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Science intuitive et biodanza

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Message par hks Mer 21 Nov 2018 - 22:43

Vaysse n'emploie pas le mot Etre.

Le livre que vous cité Totalité et finitude. Spinoza et Heidegger, Paris, Vrin,
est publié en  2004.
Vaysse écrit ceci page 99  
Heidegger n' a jamais cautionné le totalitarisme, mais a toujours dénoncé les dangers des procédures d' assujettissement et de normalisation propre à l'époque  de l' hégémonie planétaire de la technique
 Quand on aime et dans le cas de Vaysse quand on aime Heidegger, on ne ménage pas sa peine .
..........................................

Cela dit dans le texte que vous cité Vaysse lit Spinoza avec des lunettes Heideggériennes .et vous aussi
Spinoza est supposé rendre caduque  L’onto-théologie traditionnelle.

Or Heidegger a occulté Spinoza. Le seul texte dans lequel Heidegger considère la pensée de Spinoza d’une manière suffisamment approfondie est le cours sur Schelling (1936).

je cite
 Et cela effectivement n’est pas étonnant, puisque la philosophie de la liberté de Schelling se construit et se déploie dans une confrontation directe avec la pensée de Spinoza. Ce que Heidegger retient de Spinoza est avant tout la notion de système, dont le philosophe hollandais a fourni la forme la plus achevée de la philosophie moderne; toutefois, continue Heidegger, le système de Spinoza, en étant un système éthique, est régressif par rapport à Descartes[[E. Balibar, op. cit., p. 335., c’est-à-dire qu’il n’appartient pas à la grande ligne métaphysique de saint Thomas, Suarez, Descartes, Leibniz et Kant. De cette manière, la philosophie de Spinoza représente, pour Heidegger, un système déterminé dans le cadre de l’ontologie moderne, qui se situe à côté du développement réel de l’ontothéologie occidentale. Et, de l’avis de E. Balibar, c’est justement cette position de Heidegger vis-à-vis de Spinoza qui nous permet de tirer deux conclusions : « Négativement : la non-référence à Spinoza est bel et bien la pierre de touche de sa présentation tendancieuse de l’histoire de la métaphysique. Positivement : ceci n’est cependant que l’ouverture d’une question, car si Spinoza… est innommable par Heidegger, n’est-ce pas justement parce qu’à sa façon il est le seul à désigner critiquement la constitution de la métaphysique comme une onthothéologie Science intuitive et biodanza - Page 16 4221839403 , en se proposant de la faire passer de l’élément du finalisme dans celui d’une pensée radicalement causale ? »
http://www.multitudes.net/actualite-de-spinoza/

 La fin du texte ( que j' ai mise en gras) est discutable.
je pense que Heidegger n' a pas vu ce qu' on lui soupçonne de ne pas  avoir dit .

Ce sont des commentateurs  tel Jean Marie Vaysse  qui le voit. Ils se font plus heideggeriens que Heidegger lui même.
...........................................................
bizarre l'orthographe" onthothéologie"
..........................................................

hks
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Message par neopilina Jeu 22 Nov 2018 - 0:53

(

hks a écrit:Cela dit dans le texte que vous [Vanleers] citez, Vaysse lit Spinoza avec des lunettes heideggériennes.

Ces " lunettes heideggériennes ", il faut en parler tout de même. Je livre Mon expérience, on en fait bien évidemment ce qu'on en veut, mais c'est la Mienne. Les " lunettes heideggériennes ", je n'en pouvais déjà plus avant même d'avoir lu un seul livre d'Heidegger !! Je me disais, mais c'est quoi cet " esprit de pesanteur ", ce manteau de plomb, ce voile gris, ce prisme, etc., que je trouvais si régulièrement sur mon chemin, qui s'abat sur " mes " Grecs si lumineux, si radieux, entiers, l'Homme tel qu'on ne l'avait jamais vu, etc., etc., etc., ad libitum et ad nauseam, pour ne m'en tenir qu'à un seul exemple. Et puis un jour, frétillant, et pour cause, on me promettait de l'ontologie, j'ai ouvert " Être et Temps ", et j'ai très vite compris, rétrospectivement, voilà ce qui s'appelle un choc rétrospectif, cet " embarras ", " cette " gêne ", etc., etc., provoqués par les dites " lunettes ".

)

_________________
" Tout Étant produit par moi m'est donné (c'est son statut philosophique), a priori, et il est Mien (cogito, conscience de Soi, libéré du Poêle) ". " Savoir guérit, forge. Et détruit tout ce qui doit l'être ", ou, équivalents, " Tout l'Inadvertancier constitutif doit disparaître ", " Le progrès, c'est la liquidation du Sujet empirique, notoirement névrotique, par la connaissance ". " Il faut régresser et recommencer, en conscience ". Moi.
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Message par Vanleers Jeu 22 Nov 2018 - 11:06

Spinoza conçoit l’existence de deux façons : l’éternité et la durée (Ethique I déf. 8 et II déf. 5), ce qu’il rappelle en Ethique II 45 sc.
Si les modes participent de l’éternité de Dieu, seul Dieu est éternel, donc seul Dieu existe au sens de l’éternité.
En appelant Dieu « Être », on signifie, d’une part, que Dieu n’est pas un étant et n’existe pas à la manière dont existe un étant et, d’autre part, que les étants participent de l’existence de Dieu, c’est-à-dire de son éternité.
Toutefois, ce qu’écrit Spinoza est suffisamment clair pour qu’il ne soit pas indispensable de nommer Dieu « Être », ce qu’il ne fait pas dans l’Ethique.

