La notion de vie dans la pensée chinoise.
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La notion de vie dans la pensée chinoise.
L'une des propriétés de la pensée occidentale est d'avoir fait de la vie un problème. Un problème parce que, d'emblée, il faut lui donner un "sens" : d'où vient la vie ? pourquoi y a-t-il de la vie ? quelle est la finalité de la vie ? à quelle(s) condition(s) une vie vaut-elle la peine (!) d'être vécue ? À défaut de répondre à l'une de ces questions, le vivant serait censé se complaire dans l'absurde, au point même, lorsque ledit vivant est un être humain, de préférer, pourquoi pas, la mort à la vie ! L'absence de "sens" de la vie humaine n'entraîne d'ailleurs pas nécessairement sa suppression ipso facto mais, parfois aussi, sa mise entre parenthèses en attendant … une "autre vie" dans un "autre monde". Comment s'étonner alors que le suicide réel y soit souvent considéré comme un acte héroïque et le suicide différé (résignation, mortification) y soit devenu synonyme de "sagesse" ? De fait, rares sont les penseurs occidentaux qui, à l'instar d’un Épicure, d'un Spinoza, d'un Nietzsche ou d'un Bergson, ont, sans ambiguïté et à contre-courant dominant, fait l'apologie de la vie dans sa plus banale simplicité. Cependant, l'Occident n'ayant jamais été et étant moins que jamais le phare d'universalité éclairant le monde, il nous semble intéressant d'aller voir un peu du côté de cet "autre pôle de l'expérience humaine" comme le dit Simon Leys, en l'occurrence se tourner vers la Chine "la plus ancienne civilisation vivante de notre planète [et sa] vision du monde, [sa] façon de concevoir les rapports de l’homme avec l’univers"(Leys, Essais sur la Chine, pp. 739-576) afin d'y sonder, effectivement, une AUTRE conception de la vie.
Revenons un instant sur la conception occidentale de la vie qui est, non seulement problématique, mais aussi contradictoire. Contradictoire parce que balançant, depuis quatre siècles au moins, entre théologie judéo-chrétienne et sciences expérimentales. Je donnerai juste un exemple significatif respectivement de conception théologique et de conception scientifique de la vie. Pour le (la) chrétien(-ne), prétend-on, "la vie chrétienne est fondée sur l’œuvre de Dieu manifestée par la nouvelle naissance, la justification, le don du Saint-Esprit, le pardon des péchés et l’union avec Christ. Le but de la vie chrétienne est de se conformer à l’image du Christ et, par conséquent, de participer au règne de Dieu sur la terre pour la gloire de celui-ci. En utilisant divers moyens de grâce, tels que les Écritures, la prière, l’Église et les ordonnances, Dieu rend le chrétien conforme à l’image du Christ par l’intermédiaire de l’Esprit. Une vie chrétienne saine s’exprime par la foi et l’obéissance, les bonnes œuvres, la vie et le don sacrificiel, ainsi que par la participation à la mission mondiale de l’Église. Il n'y a pas de meilleure vie que la vie chrétienne"(https://evangile21.thegospelcoalition.org/essais/la-vie-chretienne/). Nul doute que d'autres problématisations sont possibles et que celle-ci apparaîtra sans doute hérétique à plus d'un courant théologique chrétien. Mais il nous importe peu de rentrer dans ce genre de querelles byzantines car, quelle que soit la formulation retenue, on y trouvera toujours ces cinq éléments : la transcendance divine (Dieu seul donne la vie et la reprend), l'aspiration à la perfection christique (le Christ est le seul modèle de vie ayant de la valeur) et à la repentance morale (dès sa naissance biologique, la vie du-de la- chrétien-ne- est entachée d'un péché originel qu'il s'agit d'expier), la possibilité d'une gratification divine ultime et suprême (la résurrection d'entre les morts), enfin le sentiment d'appartenir à LA communauté religieuse élue par la divinité ("Il n'y a pas de meilleure vie que la vie chrétienne"). Longtemps hégémonique en Occident, la pensée théologique a dû progressivement faire face à une concurrence redoutable : celle de la pensée scientifique. Par exemple celle qu'illustre le cartésianisme pour lequel "les fonctions [vitales] suivent [...] de la seule disposition de ces organes ni plus ni moins que font les mouvements d’une horloge ou autre automate"(Descartes, Traité de l’Homme). De telle sorte qu'il n'existe "aucune différence entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule compose, sinon que les effets des machines ne dépendent que de l'agencement de certains tuyaux, ou ressorts, ou autres instruments, qui, devant avoir quelque proportion avec les mains de ceux qui les font, sont toujours si grands que leurs figures et mouvements se peuvent voir, au lieu que les tuyaux ou ressorts qui causent les effets des corps naturels sont ordinairement trop petits pour être aperçus de nos sens. Et il est certain que toutes les règles des mécaniques appartiennent à la physique, en sorte que toutes les choses qui sont artificielles, sont avec cela naturelles. Car, par exemple, lorsqu'une montre marque les heures par le moyen des roues dont elle est faite, cela ne lui est pas moins naturel qu'il est à un arbre de produire des fruits"(Descartes, Principes de la Philosophie, IV, art.203). Là encore, il existe tout un foisonnement de nuances philosophico-scientifiques qui ne nous intéresse pas ici et qui, toutes, auront ceci en commun : un naturalisme immanent faisant pièce à la transcendance divine, un atomisme matérialiste opposé au holisme spiritualiste de la théologie (la vie comme somme de fonctions mécaniques éclatées, observables et expérimentables) avec comme corrélat, la disparition du problème de la "valeur" intrinsèque de la vie (la vie n'est plus bonne ou mauvaise mais effective ou non selon que les "rouages" de la machine seront plus ou moins bien huilés ou grippés), enfin la mort comme mise au rebut définitive d'une mécanique hors d'usage. Certes, cette présentation du clivage théologico-scientifique à propos de la conception occidentale de la vie est (volontairement) caricaturale mais qui osera prétendre, à la lumière des débats hystériques qui agitent actuellement l'Occident au sujet de l'avortement, de la procréation médicalement assistée, de l'euthanasie ou du mariage entre personnes de même sexe, qu'elle n'est pas pertinente ?
