Le non-être
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Le non-être
Le non-être
Parménide, dans son poème métaphysique sur la nature, disqualifie le non-être, qui ne serait qu’une chimère de la raison, qui nous obséderait sans raison : « Jamais tu ne feras que ce qui n’est pas soit, détourne donc ta pensée de cette voie de recherche ». Seul l’être existe. Par conséquent, la raison doit se consacrer entièrement à penser l’être et à contempler son infinité et son éternité, au lieu d’être angoissée par le néant. Le non-être devrait donc être exclu de la philosophie et de la pensée humaine en général. Mais le non-être, qui ne se réduit pas au néant, a une variété de formes qui en font une idée essentielle pour philosopher, pour créer et pour agir.
En premier lieu, le non-être a pour l’homme une forme évidente et réelle : la mort. C’est parce que nous sommes mortels que nous avons l’idée du néant, qui est donc une idée objective, une intuition de notre finitude. La mort n’est pas une idée chimérique, mais un fait naturel et sensible, car non seulement nous mourrons un jour, mais nous mourons chaque jour et chaque instant en vieillissant. De plus, notre mort est définitive (à moins de croire à la résurrection ou à la réincarnation). Non seulement nous ne serons plus, mais nous ne serons plus jamais.
La philosophie de Parménide s’applique-t-elle à la mort ? Epicure l’a soutenu en disant que la mort n’est rien pour nous (car lorsqu’elle survient nous ne sommes plus et ne souffrons plus) et ne devrait pas nous angoisser. Mais si nous ne pensons pas à la mort, nous n’avons plus qu’à vivre et n’avons plus de raison de philosopher. En effet, nous philosophons parce que nous sommes mortels (la mort est d’ailleurs le seul sujet sérieux de la philosophie). La philosophie est une méditation sur notre condition mortelle. Je suis mortel, donc je pense. Vivre sans philosopher, sans penser à la mort, c’est vivre sans spiritualité.
La mort, qui est une forme de non-être, est le principe de la philosophie. Mais le non-être a d’autres formes, notamment le passé. Sous cette forme, il est le principe de l’art, qui existe non pas parce que nous sommes mortels, mais parce que la réalité est fugace. Le travail de l’artiste consiste en effet à éterniser le temps (présent ou passé), et à graver ce souvenir ou cet instant dans la matière (le portrait sculptural, par exemple, éternise son sujet). L’art veut à la fois sauver le temps et échapper au temps. L’ambition et le fantasme de l’art est de créer un instant éternel. L’objet d’art est donc un souvenir matérialisé. L’art nous permet ainsi de contempler le temps hors du temps. Cependant, l’objet d’art n’est pas une copie authentique et vivante du passé, mais un simulacre. Il est donc lui-même une forme de non-être. En conclusion, le non-être (sous différentes formes) est à la fois l’objet et la forme de l’art.
Mais quelle est la différence entre l’art et l’histoire, s’ils ont tous deux le passé pour objet ? L’histoire s’intéresse aux faits, qui sont objectifs, alors que l’art s’intéresse au vécu, qui est subjectif. Donc l’art et l’histoire se complètent.
Le non-être peut avoir la forme du passé, mais aussi celle du futur, qui est du non-être en tant que virtualité. Le futur est intermédiaire entre l’être (parce que le futur sera) et le néant (parce que le futur n’est pas encore et que tous les possibles ne se réaliseront pas), tandis que le passé en tant que souvenir est intermédiaire entre le vécu et le néant. Le futur n’est pas prédéterminé, n’est pas une nécessité suspendue à l’éternité, attendant de s’actualiser. Il est un champ de possibilités. L’indétermination de l’avenir rend possible la liberté. En tant que domaine du possible, le non-être est donc la condition de notre liberté. S’il n’y avait que de l’être et des futurs préétablis, nous ne serions pas libres. Le non-être est le champ de l’action. Sans lui, notre existence serait mécanique. Le non-être est donc un principe dynamique et une condition de la liberté.
En conclusion, non seulement le non-être (en tant que possible) est pensable (contrairement à ce que soutient Parménide), mais nous devons le penser autant que possible (en faisant des projets) et aussi rationnellement que possible (en délibérant et non en nous fiant aux devins) pour nous approprier notre existence (en agissant) au lieu de la subir. Mais comment choisir parmi tous les possibles ? Le non-être étant un horizon de possibilités infinies, quel futur doit-on choisir ?
Il faut distinguer ce qui est seulement possible de ce qui doit être, qui est aussi une forme de non-être (car ce qui doit être n’est pas). Le devoir-être est une synthèse de possible et de nécessité, le caractère impératif du devoir étant une espèce de nécessité. Distinguer le bien et le mal, c’est voir du non-être dans l’être (le mal qui est ne devrait pas être, il est donc du non-être d’un point de vue moral) et de l’être (ce qui doit être) dans le non-être (le futur). C’est donc le devoir (qui n’est pas uniquement moral et universel, un devoir pouvant aussi être personnel) qui doit orienter notre action et dessiner l’avenir. Le devoir (universel ou personnel) fait ressortir certaines possibilités (adéquates au bien ou à l’identité personnelle) dans le champ infini des possibles et éclaire ainsi notre liberté.
En conclusion, nous ne devons pas rester passifs devant la réalité en confondant ce qui est et ce qui doit être, et ne pouvons pas nous contenter d’être ni laisser le monde tel qu’il est, parce que le devoir nous oblige à changer le monde.
Kokof- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 157
Date d'inscription : 07/03/2019
Re: Le non-être
Je suis de retour! J'essaierai de publier régulièrement (au moins une fois par semaine).
Kokof- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 157
Date d'inscription : 07/03/2019
Re: Le non-être
Si, comme le pense Parménide, on ne peut faire que ce qui n' est pas soit, c ' est donc que ce qui est ne peut pas ne pas etre. Par conséquent la mort, conçue comme un néant, est une illusion.
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