Le rapprochement avec l’« Être » de Heidegger (« Ce qui n’est qu’étrange ») ne paraît pas possible.
Je cite Peter Trawny (Heidegger et l’antisémitisme. Sur les « Cahiers noirs » – Seuil 2014)

Peter Trawny a écrit: « Ce qui n’est qu’étrange » ne peut être élucidé philosophiquement qu’à travers la distinction entre l’étant et l’être, c’est-à-dire à travers le détachement de l’être de l’étant, qui au début des années 1930 s’appelait encore « différence ontologique ». L’être lui-même est le tout autre par rapport à l’étant. Il est tellement autre qu’il doit être pensé comme le non-étant. Cet être se soustrait, est caché et on ne peut en faire l’expérience que sous la forme de « vérité de l’estre », au sens de quelque chose de caché, qui se met en retrait dans certaines situations de tonalité et de tonalité fondamentale. Comme il ne contient rien de connu ni d’habituel, comme il est incomparable car parfaitement unique, on peut le désigner comme « ce qui n’est qu’étrange ». (pp. 103-104)

On est loin de ce que Spinoza démontre en Ethique II 47 :

Spinoza a écrit: L’esprit humain a une connaissance adéquate de l’essence éternelle et infinie de Dieu.

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Message par Vanleers Dim 25 Nov 2018 - 11:45

Je reviens à l’affirmation de Jean-Marie Vaysse selon laquelle « l’angoisse heideggérienne se rapproche de la joie spinoziste ».
Il en parle dans le paragraphe Mort, joie et angoisse (pp. 134-140) de l’ouvrage déjà cité.
Son argument peut être résumé comme suit :

Jean-Marie Vaysse a écrit: La joie éthique n’est qu’un autre nom pour dire ce que Sein und Zeit appelle angoisse. De même que chez Heidegger l’angoisse est la seule tonalité affective authentique, la joie-béatitude est chez Spinoza le seul affect qui ne soit plus une passion. De même que l’angoisse est un contre-mouvement par rapport au Verfallen, qui peut se dire également Gelassenheit, de même la joie est un contre-mouvement par rapport aux passions tristes qui peut se dire aussi comme acquiescentia. (p. 139)

En réalité, on est en présence de deux visions du monde différentes et de deux éthiques distinctes : une éthique de la joie versus une éthique de l’authenticité.
Il paraît difficile de les concilier et, à mon avis, la comparaison « béatitude – passions tristes – acquiescentia » avec « AngstVerfallenGelassenheit » n’est pas raison.

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Message par Vanleers Mar 27 Nov 2018 - 20:20

Dans l’avant-propos à sa traduction de l’Ethique,

Bernard Pautrat a écrit: Lire l’Ethique comme un livre de mathématique contenant des vérités démontrées, que donc le lecteur sera contraint d’admettre, plutôt que comme un livre de philosophie simplement déguisé en livre de mathématique, c’est donc aussi le prendre au sérieux comme éthique et permettre à cette prodigieuse machine-à-bonheur de se mettre en route et peut-être (il faut voir) de marcher. Et paradoxalement, il faut provisoirement croire à la scientificité de l’Ethique si l’on veut lui donner la chance d’accomplir, en chacun de nous, son destin.

L’Ethique est un ouvrage précis et clair comme un livre de mathématique.
Spinoza construit une vision (theoria) du monde à laquelle « il faut provisoirement croire », comme l’écrit B. Pautrat, le temps de vérifier qu’elle est cohérente et soutient la critique de l’expérience.
B. Pautrat a raison de parler de scientificité de l’Ethique.
En effet, comme l’a montré Karl Popper, la démarche scientifique consiste à construire des théories explicatives a priori et à les confronter à l'expérience, celle-ci ayant une simple fonction critique (la science moderne n’est pas empiriste).
L’Ethique n’est pas une métaphysique mais une physique mathématique, une science au sens d’une théorie explicative a priori du monde que l’on confronte à l’expérience.
Nous faisons l’expérience que la connaissance rationnelle, c’est-à-dire claire et distincte, de la réalité nous libère des passions, en particulier des passions tristes, qui dépendent des seules idées inadéquates, c’est-à-dire mutilées et confuses (Ethique II 3), et nous procure la plus grande joie.

L’Ethique est, en effet, une connaissance rationnelle de la réalité (connaissance du deuxième et du troisième genre), connaissance par les causes qui dépasse la connaissance immédiate et vague des choses, connaissance empirique, du premier genre, mutilée et confuse.
Celle-ci est la connaissance spontanée dans laquelle « on se raconte des histoires ». L’Ethique nous montre pourquoi il en est ainsi et comment la dépasser.

La biodanza nous demande de mettre le mental au repos, c’est-à-dire de suspendre (époché) la connaissance du premier genre.
L’Ethique va plus loin mais n’est pas en contradiction avec cette pratique psychocorporelle.
Toutefois, il y aurait lieu d’évaluer plus en détail la théorie sur laquelle cette pratique se fonde, celle de Rolando Toro, son créateur.

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Message par Vanleers Mer 28 Nov 2018 - 11:42

Dans la philosophie de Spinoza, la connaissance du deuxième genre ou raison est une connaissance par notions communes qui ne connaît pas l’essence des choses (cf. Ethique II 37).
A l’inverse, les connaissances du premier et du troisième genre connaissent les choses dans leur singularité.
Celle du premier genre est l’unique cause de fausseté mais celle du troisième genre est nécessairement vraie (Ethique II 41).
En conséquence, l’Ethique nous oriente vers la connaissance du troisième genre ou science intuitive comme l’écrit Robert Misrahi in 100 mots sur l’Ethique de Spinoza (article connaissance pp. 103-105) – Les Empêcheurs de penser en rond 2005.

