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L'Ethique de Spinoza et la spiritualité ignatienne

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Message par baptiste Mar 3 Déc 2019 - 7:25

@ Crosswind la question des états conscients n’a certainement pas l’importance que nous lui accordons. Elle est peut-être centrale pour nous qui questionnons, mais dans l’ordre des choses questionnées elle n’est qu’une question locale.

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Message par Vanleers Mar 3 Déc 2019 - 17:20

Le corollaire d’Ethique II 11, cité précédemment, montre que lorsqu’un esprit humain perçoit quelque chose, c’est-à-dire a l’idée d’une chose, Dieu, en tant que substance dont cet esprit est un mode, a cette idée.
La langue de l’Ethique, le « spinozien », est la langue du Deus quatenus, « Dieu en tant que » et je préciserais : Dieu en tant que substance.

L’Evangile, lui, parle de Dieu en tant qu’amour et je dirais, en transposant ce qui précède, que la langue de l’Evangile, l’« évangélien », est la langue de Dieu en tant qu’amour.
Cette langue s’est largement perdue comme le souligne François Varillon (Joie de croire Joie de vivre – Centurion 1981).
Des mots ou expressions comme « Grâce sanctifiante », « salut », « Fils de Dieu », « Vie surnaturelle » (op. cit. pp. 19-20) ont, dans la langue de l’Evangile, un sens qui n’est plus guère compris aujourd’hui et il note :

François Varillon a écrit:Si les mots sont usés, dégradés, ne laissons pas perdre la réalité qui a été enseignée, car il s’agit bien de l’essentiel. (p. 20)

L’essentiel, enchaîne-t-il, « le sens ultime de l’existence humaine est que nous sommes appelés à devenir Dieu ».
Il a déjà parlé de l’essentiel quelques pages avant :

François Varillon a écrit:Ce que je voudrais, c’est que les chrétiens soient capables de répondre en deux lignes à la question : finalement, que croyez-vous ? Et, de même, j’aimerais que l’incroyant puisse également répondre en deux lignes à la question : que ne croyez-vous pas, que refusez-vous de croire, quoi exactement ?
Ce que nous croyons, c’est la réponse que Dieu donne à l’interrogation inéluctable sur le sens de l’existence ! Cette réponse tient tout entière dans un adage qui est traditionnel dans l’Église depuis les premiers siècles ; il semble que le premier à l’avoir utilisé est saint Irénée, évêque de Lyon, mort vers l’an 200 ; il n’a jamais cessé d’être répété et commenté par les Pères de l’Église, en Orient comme en Occident.
Je vous le cite en latin, afin qu’il ait son cachet d’authenticité : « Deus homo factus est ut homo fieret Deus », c’est-à-dire : « Dieu s’est fait homme pour que l’homme soit fait Dieu » ou, si vous préférez : « Dieu est devenu homme pour que l’homme devienne Dieu ».
Est-ce bien l’essentiel de votre foi ? Si, en écoutant cette petite phrase, vous vous dites qu’il y a une exagération, une telle réaction signifie que vous n’avez pas encore accédé à l’essentiel de la foi . (p. 17)

Il est question de la divinisation ou déification de l’homme dans la spiritualité ignatienne sous forme de « vivre de la Vie bienheureuse de Dieu », comme l’écrit Adrien Demoustier dans son introduction à cette spiritualité.
Je le cite à nouveau :

Adrien Demoustier a écrit:La vie chrétienne est une réponse à un appel, une invitation à vivre de la Vie bienheureuse de Dieu qui veut nous la communiquer par le Christ. Dieu appelle l’homme à exister par lui-même dans le dessein de pouvoir l’introduire dans sa propre intimité. Telle est notre foi et le témoignage de ceux qui nous précèdent sur le chemin de la réponse à cette invitation.

S’exprimant dans la langue de l’Evangile, c’est-à-dire la langue de Dieu en tant qu’amour, F. Varillon va plus loin en disant que Dieu n’est qu’amour et, de ce « ne que », il déduit que Dieu est pauvre, dépendant et humble (pp. 29-33).
Pour qui n’entend pas l’évangélien, ces qualificatifs de Dieu paraîtront sans doute quelque peu inouïs.

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Message par Vanleers Jeu 5 Déc 2019 - 9:50

Vivre dans la béatitude !
Tel est l’objectif que vise Spinoza dans l’Ethique mais aussi Ignace de Loyola dans les Exercices spirituels, « consolation » équivalant, chez lui, à « béatitude ».
Dans la traduction de Bernard Pautrat (2010) :

Spinoza a écrit: La béatitude n’est pas la récompense de la vertu, mais la vertu même ; et ce n’est pas parce que nous réprimons les désirs capricieux [libidines] que nous jouissons d’elle, c’est au contraire parce que nous jouissons d’elle que nous pouvons réprimer les désirs capricieux. (Ethique V 42)

Dans sa traduction de 1988, Pautrat avait traduit libidines par « appétits lubriques ».
Il a justifié son changement de traduction dans Ethica sexualis – Payot 2011. En Ethique V 42, écrit-il, « le mot désigne très largement les « désirs capricieux », déraisonnables, aveugles ou irréfléchis » (p. 236)
Notons que Misrahi traduit libidines en Ethique V 42 par « désirs sensuels », Appuhn par « appétits sensuels », Guérinot par « penchants » et Saisset par « mauvaises passions », ce qui paraît être la meilleure traduction.

La béatitude, réprime les mauvaises passions (E IV 7) sans toujours les supprimer (E V 20 sc.).
Il est donc possible, comme on l’a vu avec Pascal Sévérac, d’être en même temps béat et triste (la tristesse est directement mauvaise – E IV 41).

La position d’Ignace de Loyola est un peu différente.
Rappelons qu’il distingue trois formes de consolation, la deuxième se présentant sous la forme d’une douleur, d’une souffrance.
Je donne, à nouveau , la fin d’une citation:

Adrien Demoustier a écrit:C’est donc une forme de consolation que de vivre la douleur en l’exprimant dans une attitude qui l’ouvre à l’amour de Dieu et fait sortir de l’enfermement. Il y a une manière de pleurer, d’être triste, de souffrir d’un souvenir douloureux ou d’une perspective difficile, qui est consolation ; en effet, elle n’est pas seulement vécue comme souffrance mais dans la vérité d’une douleur qui a quelque chose du paradoxe de la béatitude évangélique : « Heureux vous qui pleurez maintenant... » (Lc 6, 21)

Je dirais, ici, que, sans que le mal, c’est-à-dire ce qui fait mal, disparaisse, la consolation, l’amour de Dieu, réprime les mauvaises passions du repli sur soi et du malheur, c’est-à-dire l’enfermement dans ce qui fait mal.

