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Science intuitive et biodanza

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Message par Vanleers Dim 19 Aoû 2018 - 16:46

Revenons au remède aux affects que Spinoza explique en Ethique V 2 :

Spinoza a écrit: Si nous éloignons une émotion de l’âme, autrement dit un affect, de la pensée d’une cause extérieure, et la joignons à d’autres pensées, alors l’Amour ou la Haine à l’égard de la cause extérieure, ainsi que les flottements d’âme qui naissent de ces affects, seront détruits.

Lorsque nous utilisons ce remède dans le cadre de la science intuitive, éloigner (amoveo) un affect de la pensée d’une cause extérieure, c’est, en quelque sorte, s’absenter, être ailleurs, là où nous sommes conscients que toute chose est une expression singulière de la puissance divine.
Curieusement, ce remède peut alors être rapproché d’un célèbre conseil que donne le mystique espagnol Saint Jean de la Croix, tel que le rapporte son confident, le religieux Elisée des Martyrs.

Jean de la Croix a écrit: Lorsque nous sentons le premier mouvement ou le premier assaut de quelque vice comme la luxure, la colère, l’impatience, l’esprit de vengeance à la suite d’une offense reçue, etc… nous ne résisterons pas par un acte de vertu contraire, mais dès que nous le sentirons, nous recourrons sans retard à un acte ou mouvement d’amour anagogique contre le vice, élevant notre cœur à l’union de Dieu. Car, grâce à l’élévation, l’âme se rend absente de là, se présente à son Dieu et s’unit à lui, laissant le vice ou la tentation et l’ennemi frustré de son projet, ne trouvant plus qui frapper ; car l’âme étant plus là où elle aime que là où elle anime, s’est divinement dérobée à la tentation. L’ennemi ne trouve plus qui frapper, il a perdu sa proie, car l’âme n’est plus là où la tentation (ou l’ennemi) voulait la frapper et la blesser.

Ne nous cachons pas qu’un tel rapprochement paraîtra discutable aux yeux de certains.

« La luxure, la colère, l’impatience, l’esprit de vengeance à la suite d’une offense reçue », Spinoza n’appelle pas ça des vices mais des affects, plus précisément des passions et la partie V de l’Ethique montrera « ce que la raison même peut sur les affects, et ensuite ce qu’est la Liberté de l’Esprit ou béatitude » (Ethique V Préface.)
Jean de la Croix, quant à lui, conseille une méthode anagogique (anagogè : action de mener vers le haut) qui n’est pas un agere contra mais une quasi désertion : fuir le lieu du combat et se réfugier en Dieu.
Cette « fuite» sanjuaniste est une façon de recadrer la situation en élevant le débat, qu’il soit intérieur ou avec des tiers. C’est précisément ce qu’opère la connaissance du troisième genre qui nous porte à la connaissance de Dieu, connaissance qui est également amour intellectuel de Dieu.

Jean de la Croix (1542-1591) n’a pu lire Spinoza mais, comme lui, il pointe la nécessité d’éloigner une émotion de l’âme de la pensée d’une cause extérieure (Ethique V 2) : ce n’est pas tel individu qui, par exemple, est la cause de ma colère mais « l’ennemi », sans qu’il soit nécessaire de personnaliser ni même de préciser de quel ennemi il s’agit, et une façon de réprimer et maîtriser cette colère sera de s’y soustraire en s’élevant à Dieu par la science intuitive.

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Message par Vanleers Lun 20 Aoû 2018 - 16:07

On a essayé, dans le post précédent, de rapprocher la « fuite en Dieu » sanjuaniste de la science intuitive spinozienne, comme remède aux affects.
Dans l’un et l’autre cas, le remède est très simple dans son principe, ce que confirme Alexandre Matheron en ce qui concerne Spinoza.
Il explique en quoi consiste la connaissance du troisième genre, ou science intuitive et écrit (Le Christ et le salut des ignorants chez Spinoza p. 151 – Aubier 1971) :