Robert Misrahi a écrit: Cette Science intuitive « procède de l’idée adéquate de l’essence formelle de certains attributs de Dieu à la connaissance adéquate de l’essence des choses » (E II 40 sc. 2). Cette connaissance du troisième genre n’est donc pas la saisie mystique d’une réalité hors monde qui serait Dieu ; elle est, plus simplement et plus humainement, la saisie d’un rapport, cette saisie étant intuitive : la Science intuitive est la saisie intellectuelle (et immédiate) du rapport entre un attribut et l’essence d’une chose, c’est-à-dire entre un attribut infini de la Nature et un mode singulier de cet attribut.
On le voit, la connaissance du troisième genre n’est ni une mystique ni un mystère ; elle est l’appréhension intellectuelle immédiate du lien entre les réalités singulières et l’aspect spécifique de la Nature infinie qui les fonde, qu’il s’agisse respectivement ou des choses ou des idées.
Que la Science intuitive ne soit pas une « connaissance » mystique n’empêche pas qu’elle ait dans l’Ethique une place et un rôle privilégiés.
En effet, c’est vers ce genre de connaissance que toute l’Ethique conduit son lecteur. Cette Science intuitive est en effet la saisie de l’immanence, la pensée évidente de l’insertion des réalités singulières et limitées dans l’un des aspects infinis de la Nature infinie. Elle implique donc la libération par rapport à tous les mythes de transcendance et de libre arbitre. Si la Science intuitive libère l’esprit de l’imagination et de la servitude, c’est que cette Science, ce Savoir, est d’abord issu du deuxième genre de la connaissance et non du premier (E V 28). La connaissance empirique ne peut produire que l’imagination illusoire et la fausseté des idées tronquées ; seule la connaissance rationnelle peut engendrer un système d’idées adéquates relatives aux structures de l’Etre (substance, attributs, modes, en Ethique I) et c’est seulement à partir de cette connaissance rationnelle de l’unité de l’Etre (la Nature) que peut émerger la saisie intuitive du lien entre les choses singulières et la Nature infinie.
A partir de là, la saisie du monde en sera comme transmutée et vivifiée.
« De ce troisième genre de connaissance naît la plus haute satisfaction de l’esprit qui puisse être donnée » (E V 27). C’est de cette Science intuitive en effet que naît l’Amour intellectuel de Dieu et, par conséquent, la béatitude et la liberté, et c’est d’elle que naît donc le sentiment d’éternité.
On le voit, toute la sagesse spinoziste est le fruit de cette Science intuitive, puisqu’elle seule nous convainc « de l’intérieur » de l’unité du monde et nous conduit à la plus haute joie : « Ainsi, plus on est capable de ce genre de connaissance, mieux on a conscience de soi-même et de Dieu, c’est-à-dire plus on est parfait et heureux » (E V 31 sc.).

En biodanza, nous faisons l’expérience très remarquable de percevoir intuitivement le partenaire dans sa singularité lorsque nous le reconnaissons dans son rapport avec Dieu (science intuitive), perception et reconnaissance s’accompagnant de la joie la plus vive.

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Message par Vanleers Sam 1 Déc 2018 - 11:32

A la fin du texte cité dans le post précédent, Robert Misrahi fait allusion à la proposition 31 de la partie V de l’Ethique :

Spinoza a écrit: Le troisième genre de connaissance dépend de l’Esprit comme de sa cause formelle en tant que l’Esprit même est éternel.

La démonstration précise : « cause adéquate ou formelle » (causa adaequata seu formalis) et renvoie à la définition de la cause adéquate :

Spinoza (Ethique III déf. 1) a écrit: J’appelle cause adéquate celle dont l’effet peut se concevoir clairement et distinctement par elle. Et j’appelle inadéquate, autrement dit partielle celle dont l’effet ne peut se comprendre par elle seule.

Dans la philosophie de Spinoza, l’esprit humain est, en premier, idée c’est-à-dire connaissance.
C’est ce qui est démontré en Ethique II 11 qui se réfère, notamment, aux axiomes 2 et 3 de cette partie :

Spinoza a écrit: Le premier à constituer l’être actuel de l’Esprit humain n’est autre que l’idée d’une certaine chose singulière existant en acte.

L’homme pense.

Il n’y a de manières de penser comme l’amour, le désir ou toute autre qu’on désigne sous le nom d’affect d’âme, qu’à la condition qu’il y ait dans le même Individu l’idée d’une chose aimée, souhaitée, etc. Mais il peut y avoir l’idée sans qu’il y ait aucune autre manière de penser.
Etant cause adéquate de la connaissance du troisième genre, l’essence éternelle de l’esprit est donc cause adéquate d’elle-même en tant que connaissance des choses.
C’est ce que souligne Robert Misrahi dans son commentaire d’Ethique V 31 :

Robert Misrahi a écrit: Tout se passe comme si l’esprit, en son éternité, c’est-à-dire son essence transtemporelle, était la cause de sa propre connaissance des choses par le troisième genre, cette cause étant adéquate. C’est-à-dire, en un sens, que l’esprit est cause de sa propre démarche philosophique : l’esprit, comme cause de soi en tant qu’il se fait philosophe (c’est-à-dire connaisseur de l’être), telle pourrait être la plus haute définition de la liberté spinoziste. (note 51)

Dieu étant substance (Ethique I déf. 6) est cause de soi (Ethique I 7 dém.).
De même que l’esprit est éternel par participation à l’éternité de Dieu, il est cause de soi par participation à la suicausalité de Dieu.

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Message par Vanleers Mar 4 Déc 2018 - 8:53

Le scolie d’Ethique V 31 commence ainsi :

Spinoza a écrit: Plus donc chacun est fort dans ce genre de connaissance [le troisième], mieux il est conscient de soi et de Dieu, c’est-à-dire plus il est parfait et bienheureux,

Soulignons d’abord que Spinoza ne distingue pas la conscience de la connaissance, ce qu’il a affirmé dans le scolie d’Ethique II 21 en écrivant que « dès que quelqu’un sait quelque chose, il sait par là-même qu’il le sait, et en même temps il sait qu’il sait ce qu’il sait, et ainsi à l’infini. »
Être conscient de quelque chose, c’est connaître cette chose et savoir que l’on connaît cette chose.

Être conscient de soi et de Dieu, c’est, d’abord, se connaître soi et connaître Dieu.
La connaissance de soi fait partie de la connaissance du troisième genre (Ethique II 40 sc. 2).
Quant à la connaissance de Dieu par la connaissance du troisième genre, elle fait l’objet de la proposition 30 :

Spinoza a écrit: Notre Esprit, en tant qu’il se connaît ainsi que le Corps sous l’aspect de l’éternité, a en cela nécessairement une connaissance de Dieu, et sait qu’il est en Dieu et se conçoit par Dieu.

