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Science intuitive et biodanza

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Message par Vanleers Dim 10 Déc 2017 - 15:34

La biodanza ne semble pas donner à l’éternité l’importance qu’elle a dans la science intuitive.
Certes, Rolando Toro a écrit cette phrase, souvent reprise dans les écoles de biodanza :

Rolando Toro a écrit: Les vivencias sont une porte au travers de laquelle nous pénétrons dans le pur espace de l'être. Espace dans lequel le temps n'existe plus et où nous sommes nous-mêmes, ici et maintenant et pour l'éternité

On y rappelle aussi que « La nature essentielle de l'humain est l'éternelle célébration de la vie. Cet état lui révèle une vision illuminée de lui-même et du monde ».
Toutefois, l’Ethique insiste davantage sur l’importance de la connaissance sub specie aeternitatis et Spinoza démontre en Ethique V 30 que :

Spinoza a écrit: Notre Esprit, en tant qu’il se connaît ainsi que le Corps sous l’aspect de l’éternité, a en cela nécessairement une connaissance de Dieu, et sait qu’il est en Dieu et se conçoit par Dieu.

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Message par baptiste Dim 10 Déc 2017 - 19:02

hks a écrit:
baptiste a écrit:Ainsi donc c'est parce qu'il y en a trop que tu ne peux même pas en citer un, étrange argument ne trouves-tu pas!
Je n'ai pas voulu tomber dans le ridicule de t'en citer un, lequel est le mot  "vie"
J'ai dit  ce que j'en pensais dans le message  :  hks le Ven 1 Déc - 23:23

C'est quoi cette entourloupe, je soutiens que le mot vie désigne simplement une expérience empirique, tu soutient au contraire qu'il s'agit d'un concept, je te demande juste de m'en instruire.

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Message par hks Dim 10 Déc 2017 - 22:19

baptiste a écrit:C'est quoi cette entourloupe, je soutiens que le mot vie désigne simplement une expérience empirique, tu soutiens au contraire qu'il s'agit d'un concept, je te demande juste de m'en instruire.
Je ne soutiens rien "au contraire" .
Si je soutenais "au contraire" il me faudrait soutenir que les concepts n' ont pas d'origine empirique.
Mais je me suis bien gardé de m'avancer sur cette question difficultueuse de l'origine des concepts .

Là tu sembles signifier avec ton au contraire que qui parle de concepts s'oppose à qui parle d'expérience empirique.
Moi je ne fais pas ce genre d' opposition.
Je ne vois pas l'idée de vie ( pour ne plus parler de concept) comme pouvant  se concrétiser dans l' esprit SANS une experience...  je dirais existentielle.

On n'est pas là dans l'explication de l'origine de l' idée  mais dans celui de l'explication de  la prise de conscience de l'idée ( de vie)  

Par analogie:  l'idée de vue (vision) peut être a priorique (ou nuance une idée innée) ...ou produite suite à des expériences répétées de vision,
mais dans les deux cas, SI je n'ai aucune expérience de vision  le concept de vue  restera muet (inexprimé)

(les deux thèses opposées sur l'origine des concepts sont pour faire vitecelle de Descartes et ses idées innées et celle Locke et son empirisme)

ou globalement Platon versus Aristote

..............................................................................................................

Maintenant tu veux que je t'instruise sur l' idée que j'ai de la VIE. Pour moi est vivant se qui se sent lui même. Ce qui suppose un "soi même".... c'est à dire un rapport d'égoÏté (pas nécessairement en  conscience claire et distincte)
ou bien dit autrement un individué  se ressentant(ressentir)

Puisque tu veux de l'expérience, je fais l' expérience de me sentir vivant.
Cette philosophie ne part pas de l' expérience behavioriste des mouvements dans la nature.

La thèse vitaliste est certes audacieuse ...mais la thèse opposée (et pour le coup contraire) ne permet pas de comprendre la co-exitence de l' animé et de l'inanimé .
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Message par Vanleers Jeu 21 Déc 2017 - 7:22

J’ai déjà cité un passage de Rolando Toro, l’inventeur de la biodanza, et je le cite à nouveau

Rolando Toro a écrit:

Le philosophe Emmanuel Levinas a révélé la forme de lien la plus élevée, « le regard dans les yeux » ; l’extase de la fusion avec l’autre ; il s’agit d’arriver à être un avec l’autre. La relation humaine n’est pas asymétrique comme dans l’empathie. C’est un lien réciproque avec l’Autre-infini », avec l’étranger qu’on ne connait jamais vraiment totalement.
L’Autre accueille et est accueilli à son tour, réciproquement, face à face ; c’est l’approche absolue dans le monde privé de l’étranger. Par un regard, les deux atteignent l’union du sacré dans un acte d’épiphanie et d’extase.

Levinas, à mon avis, a décrit le niveau le plus évolué dans l’échelle du lien.

On rapprochera cet extrait de ce qu’écrit Spinoza dans le scolie d’Ethique V 23 :

Spinoza a écrit: Et pourtant nous sentons et expérimentons que nous sommes éternels. Car l’Esprit ne sent pas moins les choses qu’il conçoit en comprenant, que celles qu’il a en mémoire. En effet les yeux de l’Esprit, par lesquels il voit et observe les choses, ce sont les démonstrations mêmes.

Il est question, dans ce scolie, des yeux de l’esprit alors que R. Toro reprend à Levinas l’expression « le regard dans les yeux ».
Ici, ce sont les yeux du corps qui ouvrent à une expérience de l’éternité.
Le regard dans les yeux révèle l’essence éternelle de l’autre et sa dépendance à l’égard de l’essence de Dieu, ce qui est la définition de la science intuitive (Ethique II 40 sc. 2).
Cette intuition de l’essence éternelle de l’autre affecte davantage l’esprit que les démonstrations comme l’indique la fin du scolie d’Ethique V 36.

Spinoza a écrit: Car, quoique j’aie montré de manière générale dans la Première Partie que tout (et par conséquent l’Esprit humain aussi) dépend de Dieu selon l’essence et selon l’existence, pourtant cette démonstration, quoiqu’elle soit légitime et sans risque de doute, n’affecte pourtant pas autant notre Esprit que lorsqu’on tire cette conclusion de l’essence même d’une chose singulière quelconque que nous disons dépendre de Dieu.

La biodanza est ainsi une voie du corps qui complète la voie de l’esprit que Spinoza développe dans l’Ethique, voie du corps signalée dans la proposition 39 de la partie V :

Spinoza a écrit: Qui a un Corps apte à un très grand nombre de choses a un Esprit dont la plus grande part est éternelle.

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Message par Vanleers Ven 22 Déc 2017 - 20:47

Dans un chapitre sur la biodanza (in L’expérience du bonheur – Almora 2014), Bruno Giuliani émet des réserves :

Giuliani a écrit: J’ai eu quelques légères divergences de vue avec Rolando Toro, en particulier à propos de Levinas qu’il citait souvent comme référence de l’éthique et de sa conception de l’amour que je juge trop passionnelle […] (pp. 313-314)

Or, l’expérience du « regard dans les yeux » n’est autre que l’intuition de l’essence de l’autre dans sa dépendance à l’égard de l’essence de Dieu, c’est-à-dire une connaissance du troisième genre d’où naît nécessairement un amour intellectuel de Dieu (corollaire d’Ethique V 32).
Un tel amour ne saurait être passionnel (Ethique V 34)

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Message par Vanleers Mar 26 Déc 2017 - 17:07

Henrique Diaz a écrit un remarquable article Éprouver l’amour intellectuel ? qu’on peut lire en :

http://www.spinozaetnous.org/article14.html

Je le cite ici presque in extenso, avec de légères modifications (principalement, en remplaçant plusieurs fois « vie » par « Vie »).
J’ai souligné ce qui me paraît le plus important.
A mon point de vue, cet article dit l’essentiel sur l’Ethique.
Je ferai le lien avec la biodanza dans un prochain post.