(à suivre ...)
Revenons un instant sur la conception occidentale de la vie qui est, non seulement problématique, mais aussi contradictoire. Contradictoire parce que balançant, depuis quatre siècles au moins, entre théologie judéo-chrétienne et sciences expérimentales. Je donnerai juste un exemple significatif respectivement de conception théologique et de conception scientifique de la vie. Pour le (la) chrétien(-ne), prétend-on, "la vie chrétienne est fondée sur l’œuvre de Dieu manifestée par la nouvelle naissance, la justification, le don du Saint-Esprit, le pardon des péchés et l’union avec Christ. Le but de la vie chrétienne est de se conformer à l’image du Christ et, par conséquent, de participer au règne de Dieu sur la terre pour la gloire de celui-ci. En utilisant divers moyens de grâce, tels que les Écritures, la prière, l’Église et les ordonnances, Dieu rend le chrétien conforme à l’image du Christ par l’intermédiaire de l’Esprit. Une vie chrétienne saine s’exprime par la foi et l’obéissance, les bonnes œuvres, la vie et le don sacrificiel, ainsi que par la participation à la mission mondiale de l’Église. Il n'y a pas de meilleure vie que la vie chrétienne"(https://evangile21.thegospelcoalition.org/essais/la-vie-chretienne/). Nul doute que d'autres problématisations sont possibles et que celle-ci apparaîtra sans doute hérétique à plus d'un courant théologique chrétien. Mais il nous importe peu de rentrer dans ce genre de querelles byzantines car, quelle que soit la formulation retenue, on y trouvera toujours ces cinq éléments : la transcendance divine (Dieu seul donne la vie et la reprend), l'aspiration à la perfection christique (le Christ est le seul modèle de vie ayant de la valeur) et à la repentance morale (dès sa naissance biologique, la vie du-de la- chrétien-ne- est entachée d'un péché originel qu'il s'agit d'expier), la possibilité d'une gratification divine ultime et suprême (la résurrection d'entre les morts), enfin le sentiment d'appartenir à LA communauté religieuse élue par la divinité ("Il n'y a pas de meilleure vie que la vie chrétienne"). Longtemps hégémonique en Occident, la pensée théologique a dû progressivement faire face à une concurrence redoutable : celle de la pensée scientifique. Par exemple celle qu'illustre le cartésianisme pour lequel "les fonctions [vitales] suivent [...] de la seule disposition de ces organes ni plus ni moins que font les mouvements d’une horloge ou autre automate"(Descartes, Traité de l’Homme). De telle sorte qu'il n'existe "aucune différence entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule compose, sinon que les effets des machines ne dépendent que de l'agencement de certains tuyaux, ou ressorts, ou autres instruments, qui, devant avoir quelque proportion avec les mains de ceux qui les font, sont toujours si grands que leurs figures et mouvements se peuvent voir, au lieu que les tuyaux ou ressorts qui causent les effets des corps naturels sont ordinairement trop petits pour être aperçus de nos sens. Et il est certain que toutes les règles des mécaniques appartiennent à la physique, en sorte que toutes les choses qui sont artificielles, sont avec cela naturelles. Car, par exemple, lorsqu'une montre marque les heures par le moyen des roues dont elle est faite, cela ne lui est pas moins naturel qu'il est à un arbre de produire des fruits"(Descartes, Principes de la Philosophie, IV, art.203). Là encore, il existe tout un foisonnement de nuances philosophico-scientifiques qui ne nous intéresse pas ici et qui, toutes, auront ceci en commun : un naturalisme immanent faisant pièce à la transcendance divine, un atomisme matérialiste opposé au holisme spiritualiste de la théologie (la vie comme somme de fonctions mécaniques éclatées, observables et expérimentables) avec comme corrélat, la disparition du problème de la "valeur" intrinsèque de la vie (la vie n'est plus bonne ou mauvaise mais effective ou non selon que les "rouages" de la machine seront plus ou moins bien huilés ou grippés), enfin la mort comme mise au rebut définitive d'une mécanique hors d'usage. Certes, cette présentation du clivage théologico-scientifique à propos de la conception occidentale de la vie est (volontairement) caricaturale mais qui osera prétendre, à la lumière des débats hystériques qui agitent actuellement l'Occident au sujet de l'avortement, de la procréation médicalement assistée, de l'euthanasie ou du mariage entre personnes de même sexe, qu'elle n'est pas pertinente ?
(à suivre ...)
Zhongguoren- Digressi(f/ve)
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Re: La notion de vie dans la pensée chinoise.
Zhongguoren a écrit: Certes, cette présentation du clivage théologico-scientifique à propos de la conception occidentale de la vie est (volontairement) caricaturale mais qui osera prétendre, à la lumière des débats hystériques qui agitent actuellement l'Occident au sujet de l'avortement, de la procréation médicalement assistée, de l'euthanasie ou du mariage entre personnes de même sexe, qu'elle n'est pas pertinente ?
Vous écrivez que votre présentation du problème est caricaturale mais néanmoins pertinente si on la met en rapport avec des débats encore plus caricaturaux (hystériques).
Curieux raisonnement !
Vanleers- Digressi(f/ve)
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Re: La notion de vie dans la pensée chinoise.
Vanleers a écrit:Zhongguoren a écrit: Certes, cette présentation du clivage théologico-scientifique à propos de la conception occidentale de la vie est (volontairement) caricaturale mais qui osera prétendre, à la lumière des débats hystériques qui agitent actuellement l'Occident au sujet de l'avortement, de la procréation médicalement assistée, de l'euthanasie ou du mariage entre personnes de même sexe, qu'elle n'est pas pertinente ?
Vous écrivez que votre présentation du problème est caricaturale mais néanmoins pertinente si on la met en rapport avec des débats encore plus caricaturaux (hystériques).
Curieux raisonnement !
Une caricature force le trait mais ne le trahit pas. Le propre de la caricature est, justement, de ne retenir du réel représenté que les traits les plus pertinents. Lorsqu'on nous présente la caricature d'un personnage de nous connu, il est rare que la ressemblance d'avec l'original ne nous saute pas aux yeux !