Alexandre Matheron a écrit:
« Celle-ci ne recèle aucun mystère : elle n’est rien d’autre que la connaissance des choses naturelles par leur cause immanente, c’est-à-dire par Dieu – ou, ce qui revient au même, la connaissance de Dieu, puisque connaître un effet par sa cause immanente revient tout simplement à enrichir notre connaissance de cette même cause (Ethique V 24). »

Il écrit ensuite que cette connaissance est en même temps amour, c’est-à-dire joie :

« La connaissance du troisième genre, qui représente la forme d’intellection la plus parfaite, nous procure donc la plus haute de toutes les satisfactions (Ethique V 27). Et, comme elle nous fait concevoir toutes choses et nous-mêmes par Dieu, la joie que nous en retirons s’accompagne en nous de l’idée de Dieu comme de sa cause (Ethique V 32). Ainsi trouvons-nous dans l’amour de Dieu notre bonheur. » (p. 152)

Il ajoute enfin que :

« Ce bonheur nous sauve, car il est infiniment supérieur à tout ce que nous pourrions attendre de l’assouvissement de nos passions. » (ibid.)

La biodanza, qui demande de mettre le mental au repos, c’est-à-dire, en termes spinozistes, de laisser tomber les idées inadéquates dont dépendent les passions (Ethique III 3), et de vivre intensément le moment présent (vivencia), rejoint Jean de la Croix et Spinoza dans le mouvement anagogique qui consiste à s’élever jusqu’à la Vie.

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Message par Vanleers Mar 21 Aoû 2018 - 15:16

Dans un petit livre qui ne paie pas de mine (Spinoza antistress – Editions de l’opportun), Héloïse Guay de Bellissen commente le début du scolie d’Ethique V 36 :

Spinoza a écrit: Nous comprenons par-là clairement en quoi consiste notre salut, autrement dit béatitude, autrement dit Liberté, à savoir, dans un Amour constant et éternel envers Dieu, autrement dit dans l’Amour de Dieu envers les hommes.

Héloïse Guay de Bellissen a écrit: Ici, nous accédons à la plus haute idée de Spinoza et à l’aboutissement de sa philosophie. Être soi à travers soi, dans l’amour de la nature et de sa nature. S’aimer soi avant toute chose. S’aimer non de manière narcissique, mais s’aimer car nous sommes là, et qu’il ne sert à rien de nous nier et d’être dans un désamour. (p.138)

Faisant le lien avec les posts précédents, je dirai que le mouvement anagogique qui remonte à l’amour intellectuel de Dieu-Nature est le mouvement même par lequel on revient à sa propre nature, où l’on s’aime, soi, avant toute chose.

Le sage s’autorise à s’aimer avant toute chose.

Ceci rejoint ce que Spinoza écrivait déjà dans la partie IV :

Spinoza (Ethique IV 18 sc.) a écrit: Comme la raison ne demande rien contre la nature, c’est donc elle-même qui demande que chacun s’aime lui-même, recherche son utile, ce qui lui est véritablement utile, et aspire à tout ce qui mène véritablement l’homme à une plus grande perfection, et, absolument parlant, que chacun s’efforce, autant qu’il est en lui, de conserver son être.

Comme l’écrit H. G. de B., il ne s’agit pas de l’amour narcissique de l’homme qui confronte son image à celle d’une cause extérieure mais de l’amour de l’homme dans la conscience de sa cause immanente : Dieu.

Dans un texte déjà signalé, Chantal Jaquet analyse L’apparition de l’amour de soi dans l’Ethique. C’est en :

https://books.openedition.org/psorbonne/154

C. Jaquet montre que les concepts d’amour-propre et d’amour de soi apparaissent puis disparaissent ensuite de l’Ethique car remplacés par celui de satisfaction de soi qui exprime de façon plus adéquate la joie liée à la contemplation de soi-même.
Il s’agit là de ce que j’ai déjà appelé la joie centrale : acquiescentia in se ipso ou animi acquiescentia dans la partie V de l’Ethique.

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Message par Crosswind Mar 21 Aoû 2018 - 15:20

Je ne suis pas loin de partager le même sentiment. Seulement, je ne vois pas en quoi Spinoza prouve quoi que ce soit à ce sujet.

That's the question.

