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Culture

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Message par Grégor Sam 8 Oct 2022 - 5:59


La culture est le processus de formation d’un individu, qui le conduit de sa singularité vide, son « moi », vers une conscience plus universelle, qui possède un véritable contenu et qui est capable d’agir en connaissance de cause.
La culture est une progression, ce qui signifie que la pensée peut évoluer et qu’elle est donc plus ou moins valable. Selon son degré de perfection, elle sera plus ou moins reconnue.
La Déclaration Universelle des droits de l’homme prétend que nous naissons libres et égaux en dignité et en droits.
Pourtant, elle ne dit rien de la nécessité pour l’homme de se cultiver, elle ne dit rien de ses devoirs.
Reconnaître immédiatement la valeur d’un homme, du simple fait qu’il soit né, revient à reconnaître un simple « moi », encore totalement vide et inconsistant.
C’est ainsi qu’une sorte de contre-culture prétend que tous ces « moi » vides de contenu sont égaux, non pas d’un certain point de vue, mais absolument.
Nous assistons alors à une juxtaposition de points de vue, qui ne progressent plus, mais où chacun dit « moi » pour exister, sans aucune considération véritable pour ce que les autres expriment.
Parce qu’elles n’ont pas appris à sortir d’elles-mêmes, certaines personnes pensent que le monde tourne autour de leurs préjugés.

Or, comment peut-on concilier l’idéal démocratique, où chaque voix en principe pèse le même poids et cette différence entre les divers contenus de pensée ?
Rousseau énonçait déjà ce problème et considérait que les citoyens ne devaient pas s’exprimer en défendant leur seul intérêt mais en recherchant l’intérêt général.
Nous pensons qu’un processus de formation et de culture est donc nécessaire.
L’opinion publique joue un certain rôle dans notre vie politique et son expression est le reflet du degré de culture auquel les citoyens ont pu accéder.
C’est pourquoi le sens d’un dialogue peut être recherché et nous le recommandons sous une forme dialectique afin d’élaborer son contenu.

Sans entrer dans des considérations politiques et des débats d’idées, ce qui n’est pas l’objet de mon texte, ne devons-nous pas nous accorder sur une méthode ?
La véritable considération pour une pensée autre consiste à la faire sienne tout en faisant évoluer sa conception initiale. C’est-à-dire, de reconnaître sa différence et en même temps son identité dans et par la différence. Notre pensée n'est plus celle dont nous étions partis, lorsque nous avions notre seule opinion à l’esprit, elle s’est enrichie d’un contenu plus vaste.

Le problème de ma démarche qui consiste à parler d’une méthode de discussion est qu’elle flotte en l’air et est, elle aussi, dépourvue de contenu.
Pourtant nous avons déjà nommé un adversaire, que nous avons appelé contre-culture, et qui considère que chaque point de vue est égal.
Nous chercherons donc notre contenu par et à travers lui.
Dans d’autres textes nous appelions cette idéologie, un nihilisme des valeurs.
Une sorte de blocage qui ne veut plus affirmer de valeurs mais se contente de critiquer ou de déconstruire toute valeur.
Une des formes que peut prendre ce nihilisme est l’humour sarcastique, qui se moque de toute autorité ou de toute compétence.
Une autre est le pessimisme, qui nie tout progrès possible et se morfond dans l’inaction, au nom de son idéal inaccessible.

Je fus un temps assez proche du nihilisme et je le paie assez chèrement aujourd’hui.

« Hé ! Dieu, se j’eusse estudié
Ou temps de ma jeunesse folle
Et a bonnes meurs dedié,
J’eusse maison et couche molle.
Mais quoy ? je fuyoie l’escolle
Comme fait le mauvais enfant.
En escripvant ceste parolle,
A peu que le cuer ne me fent. »

François Villon

Plutôt que d’étudier et de réviser mes leçons, je me moquais de ceux qui essayaient de réussir. Profondément idéaliste, je rêvais d’un monde meilleur et comme celui que j’avais sous les yeux me faisait violence, je tâchais de le nier.
Sans doute est-ce ce que l’on nomme l’adolescence. L’adolescent n’est-il pas celui qui dit : « non » ?
L’esprit négateur se contente de jouir de soi, car il est tout pour lui. Il n’est pas un contenu particulier, mais la négation de tout ce qui pourrait le constituer. Il n’est pas être mais négation de l’être.
Il est notable que ce fut pour moi une période de mise en danger. Afin de m’affirmer comme conscience de moi-même, indépendante de ma vie, sans identité particulière, incapable de me choisir une voie, mais me complaisant et me morfondant tout à la fois dans une absence totale d’avenir.
Une sorte de narcissisme qui joue avec son reflet idéal, qui se révèle être la mort.
En effet, cette négation de tout contenu est aussi bien la mort.
Le suicide était une obsession pour moi.
Non pas que je voulusse me suicider, car je n’en avais pas la moindre envie, mais il était le seul aboutissement logique de mon absence de choix.
Le seul endroit où l’on puisse aller, quand on ne veut aller nulle part.

