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Message par Emmanuel Lun 12 Nov 2018 - 17:05

hks a écrit:
V Emm a écrit:Pour mémoire, Nietzsche était un admirateur de Spinoza.
Je ne crois pas qu'il l'ai vraiment lu.
.(mais bref)

« Je suis tout étonné, tout ravi ! J’ai un prédécesseur, et lequel ! Je ne connaissais presque pas Spinoza : si je viens d’éprouver le besoin de lui, c’est l’effet d’un "acte instinctif".

Non seulement sa tendance générale est, comme la mienne, de faire de la connaissance le plus puissant des états de conscience, mais je me retrouve encore dans cinq points de sa doctrine ; ce penseur, le plus isolé et le plus irrégulier de tous, est celui qui là-dessus se rapproche le plus de moi : il nie le libre arbitre, la finalité, l’ordre moral, l’altruisme, le mal, et si, évidemment, les différences sont grandes, elles tiennent plutôt à celles des époques, de la civilisation et de la science.

Au total : ma solitude, qui m’avait fait souvent souffrir, comme à une très haute altitude, de la raréfaction de l’air et me causait des hémorragies, s’est transformée du moins en duo.

C’est merveilleux ! »

(Lettre de Nietzsche envoyée de Sils-Maria à Overbeck et publiée dans Lettres choisies, Gallimard, p. 176).

Le passage suivant de cette lettre dit exactement et certainement mieux que moi ce que je dit et pense de Spinoza.

ce penseur, le plus isolé et le plus irrégulier de tous, est celui qui là-dessus se rapproche le plus de moi : il nie le libre arbitre, la finalité, l’ordre moral, l’altruisme, le mal, et si, évidemment, les différences sont grandes, elles tiennent plutôt à celles des époques, de la civilisation et de la science.

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Message par Emmanuel Lun 12 Nov 2018 - 17:16

Précisons qu’il faut entendre ici l’« existence » au sens de la définition 8 d’Ethique I, c’est-à-dire l’éternité.

Spinoza a écrit:
Par éternité, j’entends l’existence même en tant qu’on la conçoit suivre nécessairement de la seule définition d’une chose éternelle.

L'éternité de Spinoza est en concurrence avec celle Nietzsche, et celle de Nietzsche, c'est le vaisseau spatial juché au sommet du troisième étage de la fusée de Spinoza ...

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Message par Vanleers Lun 12 Nov 2018 - 17:32

La question du rapport entre Spinoza et Nietzsche est plus compliquée.
Je redonne ce que j’ai déjà cité sur ce fil :

Philippe Choulet, dans Le Spinoza de Nietzsche : les attendus d’une amitié d’étoiles, expose l’évolution de l’interprétation de Spinoza par Nietzsche au cours du temps. Voir :

https://books.openedition.org/psorbonne/195?lang=fr

Philippe Choulet a écrit: L’interprétation s’achève en une vision noire du spinozisme, conformément à l’histoire même de la pensée de Nietzsche : une première période (1869-1880) où Spinoza n’est vu qu’à partir d’une doxa régnante (Schopenhauer, Dühring), puis une période d’émerveillement - l’illumination de 1881 - et de premier doute (Hartmann et K. Fischet en 1881), jusqu’en 1884 environ, doute qui, affermi par les lectures d’été 1887 à Coire, devient critique généalogique systématique des préjugés du philosophe.
[…]
En ce sens, on peut douter de la connaturalité entre Spinoza et Nietzsche : la Lettre à Overbeck n’est que l’index d’une amitié lointaine et ignorante sur le fond (de la généalogie). Les textes tardifs indiquent autre chose qu’une différence historique : une incompatibilité de ton, d’humeur, et de terrain, de souche, d’origine. Le tragique baroque l’emporte, finalement, sur l’optimisme théorique classique.

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Message par Emmanuel Lun 12 Nov 2018 - 18:30

Vanleers a écrit:La question du rapport entre Spinoza et Nietzsche est plus compliquée.
Je redonne ce que j’ai déjà cité sur ce fil :

Philippe Choulet, dans Le Spinoza de Nietzsche : les attendus d’une amitié d’étoiles, expose l’évolution de l’interprétation de Spinoza par Nietzsche au cours du temps. Voir :

https://books.openedition.org/psorbonne/195?lang=fr

Philippe Choulet a écrit: L’interprétation s’achève en une vision noire du spinozisme, conformément à l’histoire même de la pensée de Nietzsche : une première période (1869-1880) où Spinoza n’est vu qu’à partir d’une doxa régnante (Schopenhauer, Dühring), puis une période d’émerveillement - l’illumination de 1881 - et de premier doute (Hartmann et K. Fischet en 1881), jusqu’en 1884 environ, doute qui, affermi par les lectures d’été 1887 à Coire, devient critique généalogique systématique des préjugés du philosophe.
[…]
En ce sens, on peut douter de la connaturalité entre Spinoza et Nietzsche : la Lettre à Overbeck n’est que l’index d’une amitié lointaine et ignorante sur le fond (de la généalogie). Les textes tardifs indiquent autre chose qu’une différence historique : une incompatibilité de ton, d’humeur, et de terrain, de souche, d’origine. Le tragique baroque l’emporte, finalement, sur l’optimisme théorique classique.

Premièrement, je réponds à HKS sur la question de savoir si Nietzsche a lu ou non Spinoza. Dans la lettre que je cite, au début de sa découverte de Spinoza, il aimait autant Spinoza qu'il aimait Schopenhauer, Wagner ou Von Seheinberg au moment de les découvrir. Ce qu'il en a fait ensuite, hein, c'est comme une habitude à mettre indubitablement à son passif ...

Cela dit, je n'y mettrais pas ma tête à couper, mais ne pense pas que Nietzsche se soit un jour démarqué de ses dires sur les éléments de similitude entre les pensées de Spinoza et les siennes sur les questions de libre arbitre, de finalité, d’ordre moral, d’altruisme ou de mal.

Deuxièmement, ton propos montre que Philippe Choulet ne fait pas de la philosophie, mais de l'histoire, comme tous les professionnel ou amateurs de philosophie qui sont aujourd'hui tout, sauf des philosophes (je m'inclue dans le truc, évidemment). Mais, je m'interroge, Choulet a-t-il vu ou non les germes de ce qu'il avance sur les rapports futurs entre Nietzsche et Spinoza dans ce bout de texte de sa lettre à Overbeck ? « évidemment, les différences sont grandes [affirmation irréfutable], elles tiennent plutôt à celles des époques, de la civilisation et de la science [excuse ponctuelle et prolégomène de futures analyses]. »

.