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Message par Vanleers Mar 21 Aoû 2018 - 15:34

Wittgenstein a écrit: Nous sentons que, à supposer même que toutes les questions scientifiques possibles soient résolues, les problèmes de notre vie demeurent encore intacts. A vrai dire, il ne reste plus alors aucune question ; et cela même est la réponse. (Tractatus 6.52)

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Message par Crosswind Mar 21 Aoû 2018 - 15:43

Vanleers a écrit:
Wittgenstein a écrit: Nous sentons que, à supposer même que toutes les questions scientifiques possibles soient résolues, les problèmes de notre vie demeurent encore intacts. A vrai dire, il ne reste plus alors aucune question ; et cela même est la réponse. (Tractatus 6.52)

Ah, là, oui, cela me parle. Ce que je nomme le fond diffus métaphysique est par Wittgenstein, pour mon entendement, parfaitement mis en exergue.
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Message par Vanleers Mar 21 Aoû 2018 - 16:22

J’ajoute, du même (Tractatus 6.521) :

Wittgenstein a écrit: La solution du problème de la vie, on la perçoit à la disparition de ce problème.
(N’est-ce pas la raison pour laquelle les hommes qui, après avoir longuement douté, ont trouvé la claire vision du sens de la vie, ceux-là n’ont pu dire alors en quoi ce sens consistait ?)

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Message par Vanleers Mer 22 Aoû 2018 - 15:42

S’aimer soi avant toute chose, comme l’écrit Héloïse Guay de Bellissen dans son commentaire du scolie d’Ethique V 36 (voir ci-dessus), est la clef de la liberté et de la béatitude, c’est-à-dire du « bien auquel aspire pour soi chaque homme », déjà évoqué en Ethique IV 37 :

Spinoza a écrit: Le bien auquel aspire pour soi chaque homme qui suit la raison, il le désirera aussi pour tous les autres hommes, et d’autant plus qu’il possédera une plus grande connaissance de Dieu.

H. G. de B. commente cette proposition :

Héloïse Guay de Bellissen a écrit: C’est lorsqu’on trouve le bien en soi-même qu’on souhaite que tout le monde le porte en lui. C’est quand on s’est réalisé, qu’on souhaite que les autres passent par ce chemin. Quand notre lumière intérieure, conduite par la raison, jaillit, nous voulons la partager et faire qu’elle se propage : pour que tout le monde trouve sa lumière. (p. 158)

« Trouver le bien en soi-même », « se réaliser », « lumière intérieure » : ces expressions renvoient à l’animi acquiescentia du scolie d’Ethique V 36, c’est-à-dire au « S’aimer soi avant toute chose » rappelé au début de ce post.

C’est dans la mesure où le sage s’aime soi avant toute chose qu’il désirera que tous les autres hommes trouvent leur bien.
Telle est la voie de Spinoza et combien elle diffère de celle de Levinas, par exemple.

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Message par Crosswind Mer 22 Aoû 2018 - 16:05

Mais pourquoi limiter ce bien aux hommes, s'il est jamais limité?
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Message par Vanleers Mer 22 Aoû 2018 - 18:01

Les femmes aussi.

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Message par Crosswind Mer 22 Aoû 2018 - 18:44

Et les chimpanzés mâles?

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Message par axolotl Mer 22 Aoû 2018 - 19:18

Et les galagos ?
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Message par Crosswind Mer 22 Aoû 2018 - 22:43

Riez, mais la question se pose sérieusement.

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Message par Vanleers Ven 24 Aoû 2018 - 12:00

J’ai écrit précédemment :
C’est dans la mesure où le sage s’aime soi avant toute chose qu’il désirera que tous les autres hommes trouvent leur bien.

Quel est ce bien ? Tous les hommes peuvent-ils y accéder en principe ? Tous les hommes peuvent-ils en jouir en pratique ?

Spinoza répond à ces questions en plusieurs propositions.

1) Qu’est-ce que le bien ?