Alexandre Matheron (Etudes sur Spinoza et les philosophies de l’âge classique – ENS Editions 2011) commente :

Alexandre Matheron a écrit: L’éternité, nous le savons, est l’existence elle-même en tant qu’elle est conçue comme suivant nécessairement de la seule définition de Dieu (Ethique I déf. huit) ; ou, ce qui revient au même, c’est l’essence même de Dieu en tant qu’elle enveloppe l’existence nécessaire (celle de Dieu mais aussi celle de ses modes). Concevoir l’essence d’une chose sous l’aspect de l’éternité, par conséquent, c’est concevoir la chose elle-même, en tant qu’être réel, à partir de l’essence de Dieu : c’est la concevoir par Dieu et comprendre que, du seul fait qu’elle se conçoit par Dieu, elle doit nécessairement exister un jour ou l’autre. C’est donc, très exactement, comprendre cette chose par la connaissance du troisième genre. C’est de cette façon-là, bien entendu, que Dieu conçoit l’essence de toutes choses, et par conséquent aussi celle de notre corps et de notre esprit. Or l’idée éternelle que nous sommes n’est précisément rien d’autre que l’idée par laquelle Dieu conçoit l’essence de notre corps – et aussi, réflexivement, celle de notre esprit, puisque toute idée est en même temps idée d’idée. Donc, dans la mesure où nous sommes cette idée éternelle, nous sommes nous-même, de toute éternité, la connaissance du troisième genre que forme Dieu de l’essence de notre corps et de notre esprit. Et dans la mesure exacte où nous avons une partie de l’idée que nous sommes, c’est-à-dire où nous connaissons nous-mêmes quelque chose de l’existence de notre corps – et, réflexivement, de notre esprit – sous l’aspect de l’éternité, nous savons, par une connaissance du troisième genre, que nous sommes cette connaissance du troisième genre que forme Dieu : nous savons que nous sommes en Dieu et que nous sommes conçus par Dieu. (p. 703)

Retenons de ce commentaire que nous sommes la connaissance du troisième genre et que Dieu connaît les choses par ce genre de connaissance.
En conséquence, plus nous sommes forts dans ce genre de connaissance, plus nous sommes nous-mêmes, parfaits et bienheureux (Ethique V 31 sc.), plus « nous savons que nous sommes en Dieu et que nous sommes conçus par Dieu ».

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Message par Emmanuel Mar 4 Déc 2018 - 14:27

.

« Le régime idéal, c'est d'être immortel par défaut et d'avoir la possibilité de se suicider si on se fait trop chier au bout d'un certain temps » disait Ruwen Ogien en prolongeant Spinoza, pourrait-on dire, car c'est ça la charge utile portée par les trois fameuses étapes de la connaissance.

Je fais mienne cette charge utile depuis le jour où j'ai décidé de naître ...

.
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Message par Vanleers Mer 5 Déc 2018 - 10:33

Bernard Rousset (La perspective finale de l’Ethique – Vrin 2005) commente, lui aussi, Ethique V 31.
Il souligne que, dans la démonstration, Spinoza écrit que l’esprit est éternel « en tant qu’il conçoit sous l’aspect de l’éternité l’essence de son corps »
Il en déduit que :

Bernard Rousset a écrit: Ce n’est donc pas dans une union avec Dieu, qui reste problématique tant qu’elle n’est ni définie, ni expliquée, que le savoir suprême a son origine : c’est dans la nature même de l’esprit comme idée du corps, dès qu’on a reconnu que c’est aussi une idée exprimant l’essence de ce corps sous l’aspect de l’éternité, c’est-à-dire une idée de l’insertion du fini dans l’infini. (p. 122)

B. Rousset écrit que la cause de la connaissance du troisième genre est l’esprit lui-même en tant qu’il exprime l’essence du corps sous l’aspect de l’éternité. C’est, en effet, ce que démontre Ethique V 31 : l’esprit, en tant qu’il est éternel, est la cause formelle de la connaissance du troisième genre.
Alexandre Matheron va plus loin en écrivant que : « Nous sommes nous-mêmes, éternellement, connaissance du troisième genre de notre propre essence ».
Poursuivons la lecture de son commentaire :

Alexandre Matheron a écrit:[…] comme le montre la proposition 31, si nous sommes aptes à connaître les choses en général par le troisième genre de connaissance – et d’ailleurs aussi par le second –, c’est en définitive parce que nous sommes nous-mêmes, éternellement, connaissance du troisième genre de notre propre essence. Et à partir du moment où nous le savons, notre connaissance du troisième genre des choses prend un aspect nouveau qui la fait passer à une forme supérieure. Elle reste, bien entendu, connaissance du troisième genre des choses ; mais en même temps, et plus fondamentalement, elle apparaît comme un développement de notre connaissance du troisième genre de nous-mêmes. Dans la mesure où nous connaissons l’essence d’une chose quelconque (ou même simplement l’une de ses propriétés, pourvu que nous la connaissions adéquatement), nous savons aussi, et nous savons que nous savons, qu’il appartient à l’essence de notre corps d’être capable d’enchaîner ses affections dans un ordre intelligible qui reproduit la structure de cette chose ; et nous savons que ceci explique cela : nos connaissances adéquates, à partir de maintenant, se comprennent elles-mêmes par leur propre cause prochaine. Toute connaissance adéquate nouvelle augmente donc notre connaissance du troisième genre de notre corps et de notre esprit, qui l’éclaire en retour sur sa genèse. Si bien qu’à la limite, on pourrait concevoir que nous arrivions à concevoir notre essence dans sa singularité : nous y parviendrions si les affections de notre corps arrivaient à s’enchaîner selon un ordre pleinement conforme à cette essence dans ce qu’elle a de singulier – c’est-à-dire si notre corps réussissait à être vraiment lui-même, s’il devenait entièrement maître de soi par quelque chose qui pourrait bien ressembler à une sorte de yoga. Ce dont, bien sûr, nous sommes encore loin, et Spinoza aussi ! (p. 704)

A. Matheron, en introduisant la notion de yoga, ouvre la perspective d’une pratique corporelle susceptible d’augmenter notre connaissance du troisième genre, ce qui serait à approfondir (la biodanza est-elle concernée ?).