Dernière édition par Emmanuel le Lun 12 Nov 2018 - 23:07, édité 1 fois
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Message par hks Lun 12 Nov 2018 - 18:34

je ne crois pas qu'il l'ait vraiment lu est à prendre au pied de la lettre, je ne suis pas certain qu'il ait lu Spinoza.

A ce qu'en dit  Carl Paul Janz  Nietzsche aurait lu le Spinoza de Kuno Fisher ... cela dit, moi je n'ai pas lu le Spinoza de Kuno Fisher, peut- être est- ce un très bon livre.

et puis je ne juge certainement pas un philosophe (Nietzsche par exemple) à l 'étendue de ses lectures.

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Message par hks Lun 12 Nov 2018 - 18:38

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Message par Emmanuel Lun 12 Nov 2018 - 19:23

hks a écrit:je ne crois pas qu'il l'ait vraiment lu est à prendre au pied de la lettre, je ne suis pas certain qu'il ait lu Spinoza.

Dans son œuvre Nietzsche parle trop souvent de Spinoza pour ne pas l'avoir lu.

hks a écrit:A ce qu'en dit  Carl Paul Janz  Nietzsche aurait lu le Spinoza de Kuno Fisher ... cela dit, moi je n'ai pas lu le Spinoza de Kuno Fisher, peut- être est- ce un très bon livre.

La question est donc de savoir si le conditionnel de Janz s'applique à la lecture de Spinoza par Nietzsche comme telle, ou à la question de savoir quel ouvrage SUR Spinoza a été lue par Nietzsche.

hks a écrit:et puis je ne juge certainement pas un philosophe (Nietzsche par exemple) à l 'étendue de ses lectures.

Moi non plus.

Je place par exemple Démocrite et Aristippe, qui n'avait par lu les bouquins qui allaient paraître au cours des milliers d'années qui allaient suivre, plus haut que Deuleuze, qui avait tout lu, y compris Arristipe et Démocrite.

C'est évidemment une subjectivité, un parti-pris, un goût ...

.
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Message par neopilina Lun 12 Nov 2018 - 19:59

Emmanuel a écrit:Dans son œuvre Nietzsche parle trop souvent de Spinoza pour ne pas l'avoir lu.

On ne dit pas qu'il ne l'a pas lu. Même objection que Janz (qui me revient aussi), qu'hks : Nietzsche parle souvent de Spinoza, mais pas de la philosophie de Spinoza. Il n'y a pas de dialogue Nietzsche - Spinoza. C'est des bribes, quelques lignes au plus, et il passe à autre chose. Je lis Nietzsche, je ne lis pas Spinoza, je lis hks et vanleers qui nous parlent de Spinoza, et ces deux derniers m'ont plus appris sur Spinoza que Nietzsche, y'a pas photo.

_________________
" Tout Étant produit par moi m'est donné (c'est son statut philosophique), a priori, et il est Mien (cogito, conscience de Soi, libéré du Poêle) ". " Savoir guérit, forge. Et détruit tout ce qui doit l'être ", ou, équivalents, " Tout l'Inadvertancier constitutif doit disparaître ", " Le progrès, c'est la liquidation du Sujet empirique, notoirement névrotique, par la connaissance ". " Il faut régresser et recommencer, en conscience ". Moi.
C'est à pas de colombes que les Déesses s'avancent.
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Message par Emmanuel Lun 12 Nov 2018 - 23:04

neopilina a écrit:
Emmanuel a écrit:Dans son œuvre Nietzsche parle trop souvent de Spinoza pour ne pas l'avoir lu.

On ne dit pas qu'il ne l'a pas lu. Même objection que Janz (qui me revient aussi), qu'hks : Nietzsche parle souvent de Spinoza, mais pas de la philosophie de Spinoza. Il n'y a pas de dialogue Nietzsche - Spinoza. C'est des bribes, quelques lignes au plus, et il passe à autre chose. Je lis Nietzsche, je ne lis pas Spinoza, je lis hks et vanleers qui nous parlent de Spinoza, et ces deux derniers m'ont plus appris sur Spinoza que Nietzsche, y'a pas photo.

Si personne ne dit que Nietzsche n'a pas lu Spinoza, alors tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. D'autant plus que dans la bibliothèque de Nietzsche il y avait «Ethica» et «Tractatus de Intellectus Emendatione» de Spinoza.

Je ne pense pas que Nietzsche avait pour objectif d'enseigner Spinoza. Et en effet, quand on lit le premier, on ne lit pas le second.

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Message par hks Lun 12 Nov 2018 - 23:40

Victor Emm a écrit:D'autant plus que dans la bibliothèque de Nietzsche il y avait «Ethica» et «Tractatus de Intellectus Emendatione» de Spinoza.

1) Si tu as une source crédible je suis preneur.
On répertorié la bibliothèque de Spinoza par exemple.

2) ce qui hélas ne prouverait pas que Nietzsche ait lu ces (ses) livres.

hks
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Message par Emmanuel Mar 13 Nov 2018 - 1:15

hks a écrit:
Victor Emm a écrit:D'autant plus que dans la bibliothèque de Nietzsche il y avait «Ethica» et «Tractatus de Intellectus Emendatione» de Spinoza.

1) Si tu as une source crédible je suis preneur.
On  répertorié la bibliothèque de Spinoza par exemple.

Clique sur le lien suivant

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bibliothèque_de_Friedrich_Nietzsche

Sur le sommaire, clique sur le S

Cerche Spinoza


hks a écrit:2) ce qui hélas ne prouverait pas que Nietzsche ait lu ces (ses) livres.

Clique sur le lien suivant

https://books.openedition.org/psorbonne/195?lang=en#ftn1

Lis le texte de Philippe Choulet, auteur cité plus haut par Vanleers.
Lis-le soigneusement.
Lis-le en entier.
Et tente de dire ensuite que Nietzsche n'a pas lu Spinoza.