La béatitude dont nous entretient l'Ethique, « la satisfaction même de l'âme, qui naît de la connaissance intuitive de Dieu » (Ethique IV, Appendice, chap. 4) dépend de l'amour intellectuel qui lui-même est une propriété du troisième genre de connaissance.
Pour répondre à la question « Ai-je éprouvé l’amour intellectuel dont parle Spinoza ? », rappelons d’abord ce que ce dernier entend par amour intellectuel. C’est une joie accompagnée de l’idée de Dieu comme cause, autrement dit, c’est l’amour de Dieu, non pas en tant que nous l’imaginons comme présent mais en tant que nous le comprenons comme éternel (Ethique V, 32, corollaire).
Quand je comprends que Dieu est cause d’une joie que j’éprouve, j’aime Dieu "intellectuellement". Ici, "intellectuellement" ne veut pas dire "froidement, à l'exclusion de toute affectivité" puisque précisément il s'agit d'une joie éprouvée concrètement. Mais cela veut dire ‘ à l'exclusion de l'imagination qui produit l'amour anthropomorphique et nécessairement fluctuant de Dieu ’ qu'on trouve encore quelques fois chez le vulgaire qui "aime" un dieu supposé le récompenser de cet amour.

Qu'est-ce donc que comprendre que Dieu est cause d'une joie ? Evidemment, le concept de Dieu est ici à comprendre dans un sens spinozien : ni plus, ni moins qu'un être absolument infini, une substance consistant en une infinité d'attributs. Cet être, qui par son absolue infinité enveloppe tout, même sa propre existence, Spinoza montre que nous en avons une connaissance adéquate, c'est à dire claire et distincte, parce que complète, parce qu'auto-suffisante : "la mentalité humaine a une connaissance adéquate de l'essence éternelle et infinie de Dieu" (Ethique II 47).
Le scolie d’Ethique II 45 détaille : bien que chaque chose singulière [une fleur, par exemple] soit déterminée par une autre à exister d'une certaine façon, la force (vis) qui fait que chacune persévère dans l'existence suit de la nature de Dieu. Quelle est cette force ? C'est l'essence singulière de chaque individu, autrement dit ce qui la caractérise comme vivante, comme s'affirmant dans l'existence. Donc, si je considère la fleur en la rapportant à d'autres choses, par association d'images ou par connexion rationnelle par notions communes avec les corps qui l'environnent, je perds de vue la fleur en elle-même. Mais il peut tous nous arriver de considérer un corps dans sa singularité. A partir des notions communes notamment (connaissance du second genre), je peux en venir à considérer ce qui caractérise cette fleur en propre. Et considérer un corps dans sa singularité nous arrive tous avec au moins un corps, le nôtre.
Qu'arrive-t-il alors ? Ne rapportant plus ce corps à quelque corps extérieur, je le considère de l'intérieur. J'en perçois la vie. Non pas le mouvement, non pas le temps compris entre la naissance et la mort, non pas encore la capacité à transformer la matière en énergie (définition phénoméniste du biologiste), mais l'auto-affirmation de soi, irréductible à quelque corps extérieur que ce soit. Et si je perçois cette auto-affirmation, je ne perçois rien d'autre que ce que Spinoza appelle Dieu : la Vie en tant que puissance infinie de s'affirmer. (cf. Pensées Métaphysiques, II, 6)
Rien d'obscur ici. Dieu n'est rien moins qu'une affirmation pure : infinie, parce que rien d'extérieur ne peut la limiter, éternelle parce qu'elle ne se rapporte à rien d'autre qu'elle-même, ce qui fait qu'il n'y a ni avant, ni après. Comprendre qu'un être est vivant, c'est donc comprendre que la Vie s'affirme en lui, non comme quelque chose d'extérieur, mais comme ce qui lui confère de façon immanente son essence d'être vivant, c'est-à-dire comme son essence même.

Ainsi, lorsque nous considérons notre propre corps, nous avons conscience de notre éternité : nous sentons et nous éprouvons que nous sommes éternels parce que se sentir vivre, sentir sa propre puissance de s'affecter, est une évidence qui ne se rapporte ni à la mémoire d'un passé donné, ni à l'imagination d'un avenir supposé (cf. Ethique V 23, scolie). Ce qui complique l'interprétation ici est la présence dans ce scolie de la référence aux "yeux de l'esprit" que sont les démonstrations, ce qui donne à penser qu'il faudrait avoir lu l'Ethique avant d'éprouver son éternité - ce que nombre de commentateurs font - alors que Spinoza dit bien que tous les hommes connaissent adéquatement Dieu, comme l'éternité qui en découle. Mais les démonstrations ne se trouvent pas que dans l'Ethique : une démonstration n'est rien d'autre que la capacité de percevoir l'évidence d'une vérité à partir d'une évidence première, l'évidence étant ce qui ne peut pas être pensé autrement.
Ce que permet l'Ethique, ce n'est rien d'autre que clarifier cette conscience de l'infinie puissance de s'affirmer dont je suis une expression singulière. Il s'agit donc de déterminer les remèdes aux affects qui nous empêchent de percevoir notre béatitude - remèdes dont "tout le monde a l'expérience mais sans les observer avec soin ni les voir distinctement" - en connaissant le mental en lui-même (Ethique V préface). Ainsi on pourra passer entre autres de la fluctuation d'âme qui caractérise celui qui perçoit l'évidence de la vie, mêlée des confusions de l'imagination et des passions qui en découlent, à la force d'âme, ferme et généreuse (Ethique III 59, scolie) de celui qui est clairement "conscient de lui-même et de Dieu".

