Du langage
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Bergame
Grégor
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Du langage
Je reprends ce texte ancien afin de pouvoir conduire mes éventuels lecteurs sur le chemin philosophique que j’ai entrepris.
En effet, nous avions souvent critiqué, dans des textes antérieurs, l’énoncé théorique par rapport à la praxis, l’une engageant le Monde et l’autre tendant vers la Nature. Mais nous voudrions revenir à quelques paroles banales et essayer de les analyser, toujours dans cette même perspective.
Par exemple l’énoncé : « cette table est bleue ». Que se passe-t-il ? Nous attribuons la bleuité à cette table. Ce que cette table est totalement, le déictique « cette » indiquant qu’elle est devant nous, est focalisé sur l’attribut qu’on lui donne de bleu. Mais quel est l’être total de cette table ? Est-ce la somme des attributs qu’on peut lui donner ? Elle semble, cette somme, être infinie, et sans doute qu’elle n’est pas encore connue. En effet, cette table est composée d’atomes, eux-mêmes composés de particules encore plus élémentaires, dont il reste encore beaucoup à découvrir. Pourtant, cette table est bien là, devant nous. Au niveau ontologique, elle est un étant dont on dispose. Mais là encore, la somme de tout ce qu’elle peut être pour nous est infinie. Elle est une table de jeu, une table à manger, une table pour écrire etc. Lorsque nous jouons à un jeu, par exemple, elle est un support qui n’attire pas notre attention, qui reste concentrée sur le jeu. Souvent la table est là pour nous, sans se faire remarquer, modeste support, sur lequel on peut compter. Le langage nous permet de dire à quoi sert la table. Pourtant, dans l’énoncé théorique, cet être de la table, comme objet du monde, a tendance à disparaître, au profit de la nature de la table. La nature de la table est ce qu’elle est en elle-même. Qu’elle serve à jouer aux cartes, par exemple, ce n’est pas sa nature, mais plutôt sa fonction. Comment définir la nature de la table ? C’est à partir de là que l’on peut commencer à essayer de la déterminer. Nous allons essayer de la définir totalement par le langage, comme si en définitive, le langage était capable de recréer intellectuellement la totalité de cette table. Est-ce possible ? Peut-être qu’un jour l’être humain sera capable de comprendre totalement la composition de la table, depuis ses plus petits éléments. Il aura donc une image intellectuelle de cette table parfaitement adéquate à la table réelle. Quelque chose est apparu sous notre plume d’un peu étrange : le terme d’« image intellectuelle ». Quand nous disions « cette table est bleue », nous n’avions pas en vue une « image intellectuelle » de la table mais cette table réelle devant nous. Mais à partir du moment où nous avons voulu déterminer la nature de la table, nous avons rompu le lien avec la table réelle. En effet, ce serait un peu facile, si quelqu'un nous demandait ce qu’est cette table, de répondre en la désignant : « c’est cela ». Seul celui qui est devant la table pourrait comprendre ce que l’on veut dire et notre dire serait un pur montrer. C’était déjà le cas dans l’énoncé « cette table est bleue ». Le sujet, « cette table », avant d’être caractérisé comme bleu, était pris comme totalité posée devant moi. Mais ce simple montrer est insuffisant pour l’énoncé théorique, qui finalement, semble être uniquement du côté de l’attribut : il comprend qu’elle soit bleue, « mais encore ? » demande-t-il. Est-ce que sa couleur permet d’en définir la nature complète ? L’image intellectuelle de la table réelle se forme peut-être ainsi. L’énoncé se coupe de la fonction déictique du langage. Il ne s’agit plus de montrer simplement ce qui est, comme dans le langage ordinaire, mais de voir si d’après le seul énoncé, on arrivera à représenter adéquatement la chose dont on parle. L’énoncé devient vrai, quand la chose pensée est en adéquation avec la chose réelle et faux quand il est inadéquat. Le vrai et le faux naissent à l’intérieur de l’énoncé sur la nature des choses. Il n’existe pas de vraie fonction de la table. À la rigueur on parlera d’impossible : impossible de faire démarrer cette table aujourd’hui ! La catégorie qui n’est pas du tout envisagée, quand on analyse la nature d’une table, est celle du possible. À quoi peut bien servir une table ? Là aussi, comme lorsqu’on éprouve la véritable angoisse de la mort, ce possible est dans nos sociétés relié à la catégorie subjective. Mais qu’est-ce que cela veut dire « subjectif » ? Nous pouvons maintenant tenter une explication : ce qui n’est ni vrai, ni faux, dans un énoncé théorique sur la nature des choses. En réalité, cela risque de faire beaucoup. Par exemple, cette table réelle, qui est devant moi et que je désigne, est de l’ordre du subjectif. Mais nos prouesses énonciatives et ce que j’appelle parfois la métaphysique moderne, ont tellement façonné dans nos imaginaire l’idée d’une réalité objective et vraie, qu’on en oublie le monde, dit « subjectif », et qui est pourtant premier dans l’ordre ontologique.
Nous avons essayé de rendre hommage à ce modeste support de tant de moments heureux de notre vie, qui aura bien mérité son nom de table. Et peut-être avons-nous eu l’audace de renverser la table métaphysique de notre temps, la tabula rasa de Descartes, afin de conférer à cette table bleue toute sa dignité de table.
Mais nous rencontrons alors le problème suivant : l’énoncé, pour être vrai, doit être adéquat à la chose réelle, l’énoncé théorique n’est donc pas totalement coupé de la chose même. Quelle est la nature de cette adéquation ? La réalité semble n’intervenir dans le processus théorique que pour confirmer ou infirmer l’énoncé. La réalité n’est donc pas première, mais elle est seconde, dans l’ordre ontique. Alors que dans le langage ordinaire, qui montre seulement les choses, la réalité des choses est première, ontologiquement. Certains nous opposeraient peut-être que la réalité n’est pas donnée, une fois pour toute, mais que l’homme construit sa réalité. Sa connaissance théorique lui permet de transformer la réalité, donc l’énoncé théorique ne se contente pas de se référer à une réalité déjà là, mais, au contraire, modifie la réalité. Pour nous, l’énoncé théorique est purement théorique. Son application pratique est d’un autre ordre. On passe de l’ordre ontique à l’ordre ontologique. On ne peut pourtant pas nier que l’ordre ontique de l’énoncé théorique influence l’ordre ontologique, en modifiant le monde et le rapport de l’homme à son monde. C’est indéniable. Pourtant nous maintenons que la vérité ontologique de l’être-au-monde de l’homme est première par rapport aux vérités ontiques secondes de la théorie. Quelle que soit leur influence sur la « réalité » de l’homme et même sur la réduction du monde à du réel.
Qu’est-ce que le réel ? Quand une théorie veut s’assurer de sa propre rectitude elle teste le réel. Nous pourrions tenter une première définition du réel comme ce qui peut être testé. En quoi consiste un test ? Un test consiste à vérifier une hypothèse. Nous ne connaissons pas très bien la logique traditionnelle. Nous allons donc faire simple. Soit, par exemple l’hypothèse suivante : tous les A sont B. Cette induction soulève un problème, déjà repéré par Hume, celui de savoir, dans quelle mesure, nous pouvons affirmer que tous les A sont B, par exemple, que tous les cygnes sont blancs, sans avoir préalablement observé tous les A. Popper répondrait que l’hypothèse est scientifique dans la mesure où elle est falsifiable. Tant qu’on n’a pas trouvé de cygne noir, l’hypothèse « tous les cygnes sont blancs » est non pas vraie (ce qui est impossible à dire) mais corroborée. À partir des inductions, il est possible de faire des déductions, c’est-à-dire, de prédire le réel. Si tous les cygnes sont blancs, j’en déduis que chaque cygne, que je rencontrerai pendant ma balade, sera infailliblement blanc. Le réel est ce qui peut être prédit avec certitude. Nous disons avec certitude afin d’évacuer les prédictions des charlatans. Mais ce qui ne peut pas être prédit avec certitude, la liberté humaine par exemple, est-il donc en dehors du réel ? Le réel répond donc parallèlement aux prédictions théoriques. La parole qui se contente de montrer ce qui est là, en revanche, n’est pas encore un énoncé théorique. Pourtant, lorsque nous désignons quelque chose, nous disons bien quelque chose, d’après les « connaissances » que nous avons de cette chose.
Ici, nous rencontrons un problème. Nommer quelque chose, est-ce avoir une connaissance ? Est-ce « connaître » quelque chose que d’en parler ? Pour certains cela ne fait aucun doute et voici un exemple qu’ils pourraient prendre : quelqu’un voit un ours blanc dans le zoo de Vincennes et dit « cet ours est blanc ». Il disait cela dans les années trente, mais aujourd’hui avec les progrès de la génétique, nous savons que cet ours blanc, en réalité, n’a pas l’ADN d’un ours blanc, mais qu’il est, par exemple, à moitié grizzli. Nous devons cet exemple à Léna Soler. Donc conclusion, nous nommons l’ours, que nous voyons, en fonction des connaissances de notre temps. Cette démonstration nous semble parfaitement correcte (même si l’exemple est un peu bancal). J’ai lu quelque part que l’art du géomètre était de raisonner juste à partir de figures fausses, parfois, celui du philosophe est aussi celui de raisonner juste à partir d’exemples improbables. Mais le langage, qui se contentait de montrer cette malheureuse moitié d’ours polaire, est devenu dans nos esprits, un énoncé théorique. Qu’importe que la génétique retrouve de l’ADN de cochon d’Inde dans notre ours blanc, qu’on appelle un chat un chat ou autrement, peu importe même les mots, les enfants se contentent parfois de montrer du doigt ce qui les émerveille au zoo, l’essentiel c’est que l’ours soit là. Ontologiquement parlant, c’est que l’ours soit là, qui compte. Trop vite nous croyons que le langage recouvre le phénomène qu’il désigne, alors que souvent, il se contente de le montrer. On se demande si les vêtements de mots, dont on a habillé le phénomène, lui conviennent ou s’ils correspondent juste à une mode d’habillage, qui évolue en fonction de la connaissance. On ne se demande même plus si la mode actuelle qui consiste à tout habiller de concept scientifique est vraiment la bonne. Elle semble si indubitable, que dans l’exemple que nous avons pris, la dénomination « ours blanc » n’a pu être faite qu’en fonction des connaissances zoologiques des années trente. Pourtant le mot « ours » ne renvoie pas uniquement à une connaissance, il est aussi un animal symbolique, un personnage de conte, par exemple, et notre imaginaire est peuplé d’ours fantastiques. Ce sont aussi ces ours merveilleux que nous voyons. Alors certes, la connaissance scientifique que nous avons des choses, influence notre manière de voir le monde. C’est indéniable. Ce n’est pas seulement le réel (la somme des choses prédictibles) qui est agrandi par la connaissance théorique, mais bien notre être-au-monde qui est enrichi par elle. Donc, oui, le monde est encore en attente, il n’a pas été totalement découvert. Quand nous parlions de totalité donnée pour nommer ce qui est là, nous ne voulions pas dire que tout était déjà donné, dans le sens où il n’y aurait plus rien à découvrir. Sans doute que le mot totalité a été mal choisi, nous l’avons employé en référence à Kant et à sa notion d’espace comme totalité donnée. C’était pour faire comprendre que le monde se donne comme totalité pleine et entière. Pour reprendre un exemple de Husserl : si je regarde un arbre je le vois sur l’horizon du monde (le ciel, le jardin par exemple). Sans ce monde sur lequel l’ « objet » que je regarde se détache, je ne verrais pas l’objet. Nous avons ajouté le temps en essayant de suivre la leçon de Heidegger. Je ne suis pas prisonnier du présent et d’un rapport immédiat à l’objet et au monde. Au contraire, je suis toujours tourné vers l’avenir et mon passé me hante. Cependant, nous ne voulions pas mettre un terme à cette totalité donnée. Au contraire, elle est une totalité infinie. Ne serait-ce que parce que notre rapport au monde se conjugue au futur, il n’est jamais borné à être ce qu’il est là, immédiatement. Il est tout ce qu’il peut être et dans ce possible s’inscrit aussi les possibles connaissances théoriques à venir. D’ailleurs quand nous montrons, en parlant, nous pouvons très bien dire : « regarde, l’ours va à l’eau. » Nous montrons ainsi quelque chose qui n’est pas là, immédiatement. Pourtant notre dire est bien une manière de montrer que l’ours va se mettre à l’eau.
Pourquoi cette distinction entre parole qui montre et énoncé théorique ? Simplement afin de montrer que les deux sont enracinés dans l’existence humaine et plus précisément dans le là, où se donnent les choses. Ce là n’est pas immédiat, il est ouvert au présent, au futur et au passé. Nous avons tendance à supprimer ce rapport ontologique aux choses et à ne considérer que les énoncés ontiques, dans la mesure où ils sont corroborés par le réel. Nous essayons de montrer notre ouverture au là : notre Da-sein.
En effet, nous avions souvent critiqué, dans des textes antérieurs, l’énoncé théorique par rapport à la praxis, l’une engageant le Monde et l’autre tendant vers la Nature. Mais nous voudrions revenir à quelques paroles banales et essayer de les analyser, toujours dans cette même perspective.