Spinoza a écrit: Nous ne savons avec certitude être un bien ou un mal que ce qui contribue véritablement à comprendre, ou ce qui peut nous empêcher de comprendre. (Ethique IV 27)

Le souverain bien de l’Esprit est la connaissance de Dieu, et la souveraine vertu de l’Esprit est de connaître Dieu (Ethique IV 28)

Le bien de l’esprit est de comprendre et le bien suprême de comprendre Dieu.
Dans son commentaire d’Ethique IV 28 :

Pierre Macherey a écrit: Ainsi le fait de « comprendre » (intelligere), qui, considéré en général, a été présenté dans les propositions précédentes comme la forme de l’activité de l’âme par laquelle elle satisfait pleinement la puissance d’être et d’agir qui est en elle, se voit finalement doté d’un contenu qui permet de fixer de manière définitive les enjeux d’une telle activité. Ce contenu est le plus large qui puisse se concevoir, puisqu’il ne se ramène pas à un type d’objet déterminé mais s’étend à la réalité tout entière appréhendée dans son principe ou dans sa cause, selon la conception qui a été développée dans la première partie de l’Ethique. (p. 160)

2) Le souverain bien est-il accessible à tous les hommes ?

Oui, en théorie, car :

Spinoza a écrit: L’Esprit humain a une connaissance adéquate de l’essence éternelle et infinie de Dieu. (Ethique II 47)

3) Tous les hommes peuvent-ils jouir du souverain bien ?

Spinoza a écrit: Le souverain bien de ceux qui suivent la vertu est commun à tous, et tous peuvent en jouir également. (Ethique IV 36)

Ceux qui « suivent la vertu » ont la possibilité de jouir du souverain bien et P. Macherey, dans son commentaire de la proposition, précise donc qu’on ne peut pas dire des hommes « qu’ils en jouissent nécessairement tous de manière uniforme dans les faits » (p. 215)

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Message par Vanleers Sam 25 Aoû 2018 - 6:43

Je reviens au point 1 du post précédent, à savoir que le souverain bien de l’esprit est de connaître Dieu, c’est-à-dire « la réalité tout entière appréhendée dans son principe ou dans sa cause » (Pierre Macherey)
J’essaierai de montrer le rapport de cette connaissance, d’une part avec la science intuitive qui est à la foi intellectuelle et affective, et, d’autre part, avec la connaissance scientifique.
Je m’appuierai essentiellement sur le commentaire de P. Macherey.

1) Rapport avec la science intuitive

Commentant Ethique IV 28 :

Pierre Macherey a écrit: Aucun intérêt plus élevé [celui de la connaissance de Dieu] ne peut être reconnu. Ceci explique pourquoi les principales occurrences de la proposition 28 dans la suite du raisonnement se trouveront dans le de Libertate [la partie V de l’Ethique], c’est-à-dire qu’elles correspondent au moment du raisonnement suivi dans l’ensemble de l’Ethique qui représente les étapes ultimes du procès libératoire. La proposition 20 du de Libertate exploite l’idée que la suprême vertu de l’âme est de connaître Dieu en l’inscrivant dans le contexte de la procédure de l’amor erga Deum, qui effectue la synthèse du rationnel et de l’affectif par des moyens qui sont encore ceux de l’imagination : « cet amour envers Dieu est le bien suprême que nous pouvons désirer en fonction de l’impératif de la raison », ce qui confère à la connaissance de Dieu le statut d’un bien auquel on aspire et vers lequel on est poussé en lui conservant le statut d’un idéal, idéal défini par la raison qui en construit la figure en l’enracinant dans la sphère du possible. Les propositions 25 et 27 du de Libertate vont plus loin encore en utilisant cette même idée dans la perspective de l’amor intellectualis Dei, qui donne à toute la dynamique mentale de la libération son terme absolu : la connaissance de Dieu, par laquelle l’âme exerce la plus haute vertu à laquelle sa nature la destine, devient alors une pratique effective dans laquelle la raison trouve les conditions de son plein accomplissement, et non plus un idéal dicté par la raison mais encore pour une part à la recherche des moyens de sa réalisation. (pp. 162-163)

En résumé, la connaissance de Dieu, que Spinoza démontre être le souverain bien de l’esprit dans la partie IV, trouve sa pleine expression dans la partie V, d’abord dans l’amor erga Deum puis dans l’amor intellectualis Dei : science intuitive et « forme suprême de l’activité mentale qui réconcilie complètement les dispositions affectives et les dispositions rationnelles de l’âme » (P. Macherey p. 163)

On passe ainsi d’une connaissance de Dieu du deuxième genre ou raison à une connaissance du troisième genre ou science intuitive.

