Y a-t-il quelque chose en nous qui échappe à la culture?

[Kokof]

Y a-t-il quelque chose en nous qui échappe à la culture ?

L’homme est un être culturel. Son humanité est une éducation et non un instinct. Il doit tout apprendre : marcher, parler, chasser (ou cultiver la terre), vivre en communauté. L’anthropologie montre que même la sexualité, qui semble d’ordre naturel, est socialement construite. De plus, l’individu est déterminé par la culture dans laquelle il a grandi. L’homme est donc doublement déterminé par la culture : d’abord par la culture au sens large, puis par sa culture natale. Y a-t-il quelque chose en nous qui échappe à la culture ? Il est en effet contradictoire d’associer le déterminisme et la culture, sachant que la culture se définit par la liberté. Si rien en nous n’échappait à la culture, alors la culture serait une seconde nature, un second instinct. Nous traiterons d’abord les aspects moraux et humains de la question, puis son aspect intellectuel.

L’homme est libre et moral avant d’avoir une culture. L’éducation développe et renforce notre moralité, mais ne la produit pas. La justice est une idée innée en l’homme, qui nous dispose au bien. D’autre part, l’éducation ne réduit pas notre liberté. Nous restons libres de faire le bien ou le mal, quelle que soit notre éducation. Si la morale est plus profondément inscrite en l’homme que la culture, alors elle échappe à la culture et permet de la juger. Si la morale était un pur produit culturel, elle serait purement conventionnelle et nous serions incapables de la critiquer, faute d’une norme extérieure à la culture. Concernant la liberté, ni la morale ni l’éducation ne sont contraignantes et nous restons entièrement libres d’agir moralement ou non. En conclusion, la morale et la liberté échappent à la culture : par la première nous pouvons critiquer et faire avancer la culture, par la seconde nous restons responsables.

Bien que nous vivions en société et que nos comportements soient régis par la morale et la politesse, nos sentiments vont bien au-delà du respect et de la civilité. L’amitié est un sentiment mystérieux, qui échappe à la culture et à la morale, parce qu’elle n’est pas obligatoire, le respect et la politesse étant suffisants pour vivre en société. D’ailleurs, l’amitié est ce qui distingue les sociétés humaines des sociétés animales. L’amitié naît spontanément entre deux personnes, sans intérêt, délibération ou principes. La culture n’apprend pas à se faire des amis : les amis se trouvent et se font naturellement. L’amitié et les sentiments analogues (l’amour, l’attachement, etc.) échappent donc à la culture. Mais l’amitié n’est pas en nous, elle est entre nous. Ce sont donc les relations humaines qui échappent en partie à la culture. Celle-ci règle les relations sociales, que l’amitié dérégule positivement en créant un lien plus fort que le lien social.

Nous avons vu que la morale échappe à la culture et sert de norme extérieure et supérieure pour la juger. Il en va de même pour tous les domaines de la culture. Nous avons en nous des idées innées, comme le Bien, la Justice et la Beauté, auxquelles aucun ordre social et aucun produit culturel ne sont adéquats. Parce que ces idées sont absolues, elles seront toujours plus parfaites que la culture, imparfaite par définition et toujours inachevée. Sans les Idées, nous ne pourrions pas faire progresser l’ordre social, en le rendant plus juste, ni les arts, en les perfectionnant. Sans l’idée du Beau, la création artistique et la critique d’art seraient impossibles. Si la culture n’avait pas de principes extérieurs à elle, elle stagnerait. En conclusion, les Idées échappent à la culture, mais l’enrichissent et la transforment continuellement.

Il y a autre chose en nous (mais pas en nous tous) qui échappe à la culture, et qui, comme les Idées, la transforme : le génie. Contrairement à ce que soutient Kant, le génie n’est pas exclusivement artistique. On trouve des génies dans tous les domaines (on appelle visionnaires les génies du commerce et de la politique). Don naturel ou divin (Socrate dans le Ménon l’interprète comme un don divin), le génie échappe à la culture, qu’il révolutionne.

Nous avons vu ce qui en nous échappe à la culture, mais nous ne devons pas oublier ce qui dans la culture nous échappe. La culture est si riche, si profonde et si variée (la culture humaine se divise en une infinité de cultures) que nous ne pourrons jamais, ni individuellement ni collectivement, en terminer l’étude. On ne pourra jamais dire, par exemple, qu’on a fini d’étudier Platon ou Montaigne. Cela vaut pour tous les domaines et tous les aspects de la culture. En conclusion, notre richesse intérieure et notre liberté, qui échappent à la culture, n’ont d’égales que la richesse de la culture, qui en retour nous échappe aussi.

[Invité]

En quoi le génie échapperait-il à la culture ? Surtout quand il la norme – ladite culture. Hitler était un génie politique et oratoire, en parlerais-tu alors aussi amoureusement ? Nietzsche posait le romantisme comme, au contraire, un étai solide de la culture européenne. Peut-être veux-tu parler de la répartition relativement aléatoire des THPI (Très Haut Potentiel Intellectuel – QI >140) dans le monde ? Le darwinisme social est lui aussi, dans une certaine mesure, emprunt d'un mysticisme, d'un œil amoureux devers les résultats de la science. Ça ne ne pèse-t-il pas en revanche pour le nazisme ? Je soutiens ça par rapport à ta définition de la culture, qui est pourtant un facteur monstrueux de collectivisme, d'écrasement normativiste, d'atténuation des volontés de l'inconscient personnel (généralement par l'identité forcée de celui-ci avec l'inconscient collectif, ce qui provoque une inflation du Moi et l'identification abusive au reste de la population – le centralisme louisquatorzien étant un exemple parmi d'autres). À ce titre, non seulement d'admirer mystiquement les résultats de la science, tu serais un nazi au carré d'admirer la liberté (dont seul l'individu est doué) en la culture, de sorte presque à assimiler un facteur individuel au monde tout entier. Tu parlerais par exemple du peuple allemand comme « d'un seul homme » (le Fürher).

[Kokof]

Hitler a détruit la culture. Or le génie enrichit la culture. Donc Hitler n'est pas un génie. Napoléon avait du génie parce qu'il a fait des choses positives pour la culture (comme le Code civil).

[kercoz]

Napoléon avait du génie parce qu'il a fait des choses positives pour la culture (comme le Code civil).

Le code civil est une réduction simplifiée des innombrables "coutumiers", eux mêmes étant une première réduction locale par l' écrit d' us et coutumes verbales. C'est une réduction par linéarisation de fonctions complexes, modélisables en équa différentielles. Si cette réduction simplificatrice permet à notre raison de plus aisément gérer l' économie du système, ...il n'est pas démontré que ce processus soit "positif" et vertueux pour la stabilité du modèle. Il semble même, au regard des modèles auto-organisés des systèmes en usage chez tout le reste du vivant que ce processus soit bien moins résilient.

[Kokof]

Le Code civil est d'abord un chef d'oeuvre littéraire.

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