Dès lors il ne saurait s'agir de construire cette béatitude à partir d'une lecture de l'Ethique ou de quelque moyen que ce soit. La béatitude est la satisfaction qui naît de la conscience de notre unité avec la Vie pure ou encore de la connaissance intuitive de Dieu. Cette conscience ou cette connaissance, nous avons vu que nous la possédons tous, et pour cause, elle est éternelle : "cet amour envers Dieu n'a pas eu de commencement" (Ethique V 33, scolie). Par conséquent, la béatitude ne s'atteint pas, elle existe déjà de toute éternité. Mais, si elle existe déjà, nous n'en avons pas clairement conscience. On peut donc s'interroger sur les moyens non d'atteindre la béatitude mais une conscience suffisamment claire et distincte de cet état.
Puisqu'il s'agit d'un état naturel, il faudra d'abord faire tomber les obstacles qui empêchent d'en prendre conscience adéquatement. Ces obstacles sont les préjugés sur l'essence de Dieu, la place de l'homme dans la nature, le sens de son existence et les passions tristes qui en découlent. Ainsi le préjugé finaliste selon lequel tout dans la nature doit se comprendre par rapport à un but transcendant l'existence des individus donne à penser qu'aucun être n'a suffisamment de perfection par lui-même pour mériter d'exister : l'arbre n'a de valeur que parce qu'il apporte de l'ombre, l'homme parce qu'il sert Dieu ou je ne sais quel idéal transcendant. Ce préjugé produit des passions comme "l'humilité" qui est la tristesse naissant de ce que l'individu considère son impuissance alors que la véritable connaissance de soi, de son essence actuelle, est la connaissance de sa puissance - l'impuissance se rapportant en fait à une cause extérieure (Ethique IV 53). Croyant que son existence ne se suffit pas à elle-même, que vivre pour vivre ne suffit pas, celui qui cède au préjugé finaliste se construira un univers mental faisant écran à la conscience de sa béatitude : la vie lui paraîtra "injuste", "difficile" etc.
Pour remédier aux passions et développer une affectivité active, Spinoza préconise une culture de l'imagination (Ethique V 1 à 10) et l'amour non superstitieux envers Dieu - qui n'est pas encore l'amour intellectuel - qui consiste dans la joie de comprendre ses passions par leurs causes et dès lors à percevoir l'image des choses en les rapportant à Dieu (Ethique V 11 à 20). Mais cela, il ne suffit pas de le lire comme le voudrait Alquié, il faut le mettre en œuvre. Le scolie de la proposition 10 propose de véritables exercices s'adressant à qui veut connaître la liberté de l'amour intellectuel : "il faut penser souvent aux offenses que se font communément les hommes et méditer de quelle façon et par quelle voie on les peut mieux repousser par la générosité... il faut dénombrer et imaginer souvent les dangers ordinaires de la vie, et comment ils peuvent le mieux être évités et surmontés par la présence d'esprit et la force d'âme..."
Une fois la mentalité humaine ainsi préparée, une fois libérée des passions qui font écran à la conscience claire de notre perfection et éternité, la béatitude se révèle naturellement et spontanément. Il faudra donc de la patience pour que cette prise de conscience s'effectue d'elle-même. Il n'y a pas à proprement parler de technique, pas de bouton sur lequel appuyer pour que s'allume la lumière de la béatitude.
On pourra certes se concentrer sur son corps en s'efforçant de faire taire le bavardage mental : pas d'associations d'images, ni de réflexion par notions communes. Mais, conformément à ce qui précède, ce n'est pas vraiment une technique, c'est un état auquel notre libération à l'égard des passions tristes nous amènera progressivement et un tel effort ne "marchera" que si on y est suffisamment préparé. Cela correspond à ce que Spinoza décrit dans les propositions 24 à 29 de la cinquième partie de l'Ethique : nous pouvons concevoir un corps ou bien relativement, en rapport avec un certain temps et un certain lieu, ou bien nous pouvons le concevoir en tant qu'il est contenu en Dieu, non pas relativement à Dieu conçu comme cause transitive mais comme expression immanente de la Vie pure (scolie de la prop. 29). Il s'agit donc de considérer le corps dans son essence, autrement dit de cesser d'imaginer ou de raisonner, d'articuler son idée à d'autres idées mais au contraire de laisser cette essence se révéler à la conscience. Comme le troisième genre de connaissance dépend de l'esprit comme de sa cause formelle (Ethique V 31), il n'y a pas de passivité au sens strict dans ce laisser-aller, ce lâcher prise qui concerne l'imagination et le raisonnement.
Se livrer à un tel exercice peut rappeler le yoga pratiqué en orient, ainsi qu'Alexandre Matheron l'avait fait dans Individu et Communauté. Encore faut-il ne pas associer à ce mot bien des préjugés, tels que d'une part de simples exercices physiques destinés au "mieux être", à diminuer le stress de l'existence ordinaire, d'autre part une mystique de la confusion de l'individu avec la totalité en laquelle il s'agirait de se désagréger. Le terme de yoga signifie étymologiquement "jonction", unification et non confusion de l'esprit et du corps, de l'infini et du fini. Dans les Yoga Sutras, Patanjali le définit comme "chittavrittinirodah" : "l'interruption de l'agitation mentale" permettant que cesse la confusion de la conscience pure avec l'agitation mentale et que se révèle notre centre substantiel : drashtar, la conscience témoin.

Donc, je pense avoir déjà éprouvé (plutôt qu'expérimenté, ce qui impliquerait une dimension phénoméniste, des tests quantifiables, propres aux sciences... des phénomènes, i.e. des apparences extérieures) l'amour intellectuel de Dieu, que je comprends comme l'intuition pure, i.e. sans médiation imaginaire ou même rationnelle, de la Vie par elle-même. Dès lors qu'elle se clarifie, cette intuition procure une joie extrêmement concrète car il s'agit de l'augmentation de ma puissance de me penser clairement et distinctement dans ma propre singularité, en tant qu'étant là, et non selon une quelconque généralité. Mais j'insiste sur le fait qu'il n'y a en soi rien d'aristocratique à cela, c'est-à-dire d'accessible uniquement à certains individus. Dans l'Ethique, Spinoza passe du 'je' des premières définitions au 'nous' de la cinquième partie, ce qui est significatif.
D'autre part, l'amour intellectuel n'est pas à proprement parler un but : la conscience d'être éternel et donc l'amour de la Vie pure sont en fait présents dès lors que j'ai conscience de vivre. Mais le but est de clarifier autant que faire se peut cette conscience qui est ordinairement troublée par les passions tristes. Il s'agit également d'augmenter la puissance de percevoir la Vie et l'éternité de tout ce qui m'entoure, les passions ordinaires étant ici aussi un obstacle à surmonter.
S'agit-il alors de se "diviniser" en développant l'amour intellectuel de Dieu ? Non, puisque nous sommes déjà pleinement divins en tant qu'expressions de l'étant absolument infini et aussi d'un autre côté, parce qu'il ne saurait s'agir de devenir absolument infinis : l'homme reste physiquement et mentalement fini. Comprendre son rapport à la Vie, c'est comprendre une inséparabilité de la Vie et des vivants, de l'infini et du fini. Développer l'amour intellectuel, c'est donc simplement vivre plus pleinement, en prenant progressivement conscience de notre unité avec le divin et tout ce qui est divin, à savoir tout ce qui existe dans la Nature.

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Message par Vanleers Mer 27 Déc 2017 - 12:32

La biodanza, la danse de la vie, et on pourrait dire la danse de la Vie, propose des expériences qui, comme celle du corps propre rapportée par Henrique Diaz ci-dessus, nous font éprouver l’amour intellectuel de Dieu.
Je reprends l’expérience du « regard dans les yeux » dont il a déjà été question plusieurs fois.
Ici aussi, il s’agit de considérer un corps, un visage, dans sa singularité, et d’avoir l’intuition que « la Vie s'affirme en lui, non comme quelque chose d'extérieur, mais comme ce qui lui confère de façon immanente son essence d'être vivant, c'est-à-dire comme son essence même » (H. Diaz).
De ce regard naît un amour pour l’autre perçu dans son essence éternelle dépendant de l’essence de Dieu comme de sa cause.
La Vie en moi aime la Vie en l’autre mais il s’agit de la Vie en tant qu’elle s’exprime de façon singulière en moi et de la Vie en tant qu’elle s’exprime de façon singulière en l’autre.
Cet amour pour l’autre est un amour intellectuel au sens rappelé par H. Diaz, c’est-à-dire une joie concrète et forte mais à l’exclusion de l’imagination, donc sans tristesse.

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Message par Vanleers Ven 12 Jan 2018 - 10:22

Le « regard dans les yeux » en biodanza peut se soutenir de l’Ethique et de son ontologie et me paraît assez différent de l’expérience du visage chez Levinas.
A ce propos, on peut lire ce qui est dit en :

https://la-philosophie.com/visage-levinas

J’en extrais le passage suivant :

Philocours a écrit: Levinas décrit le visage comme une misère, une vulnérabilité et un dénuement qui, en soi, sans adjonction de paroles explicites, supplient le sujet. “Mais cette supplication est une exigence” de réponse, une exigence de soutien et d’aide :

Le visage s’impose à moi sans que je puisse cesser d’être responsable de sa misère. La conscience perd sa première place“.
[…]

Une citation de Dostoïevski peut à elle seule résumer la pensée de Levinas :
Nous sommes tous coupables de tout et de tous devant tous, et moi plus que les autres

Le « regard dans les yeux » d’inspiration spinoziste retrouve dans le visage de l’autre la puissance de la Vie et non « le visage comme une misère, une vulnérabilité et un dénuement qui, en soi, sans adjonction de paroles explicites, supplient le sujet ».