Par exemple l’énoncé : « cette table est bleue ». Que se passe-t-il ? Nous attribuons la bleuité à cette table. Ce que cette table est totalement, le déictique « cette » indiquant qu’elle est devant nous, est focalisé sur l’attribut qu’on lui donne de bleu. Mais quel est l’être total de cette table ? Est-ce la somme des attributs qu’on peut lui donner ? Elle semble, cette somme, être infinie, et sans doute qu’elle n’est pas encore connue. En effet, cette table est composée d’atomes, eux-mêmes composés de particules encore plus élémentaires, dont il reste encore beaucoup à découvrir. Pourtant, cette table est bien là, devant nous. Au niveau ontologique, elle est un étant dont on dispose. Mais là encore, la somme de tout ce qu’elle peut être pour nous est infinie. Elle est une table de jeu, une table à manger, une table pour écrire etc. Lorsque nous jouons à un jeu, par exemple, elle est un support qui n’attire pas notre attention, qui reste concentrée sur le jeu. Souvent la table est là pour nous, sans se faire remarquer, modeste support, sur lequel on peut compter. Le langage nous permet de dire à quoi sert la table. Pourtant, dans l’énoncé théorique, cet être de la table, comme objet du monde, a tendance à disparaître, au profit de la nature de la table. La nature de la table est ce qu’elle est en elle-même. Qu’elle serve à jouer aux cartes, par exemple, ce n’est pas sa nature, mais plutôt sa fonction. Comment définir la nature de la table ? C’est à partir de là que l’on peut commencer à essayer de la déterminer. Nous allons essayer de la définir totalement par le langage, comme si en définitive, le langage était capable de recréer intellectuellement la totalité de cette table. Est-ce possible ? Peut-être qu’un jour l’être humain sera capable de comprendre totalement la composition de la table, depuis ses plus petits éléments. Il aura donc une image intellectuelle de cette table parfaitement adéquate à la table réelle. Quelque chose est apparu sous notre plume d’un peu étrange : le terme d’« image intellectuelle ». Quand nous disions « cette table est bleue », nous n’avions pas en vue une « image intellectuelle » de la table mais cette table réelle devant nous. Mais à partir du moment où nous avons voulu déterminer la nature de la table, nous avons rompu le lien avec la table réelle. En effet, ce serait un peu facile, si quelqu'un nous demandait ce qu’est cette table, de répondre en la désignant : « c’est cela ». Seul celui qui est devant la table pourrait comprendre ce que l’on veut dire et notre dire serait un pur montrer. C’était déjà le cas dans l’énoncé « cette table est bleue ». Le sujet, « cette table », avant d’être caractérisé comme bleu, était pris comme totalité posée devant moi. Mais ce simple montrer est insuffisant pour l’énoncé théorique, qui finalement, semble être uniquement du côté de l’attribut : il comprend qu’elle soit bleue, « mais encore ? » demande-t-il. Est-ce que sa couleur permet d’en définir la nature complète ? L’image intellectuelle de la table réelle se forme peut-être ainsi. L’énoncé se coupe de la fonction déictique du langage. Il ne s’agit plus de montrer simplement ce qui est, comme dans le langage ordinaire, mais de voir si d’après le seul énoncé, on arrivera à représenter adéquatement la chose dont on parle. L’énoncé devient vrai, quand la chose pensée est en adéquation avec la chose réelle et faux quand il est inadéquat. Le vrai et le faux naissent à l’intérieur de l’énoncé sur la nature des choses. Il n’existe pas de vraie fonction de la table. À la rigueur on parlera d’impossible : impossible de faire démarrer cette table aujourd’hui ! La catégorie qui n’est pas du tout envisagée, quand on analyse la nature d’une table, est celle du possible. À quoi peut bien servir une table ? Là aussi, comme lorsqu’on éprouve la véritable angoisse de la mort, ce possible est dans nos sociétés relié à la catégorie subjective. Mais qu’est-ce que cela veut dire « subjectif » ? Nous pouvons maintenant tenter une explication : ce qui n’est ni vrai, ni faux, dans un énoncé théorique sur la nature des choses. En réalité, cela risque de faire beaucoup. Par exemple, cette table réelle, qui est devant moi et que je désigne, est de l’ordre du subjectif. Mais nos prouesses énonciatives et ce que j’appelle parfois la métaphysique moderne, ont tellement façonné dans nos imaginaire l’idée d’une réalité objective et vraie, qu’on en oublie le monde, dit « subjectif », et qui est pourtant premier dans l’ordre ontologique.
Nous avons essayé de rendre hommage à ce modeste support de tant de moments heureux de notre vie, qui aura bien mérité son nom de table. Et peut-être avons-nous eu l’audace de renverser la table métaphysique de notre temps, la tabula rasa de Descartes, afin de conférer à cette table bleue toute sa dignité de table.
Mais nous rencontrons alors le problème suivant : l’énoncé, pour être vrai, doit être adéquat à la chose réelle, l’énoncé théorique n’est donc pas totalement coupé de la chose même. Quelle est la nature de cette adéquation ? La réalité semble n’intervenir dans le processus théorique que pour confirmer ou infirmer l’énoncé. La réalité n’est donc pas première, mais elle est seconde, dans l’ordre ontique. Alors que dans le langage ordinaire, qui montre seulement les choses, la réalité des choses est première, ontologiquement. Certains nous opposeraient peut-être que la réalité n’est pas donnée, une fois pour toute, mais que l’homme construit sa réalité. Sa connaissance théorique lui permet de transformer la réalité, donc l’énoncé théorique ne se contente pas de se référer à une réalité déjà là, mais, au contraire, modifie la réalité. Pour nous, l’énoncé théorique est purement théorique. Son application pratique est d’un autre ordre. On passe de l’ordre ontique à l’ordre ontologique. On ne peut pourtant pas nier que l’ordre ontique de l’énoncé théorique influence l’ordre ontologique, en modifiant le monde et le rapport de l’homme à son monde. C’est indéniable. Pourtant nous maintenons que la vérité ontologique de l’être-au-monde de l’homme est première par rapport aux vérités ontiques secondes de la théorie. Quelle que soit leur influence sur la « réalité » de l’homme et même sur la réduction du monde à du réel.
Qu’est-ce que le réel ? Quand une théorie veut s’assurer de sa propre rectitude elle teste le réel. Nous pourrions tenter une première définition du réel comme ce qui peut être testé. En quoi consiste un test ? Un test consiste à vérifier une hypothèse. Nous ne connaissons pas très bien la logique traditionnelle. Nous allons donc faire simple. Soit, par exemple l’hypothèse suivante : tous les A sont B. Cette induction soulève un problème, déjà repéré par Hume, celui de savoir, dans quelle mesure, nous pouvons affirmer que tous les A sont B, par exemple, que tous les cygnes sont blancs, sans avoir préalablement observé tous les A. Popper répondrait que l’hypothèse est scientifique dans la mesure où elle est falsifiable. Tant qu’on n’a pas trouvé de cygne noir, l’hypothèse « tous les cygnes sont blancs » est non pas vraie (ce qui est impossible à dire) mais corroborée. À partir des inductions, il est possible de faire des déductions, c’est-à-dire, de prédire le réel. Si tous les cygnes sont blancs, j’en déduis que chaque cygne, que je rencontrerai pendant ma balade, sera infailliblement blanc. Le réel est ce qui peut être prédit avec certitude. Nous disons avec certitude afin d’évacuer les prédictions des charlatans. Mais ce qui ne peut pas être prédit avec certitude, la liberté humaine par exemple, est-il donc en dehors du réel ? Le réel répond donc parallèlement aux prédictions théoriques. La parole qui se contente de montrer ce qui est là, en revanche, n’est pas encore un énoncé théorique. Pourtant, lorsque nous désignons quelque chose, nous disons bien quelque chose, d’après les « connaissances » que nous avons de cette chose.
Ici, nous rencontrons un problème. Nommer quelque chose, est-ce avoir une connaissance ? Est-ce « connaître » quelque chose que d’en parler ? Pour certains cela ne fait aucun doute et voici un exemple qu’ils pourraient prendre : quelqu’un voit un ours blanc dans le zoo de Vincennes et dit « cet ours est blanc ». Il disait cela dans les années trente, mais aujourd’hui avec les progrès de la génétique, nous savons que cet ours blanc, en réalité, n’a pas l’ADN d’un ours blanc, mais qu’il est, par exemple, à moitié grizzli. Nous devons cet exemple à Léna Soler. Donc conclusion, nous nommons l’ours, que nous voyons, en fonction des connaissances de notre temps. Cette démonstration nous semble parfaitement correcte (même si l’exemple est un peu bancal). J’ai lu quelque part que l’art du géomètre était de raisonner juste à partir de figures fausses, parfois, celui du philosophe est aussi celui de raisonner juste à partir d’exemples improbables. Mais le langage, qui se contentait de montrer cette malheureuse moitié d’ours polaire, est devenu dans nos esprits, un énoncé théorique. Qu’importe que la génétique retrouve de l’ADN de cochon d’Inde dans notre ours blanc, qu’on appelle un chat un chat ou autrement, peu importe même les mots, les enfants se contentent parfois de montrer du doigt ce qui les émerveille au zoo, l’essentiel c’est que l’ours soit là. Ontologiquement parlant, c’est que l’ours soit là, qui compte. Trop vite nous croyons que le langage recouvre le phénomène qu’il désigne, alors que souvent, il se contente de le montrer. On se demande si les vêtements de mots, dont on a habillé le phénomène, lui conviennent ou s’ils correspondent juste à une mode d’habillage, qui évolue en fonction de la connaissance. On ne se demande même plus si la mode actuelle qui consiste à tout habiller de concept scientifique est vraiment la bonne. Elle semble si indubitable, que dans l’exemple que nous avons pris, la dénomination « ours blanc » n’a pu être faite qu’en fonction des connaissances zoologiques des années trente. Pourtant le mot « ours » ne renvoie pas uniquement à une connaissance, il est aussi un animal symbolique, un personnage de conte, par exemple, et notre imaginaire est peuplé d’ours fantastiques. Ce sont aussi ces ours merveilleux que nous voyons. Alors certes, la connaissance scientifique que nous avons des choses, influence notre manière de voir le monde. C’est indéniable. Ce n’est pas seulement le réel (la somme des choses prédictibles) qui est agrandi par la connaissance théorique, mais bien notre être-au-monde qui est enrichi par elle. Donc, oui, le monde est encore en attente, il n’a pas été totalement découvert. Quand nous parlions de totalité donnée pour nommer ce qui est là, nous ne voulions pas dire que tout était déjà donné, dans le sens où il n’y aurait plus rien à découvrir. Sans doute que le mot totalité a été mal choisi, nous l’avons employé en référence à Kant et à sa notion d’espace comme totalité donnée. C’était pour faire comprendre que le monde se donne comme totalité pleine et entière. Pour reprendre un exemple de Husserl : si je regarde un arbre je le vois sur l’horizon du monde (le ciel, le jardin par exemple). Sans ce monde sur lequel l’ « objet » que je regarde se détache, je ne verrais pas l’objet. Nous avons ajouté le temps en essayant de suivre la leçon de Heidegger. Je ne suis pas prisonnier du présent et d’un rapport immédiat à l’objet et au monde. Au contraire, je suis toujours tourné vers l’avenir et mon passé me hante. Cependant, nous ne voulions pas mettre un terme à cette totalité donnée. Au contraire, elle est une totalité infinie. Ne serait-ce que parce que notre rapport au monde se conjugue au futur, il n’est jamais borné à être ce qu’il est là, immédiatement. Il est tout ce qu’il peut être et dans ce possible s’inscrit aussi les possibles connaissances théoriques à venir. D’ailleurs quand nous montrons, en parlant, nous pouvons très bien dire : « regarde, l’ours va à l’eau. » Nous montrons ainsi quelque chose qui n’est pas là, immédiatement. Pourtant notre dire est bien une manière de montrer que l’ours va se mettre à l’eau.
Pourquoi cette distinction entre parole qui montre et énoncé théorique ? Simplement afin de montrer que les deux sont enracinés dans l’existence humaine et plus précisément dans le là, où se donnent les choses. Ce là n’est pas immédiat, il est ouvert au présent, au futur et au passé. Nous avons tendance à supprimer ce rapport ontologique aux choses et à ne considérer que les énoncés ontiques, dans la mesure où ils sont corroborés par le réel. Nous essayons de montrer notre ouverture au là : notre Da-sein.
Grégor- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 366
Date d'inscription : 14/04/2022
Re: Du langage
Comme d'habitude, Gregor, beaucoup de choses dans ce que tu écris. Tes contributions sont exigeantes mais il y a là quelqu'un qui pense et ça, c'est vraiment agréable.
Ton texte s'intitule "du langage" et, néanmoins, j'y lis surtout -à tort ou à raison- une réflexion sur la question "qu'est-ce que le réel ?"
Or, j'ai du mal à identifier ta conclusion : Le réel est-il "l'ensemble de ce qui est testable" ? Est-il l'ensemble de ce qui est "prédictible avec certitude" ? L'ensemble des possibles ? Ou même une "totalité infinie" ?
Ton texte s'intitule "du langage" et, néanmoins, j'y lis surtout -à tort ou à raison- une réflexion sur la question "qu'est-ce que le réel ?"
Or, j'ai du mal à identifier ta conclusion : Le réel est-il "l'ensemble de ce qui est testable" ? Est-il l'ensemble de ce qui est "prédictible avec certitude" ? L'ensemble des possibles ? Ou même une "totalité infinie" ?
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...que vont charmant masques et bergamasques...
Bergame- Persona
- Nombre de messages : 5358
Date d'inscription : 03/09/2007
Re: Du langage
Bonjour Bergame,
Je te remercie pour tes compliments.
Le réel est souvent pour moi la manière dont les non-philosophes se défendent de leur manière inquestionnnée de définir le vrai, le concret.
C'est pourquoi je préfère le mot "monde".
Le réel c'est donc plutôt une représentation du monde que le monde lui-même.
C'est l'entente moyenne dans laquelle on dit que le monde est.
"Le monde est réel" dit-on.
Mais on ne demande ni ce qu'est le monde, ni ce qu'est le réel et on se contente de cette évidence qui ne veut rien dire.
Mais bien sûr on peut essayer d'analyser cette phrase et de l'élucider.
Le monde comme vous l'avez noté c'est à la fois le possible (l'être au monde) et la totalité infinie donnée (au sens que j'ai essayé de lui prescrire, Heidegger parle d'une totalité de conjointures : la significativité).
Mais le réel ? Qu'est-ce que le réel ?
Souvent on se réfère au réel pour tester ses représentations.
Exemple : une illusion d'optique.
Je vais tester ce que je vois et l'hypothèse spontanée et fabriquée par mon cerveau se révèle être fausse.
En réalité, cette ombre n'existe pas.
La représentation que je me suis faite spontanément de l'ombre de cette tasse n'est pas réellement là.
Realitas a le sens de la choiséité de la chose.
La chose est-elle cette chose que je vois ou est-elle différente en réalité ?
En réalité signifie que l'on va tester les apparences trompeuses afin de définir un niveau plus vrai de la réalité : la caverne de Platon.
Apparence et substance sont divisées et le réel est du côté de la substance.
Mais alors l'illusion d'optique n'est plus elle-même possible, elle n'a plus de réalité positive, ce qui est faux factivement parlant.
Pour qu'une illusion d'optique soit possible, il faut que concrètement j'ai le genre d'être d'un être-au-monde capable de se tromper et d'avoir des illusions d'optique.
L'apparence n'est jamais trompeuse dans ce qu'elle a de positif.
Le réel est donc cette négation de la positivité de l'apparence et de sa primauté ontologique.
Le réel défend une saine défiance à l'égard des apparences qui peuvent être trompeuses et dangereuses. Il a sa logique propre qui n'est pas à nier. La connaissance est très utile et rien de ce qu'elle a de positif n'est atteint par la philosophie première. C'est seulement que la connaissance en tant que représentation du monde est située par rapport à l'être-au-monde et à l'apparence.
Parce que ce qui n'est rien du côté de la vérité d'un discours sur le monde qui se veut exact, n'est pas rien ontologiquement parlant : cette tâche d'ombre sous une tasse (illusion d'optique).
I. Vérité
La vérité n’est pas originellement dans l’énoncé. Elle n’est pas l’accord d’un jugement avec la réalité. Cet accord est troisième. D’abord il faut que le réel soit découvert comme réel. Ce n’est que parce que nous avons la possibilité de rencontrer une tasse verte par exemple que nous pouvons dire que la tasse est verte. La question se pose pour le boson de Higgs, par exemple, où le jugement a été postulé quarante années avant la rencontre du phénomène à proprement parler. Si nous remontons aux origines, Thalès de Milet s’était lui-même rendu célèbre pour avoir prédit par ses calculs une éclipse solaire. En bonne logique, il semblerait dans ces deux exemples et encore davantage dans celui du boson de Higgs qui a décrit un phénomène inconnu jusqu’alors, que le jugement précède la rencontre de la chose.