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Message par Emmanuel Mer 5 Déc 2018 - 13:09

Vanleers a écrit:Bernard Rousset (La perspective finale de l’Ethique – Vrin 2005) commente, lui aussi, Ethique V 31.
Il souligne que, dans la démonstration, Spinoza écrit que l’esprit est éternel « en tant qu’il conçoit sous l’aspect de l’éternité l’essence de son corps »
Il en déduit que :

Bernard Rousset a écrit: Ce n’est donc pas dans une union avec Dieu, qui reste problématique tant qu’elle n’est ni définie, ni expliquée, que le savoir suprême a son origine : c’est dans la nature même de l’esprit comme idée du corps, dès qu’on a reconnu que c’est aussi une idée exprimant l’essence de ce corps sous l’aspect de l’éternité, c’est-à-dire une idée de l’insertion du fini dans l’infini. (p. 122)

B. Rousset écrit que la cause de la connaissance du troisième genre est l’esprit lui-même en tant qu’il exprime l’essence du corps sous l’aspect de l’éternité. C’est, en effet, ce que démontre Ethique V 31 : l’esprit, en tant qu’il est éternel, est la cause formelle de la connaissance du troisième genre.
Alexandre Matheron va plus loin en écrivant que : « Nous sommes nous-mêmes, éternellement, connaissance du troisième genre de notre propre essence ».
Poursuivons la lecture de son commentaire :

Alexandre Matheron a écrit:[…] comme le montre la proposition 31, si nous sommes aptes à connaître les choses en général par le troisième genre de connaissance – et d’ailleurs aussi par le second –, c’est en définitive parce que nous sommes nous-mêmes, éternellement, connaissance du troisième genre de notre propre essence. Et à partir du moment où nous le savons, notre connaissance du troisième genre des choses prend un aspect nouveau qui la fait passer à une forme supérieure. Elle reste, bien entendu, connaissance du troisième genre des choses ; mais en même temps, et plus fondamentalement, elle apparaît comme un développement de notre connaissance du troisième genre de nous-mêmes. Dans la mesure où nous connaissons l’essence d’une chose quelconque (ou même simplement l’une de ses propriétés, pourvu que nous la connaissions adéquatement), nous savons aussi, et nous savons que nous savons, qu’il appartient à l’essence de notre corps d’être capable d’enchaîner ses affections dans un ordre intelligible qui reproduit la structure de cette chose ; et nous savons que ceci explique cela : nos connaissances adéquates, à partir de maintenant, se comprennent elles-mêmes par leur propre cause prochaine. Toute connaissance adéquate nouvelle augmente donc notre connaissance du troisième genre de notre corps et de notre esprit, qui l’éclaire en retour sur sa genèse. Si bien qu’à la limite, on pourrait concevoir que nous arrivions à concevoir notre essence dans sa singularité : nous y parviendrions si les affections de notre corps arrivaient à s’enchaîner selon un ordre pleinement conforme à cette essence dans ce qu’elle a de singulier – c’est-à-dire si notre corps réussissait à être vraiment lui-même, s’il devenait entièrement maître de soi par quelque chose qui pourrait bien ressembler à une sorte de yoga. Ce dont, bien sûr, nous sommes encore loin, et Spinoza aussi ! (p. 704)

A. Matheron, en introduisant la notion de yoga, ouvre la perspective d’une pratique corporelle susceptible d’augmenter notre connaissance du troisième genre, ce qui serait à approfondir (la biodanza est-elle concernée ?).

À tout ça manque peut-être la mort volontaire :


« De la mort volontaire

Il y en a beaucoup qui meurent trop tard et quelques-uns qui meurent trop tôt.

La doctrine qui dit : "Meurs à temps !" semble encore étrange. [...]

Ainsi parlait Zarathoustra »


.
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Message par Vanleers Mer 5 Déc 2018 - 15:55

Emmanuel a écrit:
À tout ça manque peut-être la mort volontaire :


« De la mort volontaire

Il y en a beaucoup qui meurent trop tard et quelques-uns qui meurent trop tôt.

La doctrine qui dit : "Meurs à temps !" semble encore étrange. [...]

Ainsi parlait Zarathoustra »


.

Ne comptez pas sur Spinoza pour vous donner des raisons de vous suicider (cf. Ethique IV 20 scolie).
Si Deleuze, grand spinoziste, s’est suicidé, c’est parce que la puissance de forces extérieures fut plus forte que sa puissance de vivre (cf. l’axiome de la partie IV)

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Message par Emmanuel Mer 5 Déc 2018 - 16:09

Vanleers a écrit:Ne comptez pas sur Spinoza pour vous donner des raisons de vous suicider

Je ne compte sur personne pour faire ce que je veux de ma corporéité bien aimée.

.
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Message par Vanleers Jeu 6 Déc 2018 - 15:16

Les citations d’Alexandre Matheron données dans les posts précédents sont tirées d’un article La vie éternelle et le corps selon Spinoza, consacré à l’élucidation d’Ethique V 39 :

Spinoza a écrit: Qui a un Corps apte à un très grand nombre de choses a un Esprit dont la plus grande part est éternelle.

La démonstration de cette proposition s’appuie sur Ethique V 10 qui est capitale pour comprendre l’importance du corps dans la connaissance du troisième genre :

Spinoza a écrit: Aussi longtemps que nous ne sommes pas en proie à des affects qui sont contraires à notre nature, aussi longtemps nous avons le pouvoir d’ordonner et d’enchaîner les affections du Corps suivant un ordre pour l’intellect.

Il faut bien comprendre qu’il s’agit du pouvoir du corps d’ordonner et d’enchaîner ses affections suivant un ordre pour l’intellect.
On pourrait dire qu’il s’agit d’un pouvoir du corps de devenir rationnel. On lit, dans un commentaire de cette proposition en :

http://spinoza.fr/lecture-des-propositions-i-a-x-du-de-libertate/

« ordonner et enchaîner les affections du corps suivant un ordre pour l’intellect » – qu’est-ce qu’un corps rationnel ? : des gestes plus réguliers, plus sûrs, plus efficaces, plus « heureux », moins affolés et maladroits, une plus grande disposition de ses potentialités physiques propres, celle d’un corps bien équilibré, mieux assuré de lui-même dans son rapport aux autres corps et « apte à un plus grand nombre de choses » (V, 39). Bref, en d’autres termes, un corps qui se réapproprie son propre fonctionnement, c’est-à-dire plus précisément ce qui, dans l’enchaînement de ses affections (ou « images de choses »), relève de sa propre nature (et de sa nature commune de corps) plutôt que des causes extérieures.