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Message par Vanleers Sam 13 Jan 2018 - 16:50

Ajoutons toutefois qu’un visage qui apparaît « comme une misère, une vulnérabilité et un dénuement » peut susciter un sentiment de pitié et de compassion.
La pitié, selon Spinoza, est une passion triste qui « dans l’homme qui vit sous la conduite de la raison, est par soi mauvaise et inutile » (Ethique IV 50).
Toutefois, ajoute le scolie :

Spinoza a écrit: Celui que ne meut ni raison ni pitié à être secourable aux autres, on a raison de l’appeler inhumain.

L’homme qui vit sous la conduite de la raison verra dans le visage de l’autre la puissance de la Vie et aura le désir de lui venir en aide et de se lier d'amitié, désir que Spinoza appelle Générosité (Ethique III 59 sc.).
C’est celui qui, face au visage de l’autre, n’éprouve ni générosité, ni pitié, que Spinoza qualifie d’inhumain et Levinas a donc partiellement raison.

Pour une critique du caractère absolu de l’éthique selon Levinas, voir Daniel Sibony en :

https://www.youtube.com/watch?v=01Mb5I_4sf0

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Message par Vanleers Dim 14 Jan 2018 - 17:32

Le regard dans les yeux, comme l’étreinte aussi, font partie de ces gestes qui sont le propre de l’humain comme le dit Hélène Benseft au début de sa présentation de la biodanza (cf. le premier post de ce topic).
Je la cite à nouveau :

Hélène Lévy Benseft a écrit: Biodanza veut dire danse de la vie, dans le sens où les gestes que nous sommes invités à danser sont les gestes qui sont le propre de l’humain comme les gestes de la force, de la tendresse, de l’accueil, de l’expansion, du courage, de l’étreinte, de la solidarité, de l’amitié, du donné, du recevoir, du refus. Tous ces gestes qui appartiennent, indépendamment de notre culture, de notre acquis, de notre race, de notre âge, de nos croyances, de notre éducation, qui appartiennent à ce qu’on peut appeler le patrimoine universel de l’humanité, la capacité à s’exprimer en tant qu’être humain.
La musique, la danse, les situations dans lesquelles nous nous retrouvons dans un groupe avec l’autre nous mettent immédiatement au cœur de la pratique de ces gestes. Et cette pratique, nous l’appelons la pratique vivencielle, c’est-à-dire vivre ici et maintenant la réalité de l’expression, la réalité de la sensation, du sentiment, de la relation à l’autre.

Nous sommes invités à accomplir ces gestes « en sentant, en sachant que nous appartenons à un Tout vivant » (H. Lévy Benseft), c’est-à-dire en ayant conscience de la dimension de transcendance au sens de la biodanza.
Ces gestes relèvent alors d’une mise en œuvre concrète de la science intuitive ou connaissance du troisième genre dont je rappelle, une fois encore, la définition :

Spinoza a écrit: Et ce genre de connaissance procède de l’idée adéquate de l’essence formelle de certains attributs de Dieu vers la connaissance adéquate de l’essence des choses (Ethique II 40 sc. 2).

L’expression « l’essence des choses », « essence » étant au singulier et « choses » au pluriel a donné lieu à diverses interprétations, certains commentateurs soutenant qu’il est question ici d’une essence spécifique des choses singulières en tant que toutes dépendent de Dieu et d’autres auxquels nous nous rallions, de l’essence singulière des choses singulières.
Dans les gestes du regard dans les yeux ou de l’étreinte se révèle l’essence singulière de celui ou celle que l’on regarde ou que l’on étreint. De l’intuition de cette essence singulière naît une très grande joie : l’amour intellectuel de Dieu, autrement dit l’amour de l’autre, expression singulière et unique de la Vie (du divin)
C’est évidemment plus concret et réjouissant que le simple Namasté indien : « Je salue le divin qui est en vous ».

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Message par Vanleers Lun 15 Jan 2018 - 16:56

Une rencontre placée sous le signe de la transcendance au sens de la biodanza (dans la conscience d’appartenir à un Tout vivant) peut être dite une « rencontre du troisième type ».
Suivant le genre de connaissance mise en œuvre, les rencontres entre deux êtres humains sont de trois types et elles relèvent de la servitude, de la fortitude ou de la béatitude.

Précisons ce qu’est une rencontre du troisième type.

Le scolie d’Ethique V 29 énonce :

Spinoza a écrit: Nous concevons les choses comme actuelles de deux manières selon que nous les concevons soit en tant qu’elles existent en relation à un temps et à un lieu précis, soit en tant qu’elles sont contenues en Dieu et suivent de la nécessité de la nature divine.

Nous rencontrons l’autre, dans une rencontre du troisième type, lorsque nous changeons notre regard et que nous le considérons ainsi que nous-même en tant que contenus en Dieu et suivant de la nécessité de la nature divine.

Le scolie d’Ethique V 29 se réfère au scolie d’Ethique II 45 dans lequel Spinoza précise, qu’ici, il entend par existence, non pas la durée mais « l’existence même des choses singulières en tant qu’elles sont en Dieu »

Dans son commentaire d’Ethique V 29 et après avoir noté la référence à Ethique II 45 sc., Pierre Macherey écrit :

Pierre Macherey a écrit: Nous nous élevons alors jusqu’au point où nous concevons, nous comprenons que les choses singulières n’existent pas seulement en relation avec nous, mais existent en Dieu, en donnant au terme exister son sens le plus fort.

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Message par Vanleers Mer 24 Jan 2018 - 14:40

Ferdinand Alquié, commentateur avisé et honnête de Spinoza a écrit (Le rationalisme de Spinoza p. 11 – PUF 1971) :

Ferdinand Alquié a écrit: L’Ethique est incompréhensible car, en ayant achevé la lecture, je dois bien constater que je n’éprouve rien qui ressemble à la béatitude dont le texte m’entretient (Ethique V 36 scolie).

Précisément, la béatitude est quelque chose qui s’expérimente dans la vie concrète et on ne voit pas comment une simple lecture pourrait la susciter.
Une séance de biodanza est le lieu où cette béatitude peut être expérimentée, l’Ethique éclairant l’expérience vécue (vivencia, Erlebnis) et la vivencia actualisant l’Ethique.
Car ce qui est éprouvé alors, en particulier dans le « regard dans les yeux », c’est l’amour intellectuel de Dieu (de la Vie) qui naît de la vision intuitive de l’essence de l’autre que l’on regarde, essence éternelle rapportée à l’éternité de Dieu (de la Vie).
Cet amour est « quelque chose de subtil, de très léger et de presque aérien, qui fuit quand on s’en approche, mais qu’on ne peut regarder, même de loin, sans devenir incapable de s’attacher à quoi que ce soit du reste » (Bergson – La Pensée et le mouvant)
C’est un amour, c’est-à-dire une joie, stable, en repos (catastématique), sans passion, sans romantisme, car il ne naît pas de l’imagination mais de la science intuitive qui est une connaissance adéquate.
Comme le dit également Bergson, une telle joie est le signe que notre destination est atteinte.

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Message par Vanleers Sam 27 Jan 2018 - 14:57

Dans les 21 dernières propositions de l’Ethique, Spinoza sort le Grand Jeu de la connaissance du troisième genre d’où naît l’amour intellectuel de Dieu.
On traduira « amour intellectuel de Dieu » par « amour pur de la Vie ».
Amour pur au sens d’un amour sans tristesse, ce qui le différencie de l’amour romantique dans lequel se mêle toujours la peur née de l’imagination de perdre l’être aimé.

Dans une séance de biodanza, chacun est invité aussi à jouer ce Grand Jeu de la connaissance intuitive de l’essence singulière éternelle de ses partenaires d’où naît l’amour pur d’une expression singulière de la Vie pour d’autres expressions singulières de la Vie.