Zhongguoren- Digressi(f/ve)
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Re: La notion de vie dans la pensée chinoise.
la caricature du charbonnier (dont on connait la foi)
hks- Digressi(f/ve)
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Re: La notion de vie dans la pensée chinoise.
Zhongguoren a écrit:Vanleers a écrit:Zhongguoren a écrit: Certes, cette présentation du clivage théologico-scientifique à propos de la conception occidentale de la vie est (volontairement) caricaturale mais qui osera prétendre, à la lumière des débats hystériques qui agitent actuellement l'Occident au sujet de l'avortement, de la procréation médicalement assistée, de l'euthanasie ou du mariage entre personnes de même sexe, qu'elle n'est pas pertinente ?
Vous écrivez que votre présentation du problème est caricaturale mais néanmoins pertinente si on la met en rapport avec des débats encore plus caricaturaux (hystériques).
Curieux raisonnement !
Une caricature force le trait mais ne le trahit pas. Le propre de la caricature est, justement, de ne retenir du réel représenté que les traits les plus pertinents. Lorsqu'on nous présente la caricature d'un personnage de nous connu, il est rare que la ressemblance d'avec l'original ne nous saute pas aux yeux !
Vous présentez, de façon caricaturale selon vos dires, deux conceptions de la vie, c’est-à-dire deux discours sur la vie, en Occident.
Mais la vie est d’abord vécue avant d’être l’objet d’un discours.
C’est comme si vous présentiez deux discours sur le goût de la mangue alors que l’essentiel est d’en manger au moins une pour en connaître (au sens biblique) le goût.
Vanleers- Digressi(f/ve)
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Date d'inscription : 15/01/2017
Re: La notion de vie dans la pensée chinoise.
Vanleers a écrit:Mais la vie est d’abord vécue avant d’être l’objet d’un discours.
Évidemment ! Comme tous les sujets abordés sur le présent forum, non ?
Zhongguoren- Digressi(f/ve)
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Re: La notion de vie dans la pensée chinoise.
Zhongguoren a écrit:
Pour le (la) chrétien(-ne), prétend-on, "la vie chrétienne est fondée sur l’œuvre de Dieu manifestée par la nouvelle naissance, la justification, le don du Saint-Esprit, le pardon des péchés et l’union avec Christ. Le but de la vie chrétienne est de se conformer à l’image du Christ et, par conséquent, de participer au règne de Dieu sur la terre pour la gloire de celui-ci. En utilisant divers moyens de grâce, tels que les Écritures, la prière, l’Église et les ordonnances, Dieu rend le chrétien conforme à l’image du Christ par l’intermédiaire de l’Esprit. Une vie chrétienne saine s’exprime par la foi et l’obéissance, les bonnes œuvres, la vie et le don sacrificiel, ainsi que par la participation à la mission mondiale de l’Église. Il n'y a pas de meilleure vie que la vie chrétienne"
La vie chrétienne est bien plus simple que ça.
Elle consiste à rechercher la joie de vivre donnée par Dieu.
(si cela vous chante, voyez mon dernier post sur le fil L’Ethique de Spinoza et la spiritualité ignatienne)
Vanleers- Digressi(f/ve)
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Date d'inscription : 15/01/2017
Re: La notion de vie dans la pensée chinoise.
Vanleers a écrit:Zhongguoren a écrit:
Pour le (la) chrétien(-ne), prétend-on, "la vie chrétienne est fondée sur l’œuvre de Dieu manifestée par la nouvelle naissance, la justification, le don du Saint-Esprit, le pardon des péchés et l’union avec Christ. Le but de la vie chrétienne est de se conformer à l’image du Christ et, par conséquent, de participer au règne de Dieu sur la terre pour la gloire de celui-ci. En utilisant divers moyens de grâce, tels que les Écritures, la prière, l’Église et les ordonnances, Dieu rend le chrétien conforme à l’image du Christ par l’intermédiaire de l’Esprit. Une vie chrétienne saine s’exprime par la foi et l’obéissance, les bonnes œuvres, la vie et le don sacrificiel, ainsi que par la participation à la mission mondiale de l’Église. Il n'y a pas de meilleure vie que la vie chrétienne"
La vie chrétienne est bien plus simple que ça.
Ce n'est pas moi qui en parle en ces termes ampoulés ! Ce sont les promoteurs de cette idéologie.
Vanleers a écrit:Elle consiste à rechercher la joie de vivre donnée par Dieu.
Là est toute la différence avec le 道 ! Aucune recherche n'est "simple". Toute recherche comporte un élément d'incertitude, aussi minime soit-il. Surtout lorsque ce que l'on recherche ne dépend pas que de nous car "donné" par un tiers (et quel tiers !). Tandis que dans le 道, il n'y a rien à rechercher. Il suffit de lâcher prise et 逍遥游 (xiāo yáo yóu), littéralement "flâner loin (ou longtemps) comme si on nageait" (cf. les Sagesses en acte : la Marche).
Zhongguoren- Digressi(f/ve)
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Re: La notion de vie dans la pensée chinoise.
La première de couverture d’un mince opuscule « Mener sa vie selon l’esprit » est une photo prise d’avion de deux voiliers naviguant sur une mer ensoleillée.
Cette photo en dit davantage que le texte, pourtant réduit, qui présente les Exercices Spirituels d’Ignace de Loyola.
L’art de vivre chrétien est une navigation à la voile dans le vent de l’Esprit.
Adieu les rames.
Cette photo en dit davantage que le texte, pourtant réduit, qui présente les Exercices Spirituels d’Ignace de Loyola.
L’art de vivre chrétien est une navigation à la voile dans le vent de l’Esprit.
Adieu les rames.
Vanleers- Digressi(f/ve)
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Date d'inscription : 15/01/2017
hks- Digressi(f/ve)
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Date d'inscription : 04/10/2007
Re: La notion de vie dans la pensée chinoise.
Vanleers a écrit:L’art de vivre chrétien est une navigation à la voile dans le vent de l’Esprit.
Sauf que "ce n'est pas l'homme qui prend la mer. C'est la mer qui prend l'homme"(chanson taoïste).
Cf.
En d'autres termes, on ne mène pas sa vie. C'est la Vie qui nous mène.
