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L'Ethique de Spinoza et la spiritualité ignatienne

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Message par Vanleers Dim 26 Sep 2021 - 21:38

neopilina a écrit:
Vanleers a écrit:On pense aussi à Saint Augustin écrivant à propos de Dieu :

Saint Augustin a écrit:Tu autem eras interior intimo meo et superior summo meo
« Mais toi, tu étais plus intime que l’intime de moi-même et plus élevé que les cimes de moi-même » (Confessions III, 6, 11)

Y a-t-il une distinction réelle entre un homme et un Dieu plus intime que l’intime de cet homme ?

La citation de Saint Augustin est magnifique. Et, c'est mon avis, totalement vraie. Le but c'est bien qu'un homme, qu'une femme (qu'un Sujet pour le dire philosophiquement), tienne, participe, le plus possible du Dieu, métaphysiquement dit (la, les, philosophies, c'est des routes, et il y en a d'autres). Il me semble que la distinction, dans tous les cas, perdure, je ne serais jamais lui, et inversement, ça sera toujours deux choses distinctes, et il me semble qu'il n'y a, ici, pas de problème. Le problème c'est d'en participer toujours plus, et effectivement, ça ne tient qu'à moi.

Qu’il y ait une distinction entre Dieu et l’homme on ne le niera pas, mais toute la question est de savoir de quelle distinction il s’agit.

Commençons par le Dieu de Spinoza et rappelons, une fois encore avec Pascal Sévérac (Spinoza. Union et Désunion – Vrin 2011), qu’il est question, dans la philosophie de Spinoza, de trois genres de distinction :

Pascal Sévérac a écrit:[…] il y a entre A et B une distinction réelle si on peut concevoir de façon claire et distincte A sans penser à B, et si inversement nous pouvons concevoir de façon claire et distincte B sans penser à A ; qu’il y a en revanche entre A et B une distinction modale si on peut concevoir de façon claire et distincte B sans penser à A, mais qu’on ne peut concevoir de façon claire et distincte A sans penser à B ; et enfin qu’il y a entre A et B seulement une distinction de raison si on ne peut pas concevoir de façon claire et distincte l’un sans l’autre (p. 46)

P. Sévérac montre ensuite clairement qu’il ne saurait y avoir entre Dieu et un homme une simple distinction de raison mais qu’il ne saurait y avoir non plus une distinction réelle.
Il établit ainsi que, dans cette philosophie, il y a une distinction modale entre Dieu et un homme car nous pouvons concevoir de façon claire et distincte Dieu sans penser à un homme mais on ne peut concevoir de façon claire et distincte un homme sans penser à Dieu (cf. pp. 54 – 57) :

Pascal Sévérac a écrit:L’une des grandes difficultés du spinozisme est sans doute de comprendre cette altérité sans distance entre la cause substantielle et ses effets modaux : altérité, car en toute rigueur l’essence divine n’est pas la même chose que l’essence modale ; sans distance, parce que cette altérité ne signifie aucune extériorité. Pourquoi n’est-ce pas la même chose ? Parce qu’entre Dieu et ses modes ne passe pas une distinction de raison mais une distinction modale : Dieu peut être clairement et distinctement conçu sans ses modes ; ceux-ci ne le peuvent sans lui (p. 54)

Expliquant le scolie d’Ethique I 29 dans lequel Spinoza reprend la distinction scolastique entre Nature naturante et Nature naturée :

Pascal Sévérac a écrit: Le mode n’est pas causa sui, il n’est pas causa libera : il demeure toujours une chose coacta.
Coactus signifie “ contraint ”, “ forcé ”, mais aussi et surtout “ coagi ”. Rien ne se fait sans l’action de Dieu entendu comme nature naturante ; toute opération modale est une coopération. Telle est donc la différence fondamentale entre la Nature naturante, qui agit par soi, et la Nature naturée, qui agit par elle – qui coagit ou qui est “ coagie ” : entre les deux, répétons-le, existe une distinction modale et non de raison. Nature naturante et Nature naturée ne sont pas deux entités fondamentalement identiques, qui se distingueraient seulement par les points de vue qu’on peut prendre sur une même Nature : si c’était le cas, alors la nature naturante ne pourrait pas adéquatement se concevoir sans la nature naturée, les attributs ne pourraient pas se concevoir sans les modes, finis ou infinis.
L’immanence n’est donc pas l’identité de la Nature naturante et de la Nature naturée ; elle est l’absence de distinction réelle entre les deux, qui n’est pas exclusive d’une distinction modale. (p. 56)

Ni distinction réelle, ni distinction de raison, il y a entre le Dieu de Spinoza et les hommes une distinction modale.

Venons-en maintenant au Dieu de l’Évangile.
Il suffit simplement de relever que ce Dieu est annoncé métaphoriquement comme un Père et les hommes comme des fils de Dieu.
Cela suffit pour dire qu’ici aussi il n’y a pas de distinction réelle ou de raison entre Dieu et les hommes, ce que, à sa façon, Saint Augustin a exprimé dans la phrase citée dans mon post précédent.

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Message par Vanleers Mar 28 Sep 2021 - 8:53

Patrick Goujon a publié un article intéressant sur le discernement : Discerner pour s’affirmer dans la liberté en :

https://www.cairn.info/revue-etudes-2012-7-page-63.htm

J’en cite un passage :

Patrick Goujon a écrit:Le discernement donne ainsi d’apprendre à connaître les motivations de son existence et ce qui les suscite, les soutient ou les entrave. Cette connaissance de soi est la perception d’un dynamisme de l’existence. Elle ne recherche pas d’abord une explication de son comportement, pas plus qu’elle ne s’attarde sur les replis d’une histoire, fût-elle inconsciente. Elle vise encore moins à se transformer en spectateur de soi-même où prendre distance fige la vie en images qui ne se projettent qu’en rêves. Des forces me traversent et me poussent en avant ou me plaquent au sol. Les motifs qui me font, m’ont fait et me feraient agir me mettent en mouvement, comme l’étymologie le suggère, et mobilisent mes énergies. En cela, les motifs sont aussi bien des raisons qui s’argumentent, s’estiment et se soupèsent, que des passions qui m’enflamment, m’emportent ou me brûlent. La raison n’est pas le seul terrain où s’exerce le discernement, il s’applique à l’affectivité ; l’une et l’autre se soutiennent. Celui qui discerne découvre en lui un monde où tout ne vient pas de lui. Des discours l’encouragent à aller dans un sens plutôt que dans un autre, des images ont sur lui un impact, des pensées s’attachent à lui qu’il n’aurait pas eues de lui-même. Elles trouvent en lui un écho favorable ou réveillent des désirs qu’il ne se connaissait pas ou voulait se cacher. Ceux qui ont le goût de l’image penseront que ce monde est peuplé d’une faune intérieure, tantôt amicale tantôt sauvage. D’autres, habitués de spiritualité médiévale, diront qu’ils sont agités par des esprits. On peut simplement reconnaître que tout ce qui se passe en moi ne vient pas de moi, et trouver dans telle ou telle anthropologie de quoi en rendre raison. Il importe surtout de s’en rendre compte au quotidien, ce qui suppose une capacité à s’arrêter, faire silence et trouver son assise. Le corps est un précieux allié pour trouver ce souffle intérieur. Ce discernement-là aide à ne pas perdre le pôle.

Mais de quel pôle parlons-nous ? Pour le chrétien : Dieu ! À condition d’avoir reconnu que Dieu est pour nous. « Pour nous les hommes et pour notre salut, il descendit du ciel et s’est fait homme ». Belle manière de dire qu’il partagea notre condition humaine au sein de laquelle nous nous démenons sans certitude que notre vie ne passera pas en pure perte. C’est à cette inquiétude que Dieu s’adresse et promet à chacun d’être comme lui et avec lui. Tel est est le dessein du Père d’engendrer dans la liberté une multitude de filles et de fils, et de courir ainsi le risque d’être reconnu ou non pour Père. Quant à nous, il nous revient de nous soucier de la vie qui nous a été donnée.

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Message par Vanleers Mar 28 Sep 2021 - 16:58

Je reprends la fin du texte rapporté dans le post précédent :

Patrick Goujon a écrit: On peut simplement reconnaître que tout ce qui se passe en moi ne vient pas de moi, et trouver dans telle ou telle anthropologie de quoi en rendre raison. Il importe surtout de s’en rendre compte au quotidien, ce qui suppose une capacité à s’arrêter, faire silence et trouver son assise. Le corps est un précieux allié pour trouver ce souffle intérieur. Ce discernement-là aide à ne pas perdre le pôle.

Mais de quel pôle parlons-nous ? Pour le chrétien : Dieu ! À condition d’avoir reconnu que Dieu est pour nous. « Pour nous les hommes et pour notre salut, il descendit du ciel et s’est fait homme ». Belle manière de dire qu’il partagea notre condition humaine au sein de laquelle nous nous démenons sans certitude que notre vie ne passera pas en pure perte. C’est à cette inquiétude que Dieu s’adresse et promet à chacun d’être comme lui et avec lui. Tel est est le dessein du Père d’engendrer dans la liberté une multitude de filles et de fils, et de courir ainsi le risque d’être reconnu ou non pour Père. Quant à nous, il nous revient de nous soucier de la vie qui nous a été donnée.

