre en mouvement d'une manière directe et immédiate. Tout ce que vous pouvez faire, c'est de provoquer ma pensée, et cette provocation sera quelquefois d'autant plus vive qu'elle paraîtra moins explicite. De même qu'une allusion suffit souvent pour éveiller en nous un monde de sentiments et de souvenirs, le langage n'a pas toujours besoin de nous détailler les rapports qu'il veut nous faire entendre la seule pente du discours nous fait arriver où l'intelligence d'autrui veut nous conduire.

J’apprécie le texte de Michel Bréal parce que je le trouve assez libérateur. Il défend une position originale : le langage exprimerait toujours de façon incomplète nos idées mais ce ne serait pas grave. Autrui partagerait avec son interlocuteur des règles de déductions ainsi qu’une certaine connaissance du monde grâce auxquelles son intelligence suppléerait constamment les éléments manquants et rétablirait les relations inexprimées. Si son idée est vraie, les imperfections et les limitations du langage deviennent un faux problème et nous sommes délestés d’un certain nombre de questions. Il serait vain, en effet, de vouloir exprimer une pensée avec une exhaustivité et une précision infaillible. Cela dit, son idée correspond aussi sur un pari risqué puisqu’il a l’air de dire que nous n’aurions pas d’autre choix que de faire confiance à l’intelligence d’autrui pour pallier les « trous ». Comme chez Bergson, le langage induit une déperdition de la pensée mais cette déperdition ne concerne pas quelque chose de singulier ou de propre au locuteur. Au contraire, elle concerne une part d’intelligence commune aux deux interlocuteurs et elle peut donc être comblée.
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Message par Aldo Lun 4 Aoû 2014 - 20:31

Si tu veux Ataraxie, mais je te signale quand même qu'on est là sur un fil intitulé "la pensée sans mots" et que tu barre dans des théories concernant le langage... voire même la communication !

(juste je ne résiste pas à un mot : Bréal me semble terrifiant en valorisant l'interprétation ; quand Foucault parle au contraire de s'en tenir aux énoncés. Comme si c'était pas assez de se voir "interprété" et réduit sans cesse par une psychologie normalisée à deux balles dont tout un chacun se fait le spécialiste. Les mots ont une revanche à prendre sur la bêtise, et plus ils seront précis, plus ils se donneront la possibilité de la combattre)

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Message par quid Lun 4 Aoû 2014 - 21:05

Comme tu l'as dis Euthyphron, il faut effectivement s'entendre sur ce que l'on peut appeler la pensée ou le fait de penser, et voici un peu ce que j'y vois.

La première chose, c'est que bien que Courtial, parle de contenu de la pensée, cogitatum, et le distingue de cogitatio qui est l'action de penser, de réfléchir (si j'ai bien compris), je ne pense pas que l'on puisse entendre de toute manière, la pensée comme simple contenu, sinon comme abstraction d'un processus. Il s'agit de quelque chose de dynamique.
Ainsi, l'acquisition, la mémorisation, la mémoire, et le rappel font parti du processus de pensé.

Je me demande alors si l'on peut dire qu'un animal pense, car indubitablement, par exemple les mammifères qui sont plus proche de nous, ont un cerveau, des sens, des comportements et il semble que notre base biologique soit très similaire. Ce n'est pas pour entraîner cette discussion sur le terrain des neurosciences, mais il faut cependant reconnaître que la pensée telle qu'on la conçoit s'articule en parti autour des sens et des actions, et sur notre biologie. Je ne dis pas que ce qui se passe entre les oreilles d'un canidé soit à priori de l'ordre de la pensée, mais cela pourrait nous éclairer.

Cela indique alors ce que l'on peut appeler penser, car aucune des étapes citées ci-dessus, ne caractérise à elle seule la dynamique de la pensée. Il se passe bien entendu quelque chose de particulier dans cette agencement, çà acquiert, çà cogite, çà prend des décisions, çà réagit, alors où se trouve la pensée aboutie la dedans ? Lors de l'acquisition d'informations, de leurs stockage, de leur traitement, de leur rappel, de leur restitution ?

Ce qui est restitué n'est en définitive pas la pensée, mais est cependant soit à nouveau stocké, soit détermine une action.
Il manque donc un lieu de la pensée, car le stockage d'information n'est pas la pensée, et l'information elle même n'est information que si elle peut faire sens quelque part, tout comme l'action n'est en elle-même qu'un mouvement si elle n'a pas non plus de lieu où elle fait sens.
Dans ce cas, acquérir, cogiter, décider et agir n'est plus qu'un enchaînement temporel de causes qui se succèdent, qui ne forme pas spécialement de la pensée. On ne peut même pas dire que çà pense.
Il manque la présence de la pensée, le lieu ou elle est présente.

Or c'est bien cela que l'on envisage lorsque l'on dit qu'un animal sent et agit en conséquence, on lui suppose un sens, et non pas un sens qui se réduirait à une succession de causes et d'effets, un çà, mais on suppose un présent de l'animal, un lieu où serait son présent qui réceptionne un sens.