Zhongguoren- Digressi(f/ve)
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Date d'inscription : 23/06/2022
Re: La notion de vie dans la pensée chinoise.
hks a écrit:
Merci hks
C'est bien le document que je visais.
Vous, vous savez faire.
Vanleers- Digressi(f/ve)
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Date d'inscription : 15/01/2017
Re: La notion de vie dans la pensée chinoise.
Après ce plaisant intermède, revenons donc au sujet de ce fil : la vie dans la pensée chinoise.
Or donc ...
La question est à présent de savoir si la vie doit nécessairement être inféodée au bien et/ou au vrai comme à des valeurs transcendantes. Le bien qui "a fait un idéal de l'opposition à l'instinct de conservation de la vie forte, [qui] a perverti la raison, en enseignant à ressentir les valeurs suprêmes de l'esprit comme entachées de péché, induisant en erreur, comme des tentations"(Nietzsche, l’Antéchrist). Le vrai au point que "sous l'influence de la vérité contemplée, l'homme ne perçoit plus maintenant de toutes parts que l'horrible et l'absurde de l'existence"(Nietzsche, la Naissance de la Tragédie, vii). Donc si la vie ne pourrait pas être envisagée comme ayant une valeur intrinsèque, voire même si la vie ne serait pas LA valeur par excellence, ce qui vaudrait au-delà de toute valeur parce que, justement, sans la vie, rien ne saurait avoir de valeur. Il est clair que la réponse à une telle question est négative pour la théologie puisque la vie y est définie comme une grâce de Dieu sans le secours duquel, il n'est point de vie bonne ("misère de l'homme sans Dieu"). Et une telle question est absurde du point de vue scientifique puisque, pour la mécanique, la seule seule "vérité" de la vie réside dans l'arrangement fonctionnel efficient des divers rouages de la mécanique (cf. le statut des handicapés dans l'histoire de nos sociétés). Or, même si, insensiblement, le point de vue scientifique sur la vie est devenu, en Occident, à peu près hégémonique (jusqu'au retour en grâce très récent, en tout cas, des thèses théologiques ultra-conservatrices), "science is the tool of the western mind and with it more doors can be opened than with bare hands. It si part and parcel of our knowledge and obscures our insight only when it holds that understanding given by it is the only kind there is. The East as taught us another, wider, more profond, and higher understanding, that is understanding through life. We know this way only vaguely, as a more shadowy sentiment culled from religious terminology, and therefore, we gladly dispose of eastern "wisdom" in quotation marks, and relegate into the obscure territory of faith and superstition"(Jung, in the Secret of Golden Flower, p.82). De sorte que, loin d'apporter à l'Occident des éléments de comparaison critique à l'égard de ses propres conceptions de la vie, l'existence de ces points de vue alternatifs ("the East") sont vite tournés en dérision et ne fait que renforcer l'arrogance occidentale (le scientisme/technicisme qui a présidé à la gestion de la crise dite "du Covid" est, à cet égard, significatif). Essayons donc de réhabiliter un peu ce "wider, more profond, and higher understanding" dont Jung fait état.
Disons tout de suite qu'il existe, en chinois, deux caractères pour parler de la vie : 命, mìng qui se traduit en général par vie mais aussi par sort, fortune, destin, ordre, commandement, attribution, etc. Et 生, shēng, être né, naître, donner naissance, accoucher, existence, élève, croître, pousser (grandir), etc. Apparemment, il y a d'un côté un nom et de l'autre un verbe. Sauf que la langue chinoise, qui est une langue très largement parataxique, "ne distingue pas, d'un point de vue morphologique, entre "vivre" et la "vie" […] : la vie y est prise moins comme un état (le vivant) que comme une activité de poussée et d'avènement"(Jullien, Chemin faisant, connaître la Chine, relancer la Philosophie, vii). Dans les deux cas, 命 ou 生, il s'agit, pour une conception proprement chinoise de la vie, "de saisir les lois de l'interaction et des renversements de situation, tandis qu'à l'inverse, la philosophie grecque et la tradition intellectuelle qui en est issue ont constamment cherché le permanent, l'immuable au-delà du mouvant, l'idée au-delà du sensible"(Billeter, Chine trois fois Muette, p.129). La vie, plus que toute autre réalité, est en effet, dans la tradition chinoise, une affaire de "devenir" et non une affaire d'"être". Notons que, s'agissant, en particulier, de la nature de la vie, un philosophe occidental en avait déjà parlé dans des termes très proches. C'est évidemment Bergson lorsqu'il dit que "pour un être vivant, exister consiste à changer, c’est-à-dire à se créer indéfiniment soi-même"(Bergson, l’Évolution Créatrice, i). Mieux encore, le philosophe du rire (il n'y en eut guère en Occident !), ne souligne-t-il pas malicieusement que "notre intelligence est incapable de se représenter la vraie nature de la vie, la signification profonde du mouvement évolutif"(Bergson, l’Évolution Créatrice, intro.), que "c’est donc la fixité que notre intelligence recherche : elle se demande où le mobile est, où le mobile sera, où le mobile passe"(Bergson, la Pensée et le Mouvant, i) ? Il est vrai que ce pauvre Bergson a immédiatement été qualifié avec mépris de "vitaliste" par l'intelligentsia philosophique dominante.
(à suivre ...)
Or donc ...