Reconnaître que tout ce qui se passe en moi ne vient pas de moi est une expérience banale que chacun peut faire à tout moment de sa vie.
Prendre conscience que, parfois, ce qui se passe en moi vient de l’esprit de tristesse est le B. A. BA de la vie spirituelle et conduit à « rectifier le tir » en se (re)mettant dans la mouvance de l’esprit de joie.
C’est ce qu’exprime P. Goujon en écrivant que « ce discernement-là aide à ne pas perdre le pôle ».
Il précise que, pour le chrétien, ce pôle est Dieu.
Mais pas n’importe quel Dieu : le Dieu « pour nous » de l’Évangile, le Dieu qui veut le bonheur de l’homme :

Adrien Demoustier a écrit:Dieu veut le bonheur de l’homme. Tel est le présupposé de base du discernement. Par son acte créateur il a suscité et il suscite tous les jours l’homme, chacun et tous, comme un être différent de lui pour pouvoir lui communiquer sa propre béatitude. L’homme est donc, en sa racine, capacité d’être heureux, possédé du désir d’un bonheur qu’il ne peut se donner, mais qui lui est réellement communiqué. Il lui faut donc faire sien ce bonheur reçu. A lui de s’engager dans l’accueil de la béatitude pour la laisser naître et s’épanouir. (op.cit. p. 69)

Le grand intérêt de la spiritualité ignatienne est qu’elle aide à retrouver le Dieu de l’Évangile comme Dieu de la joie, ce qui a été souvent recouvert par un voile de tristesse lié à la mise à mort de Jésus-Christ qui, par sa vie, proclamait ce Dieu-là.

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Message par Vanleers Dim 3 Oct 2021 - 9:24

Je compare l’Ethique de Spinoza à l’Évangile, entendu comme l’enseignement donné par Jésus par ses paroles et, surtout, par ses actes, tels qu’ils ont été rapportés dans les évangiles.
Dans l’avertissement en tête de sa traduction de l’Ethique :

Bernard Pautrat a écrit: Spinoza, pas plus qu’Epicure, Epictète ou Lucrèce ou Sénèque, n’a écrit pour donner un jour prétexte à interrogations écrites ou à exhibitions doctorales, ni pour laisser une doctrine portant son nom. Son seul souci fut d’entraîner un lecteur sur la voie qu’il avait lui-même suivie, la seule qui lui parût certaine, la voie purement démonstrative de la raison, et de le conduire « comme par la main », à être enfin un homme heureux. Qui ne le souhaite ?

De même, je dirais que Jésus n’a pas parlé et agi pour donner un jour prétexte à discussions philosophiques ou théologiques, ni pour laisser une doctrine religieuse portant son nom. Son seul souci fut d’entraîner ceux qui l’écoutaient, et qui écoutent encore aujourd’hui son enseignement à travers les évangiles, sur la voie qu’il avait lui même suivie, celle où l’homme prend conscience qu’il est un « fils de Dieu », et de le conduire « comme par la main » à être enfin un homme pleinement heureux.

Plus loin :

Bernard Pautrat a écrit: Lire l’Ethique comme un livre de mathématique contenant des vérités démontrées, que donc le lecteur sera contraint d’admettre, plutôt que comme un livre de philosophie simplement déguisé en livre de mathématique, c’est donc aussi le prendre au sérieux comme éthique et permettre à cette prodigieuse machine-à-bonheur de se mettre en route et peut-être (il faut voir) de marcher. Et paradoxalement, il faut provisoirement croire à la scientificité de l’Ethique si l’on veut lui donner la chance d’accomplir, en chacun de nous, son destin.

Je dirais, ici, qu’il s’agit de prendre au sérieux l’Évangile comme  prodigieuse machine-à-bonheur, en faisant confiance au Dieu qui y est annoncé si l’on veut lui donner la chance d’accomplir en chacun de nous sa volonté de nous rendre pleinement heureux.

Comme on l’a vu tout au long de ce fil, la spiritualité ignatienne est complètement dans cette perspective.

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Message par Vanleers Jeu 7 Oct 2021 - 9:45

Sur un autre fil, a été signalé un article de Joseph Schmitt : La genèse de la sotériologie apostolique :

https://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1977_num_51_1_2781

On trouvera ci-après plusieurs passages dans lesquels l’auteur montre que le thème central de l’Évangile est le « Règne de Dieu ».

Joseph Schmitt a écrit:Aucune veine de la tradition évangélique n'établit de manière probable l'usage par Jésus d'un vocabulaire sotériologique qui répondrait de forme et de fond à la langue apostolique. Les emplois de sôzein et de sôtèria dans les synoptiques ne remontent qu'à la phase grecque de la tradition, même quand ils sont prérédactionnels. C'est l'Eglise d'après Pâques, plus exactement le judéo-christianisme hellénistique, qui a reconnu dans ces vocables à la fois, grecs et judaïques l'expression à son sens adéquate de l'expérience spirituelle qu'elle avait faite du Christ et du témoignage pastoral qu'elle en allait proposer au monde romain.

Seuls, les groupes gardiens de l'héritage piétiste persistent à rappeler le primat de la khesed dans la fidélité de Dieu au « pauvre », conscient de son isolement humain et de sa détresse spirituelle.
Jésus ne s'en tient pas à ce correctif, qu'il homologue d'une manière aussi plénière qu'originale. La méconnaissance de la souveraineté et de l'actualité divines est, à ses yeux, le défaut des messianismes et des eschatologies reçus. Le refus qu'il leur oppose est foncier, et quels que soient les matériaux qu'il puise du reste aux courants de pensée palestiniens.

C'est précisément à Daniel (cf. 2,44 ; 7,27), à la prière cultuelle et à la paraphrase scripturaire qu'est empruntée en particulier la donnée la plus représentative du message évangélique : le vocable et par certains côtés le thème du «Règne de Dieu» (11). Jésus, cependant, reconsidère entièrement le matériau, dont il ne maintient que l'acception eschatologique fondamentale. Il en fait l'article central de la prédication missionnaire aux foules et de l'enseignement ésotérique aux disciples. Il en renouvelle l'expression en créant un vocabulaire original, où la tournure « entrer dans le Règne » répond au verbe sôzesthai de l'antique tradition biblique et où la formule de « la venue du Règne » implique du moins le refus des spéculations apocalyptiques sur les. Signes annonciateurs de la fin. Mais surtout, Jésus propose une intelligence théologique personnelle du thème, fondée sur le sens unique qu'il a de Dieu et sur l'expérience immédiate qu'il vit du Père.

Le motif du « Règne » caractérise le message eschatologique de Jésus depuis les débuts galiléens (cf. Me, 1,14-15 par.) (14) jusqu'à la veille de la passion (cf. 14,25 par.). Le thème du Fils de l'homme, au contraire, n'est attesté que dans les instructions aux disciples et seulement à partir de Me, 8,31 par. (15), autrement dit après la crise galiléenne, à mesure que le rejet et la persécution rendent l'échec inéluctable. Il n'est pas de texte qui rapproche ou mentionne ensemble l'un et l'autre de ces pôles théologiques.

La conscience d'être « le Fils » en regard « du Père » est, à la différence du titre « le Fils de l'homme », le maître élément de la révélation christologique proposée par Jésus avant la défection des grandes cités galiléennes. Au témoignage de l'hymne dit « de jubilation » (Mt., 11,25-26 par.) en particulier, elle remonte par-delà l'ouverture du ministère évangélique à la phase johannite de l'itinéraire messianique de Jésus. Elle n'éclaire pas seulement la distance que Jésus n'a guère tardé de prendre à l'endroit du Baptiste, en qui il a dû voir un moment le prophète des derniers temps ; elle explique, nous l'avons dit, l'Evangile même, son objet et son contenu. Au fait, ce que Jésus annonce, c'est l'irruption de Dieu parmi les hommes, sa présence souveraine in actu, avec « force » et « puissance », sans limitations particularistes mais non pas sans choix préférentiels, en un mot : sa manifestation active aux fins de rapports ou d'un ordre nouveaux à instaurer entre Dieu et l'homme ainsi que d'homme à homme. Il est remarquable que les dits du « Règne » les plus centraux en même temps que les plus archaïques ne portent pas sur la « venue », mais — et quoi qu'il en soit de leur interprétation définitive — sur la nature dynamique de la basileia et sur les réactions variées des contemporains à sa proclamation par Jésus.

Le dernier passage résume bien la thèse que la conscience d’être « le Fils » en regard « du Père » est le maître élément du message évangélique.
Cette thèse étendue à tout homme considéré comme « fils de Dieu » change les rapports entre Dieu et l’homme ainsi que d’homme à homme.
Sa proclamation par Jésus entraînera des « réactions variées des contemporains » et il sera mis à mort.

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Message par Vanleers Ven 8 Oct 2021 - 9:13

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Message par Vanleers Sam 9 Oct 2021 - 9:16

Saint Paul écrit dans sa Lettre aux Romains (7, 17) :
Non enim quod volo bonum, hoc facio; sed quod nolo malum, hac ago  («  Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas »)

Il rejoint ainsi Ovide, auquel Spinoza fait trois fois référence dans l’Ethique ( E III 2 sc. ; E IV préf. ; E IV 17 sc.) :
Video meliora proboque, sed deteriora sequor (« Je vois le meilleur et je l’approuve, et cependant, je fais le pire »).
Spinoza commente, dans le scolie, la proposition E IV 17 qui montre que cela est tout à fait naturel :

Spinoza a écrit:Par là, je crois avoir montré la cause pour laquelle les hommes sont plus émus par l’opinion que par la Raison véritable, et pourquoi la connaissance vraie du bien et du mal éveille des émotions, et souvent le cède à toute sorte de pulsions ; d’où est né ce mot du Poète : je vois le meilleur, je l’approuve, et je fais le pire. L’intention de l’Ecclésiaste semble avoir été la même lorsqu’il dit : qui augmente sa science augmente sa douleur.[...]