2) Rapport avec la connaissance scientifique
Voyons plus précisément comment ce passage s’opère et la place de la connaissance scientifique dans ce passage.
Je partirai d’Ethique V 28 :

Spinoza a écrit: L’effort ou Désir de connaître les choses par le troisième genre de connaissance ne peut naître du premier genre, mais il le peut assurément du deuxième.

Commentant cette proposition :

Pierre Macherey a écrit: Mais pour que ce caractère [de l’âme qui détermine son désir de connaître les choses par le troisième genre de connaissance] puisse se développer, il faut que l’âme soit délivrée de ces intrusions extérieures, et qu’elle ait commencé à raisonner sur de tout autres bases, ce à quoi la conduit la pratique de la connaissance rationnelle scientifique, avec ses règles et ses procédures démonstratives qui la préparent à comprendre l’essence des choses, et surtout à avoir le désir d’une telle compréhension. De ce point de vue, ce désir, bien qu’il exprime ce qu’il y a de plus essentiel à l’âme, ne lui est pas naturel ou spontané, mais, pour qu’il se révèle, il faut que, par une expurgation ou épuration (emendatio) préalable, l’âme soit libérée du poids des idées inadéquates qui la mettent en opposition avec elle-même et gênent le développement de son propre conatus. On pourrait dire que la connaissance du second genre met sur le chemin de celle du troisième, qui relance son effort dans une perspective qui n’est plus seulement cognitive mais éthique, puisqu’elle se définit par la poursuite d’un bien suprême, ce qui réintroduit dans son ordre la considération de l’affectivité, complètement étrangère à la pratique de la connaissance scientifique proprement dite. Il faut donc avoir appris à déterminer les propriétés des essences des choses pour se laisser progressivement envahir par le désir de comprendre ce que sont en elles-mêmes ces essences, d’une compréhension qui ne soit pas seulement théorique mais aussi pratique. (pp. 143-144)

La connaissance rationnelle scientifique des propriétés des essences des choses nous met donc sur le chemin de la connaissance intuitive de ces essences, connaissance éthique, à la fois intellectuelle et affective.
On essaiera d’approfondir ce point dans le post suivant.

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Message par Vanleers Sam 25 Aoû 2018 - 15:32

Nous avons vu que Spinoza met le souverain bien de l’esprit dans la connaissance de Dieu (de la réalité dans sa totalité) et que cette connaissance accomplie est simultanément amour de Dieu, ce que Spinoza exprime dans l’oxymore « amour intellectuel de Dieu » (amor intellectualis Dei).
Présentée comme une connaissance purement rationnelle dans la partie IV de l’Ethique, la connaissance de Dieu se révèle être une connaissance éthique dans la partie V, à la fois intellectuelle et affective.
Nous avons vu également que désirer cette connaissance éthique s’enracinait naturellement dans la connaissance du deuxième genre ou raison, en particulier dans la connaissance rationnelle scientifique.
Comme le note Pierre Macherey, la connaissance scientifique est le chemin qui conduit à la connaissance éthique de la réalité (de Dieu).
Cette connaissance éthique ou connaissance du troisième genre apparaît ainsi comme le couronnement de la connaissance scientifique.
Autrement dit, Spinoza nous invite à aller au-delà de la connaissance purement rationnelle, démarche qui est peut-être la véritable difficulté de l’Ethique, celle que vise sans doute Spinoza dans les dernières lignes de  son ouvrage :

Spinoza (Ethique V 42 sc.) a écrit: Si maintenant l’on trouve très difficile le chemin que j’ai montré y mener, du moins peut-on le découvrir. Et il faut bien que ce soit difficile, ce qu’on trouve si rarement. Car comment pourrait-il se faire, si le salut se trouvait sous la main et que l’on puisse le découvrir sans grand labeur, que tous ou presque le négligent ? Mais tout ce qui est remarquable est difficile autant que rare

Reste à voir, dans le cadre du sujet de ce fil, l’apport éventuel de la biodanza au franchissement de ce pas.