La question est à présent de savoir si la vie doit nécessairement être inféodée au bien et/ou au vrai comme à des valeurs transcendantes. Le bien qui "a fait un idéal de l'opposition à l'instinct de conservation de la vie forte, [qui] a perverti la raison, en enseignant à ressentir les valeurs suprêmes de l'esprit comme entachées de péché, induisant en erreur, comme des tentations"(Nietzsche, l’Antéchrist). Le vrai au point que "sous l'influence de la vérité contemplée, l'homme ne perçoit plus maintenant de toutes parts que l'horrible et l'absurde de l'existence"(Nietzsche, la Naissance de la Tragédie, vii). Donc si la vie ne pourrait pas être envisagée comme ayant une valeur intrinsèque, voire même si la vie ne serait pas LA valeur par excellence, ce qui vaudrait au-delà de toute valeur parce que, justement, sans la vie, rien ne saurait avoir de valeur. Il est clair que la réponse à une telle question est négative pour la théologie puisque la vie y est définie comme une grâce de Dieu sans le secours duquel, il n'est point de vie bonne ("misère de l'homme sans Dieu"). Et une telle question est absurde du point de vue scientifique puisque, pour la mécanique, la seule seule "vérité" de la vie réside dans l'arrangement fonctionnel efficient des divers rouages de la mécanique (cf. le statut des handicapés dans l'histoire de nos sociétés). Or, même si, insensiblement, le point de vue scientifique sur la vie est devenu, en Occident, à peu près hégémonique (jusqu'au retour en grâce très récent, en tout cas, des thèses théologiques ultra-conservatrices), "science is the tool of the western mind and with it more doors can be opened than with bare hands. It si part and parcel of our knowledge and obscures our insight only when it holds that understanding given by it is the only kind there is. The East as taught us another, wider, more profond, and higher understanding, that is understanding through life. We know this way only vaguely, as a more shadowy sentiment culled from religious terminology, and therefore, we gladly dispose of eastern "wisdom" in quotation marks, and relegate into the obscure territory of faith and superstition"(Jung, in the Secret of Golden Flower, p.82). De sorte que, loin d'apporter à l'Occident des éléments de comparaison critique à l'égard de ses propres conceptions de la vie, l'existence de ces points de vue alternatifs ("the East") sont vite tournés en dérision et ne fait que renforcer l'arrogance occidentale (le scientisme/technicisme qui a présidé à la gestion de la crise dite "du Covid" est, à cet égard, significatif). Essayons donc de réhabiliter un peu ce "wider, more profond, and higher understanding" dont Jung fait état.
Disons tout de suite qu'il existe, en chinois, deux caractères pour parler de la vie : 命, mìng qui se traduit en général par vie mais aussi par sort, fortune, destin, ordre, commandement, attribution, etc. Et 生, shēng, être né, naître, donner naissance, accoucher, existence, élève, croître, pousser (grandir), etc. Apparemment, il y a d'un côté un nom et de l'autre un verbe. Sauf que la langue chinoise, qui est une langue très largement parataxique, "ne distingue pas, d'un point de vue morphologique, entre "vivre" et la "vie" […] : la vie y est prise moins comme un état (le vivant) que comme une activité de poussée et d'avènement"(Jullien, Chemin faisant, connaître la Chine, relancer la Philosophie, vii). Dans les deux cas, 命 ou 生, il s'agit, pour une conception proprement chinoise de la vie, "de saisir les lois de l'interaction et des renversements de situation, tandis qu'à l'inverse, la philosophie grecque et la tradition intellectuelle qui en est issue ont constamment cherché le permanent, l'immuable au-delà du mouvant, l'idée au-delà du sensible"(Billeter, Chine trois fois Muette, p.129). La vie, plus que toute autre réalité, est en effet, dans la tradition chinoise, une affaire de "devenir" et non une affaire d'"être". Notons que, s'agissant, en particulier, de la nature de la vie, un philosophe occidental en avait déjà parlé dans des termes très proches. C'est évidemment Bergson lorsqu'il dit que "pour un être vivant, exister consiste à changer, c’est-à-dire à se créer indéfiniment soi-même"(Bergson, l’Évolution Créatrice, i). Mieux encore, le philosophe du rire (il n'y en eut guère en Occident !), ne souligne-t-il pas malicieusement que "notre intelligence est incapable de se représenter la vraie nature de la vie, la signification profonde du mouvement évolutif"(Bergson, l’Évolution Créatrice, intro.), que "c’est donc la fixité que notre intelligence recherche : elle se demande où le mobile est, où le mobile sera, où le mobile passe"(Bergson, la Pensée et le Mouvant, i) ? Il est vrai que ce pauvre Bergson a immédiatement été qualifié avec mépris de "vitaliste" par l'intelligentsia philosophique dominante.
(à suivre ...)
Zhongguoren- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 393
Date d'inscription : 23/06/2022
Re: La notion de vie dans la pensée chinoise.
Zhongguoren a écrit:Après ce plaisant intermède, revenons donc au sujet de ce fil : la vie dans la pensée chinoise.
Ce « plaisant intermède », comme vous dites, montrait que la vie chrétienne n’a rien à voir avec ce que vous en rapportez de façon caricaturale.
Je parle, non pas de la vie dont on disserte abstraitement à tort et à travers mais de la vie vivante dont on fait l’expérience concrète.
A cet effet, il est intéressant d’associer la joie à la vie et, plutôt que de s’interroger sur la « vie », s’interroger sur la « joie de vivre » dans les diverses traditions.
A l’appui, je cite :
Bergson a écrit: Les philosophes qui ont spéculé sur la signification de la vie et sur la destinée de l'homme n'ont pas assez remarqué que la nature a pris la peine de nous renseigner là-dessus elle-même. Elle nous avertit par un signe précis que notre destination est atteinte. Ce signe est la joie. Je dis la joie, je ne dis pas le plaisir. Le plaisir n'est qu'un artifice imaginé par la nature pour obtenir de l'être vivant la conservation de la vie ; il n'indique pas la direction où la vie est lancée. Mais la joie annonce toujours que la vie a réussi, qu'elle a gagné du terrain, qu'elle a remporté une victoire : toute grande joie a un accent triomphal. (L’Énergie Spirituelle)
Comparer la joie de vivre à la taoïste à la joie de vivre à la chrétienne : c’est la question qui m’intéresse.
Vanleers- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 4214
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Re: La notion de vie dans la pensée chinoise.
Vanleers a écrit:Comparer la joie de vivre à la taoïste à la joie de vivre à la chrétienne : c’est la question qui m’intéresse.
Moi pas. A l'instar d'un François Jullien, je travaille dans l"entre", dans l'écart, bref, dans ce qui sépare, non dans ce syncrétisme mollasson caractéristique de la bonne conscience occidentale.
Zhongguoren- Digressi(f/ve)
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Re: La notion de vie dans la pensée chinoise.
Zhongguoren a écrit:Vanleers a écrit:Comparer la joie de vivre à la taoïste à la joie de vivre à la chrétienne : c’est la question qui m’intéresse.