.
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Message par hks Mar 13 Nov 2018 - 10:03

je lis aussi  

Blaise Benoit a écrit: La façon dont Nietzsche a eu accès à l’œuvre de Spinoza demeure problématique [1][1] Cet article reprend une conférence prononcée lors de... ; pourtant, même si une littérature de seconde main s’est intercalée voire substituée à une fréquentation directe et patiente des textes originaux [2][2] La question est ancienne, mais elle alimente encore..., on demeure frappé par la ferveur de la carte postale à Overbeck du 30 juillet 1881 :

ah bon !!!  [url= [url= https://www.cairn.info/revue-philosophique-2014-4-page-477.htm]  https://www.cairn.info/revue-philosophique-2014-4-page-477.htm] https://www.cairn.info/revue-philosophique-2014-4-page-477.htm]  https://www.cairn.info/revue-philosophique-2014-4-page-477.htm[/url][/url]

il y en a qui ont des doutes.

hks
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Message par Emmanuel Mar 13 Nov 2018 - 15:40

hks a écrit:je lis aussi  

Blaise Benoit a écrit: La façon dont Nietzsche a eu accès à l’œuvre de Spinoza demeure problématique [1][1] Cet article reprend une conférence prononcée lors de... ; pourtant, même si une littérature de seconde main s’est intercalée voire substituée à une fréquentation directe et patiente des textes originaux [2][2] La question est ancienne, mais elle alimente encore...

ah bon !!!  [url= [url= https://www.cairn.info/revue-philosophique-2014-4-page-477.htm]  https://www.cairn.info/revue-philosophique-2014-4-page-477.htm] https://www.cairn.info/revue-philosophique-2014-4-page-477.htm]  https://www.cairn.info/revue-philosophique-2014-4-page-477.htm[/url][/url]

il y en a qui ont des doutes.

Oui, bien sûr, bien sûr ... Personne n'intercale jamais qui que ce soit entre les philosophes et soi-même, n'est-ce pas ? ... Et personne n'interprète jamais rien en fonction de lectures d'autres lecteurs, pas vrai ? ...

Tout le monde ici ne fait que ça ! ...

Blaise Benoit a écrit:on demeure frappé par la ferveur de la carte postale à Overbeck du 30 juillet 1881

On demeure frappé surtout si on ne sait pas ou fait semblant de ne pas savoir que c'est une habitude, chez Nietzsche.

Il admire au début.

Ensuite il détruit.

.
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Message par Vanleers Mar 13 Nov 2018 - 17:21

George Steiner a publié en 1978, deux ans après la mort de Heidegger, un Martin Heidegger (qu’on trouve aujourd’hui dans Champs essais) que j’ai déjà cité plusieurs fois sur un autre fil.
J’essaierai d’appuyer la thèse que, dans la philosophie de Spinoza, « Être » est un nom de « Dieu » en citant un nouveau passage.

George Steiner a écrit: Les Grecs appelaient l’« être » ousia ou, plus pleinement, parousia. Nos dictionnaires traduisent ce mot par « substance » : mal, dit Heidegger. La traduction véritable serait un ensemble ou une grappe de significations comprenant celles d’un « bien foncier », d’un « chez soi », d’un « repos en et par soi », de « ce qui se clôt sur soi-même », d’une « présence » ou d’un « être-là » intégral. L’allemand Anwesen correspond avec exactitude à ces significations dans toute leur force et leur portée. Parousia nous dit qu’« une chose nous est présente, elle se tient en elle-même et se manifeste et se déclare ainsi, elle est. “ Être ” voulait dire au fond, pour les Grecs, présence ». La pensée grecque post-socratique, dans l’idéalisme platonicien ou la philosophie aristotélicienne de la substance, ne retourna jamais à ce pur et primordial « fond de l’être », à cette illumination de et par la présence de ce qui existe. Mais c’est précisément à ce fond que nous devons nous efforcer de faire retour (ce « retour » est, nous le verrons, à la fois le processus et le but de l’existence authentique).
Si nous nous mettons en route sérieusement, un second jalon linguistique d’une importance presque incalculable émerge (pour Heidegger, la figura etymologica, qui excave la signification à partir des racines verbales et de l’histoire des mots, est au plein sens du terme une « émergence », une sortie en pleine lumière). Nous avons vu que ousia signifie l’être stable et durable. L’être en ses aspects dynamiques est physis (le radical de la « physique ») Aucun de ces deux mots, dit Heidegger, ne peut être remplacé par le terme « existence ». Bien compris, ce dernier est à l’opposé d’« être ». L’ex-istence dérive d’une source grecque qui signifie « se tenir hors de », « être en une pose extérieure à » l’être. Pour les Grecs, aussi longtemps qu’ils demeurèrent dans la lumière du Dasein, de la présence immédiate, « existence » signifiait « non-être ». « L’habitude irréfléchie d’employer les mots “ existence ” et “ exister ” pour désigner l’être montre une fois de plus l’aliénation à l’égard de l’être, et à l’écart d’une exégèse de l’être qui, à l’origine, était puissante et nette ». A de nombreux égards, Sein und Zeit est un essai de séparer l’authenticité de l’« être » du caractère factice de l’« existence ». La même disjonction, insiste Heidegger, sous-tend la grande distance qui sépare une ontologie vraie (la sienne) de l’existentialisme sartrien. (pp. 67-69)

Je retiens de ce texte les deux « jalons linguistiques » de l’« être » : ousia et physis.
Selon Heidegger, le premier a été traduit, mais mal traduit, par « substance ».
Je note néanmoins que dans la philosophie de Spinoza, Dieu est, tout d’abord, défini comme une substance (Ethique I déf. 6) et qu’il est démontré ensuite que « A part Dieu, il ne peut y avoir ni se concevoir de substance » (Ethique I 14).

Quant au second, je rappelle que Dieu est assimilé à la Nature naturante dans le scolie d’Ethique I 29.
Le qualificatif « naturante » fait signe de façon évidente vers la phusis au sens ancien de puissance, croissance, jaillissement et, pourrait-on dire aujourd’hui, d’autoproduction de soi.
Or, Dieu étant substance est cause de soi (Ethique I 7 dém.) et « La puissance de Dieu est son essence même » (Ethique I 34).
Ajoutons que Dieu est cause des choses comme il est cause de soi car : « Dieu est de toutes choses cause immanente, et non transitive » (Ethique I 18)

Les deux jalons linguistiques d’« être », ousia et physis, me paraissent donc appuyer la thèse qu’« Être » est un nom du Dieu de Spinoza.

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Message par hks Mer 14 Nov 2018 - 0:44

à Vanleers

Spinoza a écrit:Par Dieu, j'entends un étant absolument infini, c'est-à-dire une substance consistant en une infinité d'attributs, dont chacun exprime une essence éternelle et infinie. (Pautrat - fr)

je ne vois pas ce qu'on y gagne en clarté en remplaçant Dieu par Etre. Science intuitive et biodanza - Page 15 4221839403  
......................................................................................
de plus, Vanleers, vous me paraissez tirer vers un certain dualisme en minorant la nature naturée

qui est quand même  
Spinoza a écrit:J'entends, au contraire, par nature naturée tout ce qui suit de la nécessité de la nature divine, ou de chacun des attributs de Dieu ; en d'autres termes, tous les modes des attributs de Dieu, en tant qu'on les considère comme des choses qui sont en Dieu et ne peuvent être ni être conçues sans Dieu.