Il y a donc similitude entre l’action de la béatitude spinozienne, d’une part, et de la consolation ignatienne, d’autre part : elles libèrent totalement ou partiellement des mauvaises passions.

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Message par Crosswind Jeu 5 Déc 2019 - 14:49

baptiste a écrit:@ Crosswind  la question des états conscients n’a certainement pas l’importance que nous lui accordons. Elle est peut-être centrale pour nous qui questionnons, mais dans l’ordre des choses questionnées elle n’est qu’une question locale.

Là, je te demande un peu plus de développements !
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Message par Crosswind Jeu 5 Déc 2019 - 14:51

Vanleers a écrit:
Crosswind a écrit:
Donc, esprit, idée, corps et modifications nécessitent de plus amples développements. Car en l'état, c'est du chinois pour moi.

Ce n’est pas du chinois mais du spinozien.
Il vous faut donc apprendre cette langue pour comprendre Spinoza.
Pour comprendre aussi, par exemple, ce passage de Spinoza Union et Désunion :

Pascal Sévérac a écrit:En premier lieu, l’esprit se dit non seulement de l’idée du corps humain, mais de l’idée de tout corps. Ce qui signifie qu’à n’importe quel corps dans l’étendue correspond un esprit dans la pensée, et que cet esprit « perçoit » ce qui arrive à son objet, le corps. La proposition 12, qui vaut pour l’esprit humain (« Tout ce qui arrive dans l’objet de l’idée constituant l’esprit humain doit être perçu par l’esprit humain… »), repose en fait sur une démonstration qui, recourant à la langue du Deus quatenus, a une valeur universelle : Dieu a connaissance de tout ce qui arrive à l’objet d’une idée quelconque en tant qu’il est affecté par cette idée, c’est-à-dire en tant qu’il constitue cet esprit. Autrement dit, n’importe quelle idée perçoit les événements, ou les affections de son objet ; n’importe quel esprit perçoit ce qui arrive à son corps propre. Ce que résume le scolie de la proposition 13 par une formule frappante qui aura elle aussi une certaine postériorité : les individus, « quoiqu’à des degrés divers, sont pourtant tous animés ». Cela ne signifie nullement, on l’aura compris, que les corps soient animés par des esprits ; mais qu’à tout corps correspond une idée qui a des propriétés communes avec l’esprit humain : notamment celle de percevoir ce qui arrive au corps.
Aussi l’idée d’un corps équin perçoit-elle ce qui arrive au cheval : l’esprit du cheval sent les affections de son corps ; son âme est même, nous l’avons vu, un certain gaudium. Mais cette aptitude à percevoir, à penser donc, vaut aussi pour le chêne ou pour le quartz : de tout corps il y a une idée qui en perçoit les événements. Humains, animaux, végétaux et minéraux ont donc des propriétés communes : à la fois physiques (en tant que corps, ils enveloppent tous l’étendue), mais aussi psychiques (en tant qu’esprits, tous perçoivent ce qui arrive à l’objet corporel auquel ils sont unis). Idée absurde ? Conséquence en tout cas implacable du système, mais qui peut en effet laisser songeur : ainsi, la pierre pense… la pierre en tant qu’idée sent ce qui, en tant que corps, lui arrive. Etrange conséquence en effet, dont on ne sortira pas en affirmant qu’en fait, de la pierre, il y a bien une idée en Dieu (dans l’attribut de la pensée), mais une idée aveugle à son objet : une idée qui ne serait que la formule logique, la loi de comportement du corps en question, et qui serait donc insensible aux événements du corps, même si en partie elle les explique. En somme, se poserait ici de manière fondamentale la question de la distinction entre l’idée que l’on est et l’idée que l’on a : l’idée qu’est la pierre, elle ne l’aurait pas, puisqu’elle ne lui ferait aucun effet. Or le scolie de la proposition 13 dément très clairement une telle disjonction entre l'idée que l’on est et l’idée que l’on a : « tout ce que nous avons dit de l’idée du corps humain, il faut le dire nécessairement de l’idée d’une chose quelconque », puisque ce qui a été dit de l’union psycho-physique, ce sont des « choses communes » (communia). Donc, puisqu’il a été dit avant ce scolie que l’esprit humain perçoit les affections de son corps, il faut le dire de l’esprit de la pierre.
Mais il faut le dire en n’oubliant pas une partie de cette affirmation : tous les individus sont animés, certes, mais à des degrés divers. La perception minérale n’a donc pas la même puissance que la perception humaine ; elle est sans doute d’un bien faible degré, mais ce degré n’est pas nul. (pp. 125-126)

Je ne perçois toujours pas les définitions.

Spinoza a-t-il fourni les définitions de ce qu'il entend par "esprit", 'idée" et "corps"?
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Message par Vanleers Jeu 5 Déc 2019 - 17:17

Crosswind a écrit:
Spinoza a-t-il fourni les définitions de ce qu'il entend par "esprit", 'idée" et "corps"?

Corps : E II déf. 1
Idée : E II déf. 3
Esprit : E II 11

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Message par Crosswind Jeu 5 Déc 2019 - 17:57

Merci, je lis cela !
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Message par Crosswind Ven 6 Déc 2019 - 13:24

Concernant la définition 3, donne-t-il la définition de l'âme qu'il emploie pour définir l'idée?

Et je ne trouve pas E II 11?

_________________
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Message par Vanleers Ven 6 Déc 2019 - 17:12

Crosswind a écrit:Concernant la définition 3, donne-t-il la définition de l'âme qu'il emploie pour définir l'idée?

Et je ne trouve pas E II 11?

1) L’âme, ou l’esprit (mens) n’a pas été définie avant la définition 3.
Il faut noter que cette définition 3 n’a aucune postérité dans l’Ethique.
Seule l’explication qui suit la définition est mentionnée par la suite et seulement dans un scolie (E II 48).

2) La proposition 11 de la partie II existe bien dans l’Ethique. Regardez mieux.

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Message par neopilina Ven 6 Déc 2019 - 22:47

Vanleers a écrit:
Spinoza a écrit: La béatitude n’est pas la récompense de la vertu, mais la vertu même ; et ce n’est pas parce que nous réprimons les désirs capricieux [libidines] que nous jouissons d’elle, c’est au contraire parce que nous jouissons d’elle que nous pouvons réprimer les désirs capricieux. (Ethique V 42)

Dans sa traduction de 1988, Pautrat avait traduit libidines par « appétits lubriques ».
Il a justifié son changement de traduction dans Ethica sexualis – Payot 2011. En Ethique V 42, écrit-il, « le mot désigne très largement les « désirs capricieux », déraisonnables, aveugles ou irréfléchis » (p. 236)
Notons que Misrahi traduit libidines en Ethique V 42 par « désirs sensuels », Appuhn par « appétits sensuels », Guérinot par « penchants » et Saisset par « mauvaises passions », ce qui paraît être la meilleure traduction.