Mais ces exemples prodigieux ne risquent-ils pas de nous faire manquer un phénomène plus originel de la vérité ? Après tout, les calculs de Thalès, François Englert et Peter Higgs, n’ont pas créé la rencontre des phénomènes, ils les ont prédits. L’éclipse s’est produite spontanément, selon les mouvements conjoints du soleil, de la lune et de la terre, et la fabrication du Grand collisionneur de hadrons a permis de découvrir le boson de Higgs. Cette rencontre ne prime pas dans le temps, mais prime ontologiquement parlant.
Ces vérités exceptionnelles masquent la vérité plus originelle dans laquelle nous vivons toujours déjà. Ce monde dans lequel nous découvrons des choses, par exemple, ma tasse de café verte. Cette vérité, que j’énonce en disant que ma tasse est verte, semble bien faible par rapport aux vérités si profondes de la physique quantique. Comme nous admirons avec raison les constructions théoriques géniales et complexes qui font l’honneur de l’intelligence humaine, nous avons tendance à passer outre ces vérités triviales sur la couleur des tasses de café ou autres. Pourtant elles nous révèlent, que leur révélation justement est première, ontologiquement parlant, par rapport au jugement que nous prononçons sur elles. Cette découverte des choses, qui est souvent muette, est pourtant seconde ontologiquement parlant.
Le premier niveau n’est pas du côté de la chose découverte, mais du côté de l’être découvrant. Pour le comprendre nous reprendrons un exemple de Heidegger. Si lors d’une promenade en forêt je crois apercevoir une biche mais qu’après vérification ce n’était qu’un buisson, que s’est-il passé ? La vision de la biche n’était-elle qu’une illusion ? Certainement pas, elle était quelque chose pour moi, j’ai bien découvert un phénomène et pas n’importe lequel. Ce n’est pas le Shah d’Iran que j’ai cru voir, il fallait que cette illusion corresponde au lieu dans lequel je me promenais, à savoir, la forêt. C’est donc cette possibilité découvrante, le fait d’être en forêt, le là où je me trouvais, qui a permis cette fausse rencontre avec la biche. C’est sur le fond d’un monde connu (je sais que je peux rencontrer des animaux en forêt et peut-être que je l’espère aussi) que se font des rencontres. C’est d’ailleurs ce qui permet d’avoir des rencontres imprévues, des surprises. Nous ne nous y attendions pas et cela nous surprend : comment, je rencontre un ami, alors que je ne m’attendais à ne croiser que des inconnus ! À force de prendre des buissons pour des animaux, je finis par perdre tout espoir d’en rencontrer et c’est là que j’ai l’immense surprise d’en apercevoir un. C’est donc sur fond de monde qu’ont lieu les rencontres, sur fond d’espoir, d’attentes et c’est cela être un être découvrant, le premier niveau ontologique de la vérité.
Je te remercie pour tes compliments.
Le réel est souvent pour moi la manière dont les non-philosophes se défendent de leur manière inquestionnnée de définir le vrai, le concret.
C'est pourquoi je préfère le mot "monde".
Le réel c'est donc plutôt une représentation du monde que le monde lui-même.
C'est l'entente moyenne dans laquelle on dit que le monde est.
"Le monde est réel" dit-on.
Mais on ne demande ni ce qu'est le monde, ni ce qu'est le réel et on se contente de cette évidence qui ne veut rien dire.
Mais bien sûr on peut essayer d'analyser cette phrase et de l'élucider.
Le monde comme vous l'avez noté c'est à la fois le possible (l'être au monde) et la totalité infinie donnée (au sens que j'ai essayé de lui prescrire, Heidegger parle d'une totalité de conjointures : la significativité).
Mais le réel ? Qu'est-ce que le réel ?
Souvent on se réfère au réel pour tester ses représentations.
Exemple : une illusion d'optique.
Je vais tester ce que je vois et l'hypothèse spontanée et fabriquée par mon cerveau se révèle être fausse.
En réalité, cette ombre n'existe pas.
La représentation que je me suis faite spontanément de l'ombre de cette tasse n'est pas réellement là.
Realitas a le sens de la choiséité de la chose.
La chose est-elle cette chose que je vois ou est-elle différente en réalité ?
En réalité signifie que l'on va tester les apparences trompeuses afin de définir un niveau plus vrai de la réalité : la caverne de Platon.
Apparence et substance sont divisées et le réel est du côté de la substance.
Mais alors l'illusion d'optique n'est plus elle-même possible, elle n'a plus de réalité positive, ce qui est faux factivement parlant.
Pour qu'une illusion d'optique soit possible, il faut que concrètement j'ai le genre d'être d'un être-au-monde capable de se tromper et d'avoir des illusions d'optique.
L'apparence n'est jamais trompeuse dans ce qu'elle a de positif.
Le réel est donc cette négation de la positivité de l'apparence et de sa primauté ontologique.
Le réel défend une saine défiance à l'égard des apparences qui peuvent être trompeuses et dangereuses. Il a sa logique propre qui n'est pas à nier. La connaissance est très utile et rien de ce qu'elle a de positif n'est atteint par la philosophie première. C'est seulement que la connaissance en tant que représentation du monde est située par rapport à l'être-au-monde et à l'apparence.
Parce que ce qui n'est rien du côté de la vérité d'un discours sur le monde qui se veut exact, n'est pas rien ontologiquement parlant : cette tâche d'ombre sous une tasse (illusion d'optique).
I. Vérité
La vérité n’est pas originellement dans l’énoncé. Elle n’est pas l’accord d’un jugement avec la réalité. Cet accord est troisième. D’abord il faut que le réel soit découvert comme réel. Ce n’est que parce que nous avons la possibilité de rencontrer une tasse verte par exemple que nous pouvons dire que la tasse est verte. La question se pose pour le boson de Higgs, par exemple, où le jugement a été postulé quarante années avant la rencontre du phénomène à proprement parler. Si nous remontons aux origines, Thalès de Milet s’était lui-même rendu célèbre pour avoir prédit par ses calculs une éclipse solaire. En bonne logique, il semblerait dans ces deux exemples et encore davantage dans celui du boson de Higgs qui a décrit un phénomène inconnu jusqu’alors, que le jugement précède la rencontre de la chose.
Mais ces exemples prodigieux ne risquent-ils pas de nous faire manquer un phénomène plus originel de la vérité ? Après tout, les calculs de Thalès, François Englert et Peter Higgs, n’ont pas créé la rencontre des phénomènes, ils les ont prédits. L’éclipse s’est produite spontanément, selon les mouvements conjoints du soleil, de la lune et de la terre, et la fabrication du Grand collisionneur de hadrons a permis de découvrir le boson de Higgs. Cette rencontre ne prime pas dans le temps, mais prime ontologiquement parlant.
Ces vérités exceptionnelles masquent la vérité plus originelle dans laquelle nous vivons toujours déjà. Ce monde dans lequel nous découvrons des choses, par exemple, ma tasse de café verte. Cette vérité, que j’énonce en disant que ma tasse est verte, semble bien faible par rapport aux vérités si profondes de la physique quantique. Comme nous admirons avec raison les constructions théoriques géniales et complexes qui font l’honneur de l’intelligence humaine, nous avons tendance à passer outre ces vérités triviales sur la couleur des tasses de café ou autres. Pourtant elles nous révèlent, que leur révélation justement est première, ontologiquement parlant, par rapport au jugement que nous prononçons sur elles. Cette découverte des choses, qui est souvent muette, est pourtant seconde ontologiquement parlant.
Le premier niveau n’est pas du côté de la chose découverte, mais du côté de l’être découvrant. Pour le comprendre nous reprendrons un exemple de Heidegger. Si lors d’une promenade en forêt je crois apercevoir une biche mais qu’après vérification ce n’était qu’un buisson, que s’est-il passé ? La vision de la biche n’était-elle qu’une illusion ? Certainement pas, elle était quelque chose pour moi, j’ai bien découvert un phénomène et pas n’importe lequel. Ce n’est pas le Shah d’Iran que j’ai cru voir, il fallait que cette illusion corresponde au lieu dans lequel je me promenais, à savoir, la forêt. C’est donc cette possibilité découvrante, le fait d’être en forêt, le là où je me trouvais, qui a permis cette fausse rencontre avec la biche. C’est sur le fond d’un monde connu (je sais que je peux rencontrer des animaux en forêt et peut-être que je l’espère aussi) que se font des rencontres. C’est d’ailleurs ce qui permet d’avoir des rencontres imprévues, des surprises. Nous ne nous y attendions pas et cela nous surprend : comment, je rencontre un ami, alors que je ne m’attendais à ne croiser que des inconnus ! À force de prendre des buissons pour des animaux, je finis par perdre tout espoir d’en rencontrer et c’est là que j’ai l’immense surprise d’en apercevoir un. C’est donc sur fond de monde qu’ont lieu les rencontres, sur fond d’espoir, d’attentes et c’est cela être un être découvrant, le premier niveau ontologique de la vérité.
Grégor- Digressi(f/ve)
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Re: Du langage
Le réel ? Enfin une question facile : tout ce qui est, existe, d'une façon ou d'une autre.
Comment, pourquoi, qu'est-ce que c'est ?, etc., philosophiquement, méthodologiquement, c'est " ensuite ", a posteriori du " c'est ". En optant pour tels ou tels discours, idoines.
Comment, pourquoi, qu'est-ce que c'est ?, etc., philosophiquement, méthodologiquement, c'est " ensuite ", a posteriori du " c'est ". En optant pour tels ou tels discours, idoines.
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" Tout Étant produit par moi m'est donné (c'est son statut philosophique), a priori, et il est Mien (cogito, conscience de Soi, libéré du Poêle) ". " Savoir guérit, forge. Et détruit tout ce qui doit l'être ", ou, équivalents, " Tout l'Inadvertancier constitutif doit disparaître ", " Le progrès, c'est la liquidation du Sujet empirique, notoirement névrotique, par la connaissance ". " Il faut régresser et recommencer, en conscience ". Moi.
C'est à pas de colombes que les Déesses s'avancent.
neopilina- Digressi(f/ve)
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Re: Du langage
Gregor, puisque la discussion que tu lances pourrait faire écho à d'autres dans ce forum, il faut que je commence par (te) dire, je crois, que je n'appréhende pas tous mes interlocuteurs de la même manière. Je pense en effet, je revendique en tout cas, de savoir faire la différence entre un individu qui fait des confusions de niveau Terminale et ignore tout de l'effet de Dunninge-Kruger, et un autre qui alimente sa réflexion à la phénoménologie. Je sais aussi que ce n'est pas "gentil" de dire cela, mais si le modérateur que je suis s'astreint à la patience et à la... modération, l'intervenant que je suis aussi, lui, ne voit aucune raison pour laquelle il ne pourrait pas distinguer entre ses interlocuteurs et adapter son discours.
Ceci posé pour te dire que, avec toi, j'espère, et je me propose d'avoir une vraie discussion.
Donc. Tes interventions sont très riches, Gregor, et du coup, elles soulèvent beaucoup de questions. Je te propose d'en traiter quelques-unes, si tu le veux bien.
Prenons un exemple : Tu as rédigé un post récemment sur la théorie computationnelle de l'esprit. J'ai lu il y a quelques années un article qui, procédant à partir de cette théorie, expliquait que la migration dans un autre corps était possible. Du reste, c'est le sujet de quelques épisodes de Black Mirror par exemple.
Peut-on dire néanmoins que cette pratique appartienne à notre monde ?
Alors tu parais y répondre puisque tu proposes que le monde est la "totalité infinie". Oui mais, un peu plus loin, tu parles du monde commun, du monde vécu, de l'Umwelt en somme ? A l'évidence, ce n'est pas le même "monde" ?
Alors s'il existe un autre être-au-monde qui soit insensible aux illusions d'optique, quel est-il ?
Est-ce réel ? Je répète ce qui a déjà été dit ailleurs : Si tu me dis qu'une illusion d'optique est réelle, alors nous avons juste un problème de définition, et je t'invite simplement à te référer à un dictionnaire.
Est-ce que ça existe ? Puisque tu cites beaucoup Heidegger, penses-tu qu'une illusion d'optique pourrait exister au sens que Heidegger donne à cette notion ?
Mais plus fondamentalement -même si un peu intuitivement je dois dire : Est-ce que tu n'es pas en train de t'engager dans une voie difficile en tentant de construire un pont entre le "réel" et le "Umwelt" de la phénoménologie ?
Ceci posé pour te dire que, avec toi, j'espère, et je me propose d'avoir une vraie discussion.
Donc. Tes interventions sont très riches, Gregor, et du coup, elles soulèvent beaucoup de questions. Je te propose d'en traiter quelques-unes, si tu le veux bien.
Le monde est-il, ou peut-il être, l'ensemble des possibles ?Le monde comme vous l'avez noté c'est à la fois le possible (l'être au monde) et la totalité infinie donnée (au sens que j'ai essayé de lui prescrire, Heidegger parle d'une totalité de conjointures : la significativité).
Prenons un exemple : Tu as rédigé un post récemment sur la théorie computationnelle de l'esprit. J'ai lu il y a quelques années un article qui, procédant à partir de cette théorie, expliquait que la migration dans un autre corps était possible. Du reste, c'est le sujet de quelques épisodes de Black Mirror par exemple.
Peut-on dire néanmoins que cette pratique appartienne à notre monde ?
Alors tu parais y répondre puisque tu proposes que le monde est la "totalité infinie". Oui mais, un peu plus loin, tu parles du monde commun, du monde vécu, de l'Umwelt en somme ? A l'évidence, ce n'est pas le même "monde" ?
Oui, un être humain par exemple.Pour qu'une illusion d'optique soit possible, il faut que concrètement j'ai le genre d'être d'un être-au-monde capable de se tromper et d'avoir des illusions d'optique.
Alors s'il existe un autre être-au-monde qui soit insensible aux illusions d'optique, quel est-il ?
Cette phrase est difficilement intelligible pour moi. Qu'est-ce qu'une "réalité positive" et qu'est-ce que "factivement" ?Mais alors l'illusion d'optique n'est plus elle-même possible, elle n'a plus de réalité positive, ce qui est faux factivement parlant.
Ce n'est pas "rien", admettons. Mais qu'est-ce que c'est ?Parce que ce qui n'est rien du côté de la vérité d'un discours sur le monde qui se veut exact, n'est pas rien ontologiquement parlant : cette tâche d'ombre sous une tasse (illusion d'optique).
Est-ce réel ? Je répète ce qui a déjà été dit ailleurs : Si tu me dis qu'une illusion d'optique est réelle, alors nous avons juste un problème de définition, et je t'invite simplement à te référer à un dictionnaire.
Est-ce que ça existe ? Puisque tu cites beaucoup Heidegger, penses-tu qu'une illusion d'optique pourrait exister au sens que Heidegger donne à cette notion ?
Mais plus fondamentalement -même si un peu intuitivement je dois dire : Est-ce que tu n'es pas en train de t'engager dans une voie difficile en tentant de construire un pont entre le "réel" et le "Umwelt" de la phénoménologie ?
