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Science intuitive et biodanza

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Message par Vanleers Sam 1 Sep 2018 - 12:05

Je cite maintenant la suite du texte d’Alexandre Matheron qui montre combien est problématique la connaissance de l’essence singulière de notre corps :

Alexandre Matheron a écrit: Or, pour savoir ce qu’est notre corps, il faut d’abord savoir ce qu’est le corps humain en général ; et celui-ci à son tour, peut se concevoir adéquatement à plusieurs niveaux : plus se précise le concept que nous en élaborons, plus s’individualise notre connaissance de nous-mêmes. Spinoza, pour  sa part, n’est pas allé très loin dans ce sens. Tant que nous nous en tenons au livre I de l’Ethique, la seule idée adéquate que nous puissions avoir de l’homme est celle d’un mode fini de Dieu, sans plus. Puis le début du livre II, en montrant que la Pensée et l’Etendue sont des Attributs divins, nous fait descendre d’un degré : avec les propositions 10-13, l’homme apparaît comme un corps, c’est-à-dire comme un mode fini de l’Etendue, et comme l’idée, ou mode fini de la Pensée, qui exprime objectivement ce corps existant en acte. La définition qui suit la proposition 13 nous fait faire un troisième pas : elle nous permet de concevoir ce corps comme étant un corps composé. Enfin, les six postulats suivants, dont l’ensemble nous donne l’équivalent d’une définition génétique un peu plus précise, nous amènent au niveau qui sera celui de tout le reste de l’ouvrage : ce corps composé se caractérise par son très haut degré de composition et par la très grande variété de ses composants (parties fluides, parties molles et parties dures) ; d’où son aptitude à subir un très grand nombre d’affections, à être régénéré, à conserver les traces de ses affections passées grâce à l’action des parties fluides sur les parties molles, et à disposer les corps extérieurs d’un très grand nombre de façons. Le concept ainsi construit, remarquons-le, est encore si général qu’il pourrait tout aussi bien s’appliquer à d’autres êtres : Spinoza n’est même pas arrivé à définir l’homme en tant que tel, dans ses caractéristiques spécifiques. Par rapport à l’omniscience de l’Entendement infini, c’est dérisoire ; et pourtant, c’est de là que se déduira toute l’Ethique. Mais rien ne nous empêche, en droit d’aller plus loin. Bien plus : le scolie de la proposition 4 du livre V nous invite expressément à poursuivre ; plus nous progresserons dans la connaissance de notre nature, nous indique-t-il, plus nos passions se transformeront en idées claires. (pp. 251-252)

Plusieurs remarques.

1) Il est frappant de constater à quel point la science du corps humain de Spinoza est rudimentaire.
Tout ce qu’il écrit savoir de ce corps, c’est qu’il est très composé (de parties fluides, molles et dures), qu’il peut être affecté et affecter d’autres corps de beaucoup de façons, qu’il garde des traces de ses rencontres avec d’autres corps et qu’il peut être régénéré.
Et c’est tout.
Cela ne s’applique d’ailleurs pas qu’à l’homme et Spinoza ne dit même pas que le corps humain est le plus complexe des corps finis.
L’esprit étant l’idée du corps, Spinoza ne soutient donc pas non plus que l’esprit de l’homme soit le plus élaboré des esprits finis.
Et pourtant, aussi rudimentaire soit-il, ce savoir a suffi à Spinoza pour en déduire toute l’Ethique.

2) Nous en savons beaucoup plus sur le corps humain aujourd’hui qu’au XVII° siècle.
Mais, d’une part, ce savoir n’invalide pas celui de Spinoza tant celui-ci a été prudent et s’est appuyé sur une connaissance du corps générale et sommaire.
D’autre part, on peut espérer que ce nouveau savoir nous permettra d’aller plus loin dans la connaissance du troisième genre qui, comme A. Matheron l’a souligné, part de la compréhension de l’essence singulière de notre corps sub specie aeternitatis.

3) La biodanza, mais ce n’est pas la seule pratique corporelle, nous fait progresser dans la connaissance de la nature de notre corps.
En effet, mettre le mental au repos, c’est neutraliser la connaissance spontanée du premier genre, mutilée et confuse, et s’ouvrir, dans la vivencia à une connaissance de nos affects différente.
Ainsi, nous pouvons davantage nous comprendre clairement et distinctement ainsi que nos affects (cf. Ethique V 4) ce qui nous fait progresser dans la connaissance de notre nature comme l'écrit A. Matheron.

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Message par Vanleers Dim 2 Sep 2018 - 11:05

En mettant le mental au repos en biodanza, on essaie d’être attentif à ce que l’on ressent. Autrement dit, on cherche à entendre ce que dit le corps.
Pour paraphraser Freud dans L’avenir d’une illusion (« La voix de l’intellect est basse »), je dirai que la voix du corps est basse et souvent couverte par les voix des pensées habituelles. Il faut donc s’essayer à calmer ces voix.
D’une certaine façon, Spinoza dit la même chose en Ethique V 2 quand il recommande d’écarter un affect de la pensée d’une cause extérieure.

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Message par Vanleers Lun 3 Sep 2018 - 9:48

Je définirai les notions de « moi » et de « soi », tels qu’on peut les déduire, à mon avis, de l’Ethique, comme suit.

Le moi (l’ego) c’est l’idée inadéquate que l’esprit a de lui-même lorsqu’il est affecté par des choses extérieures, c’est-à-dire dans le cadre de la connaissance du premier genre.
Le soi, c’est l’idée adéquate que l’esprit a de son essence dans la connaissance du troisième genre.

1) Le moi

Spinoza a écrit: Je dis expressément que l’Esprit n’a ni de lui-même, ni de son propre Corps, ni des corps extérieurs la connaissance adéquate, mais seulement une connaissance confuse et mutilée, chaque fois qu’il perçoit les choses à partir de l’ordre commun de la nature, c’est-à-dire chaque fois qu’il est déterminé du dehors, j’entends par la rencontre fortuite des choses, à contempler ceci ou cela, et non pas déterminé du dedans, j’entends, du fait qu’il contemple plusieurs choses à la fois, à comprendre leurs convenances, différences et oppositions ; chaque fois en effet que c’est du dedans qu’il se trouve disposé de telle ou telle manière, alors il contemple les choses de manière claire et distincte, comme je le montrerai plus bas (Ethique II 29 sc.).

Concrètement, lorsqu’un homme rencontre une chose extérieure, par exemple un autre homme, il aura de lui-même une idée inadéquate, mélange indiscernable de ce qui lui appartient et de ce qui appartient à la chose extérieure.
A cette idée inadéquate sera associée une passion (Ethique III 3) qui le déterminera à une certaine action (Ethique III définition du désir).
Autrement dit, dans ce cas l’homme agit en n’étant pas vraiment lui-même mais en proie à une passion qui naît d’une idée mutilée et confuse de lui-même, l’ego.

2) Vers le soi

Dans le scolie précité, Spinoza indique le chemin qui conduit l’homme à une connaissance plus adéquate de lui-même. Ce chemin, c’est la connaissance du deuxième genre ou raison qui procède par notions communes.
Dans le cas d’une rencontre avec un autre être humain et en recherchant ce qu’il y a de commun entre lui, l’autre homme ainsi qu’avec d’autres choses extérieures, il sortira au moins partiellement de la rencontre égotiste initiale, de l’idée inadéquate qu’il a de lui-même et de son interlocuteur, ce qui le mettra dans une tonalité affective moins passionnelle, plus active.