...............................................................................................................................................................
Enfin  vouloir introduire  Heidegger et les grecs Science intuitive et biodanza - Page 15 4221839403  dans l' affaire me parait  des plus  fâcheux.

 Est- ce que le spinozisme est une philosophie de la présence ? A mon avis non. C' est une philosophie de l' éternité .
Pour Spinoza « existence » ne signifiait certainement pas le « non-être ».


Spinoza a écrit:Per aeternitatem intelligo ipsam existentiam quatenus ex sola rei aeternae definitione necessario sequi concipitur.

Par éternité, j'entends l'existence même, en tant qu'on la conçoit suivre nécessairement de la seule définition d'une chose éternelle. (Pautrat - fr)
Où voyez vous que c'est la présence qui attesterait de l' éternité et donc de l’existence.

L' idéalisme ( profond) de Heidegger l'incline  à lier présence et être, "être dans la lumière du Dasein" et en dehors  ... rien ...
ou quoi ?
L' Etre ? Et comment le retrouve- t- il . Sinon par vague sentiment océanique ?


Spinoza part de l' Etre /substance comme existence ( c'est à dire éternité)

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Message par Vanleers Mer 14 Nov 2018 - 11:23

A hks

Partant de plusieurs noms de Dieu : « Nature naturante » et, donnés par Pierre Macherey : « Chose », « Choséité », « Cognoscéité », j’ai été amené à penser qu’« Être » est aussi un nom du Dieu de Spinoza.
J’ai trouvé dans un texte de George Steiner sur ousia et physis des arguments en faveur de cette thèse.

Quand, dans le scolie d’Ethique II 47, Spinoza écrit que « les hommes n’ont pas une connaissance de Dieu aussi claire que des notions communes », cela peut alors être rapproché de l’« oubli de l’Être » de Heidegger.
En réalité, si on se demande en quoi consiste précisément cette méconnaissance de Dieu, je dirais qu’il s’agit d’un oubli de l’éternité, de notre être dans l’éternité ou, pour reprendre le vocabulaire de Spinoza, de l'oubli de notre existence dans l’éternité.
Le scolie d’Ethique II 45 a en effet précisé que l’existence d’une chose s’entendait de deux façons : dans la durée et dans l’éternité par participation à l’éternité de Dieu, ce que confirmera le scolie d’Ethique V 29 qui se réfère au précédent.
La méconnaissance de Dieu, pris pour un étant, c’est-à-dire l’oubli de Dieu, de l’Être, est l’oubli de notre éternité.
Cet oubli n’est pas définitif et l’éternité sera retrouvée, d’abord par la raison, puis, de façon plus parfaite, par la science intuitive.
De même que Heidegger s’interroge sur les conséquences d’un oubli de l’Être, il y aurait lieu de se demander quels sont les effets d’un oubli de notre existence dans l’éternité.
Je dirai, pour le moment, que, n’accédant pas à la béatitude, notre joie d’être sera moins parfaite.

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Message par hks Mer 14 Nov 2018 - 12:48

Vanleers a écrit:Quand, dans le scolie d’Ethique II 47, Spinoza écrit que « les hommes n’ont pas une connaissance de Dieu aussi claire que des notions communes »,
Oui bien sûr, mais ce n" est pas une raison valable pour ramener Heidegger sur ces interrogations maintes et maintes fois battues et rebattues bien avant Spinoza .
Je veux dire la question des noms de Dieu
et autre question : la question de notre intelligence de Dieu.


Nos modernes se sont emparés de l'univocité de l'être chez Duns Scot
(Heidegger avait lu Duns Scott ou du moins une grammaire scottiste et on l'imagina  spécialiste de la scolastique)

De toute manière Heidegger ne pense pas Dieu mais "Etre" et ne pas le voir  c'est ne pas voir que si THEO existe en grec
Heidegger ne l'intègre que dans onto -THEOlogie et c'est pour en faire la critique.
Olivier Boulnois a écrit:Sachant que la philosophie se confond pour Heidegger avec la destruction de son histoire, on peut se demander si l’oubli de la diversité médiévale, doublé d’un véritable “oubli du néoplatonisme”, ne remet pas en cause, avec l’histoire de la métaphysique brossée par Heidegger, toute sa pensée, dans son cheminement comme dans son résultat.
............................................................................

Vanleers a écrit:La méconnaissance de Dieu, pris pour un étant,

c'est très vite dit , les scolastiques ne pensent pas Dieu comme un étant,
pas comme un étant comme les autres

Il faut d'ailleurs s"intéresser à la thèse d' habilitation de Heidegger , son opposition à Husserl et Descartes y est  exprimée.
A mon avis o comprends Sein und Zeit à partir de la thèse sur Duns Scot.

ne pas dire que je ne prends pas Heidegger au sérieux ...mais vous ne l'avez pas dit Science intuitive et biodanza - Page 15 2101236583  


https://journals.openedition.org/philonsorbonne/783


..................................................................................................................
......................................................................................................................

il y eut toute une longue réflexion sur l 'analogie de l 'être.


je cite certains passages de http://www.thomas-d-aquin.com/Pages/Forum/Montagnes_anal_entis.pdf

Pour Aristote, les substances l'unifient en vertu de leur subordination motrice
envers celle de qui provient tout changement: en somme, l'unité du cosmos est semblable à celle d'une machine.

Or, du fait de la doctrine de la création, la pensée chrétienne conçoit une dépendance bien
plus profonde de tous les êtres à l'égard de celui qui est la plénitude de l'être: tout ce qu'ils sont, ils le doivent à celui qui est la source de tout être et la cause de toute réalité. L'unité n'est plus celle que procurent des relations externes, elle provient maintenant de la participation de l'être divin par les créatures.



Dès lors, le problème de l'un et du multiple prend une nouvelle urgence: comment concevoir
le rapport des êtres à l'Être ?

S'ils lui sont homogènes, le monisme qui en résulte conduit
nécessairement au panthéisme.

Et s'ils lui sont hétérogènes, l'esprit se heurte à un pluralisme tel que Dieu devient inconnaissable. Un Dieu trop proche ou trop lointain, le panthéisme ou l'agnosticisme :
comment trouver un passage entre ces deux écueils ?

Voilà l'enjeu de la question d'apparence scolastique: l'être est-il équivoque ou univoque ? à laquelle la doctrine de l'analogie doit apporter une réponse, en montrant quelle est l'unité de l'être au plan des catégories, puis entre les différentes substances


En d'autres termes, si les noms créés que nous appliquons à Dieu sont univoques, la
transcendance divine est anéantie; s'ils sont équivoques, notre langage est vain et nous devons
renoncer à connaître Dieu


http://www.thomas-d-aquin.com/Pages/Forum/Montagnes_anal_entis.pdf a écrit:http://www.thomas-d-aquin.com/Pages/Forum/Montagnes_anal_entis.pdf
............................................
...............................................................................................................................................................