Pierre Macherey commente ce scolie :

Pierre Macherey a écrit:D’après Spinoza, ces deux formules [Ovide et l’Ecclésiaste], en dépit de la différence des contextes culturels auxquels elles sont empruntées, relèvent de la même inspiration et disent au fond la même chose ; et cette chose est précisément celle qui vient d’être exposée démonstrativement : à savoir que la connaissance vraie du bien et du mal, pour autant qu’elle demeure de l’ordre d’une connaissance théorique, produit dans les faits des effets exactement inverses de ceux qu’elle préconise ; loin d’améliorer la condition de l’homme, elle ne contribue qu’à l’enfoncer un peu plus dans sa constitutionnelle servitude, parce qu’elle reste désarmée devant les forces des affects en tant que celles-ci s’appuient sur la présence de choses extérieures, devant lesquelles la connaissance vraie du bien et du mal doit inévitablement se trouver en défaut. Cela résulte du fait que « les hommes sont davantage agités par l’opinion que par la raison », car « l’agitation d’esprit » que leur communique la vraie connaissance du bien et du mal, c’est-à-dire l’intérêt affectif qu’ils consacrent à cette connaissance, n’est rien au regard de l’effet d’entraînement impulsé par « n’importe quel genre de lubricité ». Or cette situation, dont les deux formules citées font ressortir le caractère désastreux, est parfaitement naturelle et inévitable : elle s’explique, non par la mauvaise volonté ou par une erreur d’appréciation des individus concernés, mais par la logique nécessaire qui dirige naturellement leurs comportements, et soumet ceux-ci au principe universel de la mesure des puissances. Entre ce que nous savons avec certitude devoir faire et ce que nous faisons en réalité parce que nous sommes poussés à le faire, il y a un abîme : il ne sert à rien de le déplorer ou d’en faire un sujet de satire ; c’est comme ça, un point c’est tout.

Si cette situation est parfaitement naturelle, alors il n’y a pas faute, pas de péché originel et donc pas de rédemption ni de jugement dernier.
Spinoza s’écarte ici de la religion chrétienne mais, en même temps, ouvre l’esprit à entendre à nouveau le message de l’Évangile :
« Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! » (Mt 5, 1-12a)

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Message par neopilina Sam 9 Oct 2021 - 14:31

Je souligne, surligne :

Vanleers a écrit:
Spinoza a écrit:Par là, je crois avoir montré la cause pour laquelle les hommes sont plus émus par l’opinion que par la Raison véritable, et pourquoi la connaissance vraie du bien et du mal éveille des émotions, et souvent le cède à toute sorte de pulsions ; d’où est né ce mot du Poète : je vois le meilleur, je l’approuve, et je fais le pire. L’intention de l’Ecclésiaste semble avoir été la même lorsqu’il dit : qui augmente sa science augmente sa douleur.[...]

Pierre Macherey commente ce scolie :

Pierre Macherey a écrit:D’après Spinoza, ces deux formules [Ovide et l’Ecclésiaste], en dépit de la différence des contextes culturels auxquels elles sont empruntées, relèvent de la même inspiration et disent au fond la même chose ; et cette chose est précisément celle qui vient d’être exposée démonstrativement : à savoir que la connaissance vraie du bien et du mal, pour autant qu’elle demeure de l’ordre d’une connaissance théorique, produit dans les faits des effets exactement inverses de ceux qu’elle préconise ; loin d’améliorer la condition de l’homme, elle ne contribue qu’à l’enfoncer un peu plus dans sa constitutionnelle servitude, parce qu’elle reste désarmée devant les forces des affects en tant que celles-ci s’appuient sur la présence de choses extérieures, devant lesquelles la connaissance vraie du bien et du mal doit inévitablement se trouver en défaut. Cela résulte du fait que « les hommes sont davantage agités par l’opinion que par la raison », car « l’agitation d’esprit » que leur communique la vraie connaissance du bien et du mal, c’est-à-dire l’intérêt affectif qu’ils consacrent à cette connaissance, n’est rien au regard de l’effet d’entraînement impulsé par « n’importe quel genre de lubricité ». Or cette situation, dont les deux formules citées font ressortir le caractère désastreux, est parfaitement naturelle et inévitable : elle s’explique, non par la mauvaise volonté ou par une erreur d’appréciation des individus concernés, mais par la logique nécessaire qui dirige naturellement leurs comportements, et soumet ceux-ci au principe universel de la mesure des puissances. Entre ce que nous savons avec certitude devoir faire et ce que nous faisons en réalité parce que nous sommes poussés à le faire, il y a un abîme : il ne sert à rien de le déplorer ou d’en faire un sujet de satire ; c’est comme ça, un point c’est tout.

L'Ecclésiaste n'est pas franchement connu pour son optimisme, mais je donne " raison " à la citation : je sais que c'est vrai de façon charnelle, expérimentale. " L'Odyssée ", etc. (périple, cheminement, métamorphose, initiatique, spirituel, etc.), ce n'est pas une partie de plaisir, c'est même souvent un chemin de croix. Mais il y a un volet optimiste à cette situation. Je recite Macherey : " Entre ce que nous savons avec certitude devoir faire et ce que nous faisons en réalité parce que nous sommes poussés à le faire, il y a un abîme ". Cette formulation est très problématique : si moi, je sais " avec certitude " ce que je dois faire ou ne pas faire, je n'ai pas de difficulté à le faire ou ne pas le faire, ce qui m'amène à " l'abîme " surligné, cet " abîme ", c'est l'ignorance. Une connaissance digne de ce nom, ici manifestement quant à Soi, c'est une connaissance devenue constitutive et donc efficiente. Si quelqu'un continue à faire quelque chose parce qu'il est poussé à le faire, c'est expressément parce qu'il n'en sait pas suffisamment sur ce qu'il le pousse à le faire. J'insiste. Dés lors, la fin de la citation, " il ne sert à rien de le déplorer ou d’en faire un sujet de satire ; c’est comme ça, un point c’est tout ", est inacceptable, on peut toujours faire mieux. Je rappelle que chez moi, il n'y a pas d'autre transcendance que la connaissance (avec ou sans le Dieu, mais ici, je renvoie malicieusement à l'excellentissime signature de Jans,  L'Ethique de Spinoza et la spiritualité ignatienne - Page 25 4017359721  ).

_________________
" Tout Étant produit par moi m'est donné (c'est son statut philosophique), a priori, et il est Mien (cogito, conscience de Soi, libéré du Poêle) ". " Savoir guérit, forge. Et détruit tout ce qui doit l'être ", ou, équivalents, " Tout l'Inadvertancier constitutif doit disparaître ", " Le progrès, c'est la liquidation du Sujet empirique, notoirement névrotique, par la connaissance ". " Il faut régresser et recommencer, en conscience ". Moi.
C'est à pas de colombes que les Déesses s'avancent.
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Message par benfifi Sam 9 Oct 2021 - 20:48

neopilina a écrit:si moi, je sais " avec certitude " ce que je dois faire ou ne pas faire, je n'ai pas de difficulté à le faire ou ne pas le faire
Heureux homme !
Quant à moi, si je ne fais pas ce que je dois faire, mais fais autre chose parce que poussé à le faire, ce qui me pousse c'est la diversion alliée à la paresse. "Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre" dit Pascal. Néanmoins je n'ai pas de mal à perdre mon temps à rêvasser en regardant les mouches voler . Par contre j'ai beaucoup de mal à faire mien le mot d'ordre : sustine et abstine.
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Message par Vanleers Sam 9 Oct 2021 - 20:54

neopilina a écrit: Dés lors, la fin de la citation, " il ne sert à rien de le déplorer ou d’en faire un sujet de satire ; c’est comme ça, un point c’est tout ", est inacceptable, on peut toujours faire mieux.

Bien entendu, selon Spinoza, on peut toujours faire mieux grâce à la connaissance.
Je poursuis donc la citation du commentaire de Pierre Macherey :

Pierre Macherey a écrit:En présentant ce constat désabusé et désenchanté, Spinoza s’excuse presque du réalisme qui l’a contraint à s’y ranger, alors même que ce constat va dans le sens d’une dévalorisation des pouvoirs de la raison, ce qui paraît incompatible avec la démarche d’un philosophe géomètre. Et ceci l’amène à prévenir une possible erreur d’interprétation concernant l’état d’esprit qui est le sien : c’est justement en se plaçant  au point de vue de la raison qu’il est conduit à reconnaître que la raison ne peut pas grand-chose contre les affects, en tant du moins qu’elle s’incarne dans la connaissance vraie du bien et du mal prise seulement en tant que vraie. Il n’est donc pas question d’abandonner le projet d’une réduction de la servitude passionnelle appuyée sur l’intervention de la raison, étant cependant admis que « la raison ne peut prendre le contrôle des affects » (note : c’est à cette formule que E IV 37 sc. 2 ramène les enseignements de E IV 17 sc.) ; et il n’est donc pas question non plus de cantonner celle-ci dans de pures activités théoriques de connaissance, obsédées par la considération de la vérité au point de se détourner de tout ce qui pourrait se situer dans une perspective d’utilité, en abandonnant le domaine de la vie pratique au libre jeu des affects et de leurs forces brutes, comme si « entre l’idiot et celui qui comprend il n’y avait nulle différence en ce qui concerne le pouvoir de tempérer ses affects ». Spinoza ne préconise donc pas de s’en remettre, dans le domaine de la moralité, à une sorte de docte ignorance, mais il va entreprendre au contraire de redonner à la connaissance la force pratique d’intervention dont elle n’est pas dotée spontanément, en réconciliant la recherche du vrai et celle de l’utile, ce qui définit précisément l’esprit d’une éthique raisonnée et démontrée.

La dernière phrase est la plus importante : réconcilier la recherche du vrai et celle de l’utile.
C’est exactement ce que vise la spiritualité ignatienne : « chercher et trouver Dieu en toute chose », c’est chercher à la fois le vrai et l’utile c'est-à-dire vivre dans l’allégresse.