3) Le soi

La connaissance du deuxième genre ne nous fait pas connaître l’essence des choses mais seulement ce qu’il y a de commun à cette chose et à d’autres choses.
Seule la connaissance du troisième genre nous donne l’idée adéquate de notre essence en la reliant à l’essence des attributs de Dieu.
L’homme se connaît alors comme un soi, mais, comme on l’a vu dans les posts précédents, cette connaissance ne peut être qu’asymptotique et jamais complète.
C’est sur ce chemin que Spinoza laisse le lecteur à la fin de l’Ethique.
A lui de faire comme il l’a entendu et comme il pourra.

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Message par Vanleers Mer 5 Sep 2018 - 10:35

A propos de « moi » et de « soi », il est remarquable de constater que le in se ipso de l’expression acquiescentia in se ipso disparaît dans la dernière partie de l’Ethique où il ne reste que l’animi acquiescentia, autre nom de la béatitude. Il s’agit encore de la satisfaction de soi ou estime de soi mais d’un soi pleinement conçu comme une partie de la puissance de Dieu. Partie distincte, non fusionnée en Dieu, puissance propre : l’Ethique n’est pas une mystique.
A ce stade, l’homme est pleinement libéré de l’ego.
On rapprochera cette libération de ce qu’écrit Pierre Zaoui dans La traversée des catastrophes – Seuil 2010 :

Piere Zaoui a écrit: Deleuze nous a appris la voie éthique des athées qui n’est ni une théorie des devoirs et des fins, ni un appel prophétique à de nouvelles expériences fondamentales ou inouïes mais une exigence de théoriser la vie la plus immédiate et la plus partagée : l’exigence d’un amour sans limites de la vie sous toutes ses formes effectives, des plus grandioses aux plus calamiteuses, faisant de toute éthique digne de ce nom une éthique vitaliste – ce n’est jamais soi ou l’autre en tant que personne qui est à louer, sa gloire et sa postérité, mais la vie anonyme et immédiate, sans voix et sans figure, qui passe entre tous, effondre et relève, redresse et console, dans une innocence admirable. Une telle éthique consiste toujours à rejeter la mort et le soi et toute doctrine, réalités à chaque fois trop personnelles ou trop circonstanciées pour ne penser que cette vie immédiatement une et multiple, pour n’affirmer que la joie souveraine de la vie ou ses quantités intensives, et ainsi laisser les morts enterrer les morts. (p. 42)

La biodanza est cette expérience où chaque participant prend conscience d’être une expression singulière de la Vie qui rencontre d’autres expressions singulières de la Vie.
D’où naît l’animi acquiescentia, dans le sentiment que c’est « la vie anonyme et immédiate, sans voix et sans figure, qui passe entre tous, effondre et relève, redresse et console, dans une innocence admirable ».

Vie, autre nom du Dieu de l’Ethique.

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Message par maraud Mer 5 Sep 2018 - 12:06

Lorsque l'on considère les choses depuis un point de vu métaphysique, on voit très vite poindre les limites d'une pratique physique Biodanza ou autre. Et on est amené à prendre cette pratique pour ce qu'elle est , au regard de l'élan métaphysique qui nous meut, c'est-à-dire un simple moyen nécessaire mais transitoire. Ce qui me fait dire que la Biodanza qui accompagne la résolution de l'opposition Soi/moi,doit s'éteindre à l'approche de cette résolution car si cette pratique devait perdurer, elle contrarierait de fait cette résolution en versant, par exemple, dans le mysticisme .

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Message par Vanleers Mer 5 Sep 2018 - 15:16

Je suis d’accord pour dire qu’une éthique, c’est-à-dire un art de vivre, implique de considérer les choses d’un point de vue métaphysique.
Tout dépend de ce qu’on entend, ici, par « considérer ».
Dans la philosophie de Spinoza, esprit et corps, c’est la même chose envisagée sous deux aspects différents.
Donc, lorsque l’esprit considére les choses d’un point de vue métaphysique, il faut en dire autant du corps qui, lui aussi, considère, à sa façon les choses d’un « point de vue » métaphysique.
La biodanza n’est donc pas un moyen au service d’une approche spirituelle des choses, pas plus que le corps n’est au service de l’esprit puisque c’est la même chose.
Par ailleurs, selon les définitions que j’en ai données ci-dessus, il n’y a pas d’opposition réelle entre moi et soi, si le moi n’est autre que l’idée inadéquate que l’esprit a de lui-même et le soi l’idée adéquate qu’il a de son essence en lien avec l’idée adéquate des attributs de Dieu.
Le progrès éthique, selon Spinoza, consiste à passer d’idées inadéquates des choses à des idées adéquates.

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Message par Vanleers Jeu 6 Sep 2018 - 17:21

Je reviens à la dernière phrase de la citation de Pierre Zaoui donnée plus haut :

Pierre Zaoui a écrit: Une telle éthique consiste toujours à rejeter la mort et le soi et toute doctrine, réalités à chaque fois trop personnelles ou trop circonstanciées pour ne penser que cette vie immédiatement une et multiple, pour n’affirmer que la joie souveraine de la vie ou ses quantités intensives, et ainsi laisser les morts enterrer les morts.

L’expression « laisser les morts enterrer les morts » est tirée de l’Evangile mais je la comprends comme : ne pas se laisser encombrer par des questions secondaires, ne pas se lancer dans des débats douteux sur des problèmes sans réelle importance.

En rester à l’essentiel, à la Joie, à la Vie.

Sagesse du Tao Te King :



Rompez avec l’étude vivez sans souci

WEI n’est pas A montrez la différence
Le Bien n’est pas le Mal montrez comment
La crainte est dans l’homme un sentiment inné

Questions oiseuses et combien stériles

(Début du chapitre 20, traduction Claude Larre – Editions DDB 1977)

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Message par Vanleers Ven 7 Sep 2018 - 16:54

A la fin de Le devenir actif chez Spinoza (Honoré Champion 2005), Pascal Sévérac a écrit de belles pages sur la science intuitive. J’en cite un extrait :

Pascal Sévérac a écrit: La pratique de l’activité propre à la science intuitive est donc une pratique de l’amour. Un amour certes avisé et prudent dès lors qu’il a affaire à son autre, la passivité affective, passivité de haine, ou bien (pire peut-être) de l’amour admiratif pour les choses finies (la passivité amoureuse étant bien souvent, comme nous l’avons vu, celle qui engendre la passivité haineuse). Mais la pratique de l’activité du troisième genre de connaissance est celle avant tout d’un amour qui, en tant que tel, est éternel et donc indestructible (Ethique V 37) : cet amour éternel est en effet un amour « sans contraire », qui a certes bel et bien des effets sur la passivité, mais qui les a sans la combattre frontalement, par la seule perception réjouie de la perfection même de chaque chose, comprise comme modalité de la perfection éternelle et infinie de Dieu. Concrètement, la pratique amoureuse de celui qui connaît et vit la science intuitive consiste dans la joie, l’amour (et peut-être même le rire – Risus, bien sûr, et non pas Irrisio) éprouvés à la perception claire et distincte, attentive, de n’importe quel comportement humain – même lorsqu’il s’agit de ce que communément les hommes ressentent comme une offense : comprendre « une injure », « un mensonge », « une trahison », comme autant d’expressions d’une force de vie qui se soutient de sa dépendance vis-à-vis d’une puissance éternelle cause de soi. Aimer de telles actions non à partir de ce que nous avons coutume d’imaginer d’elles (à commencer par les noms – imaginaires – que nous leur donnons : « offense », « mensonge »…) ; mais les aimer pour ce qu’elles sont en vérité : des êtres réels, ou encore des essences particulières affirmatives de choses singulières. (pp. 414-415)

Quelques remarques

1) « La pratique amoureuse de celui qui connaît et vit la science intuitive » est extraordinairement simple (« mais le plus simple est difficile » – von Clausewitz).