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Message par Vanleers Dim 26 Aoû 2018 - 17:09

Nous avons abordé, dans le post précédent, la question du passage de la connaissance du deuxième genre à celle du troisième genre et nous nous sommes demandés si la biodanza pouvait aider au franchissement de ce pas.
A priori, il semble que non.
En effet, la biodanza demande simplement de mettre le mental au repos et de vivre intensément le moment présent (vivencia). Il n’y a donc pas passage d’une connaissance rationnelle à la science intuitive.

Précisons que la connaissance rationnelle, selon Spinoza, est la connaissance par notions communes et, à ce titre, elle ne connaît pas l’essence spécifique d’une chose mais ce qui est commun à cette chose et à d’autres choses.
Disons qu’elle connaît les différentes facettes d’un être communes à d’autres êtres mais qu’elle ne le connaît pas dans la singularité de son essence.
C’est la connaissance du troisième genre, et elle seule, qui connaît de façon adéquate un être, notamment un homme, dans sa singularité essentielle.
Disons que l’on passe alors de la connaissance rationnelle d’un individu dans sa particularité à la connaissance intuitive d’une personne dans sa singularité.
Spinoza en parle à la fin du scolie d’Ethique V 36 en écrivant que la connaissance « de l’essence même d’une chose singulière quelconque que nous disons dépendre de Dieu » affecte davantage notre esprit que la thèse selon laquelle tout dépend de Dieu selon l’essence et selon l’existence, thèse démontrée dans la partie I.
Or, précisément, la biodanza favorise une rencontre entre les partenaires dans laquelle chacun pourra voir dans l’autre la personne, c’est-à-dire sa nature singulière dans sa dépendance de Dieu.
C’est par des gestes simples et la musique, accompagnés simultanément d’affects actifs, que cette reconnaissance de l’autre dans sa singularité est initiée, ce qui révèle l’importance du corps dans la connaissance du troisième genre que pointe Spinoza en Ethique V 39 :

Spinoza a écrit: Qui a un corps apte à un très grand nombre de choses a un Esprit dont la plus grande part est éternelle.

Par corps, il faut entendre ici le corps affectif dont il a déjà été question sur ce fil, c’est-à-dire le corps dans sa capacité à affecter et à être affecté.

Dans un texte cité précédemment, Pierre Macherey écrit que pour que le désir de la connaissance du troisième genre « […] se révèle, il faut que, par une expurgation ou épuration (emendatio) préalable, l’âme soit libérée du poids des idées inadéquates qui la mettent en opposition avec elle-même et gênent le développement de son propre conatus. On pourrait dire que la connaissance du second genre met sur le chemin de celle du troisième, qui relance son effort dans une perspective qui n’est plus seulement cognitive mais éthique, puisqu’elle se définit par la poursuite d’un bien suprême, ce qui réintroduit dans son ordre la considération de l’affectivité, complètement étrangère à la pratique de la connaissance scientifique proprement dite. »

La mise au repos du mental en biodanza, est une emendatio préalable à la vivencia qui, elle, introduit la considération de l’affectivité. Il suffit alors d’accompagner ce sentiment intense (vivencia) de l’idée que notre être et celui de nos partenaires vient de Dieu pour éprouver l’amour intellectuel de Dieu, c’est-à-dire la béatitude.
En conclusion, si la biodanza ne fait pas passer de la connaissance rationnelle à la science intuitive, elle peut mener à cette dernière si elle s’accompagne de la conscience de notre dépendance et de celle de nos partenaires à l’égard de Dieu.