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Message par Vanleers Jeu 1 Fév 2018 - 15:12

Dans la connaissance du troisième genre ou science intuitive, nous concevons les choses « sous l’aspect de l’éternité, et leurs idées enveloppent l’essence éternelle et infinie de Dieu » (Ethique V 29 sc.)
Mais concevoir les choses sous l’aspect de l’éternité, c’est les concevoir dans l’instant présent intensément vécu, ce qui renvoie à l’expérience de la vivencia en biodanza :

Bruno Giuliani a écrit: Être en vivencia, c’est ne plus penser la vie mais la vivre pleinement dans le moment présent dans une pleine présence à soi, aux autres et au monde. C’est l’expérience pure qui intègre toutes les dimensions sensibles qui sont éprouvées dans la pleine conscience de l’unicité de ce moment. La vivencia n’est pas réflexive mais intuitive : c’est l’ensemble des sensations, des perceptions, des cognitions qui forment le fond invisible de la vie humaine. Traduisible en français par « vivance », il doit être distingué du « vécu » qui est sa représentation consciente dans la mémoire et appartient déjà au passé. La vivencia est pure présence de la vie à elle-même dans l’ici et maintenant comme sensation intense de se sentir vivant, hors de tout langage, de toute médiation. (L’expérience du bonheur p. 310)

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Message par Vanleers Lun 5 Fév 2018 - 11:07

La biodanza est une pratique psychocorporelle et concerne donc l’affectivité au sens où Spinoza conçoit que les affects sont des réalités psychophysiques.
Comme l’expose Hélène Lévy Benseft dans le premier post de ce fil :

Hélène Lévy Benseft a écrit: Biodanza veut dire danse de la vie, dans le sens où les gestes que nous sommes invités à danser sont les gestes qui sont le propre de l’humain comme les gestes de la force, de la tendresse, de l’accueil, de l’expansion, du courage, de l’étreinte, de la solidarité, de l’amitié, du donné, du recevoir, du refus.

Ces gestes sont des gestes du corps et on est donc amené à se demander quelle est la place du corps dans l’éthique selon Spinoza.
Chantal Jaquet explique ce point dans Corps et passions en :

http://books.openedition.org/psorbonne/152?lang=fr

Chantal Jaquet a écrit: Certes, Spinoza présente avant tout son éthique comme la déduction des choses « qui peuvent nous conduire comme par la main, à la connaissance de l’esprit humain et de sa suprême béatitude », néanmoins il jette en même temps les fondements d’une éthique corporelle qui vise à promouvoir les affects physiques joyeux et à chasser les passions tristes. Il existe ainsi des ébauches d’une éthique de l’allégresse (hilaritas), qui ferait pendant à la béatitude et à l’amour intellectuel de Dieu. On en trouve notamment des traces par exemple, dans le célèbre scolie où Spinoza établit une règle de vie hédoniste fondée sur un plaisir mesuré et esquisse une philosophie du corps qui ne se résume pas à une simple hygiène.

C. Jaquet cite une partie de ce scolie :

Spinoza (scolie d’Ethique IV 45) a écrit: Il est d’un homme sage de se refaire et de se recréer en mangeant et buvant de bonnes choses modérément, ainsi qu’en usant des odeurs, de l’agrément des plantes vertes, de la parure, de la musique, des jeux qui exercent le corps, des théâtres, et des autres choses de ce genre dont chacun peut user sans aucun dommage pour autrui. Car le corps humain se compose d’un très grand nombre de parties de nature différente, qui ont continuellement besoin d’une alimentation nouvelle et variée pour que le corps soit également apte à tout ce qui suit de sa nature, et par conséquent pour que l’esprit soit lui aussi partout également apte à comprendre plusieurs choses à la fois.

C. Jaquet commente :

Chantal Jaquet a écrit: L’élaboration de cette éthique corporelle reste cependant très rapide au détour d’un scolie plus programmatique que didactique. Dans ces conditions, il est possible de se demander pourquoi Spinoza n’a pas davantage développé l’analyse de l’allégresse corrélativement à celle de la béatitude. Force est en effet de reconnaître l’existence d’un paradoxe qui hante sa philosophie.

Elle explique ce paradoxe par trois raisons majeures.
D’abord, ces règles de vie hédoniste relèvent du simple bon sens et il est donc inutile de s’y appesantir.
Ensuite, l’allégresse est une aptitude corporelle difficile à développer. C’est « une joie qui en tant qu’elle se rapporte au corps consiste en ceci que toutes les parties du corps sont affectées à égalité ». Or « les hommes sont la plupart du temps en proie à des affects qui ne concernent qu’une partie du corps et font une fixation sur eux. ».
Enfin, Spinoza « se heurte aux limites de la science et de l’expérience de son temps ». J’ajouterai : et aussi à son expérience limitée de mâle célibataire.

En conclusion, la biodanza enrichit l’Ethique en donnant au corps une importance que Spinoza n’a pu lui donner pleinement, compte tenu de la troisième raison évoquée ci-dessus.

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Message par Vanleers Sam 10 Fév 2018 - 16:47

L’expérience montre qu’il ne suffit pas d’être en état de vivencia au cours d’une séance de biodanza pour connaître les choses selon la science intuitive.
L’intuition des essences singulières dans leur dépendance à l'égard de l’essence de Dieu semble venir à l’improviste, question de circonstances dont on n’est pas maître.
Nicolas Israël a analysé cette question dans Spinoza Le temps de la vigilance – Payot 2001
Se fondant sur l’équivalence tempus seu occasio qu’on trouve dans le Traité politique, il résume sa thèse en disant que nous ne nous singularisons que de façon occasionnelle, lors de moments opportuns. Il écrit :

Nicolas Israël a écrit: Mais lorsque des événements semblant s’inscrire dans un temps contingent, dont la fortune constitue le seul principe de liaison, trouvent l’occasion de s’accorder avec le développement de la puissance modale, on assiste alors à l’émergence de moments opportuns. De tels moments coïncident avec des affections finies de la puissance d’agir durant l’intervalle limité desquels elle exploite avec succès ce qui semble offert par la fortune. L’occasion est un intervalle fini de durée indissociable de l’action dont il délimite l’effectivité. (p. 328)

On ne peut qu’être vigilant et prêt à saisir l’occasion opportune d'avoir l'intuition d'une essence singulière, sans avoir l’assurance que cette occasion se présentera toujours au cours de la séance.
Le moment opportun, les Grecs l’appelaient le kairos et Bruno Giuliani en parle dans L’expérience du bonheur, à propos de certains participants à ses stages :

Bruno Giuliani a écrit: Pendant quelques heures, ils sont sortis du « temps chronologique » pour entrer dans l’éternel présent. A travers la porte du kairos (la vivencia du moment présent) ils sortent de la prison du chronos (le temps linéaire du passé vers le futur) et accèdent au temps mythique et magique de l’aîon (le temps circulaire de l’éternité). (p. 94)

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Message par Vanleers Lun 12 Fév 2018 - 11:52

De fait, la science intuitive semble surgir de façon fortuite d’où la notion de kairos pour désigner le moment où elle survient.
De cette science « naît la plus haute satisfaction d’esprit qu’il puisse y avoir » (Ethique V 27), c’est-à-dire la béatitude qui « n’est rien d’autre que la satisfaction même de l’âme qui naît de la connaissance intuitive de Dieu » (Ethique IV App. ch. 4).
Le caractère apparemment contingent de la béatitude la rapproche de la « consolation sans cause » d’Ignace de Loyola (Exercices spirituels – règle 330) ou de la grâce, du « secours extraordinaire » dont parle Clément Rosset dans La force majeure.
Comme déjà indiqué, chacun est invité, dans une séance de biodanza, à jouer le Grand Jeu de la connaissance intuitive de l’essence singulière éternelle de ses partenaires et de lui-même, d’où naît l’amour pur d’une expression singulière de la Vie pour d’autres expressions singulières de la Vie, jeu de l’amour et apparemment du hasard.