Moi pas. A l'instar d'un François Jullien, je travaille dans l"entre", dans l'écart, bref, dans ce qui sépare, non dans ce syncrétisme mollasson caractéristique de la bonne conscience occidentale.
Je crois à la fécondité des confrontations et des échanges et, si tel n’était pas le cas, pourquoi participer à un forum de discussion ?
Je cite à nouveau Claude Larre :
Claude Larre a écrit:Dans le fond des choses, entre un Christianisme qui ne définit pas la nature humaine et le Taoïsme qui s’abandonne au mouvement naturel, il n’existe aucune opposition. Il se pourrait que certains aient une idée du Christianisme et du Taoïsme qui les fasse inconciliables. Mais cela, qui les regarde, n’est pas notre affaire.
Vanleers- Digressi(f/ve)
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Re: La notion de vie dans la pensée chinoise.
Vanleers a écrit:Claude Larre a écrit:Dans le fond des choses, entre un Christianisme qui ne définit pas la nature humaine et le Taoïsme qui s’abandonne au mouvement naturel, il n’existe aucune opposition. Il se pourrait que certains aient une idée du Christianisme et du Taoïsme qui les fasse inconciliables. Mais cela, qui les regarde, n’est pas notre affaire.
Que la rhétorique jésuitique ait intérêt à décréter une Anschluss sur le taoïsme, c'est son affaire. La nôtre est, au contraire, de déceler et de dénoncer la supercherie.
Zhongguoren- Digressi(f/ve)
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Date d'inscription : 23/06/2022
Re: La notion de vie dans la pensée chinoise.
Mythe Chinois :
Pangu, né de la rencontre du yin et du yang, émerge d’un œuf qu’il fend à l’aide d’une hache et dont les deux moitiés deviennent le ciel et la terre. Plusieurs versions de ce mythe existent, on s’interroge même sur son éventuelle origine indienne.
Dans celle rapportée par Louis-Jean Calvet, le dieu Pangu trouve les humains paresseux, et décide de les remplacer par de nouveaux :
« Il prit alors sept soleils et sept lunes et, au bout de quelques jours, tous les hommes étaient morts. Mais le dieu vit que c’était partout la canicule et le désert. Il prit alors six soleils et six lunes et planta une graine de citrouille. Quarante-neuf jours plus tard, la citrouille était mûre, et Pangu l’ouvrit. Il en sortit un garçon et une fille. Pangu chercha partout d’autres personnes, mais en vain : il n’y avait qu’un frère et une sœur. » Il leur demanda donc de se marier, ce qu’ils refusèrent – n’étaient-ils pas frère et sœur ? Il leur demanda alors d’accomplir trois choses très difficiles et leur dit : « Si vous réussissez, le ciel vous aura montré qu’il souhaite votre union. » Ils réussirent, se marièrent et eurent trois enfants, qui apprenaient très vite et très bien tout ce qu’on leur montrait, sauf la parole. Les parents étaient très inquiets.
Pangu revint. Il demanda au père d’aller chercher un bambou et de le couper en trois morceaux. Il pria la mère de faire un grand feu dans la maison. Puis il fit venir les enfants. Il jeta un morceau de bambou dans le feu, et lorsqu’il éclata un des enfants cria Ma ya. Il jeta le deuxième morceau, qui éclata à son tour, et un deuxième enfant cria A jian zhi zhe. Au troisième morceau, le troisième enfant cria Ah la ye. Et ces trois cris devinrent les langues des trois peuples voisins que sont les Han, les Li et les Lisu. »
(Louis-Jean Calvet: "Il était une fois 7000 langues" Fayard 2011)
Mythe Bambara :
Le Dieu Bemba fait naître la première parole « qu’il pétrit avec sa salive et son souffle ».
« Cependant, cette parole n’était audible que de lui. Il en fit alors un bruissement continu, un son audible qui se répandit dans le monde. Mais cette parole de Dieu n’était pas compréhensible des hommes. Nyalé pratiqua des coupures dans ce flux sonore, donnant ainsi des mots bruts, dénués de sens. Intervint alors N’domadyiri, qui donna à ces fragments des tons, des accents et des significations. »
(Louis-Jean Calvet: "Il était une fois 7000 langues" Fayard 2011)
Extrait de https://blog.assimil.com/mythes-et-origine-du-langage/
Concernant le mythe chinois, je me demande ce qu'on raconte à propos de l'anomalie frappant les trois enfants qui apprirent "très vite et très bien tout ce qu’on leur montrait, sauf la parole". Qu'en dit-on en Chine ? Y aurait-il clivage entre eux et leurs parents ?
Pangu, né de la rencontre du yin et du yang, émerge d’un œuf qu’il fend à l’aide d’une hache et dont les deux moitiés deviennent le ciel et la terre. Plusieurs versions de ce mythe existent, on s’interroge même sur son éventuelle origine indienne.
Dans celle rapportée par Louis-Jean Calvet, le dieu Pangu trouve les humains paresseux, et décide de les remplacer par de nouveaux :
« Il prit alors sept soleils et sept lunes et, au bout de quelques jours, tous les hommes étaient morts. Mais le dieu vit que c’était partout la canicule et le désert. Il prit alors six soleils et six lunes et planta une graine de citrouille. Quarante-neuf jours plus tard, la citrouille était mûre, et Pangu l’ouvrit. Il en sortit un garçon et une fille. Pangu chercha partout d’autres personnes, mais en vain : il n’y avait qu’un frère et une sœur. » Il leur demanda donc de se marier, ce qu’ils refusèrent – n’étaient-ils pas frère et sœur ? Il leur demanda alors d’accomplir trois choses très difficiles et leur dit : « Si vous réussissez, le ciel vous aura montré qu’il souhaite votre union. » Ils réussirent, se marièrent et eurent trois enfants, qui apprenaient très vite et très bien tout ce qu’on leur montrait, sauf la parole. Les parents étaient très inquiets.