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...que vont charmant masques et bergamasques...
Bergame- Persona
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Date d'inscription : 03/09/2007
Re: Du langage
Tout d'abord je dois dire qu'étant donné le difficulté des questions, il est normal de tâtonner et de pas faire preuve d'une parfaite maîtrise des termes, qui peuvent être employés selon différentes acceptions selon le contexte, même si j'essaie d'éviter l'excès d'ambiguïté.
Il faut plutôt saisir l'esprit que la lettre de ces textes.
1) Le monde est-il, ou peut-il être, l'ensemble des possibles ?
Au sens que vous donnez de Black Miror, je ne sais pas, car ce possible là est celui qui arrivera peut-être ou n'arrivera pas. Il est déjà le possible d'un étant-là-devant qui peut ou non se réaliser. Or, le Dasein est son possible dans un sens existantial. Il tend la main pour se saisir de la poignée de la porte pour aller rejoindre des amis etc. Ce possible est déjà une mise en route effective dans le présent. Et même s'il ne se réalisait pas, il ne serait pas rien. Par exemple, si je me trompais de jour pour rejoindre mes amis, j'aurais tout de même fait le trajet pour les rejoindre.
2) Alors s'il existe un autre être-au-monde qui soit insensible aux illusions d'optique, quel est-il ?
Je pense que ce serait un autre être-au-monde tout simplement et les animaux en sont des exemples, sans parler des illusions d'optique, ils ont un rapport différent au monde.
3) Mais alors l'illusion d'optique n'est plus elle-même possible, elle n'a plus de réalité positive, ce qui est faux factivement parlant.
Si on pense qu'une illusion d'optique est fausse et elle l'est d'une certaine manière, puisqu'on peut prouver en masquant la tasse par exemple que l'ombre n'existait pas "réellement", pourtant le fait de voir cette ombre est une réalité pour nous : si on enlève le cache, l'ombre réapparait.
Comme le soleil qui continue de se lever dans le ciel même si on sait que c'est la terre qui tourne sur elle-même.
4) En relisant mes textes, je reconnais que mon emploi du mot "réel" est flottant. Réel n'a pas de définition très claire. Il vient de res, la chose.
Alors tout dépend de ce que l'on veut dire et dans quel contexte on emploie le mot.
On peut très bien dire que l'ombre de l'illusion d'optique est réelle, dans le sens où je vois bien effectivement cette ombre. Mais on peut aussi dire dans un autre sens du mot réel qu'elle n'est pas réelle, qu'elle est purement imaginaire.
Est-ce une chose ?
Tout dépend de ce qu'on appelle une chose.
J'aurais tendance à dire que l'ombre illusoire n'est pas une chose réelle.
Mais cela signifie qu'on distingue l'apparence de la chose.
L'ombre apparente n'est pas réellement là.
Pourtant je continue de la voir même en sachant qu'elle n'est pas là.
Elle est donc là en apparence est absente en réalité.
Ce qui signifie que le réel est un savoir de l'apparence qui a été testée et redéfinie.
Mais d'un point de vue ontologique, cette question de la vérité de l'ombre ne se pose pas encore. Le vrai et le faux ne sont possibles que dans un énoncé théorique sur la nature des choses. Dire que cette ombre est fausse, cela a un sens d'un point de vue intellectuel, car c'est la meilleure représentation que l'on puisse se faire de la non-choséité de l'ombre. Cette représentation est exacte mais l'illusion existe pour nous, elle n'est pas rien. Au niveau ontologique les illusions sont. Je n'ai pas tellement de mots pour dire ce qu'elles sont alors me viennent spontanément les mots "chose", "réel", "étant", qui ne sont peut-être pas appropriés. On pourrait dire phénomène.
L'exemple de l'attente trompée ou de l'illusion de l'animal qu'on croyait voir est plus parlant car il montre qu'on agit et réagit en fonction de ces illusions. Or, le niveau ontologique se situe dans la praxis et non dans la théorie. Du moins, la théorie est une praxis mais qui cherche dans le monde ce qui est vrai ou faux dans son discours au risque d'oublier le phénomène premier et de se concentrer uniquement sur la détermination implicite qu'elle a déjà fait de celui-ci. Le monde devient du réel (si on accepte le réel comme ce qui a été correctement déterminé dans un discours théorique).
Il faut plutôt saisir l'esprit que la lettre de ces textes.
1) Le monde est-il, ou peut-il être, l'ensemble des possibles ?
Au sens que vous donnez de Black Miror, je ne sais pas, car ce possible là est celui qui arrivera peut-être ou n'arrivera pas. Il est déjà le possible d'un étant-là-devant qui peut ou non se réaliser. Or, le Dasein est son possible dans un sens existantial. Il tend la main pour se saisir de la poignée de la porte pour aller rejoindre des amis etc. Ce possible est déjà une mise en route effective dans le présent. Et même s'il ne se réalisait pas, il ne serait pas rien. Par exemple, si je me trompais de jour pour rejoindre mes amis, j'aurais tout de même fait le trajet pour les rejoindre.
2) Alors s'il existe un autre être-au-monde qui soit insensible aux illusions d'optique, quel est-il ?
Je pense que ce serait un autre être-au-monde tout simplement et les animaux en sont des exemples, sans parler des illusions d'optique, ils ont un rapport différent au monde.
3) Mais alors l'illusion d'optique n'est plus elle-même possible, elle n'a plus de réalité positive, ce qui est faux factivement parlant.
Si on pense qu'une illusion d'optique est fausse et elle l'est d'une certaine manière, puisqu'on peut prouver en masquant la tasse par exemple que l'ombre n'existait pas "réellement", pourtant le fait de voir cette ombre est une réalité pour nous : si on enlève le cache, l'ombre réapparait.
Comme le soleil qui continue de se lever dans le ciel même si on sait que c'est la terre qui tourne sur elle-même.
4) En relisant mes textes, je reconnais que mon emploi du mot "réel" est flottant. Réel n'a pas de définition très claire. Il vient de res, la chose.
Alors tout dépend de ce que l'on veut dire et dans quel contexte on emploie le mot.
On peut très bien dire que l'ombre de l'illusion d'optique est réelle, dans le sens où je vois bien effectivement cette ombre. Mais on peut aussi dire dans un autre sens du mot réel qu'elle n'est pas réelle, qu'elle est purement imaginaire.
Est-ce une chose ?
Tout dépend de ce qu'on appelle une chose.
J'aurais tendance à dire que l'ombre illusoire n'est pas une chose réelle.
Mais cela signifie qu'on distingue l'apparence de la chose.
L'ombre apparente n'est pas réellement là.
Pourtant je continue de la voir même en sachant qu'elle n'est pas là.
Elle est donc là en apparence est absente en réalité.
Ce qui signifie que le réel est un savoir de l'apparence qui a été testée et redéfinie.
Mais d'un point de vue ontologique, cette question de la vérité de l'ombre ne se pose pas encore. Le vrai et le faux ne sont possibles que dans un énoncé théorique sur la nature des choses. Dire que cette ombre est fausse, cela a un sens d'un point de vue intellectuel, car c'est la meilleure représentation que l'on puisse se faire de la non-choséité de l'ombre. Cette représentation est exacte mais l'illusion existe pour nous, elle n'est pas rien. Au niveau ontologique les illusions sont. Je n'ai pas tellement de mots pour dire ce qu'elles sont alors me viennent spontanément les mots "chose", "réel", "étant", qui ne sont peut-être pas appropriés. On pourrait dire phénomène.
L'exemple de l'attente trompée ou de l'illusion de l'animal qu'on croyait voir est plus parlant car il montre qu'on agit et réagit en fonction de ces illusions. Or, le niveau ontologique se situe dans la praxis et non dans la théorie. Du moins, la théorie est une praxis mais qui cherche dans le monde ce qui est vrai ou faux dans son discours au risque d'oublier le phénomène premier et de se concentrer uniquement sur la détermination implicite qu'elle a déjà fait de celui-ci. Le monde devient du réel (si on accepte le réel comme ce qui a été correctement déterminé dans un discours théorique).
Grégor- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 366
Date d'inscription : 14/04/2022
Re: Du langage
Grégor a écrit:Tout dépend de ce qu'on appelle une chose.
Hé oui. Ce n'est pas rien,
C'est même carrément quelque chose,
" Qu'est-ce qu'une chose [i.e. chez Kant et le kantisme] ? ", Martin Heidegger, collection " tel ", Gallimard, 250 pages hors tables et compagnie. Et ? Il n'est pas répondu à la question. Et, pour ceux qui ne l'ont pas lu, un petit " scoop ". On n'a pas non plus la réponse de Martin Heidegger à cette question. Il n'empêche que je recommande vivement cette lecture. J'en ai bien profité.
Quand on a dit le mot " chose ", on a dit que ça est, " que quelque chose est ", ce qui, effectivement, ontologiquement et philosophiquement, constitue une tautologie (la logique dit A=A, etc.).
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neopilina- Digressi(f/ve)
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Date d'inscription : 31/10/2009
Re: Du langage
Mais c'est la définition du possible, cela. Ce qui est possible peut advenir, ou non.1) Le monde est-il, ou peut-il être, l'ensemble des possibles ?
Au sens que vous donnez de Black Miror, je ne sais pas, car ce possible là est celui qui arrivera peut-être ou n'arrivera pas.
Ce ne sont pas des illusions d'optique, cela. Là encore, il faut être au clair sur ce dont on parle.Si on pense qu'une illusion d'optique est fausse et elle l'est d'une certaine manière, puisqu'on peut prouver en masquant la tasse par exemple que l'ombre n'existait pas "réellement", pourtant le fait de voir cette ombre est une réalité pour nous : si on enlève le cache, l'ombre réapparait.
Comme le soleil qui continue de se lever dans le ciel même si on sait que c'est la terre qui tourne sur elle-même.
Par exemple, l'effet auto-cinétique est une illusion. Le mirage dans le désert en est une autre : On croit voir au loin une nappe d'eau, qui semble parfaitement réelle, et pourtant cette eau n'existe pas.
Donc ce n'est pas qu'une illusion est fausse, au sen où une équation mathématique serait fausse ; c'est qu'on croit voir quelque chose qui n'existe pas.
Quelque chose existe, bien sûr : Le soleil, un désert de sable, un système neuro-perceptif. Mais l'illusion est simplement un effet d'optique.
Je suis étonné que ce sujet pose problème : Tant de choses dont nous parlons n'existent pas réellement.
Par exemple, les phénomènes physiques : La vitesse, est-ce que ça existe ? La masse, ça existe ? La solidité, ça existe ? Réellement ?
Et les valeurs ? Le bien, ça existe ? La taille, ça existe ? Réellement ?
Les mathématiques ? 1+1=2, ça existe ? Réellement ?
Que les mots aient un sens, partagé, n'implique pas qu'ils réfèrent tous à des objets réels. Ou bien ?
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Bergame- Persona
- Nombre de messages : 5358
Date d'inscription : 03/09/2007
Re: Du langage
Bergame a écrit:
Je suis étonné que ce sujet pose problème : Tant de choses dont nous parlons n'existent pas réellement.
Par exemple, les phénomènes physiques : La vitesse, est-ce que ça existe ? La masse, ça existe ? La solidité, ça existe ? Réellement ?
Et les valeurs ? Le bien, ça existe ? La taille, ça existe ? Réellement ?
Les mathématiques ? 1+1=2, ça existe ? Réellement ?
Que les mots aient un sens, partagé, n'implique pas qu'ils réfèrent tous à des objets réels. Ou bien ?
Je me permets d'ajouter:
Dieu, ça existe ? Réellement ?
Vanleers- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 4214
Date d'inscription : 15/01/2017
Re: Du langage
à Bergame
ta série de questions laisse à penser qu'il existe de l'irréel.
Parlons donc de l'irréel quel est son mode d'existence?
Tu vas me dire et bien son mode d'existence c'est l'irréel.
L' existence a donc deux modes (et je n'ose dire :d'existence)
Or pour moi l'existence n'a qu'un mode.(univocité)
je vois bien que tu attribues le mot "réel "à ce qui existe (on ne peut faire autrement)
mais à ce qui existe
avant après ou en même temps
mais hors, indépendamment, objectivement dit- on, de la pensée.
La pensée n'est pas désavouée mais elle n'est pas de ce réel là. Peut être d'un autre réel, mais secondaire, moins vrai.
L' existence a donc pour toi plusieurs régimes ou niveaux de réalités.
Certes cela est pensable. Spinoza lui même parle de degré de réalité.
Il reste que pour moi il y a existence à tous les niveaux possibles et imaginables.
Bergame a écrit: Par exemple, les phénomènes physiques : La vitesse, est-ce que ça existe ? La masse, ça existe ? La solidité, ça existe ? Réellement ?
ta série de questions laisse à penser qu'il existe de l'irréel.
Parlons donc de l'irréel quel est son mode d'existence?
Tu vas me dire et bien son mode d'existence c'est l'irréel.
L' existence a donc deux modes (et je n'ose dire :d'existence)
Or pour moi l'existence n'a qu'un mode.(univocité)
je vois bien que tu attribues le mot "réel "à ce qui existe (on ne peut faire autrement)
mais à ce qui existe
avant après ou en même temps
mais hors, indépendamment, objectivement dit- on, de la pensée.
La pensée n'est pas désavouée mais elle n'est pas de ce réel là. Peut être d'un autre réel, mais secondaire, moins vrai.
L' existence a donc pour toi plusieurs régimes ou niveaux de réalités.
Certes cela est pensable. Spinoza lui même parle de degré de réalité.
Il reste que pour moi il y a existence à tous les niveaux possibles et imaginables.
hks- Digressi(f/ve)
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Re: Du langage
1) Mais c'est la définition du possible, cela. Ce qui est possible peut advenir, ou non.
Cette définition du possible est celle d'un étant là-devant. La difficulté avec la pensée de Heidegger c'est qu'elle utilise des mots anciens dans un sens nouveau. Le possible existential n'est pas le possible de la scolastique. Il aurait peut-être fallu inventer de nouveaux mots pour parler le langage de Heidegger mais le langage ordinaire convenait mieux je pense. Je peux faire ceci ou cela, c'est une de mes possibilités, mon possible. Je ne vois pas pourquoi la primauté de la langue reviendrait à l'usage savant de la représentation.
Quand on dit que le possible peut advenir ou non, on ne le définit absolument pas. On dit une banalité, un conseil en vue de se prémunir de l'avenir qui n'est jamais certain. Mais ce n'est pas la façon existentielle d'envisager l'avenir. On prépare sans cesse l'avenir, non pas comme s'il devait arriver ou pas, 50/50, mais parce qu'on a en vue notre possible. Quand j'ouvre la porte j'ai en vue la possibilité de rencontrer des amis. Ce possible me guide, je suis en vue de lui. Donc "je suis" déjà par rapport à ce possible, qu'il se réalise ou non. Cette richesse du possible reste complètement indéterminée dans le possible de la scolastique qui se contente de dire qu'il peut être ou ne pas être.