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Message par Vanleers Mer 14 Fév 2018 - 16:11

On tentera ici de faire un rapprochement entre la science intuitive selon Spinoza et l’inconscient numineux, tel que le définit Rolando Toro, l’inventeur de la biodanza, en :

http://www.biodanza-france.com/textes/Inconscient%20Numineux/inconscient%20numineux.pdf

Wikipédia a écrit: Le numineux est, selon Rudolf Otto et Carl Gustav Jung, ce qui saisit l'individu, ce qui venant « d'ailleurs », lui donne le sentiment d'être dépendant à l'égard d'un « tout Autre ». C'est « un sentiment de présence absolue, une présence divine. Il est à la fois mystère et terreur, c’est ce qu’Otto appelle le mysterium tremendum.
Carl Gustav Jung, dans le cadre de sa psychologie analytique, rattache le numineux aux archétypes, formes symboliques innées et constitutives de l'inconscient collectif. Jung s'intéresse à l'interaction de l'inconscient et du conscient chez les individus souffrant d'un trouble psychique, qui pourrait être résolu en accédant au numineux.
"Ce qui m'intéresse avant tout dans mon travail n'est pas de traiter les névroses mais de me rapprocher du numineux... l'accès au numineux est la seule véritable thérapie". (Correspondance, Tome II, 1993)

R. Toro écrit que « Les contenus de l'inconscient numineux sont les potentiels de l'Homme Éternel », ce qui le différencie de la science intuitive qui est une connaissance consciente de l’essence, certes éternelle, mais de tel ou tel homme singulier et non de l’Homme en général.

R. Toro écrit ensuite qu’« existe l'amour épiphanique, dans lequel le sacré de l'un s'unit au sacré de l'autre. », ce qui est la même chose que l’amour intellectuel de Dieu (amor intellectualis Dei) qui naît de la science intuitive, sachant que cet amour est « une partie de l’amour infini dont Dieu s’aime lui-même » (Ethique V 36).

R. Toro écrit aussi que « Le courage est la capacité de défier notre propre ombre. Entrer dans le domaine mystérieux de nos douleurs et de nos frustrations […] ».
Ici, on ne voit pas d’équivalent chez Spinoza pour qui l’ombre n’est rien, sauf une absence de lumière.

R. Toro parle enfin d’« intase » (mot sans doute forgé à partir d’extase) et écrit :

Rolando Toro a écrit: L'état d'intase consiste à réveiller le dieu intérieur. Sentir la pureté et la force de notre propre identité.
L'intase nous permet d'assumer notre identité comme êtres cosmiques et dépositaires du pouvoir de faire du lien.
L'intase est l'origine de la conscience et de la lucidité éthique.
L'intase est aussi la genèse du sentiment de bonheur, elle nous donne accès à la créativité et à la perception de la beauté.
L'empathie et la tendresse indifférenciées ont aussi leur origine dans l'intase.

« Réveiller le dieu intérieur » se traduit chez Spinoza par prendre conscience d’être une expression singulière de Dieu, c’est-à-dire prendre conscience de notre identité d’« être cosmique », ce qui, en effet, nous donne une plus grande lucidité éthique d’où naît un sentiment de joie et de liberté (Ethique V 36 scolie).

En conclusion, mise à part la notion d’« ombre », reprise à Jung, l’inconscient numineux selon R. Toro est une figure concrète proche de la science intuitive, connaissance du troisième genre qui allie le premier et le deuxième genre, le singulier et le rationnel.
C’est son caractère rationnel (au sens de Spinoza) et nécessairement conscient (rien n’est caché en droit, il n’y a pas de mystère) qui différencie le plus l’approche spinoziste de celle de la biodanza, même si les buts visés sont semblables.

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Message par Vanleers Ven 16 Fév 2018 - 12:11

L’expérience de la biodanza semble confirmer que la science intuitive surgit à l’improviste, ce qui justifie l’introduction de la notion de kairos dans l’éthique selon Spinoza.
Ce qui ouvre la perspective d’un art de vivre centré sur le moment présent que l’on peut rapprocher, par exemple, de la spiritualité du moment présent qui s’exprime dans L’abandon à la providence divine, redécouvert au XIX° siècle.
L’un de ses commentateurs, Jacques Gagey, écrit que pour l’auteur inconnu de cette œuvre (in L’abandon à la providence divine d’une dame de Lorraine au XVIII° siècle – Editions Jérôme Millon 2001) :

Jacques Gagey a écrit:[…], la leçon radicale de ses années d’entraînement à l’abandon à la providence, c’est au fond qu’il n’y a pas de méthode d’abandon et qu’on est bien assez abandonné comme cela. […]
L’abandon à l’existence est notre condition et notre grâce. (p. 103)

Ici, il ne faut pas entendre « providence » au sens du XIX° siècle de dessein éternel de Dieu mais au sens d’action de Dieu au moment présent, ce qui peut justifier un rapprochement avec le spinozisme.
Le « Grand Jeu » de la science intuitive apparaît alors comme assez subtil puisqu’il s’agit d’éprouver notre condition d’être abandonné mais ouvert à une action de grâce.

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Message par Vanleers Sam 17 Fév 2018 - 11:24

Le caractère apparemment contingent, on pourrait dire « miraculeux » de la science intuitive d’où naît la béatitude a fait l’objet d’analyses de divers commentateurs.

Partons de la démonstration d’Ethique V 35 qui s’appuie sur un Dei natura gaudet infinita perfectione (La nature de Dieu se réjouit d’une perfection infinie – traduction Misrahi).
Le mot « gaudet » se réfère au « gaudium » que Spinoza définit comme suit :
« Le Contentement (gaudium) est une Joie qu’accompagne l’idée d’une chose passée qui s’est produite contre l’Espérance ». (Ethique III déf. aff. 16)
Ariel Suhamy, qui commente la proposition et sa démonstration, s’étonne (in Spinoza pas à pas p. 247 – Ellipses 2011) :

Ariel Suhamy a écrit: Cette jouissance, c’est la jouissance même de Dieu, que Spinoza nomme ici épanouissement (gaudium), ce qui surprend, vu que cet affect a été défini par relation à la durée, et à son caractère imprévisible pour nous : comment Dieu pourrait-il ressentir un tel affect ? Ce qui peut apparaître comme une simple homonymie traduit en fait le surgissement inattendu, dans la durée même de l’âme, d’un affect éternel ; et, même contre l’espoir, puisque nous avons depuis la proposition 19 renoncé définitivement à l’espoir imaginatif d’être aimé en retour par Dieu.

L’utilisation de gaudet pour caractériser l’amour de Dieu pour lui-même qui, comme l’énoncera Ethique V 36, n’est autre que la béatitude, confirme que cette dernière est une grâce qui surgit de façon inattendue dans l’âme.
Cette grâce ne nous est jamais refusée car la béatitude, « nous y sommes depuis toujours » comme le dit Ariel Suhamy dans la présentation de sa thèse qu’on peut lire en :

http://cerphi.ens-lyon.fr/spip.php?article41

Ariel Suhamy a écrit: Dans cette lecture un mot m’a servi de fil conducteur : le verbe gaudere, que la cinquième partie de l’Éthique applique à Dieu comme aux hommes pour parler de la béatitude. Comme le gaudium est une joie qui survient praeter spem (contre ou, mieux, par-delà tout espoir), il correspondait à mon expérience de lecture face aux « péripéties » finales de l’Éthique V. Soudain, contre toute attente, nous apprenons que Dieu aime les hommes, et que la fameuse béatitude recherchée, nous y sommes depuis toujours. Ce qui paraissait impossible soudain devient possible et paraît réel, au moins le temps de la lecture.