 Je ne vois pas de spinozistes heideggeriens ...
Pour un spinozisme sartien, il y a Misrahi, mais  justement, comme dit ailleurs, Heidegger et Sartre c'est tout différent .

hks
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Message par Vanleers Mer 14 Nov 2018 - 16:15

« Exister dans l’éternité », il en est également question à la fin de ce passage de l’introduction de Claude Larre à sa traduction du Tao Te King (DDB 1977) :

Claude Larre a écrit: Un homme seul avance à travers la ville. Il passe les temples, les monastères, les palais. Il passe devant les frontons des instituts et des académies où sophistes et pédants répandent leurs enseignements et activent leurs controverses. Il avance toujours et dépasse les ateliers où l’on assemble les chars et les machines agricoles.
Il a franchi la porte de l’enceinte de la capitale. Il marche dans la campagne. Là, s’écoule la vie naturelle des êtres rendus à eux-mêmes. Un soleil régulier tourne sur la terre qui produit sans se lasser, au rythme des saisons, au pas lent des animaux.
L’homme, qui est simplement vêtu et qui mange ce qu’il trouve, tient les propos candides qui naissent de son cœur naïf. Il ne critique personne et ne se plaint de rien. Il ne fait pas grand-chose : de petits travaux chez les paysans pour pouvoir subsister. Quand il a fini de parler, personne ne se souvient de ce qu’il a dit mais rien n’est plus ce qu’il était. Alors paraît la vanité du prince, l’ostentation de la Cour, l’avidité des marchands, l’hypocrisie des rites, la futilité des discoureurs, les contradictions des écoles, l’oppression du peuple.
Cet homme n’aime pas ce qui triomphe, ce qui s’étale, ce qui se donne à voir. Les Confucéens ne sont pas ses amis, les Légistes qui ont la peine de mort facile, non plus, l’exaltation des disciples de Mo tseu l’inquiète, les arguties des Logiciens le font rire. Les cérémonies dans les temples l’ennuient. On peut penser de lui ce qu’on voudra ; il n’y attache pas d’importance. On le traite de sceptique, de désabusé, de paresseux et de mauvais citoyen. Il est seul dans un monde dont il se passe volontiers et va son chemin, content d’avoir raison contre tout le monde. C’est un taoïste, un disciple de Laotseu, un admirateur de Tchouangtseu, un fervent du Livre de la Voie et de la Vertu.
Cet oriental, ce Chinois, c’est vous et c’est moi. Vous et moi, en de certains moments de conscience, quand l’étreinte du corps social se desserre, quand l’esprit en nous se met en vacance et prend congé des pensers familiers, quand le cœur désencombré de tout désir redevient disponible. Perdu pour la société, éperdu devant la nature, il est rendu à lui-même. Le funèbre en moins, c’est Valéry devant un cimetière aux environs de Sète. Aucun orgueil, aucun dédain, maître de soi-même, comme de l’univers.
Avant moi et après moi, en moi-même et au-delà existe ce qui existe et tout le reste qui n’est rien est sans importance. Ce qui existe fonde l’éphémère que je suis. Je n’ose pas dire que je possède l’existence. C’est l’Existence qui me possède. Traversé en permanence par l’influx qui fait être un homme entre le Ciel et la Terre, je m’abandonne à ce qui me fait être. Un moi provisoire et sans grande consistance est ce qu’on voit de moi et ce que je puis connaître de moi. Mais j’existe aussi là où ni moi ni personne ne peut atteindre, avec la consistance et la puissance du Ciel Terre dont l’étreinte fait vivre ce qui vit. Ces gens – les Taoïstes – que l’on prend à tort pour des asociaux, pour des individualistes incorrigibles, pour des adeptes du farniente intégral et pour des sceptiques désabusés sont des réalistes : ils refusent de se dissoudre dans l’inconscience imbécile de la société collectiviste chinoise menée par la vanité de ses princes.

Voilà quelqu’un à qui Spinoza n’a rien à apprendre.

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Message par Vanleers Jeu 15 Nov 2018 - 15:51

Le sage taoïste de Claude Larre (cf. le post précédent) suit une voie qui n’est pas celle balisée par Spinoza.
Celle-ci est une éthique de la joie, une philosophie de l’amour (l’amour est une joie – Ethique III 13 sc.).
Suivre cette voie spinoziste trouve son expression la plus élaborée dans la proposition 36 de la partie V de l'Ethique, corollaire et scolie compris, qui traite de l’amor intellectualis Dei.
Pierre Macherey en fait une analyse remarquable qu’il faut lire en totalité.
Je me contente, ici, d’en citer un passage en rapport avec la biodanza.

Pierre Macherey a écrit: Il est clair alors que ce sentiment, qui est l’amour intellectuel de l’âme envers Dieu, s’il est à nous parce qu’il est en nous, n’est pas à proprement parler de nous ni par nous, c’est-à-dire qu’il n’a pas sa cause seulement en nous : issu du plus profond de nous, il vient d’ailleurs et de plus loin que de nous. Ce sentiment est de Dieu, en ce sens qu’il est l’amour de Dieu, qui inspire objectivement tous nos actes de pensée et tous nos actes affectifs avant même que nous en prenions subjectivement conscience. En comprenant qu’il en est ainsi, nous conférons du même coup à notre sentiment une dimension impersonnelle, ou supra-personnelle, en rapport avec le fait que le fonctionnement de notre régime mental est complètement dépassionné. Or, ce faisant, nous ne cessons pas d’aimer, mais nous aimons avec une plus grande intensité, même si c’est d’un amour sans passion, qui nous réconcilie avec la nature entière à laquelle nous participons, en partageant par la pensée son sentiment unanime d’adhésion universelle à soi. C’est-à-dire que, par la pratique de cet attachement global, nous renonçons à privilégier quelque segment ou aspect que ce soit de la réalité pour fixer sur lui notre désir, d’une manière qui ne pourrait être qu’exclusive, et en particulier nous renonçons à privilégier cet aspect particulier de la réalité que nous-mêmes nous sommes, et nous nous engageons dans le mouvement universel d’un amour qui nous envahit, nous investit, sans être de rien ni de personne, ce qui s’explique par le fait qu’il a sa cause en Dieu : c’est ainsi que, en tant qu’amour, il est proprement de Dieu. (pp. 169-170)

La séance de biodanza est un lieu où, dans les rencontres avec les partenaires, nous faisons effectivement l’expérience d’un mouvement universel d’amour sans passion.