Pangu revint. Il demanda au père d’aller chercher un bambou et de le couper en trois morceaux. Il pria la mère de faire un grand feu dans la maison. Puis il fit venir les enfants. Il jeta un morceau de bambou dans le feu, et lorsqu’il éclata un des enfants cria Ma ya. Il jeta le deuxième morceau, qui éclata à son tour, et un deuxième enfant cria A jian zhi zhe. Au troisième morceau, le troisième enfant cria Ah la ye. Et ces trois cris devinrent les langues des trois peuples voisins que sont les Han, les Li et les Lisu. »
(Louis-Jean Calvet: "Il était une fois 7000 langues" Fayard 2011)
Mythe Bambara :
Le Dieu Bemba fait naître la première parole « qu’il pétrit avec sa salive et son souffle ».
« Cependant, cette parole n’était audible que de lui. Il en fit alors un bruissement continu, un son audible qui se répandit dans le monde. Mais cette parole de Dieu n’était pas compréhensible des hommes. Nyalé pratiqua des coupures dans ce flux sonore, donnant ainsi des mots bruts, dénués de sens. Intervint alors N’domadyiri, qui donna à ces fragments des tons, des accents et des significations. »
(Louis-Jean Calvet: "Il était une fois 7000 langues" Fayard 2011)
Extrait de https://blog.assimil.com/mythes-et-origine-du-langage/
Concernant le mythe chinois, je me demande ce qu'on raconte à propos de l'anomalie frappant les trois enfants qui apprirent "très vite et très bien tout ce qu’on leur montrait, sauf la parole". Qu'en dit-on en Chine ? Y aurait-il clivage entre eux et leurs parents ?
benfifi- Modérateur
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Re: La notion de vie dans la pensée chinoise.
benfifi a écrit: Extrait de https://blog.assimil.com/mythes-et-origine-du-langage/
Concernant le mythe chinois, je me demande ce qu'on raconte à propos de l'anomalie frappant les trois enfants qui apprirent "très vite et très bien tout ce qu’on leur montrait, sauf la parole". Qu'en dit-on en Chine ? Y aurait-il clivage entre eux et leurs parents ?
Ce mythe, l'un des très rares de la culture chinoise (la Chine n'aime pas la mythologie) appartient à ce que Jung appelle "l'inconscient collectif de l'humanité", c'est-à-dire à ces structures mentales qu'ont toujours partagées à peu près toutes les civilisations (cf. le mythe Bambara) qui, toutes, sont riches en légendes concernant l'origine du langage. Cela dit, il y est question moins des relations parents/enfants que de l'importance de la langue dans la définition de la culture d'une communauté. Celle-ci se définit comme l'ensemble des conditions que le Ciel, autrement dit la vie, le destin, assigne aux hommes dans leurs relations mutuelles et dans leurs relations aux "dix-mille êtres". Dans ce mythe, donc, si les parents sont inquiets, c'est parce que, dans la mentalité chinoise en particulier, ne pas faire l'apprentissage de la langue, c'est n'avoir aucune place assignée sous le Ciel.
Après, il faut savoir qu'il existe, en Chine actuellement, non pas 3 mais 56 groupes ethniques officiellement reconnus et que l'un d'entre eux, celui des Han, est ultra-majoritaire (90% de la population). D'ailleurs, en chinois mandarin, "langue chinoise" se dit hàn yǔ (汉语) littéralement, "langue des Han", et "sinogramme" se dit hàn zì (汉字), "kanji" en japonais, c'est-à-dire "écriture des Han".
Zhongguoren- Digressi(f/ve)
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Date d'inscription : 23/06/2022
Re: La notion de vie dans la pensée chinoise.
Justement quelle interprétation donnent les Chinois de ce non-apprentissage de la langue de la part des enfants ? Pour quelle raison les enfants risquent-ils de "n'avoir aucune place assignée sous le Ciel"?Zhongguoren a écrit:Dans ce mythe, donc, si les parents sont inquiets, c'est parce que, dans la mentalité chinoise en particulier, ne pas faire l'apprentissage de la langue, c'est n'avoir aucune place assignée sous le Ciel.
benfifi- Modérateur
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Date d'inscription : 08/12/2018
Re: La notion de vie dans la pensée chinoise.
benfifi a écrit:Justement quelle interprétation donnent les Chinois de ce non-apprentissage de la langue de la part des enfants ? Pour quelle raison les enfants risquent-ils de "n'avoir aucune place assignée sous le Ciel"?Zhongguoren a écrit:Dans ce mythe, donc, si les parents sont inquiets, c'est parce que, dans la mentalité chinoise en particulier, ne pas faire l'apprentissage de la langue, c'est n'avoir aucune place assignée sous le Ciel.
Parce que, dans la culture traditionnelle chinoise, le langage, en particulier l'écriture, implique un rapport magique au monde. Pourquoi l'écriture chinoise est-elle aussi "bizarre" ? Eh bien parce qu'à l'origine (il y a 5 ou 6 000 années de cela) on demandait à des shamans de déchiffrer les décrets du Ciel en faisant chauffer des omoplates d'ovins ou de bovins. Il en résultait des craquelures qui étaient considérées comme le message du Ciel. Plus tard, on a fait la même opération avec des carapaces de tortues (plates comme la Terre, bombées comme le Ciel). Alors on a pris l'habitude d'inscrire les signes du Ciel dans des sortes de carrés. Ainsi sont nés les sinogrammes. Et voilà pourquoi il importe de savoir lire et écrire : il s'agit rien moins que de communiquer avec le Ciel afin d'en tirer des maximes d'actions efficaces. Quant à la parole, pour les Chinois, elle est réputée "imiter" l'écriture. La langue chinoise est une langue essentiellement écrite !
Zhongguoren- Digressi(f/ve)
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Date d'inscription : 23/06/2022
Re: La notion de vie dans la pensée chinoise.
J'apprécie votre propos. Mais vous ne répondez pas à ma question.
Dit brutalement, ce mutisme ne serait-il pas dû à l'inceste dont ils sont issus ?
Bien entendu ma question concerne les trois enfants en cause dans le mythe.benfifi a écrit:Justement quelle interprétation donnent les Chinois de ce non-apprentissage de la langue de la part des enfants ? Pour quelle raison les enfants risquent-ils de "n'avoir aucune place assignée sous le Ciel"?