2) Mais l'illusion est simplement un effet d'optique.
L'illusion est un effet d'optique du point de vue abstrait de quelqu'un qui se met en surplomb de cet effet optique et l'explique conceptuellement. Ce point de vue est juste et salutaire. Mais le fou qui croit que ses os sont de verre, n'en est pas moins disposé craintivement à l'égard du moindre choc pouvant le briser que si ses os étaient vraiment ainsi. Et sa folie existe et elle est un phénomène.
3) Que les mots aient un sens, partagé, n'implique pas qu'ils se réfèrent tous à des objets réels. Ou bien ?
Je n'ai pas tellement réfléchi à ces questions.
Je veux bien tenter ma chance sur une.
1 + 1 = 2
Cela suppose qu'une chose soit identique à une autre. Or, cela ne me semble pas possible d'un point de vue réel. Rien ne vaut rien. Une pomme plus une pomme cela ne peut pas faire deux pommes. Parce que chaque pomme est unique. Pourtant d'une certaine manière bien commode ces deux étants sont identiques. Ils sont différents et identiques. Le pommier qui produit des pommes identiques mais différentes le fait selon certaines lois qui sont celle du vivant élucidé par la théorie génétique. En dehors de la théorie génétique nous avons toujours deux pommes situées en des espaces différents qui les rendent chacune unique.
1 + 1 = 2 n'est donc qu'une formule abstraite qui réunit dans un ensemble des choses diverses (et pourtant similaires par certains aspects).
Mais le mot important de votre phrase était : "partagé".
Que l'on puisse partager une entente du monde est un existantial chez Heidegger.
Ce 1 + 1 = 2 est une manière évidente de partager le monde qui nous entoure.
Qu'il se réfère ou non à quelque chose de réel n'est pas primordial.
Il suffit que l'on ait l'habitude de compter pour oublier le sens même de réalité que l'on peut accorder à de tels calculs.
chaque pomme prise dans un calcul devient une unité indifférenciée.
On peut partager cette unité en part égale : 1/4 de pomme sera toujours identique à un autre quart de pomme, même si dans les faits les parts ne sont pas toujours égales.
Cette idéalisation est vous avez raison en partie hors du réel.
Mais ce n'est pas la même chose qu'une illusion apparente.
L'une est manifeste, l'autre est du côté de la pensée conceptuelle.
D'un point de vue ontologique la différence est importante il me semble.
Parce que l'apparence (si elle n'est que seconde) est tout de même antérieure à l'énoncé théorique.
L'énoncé théorique peut généraliser et créer des concepts de concepts.
Par exemple le rouge qui est un concept du rouge du coucher de soleil, du rouge du sang, du rouge de la coccinelle.
Un tel concept général n'est pas réel mais idéel.
Ce n'est pas du tout mon propos concernant les illusions d'optique.
Elles sont plus concrètes que toute conceptualisation.
Elles sont notre être au monde plus originellement que les discours théoriques que nous pouvons tenir sur les choses.
Cette définition du possible est celle d'un étant là-devant. La difficulté avec la pensée de Heidegger c'est qu'elle utilise des mots anciens dans un sens nouveau. Le possible existential n'est pas le possible de la scolastique. Il aurait peut-être fallu inventer de nouveaux mots pour parler le langage de Heidegger mais le langage ordinaire convenait mieux je pense. Je peux faire ceci ou cela, c'est une de mes possibilités, mon possible. Je ne vois pas pourquoi la primauté de la langue reviendrait à l'usage savant de la représentation.
Quand on dit que le possible peut advenir ou non, on ne le définit absolument pas. On dit une banalité, un conseil en vue de se prémunir de l'avenir qui n'est jamais certain. Mais ce n'est pas la façon existentielle d'envisager l'avenir. On prépare sans cesse l'avenir, non pas comme s'il devait arriver ou pas, 50/50, mais parce qu'on a en vue notre possible. Quand j'ouvre la porte j'ai en vue la possibilité de rencontrer des amis. Ce possible me guide, je suis en vue de lui. Donc "je suis" déjà par rapport à ce possible, qu'il se réalise ou non. Cette richesse du possible reste complètement indéterminée dans le possible de la scolastique qui se contente de dire qu'il peut être ou ne pas être.
2) Mais l'illusion est simplement un effet d'optique.
L'illusion est un effet d'optique du point de vue abstrait de quelqu'un qui se met en surplomb de cet effet optique et l'explique conceptuellement. Ce point de vue est juste et salutaire. Mais le fou qui croit que ses os sont de verre, n'en est pas moins disposé craintivement à l'égard du moindre choc pouvant le briser que si ses os étaient vraiment ainsi. Et sa folie existe et elle est un phénomène.
3) Que les mots aient un sens, partagé, n'implique pas qu'ils se réfèrent tous à des objets réels. Ou bien ?
Je n'ai pas tellement réfléchi à ces questions.
Je veux bien tenter ma chance sur une.
1 + 1 = 2
Cela suppose qu'une chose soit identique à une autre. Or, cela ne me semble pas possible d'un point de vue réel. Rien ne vaut rien. Une pomme plus une pomme cela ne peut pas faire deux pommes. Parce que chaque pomme est unique. Pourtant d'une certaine manière bien commode ces deux étants sont identiques. Ils sont différents et identiques. Le pommier qui produit des pommes identiques mais différentes le fait selon certaines lois qui sont celle du vivant élucidé par la théorie génétique. En dehors de la théorie génétique nous avons toujours deux pommes situées en des espaces différents qui les rendent chacune unique.
1 + 1 = 2 n'est donc qu'une formule abstraite qui réunit dans un ensemble des choses diverses (et pourtant similaires par certains aspects).
Mais le mot important de votre phrase était : "partagé".
Que l'on puisse partager une entente du monde est un existantial chez Heidegger.
Ce 1 + 1 = 2 est une manière évidente de partager le monde qui nous entoure.
Qu'il se réfère ou non à quelque chose de réel n'est pas primordial.
Il suffit que l'on ait l'habitude de compter pour oublier le sens même de réalité que l'on peut accorder à de tels calculs.
chaque pomme prise dans un calcul devient une unité indifférenciée.
On peut partager cette unité en part égale : 1/4 de pomme sera toujours identique à un autre quart de pomme, même si dans les faits les parts ne sont pas toujours égales.
Cette idéalisation est vous avez raison en partie hors du réel.
Mais ce n'est pas la même chose qu'une illusion apparente.
L'une est manifeste, l'autre est du côté de la pensée conceptuelle.
D'un point de vue ontologique la différence est importante il me semble.
Parce que l'apparence (si elle n'est que seconde) est tout de même antérieure à l'énoncé théorique.
L'énoncé théorique peut généraliser et créer des concepts de concepts.
Par exemple le rouge qui est un concept du rouge du coucher de soleil, du rouge du sang, du rouge de la coccinelle.
Un tel concept général n'est pas réel mais idéel.
Ce n'est pas du tout mon propos concernant les illusions d'optique.
Elles sont plus concrètes que toute conceptualisation.
Elles sont notre être au monde plus originellement que les discours théoriques que nous pouvons tenir sur les choses.
Grégor- Digressi(f/ve)
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Re: Du langage
Bien sûr ! C'est même sans doute le sujet central de toutes ces discussions.Vanleers a écrit:Je me permets d'ajouter:
Dieu, ça existe ? Réellement ?
Plusieurs degrés de réalité, plusieurs "mondes" comme le proposait par exemple Popper, plusieurs "modes d'existence" ou de "régions de l'être", cela semble un peu plus prometteur.Hks a écrit:L' existence a donc pour toi plusieurs régimes ou niveaux de réalités.
Certes cela est pensable. Spinoza lui même parle de degré de réalité.
Il reste que pour moi il y a existence à tous les niveaux possibles et imaginables.
Ce qui signifie du discontinu, non ?
Belle élucidation. Nous sommes donc d'accord. Il est évident que les équations mathématiques ne peuvent pas "exister" -si on garde cette notion- au même titre que le clavier sur lequel je suis en train de taper "existe".Gregor a écrit:1 + 1 = 2
Cela suppose qu'une chose soit identique à une autre. Or, cela ne me semble pas possible d'un point de vue réel. Rien ne vaut rien. Une pomme plus une pomme cela ne peut pas faire deux pommes. Parce que chaque pomme est unique. Pourtant d'une certaine manière bien commode ces deux étants sont identiques. Ils sont différents et identiques. Le pommier qui produit des pommes identiques mais différentes le fait selon certaines lois qui sont celle du vivant élucidé par la théorie génétique. En dehors de la théorie génétique nous avons toujours deux pommes situées en des espaces différents qui les rendent chacune unique.
1 + 1 = 2 n'est donc qu'une formule abstraite qui réunit dans un ensemble des choses diverses (et pourtant similaires par certains aspects).
Mais qu'est-ce que les mathématiques ? Un langage, un ensemble de symboles, qui réfèrent à des concepts. Donc est-ce que les symboles existent comme ce clavier, réellement ? Est-ce que les concepts existent comme ce clavier, réellement ?
Dire qu'à partir du moment où j'utilise un mot, je suis en train de donner de la réalité à une chose, c'est simplement tomber dans le piège du langage.
Ou, autrement dit : C'est (prétendre) faire de la magie.
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Bergame- Persona
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Re: Du langage
Oui Bergame je suis d'accord avec le fait que le mot ne donne pas de réalité à une chose.
Et vous avez raison, voir une illusion d'optique ne donne pas de réalité à une chose non plus.
Votre argument est habile.
Mais peut-être que le niveau ontologique n'est pas encore celui des mots et des choses.
Parce que les mots et les illusions d'optique sont du côté du sujet (dans son cerveau) et la chose est du côté de l'objet.
Mais le niveau ontologique n'est pas encore situé dans cette séparation sujet / objet.
Alors l'illusion d'optique, à ce niveau, n'est que vécue.
Sitôt qu'on la situe dans un sujet, au niveau de sa perception vis-à-vis d'une chose (objet), alors on perd de vue le phénomène d'être-au-monde.
L'explication de l'illusion d'optique située dans un sujet vis-à-vis du monde n'est pas fausse, elle est même exacte.
Mais cette exactitude perd de vue le phénomène du monde.
De même les mots sont des utilisables au sein du monde selon Heidegger.
Ils sont co-originaires de l'entendre et de la disposibilité.
Mais Heidegger voit déjà le langage comme un acte de langage (Austin).
C'est d'abord un moyen d'interagir avec les autres, de donner des ordres, de formuler des demandes, de nommer quelque chose à faire passer, à aller chercher, à éviter etc.
Ce n'est pas encore une langue que l'on rencontre là-devant et que l'on peut analyser.
Dans une telle analyse le langage se réfère au monde avec la possibilité de s'en abstraire en créant des concepts de concepts.
Mais existentialement le langage est un utilisable, une possibilité d'interagir avec les autres que l'on rencontre au sein du monde.
Cela ne signifie pas et vous avez raison de le dire, que les mots sont réels.
Mais ils sont des étants utilisables au sein du monde, dans l'ouverture première du Dasein. Ils sont extérieurs à cette ouverture, qui n'a pas d'intériorité.
La réalité est un jugement second où les utilisables sont arrachés au monde pour être resitués dans un sujet qui fait face au monde.
Et vous avez raison, voir une illusion d'optique ne donne pas de réalité à une chose non plus.
Votre argument est habile.
Mais peut-être que le niveau ontologique n'est pas encore celui des mots et des choses.
Parce que les mots et les illusions d'optique sont du côté du sujet (dans son cerveau) et la chose est du côté de l'objet.
Mais le niveau ontologique n'est pas encore situé dans cette séparation sujet / objet.
Alors l'illusion d'optique, à ce niveau, n'est que vécue.
Sitôt qu'on la situe dans un sujet, au niveau de sa perception vis-à-vis d'une chose (objet), alors on perd de vue le phénomène d'être-au-monde.
L'explication de l'illusion d'optique située dans un sujet vis-à-vis du monde n'est pas fausse, elle est même exacte.
Mais cette exactitude perd de vue le phénomène du monde.
De même les mots sont des utilisables au sein du monde selon Heidegger.
Ils sont co-originaires de l'entendre et de la disposibilité.
Mais Heidegger voit déjà le langage comme un acte de langage (Austin).
C'est d'abord un moyen d'interagir avec les autres, de donner des ordres, de formuler des demandes, de nommer quelque chose à faire passer, à aller chercher, à éviter etc.
Ce n'est pas encore une langue que l'on rencontre là-devant et que l'on peut analyser.
Dans une telle analyse le langage se réfère au monde avec la possibilité de s'en abstraire en créant des concepts de concepts.
Mais existentialement le langage est un utilisable, une possibilité d'interagir avec les autres que l'on rencontre au sein du monde.
Cela ne signifie pas et vous avez raison de le dire, que les mots sont réels.
Mais ils sont des étants utilisables au sein du monde, dans l'ouverture première du Dasein. Ils sont extérieurs à cette ouverture, qui n'a pas d'intériorité.
La réalité est un jugement second où les utilisables sont arrachés au monde pour être resitués dans un sujet qui fait face au monde.
Grégor- Digressi(f/ve)
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Re: Du langage
À propos du concept de chose, j'avais écrit ce texte d'inspiration hégélienne, qui n'entre pas tellement dans la problématique existentiale mais qui me semble intéressant en ce que la chose n'est pas prise isolément mais dans un tout (on pourrait éventuellement rapprocher cette totalité de significations de la significativité chez Heidegger, même si chez Hegel elle est du côté du concept et du logos alors que chez Heidegger elle est du côté de l'existence et de l'être-au-monde :
Qu’est-ce qu’une chose ?
« Je ne me borne pas à accueillir de façon passive les sensations qui se donnent à moi, mais je les articule en les soumettant à la loi du même, je fais que ces sensations se transforment en perception d’une chose. »
(Il faudrait rapprocher cette phrase de Hegel des analyses de Granel dans ses cours sur Kant et Descartes de la perception)
Hegel, dans la première partie de sa Phénoménologie de l’Esprit, traitait des sensations, c’est-à-dire, de la pure impression sensible dénuée de forme, de limites, de différences et donc d’identité.
(c'est justement cette pure sensation qui n'existe pas pour Granel)
Mais nous sommes passés à la chose, au niveau de la perception. Ces sensations sont articulées et soumises à la loi du même. Une chose, est-ce que cela signifie une chose identique à d’autres choses du même nom et différente de celles dont le nom diffère ?
Ici, nous voyons que ce qui a submergé la pure sensation, à savoir, le langage, est devenu prépondérant, puisque la chose, c’est en définitive son nom. Un nom qui réunit en lui les diverses sensations.
Ces sensations sont-elles le moyen terme entre la chose insaisissable et nous qui percevons ces sensations ?
Quel est ce principe d’unité de la chose ? Est-ce seulement pour nous que ces sensations se rassemblent en un tout, ou bien est-ce, au contraire, seulement pour nous, que la chose unie se disperse en sensations diverses ?