Or, précisément, par les gestes qui sont proposés en groupe, la biodanza vise à « rationaliser le corps » au sens indiqué ci-dessus (voir, par exemple, la présentation de la biodanza par Hélène Levy-Benseft au départ du fil). Entendons : le corps affectif, c’est-à-dire le corps considéré dans sa capacité à affecter d’autres corps et à en être affecté.

En vertu de ce que l’on appelle improprement le « parallélisme », le corps et l’esprit sont théoriquement à égalité dans l’Ethique, ce que confirme, par exemple, Ethique V 1 sur laquelle s’appuie la démonstration d’Ethique V 10 :

Spinoza a écrit: Les affections du Corps, autrement dit les images des choses, s’ordonnent et s’enchaînent dans le Corps très exactement de la façon dont les pensées et les idées des choses s’ordonnent et s’enchaînent dans l’Esprit.

Toutefois, comme on l’a déjà remarqué et comme l’écrit Pierre Macherey dans une note de son commentaire d’Ethique V 39 :

Pierre Macherey a écrit: Il reste que cette égalité [du corps et de l’âme], qu’il faut sans cette réaffirmer, est aussi sans cesse remise en cause, ou tout au moins oubliée, d’où la nécessité de la réaffirmer : comme nous en avons déjà fait la remarque, la présence du corps est indiquée dans le texte de l’Ethique comme en pointillé, sur une sorte de ligne d’accompagnement, l’exécution de la mélodie principale restant réservée à l’âme.

L’analyse d’Ethique V 10 confirme que la biodanza est une voie du corps qui complète heureusement la voie de l’esprit développée dans l’Ethique.

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Message par Emmanuel Jeu 6 Déc 2018 - 15:34

.

Un des équivalents spirituels-corporels de la biodanza, mais sans Dieu :


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.
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Message par Vanleers Ven 7 Déc 2018 - 15:00

Je reviens à la démonstration d’Ethique V 10 :

Spinoza a écrit: Aussi longtemps que nous ne sommes pas en proie à des affects qui sont contraires à notre nature, aussi longtemps nous avons le pouvoir d’ordonner et d’enchaîner les affections du Corps suivant un ordre pour l’intellect.

Spinoza démontre que les idées des affections du corps peuvent être ordonnées et enchaînées suivant un ordre pour l’intellect et ce n’est qu’à la fin de la démonstration, en se référant à Ethique V 1, qu’il conclut que ceci est vrai également pour les affections du corps elles-mêmes (« parallélisme » !)
Spinoza se réfère d’abord à Ethique IV 30 dont la démonstration nous rappelle que « Nous appelons mal ce qui est cause de tristesse » et ensuite à Ethique IV 27 qui démontre que les affects ne sont mauvais qu’en tant qu’ils empêchent l’esprit de comprendre.
Or, a démontré Ethique IV 26, l’esprit s’efforce de comprendre, c’est-à-dire, selon Ethique II 40 sc. 2 et Ethique II 47 sc., de former des idées claires et distinctes et de les déduire les unes des autres.
En conclusion, tant que nous ne sommes pas affectés par des passions tristes, nous avons le pouvoir de former des idées claires et distinctes des affections du corps et de les déduire les unes des autres et, en conséquence, d’ordonner et d’enchaîner rationnellement les affections du corps, c’est-à-dire de « rationaliser le corps affectif »

Le scolie fait l’objet d’un commentaire (lien donné dans le post précédent) dont j’extrais le passage suivant :

Réciproque et effet en retour de la proposition : la rationalisation progressive de la vie corporelle a pour corrélat une moindre exposition aux affects mauvais, donc contraires à la nature de notre âme. Dynamique de la raison, cercle vertueux, du fait de la plus grande force et constance des affects rationnels, qui tend ainsi à stabiliser de mieux en mieux l’existence psycho-physique dans sa globalité.

Dans une séance de biodanza, le climat est à la joie et non à la tristesse, ce qui, en vertu d’Ethique V 10, laisse au corps tout son pouvoir de se rationaliser, ce qui le rend progressivement moins sujet aux passions tristes : cercle vertueux comme le dit le commentaire du scolie.

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Message par Vanleers Sam 8 Déc 2018 - 15:40

La biodanza, la danse de la vie, est une pratique psychocorporelle qui traduit une philosophie de la vie en harmonie avec celle de Spinoza.
Deleuze présente magnifiquement celle-ci dans Spinoza. Philosophie pratique – Minuit 1981 :