Maintenant, cela relève peut-être d'un certain anthropomorphisme, mais cela éclaire justement par cet anthropomorphisme, ce que l'on envisage quand on parle du fait de penser et de la pensée.
Le lieu de la présence, c'est pour moi le fait d'être conscient, c'est en quelque sorte notre présent, une charnière et un lieu où le sens prends corps, où il n'est plus un çà indistinct.
Depuis cet endroit on peut agir.

Donc maintenant, ce que je crois comprendre de ce que tu signifies Courtial en amenant le terme de cogitatio, c'est la possibilité de réfléchir. C'est que le lieu de la pensée permette également la réflexion en tant qu'agir avec la pensée. Le lieu du sens devient également un lieu de volonté ou l'on peut penser volontairement. Le conscient devient acteur.
C'est là sans doute que les mots entrent en jeu, car les pensées sont en définitive des abstractions, des morceaux de sens, et les mots permettent de formaliser ce sens et ainsi de faciliter la réflexion soutenue et volontaire.

Sur la nécessité de passer par des mots pour manipuler des abstractions, je pense qu'à un certain niveau d'abstraction, on a certainement plus le choix, et en plus cela devient une habitude, mais je pense que même un animal est capable d'abstraction, dans le sens ou de la viande de gnou ou de gazelle même si elles sont particulières, restent pour un lion, de la nourriture rouge et goûteuse.
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Message par Ataraxie Lun 4 Aoû 2014 - 21:22

Aldo a écrit:Si tu veux Ataraxie, mais je te signale quand même qu'on est là sur un fil intitulé "la pensée sans mots" et que tu barre dans des théories concernant le langage... voire même la communication !
...
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Message par neopilina Lun 4 Aoû 2014 - 22:37

Ataraxie a écrit:
Aldo a écrit:Si tu veux Ataraxie, mais je te signale quand même qu'on est là sur un fil intitulé "la pensée sans mots" et que tu barre dans des théories concernant le langage... voire même la communication !
...

 lol!  , inspiration, expiration, et  penser sans les mots ? 3356319796  .

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Message par Courtial Lun 4 Aoû 2014 - 23:32

Aldo à Ataraxie a écrit:Si tu veux Ataraxie, mais je te signale quand même qu'on est là sur un fil intitulé "la pensée sans mots" et que tu barre dans des théories concernant le langage... voire même la communication !

Quousque tandem ?

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Message par Aldo Lun 4 Aoû 2014 - 23:41

Courtial a écrit: je voulais dire simplement qu'il y a des "degrés" de "pensée" : pour la perception et l'imagination, on peut sans doute se passer de mots, si l'on en vient à une pensée plus abstraite, théorique, cela me paraît très difficile.

Pour une pensée "abstraite", il faudrait donc des mots... oui ça donne à réfléchir.
Laisse-moi deviner : La Palice ?  penser sans les mots ? 2577518336

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Message par Courtial Mar 5 Aoû 2014 - 0:30

Ataraxie, s'agissant de Bergson, il y a des précisions à apporter pour que les propos que tu cites ne conduisent pas à des contresens.
Au risque de répéter mon leitmotiv : la pensée, incommensurable avec le langage, OK, mais quelle pensée ?
Parce qu'il y en a une qui est tout à fait commensurable avec le langage, le langage ayant d'ailleurs été fait pour elle : la pensée rationaliste, conceptuelle, le discours l'entendement (au sens non verbal : la discursivité de l'entendement, disons, la dianoïa), la science, etc. Là, il n'y a pas de souci : on peut dire exactement ce que l'on veut et ceci sans reste (sans indicible, sans arrière-cour inexplorée ou non-dite, etc.).  Si je tiens un discours intellectuel ou intelligent (ce que Bergson appelle l'intelligence) je n'ai pas à me faire de bile, ça fonctionne. Donc la pensée calculante, pas de problème. Le technicien peut dire, sans reste, ce qu'il a à dire ou à comprendre, le discours que l'on tient absorbe et résorbe entièrement la signification.
Ce qu'il dit dans le texte que tu cites concerne uniquement ce qui se rapporte à l'intuition. Qui est une pensée, mais pas toute la pensée, je n'intuitionne pas tout. Le plombier qui va vous dire : "allez me colmater cette fuite", il n'intuitionne rien (et encore une fois, il n'y a pas de reste, il n'y a rien à aller chercher derrière).
Le mode le plus explicite de l'intuition est naturellement le sentiment. On peut appliquer après cette notion à des éléments différents. Ce qui intéresse réellement Bergson, c'est plutôt l'intuition intellectuelle (ou l'intuition philosophique, etc.). Il en dit d'ailleurs des choses excellentes et sur lesquelles on pourra revenir.
Mais le premier niveau d'entente, celui de l'affect de base, doit d'abord être pris en compte : le vainqueur du saut en longueur des Jeux Olympiques, qui, interviouvé par les journalistes, déclare qu'il ne peut pas dire ce qui lui arrive, qu'aucun mot ne peut traduire l'émotion qui l'étreint, que par rapport à ce qu'il vit, tous les mots sont vains, etc.


Dernière édition par Courtial le Mar 5 Aoû 2014 - 0:37, édité 2 fois

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