La béatitude, réprime les mauvaises passions (E IV 7) sans toujours les supprimer (E V 20 sc.).

Peu importe les traductions, on a tous compris qu'il y a embarras. Nous avons été longtemps, y compris nos génies favoris, très très démunis face aux " passions ", certaines " volitions ", pour le dire ainsi, et c'est loin d'être fini. Sade, un connaisseur, disait qu'il respectait toutes les " fantaisies ". Cet type, de prime abord totalement imbuvable, je serais le premier à le coller en prison pour certaines choses, a appris, en prison justement, à respecter d'abord Autrui, c'est bien. Mais il y a de la profondeur dans ce qu'il dit sur les " fantaisies ", il faut être humble, très : au sein de l'a priori de chacun, tout un chacun ne sait pas ce qui s'y cache, et il n'y a pas que du philosophique, du métaphysique, etc., et tout y est incroyablement synthétique, y faire le tri, c'est LA difficulté (exemple : un homme évoque la fidélité de sa compagne, je sais qu'il y a à la fois du matériel métaphysique et du matériel névrotique, le tout relevant de Ses Valeurs éminemment synthétiques a priori). Depuis le début du XX° siècle, on dispose enfin de discours adéquats, psychiatrie et psychanalyse, ce qui, à l'échelle historique, n'est rien. C'est à peine l'enfance pour des disciplines et ça se voit (nosographie très flottante, " langages " hétérogènes, esprit de chapelles, etc., tous les signes d'une grande immaturité), je sais de quoi je parle, ma bibliothèque des Humanités compte un nombre certain de volumes de ce genre, comme je l'ai dit, j'ai été très très concerné, pour euphémiser. Tout dernièrement, j'ai fait une très très belle lecture dans ce registre, tellement bien que je m'en veux beaucoup de ne pas l'avoir faite avant, le livre est épuisé, encore sous droits, donc pas de réédition en vue, mais on le trouve facilement d'occasion et pas cher : " La théorie psychanalytique des névroses " d'Otto Fenichel, P.U.F, 1953 (attention : en deux volumes). Je recommande.

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" Tout Étant produit par moi m'est donné (c'est son statut philosophique), a priori, et il est Mien (cogito, conscience de Soi, libéré du Poêle) ". " Savoir guérit, forge. Et détruit tout ce qui doit l'être ", ou, équivalents, " Tout l'Inadvertancier constitutif doit disparaître ", " Le progrès, c'est la liquidation du Sujet empirique, notoirement névrotique, par la connaissance ". " Il faut régresser et recommencer, en conscience ". Moi.
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Message par Vanleers Sam 7 Déc 2019 - 9:30

neopilina a écrit:

Peu importe les traductions, on a tous compris qu'il y a embarras. Nous avons été longtemps, y compris nos génies favoris, très très démunis face aux " passions ", certaines " volitions ", pour le dire ainsi, et c'est loin d'être fini. Sade, un connaisseur, disait qu'il respectait toutes les " fantaisies ". Cet type, de prime abord totalement imbuvable, je serais le premier à le coller en prison pour certaines choses, a appris, en prison justement, à respecter d'abord Autrui, c'est bien. Mais il y a de la profondeur dans ce qu'il dit sur les " fantaisies ", il faut être humble, très : au sein de l'a priori de chacun, tout un chacun ne sait pas ce qui s'y cache, et il n'y a pas que du philosophique, du métaphysique, etc., et tout y est incroyablement synthétique, y faire le tri, c'est LA difficulté (exemple : un homme évoque la fidélité de sa compagne, je sais qu'il y a à la fois du matériel métaphysique et du matériel névrotique, le tout relevant de Ses Valeurs éminemment synthétiques a priori). Depuis le début du XX° siècle, on dispose enfin de discours adéquats, psychiatrie et psychanalyse, ce qui, à l'échelle historique, n'est rien. C'est à peine l'enfance pour des disciplines et ça se voit (nosographie très flottante, " langages " hétérogènes, esprit de chapelles, etc., tous les signes d'une grande immaturité), je sais de quoi je parle, ma bibliothèque des Humanités compte un nombre certain de volumes de ce genre, comme je l'ai dit, j'ai été très très concerné, pour euphémiser. Tout dernièrement, j'ai fait une très très belle lecture dans ce registre, tellement bien que je m'en veux beaucoup de ne pas l'avoir faite avant, le livre est épuisé, encore sous droits, donc pas de réédition en vue, mais on le trouve facilement d'occasion et pas cher : " La théorie psychanalytique des névroses " d'Otto Fenichel, P.U.F, 1953 (attention : en deux volumes). Je recommande.

Oui, « tout y est incroyablement synthétique, y faire le tri, c'est LA difficulté ».
Ignace De Loyola attache une grande importance au discernement. Chez lui le discernement spirituel n’exclut pas le discernement psychologique mais s’en distingue.
Par discernement spirituel, il faut entendre que l’homme se met face à Dieu et lui expose ses difficultés en étant attentif aux motions de son esprit.
Cette distinction entre les deux types de discernement est exposée dans cette citation :

Adrien Demoustier a écrit:Le psychologue professionnel écoute celui qui lui demande de l’aide, puis le renvoie à lui-même pour qu’il puisse assumer la difficulté. Celui-ci commence à en découvrir la nature, grâce à l’effort qu’il a fait de parler et à l’expérience d’être écouté. Le psychologue aide donc son patient à se trouver lui-même pour qu’il puisse se prendre en charge. L’accompagnateur spirituel n’a pas cette visée. Il renvoie son interlocuteur au Seigneur par le moyen de l’Ecriture sainte et des pratiques spirituelles de la tradition de l’Église. L’attention de celui qui est ainsi accompagné est attirée vers son Dieu qui lui est présent : un Dieu qui lui propose d’entrer en relation avec Lui, tel qu’il est, avec ses failles et ses faiblesses.
Le psychologue renvoie son patient à lui-même pour qu’il puisse assumer sa propre existence. L’accompagnateur spirituel renvoie celui qui le consulte à Celui qui lui est présent pour qu’il puisse découvrir qu’il peut, tel qu’il est, recevoir de Lui son existence. (op. cit. p. 13)

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Message par Vanleers Sam 7 Déc 2019 - 15:33

Ignace de Loyola propose un art de vivre, une éthique, très simple : « Chercher et trouver Dieu en toutes choses ».