Ce dilemme nous dépasse, mais sans doute que le principe d’unité des choses est formé par notre esprit d’après le même principe d’unité qui gouvernent la Nature. Le langage œuvre à la fois dans le monde et dans notre esprit.
Nous voyons, avec la chose, surgir l’universel : par le langage l’expérience du sujet devient universelle.
« Une chose est au-delà des qualités sensibles. La chose elle-même, est ce à quoi toutes ces qualités s’identifient mais que je n’appréhende jamais par mes sens. »
Que signifie cette identification des qualités sensibles à la chose ?
La chose, universelle, est renvoyée à des propriétés sensibles, qui se trouvent réunies dans cette chose universelle.
Le sel par exemple est un et multiple.
Il possède diverses qualités sensibles par lesquelles on l’appréhende.
Mais en même temps on dit « le sel », on prend « du sel », on fait passer « le sel ».
On désigne donc ces diverses qualités sensibles par un seul nom universel et qui ne se réduit à aucune de ses qualités sensibles : le sel n’est pas le blanc.
Les qualités sensibles de la chose, par exemple, le blanc du sel, sont universelles et singulières. Ce n’est plus la pure impression muette de la certitude sensible.
La certitude a basculé dans l’élément de la Vérité, du logos.
Mais en même temps ces qualités sensibles nous affectent, c’est là leur singularité. Elles ne sont pas purement universelles comme l’est la chose.
La question que semble poser Hegel est celle de l’identité et de la différence.
Les qualités sensibles de la chose lui sont propres et définissent son identité. Et en même temps elles l’opposent aux autres choses, par exemple, le blanc du sel l’oppose au noir du poivre. Elles peuvent aussi l’identifier à autre chose : la neige est aussi blanche par exemple.
Mais seul le sel réunit toutes ses qualités sensibles en lui-même. Il est une sorte de tout.
Cependant cette totalité du sel s’effondre en ce qu’il est essentiellement rapport aux autres choses. Sur le plan de l’essence, comme sur celui de l’existence, le sel est totalement déterminé par son rapport aux autres choses du monde.
Son pour-soi, qui le séparait et l’isolait des autres choses, ne pouvait pas le définir et son unité, son identité reposait faussement sur ce sujet séparé des autres choses. Au contraire c’est son être-pour-les-autres-choses qui se révèle être essentiel à son identité. Ce qu’il n’est pas, définit aussi ce qu’il est.
Sans identité il n’est pas de différence et réciproquement. Donc l’identité et la différence sont dépendantes l’une de l’autre et ne peuvent s’opposer en supprimant l’autre.
La véritable identité est celle du tout, l’identité des différences.
Voilà pourquoi la chose explose : elle s’oppose aux autres et exclut toute différence.
Elle est donc une totalité de différences (ses diverses qualités sensibles), une identité de différences et en même temps une différence dans une unité plus large, celle de la totalité des choses dont elle fait partie et qui s’exprime dans son être-pour-les-autres-choses, parmi lesquelles choses, se trouve la conscience humaine. Cette conscience humaine est affectée par ces qualités sensibles et recompose l’unité de la chose dans sa différence avec les autres choses. Ainsi nous distinguons le sel du sucre, par exemple.
Mais cette totalité concrète, ce Concept, n’est plus seulement au niveau de la chose, il conçoit aussi la force (ou la loi) qui s’exerce entre les choses, la manière dont chaque chose agit et réagit avec toutes les autres choses.
La force n’exclut pas les choses, ce qui serait tout aussi stupide, mais elle les articule. Ce qui est exclu c’est l’exclusion de la chose des autres choses.
Ce qui est nié, c’est l’identité de la chose qui se poserait en niant la différence.
Qu’est-ce qu’une chose ?
« Je ne me borne pas à accueillir de façon passive les sensations qui se donnent à moi, mais je les articule en les soumettant à la loi du même, je fais que ces sensations se transforment en perception d’une chose. »
(Il faudrait rapprocher cette phrase de Hegel des analyses de Granel dans ses cours sur Kant et Descartes de la perception)
Hegel, dans la première partie de sa Phénoménologie de l’Esprit, traitait des sensations, c’est-à-dire, de la pure impression sensible dénuée de forme, de limites, de différences et donc d’identité.
(c'est justement cette pure sensation qui n'existe pas pour Granel)
Mais nous sommes passés à la chose, au niveau de la perception. Ces sensations sont articulées et soumises à la loi du même. Une chose, est-ce que cela signifie une chose identique à d’autres choses du même nom et différente de celles dont le nom diffère ?
Ici, nous voyons que ce qui a submergé la pure sensation, à savoir, le langage, est devenu prépondérant, puisque la chose, c’est en définitive son nom. Un nom qui réunit en lui les diverses sensations.
Ces sensations sont-elles le moyen terme entre la chose insaisissable et nous qui percevons ces sensations ?
Quel est ce principe d’unité de la chose ? Est-ce seulement pour nous que ces sensations se rassemblent en un tout, ou bien est-ce, au contraire, seulement pour nous, que la chose unie se disperse en sensations diverses ?
Ce dilemme nous dépasse, mais sans doute que le principe d’unité des choses est formé par notre esprit d’après le même principe d’unité qui gouvernent la Nature. Le langage œuvre à la fois dans le monde et dans notre esprit.
Nous voyons, avec la chose, surgir l’universel : par le langage l’expérience du sujet devient universelle.
« Une chose est au-delà des qualités sensibles. La chose elle-même, est ce à quoi toutes ces qualités s’identifient mais que je n’appréhende jamais par mes sens. »
Que signifie cette identification des qualités sensibles à la chose ?
La chose, universelle, est renvoyée à des propriétés sensibles, qui se trouvent réunies dans cette chose universelle.
Le sel par exemple est un et multiple.
Il possède diverses qualités sensibles par lesquelles on l’appréhende.
Mais en même temps on dit « le sel », on prend « du sel », on fait passer « le sel ».
On désigne donc ces diverses qualités sensibles par un seul nom universel et qui ne se réduit à aucune de ses qualités sensibles : le sel n’est pas le blanc.
Les qualités sensibles de la chose, par exemple, le blanc du sel, sont universelles et singulières. Ce n’est plus la pure impression muette de la certitude sensible.
La certitude a basculé dans l’élément de la Vérité, du logos.
Mais en même temps ces qualités sensibles nous affectent, c’est là leur singularité. Elles ne sont pas purement universelles comme l’est la chose.
La question que semble poser Hegel est celle de l’identité et de la différence.
Les qualités sensibles de la chose lui sont propres et définissent son identité. Et en même temps elles l’opposent aux autres choses, par exemple, le blanc du sel l’oppose au noir du poivre. Elles peuvent aussi l’identifier à autre chose : la neige est aussi blanche par exemple.
Mais seul le sel réunit toutes ses qualités sensibles en lui-même. Il est une sorte de tout.
Cependant cette totalité du sel s’effondre en ce qu’il est essentiellement rapport aux autres choses. Sur le plan de l’essence, comme sur celui de l’existence, le sel est totalement déterminé par son rapport aux autres choses du monde.
Son pour-soi, qui le séparait et l’isolait des autres choses, ne pouvait pas le définir et son unité, son identité reposait faussement sur ce sujet séparé des autres choses. Au contraire c’est son être-pour-les-autres-choses qui se révèle être essentiel à son identité. Ce qu’il n’est pas, définit aussi ce qu’il est.
Sans identité il n’est pas de différence et réciproquement. Donc l’identité et la différence sont dépendantes l’une de l’autre et ne peuvent s’opposer en supprimant l’autre.
La véritable identité est celle du tout, l’identité des différences.
Voilà pourquoi la chose explose : elle s’oppose aux autres et exclut toute différence.
Elle est donc une totalité de différences (ses diverses qualités sensibles), une identité de différences et en même temps une différence dans une unité plus large, celle de la totalité des choses dont elle fait partie et qui s’exprime dans son être-pour-les-autres-choses, parmi lesquelles choses, se trouve la conscience humaine. Cette conscience humaine est affectée par ces qualités sensibles et recompose l’unité de la chose dans sa différence avec les autres choses. Ainsi nous distinguons le sel du sucre, par exemple.
Mais cette totalité concrète, ce Concept, n’est plus seulement au niveau de la chose, il conçoit aussi la force (ou la loi) qui s’exerce entre les choses, la manière dont chaque chose agit et réagit avec toutes les autres choses.
La force n’exclut pas les choses, ce qui serait tout aussi stupide, mais elle les articule. Ce qui est exclu c’est l’exclusion de la chose des autres choses.
Ce qui est nié, c’est l’identité de la chose qui se poserait en niant la différence.
Grégor- Digressi(f/ve)
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Re: Du langage
Bergame a écrit:Dire qu'à partir du moment où j'utilise un mot, je suis en train de donner de la réalité à une chose, c'est simplement tomber dans le piège du langage.
Ce n'est pas rare, c'est un risque fréquent. Mais dés le moment où on nomme, on a entériné une réalité minimale, " c'est ", ontologique. A contrario, tout à fait, ça ne préjuge en rien de la réalité en question, du " qu'est-ce que c'est ", etc., qui viennent ensuite. Avant même d'examiner le caractère réductif du mot, du signe, il y a une réduction fondamentale, dans la saisie, la perception-réduction Idéalisante (c'est bien le percevant qui génère une essence, correcte ou pas, c'est ultérieur, à voir, etc.). Quand par une expérience j'entérine un " c'est " pour, par, via, moi, nous savons tous très bien que ce n'est qu'un début, qui peut être trompeur, idem, pour les mots ou les signes qui viennent ensuite. Si je dis " mammouths violets ", j'ai entériné la réalité de la chose. Tu peux dire tout ce que tu veux a posteriori (et moi aussi, je m'y connais en mammouths), sur cette réalité, ça n'y changera absolument rien.
Je peux écrire " Non-Être ", au moins comme ça, c'est. Donc ? Donc, le Non-Être absolument tel n'est pas (i.e. en tant que tel). Et je ne suis pas tombé dans le piège du langage.
hks a écrit:Il reste que pour moi il y a existence à tous les niveaux possibles et imaginables.
Et hks comprend très bien qu'on est dans la recherche du minimum, inaugural, condition sine qua non à toute suite, alors que tous les autres s'élancent en avant, sont déjà dans " l'ensuite ", comme on l'a toujours fait, ce qui s'est toujours avéré préjudiciable. Et on a des philosophies en lévitation, qui courent désespérément en dernier lieu à ce qui a été négligé en premier lieu (un exemple au hasard, nan, je déconne " la chose en soi " de Kant).
Édité.
Dernière édition par neopilina le Sam 24 Fév 2024 - 17:48, édité 2 fois
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" Tout Étant produit par moi m'est donné (c'est son statut philosophique), a priori, et il est Mien (cogito, conscience de Soi, libéré du Poêle) ". " Savoir guérit, forge. Et détruit tout ce qui doit l'être ", ou, équivalents, " Tout l'Inadvertancier constitutif doit disparaître ", " Le progrès, c'est la liquidation du Sujet empirique, notoirement névrotique, par la connaissance ". " Il faut régresser et recommencer, en conscience ". Moi.
C'est à pas de colombes que les Déesses s'avancent.
neopilina- Digressi(f/ve)
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Re: Du langage
Bergame a écrit:Bien sûr ! C'est même sans doute le sujet central de toutes ces discussions.Vanleers a écrit:Je me permets d'ajouter:
Dieu, ça existe ? Réellement ?
La réponse à cette question n’a pas beaucoup d’importance.
La question qui m’intéresse, ici, est : « Quel effet cela fait-il de croire en Dieu ? »
Sur le modèle de la célèbre question de Thomas Nagel : « Quel effet cela fait-il d’être une chauve-souris ? (What is it like to be a bat ?) »
Il s’agit d’une expérience en première personne mais communicable car spécifique à l’être humain.
wikipédia a écrit:L’expérience en « première personne » (celle du moi ou de l’individu qui peut dire « je » sens, « je » vois etc.) est caractérisée par une immersion dans un univers mental particulier dont fait abstraction le point de vue objectif sur le monde, celui des sciences, manquant ainsi une dimension essentielle du monde, celle du monde « phénoménal ».
[...]
Notre point de vue particulier sur le monde ne se limite pas, selon Nagel, à un point de vue singulier ou à une expérience subjective à caractère privé. Au contraire, il constitue une perspective « spécifique » sur le monde, relative à un type d’organisme vivant. Il est, en ce sens, constitutif de l'intersubjectivité à l'intérieur d'une espèce animale donnée.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Quel_effet_cela_fait-il_d%27%C3%AAtre_une_chauve-souris_%3F
Si l’expérience de croire en Dieu a pour effet d’apporter joie et libération, je ne demande rien de plus et invite simplement chacun à tenter cette expérience, si cela lui chante.
Vanleers- Digressi(f/ve)
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Re: Du langage
Admettons, mais qu'est-ce que c'est, exactement, que le "phénomène du monde" ? Et en quoi serait-il indésirable de le perdre de vue ?Grégor a écrit:L'explication de l'illusion d'optique située dans un sujet vis-à-vis du monde n'est pas fausse, elle est même exacte.
Mais cette exactitude perd de vue le phénomène du monde.
Si je comprends bien :Cela ne signifie pas et vous avez raison de le dire, que les mots sont réels.
Mais ils sont des étants utilisables au sein du monde, dans l'ouverture première du Dasein. Ils sont extérieurs à cette ouverture, qui n'a pas d'intériorité.
Tu définis le sujet comme un "être-au-monde" et un "Dasein" (je cite les deux notions puisque je ne suis pas certain qu'elles soient équivalentes, mais je ne suis pas spécialiste, admettons).
Et tu affirmes que le langage est là, d'emblée, au même sens que le sujet est un Dasein.
Si mon interprétation a un peu de sens, elle soulève à mon avis une difficulté : Tu es en train de déterminer le Dasein. Tu es au moins en train de dire que c'est un être de langage.
Est-ce que le langage est là, d'emblée ? Je ne sais pas. Pour moi, il y a quelque chose avant le langage. Le langage est, à mon sens, une mise en forme de ce quelque chose. Le Logos, en particulier, est une mise en forme -et lorsque Heidegger parle du langage, il me semble qu'il parle du Logos.
Mais si je suis cohérent, dire que les mots sont une mise en forme, il me semble que c'est leur accorder un statut d'étant. Il y a des mots, dont le sens est plus ou moins partagé, au sein d'une communauté linguistique. D'accord. Et lorsque nous mettons en forme, nous produisons une idée et éventuellement un acte de langage. D'accord aussi. Mais là, nous ne sommes plus du tout dans la perception, nous sommes dans la cognition, une activité intellectuelle pour ainsi dire.
Si je devais distinguer, je dirais que la perception se situe du côté de ce "quelque chose" avant la mise en forme par le langage. Il y a à mon sens un matériau brut, qui nous est transmis par nos sens, et qui engendre potentiellement des réactions de notre organisme, des adaptations de notre comportement, c'est-à-dire des actions en somme, qui ne doivent rien au langage ni à quelque mise en forme cognitive que ce soit. Le "psychologue" appelle cela des réflexes, voire des heuristiques.