2) Si l’éthique est un art de vivre, il s’agit ici de Grand Art (Ars Magna).

3) La science intuitive conduit à une approbation inconditionnelle de la réalité à propos de laquelle Clément Rosset examine l’objection dite du « syllogisme du bourreau » dans Le démon de la tautologie (Minuit 1997) :

Vous approuvez ce qui existe,
Or le bourreau existe,
Donc vous approuvez le bourreau.

J’en ai déjà longuement parlé sur le forum (je ne sais plus sur quel fil) et je n’y reviens pas.

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Message par Vanleers Sam 8 Sep 2018 - 11:12

Je cite un nouvel extrait du livre de Pascal Sévérac :

Pascal Sévérac a écrit: Penser et vivre selon la science intuitive, c’est donc penser et vivre d’une manière telle que l’altérité ne soit plus éprouvée comme une menace pour sa propre conservation ; c’est penser et vivre d’une manière telle que l’essence de toute chose, y compris de soi-même, soit entendue comme pure force d’exister déterminée par l’essence divine : autrement dit comme modalité de l’action pure de Dieu (1). Vivre de cette manière, c’est non plus seulement chercher à s’adapter à l’autre, à convenir au mieux avec lui, à choisir dans telle ou telle situation la manière ferme et généreuse de se conserver ; mais éprouver qu’automatiquement les esprits et les corps se conviennent selon une certaine nécessité éternelle. C’est penser et éprouver qu’il n’y a rien à craindre parce que, de fait, le réel n’est pas à craindre ; qu’il n’y a rien à choisir, parce que, de fait, le réel n’est pas à choisir ; qu’il n’y a pas à s’efforcer à être, agir et vivre bien, parce que de fait, automatiquement, nous sommes, agissons et vivons bien. En somme, vivre selon le troisième genre de connaissance revient à vivre d’une manière qui nous apparaît toujours d’abord, et souvent pour longtemps, comme insupportable, à nous qui vivons ordinairement dans l’imagination : comment vivre l’absolue positivité de l’être, celui de Dieu, de soi et des autres en même temps ? Une telle vie ne peut paraître insupportable, ou tout bonnement impossible, qu’à l’homme d’imagination, qui ne peut s’empêcher de contempler, avec affliction, la négativité des choses mêmes. (op. cit. pp. 404-405)

(1) Nous préférons cette expression, vis existendi, à celle de conatus, pour désigner ce que perçoit la connaissance intuitive de l’essence de chaque chose singulière : elle nous paraît en effet mieux désigner la positivité même de l’essence en tant qu’elle n’est pas perçue comme intrinsèquement limitée. (Rappelons que par ce conatus, chaque chose « s’oppose à tout ce qui peut détruire sa propre existence », selon Ethique III 6 dém.). La science intuitive est connaissance de l’essence de la chose non pas comme conatus, effort d’une chose avec et contre l’effort des autres choses, mais comme force d’existence qui se soutient d’elle-même en tant qu’elle est une modalité précise de l’être éternel et infini. Pour reprendre l’expression du scolie d’Ethique II 45, cette force d’existence est « la nature même de l’existence », c’est-à-dire la force par laquelle le mode se comprend comme effet libre de la seule cause libre qui soit : Dieu. Être compris comme effet de Dieu, comme force d’exister, c’est être en même temps compris comme pure effectivité, comme pure productivité.

Comme l’écrit P. Sévérac, vivre selon la connaissance du troisième genre peut apparaître comme insupportable et même impossible.
Ce n’est pas le cas dans une séance de biodanza où l’altérité n’est plus « éprouvée comme une menace pour sa propre conservation ».
Au contraire, la séance est le lieu où l'on fait l’expérience que « les esprits et les corps se conviennent selon une certaine nécessité éternelle », où chaque participant est reconnu comme une modalité de la Vie.

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Message par Vanleers Dim 9 Sep 2018 - 10:43

Le texte de Pascal Sévérac cité dans le post précédent met en relief que la science intuitive est une vision positive du monde impliquant que l’imagination « ne soit plus pleinement occupée par la haine née de l’idée des torts que les hommes se font les uns aux autres (et surtout, que les autres nous font à nous-mêmes) » (P. Sévérac op. cit. p. 388).
Cette attitude positive n’est pas naïve car :

Pascal Sévérac a écrit: Il ne s’agit certes pas d’occulter les obstacles possibles de notre action ; il ne s’agit pas de substituer à la perception lucide de nos limites la dénégation enthousiaste de notre finitude. Il fait même partie de notre satisfaction de comprendre que notre puissance ne peut bien souvent pas aller jusqu’à nous permettre d’éviter ce qui nous est nuisible (cf. Ethique IV App. ch. 32) : il est en ce sens intelligent de ne pas se prendre pour une cause libre, qui s’estimerait pouvoir faire encore davantage qu’elle ne peut – autrement dit : qui croirait avoir une puissance en réserve de sa puissance actuelle. Néanmoins, l’expérience de nos limites comme négation de notre être ne peut en elle-même être une expérience joyeuse : c’est la passivité de notre agir qui nous rappelle sans cesse à notre finitude, et nous la fait imaginer. Par le troisième genre de connaissance, l’esprit, tout occupé de l’idée de Dieu, ne pense pas à ses limites : sans se concevoir comme infini, il se conçoit en sa pleine et entière positivité, comme un être réel c’est-à-dire éternel (cf. Ethique V 30 dém.). (op. cit. p.399)

La science intuitive vient en appui de la stratégie de convenance avec les choses extérieures :

Pascal Sévérac a écrit:[…] le sage ne peut bien se vivre dans une stratégie de la convenance à réaliser que s’il se vit dans une expérience de la convenance effectuée. Il ne peut vaincre la haine des ignorants par l’activité de l’amour (stratégie nécessaire dans la logique conflictuelle de l’impuissance) que parce qu’il connaît et vit la véritable logique des puissances modales différentielles : la logique du conflit est bel et bien la réalité des rapports entre les hommes impuissants ; mais elle ne peut être comprise et transformée que par l’affirmation de la logique de la convenance éternelle des puissances humaines. (op. cit. p. 404)

En résumé, la science intuitive ne naît que lorsque l’esprit a pris une certaine distance vis-à-vis de la haine ordinaire « née de l’idée des torts que les hommes se font les uns aux autres (et surtout, que les autres nous font à nous-mêmes) ».
Dans la science intuitive, l’esprit « sans se concevoir comme infini, se conçoit en sa pleine et entière positivité ».