Gilles Deleuze a écrit: Le reproche que Hegel fera à Spinoza, d’avoir ignoré le négatif et sa puissance, c’est la gloire et l’innocence de Spinoza, sa découverte propre. Dans un monde rongé par le négatif, il a assez confiance dans la vie, dans la puissance de la vie, pour mettre en question la mort, l’appétit meurtrier des hommes, les règles du bien et du mal, du juste et de l’injuste. Assez de confiance dans la vie pour dénoncer tous les fantômes du négatif. L’excommunication, la guerre, la tyrannie, la réaction, les hommes qui luttent pour leur esclavage comme si c’était leur liberté, forment le monde du négatif où vit Spinoza ; l’assassinat des frères De Witt est pour lui exemplaire. Ultimi barbarorum. Toutes les manières d’humilier et de briser la vie, tout le négatif ont pour lui deux sources, l’une tournée vers le dehors et l’autre vers le dedans, ressentiment et mauvaise conscience, haine et culpabilité. « La haine et le remords, les deux ennemis fondamentaux du genre humain » (Court traité, premier dialogue). Ces sources, il ne cesse de les dénoncer comme liées à la conscience de l’homme et ne devant tarir qu’avec une nouvelle conscience, sous une nouvelle vision, dans un nouvel appétit de vivre. Spinoza sent, expérimente qu’il est éternel.
La vie n’est pas une idée, une affaire de théorie chez Spinoza. Elle est une manière d’être, un même mode éternel dans tous les attributs. Et c’est seulement de ce point de vue que prend tout son sens la méthode géométrique. Celle-ci dans l’Ethique s’oppose à ce que Spinoza appelle une satire ; et la satire, c’est tout ce qui prend plaisir à l’impuissance et à la peine des hommes, tout ce qui exprime le mépris et la moquerie, tout ce qui se nourrit d’accusations, de malveillances, de dépréciations, d’interprétations basses, tout ce qui brise les âmes (le tyran a besoin d’âmes brisées, comme les âmes brisées, d’un tyran). La méthode géométrique cesse d’être une méthode d’exposition intellectuelle ; il ne s’agit plus d’un exposé professoral mais d’une méthode d’invention. Elle devient une méthode de rectification vitale et optique. Si l’homme est en quelque sorte tordu, on rectifiera cet effet de torsion en le rattachant à ses causes more geometrico. Cette géométrie optique traverse toute l’Ethique. On s’est demandé si l’Ethique devait être lue en termes de pensée ou en termes de puissance (par exemple, les attributs sont-ils des puissances ou des concepts) ? En fait, il n’y a qu’un terme, la Vie, qui comprend la pensée, mais inversement aussi qui n’est compris que par la pensée. Non pas que la vie soit dans la pensée. Mais seul le penseur a une vie puissante et sans culpabilité ni haine, seule la vie explique le penseur. Il faut comprendre en un tout la méthode géométrique, la profession de polir des lunettes et la vie de Spinoza. Car Spinoza fait partie des vivants-voyants. Il dit précisément que les démonstrations sont les « yeux de l’esprit » (TTP ch. 13, Ethique V 23 sc.). Il s’agit du troisième œil, celui qui permet de voir la vie par-delà tous les faux-semblants, les passions et les morts. Pour une telle vision il faut les vertus, humilité, pauvreté, chasteté, frugalité, non plus comme des vertus qui mutilent la vie, mais comme des puissances qui l’épousent et la pénètrent. Spinoza ne croyait pas dans l’espoir ni même dans le courage ; il ne croyait que dans la joie, et dans la vision. Il laissait vivre les autres, pourvu que les autres le laissent vivre. Il voulait seulement inspirer, réveiller, faire voir. La démonstration comme troisième œil n’a pas pour objet de commander ni même de convaincre, mais seulement de constituer la lunette ou de polir le verre pour cette libre vision inspirée. « A mon sens, voyez-vous, les artistes, les savants, les philosophes semblent très affairés à polir des lentilles. Tout cela n’est que vastes préparatifs en vue d’un événement qui ne se produit jamais. Un jour la lentille sera parfaite ; et ce jour-là nous percevrons tous clairement la stupéfiante, l’extraordinaire beauté de ce monde… » (Henry Miller) (pp. 22-24)

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Message par Vanleers Dim 9 Déc 2018 - 15:25

Dans la citation donnée dans le post précédent, Deleuze écrit :
« Si l’homme est en quelque sorte tordu, on rectifiera cet effet de torsion en le rattachant à ses causes more geometrico. »
Ceci ne fait pas de Spinoza un « redresseur de torts » ! Rechercher des causes, c’est s’ouvrir à la joie de comprendre sans vouloir plier les choses à un idéal de rectitude.
Une telle joie supplante les passions tristes, car :

Spinoza (Ethique IV 7) a écrit: Un affect ne peut être réprimé ni supprimé si ce n’est par un affect contraire et plus fort que l’affect à réprimer.

L’Ethique est une philosophie de la vie et comme Deleuze l’a écrit aussi :
« Spinoza ne croyait pas dans l’espoir ni même dans le courage ; il ne croyait que dans la joie, et dans la vision ».
Précisons : dans la joie par la vision, c’est-à-dire par la connaissance par les causes.

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Message par Vanleers Mer 12 Déc 2018 - 17:08

Bruno Giuliani a écrit quelques pages sur la béatitude dans L’expérience du bonheur – Almora 2014.

Bruno Giuliani a écrit: La libération n’est pas le fruit de la sagesse, explique Spinoza, c’est la sagesse elle-même, et cette sagesse consiste à voir que tout est parfait depuis toujours. Que rien ne peut être autrement. Et donc de cesser de chercher à atteindre quoi que ce soit pour vivre simplement le moment présent dans sa perfection. (pp. 251-252)

On retrouve ici la sagesse évangélique :
« Qui de vous, à force de soucis, pourrait ajouter une seule coudée à la longueur de sa vie? » (Matthieu 6, 27)

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Message par Emmanuel Mer 12 Déc 2018 - 17:36

Vanleers a écrit:« Qui de vous, à force de soucis, pourrait ajouter une seule coudée à la longueur de sa vie? » (Matthieu 6, 27)

Le matérialiste radical et athée est libre de retrancher la durée qu'il veut à la longueur ascétiste et doloriste et donc superflue de sa vie.

.
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Message par Vanleers Jeu 13 Déc 2018 - 17:23

Bruno Giuliani a écrit : « La libération n’est pas le fruit de la sagesse, explique Spinoza, c’est la sagesse elle-même ».
La libération, c’est être libéré des passions tristes et c’est l’objet de la partie V de l’Ethique, de Libertate.
Le sage connaît l’acquiescentia. En termes plus contemporains, il est totalement relaxé, corps et esprit (un esprit relaxé dans un corps relaxé).
Un esprit relaxé, c’est un esprit qui ne se raconte pas d'histoires, qui ne « pensouille » pas pour reprendre le mot de Serge Marquis.
Il est clair que le corps joue un rôle important dans cet état de relaxation suivant le principe : « Il n’est pas possible d’avoir un esprit détendu dans un corps tendu ».
La méditation de pleine conscience est un moyen de vivre dans la relaxation. Il s’agit, non pas de ne pas penser, ce qui est impossible, mais de laisser filer les pensées, sans s’y attacher, d’avoir une pensée « flottante ».
Tout cela demande beaucoup de vigilance, tant il est facile d’être à nouveau en proie à la passion et de sortir de l’acquiescentia.