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Bergame- Persona
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Re: Du langage
Voila ! (je réagis à tes deux textes l'un après l'autre) :
Et même si Husserl, par exemple, prétend refonder la phénoménologie, on retrouve ce même geste originel puisque, s'il y a quelque chose qui rassemble ce courant philosophique par ailleurs très divers, c'est le concept de "conscience". Avec la notion d''intentionnalité', la phénoménologie s'est développée à partir d'une représentation de l'homme comme conscient. Et tout ce qui n'entre pas dans le champ de la conscience est remisé dans ce que les phénoménologues appellent parfois le "métaconscient", supposé être, selon eux, inaccessible à l'analyse.
Ton texte est pour moi très intéressant, parce que, à mon (très !) humble avis, tu as remarquablement identifié et compris l'articulation entre les différents topoï qui fondent ce qu'on appelle aujourd'hui "la philosophie".
Par exemple :
Parce que la science, toute science, est analytique : Elle circonscrit un champ, elle explicite ses présupposés, elle expose une méthode, elle parvient (éventuellement) à des résultats partiels et conditionnels, etc. S'il y a une connaissance propre et possible pour la philosophie, c'est celle de l'universel. Et c'est bien ainsi que, par exemple, Husserl prétendait faire de la philosophie (systématiquement révisée en phénoménologie) la science première, condition de la fondation des autres.
Or, le problème, c'est qu'il faut alors identifier un ou des caractères universels de l'Homme (avec un H majuscule) qui puisse constituer l'objet de cette connaissance.
Les "philosophes" les plus... naïfs prétendent ériger au rang d'universel des attributs qui leur semblent désirables : La bonté, la générosité, la tolérance, la liberté, etc. Je les appelle des "Humanistes".
Les plus sérieux, et se rappelant que leur discipline s'inscrit dans une histoire, invoquent le langage ou la raison (en somme, le Logos). "L'Homme est un être de langage" ou "l'Homme est un être de raison" et voila que la philosophie possède son champ et son objet en propre (ainsi que, disons-le, sa légitimité).
Réponse ?
Avant les opérations cognitives, intellectuelles (appelons-les comme tu veux) qui vont recomposer l'unité de la chose, retrouver son universel si tu veux, il y a une phase de perception des qualités sensibles de l'objet. Manifestement, nous en sommes (au fond) d'accord.
Ce qui reste en suspens dans ton texte, c'est : Est-ce que cette fonction de perception est assurée par la conscience ? Je le reformule : Est-ce que notre perception de l'ensemble des stimuli qui proviennent à chaque instant de notre environnement et nous affectent à un degré ou à un autre est, et est uniquement, consciente ?
Qu'en penses-tu, toi ?
Effectivement, tu as bien identifié mon désaccord. Il y a chez Hegel en particulier un, comment dire, une "trivialisation" de l'empirie qui est remarquable. Je ne vais pas à nouveau renvoyer à mon étude sur la critique de Kant par Hegel, mais c'est exactement ce que j'y pointe, et c'est la raison pour laquelle je conteste que Hegel dépasse Kant -comme il le prétend- et la phénoménologie avec lui. Hegel ne dépasse pas Kant : Il prend une autre voie. Mais une voie qui l'amène à un idéalisme, certes extrêmement intéressant (y compris pour un "psychologue" !) mais qui a largué les amarres vis-à-vis de l'empirie. En témoigne sa "Naturphilosophie" qui confine à l'absurde.Grégor a écrit:« Je ne me borne pas à accueillir de façon passive les sensations qui se donnent à moi, mais je les articule en les soumettant à la loi du même, je fais que ces sensations se transforment en perception d’une chose. »
(Il faudrait rapprocher cette phrase de Hegel des analyses de Granel dans ses cours sur Kant et Descartes de la perception)
Hegel, dans la première partie de sa Phénoménologie de l’Esprit, traitait des sensations, c’est-à-dire, de la pure impression sensible dénuée de forme, de limites, de différences et donc d’identité.
(c'est justement cette pure sensation qui n'existe pas pour Granel)
Et même si Husserl, par exemple, prétend refonder la phénoménologie, on retrouve ce même geste originel puisque, s'il y a quelque chose qui rassemble ce courant philosophique par ailleurs très divers, c'est le concept de "conscience". Avec la notion d''intentionnalité', la phénoménologie s'est développée à partir d'une représentation de l'homme comme conscient. Et tout ce qui n'entre pas dans le champ de la conscience est remisé dans ce que les phénoménologues appellent parfois le "métaconscient", supposé être, selon eux, inaccessible à l'analyse.
Ton texte est pour moi très intéressant, parce que, à mon (très !) humble avis, tu as remarquablement identifié et compris l'articulation entre les différents topoï qui fondent ce qu'on appelle aujourd'hui "la philosophie".
Par exemple :
Exactement. Dans une autre discussion, il y a longtemps, dans laquelle je comparais disons "le geste" du psychologue avec "le geste" du phénoménologue, je disais que l'universel n'est pas seulement un topos pour le philosophe, c'est la condition épistémologique de la philosophie, c'est-à-dire la condition à laquelle la philosophie peut prétendre à produire quelque connaissance que ce soit.Nous voyons, avec la chose, surgir l’universel : par le langage l’expérience du sujet devient universelle.
Parce que la science, toute science, est analytique : Elle circonscrit un champ, elle explicite ses présupposés, elle expose une méthode, elle parvient (éventuellement) à des résultats partiels et conditionnels, etc. S'il y a une connaissance propre et possible pour la philosophie, c'est celle de l'universel. Et c'est bien ainsi que, par exemple, Husserl prétendait faire de la philosophie (systématiquement révisée en phénoménologie) la science première, condition de la fondation des autres.
Or, le problème, c'est qu'il faut alors identifier un ou des caractères universels de l'Homme (avec un H majuscule) qui puisse constituer l'objet de cette connaissance.
Les "philosophes" les plus... naïfs prétendent ériger au rang d'universel des attributs qui leur semblent désirables : La bonté, la générosité, la tolérance, la liberté, etc. Je les appelle des "Humanistes".
Les plus sérieux, et se rappelant que leur discipline s'inscrit dans une histoire, invoquent le langage ou la raison (en somme, le Logos). "L'Homme est un être de langage" ou "l'Homme est un être de raison" et voila que la philosophie possède son champ et son objet en propre (ainsi que, disons-le, sa légitimité).
Et si nous ne pouvons l'appréhender par nos sens, comment l'appréhendons-nous donc ?« Une chose est au-delà des qualités sensibles. La chose elle-même, est ce à quoi toutes ces qualités s’identifient mais que je n’appréhende jamais par mes sens. »
Réponse ?
C'est donc la conscience qui est "affectée" par les "qualités sensibles" de la chose. "Affectée". Dis-moi : Est-ce que ce terme n'induirait pas une nuance de passivité, de réceptivité ?Cette conscience humaine est affectée par ces qualités sensibles et recompose l’unité de la chose dans sa différence avec les autres choses.
[...]
Mais cette totalité concrète, ce Concept, n’est plus seulement au niveau de la chose, il conçoit aussi la force (ou la loi) qui s’exerce entre les choses, la manière dont chaque chose agit et réagit avec toutes les autres choses.
Avant les opérations cognitives, intellectuelles (appelons-les comme tu veux) qui vont recomposer l'unité de la chose, retrouver son universel si tu veux, il y a une phase de perception des qualités sensibles de l'objet. Manifestement, nous en sommes (au fond) d'accord.
Ce qui reste en suspens dans ton texte, c'est : Est-ce que cette fonction de perception est assurée par la conscience ? Je le reformule : Est-ce que notre perception de l'ensemble des stimuli qui proviennent à chaque instant de notre environnement et nous affectent à un degré ou à un autre est, et est uniquement, consciente ?
Qu'en penses-tu, toi ?
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Bergame- Persona
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Date d'inscription : 03/09/2007
Re: Du langage
Bonjour Bergame,
Les déterminations que l'on fait du Dasein ne sont pas des déterminations ontiques (des propriétés d'un étant-là-devant) elles sont existentiales : ontologiques. Voilà pourquoi je parle d'actes de langage prioritairement et non de discours théoriques sur la nature des choses.
Si je demande par exemple à un ami de me faire passer le sel, je ne suis pas encore en train d'analyser objectivement ce qu'est le sel, mais j'essaie d'agir sur mon ami pour me faciliter la tâche de saler mon plat. Certes, dans cette mise en forme et la formulation de cette demande se trouve la racine de la vision théorique d'un sujet face à un objet et agissant sur ce dernier afin d'aider un autre sujet. Pourtant celui qui formule cette demande n'en a pas explicitement conscience. Il n'est pas philosophe ni grammairien, il essaie simplement de saler son plat.
Pour répondre à ton ultime question, je dirais que non, notre conscience n'est qu'une vision réduite de ce que notre cerveau analyse.
Nous n'avons conscience que d'une partie de l'activité globale de notre cerveau.
Sinon pour répondre à l'ensemble de ton second message, je dirais que le langage universel est vraiment le langage philosophique. Sinon nous serions dans l'art, la poésie et la littérature (qui utilisent le langage autrement qu'universellement). Mais cela ne signifie pas qu'il faille uniquement traiter d'objets (d'étants-là-devant). C'est justement ce que tente de faire Heidegger dans ÊTRE ET TEMPS et je crois qu'il y réussit. C'est aussi ce que j'essaie de faire après lui.
La différence ontologique n'est pas un retour à la pure intuition que critiquait Hegel (la nuit où toutes les vaches sont grises). Ce n'est pas le pur indéterminé, mais une autre manière de "déterminer" non plus des étants mais l'être-au-monde, le Dasein.
La logique change car ce n'est plus le concept de substance qui guide cette "détermination".
Un utilisable au sein du monde n'est plus un concept auquel on rattacherait des propriétés mais une chose que l'on prend en main pour s'en servir parce qu'on le comprend ainsi.
Au sein d'une compréhension préalable du monde (qui est en partie inconsciente) des outils se donnent à nous dont on se sert.
Ces outils ont leur place, on les range à portée de main, au sein d'un espace qui n'est pas purement géométrique (substantiel : extension) mais plutôt aménagé pour nous.
Ce n'est donc pas la même démarche de comprendre les propriétés de l'espace et de comprendre comment celui-ci est aménagé pour nous conférer une familiarité avec le monde.
On voit bien que l'un concerne l'existence du Dasein et l'autre n'en tient pas particulièrement compte, sauf si on paramètre cette donnée dans les réquisits de son analyse.
La question qui n'est pas tranchée est de savoir si l'habitation poétique du monde n'est pas première ou du moins tout aussi prépondérante que celle de la connaissance pure et désintéressée.
Encore une fois, je ne conteste pas les bienfaits de la connaissance mais seulement je remets en cause que ce soit le seul moyen d'accès à la vérité.
Seul un poème (ou une oeuvre d'art) peut dépeindre la profondeur de l'existence humaine et de son rapport, par exemple, privilégié à la mort et au temps qui passe. Son rapport aussi avec les choses familières. Ce qu'on pourrait appeler son habitation poétique du monde.
Le phénomène du monde est ce dans quoi nous sommes d'abord et primitivement. Il est indésirable de le perdre de vue car certaines apories surgissent au sein de la connaissance, quand on oublie le rapport premier au monde, tel que celui du rapport de la connaissance au monde, d'un sujet coupé du monde. D'autres difficultés surgissent également : la séparation entre les émotions et la pensée rationnelle. D'une manière générale on sépare la science de la poésie, de l'art, de la littérature. On crée des domaines différents pour étudier les étants. Cette manière d'envisager objectivement des étants-là-devant nous coupe d'un rapport plus primitif au monde et peut-être plus primordial. Mais le but n'est pas de critiquer ce rapport objectif au monde qui est aussi important et nécessaire, seulement de le re-situer.Bergame a écrit:Admettons, mais qu'est-ce que c'est, exactement, que le "phénomène du monde" ? Et en quoi serait-il indésirable de le perdre de vue ?
Les déterminations que l'on fait du Dasein ne sont pas des déterminations ontiques (des propriétés d'un étant-là-devant) elles sont existentiales : ontologiques. Voilà pourquoi je parle d'actes de langage prioritairement et non de discours théoriques sur la nature des choses.
Si je demande par exemple à un ami de me faire passer le sel, je ne suis pas encore en train d'analyser objectivement ce qu'est le sel, mais j'essaie d'agir sur mon ami pour me faciliter la tâche de saler mon plat. Certes, dans cette mise en forme et la formulation de cette demande se trouve la racine de la vision théorique d'un sujet face à un objet et agissant sur ce dernier afin d'aider un autre sujet. Pourtant celui qui formule cette demande n'en a pas explicitement conscience. Il n'est pas philosophe ni grammairien, il essaie simplement de saler son plat.
Pour répondre à ton ultime question, je dirais que non, notre conscience n'est qu'une vision réduite de ce que notre cerveau analyse.
Nous n'avons conscience que d'une partie de l'activité globale de notre cerveau.
Sinon pour répondre à l'ensemble de ton second message, je dirais que le langage universel est vraiment le langage philosophique. Sinon nous serions dans l'art, la poésie et la littérature (qui utilisent le langage autrement qu'universellement). Mais cela ne signifie pas qu'il faille uniquement traiter d'objets (d'étants-là-devant). C'est justement ce que tente de faire Heidegger dans ÊTRE ET TEMPS et je crois qu'il y réussit. C'est aussi ce que j'essaie de faire après lui.
La différence ontologique n'est pas un retour à la pure intuition que critiquait Hegel (la nuit où toutes les vaches sont grises). Ce n'est pas le pur indéterminé, mais une autre manière de "déterminer" non plus des étants mais l'être-au-monde, le Dasein.
La logique change car ce n'est plus le concept de substance qui guide cette "détermination".
Un utilisable au sein du monde n'est plus un concept auquel on rattacherait des propriétés mais une chose que l'on prend en main pour s'en servir parce qu'on le comprend ainsi.
Au sein d'une compréhension préalable du monde (qui est en partie inconsciente) des outils se donnent à nous dont on se sert.
Ces outils ont leur place, on les range à portée de main, au sein d'un espace qui n'est pas purement géométrique (substantiel : extension) mais plutôt aménagé pour nous.
Ce n'est donc pas la même démarche de comprendre les propriétés de l'espace et de comprendre comment celui-ci est aménagé pour nous conférer une familiarité avec le monde.
On voit bien que l'un concerne l'existence du Dasein et l'autre n'en tient pas particulièrement compte, sauf si on paramètre cette donnée dans les réquisits de son analyse.
La question qui n'est pas tranchée est de savoir si l'habitation poétique du monde n'est pas première ou du moins tout aussi prépondérante que celle de la connaissance pure et désintéressée.
Encore une fois, je ne conteste pas les bienfaits de la connaissance mais seulement je remets en cause que ce soit le seul moyen d'accès à la vérité.
Seul un poème (ou une oeuvre d'art) peut dépeindre la profondeur de l'existence humaine et de son rapport, par exemple, privilégié à la mort et au temps qui passe. Son rapport aussi avec les choses familières. Ce qu'on pourrait appeler son habitation poétique du monde.