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Message par Vanleers Lun 10 Sep 2018 - 10:38

On a vu dans le post précédent que, dans la science intuitive, l’esprit se concevait dans sa pleine positivité.
Pascal Sévérac explicite ce point :

Pascal Sévérac a écrit: Que signifie donc se rapporter à soi-même et aux autres comme à une pure positivité tenant sa réalité de sa participation active à Dieu ? C’est non pas tant s’efforcer de convenir avec les autres que comprendre l’union effective de soi avec les autres. C’est se rapporter à soi et aux autres non pas comme à un effort de conservation ; mais plutôt comme à une force de vie pure et simple, qui est puissance mentale de former des idées, et aptitude corporelle à être affecté et à affecter. Avoir une grande puissance d’être affecté signifie pour le corps, nous l’avons vu, non pas pâtir beaucoup, mais avoir la puissance d’enchaîner ses affections dans un ordre tel que l’esprit, simultanément, est actif [cf. Ethique V 10]. Un corps dont certaines parties affectives sont davantage sollicitées que les autres est un corps déséquilibré, encombré, apte à peu de choses : un corps dont la puissance d’agir est empêchée puisqu’elle est investie tout entière dans une action au détriment des autres ; et simultanément, l’idée d’un tel corps est un esprit distrait de la connexion des pensées qui lui donneraient la puissance de comprendre. Mais dès lors que le corps est actif à travers la multiplicité des propriétés qui sont les siennes, lorsqu’il est apte à un très grand nombre d’actions, l’esprit alors accède à l’activité la plus haute, et sa partie éternelle est la plus grande. Vivre la science intuitive signifie par conséquent d’abord se vivre soi-même comme pure puissance affective, comme puissance d’actions dérivant de la productivité infinie de la Nature. C’est se comprendre et se vivre comme modalité de la puissance divine unie à toute autre : c’est-à-dire se comprendre et se vivre non seulement comme sensibilité affective non limitée, non destructible ; mais plus positivement comme puissance de convenance effective avec autrui. (op. cit. pp. 412-413)

Au corps « dont certaines parties affectives sont davantage sollicitées que les autres », Pascal Sévérac compare le corps « actif à travers la multiplicité des propriétés qui sont les siennes ».
Ce dernier est le corps qui éprouve l’allégresse (hilaritas) : « une joie qui se rapporte à l’homme lorsque toutes ses parties sont affectées à égalité » (Ethique III 11 scolie).
Or, l’allégresse, au sens de Spinoza, est bien le sentiment majeur qui est recherché en biodanza : joie plénière du corps à laquelle correspond l’accès de l’esprit à l’activité la plus haute.
A l’allégresse en biodanza correspond le véritable chant d’allégresse que constitue, à la fin de l’Ethique, le déploiement de la science intuitive.

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Message par Vanleers Mer 12 Sep 2018 - 17:00

La sagesse de l’homme libre est une méditation de la vie (Ethique IV 67) c’est-à-dire de la Vie, autre nom du Dieu de Spinoza.
Dieu est défini comme une substance (Ethique I déf. 6), cause de soi (ibid. prop. 7 dém.).
La Vie (Dieu) est donc conçue comme Autoproduction de soi, Puissance dynamique :

Spinoza (Ethique I 24 cor.) a écrit: De là suit que Dieu n’est pas seulement cause que les choses commencent d’exister, mais aussi qu’elles persévèrent dans l’exister, autrement dit (pour user d’un terme Scolastique) Dieu est causa essendi des choses.

La connaissance du troisième genre (cf. définition en Ethique II 40 sc. 2), c’est-à-dire la connaissance intuitive de notre dépendance de Dieu (de la Vie), est donc la conscience que nous sommes pris dans le flux de la Vie, flux irrésistible qui est aussi reconnu et célébré dans la biodanza, son fondateur, Rolando Toro, écrivant que « La nature essentielle de l'humain est l'éternelle célébration de la vie ».

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Message par Vanleers Mar 18 Sep 2018 - 17:53

Spinoza écrit au chapitre 4 de l’Appendice de la partie IV de l’Ethique que « La béatitude n’est rien d’autre que la satisfaction même de l’âme (animi acquiescentia) qui naît de de la connaissance intuitive de Dieu ».
On retrouve encore l’expression animi acquiescentia 4 fois dans l’Ethique : dans les scolies d’Ethique V 10 et 36 et 2 fois dans le scolie d’Ethique V 42.
Notons également que l’on trouve l’expression mentis acquiescentia en Ethique V 27, la démonstration d’Ethique V 32 ne faisant que s’y référer.
Le terme anima est assez rare dans l’Ethique et Pierre-François Moreau explique cette rareté en :

http://aspinoza.over-blog.com/pages/Le_vocabulaire_psychologique_de_Spinoza_et_le_probleme_de_sa_traduction_PF_Moreau-2980978.html

Je cite le passage suivant :

Pierre-François Moreau a écrit: En fait Spinoza n'est pas gêné par le mot anima parce qu'il est trop spiritualiste mais au contraire parce qu'il est trop matérialiste, ou "corporaliste" : anima implique à ses yeux (et conformément à une longue tradition) un mélange illégitime de la pensée avec l'étendue, dans la mesure où on entend souvent par ce terme ce qui anime le corps. En réalité, le choix entre mens et anima renvoie chez Spinoza à deux problèmes théoriques différents, que les commentateurs ont parfois tendance à confondre. Le premier, qui tire les conséquences de la naissance d'une science de l'étendue, implique une position commune à Spinoza et à tous les penseurs de l'horizon post-cartésien : la séparation nette entre étendue et pensée (quelles que soient les difficultés qui se posent ensuite pour savoir si une causalité est possible entre les deux domaines). Le second, qui est propre à Spinoza, tient à son effort pour unifier les aspects cognitifs et émotifs de l'âme (cf. Ethique, II, axiome 3 : "Il n'y a de modes de penser, tels que l'amour, le désir ou tout autre pouvant être désigné par le nom d'affection de l'âme qu'autant qu'est donnée dans le même individu une idée de la chose aimée, désirée, etc."); c'est la première position qui dicte l'éviction progressive de anima; c'est la seconde qui conduit à ne pas remplacer anima par un autre mot à côté de mens, mais charge au contraire celui-ci de tous les aspects.

On retiendra de ce texte que Spinoza a sans doute préféré animi acquiescentia à mentis acquiescentia pour marquer les aspects cognitifs et affectifs de la béatitude.
J’ajoute que l’ambiguïté du mot anima, « mélange illégitime de la pensée avec l'étendue » fait également signe vers une acquiescentia du corps, c’est-à-dire l’allégresse.

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Message par Vanleers Mer 19 Sep 2018 - 16:43

Dans Corps et individualité dans la philosophie de Spinoza, Pascale Gillot montre clairement et simplement que, dans la philosophie de Spinoza, l’essence actuelle d’un homme est celle d’un automate (ceci peut être étendu à toutes les choses singulières – pierre, arbre, animal…).

Voir :

https://journals.openedition.org/methodos/114

L’analyse s’appuie sur Ethique III 2 :

Spinoza a écrit: Le Corps ne peut déterminer l’Esprit à penser, ni l’Esprit déterminer le Corps au mouvement, ni au repos, ni à quoi que ce soit d’autre (si ça existe).

En conséquence :

Pascale Gillot a écrit: Autrement dit, si le corps de l’homme apparaît doué d’une puissance considérable, qui lui permet par exemple, seul et sans le secours de l’âme, de bâtir des édifices, de construire des temples, de produire des œuvres picturales, voire de parler, c’est parce qu’il détient une spontanéité déterminée, un principe d’action intrinsèque qui découle des seules lois de sa nature d’entité matérielle, tel un automate.

Mais :

Spinoza (Ethique III 2 sc.) a écrit: L’esprit et le corps, c’est une seule et même chose qui se conçoit sous l’attribut tantôt de la Pensée, tantôt de l’Etendue.