A suivre

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Message par Vanleers Sam 17 Fév 2018 - 15:40

Citons un deuxième commentateur de l’Ethique.

Pierre Zaoui, dans une interview publiée dans le numéro hors-série de Philosophie magazine « Spinoza Voir le monde autrement » (Avril-Juin 2016) parle également du caractère apparemment miraculeux de la béatitude :

Pierre Zaoui a écrit: Et pourtant, il existe une forme de miracle spinoziste, d’un strict point de vue éthique, c’est-à-dire du point de vue de l’individu aliéné (l’homme pleinement libre, s’il pouvait exister autrement qu’en fiction, n’aurait pas besoin d’éthique). Car, pour un sujet, parfois une idée vraie apparaît, suivie de son cortège de joies et de nouvelles puissances, et parfois non. Mais on ne sait pas pourquoi. On a tous une idée vraie, mais on n’y a pas toujours accès : souvent, nos idées sont confuses, mutilées. Elles ne sont jamais entièrement fausses (sinon elles n’existeraient pas), mais elles sont presque toujours rendues confuses. Connaître la joie de l’idée vraie dans sa plénitude, c’est cela un miracle athée : la reconnaissance du rôle décisif d’une part d’inexplicable dans l’orientation de sa vie.

A la remarque « Mais on ne choisit pas de faire survenir la vérité… », il répond :

Pierre Zaoui a écrit: Oui, vous ne pouvez pas choisir. Décider de soi, ce n’est pas choisir sa vie comme sur un étalage de supermarché. C’est plutôt être aux aguets comme un animal pour que, le moment venu où quelque chose s’entrouvre de la vérité, on soit capable de poursuivre ce mouvement de l’intelligence plutôt que de retomber dans ses passions ordinaires. C’est donc beaucoup moins un geste de décision souveraine ou de libre décret de la raison à la Descartes qu’un miracle personnel. Pourquoi cela marche-t-il un jour ? On a tous fait cette expérience-là. Vous vous dites : « je dois faire ça », arrêter de fumer par exemple, et n’y parvenez pas. Et puis un jour, miracle, ça marche. Quelque chose s’éclaire, mais vous ne savez pas quoi. Si l’on creuse cette éclaircie, on peut faire basculer non sa vie (puisque, au fond, on a toujours la même vie : le sage spinoziste chauffeur de bus vivra une transformation de son rapport au monde sans changer de métier) mais sa pensée. La béatitude spinoziste est là, pas ailleurs : dans l’émerveillement soudain devant les forces d’intelligence que l’on découvre subitement en soi. C’est une joie qui vient de la propre puissance de son entendement et s’engendre donc elle-même. Rentrer dans la béatitude, c’est accéder à un type de joie assez puissant pour s’engendrer lui-même.

Pierre Zaoui, comme Ariel Suhamy dans le post précédent, suggèrent donc que l’éthique, c’est-à-dire l’art de vivre, spinoziste consiste essentiellement à jouer ce jeu de la science intuitive qu’on a qualifié plus haut de jeu de l’amour et du hasard.
Ce jeu consiste à accéder à la connaissance/conscience intuitive des essences singulières dans leur dépendance à l’égard de l’essence éternelle de Dieu ce qui rejoint Jung lorsqu’il dit que l'accès au numineux est la seule véritable thérapie.

La plus grande partie de l’Ethique n’avait donc eu que ce but : nous amener, dans les toutes dernières propositions, à l’intuition « que nous sommes en Dieu et nous concevons par Dieu » (Ethique V 30), intuition que nous ne pouvons recevoir que comme une grâce.

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Message par Vanleers Dim 18 Fév 2018 - 11:07

A la fin d’un entretien avec Raphaël Enthoven, à propos de la cinquième partie de l’Ethique, Pierre Macherey qui, pourtant, a longuement étudié et commenté Spinoza, finit par dire :

« Je vous dis franchement : l’amour intellectuel de Dieu, la science intuitive et la connaissance du troisième genre, je n’y suis jamais arrivé ».

On peut entendre cela à la minute 34 du dialogue en : (1)

https://www.youtube.com/watch?v=-5kY0W4FiVg

Auparavant, P. Macherey avait tenu les propos suivants :

Pierre Macherey a écrit: Le texte de l’Ethique ne nous propose pas un programme de libération clefs en mains où il n’y aurait qu’à lire le texte et suivre et appliquer des recettes. Le texte, tel qu’il se présente à nous, nous met devant des obstacles et nous demande de trouver en nous-mêmes des moyens de les franchir. (minute 3)

Que fait Spinoza à la fin de son ouvrage ? C’est nous pousser justement à la limite, jusqu’à un point où on se demande si on a bien compris, si c’est possible, si ça correspond à quelque chose de réellement admissible, et la réponse est suspendue (minute 27)

Il [Spinoza] a jugé, au fond, que ce n’était pas plus mal, à la fin de son livre, de jeter à la tête de son lecteur, quelque chose d’énorme. (minute 36)

Ce retour [au singulier, à l’existence], c’est à nous de le faire. Il n’éprouve pas le besoin de tout nous expliquer, de nous mâcher la tâche, de faire le travail pour nous. Il pose les jalons d’un itinéraire que nous avons nous-mêmes à parcourir et cette cinquième partie doit être lue de cette façon-là. Ce sont des points de repère, c’est à nous d’essayer de donner un contenu à ces idées… si nous pouvons. (minute 37)

P. Macherey pose le problème de la compréhension complète de l’Ethique. Il ne s’agit pas seulement de comprendre rationnellement ce que Spinoza a écrit, ce qui reste partiel car il s’agit d’aller au-delà de la connaissance du deuxième genre (raison) de l’Ethique.
Il s’agit de comprendre intuitivement, c’est-à-dire selon la connaissance du troisième genre, « quelque chose d’énorme » qu’à la fin de son livre Spinoza jette à la tête de son lecteur, pour reprendre les termes de P. Macherey.

La biodanza apparaît comme un jalon possible sur un itinéraire à parcourir.

(1) Désolé, il semble que la vidéo ne soit plus accessible.

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Message par Vanleers Mar 20 Fév 2018 - 10:55

Les propos tenus dans les derniers posts ne relèvent-ils pas d’une interprétation irrationnelle et mystique de l’Ethique ?

En effet, il a d’abord été question de la biodanza, dans laquelle on demande aux participants de mettre le mental au repos pour être dans la vivencia, c’est-à-dire dans l’expérience vécue avec une grande intensité dans le moment présent ; en se fondant sur la notion de kairos, le temps de l’Ethique, on a ensuite rapproché la science intuitive selon Spinoza de la spiritualité du moment présent de L’abandon à la providence divine ; enfin, on a cité des commentateurs qui mettent en évidence le caractère « miraculeux » de l’Ethique.
Or, le rationalisme de Spinoza passe pour être absolu et il démontre que le désir de connaître les choses par le troisième genre de connaissance (science intuitive) ne peut naître que du deuxième (raison). (Ethique V 28)
Dans cette affaire, il y a un verbe qui joue un rôle capital : le verbe gaudeo que Spinoza applique « à Dieu comme aux hommes pour parler de la béatitude », dans la cinquième partie de l’Ethique. C’est ce que nous avons vu avec Ariel Suhamy, ci-dessus.
La question est de savoir s’il faut entendre le verbe gaudeo à partir du substantif gaudium que Spinoza a défini une première fois en Ethique III 18 sc. 2 comme « une joie née de l’image d’une chose passée dont nous avons douté de l’issue »
Ariel Suhamy fait part des réserves d’autres commentateurs, dans son ouvrage La communication du bien chez Spinoza (Classiques Garnier 2010), pages 411-412 :

Pascal Sévérac : « Il est clair qu’il ne faut pas y entendre l’écho du gaudium défini en Ethique III déf. 16, qui concerne uniquement une chose passée »
Alexandre Matheron : « Le mot gaudet est évidemment impropre si du moins l’on se souvient de la définition du mot gaudium telle que la donne Ethique III 18 sc. 2. Mais comment parler de l’éternité ? »
Bernard Rousset : « gaudere est un verbe ambigu, intermédiaire entre “ avoir la possession de ” et “ avoir la joie de ” : cette ambiguïté permet le passage à l’amour »

Toutefois, à l’appui de la position d’Ariel Suhamy, indiquons ce qui suit.