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Message par Vanleers Ven 16 Nov 2018 - 9:55

Robert Misrahi a publié une présentation simple et claire de Spinoza en :

http://www.lemondedesreligions.fr/mensuel/2010/41/le-desir-eclaire-par-la-raison-11-05-2010-213_107.php

Je le cite

Robert Misrahi a écrit:
Spinoza (1632-1677) exprime dans son œuvre majeure, l’éthique, une double certitude : l’homme, dont l’essence est le désir, a pour vocation la joie d’être et d’agir ; et cet homme a le pouvoir de gouverner son désir par la réflexion et d’accéder ainsi à la félicité. Sans sacrifier le désir, la félicité peut devenir « béatitude », c’est-à-dire joie parfaite et permanente. Spinoza est donc le seul philosophe européen à proposer une éthique rationnelle, qui soit en même temps une éthique de la plus grande joie possible.
Chez Descartes, Kant, Hegel, Schopenhauer, Heidegger, Sartre (si précieux pourtant, quant à la liberté) le bonheur est absent. Spinoza, quant à lui, après Aristote et Epicure, propose le bonheur à tous parce que tous peuvent accomplir un travail de la réflexion et souhaiter déployer leur vie dans une société où régneraient la liberté d’expression et la tolérance. Non pas seulement invocation à la vie solaire et à la sensualité libérée, c’est une doctrine et une analyse approfondie du bonheur que propose Spinoza. Il s’agit d’abord d’une doctrine de l’être (ontologie) : il n’existe qu’un seul être, et c’est la nature, éternelle, nécessaire et infinie. On peut l’appeler Dieu : « Deus sive natura. »
C’est à l’intérieur de ce monde unique que l’homme a à conduire sa vie. Cette nature est à la fois matière (« étendue ») et esprit. Spinoza n’est ni « matérialiste » ni « idéaliste » : il dit la réalité même, mais dans tous ses aspects. Le deuxième trait doctrinal concerne l’homme (anthropologie). Ici aussi, il y a une unité complète du corps et de l’esprit : ce sont deux faces simultanées d’une seule réalité. Spinoza supprime la notion d’âme pour lui substituer la notion de conscience : l’esprit est la conscience du corps. Pas plus, pas moins. De là découlent, par redoublement, la capacité de connaître et le pouvoir de la réflexion. Cet individu unifié a une essence : le désir. Spinoza est le premier moderne à reconnaître la centralité du désir et à en exalter la légitimité. Le désir est le dynamisme fondamental de l’individu : c’est le conatus, l’effort pour persévérer dans l’être. Cette poursuite de l’existence est donc la légitime poursuite de la satisfaction et de la joie. C’est à partir de là que pourra s’élaborer une éthique. Le bonheur sera d’abord la conservation de son être et la recherche de l’utile propre, spécifique et singulier. Ce seront les premières formes de la joie.

Ni « superstitions » ni préjugés
Mais l’existence quotidienne oppose des obstacles à la joie : Spinoza fait donc la critique des « passions » et de la vie relationnelle, ainsi que la critique des « superstitions » et des préjugés. C’est ici le troisième trait doctrinal que nous voudrions souligner : pour accéder à la vraie joie, il convient de construire son autonomie en se libérant de la servitude des passions. Mais, à la différence des idéalismes, Spinoza n’entend pas, par liberté, la suppression du désir, mais la maîtrise éclairée de ce désir par la réflexion. Ce n’est pas le désir ou l’affectivité comme telle qui nous aliènent ; ce sont l’ignorance et l’imagination qui dévoient le désir et produisent son aliénation et sa dépendance. L’éthique de la joie n’est pas une morale ascétique, mais une doctrine de l’accomplissement d’un désir conduit, éclairé et libéré par la connaissance. L’éthique nouvelle peut alors se poser et se définir. Spinoza la résume fortement ainsi : « Bien agir (c’est-à-dire intelligemment et d’une façon autonome) et être dans la joie. »
Cette éthique, libérée des passions, des préjugés et des attitudes conventionnelles, exalte, avec la joie de vivre, l’amitié et la loyauté véritable, le souci de la vie et non de la mort, l’assomption de la sage prudence contre la témérité aveugle, la critique de la pitié et du remords, la défense de la justice contre la charité, la vie sociale contre la vie solitaire, et enfin la jouissance ordinaire : œuvres d’art, exercices physiques, spectacles. Ce déploiement de la vie joyeuse n’est pas le fruit de l’instinct, mais celui de la réflexion éclairant et conduisant le désir. Cette éthique de la joie d’exister poursuit et atteint ce que j’appellerai un bien-être existentiel. Spinoza la fonde et l’illustre avec force, mais il ne s’en contente pas. Il vise aussi l’accès à « l’éternité ». C’est le quatrième trait doctrinal que je voudrais souligner. Trop souvent, c’est le seul qu’on ait retenu. Mieux située dans son contexte existentiel et eudémoniste (soucieux du bonheur), cette recherche « métaphysique », intérieure à notre monde, peut reprendre tout son sens.
Au-delà de son éthique de la joie, Spinoza nous propose une sagesse : une sérénité qui est en même temps une joie parfaite. Il la nomme « béatitude », c’est-à-dire en fait « félicité » et « sentiment d’éternité ». Il la définit comme « amour intellectuel de Dieu » (« Amor Dei intellectualis »). Il ne s’agit pas d’une relation personnelle à un Dieu personnel, mais d’une relation de connaissance intuitive à la totalité de la nature. Celle-ci est exaltée. Elle est saisie dans son infinité, sa nécessité, sa toute-puissance. Cette perception est si neuve et si intense qu’elle est saisie comme une seconde naissance.

Une béatitude pensable
Il y a là comme un rapport existentiel à une nature digne d’être nommée Dieu. Une joie profonde découle de la considération de la nécessité universelle et de la conscience que nous sommes une partie intégrante de la totalité de cette nature et donc de l’être. Le livre Ethica est cet itinéraire existentiel qui permet l’accès à la jouissance d’être. La béatitude est pensable : elle est joie, sérénité, activité. Elle est possible et accessible. Spinoza l’a atteinte et il nous l’offre. Il sait que la voie qui y mène est ardue (critique des passions et des conflits, solitude sociale et idéologique provisoire), mais il sait aussi qu’elle est accessible : tout homme est désir, et tout esprit peut accéder à la réflexion.