Si le corps est un automate, l’esprit l’est donc aussi, plus précisément un automate spirituel ou mental, et :

Pascale Gillot a écrit: La mens humana, qui agit selon des lois déterminées, les lois de la pensée, est automate, rigoureusement au même titre que le corps lui-même, cet individu dont la puissance est intrinsèque, inhérente à sa nature même, et comme telle entièrement indépendante de celle de l’esprit.

[…]

L’automaticité du corps, et son identité avec l’esprit, n’engagent donc pas de lecture physicaliste de l’union psycho-physique. En effet, si l’esprit constitue bien un automate, au même titre que le corps, il définit un automate spirituel, pour reprendre la formule du Traité de la Réforme de l’Entendement. Cet automate mental, dont la disposition à agir, c’est-à-dire à enchaîner des idées selon certaines lois, est immanente, n’implique pas l’existence d’une « substance » matérielle. En ce sens, corps et esprit désignent un même dispositif automatique, dynamique, dont les opérations ne dépendent pas de la « substance » dont il serait fait, pas plus que la « forme » ou structure de l’individuum ne dépend de ses parties constitutives et de leur nature singulière.

L’essence de l’homme est donc « celle d’un automate simultanément matériel et spirituel » (voir ci-dessous) en entendant par automate un organisme ou, en termes plus modernes, un système.

Pascale Gillot a écrit: L’essence individuelle de l’homme comprise sous la catégorie de conatus, et non sous celle de substantia, se réduit à une tendance nécessaire à produire des effets et à persévérer dans son être singulier. L’identité réelle ou individuelle de l’esprit et du corps se comprend précisément et uniquement dans l’ordre de l’action, action spontanée et néanmoins régie par des lois ; elle ne peut être abstraite, en tant qu’appétit et conscience de l’appétit, de la détermination constitutive (de l’individu) à opérer, ou effectuer. Cette essence de l’homme, « de la nature de qui suivent nécessairement les actes qui servent à sa conservation », est donc à la fois active et déterminée, elle est celle d’un automate simultanément matériel et spirituel, qui tend à effectuer spontanément des actes qui procèdent non pas du libre arbitre, mais des lois de sa nature. Le conatus se conçoit d’abord sur le modèle de l’impetus, et non de la libre décision. Ainsi se comprend la place centrale accordée par Spinoza au corps et à sa puissance, puissance expressive de la causalité efficiente à l’œuvre dans la nature des choses (ou des causes), pour la caractérisation de l’essence individuelle de l’homme.

Pascale Gillot est donc amenée à reconnaître au corps, dans la philosophie de Spinoza, « une primauté gnoséologique, exclusive de toute antécédence ontologique du corps et de son organisation par rapport à l’esprit humain. » :

Pascale Gillot a écrit: Spinoza, à l’encontre de la perspective cartésienne, attribue au corps une fonction privilégiée dans la détermination liminaire de l’identité de l’homme, dont le corps et l’esprit désignent un même individu. La raison de ce renversement est corrélative du statut théorique nouveau conféré au corps humain : celui-ci, en tant que « forme » inanimée tendant d’elle-même à agir et à se conserver, en tant que dispositif automatique dont l’identité est dynamique et s’épuise dans ses fonctions propres, accomplies sans l’aide d’une cause transcendante (telle une « âme »), offre le modèle le plus immédiat de l’être individué de l’homme, comme cause à la fois spontanée et déterminée, active et efficiente. Et si le corps humain dans son acception spinoziste constitue un individu complet, cela suppose également une révision considérable de la notion d’esprit. L’identification de ce dernier à une certaine idée, en l’espèce l’idée du corps, interdit corrélativement sa définition, d’obédience cartésienne, dans les termes d’une substance (pensante) réellement distincte de ce corps. La mens humana, qui agit selon des lois déterminées, les lois de la pensée, est automate, rigoureusement au même titre que le corps lui-même, cet individu dont la puissance est intrinsèque, inhérente à sa nature même, et comme telle entièrement indépendante de celle de l’esprit.

Il reste à tirer les conséquences pratiques de cette analyse.

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Message par Vanleers Jeu 20 Sep 2018 - 16:09

Avant d’en venir à des questions plus pratiques, précisons que si l’essence actuelle de l’homme est « celle d’un automate simultanément matériel et spirituel », ceci ne veut pas dire que l’homme soit une machine.
Pascale Gillot examine longuement ce point à propos du corps :

Pascale Gillot a écrit: Le corps complexe tel que le conçoit Spinoza définit bien un certain type de mécanisme, une composition ou un assemblage de pièces dont la relation est originairement un rapport de mouvement. Mais à la différence de la simple machine, le corps complexe ne paraît pas requérir une impulsion externe au principe du rapport de mouvement qui caractérise son unité, à savoir l’union entre ses parties constitutives. C’est également en ce sens que le concept d’individualité appelle celui d’organisation, organisation exclusive de toute substantialité. L’identité corporelle, identité d’un individu, est fondée sur le mouvement respectif de ses parties ; elle n’est ni celle d’une substance, ni celle d’un agrégat, puisqu’elle est indifférente à l’identité numérique, à la grandeur ou encore à la direction du mouvement des parties composantes. Cette identité que l’on pourrait dire structurelle se comprend simultanément dans les termes d’un dynamisme : elle engage implicitement l’existence d’une force de persévérance de chaque partie dans la communication de son mouvement, corrélative de la tendance spontanée et intrinsèque, dans le corps composé, au maintien du rapport global de mouvement qui constitue sa forme ou bien encore sa nature

Un corps est un individu, au sens qu’en donne Spinoza dans la « Petite Physique » :

Spinoza a écrit: Quand un certain nombre de corps, de même grandeur ou de grandeur différente, sont pressés par les autres de telle sorte qu’ils s’appliquent les uns sur les autres ou bien s’ils sont en mouvement (à la même vitesse ou à des vitesses différentes), de telle sorte qu’ils se communiquent les uns aux autres leurs mouvements selon un certain rapport précis, ces corps, nous les dirons unis entre eux, et nous dirons qu’ils composent tous ensemble un seul corps, autrement dit un Individu, qui se distingue de tous les autres par cette union de corps.

P. Gillot écrit que le concept d’individualité, au sens de Spinoza, « appelle celui d’organisation, organisation exclusive de toute substantialité ».
En termes plus modernes, un individu, c’est un organisme ou, mieux encore, un système selon la définition de Jacques Ladrière :
« Objet complexe, formé de composants distincts reliés entre eux par un certain nombre de relations »
Le corps humain est un système, davantage un système qu’une machine :

Pascale Gillot a écrit: Si le corpus humanum constitue effectivement un artefact plus compliqué que les produits de la technique humaine, ou machines ordinaires, comme en témoigne l’infinie diversité de ses opérations, cette complexité ou artificialité majeure semble se concevoir en termes simplement quantitatifs, et demeurer ainsi référable à l’ars mechanica prévalant dans l’ordre de la nature tout entière. Dans la perspective spinoziste, le corps de l’homme, s’il n’est pas une machine comme les autres, n’est pas pour autant la « fabrique » d’un Dieu mécanicien. Si son fonctionnement relève des seules lois du mouvement et du repos, les lois mêmes de la nature corporelle, le principe de ses opérations lui est immanent, et ne requiert aucune cause extérieure, qu’il s’agisse de l’âme ou de Dieu. En ce sens, il est plus automate que machine, automate effectuant spontanément ses opérations multiples et tendant de lui-même au maintien de sa propre « structure », autrement dit, automate individué.