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Message par neopilina Sam 9 Oct 2021 - 22:23

Vanleers a écrit:
neopilina a écrit: Dés lors, la fin de la citation, " il ne sert à rien de le déplorer ou d’en faire un sujet de satire ; c’est comme ça, un point c’est tout ", est inacceptable, on peut toujours faire mieux.

Bien entendu, selon Spinoza, on peut toujours faire mieux grâce à la connaissance.
Je poursuis donc la citation du commentaire de Pierre Macherey :

Pierre Macherey a écrit:En présentant ce constat désabusé et désenchanté, Spinoza s’excuse presque du réalisme qui l’a contraint à s’y ranger, alors même que ce constat va dans le sens d’une dévalorisation des pouvoirs de la raison, ce qui paraît incompatible avec la démarche d’un philosophe géomètre. Et ceci l’amène à prévenir une possible erreur d’interprétation concernant l’état d’esprit qui est le sien : c’est justement en se plaçant  au point de vue de la raison qu’il est conduit à reconnaître que la raison ne peut pas grand-chose contre les affects, en tant du moins qu’elle s’incarne dans la connaissance vraie du bien et du mal prise seulement en tant que vraie. Il n’est donc pas question d’abandonner le projet d’une réduction de la servitude passionnelle appuyée sur l’intervention de la raison, étant cependant admis que « la raison ne peut prendre le contrôle des affects » (note : c’est à cette formule que E IV 37 sc. 2 ramène les enseignements de E IV 17 sc.) ; et il n’est donc pas question non plus de cantonner celle-ci dans de pures activités théoriques de connaissance, obsédées par la considération de la vérité au point de se détourner de tout ce qui pourrait se situer dans une perspective d’utilité, en abandonnant le domaine de la vie pratique au libre jeu des affects et de leurs forces brutes, comme si « entre l’idiot et celui qui comprend il n’y avait nulle différence en ce qui concerne le pouvoir de tempérer ses affects ». Spinoza ne préconise donc pas de s’en remettre, dans le domaine de la moralité, à une sorte de docte ignorance, mais il va entreprendre au contraire de redonner à la connaissance la force pratique d’intervention dont elle n’est pas dotée spontanément, en réconciliant la recherche du vrai et celle de l’utile, ce qui définit précisément l’esprit d’une éthique raisonnée et démontrée.

La dernière phrase est la plus importante : réconcilier la recherche du vrai et celle de l’utile.
C’est exactement ce que vise la spiritualité ignatienne : « chercher et trouver Dieu en toute chose », c’est chercher à la fois le vrai et l’utile qui est de vivre dans l’allégresse.

Citer, même avec les meilleures intentions du monde (on ne parlera pas ici du cas inverse), présente toujours des risques, on le voit. Tu as donc eu raison de donner la suite, j'en prends acte.
D'autant plus qu'à propos des affects, des passions, etc., nous sommes aujourd'hui moins démunis qu'un Spinoza, quand bien même on s'appelle Spinoza. Ce n'est pas leur faire ombrage que d'utiliser des choses dont ils ne disposaient pas. Nous savons tous ce que ce genre d'homme feraient à notre place : ils utiliseraient sans la moindre hésitation tout ce qui est à disposition (quoi que : on peut sans difficulté distinguer soi ceux qu'ils l'ont fait soi ceux qui ne l'ont pas fait, chacun en leur temps). Des fois, je me mets à rêver, j'imagine un Zénon, un Aristote, un Descartes, un Spinoza, un Sade, un Nietzsche, etc., enfermé dans une de nos bibliothèques : en six mois, ils se hisseraient au premier plan.

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" Tout Étant produit par moi m'est donné (c'est son statut philosophique), a priori, et il est Mien (cogito, conscience de Soi, libéré du Poêle) ". " Savoir guérit, forge. Et détruit tout ce qui doit l'être ", ou, équivalents, " Tout l'Inadvertancier constitutif doit disparaître ", " Le progrès, c'est la liquidation du Sujet empirique, notoirement névrotique, par la connaissance ". " Il faut régresser et recommencer, en conscience ". Moi.
C'est à pas de colombes que les Déesses s'avancent.
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Message par Vanleers Dim 10 Oct 2021 - 9:39

A neopilina

Dans mon avant-dernier post, mon but était de montrer qu’avec Spinoza les notions de « rédemption » et de « jugement dernier » abordées sur un autre fil étaient caduques.
En effet, dans cette philosophie, tout est naturel et il ne saurait être question de faute morale ou de péché originel.
Je me suis donc limité à la partie du commentaire de Pierre Macherey qui éclaire ce point.

Vous vous êtes intéressé à une question collatérale exprimée dans la dernière phrase du commentaire : il ne sert à rien de déplorer la situation naturelle de l’homme et vous avez jugé que cette remarque était inacceptable car, je vous cite, « on peut toujours faire mieux »
J’ai donc été amené à donner la suite du commentaire de Macherey qui montre dans quelles conditions on peut, selon Spinoza, « faire mieux ».
Ces conditions sont précisées dans le texte qui suit ce que j’ai déjà cité :

Pierre Macherey a écrit:Mais, pour y parvenir, il est nécessaire au départ de voir exactement la limite qui passe entre ce qui relève de notre puissance et ce qui lui échappe, au lieu de nourrir des illusions sur notre capacité native à maîtriser nos affects par la raison, ce qui ne pourrait avoir que des conséquences exactement contraires de celles que nous poursuivons. La raison n’exerce pas sur les passions un pouvoir absolu en vertu duquel l’homme accéderait au statut d’un être surnaturel, complètement libre par rapport aux déterminations issues de l’ordre des choses : mais tout ce à quoi elle peut prétendre c’est à exercer sur elles un contrôle relatif, limité par les conditions objectives qui dotent l’être humain d’une certaine puissance, dont il doit user au mieux pour se libérer tel qu’il est lui-même dans le monde tel qu’il est. Car, pas plus qu’il n’a sur ses passions un pouvoir illimité, l’homme n’est non plus complètement  privé de tout moyen d’action sur elles : mais, avant de s’engager dans une telle action, il faut préalablement qu’il se demande ce qu’il peut et ce qu’il ne peut pas, donc jusqu’où vont ses capacités à cet égard.

Vous écrivez aussi qu’aujourd’hui nous sommes moins démunis que Spinoza « à propos des affects, des passions etc. »
Qu’avons-nous, aujourd’hui, et que n’avait pas Spinoza, pour réduire la servitude passionnelle ?
Ce serait déjà pas mal de mettre en œuvre l’analyse magistrale de la vie affective et les remèdes aux passions qui en découlent qu’il propose.

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Message par hks Dim 10 Oct 2021 - 13:15

Il se pourrait bien que se consacrer à "la biologie des passions" ce soit surtout affirmer une passion pour la biologie.

On peut consacrer sa vie à la philatélie et être totalement surpris (étonné et navré) que les timbres, on ne les utilise plus (ou presque)

Les neurosciences culminent, elles sont au zénith, il se pourrait qu'un jour on ne les emploie plus....
du moins à l'effet de ce qu'elles prétendent satisfaire actuellement.

je veux dire que, par exemple, les neuroscience ne m'expliqueront pas Kierkegaard cité ci dessous


Dernière édition par hks le Dim 10 Oct 2021 - 16:13, édité 1 fois

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Message par hks Dim 10 Oct 2021 - 16:11

La liberté versus le libre arbitre chez Kierkegaard

Kierkegaard a écrit: La vraie liberté n'a comme
contraire que la faute. Elle dit essentiellement indépendance,
absence d'esclavage ou de lien vis-à-vis de la faute. L'homme
libre, en ce sens, n'est pas celui qui aurait indéfiniment et
invariablement un pouvoir de choisir entre telle ou telle ligne
d'action, mais plutôt celui qui d'ores et déjà se serait donné à
lui-même une seconde nature le prémunissant contre la faute. Le
prototype de l'homme libre, le «génie religieux», ce serait l'ascète qui aurait lui-même bâti sur sa facticité une orientation
l'éloignant au maximum de la possibilité de sombrer dans la
faute. «Se choisir soi-même», pour revenir à une expression de
l'éthicien Wilhelm, c'est briser le cercle des choix masqués pour
intégrer la sphère de la «validité éternelle» où l'on apprend à
choisir avec une certaine nécessité croissante ce dont la contradictoire est la faute.
page  82

https://www.erudit.org/fr/revues/philoso/1981-v8-n1-philoso1304/203150ar.pdf

et page 84  
Kierkegaard a écrit:Oh! que de vérité et d'expérience dans ce que dit saint Augustin de
la vraie liberté (différente de la liberté de choisir): le sentiment de
liberté le plus fort qu'ait l'homme, c'est quand, définitivement
résolu, il imprime à son action comme une frappe cette nécessité
intérieure qui exclut l'idée d'une autre possibilité! Alors le «tourment» de la liberté ou du choix prend fin33
.

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Message par neopilina Dim 10 Oct 2021 - 16:19

Je souligne :

Vanleers a écrit:En effet, dans cette philosophie [celle de Spinoza], tout est naturel et il ne saurait être question de faute morale ou de péché originel.