Dit brutalement, ce mutisme ne serait-il pas dû à l'inceste dont ils sont issus ?
benfifi- Modérateur
- Nombre de messages : 877
Date d'inscription : 08/12/2018
Re: La notion de vie dans la pensée chinoise.
ZGren a écrit:La langue chinoise est une langue essentiellement écrite !
Je comprends bien qu'une langue écrite soit essentiellement écrite.
Une langue parlée (oralité) est pour sa part une langue essentiellement parlée .
Ce qui est tautologique.
Or on a une coexistence ( coprésence) des deux.
Il se peut que par le monde seule l'oralité soit (ou fut) présente, mais ne ne vois pas de cas où seule l'écriture soit présente (excluant toute oralité)...
vite dit : de peuples ayant une langue exclusivement écrite .
(voire gestuelle et donc hormis le cas d'un peuple de sourds-muets).
Comme de toutes les langues, les langues chinoises sont essentiellement langues (orales ET écrites).
Ce qui ne nous donne encore pas le savoir de ce que c'est que l'essence de "la langue ",
si ce savoir est possible au delà des déterminations susdites (oral et écrit).
(dans la plus grande généralisation du concept dénoté par "une langue (hormis la langue organe dans ma bouche)
Le chinois des petits enfants n'est pas essentiellement écrit (évidemment)
alors quel est- il, essentiellement ?
hks- Digressi(f/ve)
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Localisation : Hauts de Seine
Date d'inscription : 04/10/2007
Re: La notion de vie dans la pensée chinoise.
D'abord merci pour vos remarques et objections qui enrichissent ce fil de discussion en me permettant d'insister sur cet aspect fondamental de la Vie chez les Chinois : le rapport de tout Chinois à son langage.
Quelle interprétation souhaitez-vous avoir ? Si c'est une interprétation psychanalytique vous avez peut-être raison mais je ne suis pas très compétent pour vous en dire plus. Si c'est l'interprétation qu'en donnent les Chinois (lesquels sont d'ailleurs complètement imperméables à la psychanalyse), je vous l'ai livrée.
Je vous ai expliqué ci-dessus en quel sens la langue chinoise est "essentiellement écrite" : non pas que l'écrit y ait précédé l'oral (évidemment !), mais dans le sens où le rapport à l'écrit y est unique au monde (du fait, précisément, de la nature de son écriture) et engage implicitement une conception de la place de l'homme dans le cosmos. Une autre preuve de la prééminence de l'écrit : dans la communication orale courante, du fait des innombrables homophones (par exemple, il y a environ 80 caractères qui correspondent à la syllabe "shi", un peu moins si l'on considère les tons, mais, dans la communication courante, les tons sont souvent peu perceptibles), lorsqu'une ambiguïté surgit en dépit du contexte, les Chinois(es) miment avec un index le sinogramme correspondant dans leur main opposée.
Je n'ai pas parlé d'"essence" de quoi que ce soit. Je laisse ce terme aux métaphysiciens. J'ai juste employé l'adverbe "essentiellement". Rien ne vous autorise à dériver un substantif à partir d'un adverbe (pauvres Chinois qui ignorent ce genre de subtilité langagière !).
C'est exactement celui qui est évoqué dans le mythe rappelé par Benfifi.
benfifi a écrit:J'apprécie votre propos. Mais vous ne répondez pas à ma question.[...]
Bien entendu ma question concerne les trois enfants en cause dans le mythe.
Dit brutalement, ce mutisme ne serait-il pas dû à l'inceste dont ils sont issus ?
Quelle interprétation souhaitez-vous avoir ? Si c'est une interprétation psychanalytique vous avez peut-être raison mais je ne suis pas très compétent pour vous en dire plus. Si c'est l'interprétation qu'en donnent les Chinois (lesquels sont d'ailleurs complètement imperméables à la psychanalyse), je vous l'ai livrée.
hks a écrit:Comme de toutes les langues, les langues chinoises sont essentiellement langues (orales ET écrites).
Ce qui ne nous donne encore pas le savoir de ce que c'est que l'essence de "la langue "
Je vous ai expliqué ci-dessus en quel sens la langue chinoise est "essentiellement écrite" : non pas que l'écrit y ait précédé l'oral (évidemment !), mais dans le sens où le rapport à l'écrit y est unique au monde (du fait, précisément, de la nature de son écriture) et engage implicitement une conception de la place de l'homme dans le cosmos. Une autre preuve de la prééminence de l'écrit : dans la communication orale courante, du fait des innombrables homophones (par exemple, il y a environ 80 caractères qui correspondent à la syllabe "shi", un peu moins si l'on considère les tons, mais, dans la communication courante, les tons sont souvent peu perceptibles), lorsqu'une ambiguïté surgit en dépit du contexte, les Chinois(es) miment avec un index le sinogramme correspondant dans leur main opposée.
hks a écrit:Ce qui ne nous donne encore pas le savoir de ce que c'est que l'essence de "la langue ",
Je n'ai pas parlé d'"essence" de quoi que ce soit. Je laisse ce terme aux métaphysiciens. J'ai juste employé l'adverbe "essentiellement". Rien ne vous autorise à dériver un substantif à partir d'un adverbe (pauvres Chinois qui ignorent ce genre de subtilité langagière !).
hks a écrit:Le chinois des petits enfants n'est pas essentiellement écrit (évidemment)
alors quel est- il, essentiellement ?
C'est exactement celui qui est évoqué dans le mythe rappelé par Benfifi.
Zhongguoren- Digressi(f/ve)
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Date d'inscription : 23/06/2022
Re: La notion de vie dans la pensée chinoise.
Zhongguoren a écrit:Si c'est l'interprétation qu'en donnent les Chinois (lesquels sont d'ailleurs complètement imperméables à la psychanalyse), je vous l'ai livrée.
J'en déduis que les enfants (du mythe) n'ont pas bénéficié de ce "rapport magique au monde". Pour ma part je n'irai pas plus loin.Zhongguoren lundi à 17:31 a écrit:Parce que, dans la culture traditionnelle chinoise, le langage, en particulier l'écriture, implique un rapport magique au monde.
benfifi- Modérateur
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Date d'inscription : 08/12/2018
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