Grégor- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 366
Date d'inscription : 14/04/2022
Re: Du langage
Grégor a écrit:
Si je demande par exemple à un ami de me faire passer le sel, je ne suis pas encore en train d'analyser objectivement ce qu'est le sel, mais j'essaie d'agir sur mon ami pour me faciliter la tâche de saler mon plat. Certes, dans cette mise en forme et la formulation de cette demande se trouve la racine de la vision théorique d'un sujet face à un objet et agissant sur ce dernier afin d'aider un autre sujet. Pourtant celui qui formule cette demande n'en a pas explicitement conscience. Il n'est pas philosophe ni grammairien, il essaie simplement de saler son plat.
Votre exemple du sel que l’on fait passer à table m’a rappelé un passage d’un article d’Elisabeth Coreau-Scavarda : Wittgenstein : une conception éthique de la philosophie in L’éthique de la philosophie – sous la direction de JP Cometti – Kimé 2004 :
Elisabeth Coreau-Scavarda a écrit:[…] de nombreuses erreurs viennent du fait que l’on attribue une seule signification aux mots et que l’on ne distingue pas suffisamment les différents usages d’un même mot.
Prenons l’exemple du pronom personnel « je » qui connaît deux usages, comme objet et comme sujet. Rater cette distinction conduit à l’illusion d’une entité spirituelle qui serait le moi.
On trouve la première utilisation, comme objet, dans des expressions comme « j’ai une bosse sur le front » ou « j’ai grandi de 15 cm », où l’on peut remplacer le pronom personnel « je » par « mon corps ». Ce premier usage se caractérise ainsi par la référence à une personne particulière et la possibilité d’une erreur.
A l’utilisation comme sujet correspondent des expressions du type « j’ai mal aux dents » ou « j’existe » où le pronom « je » ne peut pas être remplacé par « mon corps » et où la possibilité d’une erreur n’a pas de sens. Cependant d’aucuns en viennent à penser que si le « je » ne désigne pas mon corps, c’est qu’il désigne une autre entité que mon corps, qui m’est essentielle, est immatérielle, mais liée à mon corps. Mais en quoi consiste exactement cette utilisation du « je » ?
Si on observe cette utilisation, on remarque que le « je » est là pour attirer l’attention sur celui qui parle, mais, au sens propre, il ne désigne pas (1). Aussi, si quelqu’un semble faire comme si vous n’étiez pas là (quelqu’un qui prend tout ce qui reste dans le plat alors que vous ne vous étiez pas encore servi ou votre conjoint qui projette un voyage avec des amis sans se préoccuper de ce que vous faites à ce moment-là), vous allez lui dire « j’existe ! » pour attirer l’attention sur vous. (p. 124)
(1)
Wittgenstein a écrit: Dire « j’ai mal » n’est pas plus un énoncé sur une personne déterminée que gémir ne l’est. Mais le mot « je », dans la bouche de quelqu’un, renvoie bel et bien à celui qui le dit, c’est lui-même que ce mot désigne, et très souvent, celui qui le dit se montre effectivement lui-même du doigt. Mais il était tout à fait superflu qu’il se montre du doigt ; il aurait aussi bien pu se contenter de lever la main (Le cahier bleu)
Vanleers- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 4214
Date d'inscription : 15/01/2017
Re: Du langage
Je vois plusieurs difficultés dans ton texte, Gregor, mais des difficultés intéressantes.
Par exemple :
La mort et le temps qui passe ? Mais quelles connaissances avons-nous sur la mort ? Ou sur le temps qui passe ?
En fait, il semblerait que tu sois d'accord :
Quant à savoir à quelle vérité tu penses que la poésie peut parvenir, je te laisse développer.
Par ailleurs :
Sur le sujet du langage maintenant, je lis ce qui m'apparait comme une contradiction :
- S'agit-il du langage vernaculaire du monde vécu, constitué d'actes de langage aussi triviaux que : "Passe-moi le sel ?"
- S'agit-il du langage philosophique ? Et comment définis-tu le langage philosophique ? Ai-je raison de penser que l'argumentation rationnelle risque d'y avoir une part ?
- Ou s'agit-il de la poésie ? De la littérature ? De l'art ?
il me semble que ton texte hésite entre ces différentes options.
En fait, et pour résumer, il me semble que, de deux choses l'une :
- Ou le langage est une mise en forme consciente d'un matériau sensible. Dans ce cas, le langage n'est pas premier. Il est un système de signes, vocaux ou écrits, que les humains utilisent pour exprimer et transmettre leurs états mentaux et émotionnels.
- Ou le langage est... autre chose. Par exemple, j'ai cru comprendre que chez Heidegger, le langage était le mode du dévoilement de l'Être. Et il me semble que Heidegger dit quelque part que "le Dasein se meut dans le Logos". Le Logos est donc premier. Mais chez Heidegger, le Logos est poétique.
Pour ce qui me concerne, je pense comme Socrate : "La poésie est la principale concurrente de la philosophie".
Enfin :
Par exemple :
Moi je dirais que ce qu'on appelle la "science" rassemble l'ensemble de nos connaissances sur le monde. En revanche, la poésie, l'art, la littérature ne me semblent apporter par elles-mêmes aucune connaissance sur le monde. Que la littérature, par exemple, use de nos connaissances sur le monde pour bâtir un récit crédible, c'est entendu. Et par là-même, on peut apprendre, bien sûr, en lisant de bons écrivains. Mais quelles sont les connaissances en propre que la poésie, l'art ou la littérature nous enseignent ?Grégor a écrit:Le phénomène du monde est ce dans quoi nous sommes d'abord et primitivement. Il est indésirable de le perdre de vue car certaines apories surgissent au sein de la connaissance, quand on oublie le rapport premier au monde, tel que celui du rapport de la connaissance au monde, d'un sujet coupé du monde [...] D'une manière générale on sépare la science de la poésie, de l'art, de la littérature. On crée des domaines différents pour étudier les étants.
La mort et le temps qui passe ? Mais quelles connaissances avons-nous sur la mort ? Ou sur le temps qui passe ?
En fait, il semblerait que tu sois d'accord :
Peut-être que la poésie est première. Mais il me semble qu'elle est à distinguer de la connaissance.La question qui n'est pas tranchée est de savoir si l'habitation poétique du monde n'est pas première ou du moins tout aussi prépondérante que celle de la connaissance pure et désintéressée.
Encore une fois, je ne conteste pas les bienfaits de la connaissance mais seulement je remets en cause que ce soit le seul moyen d'accès à la vérité.
Quant à savoir à quelle vérité tu penses que la poésie peut parvenir, je te laisse développer.
Par ailleurs :
Mouais. Pourquoi, comment les émotions seraient-elles liées au monde vécu ? Peut-être, à voir, mais d'une manière générale, je trouve que le registre de l'émotion est très mal traité par les phénoménologues. Au moins pour cette raison que la phénoménologie, comme je l'ai rappelé plus haut, se développe à partir de la représentation d'un homme conscient -et que l'émotion, c'est pas conscient.D'autres difficultés surgissent également : la séparation entre les émotions et la pensée rationnelle.
Sur le sujet du langage maintenant, je lis ce qui m'apparait comme une contradiction :
Et :Sinon pour répondre à l'ensemble de ton second message, je dirais que le langage universel est vraiment le langage philosophique. Sinon nous serions dans l'art, la poésie et la littérature (qui utilisent le langage autrement qu'universellement).
Si je te suis bien, tu prétend définir le langage comme une détermination du Dasein, certes, mais une détermination existentiale (ou "catégoriale" peut-être ? bref). Admettons. Mais alors de quel langage s'agit-il ?Seul un poème (ou une oeuvre d'art) peut dépeindre la profondeur de l'existence humaine et de son rapport, par exemple, privilégié à la mort et au temps qui passe.
- S'agit-il du langage vernaculaire du monde vécu, constitué d'actes de langage aussi triviaux que : "Passe-moi le sel ?"
- S'agit-il du langage philosophique ? Et comment définis-tu le langage philosophique ? Ai-je raison de penser que l'argumentation rationnelle risque d'y avoir une part ?
- Ou s'agit-il de la poésie ? De la littérature ? De l'art ?
il me semble que ton texte hésite entre ces différentes options.
Donc tu penses toi aussi qu'il y a quelque chose avant e langage ?Pour répondre à ton ultime question, je dirais que non, notre conscience n'est qu'une vision réduite de ce que notre cerveau analyse.
Nous n'avons conscience que d'une partie de l'activité globale de notre cerveau.
En fait, et pour résumer, il me semble que, de deux choses l'une :
- Ou le langage est une mise en forme consciente d'un matériau sensible. Dans ce cas, le langage n'est pas premier. Il est un système de signes, vocaux ou écrits, que les humains utilisent pour exprimer et transmettre leurs états mentaux et émotionnels.
- Ou le langage est... autre chose. Par exemple, j'ai cru comprendre que chez Heidegger, le langage était le mode du dévoilement de l'Être. Et il me semble que Heidegger dit quelque part que "le Dasein se meut dans le Logos". Le Logos est donc premier. Mais chez Heidegger, le Logos est poétique.
Pour ce qui me concerne, je pense comme Socrate : "La poésie est la principale concurrente de la philosophie".
Enfin :
Je vais te dire, je pense tout l'inverse : L'homme n'est pas du tout familier avec le monde. L'homme a, au contraire, transformé le monde pour se le rendre habitable, confortable. C'est lui qui a aménagé le monde pour son propre usage -et il commence d'ailleurs aujourd'hui à en payer les conséquences négatives.Au sein d'une compréhension préalable du monde (qui est en partie inconsciente) des outils se donnent à nous dont on se sert.
Ces outils ont leur place, on les range à portée de main, au sein d'un espace qui n'est pas purement géométrique (substantiel : extension) mais plutôt aménagé pour nous.
Ce n'est donc pas la même démarche de comprendre les propriétés de l'espace et de comprendre comment celui-ci est aménagé pour nous conférer une familiarité avec le monde.
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Bergame- Persona
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Re: Du langage
La Poésie et la littérature sont des outils. La poésie en tant que moyen mnémotechnique pour mémoriser des données pratiques (utilitarisme) pour des époques sans écriture.Bergame a écrit:En revanche, la poésie, l'art, la littérature ne me semblent apporter par elles-mêmes aucune connaissance sur le monde.
La littérature est un des seuls moyens d'obliger un individu a suivre un cheminement de pensée au moyen de leurres divers comme le suspens, le coeur, le sexe, l'humour, l'esthétique ...afin de lui imposer sa façon de penser ou de lui infuser des arguments qu'il refuserait d'examiner.
Kercos- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 1374
Date d'inscription : 25/04/2022
Re: Du langage
Bergame a écrit:Si je te suis bien, tu prétend définir le langage comme une détermination du Dasein, certes, mais une détermination existentiale (ou "catégoriale" peut-être ? bref). Admettons. Mais alors de quel langage s'agit-il ?
- S'agit-il du langage vernaculaire du monde vécu, constitué d'actes de langage aussi triviaux que : "Passe-moi le sel ?"
- S'agit-il du langage philosophique ? Et comment définis-tu le langage philosophique ? Ai-je raison de penser que l'argumentation rationnelle risque d'y avoir une part ?
- Ou s'agit-il de la poésie ? De la littérature ? De l'art ?
il me semble que ton texte hésite entre ces différentes options.
En réalité, le langage existential est d'abord celui ordinaire du "passe-moi le sel".
Le langage poétique (même s'il est difficile de donner une définition de la poésie) est pour moi celui qui peut rendre compte de notre habitation sur cette terre, celui qui redonne à notre vie sa dimension sacrée (parce qu'éphémère et temporelle).
Enfin la philosophie première essaie de rendre dans un langage universel à la fois l'essence de la poésie et du langage ordinaire.
Grégor- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 366
Date d'inscription : 14/04/2022
Re: Du langage
Bergame a écrit: Donc tu penses toi aussi qu'il y a quelque chose avant le langage ?
En fait, et pour résumer, il me semble que, de deux choses l'une :
- Ou le langage est une mise en forme consciente d'un matériau sensible. Dans ce cas, le langage n'est pas premier. Il est un système de signes, vocaux ou écrits, que les humains utilisent pour exprimer et transmettre leurs états mentaux et émotionnels.
Tout dépend en fait de quel point de vue on se place.
Si on raisonne sur le langage et l'être humain comme des étants-là-devant alors le langage est bien second par rapport au cerveau et au mentalais.
Mais si on raisonne en terme de philosophie première et qu'on pense en terme d'être-au-monde, le langage est bien un existential au sein duquel le Dasein se meut (dès qu'il a atteint l'âge de parler et de comprendre ce qu'on lui dit). Le langage est aussi ce qu'on dit de nous et ce que l'on pense que l'on dit de nous, ce qu'on rêverait que l'on dise de nous (psychanalyse). Si bien que le langage nous parle autant qu'on le parle. Ce n'est donc pas un simple outil neutre qu'on utiliserait sans y être impliqué comme un marteau par exemple.
Grégor- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 366
Date d'inscription : 14/04/2022
Re: Du langage
J'aurais la prétention de penser que, peut-être, cet échange t'a conduit à descendre aux principes sur lesquels repose -au moins en partie- tes réflexions, Gregor. Ce dont je serais heureux. Mais c'est aussi le moment où nous devons acter d'un désaccord, sans pouvoir, peut-être, continuer bien plus avant.
Par exemple :
Si nous étions véritablement capables de concevoir ce qu'est la vie, il n'y aurait sans doute qu'une règle : Profite au maximum du temps qu'il t'est donné. Fort heureusement, ce qu'est la vie dépasse largement notre entendement -et nous ne sommes que des marionnettes aux mains des dieux.
Par exemple :
Je pense totalement différemment, et je pense que c'est une différence de principe, dont on ne peut sans doute discuter. Je pense que la vie n'a rien de sacré, et surtout pas la mienne. Ma vie a la durée et l'importance de celle d'un moucheron à l'échelle de l'humanité, et l'humanité a la durée et l'importance d'un moucheron à l'échelle de l'univers. De plus, la vie m'apparaît comme un monstre dont les dimensions dépassent largement notre entendement, un ogre qui se nourrit des êtres mêmes qu'il met au monde. La vie est "divine", certes, et tout ce que nous appelons des dieux ou des démons désigne l'une ou l'autre des facettes du monstre. Mais la vie ne respecte rien ni personne, et tous les pauvres jugements et valeurs que les hommes conçoivent et professent, y compris sur la vie elle-même, ne les extrait ni ne les sauve en rien du gigantesque maëlstrom dans lequel ils sont engagés -à leur esprit défendant.Gregor a écrit:celui qui redonne à notre vie sa dimension sacrée (parce qu'éphémère et temporelle)
Si nous étions véritablement capables de concevoir ce qu'est la vie, il n'y aurait sans doute qu'une règle : Profite au maximum du temps qu'il t'est donné. Fort heureusement, ce qu'est la vie dépasse largement notre entendement -et nous ne sommes que des marionnettes aux mains des dieux.
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