Va pour le péché originel. C'était une tentative d'explication, de compréhension, l'intention était bonne ! Selon celle-ci, nous SOMMES des pécheurs, c'est donc avec cela, à partir de cela, qu'il faudra faire. Une vraie malédiction divine, métaphysique, et aujourd'hui encore, on voit ce que ça donne. De temps en temps, ici ou là, dans la bouche d'un Dieu grec un peu énervé, agacé, on peut " entendre " (lire donc) que, décidément, la race des hommes est débile et tarée (sens premier de tare en tant que manques), mine de rien, c'est beaucoup moins grave que " pécheur ". Le Dieu, chez les Grecs, n'a pas envie de voir s'aplatir, s'agenouiller, se mortifier, etc., l'homme, celui-ci est mal barré, alors pas la peine d'en rajouter. Le Dieu chez les Grecs, encourage l'homme en tant qu'homme, il ne commence pas par lui péter un genou. Ne jamais oublier que c'est grâce à la religion grecque que l'homme accouche un jour de la philosophie (occidentale, bien sûr), de la rationalité dite " occidentale " (c'est à dire découverte par des occidentaux) qui est bel et bien en train de conquérir le monde.
Le " naturel " souligné me chagrine gravement. Commettre une " faute morale ", c'est vrai que c'est physiquement (scientifiquement dit) possible, à partir de là, dire que c'est " naturel ", me pose un problème, semblable au Péché originel. Alors oui, grâce à toi et hks, j'ai compris dans ses grandes lignes la philosophie de Spinoza : en premier et dernier lieu, toute chose est un avatar modal du Dieu. Déjà dit, chez moi, c'est inacceptable. A vouloir voir le Dieu partout, il finit par s'évaporer, par être nul part, et même donc, se voir attribuer des choses antinomiques. Chez Aristote, au moins, il reste une frontière, qui, pour des raisons ressortant de la volonté de système de Spinoza, de sa rigueur même, disparaît chez lui, et engendre ce que je lui reproche. Je dis de Spinoza qu'il continue à philosopher " à l'ancienne ", et cela au siècle même où la science prend son essor, prend congé de la philosophie. Aristote est le penseur antique qui a le plus approché cette distinction, (je vais citer Magni qui vient de citer Gilson) :

Gilson a écrit:Nul ne songerait aujourd'hui à parler d'une mathématique chrétienne, ou d'une biologie chrétienne, ou d'une médecine chrétienne. Pourquoi ? Parce que la mathématique, la biologie et la médecine sont des sciences et que la science est radicalement indépendante de la religion dans ses conclusions comme dans ses principes.

Chez Aristote, on voit cette distinction, même au sens le plus premier qui soit (c'est officiellement le cas), chez Descartes aussi (forcément, un " peu ", chez un des pères de la science), mais elle est totalement absente du spinozisme, et donc avec ma formation scientifique, ça ne va pas pouvoir le faire.


Vanleers a écrit:Vous écrivez aussi qu’aujourd’hui nous sommes moins démunis que Spinoza « à propos des affects, des passions etc. »
Qu’avons-nous, aujourd’hui, et que n’avait pas Spinoza, pour réduire la servitude passionnelle ?

La psychologie, la psychiatrie, la psychothérapie, la psychanalyse, la neuropharmacologie, etc., etc., toute chose qui n'existait pas du temps de Spinoza. Alors que ça fait partie de l'homme depuis toujours (et pas qu'un peu), et que depuis toujours, des homme ont essayé d'en parler en tout temps et dans toutes les régions du monde comme ils l'ont pu (Homère, l'A.T., etc.).
Un petit mot sur la neuropharmacologie. Une " ordonnance ", c'est une béquille, qui d'abord, permet de ne plus souffrir, de vivre, de pouvoir vivre, au sens le plus basique, " trivial ", du terme, quand celui-ci n'est même plus acquis, et on comprend de suite que dans certains cas, ça soit capital : vital. Ou alors on multiplie comme les petits pains, les hôpitaux psychiatriques, sans parler des drames, crimes et suicides. Idéalement, l'ordonnance est la réponse à la souffrance, à l'urgence, de la même façon que la médecine générale va interrompre une hémorragie. Mais une " ordonnance " ne soigne pas la maladie, elle lutte contre des symptômes, c'est à dire des conséquences du trouble. Un jour, on m'a chuchoté à l'oreille que tel psychiatre était un très bon neuropharmacologue mais qu'il ne faisait pas de psychothérapie. Je n'ai bien sûr jamais mis les pieds chez ce monsieur (mais s'il fait de bonnes ordonnances, c'est déjà bien, donc).  Alors oui, à partir de là, on peut dire sans insulter Spinoza, qu'aujourd'hui, à ce sujet, on peut faire mieux que Spinoza. Je suis certain que Sade aurait donné, au moins, un de ses châteaux, et Nietzsche ce qu'il aurait pu, pour l'oeuvre complète de Freud, par exemple. Il me semble qu'ainsi je réagis aussi à ce propos ci-dessus d'hks :

hks a écrit:Les neurosciences culminent, elles sont au zénith, il se pourrait qu'un jour on ne les emploie plus, du moins à l'effet de ce qu'elles prétendent satisfaire actuellement.

Ça vient, péniblement, le réductionnisme matérialiste est encore très fort. Mais peu à peu, on arrive à un chacun chez soi collaboratif donc.

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Message par hks Dim 10 Oct 2021 - 19:18

neopilina a écrit:mais elle est totalement absente du spinozisme
L'Ethique de Spinoza et la spiritualité ignatienne - Page 25 4221839403

Spinoza a écrit:Ce qui dispose le Corps humain à pouvoir être affecté de plus de manières, ou < vel > ce qui le rend apte à affecter les corps extérieurs de plus de manières, est utile à l'homme ; et d'autant plus utile qu'il rend le Corps plus apte à être affecté, et à affecter les corps extérieurs, de plus de manières ; et est nuisible, au contraire, ce qui y rend le corps moins apte.
prop 38.pars4

Spinoza est prudent et circonspect

Spinoza a écrit:Ainsi donc, comme je l’ai dit, je ne traiterai ici que de la seule puissance de l’Esprit, c’est-à-dire de la Raison, et je montrerai d’abord quel est le degré et la nature du pouvoir qu’elle a de réprimer et de diriger les affects. Car, ainsi que nous l’avons démontré, nous n’avons pas sur eux un pouvoir absolu. Les Stoïciens ont pourtant cru qu’ils dépendaient totalement de notre volonté et que nous pouvions les dominer totalement. Les protestations de l’expérience, et non pas à la vérité leurs propres principes, les ont cependant contraints de reconnaître qu’un exercice et une application considérables étaient nécessaires pour réprimer et diriger les affects, comme l’un d’eux s’est efforcé de le montrer par l’exemple des deux chiens (si j’ai bonne mémoire), l’un domestique et l’autre de chasse : car seul l’exercice pourra faire que le chien de chasse au contraire s’abstienne de poursuivre le gibier.
préface partie 5

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Message par Vanleers Dim 10 Oct 2021 - 21:38

A neopilina

1) La thèse du péché originel est en effet une « tentative d'explication, de compréhension ».
Spinoza explique autrement la situation résumée dans la citation d’Ovide : « Je vois le meilleur et je l’approuve, et cependant, je fais le pire ».
C’est parce que «  les hommes sont plus émus par l’opinion que par la Raison véritable » (E IV 17 sc.) et Spinoza explique pourquoi il en est ainsi.

2) Il n’y a pas de « faute morale » dans la philosophie de Spinoza car l’Ethique est étrangère à la morale.
C’est ce qu’explique Deleuze en disant que la question morale, c’est : qu’est-ce que tu dois en vertu de ton essence, alors que la question éthique c’est qu’est-ce que tu peux, toi, en vertu de ta puissance.

http://www2.univ-paris8.fr/deleuze/article.php3?id_article=137

3) Dans la philosophie de Spinoza, l’homme n’est pas un avatar de Dieu mais une manière d’être de la Substance.
L’homme n’est pas une émanation de la Substance mais participe à la Substance.
Spinoza appelant la Substance Dieu, on peut parler de cette participation en termes de divinité de l’homme, ce qui est un tremplin pour comprendre ce que l’Évangile appelle la filialité divine de l’homme.
C’est ce qui permet aussi de comprendre que si, pour Spinoza, le Christ n’est pas Dieu, il parle néanmoins du Christ secundum spiritum comme de la Dei aeterna sapientia : voir, par exemple, de Pina Totaro :

https://books.openedition.org/ephe/1657?lang=fr

4) Je pense, au contraire, avec bien d’autres, que Spinoza était très en avance sur son temps.
Son œuvre majeure est une Ethique démontrée selon l’ordre géométrique ce qui justifie qu’on la lise comme un système axiomatique ou métaphysique « à la Popper », c’est-à-dire comme une théorie ni démontrable ni réfutable mais discutable rationnellement et, bien entendu, et comme les théories scientifiques, conjecturale et sans certitude absolue.
C’est ce qui a été notamment mis en évidence dans une discussion avec Crosswind sur le forum, ce qui nous sort d’une conception de la métaphysique « à la papa » qui rêve de certitudes absolues.

5) Spinoza écrit dans la préface de la partie V de l’Ethique :

Spinoza a écrit:Quant à savoir comment et par quelle voie il faut parfaire l’intellect, et par quel art, ensuite, il faut soigner le corps pour qu’il puisse remplir correctement son office, cela n’appartient pas à notre propos : car ce dernier point regarde la Médecine et l’autre la Logique. Donc, ici, comme j’ai dit, je traiterai seulement de la puissance de l’esprit, autrement dit de la raison, et je m’en vais d’abord montrer de quelle force et de quelle nature est l’empire qu’elle a pour réprimer et maîtriser les affects.

Bien entendu, Spinoza ne niait pas l’intérêt de la médecine, encore rudimentaire à son époque, mais son propos était ailleurs et il garde toute sa valeur aujourd’hui.