Rappelons que nous concevons le corps comme un automate au vu des performances dont nous le voyons capable, ses performances ne pouvant s’expliquer par l’existence d’un esprit (d’une âme) car il est exclu, dans la philosophie de Spinoza que ce qui relève de l’attribut Pensée puisse être la cause d’effets qui relèvent de l’attribut Etendue.

Pascale Gillot a écrit: Autrement dit, si le corps de l’homme apparaît doué d’une puissance considérable, qui lui permet par exemple, seul et sans le secours de l’âme, de bâtir des édifices, de construire des temples, de produire des œuvres picturales, voire de parler, c’est parce qu’il détient une spontanéité déterminée, un principe d’action intrinsèque qui découle des seules lois de sa nature d’entité matérielle, tel un automate. Or cette automaticité du corps humain le distingue simultanément des simples machines, qui requièrent pour principe de leurs opérations, ou de leur mouvement, une cause externe. En effet, ce corps est d’autant plus automate, c’est-à-dire susceptible d’accomplir spontanément un plus grand nombre de choses, qu’il est plus « artificiel », autrement dit composé ou organisé ; ainsi, d’après la doctrine spinoziste de l’individuation des choses singulières, le corps de l’homme est d’autant plus puissant qu’il est plus individué, composé lui-même d’un grand nombre d’individus. À cet égard, il faut observer que si «ce que peut le Corps » dépend strictement de sa nature, cette nature ne se conçoit pas uniquement et abstraitement comme celle d’une entité corporelle commune, régie par les lois générales du mouvement et du repos. La nature du corps humain est aussi et spécifiquement la nature d’une certaine chose singulière, une nature « déterminée », dont l’essence est celle d’un individu, doté d’un certain degré de composition, au principe direct de sa puissance, à savoir, pour reprendre la terminologie du De Affectibus, de son conatus propre. L’essence ou nature du corps humain est l’essence d’une chose corporelle très organisée, extrêmement individuée.

En vertu de ce qu’on appelle le « parallélisme », si l’essence d’un corps est celle d’un individu (d’un organisme, d’un système), c’est que l’essence de l’esprit, c’est-à-dire de l’idée de ce corps, est elle-même celle d’un individu (d’un organisme, d’un système).
Deleuze expliquant Spinoza à ses étudiants, leur disait :
« Vous n’êtes pas des personnes, vous êtes des manières d’être, vous êtes des modes. ».
Il aurait pu dire tout autant : vous êtes des organismes, vous êtes des systèmes.

EDIT : dernière citation de Pascale Gillot attribuée à tort à Spinoza.


Dernière édition par Vanleers le Ven 21 Sep 2018 - 12:01, édité 1 fois

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Message par hks Jeu 20 Sep 2018 - 18:17

En vertu
d'une idée, pour le coup, très géométrique.
Mais je m'en voudrais de vous interrompre. Vous connaisse bien l'objet de mon différent là dessus. Passons... cool-1614...

_________________
"J'appelle "violence" ce qui excède les capacités d'intégration psychiques et  physiques.
La violence est ce rythme de perturbations non acceptables, du moins pas sans dommages potentiels."  

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Message par Vanleers Ven 21 Sep 2018 - 11:58

Je reprends la fin de la dernière citation de Pascale Gillot :

Pascale Gillot a écrit: La nature du corps humain est aussi et spécifiquement la nature d’une certaine chose singulière, une nature « déterminée », dont l’essence est celle d’un individu, doté d’un certain degré de composition, au principe direct de sa puissance, à savoir, pour reprendre la terminologie du De Affectibus, de son conatus propre. L’essence ou nature du corps humain est l’essence d’une chose corporelle très organisée, extrêmement individuée.

Si on se souvient que le désir n’est autre que l’effort (conatus) conscient de persévérer dans son être rapporté au corps et à l’esprit (Ethique III 9 sc.), il y a un rapprochement évident entre l’homme conçu comme un automate régi par son conatus propre et l’homme comme « machine désirante » de Deleuze et Guattari.
On examinera la question de la subjectivité de cet automate, de cette machine désirante, en lien avec un article de Florence Andoka Machine désirante et subjectivité dans l’Anti-Œdipe de Deleuze et Guattari.
Voir :

https://journals.openedition.org/philosophique/659

L’auteur résume son article :

Florence Andoka a écrit: Le concept de machine désirante rompt avec le sujet cartésien porteur d’une intériorité. Dès lors cette terminaison mécaniste nous place d’emblée dans un plan d’immanence. La machine est traversée par le flux du désir qui, initie son processus de productivité et le commande selon le modèle du rhizome. Néanmoins, la machine désirante n’est pas dépourvue de conscience parce que dans son mouvement apparaît le corps sans organe, qui n’est autre qu’une nouvelle forme de subjectivité qui se définit par la présence à la sensation.

Après avoir dit que, selon Deleuze et Guattari, le sujet est avant tout un sujet d’expérience,

Florence Andoka a écrit: Le sujet est ce qui se constitue comme lieu d’enregistrement d’un état, il est un centre, un « Je sens »
[…]
Deleuze et Guattari ne sont pas dualistes en ce sens que le sujet est le centre qui enregistre l’activité des machines désirantes. On peut rapprocher cette conception du sujet de celle développée par Spinoza dans l’Ethique. Corps et esprit y sont décrits selon des voies parallèles mais ils ne sont pas à proprement séparés et divisés, parce que tout ce qui affecte le corps, affecte également l’esprit. Spinoza comme Deleuze et Guattari ne font pas du sujet une instance de représentation. Alors, « rien ici n’est représentation, mais tout est vie et vécu »

Je rapprocherai ce « Je sens » de l’axiome 4 de la partie II de l’Ethique :

Spinoza a écrit: Nous sentons qu’un certain corps est affecté de beaucoup de manières.

Dans la perspective ouverte par Deleuze et Guattari, le « Nous sentons » signalerait « une nouvelle forme de subjectivité qui se définit par la présence à la sensation », comme l’écrit F. Andoka à la fin de son résumé.

La difficulté, c’est que l’axiome 4 précité est utilisé une seule fois dans l’Ethique, dans la démonstration d’Ethique II 13, sous la forme suivante :
« or (par l’Axiome 4 de cette partie) nous avons les idées des affections d’un corps »
L’axiome précisait « Nous sentons » alors qu’ici « nous avons les idées »
Ceci s’explique sans doute par le fait que Spinoza fait « effort pour unifier les aspects cognitifs et émotifs de l'âme » (Pierre-François Moreau, cité dans un post antérieur)
A suivre

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Message par Vanleers Sam 22 Sep 2018 - 11:23

Nous avons vu, avec Pascale Gillot que l’essence actuelle (Ethique III 7) d’un homme était « celle d’un automate simultanément matériel et spirituel ».
Un homme, considéré dans la durée, est un automate conatif (de conatus, effort de persévérer dans son être) ou, dans le langage de Deleuze et Guattari, une machine désirante.
L’esprit n’étant autre que l’idée du corps, on peut décrire l’évolution et le comportement d’un homme en se limitant au corps, choix justifié par la primauté gnoséologique de ce dernier.
Il s’agit du corps affectif (du CsO de Deleuze et Guattari), c’est-à-dire du corps considéré dans sa capacité à affecter et à être affecté (cf. Ethique II 13 sc.)