Spinoza, lui, propose, à la fin de l’Ethique, de connaître les choses selon la connaissance du troisième genre, c’est-à-dire en connaissant qu’elles sont en Dieu et se conçoivent par Dieu (cf. E V 30).
Les deux approches se ressemblent.
Elles sont néanmoins différentes, d’une part parce que les deux auteurs accordent une importance différente à l’affectivité dans la connaissance des choses :

Ignace de Loyola a écrit:ce n’est pas d’en savoir beaucoup qui rassasie et satisfait l’âme, mais de sentir et de goûter les choses intérieurement

Ignace privilégie la connaissance par expérience affective personnelle (sentir et goûter).

Spinoza appelle la connaissance du troisième genre la science intuitive et précise :
Spinoza a écrit: Et ce genre de connaissance procède de l’idée adéquate de l’essence formelle de certains attributs de Dieu vers la connaissance adéquate de l’essence des choses. (Ethique II 40 sc. 2)

L’intuition dont il est question ici est une intuition impersonnelle et intellectuelle.
Si, de la connaissance du troisième genre naît un affect majeur : la plus haute satisfaction de l’esprit (mentis acquiescentia – E V 27), l’affectivité est seconde car elle est la conséquence d’une connaissance qui relève de l’entendement (intellectus).

D’autre part, le Dieu de Spinoza, c’est la Substance que l’homme connaît intellectuellement car :
Spinoza a écrit: L’esprit humain a une connaissance adéquate de l’essence éternelle et infinie de Dieu. (E II 47)

Le Dieu d’Ignace, lui, serait plutôt « Dieu sensible au cœur, non à la raison » de Pascal.

Les climats affectifs associés à « chercher et trouver Dieu » sont donc différents chez Ignace de Loyola et Spinoza.

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Message par Vanleers Mar 10 Déc 2019 - 17:14

La proposition 27 de la partie V de l’Ethique démontre que :

Spinoza a écrit:De ce troisième genre de connaissance naît la plus haute satisfaction de l’Esprit qui puisse être donnée

Pierre Macherey commente cette proposition en écrivant que désirer connaître les choses selon la connaissance du troisième genre c’est être poussé vers une parfaite intelligibilité du réel et que :

Pierre Macherey a écrit:La connaissance du troisième genre, qui conduit l’âme humaine vers une complète intelligence de la nature des choses, ce qui constitue pour elle le bien suprême et la suprême vertu, s’accompagne de cette indestructible certitude, dans tous les cas inaccessible au doute, à travers laquelle l’âme accède au summum de sa puissance et de l’exercice de celle-ci, en toute quiétude, donc apaisée et sereine. (p. 140)

De plus :

Pierre Macherey a écrit:Du fait de cette certitude, elle [l’âme] est sûre de soi, convaincue d’être dans la bonne voie, d’accomplir la destination véritable inscrite dès le départ dans la nature de son conatus, ce qui la remplit d’une joie parfaite et sans mélange. Ainsi,l’acquiescentia propre à cette démarche ne se limite pas seulement au sentiment de tranquillité et de calme que procure une vie bien réglée, sentiment évoqué au passage dans le scolie de la proposition 10 : mais elle s’élève jusqu’à la satisfaction suprême liée à l’assurance d’être dans le vrai et d’y être de plus en plus. Il est clair que cette satisfaction va bien au-delà du sentiment d’un accomplissement personnel, puisqu’elle exprime la fusion de l’âme humaine et de la nature des choses, à travers une pleine compréhension de celle-ci. (p. 141)

Tout cela est très beau mais, à la fin d’un entretien avec Raphaël Enthoven, à propos de la cinquième partie de l’Ethique, P. Macherey finit par dire :

« Je vous dis franchement : l’amour intellectuel de Dieu, la science intuitive et la connaissance du troisième genre, je n’y suis jamais arrivé ».

On peut entendre cela à la minute 34 du dialogue en : (1)

https://www.youtube.com/watch?v=-5kY0W4FiVg

(1) La vidéo n’est malheureusement plus disponible aujourd’hui.

La connaissance du troisième genre qui, selon P. Macherey, est la voie qui «  conduit l’âme humaine vers une complète intelligence de la nature des choses », est-elle en réalité impraticable ?
Voilà qui pourrait nous ramener à la voie ignatienne.

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Message par Vanleers Mer 11 Déc 2019 - 15:40

En écoutant le dialogue entre Pierre Macherey et Raphaël Enthoven sur la partie V de l’Ethique, j’avais noté quelques passages devenus inaccessibles aujourd’hui car la vidéo n’est plus disponible.
Je les ai déjà donnés sur le forum et les redonne à nouveau  :

Pierre Macherey a écrit: Le texte de l’Ethique ne nous propose pas un programme de libération clefs en mains où il n’y aurait qu’à lire le texte et suivre et appliquer des recettes. Le texte, tel qu’il se présente à nous, nous met devant des obstacles et nous demande de trouver en nous-mêmes des moyens de les franchir. (minute 3)

Que fait Spinoza à la fin de son ouvrage ? C’est nous pousser justement à la limite, jusqu’à un point où on se demande si on a bien compris, si c’est possible, si ça correspond à quelque chose de réellement admissible, et la réponse est suspendue (minute 27)

Je vous dis franchement : l’amour intellectuel de Dieu, la science intuitive et la connaissance du troisième genre, je n’y suis jamais arrivé. (minute 34)

Il [Spinoza] a jugé, au fond, que ce n’était pas plus mal, à la fin de son livre, de jeter à la tête de son lecteur, quelque chose d’énorme. (minute 36)

Ce retour [au singulier, à l’existence], c’est à nous de le faire. Il n’éprouve pas le besoin de tout nous expliquer, de nous mâcher la tâche, de faire le travail pour nous. Il pose les jalons d’un itinéraire que nous avons nous-mêmes à parcourir et cette cinquième partie doit être lue de cette façon-là. Ce sont des points de repère, c’est à nous d’essayer de donner un contenu à ces idées… si nous pouvons. (minute 37)

Il n’y a rien à attendre de Dieu car Dieu nous a déjà tout donné. (minute 44)

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Message par Vanleers Mer 11 Déc 2019 - 16:59

Je résumerais la spiritualité ignatienne en disant qu’elle consiste à sentir que Dieu nous aime.
Il s’agit ici, non pas de la Substance de Spinoza mais du Dieu révélé par le Christ des évangiles.
Cette spiritualité nous propose une voie apparemment confondante de simplicité censée procurer «  une joie simple, une force tranquille et une paix qui dure », comme l’annoncent certains sites chrétiens.
Elle est, évidemment, différente du « chemin difficile et que l’on trouve si rarement que Spinoza a montré mener à la vraie satisfaction de l’âme » (fin de l’Ethique). Pierre Macherey, ce grand commentateur de l’Ethique, en sait quelque chose comme on l’a vu ci-dessus.
Bien entendu, cette spiritualité ignatienne ne peut que faire l’objet d’une expérience personnelle par un sujet qui interpréte les motions de son esprit comme résultant d’une rencontre avec le Dieu de l’Evangile.