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Message par Vanleers Mar 19 Oct 2021 - 16:44

Sur un autre fil, j’ai fait mention d’une étude de Joachim Jeremias sur le mot Abba dans les évangiles (dans Le message central du Nouveau Testament).
Je cite à nouveau sa conclusion :

Joachim Jeremias a écrit:Tout cela nous amène à une conclusion d’une importance capitale.
On a très souvent soutenu que nous ne savons presque rien du Jésus historique. Nous ne le connaissons que par les évangiles, qui ne sont pas des récits historiques mais plutôt des professions de foi. Nous ne connaissons que le Christ du kérygme, où Jésus est revêtu du vêtement du mythe ; il n’est que de penser aux nombreux miracles qui lui sont attribués. Ce que nous découvrons lorsque nous appliquons l’analyse critique à l’analyse des sources, c’est un prophète puissant, mais un prophète qui est demeuré absolument dans les limites du judaïsme. Ce prophète peut présenter un intérêt pour l’histoire, mais n’a point et ne peut avoir de signification pour la foi chrétienne. Ce qui importe, c’est le Christ du kérygme. Le christianisme commence à Pâques.
Mais s’il est vrai – et le témoignage des sources ne laisse là-dessus aucun doute – qu’Abba en tant qu’invocation de Dieu est une ipsissima vox, une authentique et originale expression de Jésus, et que cet Abba explique la revendication d’une unique révélation et d’une autorité unique – si tout cela est vrai, alors la position au sujet du Jésus historique qui vient d’être rappelée est insoutenable. Car, avec Abba, nous sommes par-delà le kérygme. Nous nous trouvons devant quelque chose de neuf et d’inouï qui passe les limites du judaïsme. Là nous découvrons qui était le Jésus historique : l’homme qui avait le pouvoir de s’adresser à Dieu comme Abba et qui fit entrer les pécheurs et les publicains dans le Royaume, simplement en les autorisant à répéter ce mot « Abba, Père très cher ».

Je pense que l’essentiel de la prédication de Jésus est résumée dans ce simple mot : Abba.
Jésus nous fait prendre conscience de la nature du Dieu de l’Évangile et de la relation que nous pouvons avoir avec ce Dieu-là.
Cela rejoint :

Adrien Demoustier a écrit: le rappel d’une vérité fondamentale de notre foi chrétienne, souvent méconnue parce qu’elle prend à revers l’évidence immédiate. Son acceptation demande effectivement un acte de foi : croire que Dieu veut le bonheur de l’homme parce que telle est sa très sainte et libre volonté. Dans la continuelle présence de son éternité à notre temps, il a créé l’homme à l’origine et le crée sans cesse, chaque jour, pour lui offrir de recevoir, librement, la communication de sa Vie bienheureuse. Choisir de faire la volonté de Dieu sera toujours, d’une façon ou d’une autre, une détermination qui permettra de trouver paix et joie au travers de la difficulté de vivre. (op. cit. p. 7)

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Message par Vanleers Mar 26 Oct 2021 - 9:42

Un commentateur des Exercices Spirituels d’Ignace de Loyola écrit en :

https://www.choisir.ch/religion/spiritualites/item/3562-necessaire-et-subtil-discernement-des-esprits

Pierre Emonet a écrit:C’est en prêtant attention à ces deux mouvements – Ignace parle de «motions» – antagonistes, la consolation et la désolation, qu’Ignace va peu-à-peu comprendre par où Dieu veut le conduire. Convaincu que l’homme peut faire l’expérience de Dieu dans l’immédiateté, sans intermédiaire, il comprend que le créateur se manifeste toujours dans le sens de sa création ; il est présent et agissant dans le jaillissement de la vie et sa croissance. La volonté de Dieu ne se trouve pas inscrite quelque part dans les nuages, mais en lui-même, de la manière la plus concrète. Son bon chemin sera celui qui lui permet d’exister plus pleinement, un chemin marqué par la croissance dans la joie, l’amour, la liberté et la paix intérieure. Par contre, la stérilité, la stagnation, la mort sont les signes de l’esprit du mal qui referme l’homme en lui-même. Une remarque de Bergson illustre bien ce qu’Ignace a découvert :
«La nature nous avertit par un signe précis que notre destination est atteinte. Ce signe est la joie. Je dis la joie, je ne dis pas le plaisir... La joie annonce toujours que la vie a réussi, qu'elle a gagné du terrain, qu'elle a remporté une victoire : toute grande joie a un accent triomphal... Partout où il y a joie, il y a création : plus riche est la création, plus profonde est la joie... Celui qui est sûr, absolument sûr, d'avoir produit une œuvre viable et durable, celui-là n'a plus que faire de l'éloge et se sent au-dessus de la gloire, parce qu'il est créateur, parce qu'il le sait et parce que la joie qu'il en éprouve est une joie divine».

Il est important de noter que, dans la spiritualité ignatienne, « l’homme peut faire l’expérience de Dieu dans l’immédiateté, sans intermédiaire », ce qui manifeste une certaine indépendance vis-à-vis des prescriptions des religions instituées.
A noter aussi que « le créateur se manifeste toujours dans le sens de sa création ; il est présent et agissant dans le jaillissement de la vie et sa croissance », ce qui est également le propre, par définition, du Dieu-Substance de Spinoza.

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Message par Vanleers Sam 30 Oct 2021 - 17:15

Dans sa deuxième théorie des pulsions (in Au-delà du principe de plaisir – 1920), Freud évoque la pulsion de mort (Thanatos) en l’opposant à la pulsion de vie (Éros).
Cette dualité n’est pas sans évoquer la théorie des deux esprits mise en œuvre dans la spiritualité ignatienne.
Comme les pulsions chez Freud, ces esprits se présentent comme des « forces à la fois étrangères et intérieures » comme l’écrit Adrien Demoustier dans un ouvrage déjà cité : Qu’appelle-t-on Exercices Spirituels ? – Médiasèvres 2004.

Adrien Demoustier a écrit:La consolation est l’expérience d’un accord avec soi-même fondé sur la relation à Dieu reconnu comme Autre. Elle intervient le plus souvent à l’issue d’un combat en soi-même avec ce qui se présente comme des forces à la fois étrangères et intérieures qui contredisent ou facilitent le projet et la bonne volonté de l’exercitant. Le combat n’est donc pas seulement un combat de soi-même comme être conscient, avec soi-même. Il est aussi le repérage de ce qui va dans le sens de la vie ou contre lui, dans les mouvements qui surgissent sans qu’il y ait prise directe sur leur source. Le discernement est une élucidation qui conduit à un choix entre la vie et la mort. (pp. 38-39)

Nous sommes ici en présence d’une expérience concrète dans laquelle l’exercitant reconnaît Dieu comme Autre.
C’est à partir d’une telle expérience dans laquelle le sujet pose hypothétiquement Dieu comme à l’origine de ce qu’il éprouve comme consolation spirituelle, qu’il pourra lire avec fruit les évangiles et plus généralement les écrits du Nouveau Testament afin d’approfondir cette expérience.

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Message par alain Sam 30 Oct 2021 - 18:35

Faire l' expérience de Dieu dans l' immédiateté, c' est l' une des bases essentielles des écrits spirituels de l' Inde. Dieu se donne dans l' instant.
Cela reste quand même un paradoxe de plus puisque , bizarrement, il faut du temps pour réussir à saisir l' instant. Lequel ne se saisit pas, mais bon ...
Parmi les commentateurs des écrits antiques - Veda, Vedanta - Sri Aurobindo  parle aussi d' un état " ultime "  de la  conscience humaine caractérise par la joie : le supramental.
En fait, il semble qu' il y ait beaucoup de façons différentes pour dire plus ou moins la même chose.
L' homme, livré à lui même dans un monde qui le dépasse, poussé par la nécessité du Sens, expérimente et imagine toutes les voies possibles.
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Message par Vanleers Mar 2 Nov 2021 - 16:10

Dans le chapitre intitulé Spinoza et Freud : la connaissance de soi libératrice de son ouvrage : Spinoza et autres hérétiques (Seuil 1991) :

Yirmiyahu Yovel a écrit: Spinoza, rationaliste théorique, était tenu de réduire toutes les tendances et actions irrationnelles à une compréhension fautive et à des idées inadéquates. Freud, grâce à une conception plus sévère et plus volcanique de l’humanité, apprécie peut-être mieux les sombres replis du désir qu’à la suite de Schopenhauer il situait hors du temps, de l’espace et de la logique. Quoi qu’il en soit, sur ce thème de la motivation originaire, libido et conatus, la distance entre eux est immense. (p. 448)

On retrouve ces notions de compréhension fautive et d’idées inadéquates, dans la théorie des deux esprits de la spiritualité ignatienne.
Ignace de Loyola pose que l’esprit mauvais, qu’il appelle « l’ennemi », est la source d’idées inadéquates qui fausse la connaissance :

Ignace de Loyola a écrit:C’est le propre de Dieu et de ses anges de donner, dans leurs motions, la véritable allégresse et joie spirituelle, en supprimant toute tristesse et trouble que suscite l’ennemi. Le propre de celui-ci est de lutter contre cette allégresse et cette consolation spirituelle, en présentant des raisons apparentes, des subtilités et de continuels sophismes (E. S. n° 329)

Cette théorie des deux esprits, qu'Ignace emprunte à une tradition ancienne, peut être exprimée de façon plus moderne, comme l’écrit Adrien Demoustier dans Qu’appelle-t-on exercices spirituels ? (Médiasèvres 2004) :