Giuseppina Totaro (cf. son article « Acquiescentia » dans la cinquième partie de L’Ethique de Spinoza in Revue Philosophique de la France et de l’Etranger 1994 n° 1) écrit que la science intuitive stabilise l’acquiescentia :

Giuseppina Totaro a écrit: […] on peut toutefois affirmer que l’étude du champ sémantique du terme acquiescentia permet d’interpréter la cinquième partie de l’Ethique à la lumière de la distinction entre connaissance rationnelle et intuitive, en délimitant deux niveaux d’analyse, deux plans différents par rapport auxquels, avec continuité et constance, les choses peuvent être envisagées et interprétées.
Agir selon la raison consiste à ne poursuivre que ce qui suit de la nécessité de notre nature « in se sola considerata » (Ethique IV 59 dém.), en se conformant, aussi longtemps qu’on ignore que la mens est éternelle, à ce que la raison prescrit comme utile : les premières prescriptions de la raison sont le Courage (animositas) et la Générosité (generositas). Ainsi, dans la troisième et la quatrième partie, l’acquiescentia est in se ipso ; elle est l’effet de la considération de soi, de sa propre vertu ou puissance. Soumise au dynamisme de l’affectivité, elle est affectée d’un certain degré d’instabilité qui disparaît dans l’acquiescentia dont traite la cinquième partie. Alors le moment de la considération de soi est lu à l’intérieur de la considération de Dieu et elle est ainsi placée dans le contexte de la stabilité la plus grande.

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Message par Invité Jeu 13 Déc 2018 - 20:54

Plus je te lis, Vanleers, et plus tu me sembles jimjonesien dans l'âme.

On est prié de s'auto modérer
sinon je le ferai.


Dernière édition par Agathos le Ven 14 Déc 2018 - 12:35, édité 1 fois

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Message par Vanleers Ven 14 Déc 2018 - 10:57

Dans le post précédent, Giuseppina Totaro note que l’acquiescentia in se ipso est affectée d’un certain degré d’instabilité.
Pourtant, comme l’écrit Spinoza dans le scolie d’Ethique IV 52, la satisfaction de soi (acquiescentia in se ipso), lorsqu’elle naît de la raison (connaissance du deuxième genre), est ce que nous pouvons espérer de plus haut.
La science intuitive (connaissance du troisième genre), en introduisant la considération de Dieu (de la Vie) stabilise ce sentiment sous forme d’acquiescentia, la disparition du in se ipso faisant signe vers ce qu’on pourrait appeler l’émergence d’un « je » impersonnel.

Vue sous un angle spinoziste, la biodanza n’est pas une méthode de développement personnel mais un dispositif où peut s’expérimenter concrètement cette émergence, où chaque participant prend conscience d’être une expression singulière de la Vie impersonnelle.

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Message par Invité Ven 14 Déc 2018 - 12:30

On est prié de s'auto modérer
sinon je le ferai.

C'est une critique. Pas une insulte. N'a-t-on pas le droit de critiquer les autres membres du forum ?

Vanleers vit dans un monde imaginaire dans lequel des mots latins sont autant de nébuleuses de fiction. Je peux le prouver aisément (je l'ai d'ailleurs déjà fait).

Si je l'ai déclaré jimjonesien, c'est parce Jim Jones vivait lui aussi dans un monde imaginaire, et que c'est la discordance accrue entre son monde et l'état des choses qui l'a poussée à se suicider en compagnie de 900 autres personnes. Que Vanleers réitère, d'une façon ou d'une autre, un tel geste, serait tragique n'est-ce pas ?

Je ne veux pas perdre mon temps à célébriser la lumière quand les autres sont aveugles. Encore que la tâche de leur faire ouvrir les yeux est ardue. Or Spinoza a confondu Dieu et le monde. Vrai dans un certain sens : le monde, autrement dit la représentation, est une intuition. Dieu est une intuition, donc une information de la même nature que le monde. Reste que les intuitions ne délivrent pas toutes le même message. L'intuition de « magnificence » qui, j'en suis sûr, toucha Spinoza lorsqu'il contemplait le ciel, manifeste quelque chose qui va par-delà l'objet intuitionné. En d'autres termes : ce n'est pas l'étoile qui nous étonne, c'est le je-ne-sais-quoi universel qui s'y manifeste au travers. Mais voir déjà, comprendre, quelque chose, que cette chose « parle », communique suffit à secouer les âmes naïves (dans le bon sens du terme). Le Logos, c'est la compréhension. Dieu est Logos, par conséquent compréhension. Je repose la question : l'intuition, qui est Logos, lumière, éclaircissement, nous permet-elle d'homologuer le Monde (lui-même Logos) avec Dieu ? Dieu serait-il l'information éclairante, le fait que les choses existent telles qu'elles sont ?

Je n'ai pas envie de faire une profession de foi.

Mais la seule chose que je puis affirmer c'est qu'à plusieurs reprises les mythes et les rêves (c'est-à-dire les mythes individuels) ont su montrer à qui sait voir que Dieu ne se réduit pas qu'au seul immédiatement compréhensible, et que Dieu est un Dieu personnel puisqu'il déborde de la conscience (et donc du Logos).

Conscience =/= consciences des personnes. Ordre sous l'ordre. Logos sous-jacent.

Les phénomènes paranormaux l'avèrent. Être inconscient, indicible, incompréhensible à l'abord, ne signifie pas ne pas exister.

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Message par hks Ven 14 Déc 2018 - 12:47

Agathos a écrit:C'est une critique. Pas une insulte. N'a-t-on pas le droit de critiquer les autres membres du forum ?
Ta comparaison ( celle incriminée par mon avertissement )
est saugrenue. Science intuitive et biodanza - Page 16 177519025

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Message par Invité Ven 14 Déc 2018 - 12:50

Elle choque, mais bien volontairement.

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