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Message par neopilina Mer 11 Déc 2019 - 17:21

Vanleers a écrit:En écoutant le dialogue entre Pierre Macherey et Raphaël Enthoven sur la partie V de l’Ethique, j’avais noté quelques passages devenus inaccessibles aujourd’hui car la vidéo n’est plus disponible. Je les ai déjà donnés sur le forum et les redonne à nouveau  :

Pierre Macherey a écrit:Il n’y a rien à attendre de Dieu car Dieu nous a déjà tout donné (minute 44).

Quand j'ai lu cela, j'ai eu une réaction instinctive, une sorte de grand sourire complice : j'entendais bien, fort bien ! Alors, forcément, je me demande pourquoi : bah oui, la question de l'actualisation ne concerne que Moi, le quand, le comment, ne relèvent que de Moi. Donc Macherey n'est pas aussi précis que possible (très pardonnable lors d'une conversation de vive voix) : ici, on peut tout aussi bien dire qu'il a déjà tout donné ou encore qu'il donne tout le temps, c'est pareil ! Le problème, ça sera toujours moi, pas Lui.

Et donc, rien de plus certain, cela est Tien, mais donc rien qui empêche d'en discuter, bien au contraire (au lieu de s'étriper comme il y en a tant) :

Vanleers a écrit:Bien entendu, cette spiritualité ignatienne ne peut que faire l’objet d’une expérience personnelle par un sujet qui interpréte les motions de son esprit comme résultant d’une rencontre avec le Dieu de l’Evangile.

_________________
" Tout Étant produit par moi m'est donné (c'est son statut philosophique), a priori, et il est Mien (cogito, conscience de Soi, libéré du Poêle) ". " Savoir guérit, forge. Et détruit tout ce qui doit l'être ", ou, équivalents, " Tout l'Inadvertancier constitutif doit disparaître ", " Le progrès, c'est la liquidation du Sujet empirique, notoirement névrotique, par la connaissance ". " Il faut régresser et recommencer, en conscience ". Moi.
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Message par Vanleers Jeu 12 Déc 2019 - 17:34

Je cite une partie de la conclusion d’un article de Frédéric Manzini : La valeur de la joie chez Spinoza qu’on peut lire en :

https://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2014-2-page-237.htm

Frédéric Manzini a écrit:Le spinozisme est donc bien plus qu’une philosophie de la joie, car la joie spinozienne y vaut plus que pour elle-même et signifie davantage que ce sentiment qui accompagne et marque tout progrès intellectuel. Elle est une philosophie de la béatitude entendue en un sens ouvertement irréligieux qui la ramène au bonheur. Techniquement, la béatitude correspond au concept spinoziste de joie active, c’est-à-dire d’une joie qui ne vient pas des circonstances heureuses mais d’une joie dont le sujet qui l’éprouve se trouve être lui-même la cause – Dieu n’en étant la cause que comme la substance dont le sujet est le mode et non plus comme une entité extérieure. Il n’y a plus rien à espérer que cette joie souveraine, ou summa laetitia, autrement dit il n’y a rien à espérer de plus qu’elle, ce qui, loin de conduire à une quelconque désespérance, est supposé conforter cette joie même.

L’auteur écrit que la béatitude, chez Spinoza, doit s’entendre, en un sens ouvertement irréligieux, comme d’une joie dont le sujet qui l’éprouve est la cause, «  Dieu n’en étant la cause que comme la substance dont le sujet est le mode et non plus comme une entité extérieure ».
Cette conception de la béatitude paraît incompatible avec la conception ignatienne de la consolation, équivalent de la béatitude dont Dieu est la cause.
Toutefois, le Dieu chrétien doit-il être nécessairement conçu « comme une entité extérieure » ?
Je cite à nouveau la phrase célèbre de Saint Augustin :

Saint Augustin a écrit:Tu autem eras interior intimo meo et superior summo meo
« Mais toi, tu étais plus intime que l’intime de moi-même et plus élevé que les cimes de moi-même » (Confessions III, 6, 11)

Dieu est présenté, ici par Saint Augustin, comme intérieur à l’homme, ce qui pourrait le rapprocher du Dieu substance de Spinoza.
A approfondir.

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Message par Vanleers Sam 14 Déc 2019 - 17:57

Je cite une partie d’un article La méthode de saint Ignace qu’on peut lire en :

https://www.la-croix.com/Religion/Spiritualite/La-methode-de-saint-Ignace-_NG_-2008-01-04-506189

L’article résume la méthode des Exercices Spirituels d’Ignace de Loyola, que l’on pourra comparer à ce que propose Spinoza dans l’Ethique.

Martine de Sauto a écrit:Ces Exercices, qui ne sont pourtant que le partage d'une expérience où l'éducateur est Dieu lui-même, une fois publiés, connaîtront un succès immédiat. Ignace en a lui-même défini l'objectif : ils sont, écrit-il, «toute façon d'examiner sa conscience, de méditer, de contempler, de prier», afin de «disposer l'âme à supprimer tous les attachements désordonnés et, une fois ceux-ci supprimés, à chercher la volonté de Dieu dans la disposition de sa vie.»

Discerner la volonté de Dieu dans sa vie

Ainsi est-il possible, en portant attention aux mouvements et aux débats du cœur, à la multiplicité ou à l'absence du désir, aux images qui peuplent l'imaginaire, de discerner la volonté de Dieu dans sa vie ou, comme le dit Ignace, d'entrer dans une relation nouvelle avec Dieu. Car c'est d'abord «Dieu qui se communique lui-même à l'âme qui lui est fidèle, l'enveloppant dans son amour et sa louange, et la disposant à entrer dans la voie où elle pourra mieux le servir».
Sur ce chemin, la rencontre du Christ est déterminante. Pour Ignace , en effet, le Christ demeure incarné dans l'Église. Il est le «Créateur». Il n'est pas seulement mort et ressuscité il y a deux mille ans. Il continue à chaque instant de façonner l'univers. Voilà pourquoi le fondateur des jésuites propose, pour prier, une méthode. D'abord, contempler les scènes de l'Évangile, les personnes qui s'y trouvent, ce qu'elles disent, ce qu'elles font, afin d'y trouver un goût ou une lumière intérieure, mais aussi le désir de se conformer au Christ. Puis, peu à peu, réaliser douloureusement l'écart qui existe entre notre manière de vivre et celle de Jésus. Et finalement, prendre une décision, que saint Ignace appelle du terme biblique d'«élection». Il s'agit, écrit-il, de «considérer comment Dieu travaille et œuvre pour moi dans toutes les choses créées sur la face de la terre, c'est-à-dire qu'il se comporte à la manière de quelqu'un qui travaille et à partir de là, réfléchir en moi-même en considérant ce que, de mon côté, je dois offrir et donner en toute équité et justice à sa divine majesté».