Adrien Demoustier a écrit:Dans un très grand nombre d’aires culturelles et en particulier dans le monde méditerranéen et le Proche-Orient, la mentalité animiste des anciens attribuaient cette sorte de pensées à l’action des « esprits », êtres aériens, doués d’intelligence et de volonté, qui agissent directement sur l’activité mentale de l’homme sans passer par une médiation corporelle. Cette immédiateté de la communication en fait des messagers entre Dieu et l’homme. Ils sont alors appelés des « anges ». Dans l’univers chrétien, ce sont des êtres doués de liberté qui peuvent donc, en messagers pervers, utiliser leur capacité de communiquer pour empêcher la communication. Il y a des bons et des mauvais esprits, des anges de lumière et des anges de ténèbres. Ce système de pensée rend compte avec une grande cohérence symbolique d’une dimension de l’expérience humaine.
Notre culture informée par les lucidité scientifiques attribue plus volontiers à l’inconscient le surgissement de ces pensées, émergences des pulsions qui habitent l’homme. La conscience n’en a pas la maîtrise. Il est pourtant nécessaire d’interpréter ce qui nous pousse ainsi à agir. Les règles du discernement des esprits sont applicables dans cette perspective anthropologique moderne. La culture scientifique met-elle suffisamment en relief la dimension d’altérité enracinée au centre même de chaque homme et qui fait de chacun un être en communication avec les autres ? Elle s’oppose en revanche utilement à des fonctionnements imaginaires superstitieux sources de mensonge ou d’aliénation de la responsabilité personnelle. (pp. 42-43)

La thèse du surgissement de pensées émergeant de pulsions habitant l’homme peut être intégrée dans le système de Spinoza.
Rappelons, en effet, que Spinoza pose comme axiome qu’il n’y a d’affect de l’âme (affectus animi) comme l’amour, le désir, etc. qu’à la condition qu’il y ait dans le même individu l’idée d’une chose aimée, souhaitée, etc. (E III ax. 3)
On peut donc considérer que la connaissance fautive et les idées inadéquates, mutilées et confuses, peuvent avoir une origine inconsciente, ce qui jette un pont entre Spinoza et Freud.
On jettera ensuite, via Freud, un pont entre l’Ethique et la spiritualité ignatienne en considérant, avec A. Demoustier, que l’inconscient est une traduction moderne de « l’esprit » des anciens.
Comme le discernement des esprits est à la source d’un combat spirituel contre l’esprit mauvais qui présente des idées inadéquates (raisons apparentes,  subtilités et continuels sophismes), la spiritualité ignatienne rejoint la pratique éthique élaborée par Spinoza (« rationaliste théorique » selon Y. Yovel) et est donc parfaitement rationnelle.

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Message par Vanleers Mar 9 Nov 2021 - 16:22

Plusieurs articles de Louis Beirnaert ont été regroupés, deux ans après sa mort, dans Aux frontières de l’acte analytique. La Bible, saint Ignace, Freud et Lacan – Seuil 1987.
Louis Beirnaert était un jésuite, psychanalyste proche de Lacan.
On s’intéressera, ici à Une lecture psychanalytique du Journal spirituel d’Ignace de Loyola qui avait été publié en 1975 dans la Revue de l’histoire de la spiritualité.
On verra que l’expérience d’Ignace peut être rapprochée de l’amour intellectuel de Dieu de Spinoza.

L. Beirnaert explique qu’en rédigeant son projet de constitutions pour l’ordre des jésuites qu’il a fondé, Ignace doit prendre une décision portant sur la question de savoir si les maisons de la Compagnie doivent ou non avoir des revenus fixes.
Lorsqu’il doit prendre une décision importante, Ignace utilise toujours la même méthode : il se met en prière en offrant à Dieu ce vers quoi il est porté et cherche sa volonté en étant attentif aux motions affectives qu’il éprouve.
Plus précisément, il recherche la consolation, la joie spirituelle, et une confirmation de la consolation.
Or, s’il trouve bien la consolation, la confirmation ne vient pas.
Ignace est alors amené à faire une expérience nouvelle que rapporte L. Beirnaert :

Louis Beirnaert a écrit:Le 27 février, dans le sentiment ou la vision de la Trinité, il [Ignace] note « un sentiment de respect, plus proche de l’amour révérenciel que de toute autre chose » (§ 83). Or, le respect ne va pas sans la reconnaissance d’une limite, d’un seuil à ne pas franchir. Or, ce respect est en corrélation avec une vision de la Trinité. Vision trinitaire et respect ne font-ils pas partie du même registre ? Le 6 mars, Ignace a la vision suivante : « L’être même ou l’essence divine sous une forme sphérique un peu plus grande que ne le paraît le soleil. Et de cette essence paraissait venir ou découler le Père. Si bien qu’en disant Te, c’est-à-dire Pater, l’essence divine se présentait à moi avant le Père » (§ 121). Il note que, dans l’action de grâces, « de nouveau se faisait voir le même être et la même vision sphérique (…) le Père, le Fils et le Saint-Esprit sortaient ou découlaient chacun séparément de l’essence divine, sans sortir de la vision sphérique » (§ 123). Nous pensons que la corrélation est rigoureuse entre l’Autre de la vision sphérique et le respect. La figure géométrique de la sphère ou du cercle délimite un espace vide dans lequel s’inscrivent ce qu’Ignace appelle « essence divine » ou « être » et ce qui en provient, les « Personnes ». A ce moment, tout le porte à « l’amour de la chose représentée » (§ 122). Notation remarquable qui marque un passage du « toi » à l’impersonnel. C’est d’ailleurs en disant Te, c’est-à-dire Pater, que l’essence divine se présente à lui avant le Père, comme en deçà. C’est de la chose représentée et vue qu’il ne peut douter. Or, cette chose, c’est la réconciliation avec l’Autre. « Sans pouvoir rien voir qui s’opposât à la réconciliation, malgré l’attention que j’y portais. Une grande certitude » (§ 122).
Ainsi n’est-ce pas au registre de l’amour et des Personnes que naît la certitude, mais à celui de l’« être » dans la vision sphérique, et du respect. A ce niveau, l’Autre cesse d’être miroir et semblable pour se dévoiler dans un vide comme fond d’où tout découle, et en même temps c’est le sujet lui-même qui est affecté d’une limite, qui réalise son propre manque, dans le respect. (pp. 212-213)

Ignace en arrive donc à aimer Dieu dans son essence d’un amour relevant de « l’amour d’une chose représentée », marqué par un passage à l’impersonnel.
A mon point de vue, on retrouve ici l’amour intellectuel de Dieu conçu dans son essence comme cause de soi, dont parle la partie V de l’Ethique.
C’est l’amour de l’homme qui comprend qu’il n’est pas un être substantiel et qui aime Dieu, cause de son essence, dans un amour respectueux et révérenciel, pour reprendre les termes d’Ignace.

A suivre

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Message par Vanleers Mer 10 Nov 2021 - 9:48

Dans un autre article, repris également dans l’ouvrage signalé dans mon post précédent, Louis Beirnaert expose la même situation dans laquelle s’est trouvé Ignace de Loyola lorsqu’il écrivit les constitutions de son ordre.
Il s’agit de La transmission dans un ordre religieux qui a été publié en 1979 dans Lettres de l’École (EFP) (1)
On citera ici une partie de cet article qui éclaire le précédent.

Louis Beirnaert a écrit:Nous sommes en 1544. Il [Ignace] est en train de rédiger les constitutions de l’ordre qu’il fonde : va-t-il décider que les maisons de la Compagnie n’auront aucun revenu ? Que veut-il, c’est-à-dire que veut Dieu ? Suivant sa coutume, il prie, offrant à Dieu ce vers quoi il est porté, à savoir le projet d’une pauvreté totale. La consolation qu’il éprouve, et qui n’apparaît nulle part aussi nettement comme une jouissance du corps – il parle de grâce chaude, lumineuse et comme rouge, il est couvert de larmes – , lui donne le sentiment qu’il est confirmé. Mais il lui reste un doute, car, quelque intense que soit la jouissance, ce n’est pas ça. Elle n’est jamais assez abondante. C’est alors que du nouveau surgit, au niveau de Dieu même. Il se rend compte qu’en s’adressant à chacune des Personnes de la Trinité, il s’adresse en même temps aux deux autres. Il y a là, écrit-il, un nœud à résoudre ; mais qu’est-il pour ça, et d’où cela lui vient-il ? Après quoi surgit une figure, « une vision, écrit-il, un cercle ou une sphère d’où découlent sans en sortir le Père, le Fils et l’Esprit ». Dieu s’inscrit alors dans le texte, à l’impersonnel. Ignace parle de la « chose représentée », figurée, conjointement à l’apparition de la figure géométrique. Une attitude et un sentiment nouveaux se font jour : le respect. Jusqu’au moment où, reconnaissant qu’il ne trouve pas ce qu’il cherchait, à savoir le signe, la garantie de la consolation, il entre en désarroi, dans une désolation intense, « me trouvant, écrit-il, vide de tout secours (…) aussi éloigné et séparé [des Personnes divines] que si je n’avais jamais rien senti et ne devais plus rien sentir, je me trouvais en proie à l’agitation de pensées diverses ». Véritable moment d’affolement, dont il émerge non plus cette fois en faisant retour sur une suite de pensées antécédentes, mais en se rendant compte de ce qui à son insu le poussait à répéter sans cesse sa demande : « Je sentais dans ma volonté que j’aurais voulu que Dieu condescendit à mon désir de conclure en un temps où je me trouverais très visité (…) je commençai aussitôt à me rendre compte et à vouloir arriver au plaisir de Dieu. Et là-dessus les ténèbres se mirent à s’écarter de moi progressivement. »
Je me bornerai, faute de temps, à quelques remarques.
1) Ne trouvant pas ce qu’il cherchait, à savoir la garantie de la consolation, Ignace est introduit à une désolation, qui est absence de tout secours, à un vide où il se perd. Il n’y a pas de garantie dans la jouissance et dans l’amour.
2) Il ne s’agit pas seulement pour lui de faire retour sur une suite de pensées repérables, mais de se rendre compte de ce qu’il cherchait à son insu, à savoir que Dieu condescende à son désir : Dieu ne peut être séduit.
3) Bien plus, Dieu ne lui signifie rien. Ce qui se dessine à sa place, c’est le rond, l’Un, l’unique essence, d’où découlent les trois Personnes, bref, une chose représentée.
4) Chose inaccessible devant laquelle il n’y a plus que le respect.
5) C’est ce respect qui confirme tout le passé, c’est-à-dire toute la série de pensées au cours desquelles Ignace a élaboré sa décision de pauvreté. Le respect : reconnaissance d’un seuil, d’une limite à ne pas franchir. Moyennant quoi il parvient à la certitude d’un vouloir et d’un choix qui n’ont d’autre garantie que d’être selon son désir et son projet.
6) Dès lors, la consolation et la jouissance peuvent revenir et reviennent en effet, la suite du Journal en témoigne, mais il n’y a plus de garantie.