Le substantif gaudium a 12 occurrences dans l’Ethique et le verbe gaudeo 29.
La première occurrence de gaudium est dans le scolie 2 d’Ethique III 18 dans lequel il est défini (cf. ci-dessus).
La première occurrence de gaudeo se situe en Ethique III 24 sc. 2, donc après la définition de gaudium. Certes, Spinoza n’écrit jamais qu’il entend gaudeo en référence à gaudium et les traducteurs rendent le verbe le plus souvent par « jouir » et, parfois, « se réjouir », « être content », « se complaire »
Le verbe gaudeo signifie une jouissance : jouissance de soi, jouissance d’être, jouissance d’être soi, qu’accompagne une joie. Dans le cas de l’homme, cette jouissance joyeuse est d’autant plus forte qu’il s’en est senti privé et qu’elle survient comme par surprise, alors qu’il ne l’attendait pas.

Il est donc justifié d’assimiler cette joie, c’est-à-dire l’amour intellectuel  de Dieu à une grâce, comme on essaie de le soutenir sur ce fil à partir de l’expérience de la biodanza.

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Message par Vanleers Mer 21 Fév 2018 - 9:32

Sylvain Zac parle également de l’amour intellectuel de Dieu, c’est-à-dire de la béatitude, comme d’une grâce (L’idée de vie dans la philosophie de Spinoza pp.209-210 – PUF 1963) :

Sylvain Zac a écrit: L’homme, ainsi uni à Dieu, est, comme Dieu lui-même, au-delà du bien et du mal, car en jouissant infiniment de l’existence et de la perfection, malgré son caractère de finitude, sa vertu est alors puissance absolue et non simplement augmentation de puissance. La notion de péché n’a plus pour lui aucun sens. C’est pourquoi on peut dire que l’amour intellectuel de Dieu est, chez Spinoza, l’équivalent de l’idée chrétienne de Grâce divine, si on désigne par ce mot, comme l’affirme Maurice Blondel, « la condescendance divine, en vertu de laquelle l’homme (avant la chute par la vocation première, après la chute par la Rédemption) est élevé à une destination surnaturelle (Vocabulaire de Lalande – article Grâce)

Cet auteur approfondit l’idée que Dieu est la Vie comme puissance d’affirmation.
On peut donc traduire amor erga Deum par amor erga Vitam et amor intellectualis Dei par amor intellectualis Vitae.
La conscience d’être uni à Dieu, c’est-à-dire à la Vie, dont parle S. Zac, inspire une étonnante traduction en spinozien du « Notre Père » chrétien par Henrique Diaz en :

http://www.spinozaetnous.org/ftopicp-16138.html

Ce que nous sommes éternellement
Nous en avons conscience
Que cette conscience demeure en nous
La vie même est la source de cette conscience, ici et maintenant
La vie n'a aucun devoir envers elle-même comme les hommes, les uns vis-à-vis des autres
Les seules épreuves que nous subissons, c'est nous qui nous les créons, par nos désirs mêlés d'ignorance

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Message par Vanleers Ven 23 Fév 2018 - 14:44

Il y a peut-être une explication plus simple au fait que la béatitude apparaisse comme quelque chose de contingent et soudain.
Si elle survient parfois comme une grâce (un miracle, dit Pierre Zaoui), c’est que l’état de béatitude n’est pas définitif. Il est inévitable que le sage redevienne parfois ignorant en vertu du corollaire d’Ethique IV 4 :

Spinoza a écrit: De là suit que l’homme est nécessairement toujours sujet aux passions, qu’il suit l’ordre commun de la Nature et lui obéit, et qu’il s’y adapte autant que l’exige la nature des choses.

Spinoza le signale dans le scolie d’Ethique V 42 en écrivant que le sage « a l’âme difficilement émue ». Difficilement peut-être mais parfois quand même.
Lorsqu’il est soumis aux passions, le sage redevient ignorant, oublie qu’il tient son être de Dieu et se sent menacé. A cette menace répond la production d’un moi imaginaire et aliéné censé le protéger : un ego qui n’est qu’un effet de la passion, comme le dit Spinoza en écrivant que dès qu’il cesse d’être soumis à la passion, l’ignorant cesse aussi d’être (Ethique V 42 sc.).
Cet ego est un sentiment de soi passif, déterminé par des conditions extérieures. Il sera réprimé, voire supprimé par l’acquiescentia in se ipso puis par l’acquiescentia, autre nom de la béatitude
Le sage, revenu à lui, est de nouveau conscient « qu’il est en Dieu et se conçoit par Dieu » (Ethique V 30) et cette illumination soudaine lui apparaît comme une grâce.
En réalité, il n’a jamais cessé d’être en Dieu car, comme le dit Pierre Macherey dans le dialogue avec Raphaël Enthoven déjà signalé :

« Il n’y a rien à attendre de Dieu car Dieu nous a déjà tout donné. » (minute 44)

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Message par Vanleers Ven 2 Mar 2018 - 10:43

On a pu dire que la doctrine de l’Ethique était une sotériologie et, dans le scolie d’Ethique V 36, Spinoza assimile en effet liberté, béatitude et salut.
Mais en quoi consiste ce salut, de quoi sommes-nous sauvés ?

On trouve une réponse à ces deux questions en :

http://spinozaetnous.org/wiki/Salut

Henrique Diaz a écrit: Le salut humain consiste dans "un amour constant et éternel pour Dieu, ou si l'on veut, dans l'amour de Dieu pour nous" (Éthique V 36 sc.). Cela revient à la béatitude par la science intuitive et l'amour intellectuel de Dieu, du monde et de soi-même.
Le salut consiste donc non à nous sauver de la mort, de la douleur ou d'autres désagréments extérieurs et inévitables mais de la tristesse, de l'ennui, de la haine et autres façons d'appréhender intérieurement sa propre existence et sur lesquelles l'intellect a quelque prise par le biais des affects actifs.
L'autre nom du salut spinoziste, en tant que réalisation concrète de la raison est l'acquiescement intérieur (acquiescentia in se ipso) à soi-même et à tout ce que nous vivons (Ethique IV 52).

Pascal Sévérac exprime les mêmes idées d’une autre façon.
Commentant le prologue du Traité de la Réforme de l’Entendement, il écrit (Spinoza Union et Désunion p. 23) :

Pascal Sévérac a écrit:[…] le problème éthique peut se formuler en ces termes : il ne sera possible de résister, comme Spinoza dit l’avoir fait, au sentiment d’absurdité du monde – humain surtout – qu’à partir de cette certitude qu’il existe un ordre éternel par lequel tout est uni ; se sauver, c’est jouir, en la partageant, en la communiquant aux autres, de cette connaissance de l’union qui ensemble nous rend plus forts, plus fermes, plus parfaits.

La biodanza vise précisément à ce que chacun éprouve, dans la vivencia, la connaissance intuitive d’être une partie étroitement unie à un tout éternel et c’est en cela que nous nous reconnaissons sauvés.

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