Il s’agit donc, selon Ignace, d'examiner sa conscience, de méditer, de contempler, de prier afin de «disposer l'âme à supprimer tous les attachements désordonnés et, une fois ceux-ci supprimés, à chercher la volonté de Dieu dans la disposition de sa vie.»

Spinoza, lui aussi, propose au lecteur de l’Ethique de se libérer de ses passions, de ses « attachements désordonnés », c’est-à-dire de ses affects passifs non ordonnés par la raison.

Ici, comme Spinoza le précise dans la Préface de la partie V de l’Ethique, c’est par la raison, c’est-à-dire par l’esprit en tant qu’il comprend clairement et distinctement (E IV 26 dém.) que cette libération est obtenue.
Cela ne me paraît pas contradictoire avec la méthode ignatienne : comprendre clairement et distinctement ne s’oppose pas à « examiner sa conscience, méditer, contempler, prier », ces activités n’étant pas foncièrement irrationnelles et pouvant, au contraire, bénéficier de l’éclairage de la raison.

A suivre.

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Message par Vanleers Dim 15 Déc 2019 - 16:38

J’en viens maintenant à l’expression : « chercher la volonté de Dieu dans la disposition de sa vie ».
Spinoza explique, à la fin du scolie du corollaire 2 d’E I 17, que la volonté de Dieu ne peut avoir avec notre volonté d’autre convenance que de nom.
Cette mise en garde de Spinoza doit nous inciter à être prudent dans l’interprétation de « chercher la volonté de Dieu », en particulier, ne pas comprendre celle-ci comme imposée par un maître extérieur.
La foi chrétienne proclame que la volonté de Dieu est une volonté d’amour. Rechercher sa volonté, ce sera, conformément à l’adage ignatien, sentir et goûter intérieurement cette volonté d'amour car c'est cela qui rassasie et satisfait l'âme.
Ce sera, de façon imagée, s’exposer à cette volonté d’amour comme on s’expose au soleil.
Le désir qui en naîtra sera le fruit de cette exposition et non un acte de volontarisme.
Elle nous fera « entrer dans une relation nouvelle avec Dieu », comme dit le texte qui se centre ensuite sur le rôle du Christ dans cette recherche.
Ignace expose en effet dans les Exercices Spirituels une voie qui s’appuie sur une méditation de l’Evangile.
Pour en rester au sujet de ce fil, je me bornerai à donner quelques éléments sur la façon dont Spinoza considère Jésus-Christ.
Victor Brochard a montré dans Le Dieu de Spinoza que Spinoza n’était pas chrétien mais qu’il tenait le Christ moins pour un prophète que « la bouche même de Dieu » (TTP ch. 1 4)
Voir :

https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Dieu_de_Spinoza

J’en donne un extrait (pp. 27-28 dans les Editions Manucius) :

Victor Brochard a écrit:Dans la lettre à Oldenburg, il [Spinoza] fait une différence entre la superstition fondée sur l’ignorance et la religion fondée sur la sagesse. « Pour vous montrer, dit-il, encore plus ouvertement ma pensée sur le troisième point, je dis qu’il n’est pas absolument nécessaire de connaître le Christ selon la chair ; mais il en est tout autrement si on parle de ce Fils de Dieu, c’est-à-dire de cette éternelle sagesse de Dieu qui s’est manifestée en toutes choses, et principalement dans l’âme humaine, et, plus encore que partout ailleurs, dans Jésus-Christ. Sans cette sagesse nul ne peut parvenir à l’état de béatitude, puisque c’est elle seule qui nous enseigne ce que c’est que le vrai et le faux, le bien et le mal. Et comme cette sagesse, ainsi que je viens de le dire, s’est surtout manifestée par Jésus-Christ, ses disciples ont pu la prêcher telle qu’elle leur a été révélée par lui, et ils ont montré qu’ils pouvaient se glorifier d’être animés de l’esprit du Christ plus que tous les autres hommes (lettre 73). » De même, dans la lettre à Albert Burgh : « Oui, je le répète avec Jean, c’est la justice et la charité qui sont le signe le plus certain, le signe unique de la vraie foi catholique : la justice et la charité, voilà les véritables fruits du Saint-Esprit. Partout où elles se rencontrent, là est le Christ, et le Christ ne peut être là où elles ne sont plus, car l’Esprit du Christ peut seul nous donner l’amour de la justice et de la charité (lettre 76). » De même dans les autres lettres, où il parle si librement et quelquefois si crûment, Spinoza s’exprime en des termes qui donnent singulièrement à réfléchir : « Je prends comme vous au sens littéral la passion, la mort et l’ensevelissement de Jésus-Christ. C’est seulement sa résurrection que j’interprète au sens allégorique. (lettre 78) »

Edition : correction d'une référence du TTP


Dernière édition par Vanleers le Mar 24 Déc 2019 - 14:05, édité 1 fois

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Message par Vanleers Mer 18 Déc 2019 - 15:54

Bruno Giuliani a retraduit l’Ethique pour notre temps (Le bonheur avec Spinoza  – Almora 2011) en remplaçant systématiquement « Dieu » par « Vie ».
Cette traduction est intéressante à plusieurs titres.
Elle souligne que la Substance, c’est-à-dire Dieu dans la philosophie de Spinoza, doit être conçue comme la Nature naturante, dynamique, « vivante », dont les attributs Pensée et Etendue doivent, en conséquence, être conçus dynamiquement eux aussi.
D’autre part, elle introduit la notion de « mode de vie » qu’emploie Deleuze et que l’on peut comprendre comme « mode de la Vie » au sens ontologique de mode de la Substance.
Rappelons que, dans son commentaire de l’Ethique, Deleuze distingue deux modes de vie : l’homme libre et l’esclave en précisant que l’esclave est celui qui « cherche à faire régner la tristesse ». Voir :

http://www2.univ-paris8.fr/deleuze/article.php3?id_article=104

Ces considérations rapprochent l’Ethique de l’Evangile qui proclame que Dieu est la Vie qui libère l’homme de la tristesse.

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Message par Vanleers Jeu 19 Déc 2019 - 9:20

Comme l’Evangile, l’Ethique propose de vivre une « vraie vie ».
La vraie vie est d’abord décrite dans l’Ethique comme la vie selon la raison, c’est-à-dire la vie dans la connaissance claire et distincte des choses. Cette vie est caractérisée par la fortitude (fortitudo) qui se rapporte à la joie active.
Dans la deuxième moitié de la partie V de l’Ethique, la vraie vie est ensuite présentée comme la vie en pleine connaissance « d’être en Dieu et de se concevoir par Dieu » (E V 30). Cette vie est caractérisée par l’amour de la Vie (amor intellectualis Dei) et la béatitude (acquiescentia) que l'on peut considérer comme une forme éminente de joie.
L’art de la vraie vie, selon l’Ethique, c’est l’art de vivre dans la joie.
C’est également l’art de la vraie vie selon l’Evangile, comme le rappelle le pape François dans Evangelii Gaudium dont je cite à nouveau le début :

le pape François a écrit:LA JOIE DE L’ÉVANGILE remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus. Ceux qui se laissent sauver par lui sont libérés du péché, de la tristesse, du vide intérieur, de l’isolement. Avec Jésus Christ la joie naît et renaît toujours.