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Message par Vanleers Sam 17 Nov 2018 - 12:30

Je cite un autre passage du commentaire de Pierre Macherey d’Ethique V 36 :

Pierre Macherey a écrit: Ce que j’éprouve en aimant Dieu, d’un amour intellectuel, c’est que je suis un homme parmi les autres, auxquels je suis lié par tout un réseau de déterminations concrètes, qui expriment nécessairement la puissance infinie de Dieu. On pourrait en conclure que l’expérience de l’amour intellectuel de Dieu n’a en rien la valeur d’une exaltation mystique solitaire, mettant à part de l’ensemble de l’humanité celui qui y est en proie, en raison de la singularité exceptionnelle de cette expérience, et du détachement que celle-ci requiert : mais elle renforce au contraire, et approfondit, sa solidarité avec les autres hommes, qui sont directement impliqués dans le déroulement de cette expérience. Ceci constitue d’une certaine manière la dimension « politique » de l’amour intellectuel de Dieu. (pp. 171-172)

L’amour intellectuel de Dieu détermine la manière d’être du sage spinoziste dans ses rapports avec le monde (son être-au-monde !), avec les hommes en particulier.
Spinoza caractérise cette manière d’être, d’une façon générale, dans le scolie d’Ethique V 10 :

Spinoza a écrit: Mais il faut noter qu’en ordonnant nos pensées et nos images nous devons toujours prêter attention (par le coroll. Prop. 63 p. IV et la Prop. 59 p. III) à ce qu’il y a de bon dans chaque chose, afin qu’ainsi ce soit toujours un affect de Joie qui nous détermine à agir.

Citons les textes auxquels Spinoza se réfère :

Spinoza a écrit: Le désir qui naît de la raison nous fait directement rechercher le bien, et indirectement fuir le mal. (Ethique IV 63 cor.)

Parmi tous les affects qui se rapportent à l’esprit en tant qu’il agit, il n’en est point qui ne se rapportent à la joie ou bien au désir. (Ethique III 59)

Citons également Ethique IV 64 qui confirme qu’il vaut mieux « toujours prêter attention à ce qu’il y a de bon dans chaque chose » :

Spinoza a écrit: La connaissance du mal est une connaissance inadéquate.

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Message par Vanleers Lun 19 Nov 2018 - 9:46

Sin Sin Ming, « L’Inscription sur l’Esprit de Foi », est un poème inspiré du Ch'an composé au VIII° siècle en Chine, traduit en 36 strophes de 4 vers qu’on peut lire en :

http://www.eyeofchan.org/docs/FRENCH/SinSinMing.pdf

En remplaçant « Voie » par « Joie » dans la première strophe on a :

La grande Joie n’a rien de difficile,
mais il faut éviter de choisir !
Soyez libéré de la haine et de l’amour :
elle apparaîtra dans toute sa clarté !


Par amour et haine, entendons les passions joyeuses et tristes qui naissent du choix entre le bien et le mal.
Par-delà le bien et le mal, la béatitude apparaît dans sa pleine évidence.

Le poème fait écho à la deuxième moitié de la partie V de l’Ethique dont Pierre Macherey écrit qu’elle est à la première moitié (propositions 1 à 20) ce que la poésie est à la prose.
Il commente :

Pierre Macherey a écrit: Or, à partir de la proposition 21 du de Libertate, c’est d’un tout autre point de vue qui est précisément celui de l’éternité (« point de vue de l’éternité », species aeternitatis) : alors l’âme s’ouvre à un type d’expérience assez exceptionnelle, qui n’est plus dispersée au gré des minuscules événements de l’existence quotidienne, et des tensions, voire des phénomènes de dysfonctionnement que ceux-ci induisent, mais est au contraire ramassée et concentrée, suivant les procédures de la science intuitive dont le concept avait déjà été introduit fugitivement dans la seconde partie de l’Ethique, en vue d’une nouvelle appréhension de la réalité qui amène à comprendre celle-ci en dehors de toute relation avec la durée, donc aussi sans référence à un passé, à un présent ou à un futur : et on accède par-là à un tout autre plan d’existence, où celle-ci cesse d’être simplement « présente », au sens d’une actualité momentanée prise et engluée dans les aléas de la durée, mais devient proprement « éternelle ». (p. 42)

La voie qu’expose l’Ethique est, certes, « la voie purement démonstrative de la raison » (Pautrat). Toutefois, l’affectivité est constamment présente et la voie culmine dans l’amor intellectualis Dei.
La science intuitive a une dimension poétique, ce qui est également le cas de la biodanza, « Poétique de la Rencontre Humaine », comme la définit Rolando Toro, son fondateur.

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Message par Vanleers Mer 21 Nov 2018 - 15:15

Je reviens à la thèse qu’« Être » est un nom de Dieu en citant deux notes du commentaire de Pierre Macherey d’Ethique I 8 :

Pierre Macherey a écrit: Dans l’expression « une unique substance de même nature », « une » n’est pas à comprendre au sens du nombre « un » en tant qu’élément de quantification. Il faudra bien se souvenir de ceci lorsque, dans le corollaire 1 de la proposition 14, sera déduite l’unicité de la substance, alors définitivement identifiée à l’Être absolu que Dieu est : il est clair à partir de ce qui précède que cette unicité devra être comprise en un sens où « un » n’a plus la valeur d’un nombre, se rapportant comme tel à l’existence particulière d’une seule chose existante donnée. La substance ne doit donc pas être considérée à proprement parler comme « une » substance, mais comme le subsister, ou l’exister, considérés en tant que tels, c’est-à-dire en tant qu’ils font corps avec l’essence même de la chose, chose qui, devant être pensée en soi, n’a pas le statut d’une chose à proprement parler, essence à la nature de laquelle cet exister et ce subsister appartiennent au titre d’une vérité éternelle. (p. 90 n. 1)

Il pourrait être intéressant de rapprocher la distinction entre réalité substantielle et réalité modale telle qu’elle est présentée par Spinoza et la distinction thématisée par Heidegger entre Être et étant. La substance est ce qui est, ce qui est à soi, ce qui « s’est » au sens absolu du terme, ce qui interdit de la ramener sur le plan de l’existence d’un être donné quel qu’il soit. Toutefois il serait bien sûr aventureux de supposer que, au point de vue de Spinoza, dont la philosophie est celle d’un homme libre ne pensant à rien moins qu’à la mort, la substance pourrait représenter ce qui, dans l’ordre modal où se tiennent les existences particulières, se tient en retrait et se dévoile à travers une expérience privilégiée comme celle de l’angoisse. (p. 91 n. 2)

Jean-Marie Vaysse signale la deuxième note dans Totalité et infinitude. Spinoza et Heidegger – Vrin 2004 mais il ajoute :

Jean-Marie Vaysse a écrit: L’auteur précise toutefois qu’il serait aventureux de supposer que la substance se tient en retrait pour se dévoiler dans une expérience de l’angoisse. Nous verrons cependant par la suite comment l’angoisse heideggérienne se rapproche de la joie spinoziste. (p. 69)

On examinera plus tard ce rapprochement.