« Il n’y a pas de garantie dans la jouissance et dans l’amour », « Dieu ne peut être séduit » : c’est ce qui est développé dans la suite de l’article, dans une réflexion sur le « plaisir de Dieu ».

A suivre

(1) L'École freudienne de Paris est une société psychanalytique fondée par Jacques Lacan en 1964. Elle est dissoute en 1980.

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Message par Vanleers Ven 12 Nov 2021 - 12:16

Je donne ici la suite du texte cité dans le post précédent. On verra les rapprochements que l’on peut faire avec Spinoza.

Louis Beirnaert a écrit:Une question est ici posée par la considération du plaisir de Dieu. Dieu jouirait-il donc ? Qu’est-ce que cela veut dire ici ? Plusieurs remarques sont à faire. D’abord, de ce plaisir il [Ignace] ne sait rien, sinon qu’il n’est pas le sien, puisque justement il ne se détermine que de l’absence de sa jouissance, dans la désolation qui l’envahit. Ensuite, cette évocation d’un Dieu qui jouit vient après qu’à la place même occupée par Dieu eut surgi la figuration que nous avons décrite, dans la corrélation du respect et de la chose représentée. Elle ne nie pas ce qui a précédé et qui a produit son effet. Enfin, et surtout, ce plaisir de Dieu n’est évoqué que par rapport à l’absence de garantie provenant de lui, et en aucune façon à propos de ce qu’Ignace veut et décide selon son propre désir à lui : autrement dit, ce n’est pas pour faire plaisir à Dieu qu’il se décide pour la pauvreté. Mais, en se décidant sans garantie de la part de Dieu, c’est-à-dire en se décidant de lui-même, il écrit qu’il arrive qu’après coup, après avoir été renvoyé à la solitude et au sans-recours dans le respect de la chose représentée, et par là avoir accédé à la certitude de son propre désir, il retrouve quant à lui dans l’évocation du plaisir de Dieu la possibilité de retrouver sa jouissance, comme le montre la suite du Journal où reviennent l’effervescence du corps et les larmes. Mais il s’agit là d’un second temps qui n’est en rien régulation et garantie pour son vouloir. Il ne nie en rien le premier qui garde, à son sens, son caractère exemplaire pour l’accès à la certitude du désir dans l’absence de toute confirmation. Pour être qualifié par lui de grâce, le respect qui confirme n’en est que plus clairement indiqué comme effet de la véritable mutation qu’a subie, dans le processus qu’il décrit, ce qu’il désigne par le nom de Dieu. (op. cit. p. 232)

On retrouve dans l’Ethique de Spinoza plusieurs correspondances avec ce qui a été dit plus haut et dans le post précédent.
A propos du « plaisir de Dieu », Spinoza démontre en E V 35 que :
« La nature de Dieu se réjouit d’une perfection infinie » (Dei natura gaudet infinita perfectione)

«  Dieu ne peut être séduit » a son correspondant en E V 19 qui démontre que :
« Qui aime Dieu ne peut faire effort pour que Dieu l’aime en retour »

On trouvera un autre écho de la philosophie de Spinoza dans l’extrait suivant :

Louis Beirnaert a écrit:Si nous remarquons maintenant que la consolation dont il s’agit, celle qui garantissait que le choix et l’action sont bien pour le plus grand service de Dieu, il l’attend de Dieu même, il s’ensuit que le processus que nous avons décrit revient, non pas à nier Dieu, mais à renoncer à tout signe de sa part, et à renvoyer le sujet à son propre désir, et à propre travail. La prière ignatienne, c’est ce décapage qui élimine de l’Autre tout ce qui en ferait un soutien imaginaire auquel on resterait suspendu. (op. cit. p. 234)

« Renoncer à tout signe de la part de Dieu » : Ignace renonce ainsi à une foi superstitieuse, la superstition consistant, selon Spinoza, dans le culte des signes positifs :

Jean-Marie Vaysse a écrit:La proposition 50 de l’Éthique III affirme que « une chose quelconque peut par accident être cause d’espoir ou de crainte ». Dans la mesure où nos évaluations sont d’abord imaginaires, la vie psychique se déroule sur fond d’interprétations et peut donner lieu à un délire d’interprétation. Ce processus implique des déplacements de l’amour et de la haine du présent vers le passé et le futur, les transformant en crainte et espoir. À la fin du scolie, Spinoza dit que puisque « en tant que nous espérons ou craignons quelque chose, nous l’aimons ou l’avons en haine », il en résulte que « tout ce que nous avons dit de l’amour et de la haine, chacun pourra aisément l’appliquer à l’espoir et à la crainte ». Il résulte de là que nous interprétons les choses qui sont causes d’espoir ou de crainte comme de bons ou de mauvais présages, qui sont eux-mêmes causes de joie ou de tristesse. Nous utilisons ces présages comme des moyens pour parvenir à ce que nous espérons ou pour éviter ce que nous craignons. Or, nous sommes plus enclins à espérer qu’à craindre, car nous croyons aisément en ce que nous espérons et plus difficilement en ce que nous craignons.
Telle est la source des superstitions combinant espoir et crainte, qui nous font aimer ou haïr des présages et instituent un culte des signes positifs, des bons présages, auxquels nous sommes portés à croire et que nous aimons.

https://journals.openedition.org/philonsorbonne/410

Indiquons que Spinoza développe la question de la superstition dans la Préface du Traité Théologico-Politique.

Sortir de la superstition, c’est sortir de la connaissance du premier genre, connaissance mutilée et confuse, imaginaire, ce qui rejoint ce qu’écrit L. Beirnaert :
« La prière ignatienne, c’est ce décapage qui élimine de l’Autre tout ce qui en ferait un soutien imaginaire auquel on resterait suspendu. »

A suivre

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Message par Vanleers Dim 14 Nov 2021 - 16:31

Louis Beirnaert fait de la spiritualité ignatienne une lecture qui la rapproche de l’Ethique de Spinoza.
Nous en avons déjà repéré quelques points à propos de l’amour de Dieu (amour révérenciel chez Ignace et intellectuel chez Spinoza), du plaisir de Dieu, de l’impossibilité de le séduire, du rejet de la superstition (de la recherche de signes).
Ces convergences ne doivent pas nous faire oublier les divergences entre les méthodes, ce qui est mis en évidence dans la suite du paragraphe intitulé La transmission.
Si Spinoza construit une éthique fondée sur une théorie du monde, Ignace décrit une pratique et invite à faire une expérience.
Or :

Louis Beirnaert a écrit:Mais, ici, quelque chose est à remarquer : une pratique implique une théorie. Or, de théorie propre, il n’y en a pas chez Ignace. Celui-ci ne nous a laissé que des récits, celui de ses premières années, après sa découverte initiale, le fragment du Journal qui nous est parvenu, une correspondance et une œuvre juridique, les Constitutions qui organisent la vie et la croissance de son ordre. Quand, sortant de l’énoncé brut des ses expériences, il entreprend de théoriser, il reprend la théologie traditionnelle de son temps, la théologie scolastique avec ses concepts, Dieu au sommet, la créature qui dépend de lui, la nécessité de se soumettre à lui, le choix des moyens pour parvenir à la fin, la distinction des trois facultés, l’intelligence, la sensibilité et la volonté, etc. Or, cette théorie ne recouvre pas ce qui se donne à lire dans les récits, et que j’ai tenté de mettre en évidence. S’il y a, et il y a une théorie de son expérience, elles est à faire. […]
A cette carence théorique correspond, au niveau de la régulation de la vie, l’insistance sur ce que l’on peut appeler les efforts ascétiques et la volonté d’agir contre les passions déréglées, de se vaincre soi-même ; pour imiter le Christ, voire pour obtenir de Dieu ce que l’on veut. Or, s’il est une chose qui ressort du texte que nous avons étudié [voir les posts précédents], c’est que l’expérience d’Ignace, celle même qu’il propose aux jésuites, se déroule tout autrement, avec de l’imprévisible, hors de toute planification, dans un jeu fait de prises de conscience – où l’on se rend compte de ce que l’on ne voyait pas jusque là, où l’on sort d’un rêve, où les yeux s’éveillent à de l’insu, à de l’inaperçu –, bref, sur un mode que nous dirons mystique, pour le distinguer du mode ascétique. Or, ceci n’est pas transmis dans une théorie. (pp. 235-236)

L. Beirnaert distingue, dans l’expérience ignatienne, le mode mystique, essentiel, et le mode ascétique, ce que l’on retrouve exprimé dans la dernière proposition de l’Ethique :

Spinoza a écrit: La béatitude n’est pas la récompense de la vertu, mais la vertu même ; et ce n’est pas parce que nous réprimons les désirs capricieux [libidines] que nous jouissons d’elle, c’est au contraire parce que nous jouissons d’elle que nous pouvons réprimer les désirs capricieux.

A suivre

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