Le problème, ici, est de comprendre ce que signifie « se laisser sauver par Jésus » ce qui devrait nous faire revenir à la spiritualité ignatienne.

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Message par Vanleers Jeu 19 Déc 2019 - 17:05

Avant de revenir à la spiritualité ignatienne, je voudrais préciser ce que Spinoza entend par fortitude et éclairer le passage, dans l’Ethique, du mode de vie selon la fortitude à celui selon l’amor intellectualis Dei.
Je m’appuierai sur un article de Chantal Jaquet : La Fortitude cachée qu’on peut lire en :

https://books.openedition.org/psorbonne/156?lang=fr

Elle définit la fortitude :

Chantal Jaquet a écrit:[La fortitude] est assimilée à une vertu de l’âme et exprime l’essence de l’homme déterminé à faire les choses qui affectent son esprit en tant qu’il comprend. Elle a donc trait à la conduite rationnelle de l’homme et manifeste sa puissance d’agir sous la conduite de la raison. De ce point de vue, elle englobe toutes les actions humaines, qu’elles naissent des affects de joie ou de désir. Ainsi, par exemple, l’honnêteté (honestas) en tant que « désir qui tient l’homme vivant sous la conduite de la raison de s’attacher tous les autres par l’amitié », et la piété (pietas) en tant que « désir de faire du bien qu’engendre en nous le fait que nous vivons sous la conduite de la raison », se rattachent à la fortitude. Il en va de même pour la satisfaction de soi-même [acquiescentia in se ipso], en tant qu’elle est liée au bon usage de la raison, puisqu’elle est « une joie qui naît de ce que l’homme se contemple lui-même, lui et sa puissance d’agir ».

Elle conclut son article :

Chantal Jaquet a écrit:C’est pourquoi au bout du compte la fortitude tient en un maître mot : comprendre les choses telles qu’elles sont en soi. La fermeté et la générosité ne sont donc en réalité rien d’autre que l’intelligence joyeuse de la nécessité. La fortitude est cette vertu qui conduit de la servitude à la béatitude grâce à la détermination des causes de l’impuissance humaine et du pouvoir de la raison sur les affects.

L’homme libre ou l’homme fort dont parle Deleuze (cf. l’avant-dernier post) est le mode de vie de l’homme de la fortitude et s’oppose à l’autre mode de vie, celui de l’esclave (mot que Deleuze emprunte à Nietzsche; Spinoza, lui, parle de l'ignorant).

Comment passe-t-on de la fortitude à la béatitude ?
Spinoza marque ce passage dans l’avant-dernière proposition de l’Ethique (E V 41) :

Spinoza a écrit:Quand même nous ne saurions pas que notre Esprit est éternel, nous tiendrions pourtant pour premiers la Piété, la Religion et, absolument parlant, tout ce que nous avons montré dans la Quatrième Partie se rapporter à la Vaillance et à la Générosité

Rappelons que la vaillance (animositas) et la générosité (generositas) sont des composantes de la fortitude (E III 59 sc.).

A la fin de l’Ethique, la vraie vie est conçue sous l’aspect de l’éternité, ce que Spinoza a annoncé à la fin du scolie d’ E V 20 (« Il est donc temps maintenant que je passe à ce qui appartient à la durée de l’Esprit sans relation à l’existence du Corps »).
L’éternité n’est pas l’immortalité et la vie éternelle n’est pas la vie après la mort mais un mode de vie actuel.
Il y aura lieu de comparer la vie éternelle dont il est question dans l’Ethique à la vie éternelle qu'annonce l’Evangile.

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Message par Vanleers Ven 20 Déc 2019 - 16:44

Pas plus que dans l’Ethique, la vie éternelle n’est dans l’Evangile une vie après la mort.
Dans l’évangile de saint Jean, on lit, par exemple :

« Or, la vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. » (Jn 13,7)

La vie éternelle, au sens de la « vraie vie », de la « vie véritable » est désignée dans le Nouveau Testament par Zôè (134 fois) alors que bios est peu utilisé (10 fois).
C’est un changement caractéristique par rapport aux usages de l’époque :
Cité par Laurent Dubreuil en :

https://journals.openedition.org/labyrinthe/1033

Giorgio Agamben a écrit:Les Grecs ne disposaient pas d’un terme unique pour exprimer ce que nous entendons par le mot vie. Ils se servaient de deux mots […]: zôê, qui exprimait le simple fait de vivre, commun à tous les êtres vivants (animaux, hommes ou dieux), et bios, qui indiquait la forme ou la façon de vivre propre à un individu ou à un groupe

Dans L’Evangile inouï – Salvator 2019, pp. 53-54 :

Dominique Collin a écrit:Si, dans le sens courant, la vie est la continuité de tous les moments qui nous laissent vivants (continuité assurée un temps par les moyens de vie, bios) et que la mort vient interrompre définitivement, l’Evangile nous révèle qu’il est une autre manière de se rapporter à la vie et qu’il appelle en grec Zôè, mot pour lequel, en français, nous n’avons pas d’autre choix que de le traduire par « Vie ».
[…]
Bien sûr, pour nous, êtres humains, il n’y a pas de Vie (Zôè) sans vie (bios) qui en est la condition ; c’est pourquoi elle n’est pas une vie-après-la-mort, sorte de continuation dans l’au-delà de la vie (bios).
[…]
En revanche, quand je fais confiance à la parole de la Vie, j’accepte de laisser tomber mon « moi », je reçois alors mon Soi d’un Autre. La vie (bios) devient alors la métaphore de cette Vie vivante qu’est la Zôè à laquelle nous introduit l’Evangile de Jean : « Celui qui aime sa vie [psuchè] la perd, et celui qui hait sa vie dans le monde la gardera en vue de la Vie vivante [Zôè] » (Jn 12,25)

En vue de vivre de cette « Vie vivante », Ignace de Loyola propose une méthode déjà citée dont je rappelle une partie :

Martine de Sauto a écrit: Voilà pourquoi le fondateur des jésuites propose, pour prier, une méthode. D'abord, contempler les scènes de l'Évangile, les personnes qui s'y trouvent, ce qu'elles disent, ce qu'elles font, afin d'y trouver un goût ou une lumière intérieure, mais aussi le désir de se conformer au Christ.