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Message par hks Mer 21 Nov 2018 - 19:12

Développez  le concept  svp (celui d' Etre) ... Spinoza développe celui de Dieu.
le mot Etre  s'il est l' expression d'un concept peut être un minimum développé (analytiquement)
S' il  n' y a pas de  développement possible ce n'est qu'un mot (et pas du moins un concept)

Je ne dis pas que l'intuition puisse suppléer.
Suite au passage à la connaissance intuitive, Spinoza ne s' est pas cru autorisé à changer de nom (pour Dieu).

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Message par Vanleers Mer 21 Nov 2018 - 21:04

A hks

Je donne une citation de Jean-Marie Vaysse qui vous éclairera peut-être :

Jean-Marie Vaysse a écrit: Si, en vertu de la suicausalité, l’existence de Dieu est nécessaire, c’est qu’il est cette Chose par quoi toute chose est, qui donc n’est aucune chose et ne se donne jamais comme un étant, sa plénitude ontologique impliquant un retrait essentiel. L’onto-théologie traditionnelle est ainsi rendue caduque et sont renvoyées dos à dos théologie affirmative et théologie négative, analogie et éminence pour laisser place à une ontologie fondamentale qui conjoint univocité et pluralisme. La substance n’est pas quelque chose d’ontiquement donnable, et c’est ce qui constitue son sens ontologique par lequel toute donation ontique devient possible.
La question n’est point tant alors celle des preuves de l’existence de Dieu que celle du mode d’accès à la substance qui n’est jamais donnée comme un étant subsistant. […].
A la différence de l’homme, Dieu a sa cause en lui-même et non en autre chose. S’il est un maximum ontologique, il n’est pas une chose parmi d’autres, mais une totalité. Ainsi « tout ce qui est, est en Dieu » et « rien ne peut sans Dieu être ni être conçu » (Ethique I 15). Si le rapport de Dieu aux choses est un rapport d’inclusion, dire que tout est en Dieu ne signifie pas que cela est dans Dieu au sens où une intériorité s’opposerait à une extériorité. En effet, une telle intériorité ou totalité inclusive exclut toute extériorité. La totalité inclusive est également exclusive, excluant tout dehors, toute altérité qui pourrait lui être extérieure : incluant tout sans être un contenant, elle est en même temps pure extériorité, puisqu’elle ne contient rien. Tel est le paradoxe d’une intériorité sans extérieur et d’une extériorité sans intérieur. (op. cit. pp. 69-71)

Spinoza ne dit pas, en effet, dans l’Ethique, qu’« Être » est un nom de Dieu.
Mais ce qui est exposé plus haut, à savoir que le Dieu de Spinoza n’est jamais donné comme un étant subsistant, l’autorise et écarte ainsi la tentation de le prendre pour un étant.
Spinoza, par contre, pose l’équivalence Deus sive Natura.
Je dirai ici que la Nature n’est pas, n’existe pas, mais qu’elle nature, du verbe naturer, repris dans l’expression « Nature naturante ».
Et il ne faut pas dire que pour naturer il faut que la Nature soit, existe, ce qui serait à nouveau la concevoir comme un étant.
C’est pour cela que les preuves de l’existence de la Nature, c’est-à-dire de Dieu, en Ethique I 11, sont paradoxales puisque, au sens propre, la Nature n’existe pas.

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Message par hks Mer 21 Nov 2018 - 22:43

Vaysse n'emploie pas le mot Etre.

Le livre que vous cité Totalité et finitude. Spinoza et Heidegger, Paris, Vrin,
est publié en  2004.
Vaysse écrit ceci page 99  
Heidegger n' a jamais cautionné le totalitarisme, mais a toujours dénoncé les dangers des procédures d' assujettissement et de normalisation propre à l'époque  de l' hégémonie planétaire de la technique
 Quand on aime et dans le cas de Vaysse quand on aime Heidegger, on ne ménage pas sa peine .
..........................................

Cela dit dans le texte que vous cité Vaysse lit Spinoza avec des lunettes Heideggériennes .et vous aussi
Spinoza est supposé rendre caduque  L’onto-théologie traditionnelle.

Or Heidegger a occulté Spinoza. Le seul texte dans lequel Heidegger considère la pensée de Spinoza d’une manière suffisamment approfondie est le cours sur Schelling (1936).

je cite
 Et cela effectivement n’est pas étonnant, puisque la philosophie de la liberté de Schelling se construit et se déploie dans une confrontation directe avec la pensée de Spinoza. Ce que Heidegger retient de Spinoza est avant tout la notion de système, dont le philosophe hollandais a fourni la forme la plus achevée de la philosophie moderne; toutefois, continue Heidegger, le système de Spinoza, en étant un système éthique, est régressif par rapport à Descartes[[E. Balibar, op. cit., p. 335., c’est-à-dire qu’il n’appartient pas à la grande ligne métaphysique de saint Thomas, Suarez, Descartes, Leibniz et Kant. De cette manière, la philosophie de Spinoza représente, pour Heidegger, un système déterminé dans le cadre de l’ontologie moderne, qui se situe à côté du développement réel de l’ontothéologie occidentale. Et, de l’avis de E. Balibar, c’est justement cette position de Heidegger vis-à-vis de Spinoza qui nous permet de tirer deux conclusions : « Négativement : la non-référence à Spinoza est bel et bien la pierre de touche de sa présentation tendancieuse de l’histoire de la métaphysique. Positivement : ceci n’est cependant que l’ouverture d’une question, car si Spinoza… est innommable par Heidegger, n’est-ce pas justement parce qu’à sa façon il est le seul à désigner critiquement la constitution de la métaphysique comme une onthothéologie Science intuitive et biodanza - Page 15 4221839403 , en se proposant de la faire passer de l’élément du finalisme dans celui d’une pensée radicalement causale ? »
http://www.multitudes.net/actualite-de-spinoza/

 La fin du texte ( que j' ai mise en gras) est discutable.
je pense que Heidegger n' a pas vu ce qu' on lui soupçonne de ne pas  avoir dit .

Ce sont des commentateurs  tel Jean Marie Vaysse  qui le voit. Ils se font plus heideggeriens que Heidegger lui même.
...........................................................
bizarre l'orthographe" onthothéologie"
..........................................................

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