« N’importe où ! n’importe où ! pourvu que ce soit hors de ce monde ! »
Baudelaire

Pourtant, une telle attitude négatrice, ce goût du néant baudelairien, n’est pas à rejeter d’un revers de la main, elle aussi, dans une certaine mesure peut être récupérée et transformée sous une forme positive, par exemple, une œuvre.
Elle est la trace de l’infini en nous qui ne peut être enfermé dans un objet fini.
D’une certaine manière, cet infini en nous doit s’incarner et prendre une forme finie.
Parce que l’infini, par exemple, l’absence de choix quant à sa carrière, n’est pas en-dehors du réel, sinon le réel limiterait cet infini et donc cette absence de choix demeure et prend la forme de bien des carrières exercées, dont elles ne sont certes que l’expression imparfaite, mais qui aussi bien rendent possible l’exercice de cette liberté, pendant ses heures de loisir par exemple.
De même l’exercice de cette liberté, prend la forme actuelle du texte que je suis en train d’écrire, qui bientôt deviendra une expression figée, quelque chose de fini et de déterminé, mais qui d’un même mouvement appelle d’autres textes, un nouveau travail et des expressions toujours plus riches de l’infini.

Je me souviens de mon adolescence, où l’infini, l’immensité des possibles que renfermait en lui l’avenir, pouvait prendre une forme presque palpable, comme une intuition immense de couleurs et de sensations enivrantes. Je travaillais alors à me faire davantage voyant ou poète.
Cette exacerbation de la sensibilité me remplissait d’espoir et de confiance comme s’il s’agissait là d’une sorte d’élection divine.
Or, il ne s’agissait que d’une pure intuition, sans pensée et sans contenu.
J’ai la faiblesse de croire qu’elle fut pourtant le moteur de ma vie intellectuelle et créatrice et que sans un tel point de départ, il aurait été futile de m’engager dans une telle voie.
Parce que ce commencement n’est jamais oublié, jamais dépassé, il est l’origine, au sens d’un mouvement premier et d’un aboutissement, un cercle qui se referme.
Mais pendant le temps de sa révolution, l’esprit s’est enrichi d’un contenu plus vaste et plus universel. Il s’est approché de l’infini.
Les concepts ont remplacé quelque peu les couleurs d’antan, les folies de l’enthousiasme ont été tempérées par une saine défiance envers les émotions qui subjuguent la raison, mais l’Absolu est toujours à l’horizon et notre tâche toujours un peu plus claire et évidente.

Nous avons voulu à travers l’exemple de notre propre vie, donner une représentation concrète du nihilisme. Ce nihilisme qui nous a comme servi de butée afin de construire notre pensée.
Il arrive en effet, que nous nous appuyions sur une idée contraire afin de nous exprimer. Cet adversaire imaginaire devient alors ce que l'on rejette, l'objet de notre négation. Il s'agissait pour moi du nihilisme. Or, on ne combat pas le nihilisme avec ses propres armes.
Quand nous critiquons négativement quelque chose, en réalité nous nous critiquons nous-mêmes. Nous sommes dans une relation égocentrique avec nous-mêmes et fermés au caractère positif de la vie universelle. C'est pourquoi j'ai tâché de ne conserver dans ce texte, que ce qui pouvait ou démasquer cette imposture, ou avoir un caractère positif.
La dialectique est justement ce mouvement positif, qui nous permet de faire le tour de nos obsessions et de les démasquer comme traumatismes et blessures narcissiques.

En revenant au texte original, nous pouvons penser le souverain bien comme un processus qui peut devenir effectif à travers l’histoire.
Ce processus de culture, encore faut-il y croire pour pouvoir le rendre effectif. Même si la simple croyance est insuffisante, elle est une condition sine qua non de son possible avènement.
Le nihilisme qui nie un tel processus est soit cynique, en ce qu’il n’en voit pas l’intérêt, soit pessimiste en ce sens qu’il voudrait d’un tel monde mais n’en voit pas la possibilité.
Notre impatience ne supporte pas les catastrophes présentes ou passées, qui marquent pour elle un terme, la fin d’un possible, un découragement. Elle voudrait tout, tout de suite, sans les moyens ni la médiation de l’Absolu.
Cet immédiat est un peu celui que j’essayais de décrire, lorsque je racontais les intuitions de mon adolescence.
Le processus de la philosophie s’engage lorsque nous cessons de nous confier aveuglément à ces intuitions indéterminées.
L’individu est engagé dans un processus de culture.
Son autonomie n’est qu’abstraite tant qu’il n’a pas saisi sa situation dans le monde.
Or, une telle situation le limite et l’étouffe, tant qu’il ne voit pas comment l’infini qu’il porte en lui, le souverain bien, peut s’actualiser à travers l’histoire.
Seule une étude profonde et concrète d’une telle situation peut le conduire à la béatitude, l’amour intellectuel de Dieu.
Un tel savoir se traduit aussi en acte, car seul le sage peut agir adéquatement et non de manière partielle et limitée.
Grégor
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