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Message par Vanleers Sam 21 Déc 2019 - 15:18

Repartons de la phrase de saint Jean :

« Or, la vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. » (Jn 13,7)

En termes spinozistes, « le seul vrai Dieu » c’est la Substance mais nous avons vu qu’on pouvait l’appeler « Vie » et, en allant plus loin avec le Nouveau Testament, je dirais Zôê.
La vie éternelle, c’est de connaître intuitivement la « Vie » (Zôê), ce que Spinoza expose à la fin de l’Ethique comme nous l’avons déjà vu (E V 27 à 30).
Quant à connaître « celui que tu as envoyé, Jésus-Christ », je rappelle ce qu’écrit Spinoza à ce sujet :

Spinoza a écrit:Pour vous montrer encore plus ouvertement ma pensée sur le troisième point, je dis qu’il n’est pas absolument nécessaire de connaître le Christ selon la chair ; mais il en est tout autrement si on parle de ce Fils de Dieu, c’est-à-dire de cette éternelle sagesse de Dieu qui s’est manifestée en toutes choses, et principalement dans l’âme humaine, et, plus encore que partout ailleurs, dans Jésus-Christ. Sans cette sagesse nul ne peut parvenir à l’état de béatitude, puisque c’est elle seule qui nous enseigne ce que c’est que le vrai et le faux, le bien et le mal. Et comme cette sagesse, ainsi que je viens de le dire, s’est surtout manifestée par Jésus-Christ, ses disciples ont pu la prêcher telle qu’elle leur a été révélée par lui, et ils ont montré qu’ils pouvaient se glorifier d’être animés de l’esprit du Christ plus que tous les autres hommes (lettre 73).

L’Evangile et l’Ethique sont donc très proches quand ils parlent de la vie éternelle.

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Message par Vanleers Dim 22 Déc 2019 - 10:17

Je reprends une citation donnée précédemment :

Dominique Collin a écrit:En revanche, quand je fais confiance à la parole de la Vie, j’accepte de laisser tomber mon « moi », je reçois alors mon Soi d’un Autre.

Cet auteur distingue en effet le moi et le Soi (p. 31)

Dominique Collin a écrit:Dorénavant, par « moi », j’entendrai cette identité d’un « je » fermée sur elle-même, sans rapport à (de) l’Autre, cet ego replié sur lui-même, sans accès à l’exister (qui consiste à sortir du « moi » en vue d’être Soi)  

(La distinction moi-Soi est exprimée par Maurice Zundel par individu-personne – cf. post antérieur).

Ni Spinoza, ni, me semble-t-il, Ignace de Loyola, ne font explicitement cette distinction entre le moi et le Soi mais elle apparaît d’une autre façon.

Spinoza distingue le sage (ou l’homme libre, ou l’homme fort) et l’ignorant :

Spinoza (E V 42 sc.) a écrit:L’ignorant, en effet, outre que les causes extérieures l’agitent de bien des manières et que jamais il ne possède la vraie satisfaction de l’âme, vit en outre presque inconscient de soi, de Dieu et des choses, et dès qu’il cesse de pâtir, aussitôt il cesse aussi d’être. Alors que le sage, au contraire, considéré en tant que tel, a l’âme difficilement émue ; mais, étant par une certaine nécessité éternelle, conscient de soi, de Dieu et des choses, jamais il ne cesse d’être, mais c’est toujours qu’il possède la vraie satisfaction de l’âme

L’ignorant est l’homme soumis aux passions ; il n’existe pas car« dès qu’il cesse de pâtir, aussitôt il cesse aussi d’être » alors que le sage existe car «  étant par une certaine nécessité éternelle, conscient de soi, de Dieu et des choses, jamais il ne cesse d’être ».
Le « moi » et le « Soi », dans l’Ethique, sont deux modes de vie, deux modes de la Vie, selon que l’on est, ou non, « conscient de soi, de Dieu et des choses ».
Le « moi » désigne l’homme qui n’existe pas, fermé sur lui-même et le « Soi » l’homme qui existe, ouvert à l’Autre.

Ignace de Loyola distingue l’homme qui se replie sur lui-même et celui qui reste ouvert aux autres et à Dieu, qui ne s’enferme pas dans le malheur et l’accusation, qui n’oublie pas que la consolation (la béatitude) est donnée par Dieu et n’est pas produite par lui-même.

Qu’il s’agisse de Spinoza ou d’Ignace, la vraie vie, la vie éternelle est la vie en Dieu, la vie en la Vie, celle qui procure « la vraie satisfaction de l’âme ».

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Message par Vanleers Dim 22 Déc 2019 - 21:13

J’ai cité, plus haut, le début de la conclusion de l’ouvrage d’Adrien Demoustier dans lequel on lit :


Adrien Demoustier a écrit:De cet affrontement une leçon se dégage peu à peu. Elle apprend à distinguer, d’une part ce qui agit d’abord à partir de la tête pour répercuter ensuite dans l’affectivité et finalement l’être tout entier en provoquant le désaccord et la division de l’être, et, d’autre part ce qui se vit à la fois dans la tête et dans l’affectivité selon un mouvement qui les accorde l’une à l’autre. Il convient donc de distinguer ce qu’on peut appeler l’activité mentale et l’activité affective ou psychique à laquelle sont liées des réactions corporelles.
Selon la tradition spirituelle, le cœur n’est pas d’abord l’affectivité, mais plus précisément le centre à partir duquel l’unité de ces deux dimensions peut se faire.  

Dans le dernier paragraphe, il faut lire, à mon avis : « l’esprit n’est pas d’abord l’affectivité... » et non « le cœur n’est pas d’abord l’affectivité... ».

En effet, l’auteur avait écrit antérieurement :

Adrien Demoustier a écrit:Le sens ancien du mot « esprit » ne désigne pas d’abord comme en français aujourd’hui l’activité mentale ou intellectuelle ou la « mentalité », mais plutôt la capacité de mettre en relation la dimension mentale, intellectuelle et la dimension affective et corporelle de l’être humain. L’homme est esprit, non pas seulement parce qu’il est intelligent, mais parce qu’il peut faire collaborer dans une relation qui les unifie, deux éléments distincts : une dimension corporelle et une dimension mentale ou notionnelle.
[…]
Laisser s’unifier sans confusion des termes mis en relation, tête et cœur, activité mentale et corporelle, âme et corps, permet au Créateur de signifier la communication qu’il fait de sa présence dont la marque sera l’expérience d’être heureux, de vivre en paix un bonheur profondément humain, qui cependant se donne à reconnaître dans une originalité radicale : il est action de grâce, éprouvé comme don de Dieu. (op. cit. p. 32)

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