Soit C un corps humain.
Ce corps affectif évolue et se modifie dans le temps : C = C(t), en fonction des rencontres qu’il fait tout au long de son existence.
A tout moment de sa vie, C est dans un certain environnement caractérisé par des causes extérieures CE qui agissent sur lui.
Soumis à ces causes extérieures :
- d’une part il est modifié
- d’autre part, il produit un effet E, fonction de C et de CE : E = f (C, CE)
Cet effet sera produit librement et le corps sera dit actif si E peut s’expliquer uniquement par C (Ethique III déf. 1, 2 et 3).
Dans le cas contraire, si E ne peut s’expliquer uniquement par C, l’effet sera contraint et le corps passif.
Sans qu’à aucun moment il n’y ait eu de libre décision (pas de libre arbitre dans la philosophie de Spinoza), C, s’il fait des rencontres favorables, évoluera au cours du temps de telle façon qu’il deviendra de plus en plus actif et agira de plus en plus librement, au sens indiqué ci-dessus.

On reviendra, dans le post suivant, à la question de la subjectivité de l’automate conatif.

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Message par Vanleers Dim 23 Sep 2018 - 8:49

Je reviens à la question de la subjectivité.
Qu’est-ce qui, rationnellement, c’est-à-dire clairement et distinctement, autorise un homme à dire « Je » ?
Nous avons vu que l’essence d’un homme considéré sous l’aspect de la durée était celle d’un automate conatif.
Un tel automate varie dans le temps, son essence actuelle n’est pas fixe et ce n’est donc pas en se fondant sur cette essence qu’il pourrait, rationnellement, dire « Je ».
Mais Spinoza démontre en Ethique V 22 :

Spinoza a écrit: En Dieu pourtant il y a nécessairement une idée qui exprime l’essence de tel ou tel Corps sous l’aspect de l’éternité.

Par cette démonstration, nous comprenons qu’il existe en Dieu une idée de l’essence éternelle de notre corps.
Le scolie d’Ethique V 23 enchaîne :

Spinoza a écrit: Cette idée qui exprime l’essence du Corps sous l’aspect de l’éternité est, comme nous l’avons dit, une manière de penser précise qui appartient à l’essence de l’Esprit et qui nécessairement est éternelle.

Dès lors, il est clair qu’il existe une essence éternelle de tel ou tel homme, corps et esprit, essence éternelle que j’appellerai un soi.
Par définition, l’éternité étant en dehors du temps, le soi est fixe et ce sera donc à raison qu’un homme, se fondant sur son soi éternel, dira « Je ».
Spinoza écrit aussi, dans le scolie d’Ethique V 23 :

Spinoza a écrit: Et néanmoins nous sentons et expérimentons que nous sommes éternels. Car l’Esprit ne sent pas moins les choses qu’il conçoit en comprenant, que celles qu’il a en mémoire. En effet les yeux de l’Esprit, par lesquels il voit et observe les choses, ce sont les démonstrations mêmes.

Pierre Macherey commente ce passage :

Pierre Macherey a écrit: En écrivant « nous sentons et expérimentons que nous sommes éternels », Spinoza a voulu nous faire comprendre directement que la saisie de l’éternité par l’âme, même si elle relève de l’entreprise d’une pure connaissance intellectuelle, ne se ramène pas à une représentation théorique abstraite, mais s’enracine effectivement dans la vie de l’âme, de notre âme, où elle constitue une expérience spécifique qui nous concerne personnellement, expérience sans doute exceptionnelle, mais non moins réelle pour autant.

En remplaçant « saisie de l’éternité » par l’expression équivalente mais plus précise « saisie de notre essence éternelle », non seulement nous comprenons mais nous nous réjouissons de l’éternité d’un soi qui nous autorise, à juste titre, à dire « Je ».

Il n’est pas certain, toutefois, que dire « Je » signifie qu’il y ait un sujet dans l’automate, ce que nous essaierons de voir par la suite.

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Message par hks Dim 23 Sep 2018 - 22:40

vanleers a écrit:Un tel automate varie dans le temps, son essence actuelle n’est pas fixe et ce n’est donc pas en se fondant sur cette essence qu’il pourrait, rationnellement, dire « Je ».

et pourquoi pas ?

Vous supposez que ce JE ne peut être compris QUE dans une optique de la non variabilité.

Pour vous qui aimez bien la grammaire
quand je dis actuellement : demain je ferai ceci cela ...
cela n'implique pas nécessairement que je pense actuellement que demain je serai identique, comme JE, au JE actuel.

Pour moi il n'y a à proprement parler QUE le JE qui s'énonce actuellement, dans une présence, qui soit pensable identique à lui-même.
Le temps de le dire, si l'on veut.

Si vous refusez ce principe minimal d'identité .... bon vent pour l'automate!
Le voila A et non A  avec beaucoup de pain sur la planche pour son intellection automatique.
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Message par maraud Lun 24 Sep 2018 - 8:35

Vanleers,

si l'on reprend le schéma premier de Spinoza, lorsqu'il définit Dieu et la Nature, on constate une chose: c'est une image en miroir de ce que l'on analyse en tant que sujet, c'est-à-dire une intériorité ( infinie) et une extériorité ( presque infinie ( je dis "indéfinie").

Partant, je vous dis que l'articulation Dieu/Nature de Spinoza correspond exactement à l'articulation du soi et du moi, de la personnalité et de l'individualité: La personnalité a un principe infini ( Dieu) l'individualité a un principe presque infini ( la Nature).

Trouvez-vous quelque chose qui, dans l'Ethique, contredit cela ?

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Message par Vanleers Lun 24 Sep 2018 - 10:42

A hks

Lorsqu’un homme dit « Je », de quoi parle-t-il ?
Je cite à nouveau un extrait d’un article d’Elisabeth Coreau-Scavarda : Wittgenstein : une conception éthique de la philosophie in L’éthique de la philosophie – sous la direction de JP Cometti – Kimé 2004 :

Elisabeth Coreau-Scavarda a écrit:[…] de nombreuses erreurs viennent du fait que l’on attribue une seule signification aux mots et que l’on ne distingue pas suffisamment les différents usages d’un même mot.
Prenons l’exemple du pronom personnel « je » qui connaît deux usages, comme objet et comme sujet. Rater cette distinction conduit à l’illusion d’une entité spirituelle qui serait le moi.
On trouve la première utilisation, comme objet, dans des expressions comme « j’ai une bosse sur le front » ou « j’ai grandi de 15 cm », où l’on peut remplacer le pronom personnel « je » par « mon corps ». Ce premier usage se caractérise ainsi par la référence à une personne particulière et la possibilité d’une erreur.
A l’utilisation comme sujet correspondent des expressions du type « j’ai mal aux dents » ou « j’existe » où le pronom « je » ne peut pas être remplacé par « mon corps » et où la possibilité d’une erreur n’a pas de sens. Cependant d’aucuns en viennent à penser que si le « je » ne désigne pas mon corps, c’est qu’il désigne une autre entité que mon corps, qui m’est essentielle, est immatérielle, mais liée à mon corps. Mais en quoi consiste exactement cette utilisation du « je » ?
Si on observe cette utilisation, on remarque que le « je » est là pour attirer l’attention sur celui qui parle, mais, au sens propre, il ne désigne pas (1). Aussi, si quelqu’un semble faire comme si vous n’étiez pas là (quelqu’un qui prend tout ce qui reste dans le plat alors que vous ne vous étiez pas encore servi ou votre conjoint qui projette un voyage avec des amis sans se préoccuper de ce que vous faites à ce moment-là), vous allez lui dire « j’existe ! » pour attirer l’attention sur vous. (p. 124)

(1)
Wittgenstein a écrit: Dire « j’ai mal » n’est pas plus un énoncé sur une personne déterminée que gémir ne l’est. Mais le mot « je », dans la bouche de quelqu’un, renvoie bel et bien à celui qui le dit, c’est lui-même que ce mot désigne, et très souvent, celui qui le dit se montre effectivement lui-même du doigt. Mais il était tout à fait superflu qu’il se montre du doigt ; il aurait aussi bien pu se contenter de lever la main (Le cahier bleu)

Ce que j’ai écrit, c’est qu’il était rationnel pour un individu (automate) humain de dire « Je », dans le deuxième cas énoncé par E. Coreau-Scavarda, non pas parce « qu’il désigne une autre entité que mon corps, qui m’est essentielle, est immatérielle, mais liée à mon corps », ni parce que le « Je » est une expression de l’essence actuelle de cet individu humain (le conatus) qui est variable, mais parce qu’il est une expression de son essence éternelle qui est fixe par définition, ce que j’ai appelé le soi.

PS A maraud
Je réfléchis à votre post.

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Message par Vanleers Lun 24 Sep 2018 - 11:17

A maraud

Spinoza définit Dieu au tout début de l’Ethique et ce n’est que beaucoup plus tard, au début de la partie IV, et comme en passant, qu’il écrit Deus sive Natura.
On ne peut donc pas dire qu’il y ait articulation entre Dieu et Nature ni qu’ils soient en miroir l’un de l’autre.
A ma connaissance, Spinoza ne parle jamais dans l’Ethique d’une intériorité de Dieu.

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Message par maraud Lun 24 Sep 2018 - 11:53

Soit. Mais gardons à l'esprit que Spinoza a eu accès à ce qu'il était convenu de nommer "les textes rares". Sa distinction Dieu/Nature reflète la "fracture" de l'homme entre son intériorité et son extériorité; ce qui logiquement, au fil de l’Éthique, devrait se résoudre en Dieu-Nature, voire en "Dieunature".

Ce que je dis là, n'est pas une proposition directe; je le dis juste assez haut pour que vous puissiez l'entendre, rien de plus ( c'est une question d'éthique personnelle)

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Message par Vanleers Lun 24 Sep 2018 - 11:57

Un homme considéré dans la durée est un automate conatif.
« Conatif » signifie en rapport avec le conatus, l’effort de persévérer dans son être.
A la réflexion, il est préférable de remplacer « conatif » par un mot plus courant : « dynamique » (de dynamis : force, puissance).
Un homme est un automate dynamique.
Un dynamisme interne pousse l’automate à constamment se réorganiser et à maintenir son identité, en fonction de ses rencontres avec d’autres choses.
Cette réorganisation est régie par des lois générales (s’appliquant à de multiples automates) ou, éventuellement, propres à tel ou tel automate.
Il n’est pas nécessaire d’imaginer que cette réorganisation soit dirigée par un centre de commandement, un sujet. Les neurosciences, par exemple, montrent que le cerveau peut être décrit comme un automate qui agit et se réorganise en l’absence de tout « chef d’orchestre ».
On constate que le corps est une machine qui, souvent se répare toute seule.
On parlera d’auto-organisation de l’automate, réglée par des lois objectives sans que « auto » signifie l’existence d’un sujet s’auto-organisant. Spinoza évoque ces lois dans les lemmes 4 à 7 de la « Petite physique » dans lesquels il montre comment l’individu « garde sa nature d’avant, sans changer de forme ».
L’auto-organisation d’un automate est une expression finie de l’Autoproduction de Dieu dont parle Spinoza dans le scolie d’Ethique II 3 :

Spinoza a écrit: Ensuite, à la proposition 34 partie I nous avons montré que la puissance de Dieu n’est rien d’autre que l’essence agissante de Dieu [actuosa essentia] ;

L’essence d’un homme, c’est-à-dire d’un automate dynamique, qu’on la considère dans l’éternité (essence éternelle) ou dans la durée (essence actuelle) est une essence « actueuse » (actuosa essentia), une essence agissante et, lorsqu’on la considère dans la durée, auto-réorganisatrice.

Pascal Sévérac (Spinoza Union et Désunion p. 176 – Vrin 2011) explicite le lien et la distinction entre essence éternelle : « force » (vis) et essence actuelle : « effort » (conatus) :

Pascal Sévérac a écrit: Vis, conatus, cupiditas : force, effort, désir. Ces trois concepts renvoient à la même réalité, celle d’une puissance de vie qui fait « tout son possible » (sans reste) pour conserver son être. La force (vis) est cette puissance en tant qu’elle est comprise à partir de la puissance éternelle de Dieu. L’effort (conatus) est cette puissance en tant qu’elle est considérée comme impliquée dans une existence en commerce avec d’autres existences. Le désir (cupiditas) est encore cette même puissance, en tant qu’elle est déterminée, par une quelconque affection, à faire quelque chose de particulier.

On en revient à ce qui a déjà écrit dans un post précédent : certes, tel ou tel homme est un être singulier (il n’y a que des essences singulières) mais ce qui fait la singularité de cet homme, c’est son essence éternelle et non l’existence d’une entité imaginaire, qu’on l’appelle sujet ou âme au sens d’Aristote.

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Message par hks Lun 24 Sep 2018 - 13:48

vanlleers a écrit:ni parce que le « Je » est une expression de l’essence actuelle de cet individu humain (le conatus) qui est variable, mais parce qu’il est une expression de son essence éternelle qui est fixe par définition, ce que j’ai appelé le soi.

Pour moi l' essence éternelle n'existe pas. Ce qui existe ce sont les actualisations et celles là sont éternelles.
Vous divisez le monde en deux, ce qui est peut- être Science intuitive et biodanza - Page 11 4221839403 l'idée de Spinoza  dans le scolie sur l'idée de Dieu.
Corollaire et Scolie de la prop 8 partie 2  

les commentateurs divisent en
1) l'idée de Dieu
et 2)l 'expression de l'idée de Dieu .
ce qui me pose problème c'est ceci

Spinoza a écrit:Il suit de là qu'aussi longtemps que les choses singulières n'existent qu'en tant qu'elles sont comprises dans les attributs de Dieu, leur être objectif, c'est-à-dire les idées de ces choses n'existent qu'en tant qu'existe l'idée infinie de Dieu
on peut assimiler  les positions du Je et du soi à choses singulière et attribut de Dieu . Votre topique est analogue.
Mais on se retrouve (si on suit Spinoza)
avec une idée du je (égoïté)
qui existe en tant qu'existe l'idée infinie de Dieu. Une égoïté virtuelle.

Cette égoïté virtuelle que je refuse en tant que virtuelle puisque je la pense actuelle, est gommée de votre topique. On a le SOI et puis c'est tout.

Elle est gommée parce que très inconfortable pour quelqu'un qui pose une essence éternelle éternelle du JE en opposition (nolens volens) de l 'essence actuelle.
On a bien deux mondes.
Il y aurait-il un platonisme chez Spinoza?  que penser des idées de ces choses qui n'existent qu'en tant qu'existe l'idée infinie de Dieu


Vous écrivez à Maraud  
vanleers a écrit:c’est son essence éternelle et non l’existence d’une entité imaginaire, qu’on l’appelle sujet ou âme au sens d’Aristote.

Je me demande si ce n'est pas aussi cette essence qui est une entité imaginaire.
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