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Message par Vanleers Lun 27 Aoû 2018 - 10:49

Nous avons vu que connaître un homme, c’était le considérer comme un individu particulier selon la connaissance du deuxième genre ou comme une personne singulière selon la connaissance du troisième genre, car nous le connaissons alors dans sa dépendance essentielle de Dieu.
On pourrait parler ici de « personnalisme spinozien » ce qui peut paraître surprenant si on se souvient que, pour Spinoza, l’homme n’est pas « un empire dans un empire ». Le scolie d’Ethique II 13 a en effet insisté sur le fait que ce qui distingue un homme d’une autre chose, c’est uniquement la complexité de son corps. L’esprit n’étant autre que l’idée du corps, à un corps complexe correspond un esprit complexe mais l’esprit d’un homme reste une idée, tout comme l’esprit d’un caillou qui n’est autre que l’idée de ce caillou.
Toutefois, Spinoza a pris le soin de préciser que « L’homme pense » (axiome 2 de la partie II). De plus, dans le scolie d’Ethique V 42, Spinoza présente le sage comme celui qui est « par une certaine nécessité éternelle, conscient de soi, de Dieu et des choses ».
Cette conscience du sage est conscience des choses dans leur dépendance de Dieu.
S’agissant, plus particulièrement, des êtres humains, j’ajouterais, usant d’un vocabulaire religieux, qu’on pourrait parler, à propos de dépendance, de « filiation divine » en m’autorisant de ce qu’écrit Spinoza à Oldenburg dans la lettre 73 :

Spinoza a écrit: Enfin, pour vous montrer ouvertement ma pensée sur le troisième point, je dis qu’il n’est pas absolument nécessaire pour le salut de connaître le Christ selon la chair ; mais il en est tout autrement si on parle de ce Fils de Dieu, c’est-à-dire de cette éternelle Sagesse de Dieu qui s’est manifestée en toutes choses, et principalement dans l’âme humaine, et plus encore que partout ailleurs dans Jésus-Christ. Sans cette Sagesse, nul ne peut parvenir à l’état de béatitude, puisque c’est elle seule qui nous enseigne ce que c’est que le vrai et le faux, le bien et le mal. Et comme cette Sagesse, ainsi que je viens de le dire, s’est surtout manifestée par Jésus-Christ, ses disciples ont pu la prêcher, telle qu’elle leur a été révélée par lui, et ils ont montré qu’ils pouvaient se glorifier d’être animés de l’esprit du Christ plus que tous les autres hommes. Quant à ce qu’ajoutent certaines Églises, que Dieu a revêtu la nature humaine, j’ai expressément averti que je ne savais point ce qu’elles veulent dire ; et pour parler franchement, j’avouerai qu’elles me semblent parler un langage aussi absurde que celui qui dirait qu’un cercle a revêtu la nature du carré. Je pense que ces explications suffisent pour éclaircir mon sentiment sur les trois points que vous avez marqués. Plairont-elles aux chrétiens de votre connaissance, c’est ce que vous pouvez savoir mieux que moi. Adieu.

Cette perspective jette un pont entre l’Ethique et les religions qui ont nourri Spinoza, ce qui ne l’a pas empêché d’émettre de sérieuses réserves à leur égard.

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Message par Vanleers Mar 28 Aoû 2018 - 12:20

Alexandre Matheron développe la question de la personnalisation à propos du Christ dans Le Christ et le salut des ignorants chez Spinoza – Aubier 1971 :

Alexandre Matheron a écrit:[…] l’éternité consciente dont jouissait le Christ peut être considérée, sans le moindre doute, comme une éternité personnelle. Car Jésus ne possédait pas seulement une science immense : cette science, tout au long de son existence, il l’a constamment traduite en actes ; sa vie entière est un parfait modèle de sainteté. Or les idées claires ne sont assez puissantes pour déterminer immuablement notre conduite que lorsqu’elles constituent la plus grande partie de notre esprit ; en deçà de ce seuil, tant que les passions occupent encore la principale place, les causes extérieures risquent toujours de nous entraîner dans le mauvais sens. Le Christ devait donc avoir plus d’idées adéquates que d’idées inadéquates : en s’acheminant vers la pleine intellection de sa propre nature, en transformant progressivement ses passions en sentiments actifs grâce à la connaissance qu’il en prenait (Ethique V 3), il avait atteint le stade à partir duquel ce que nous comprenons de notre moi devient plus important que ce que nous en percevons confusément. Mais cet acheminement s’accompagne d’une personnalisation croissante de la vie éternelle : au départ, lorsque nous ne concevons rien d’autre que les notions communes sans réussir encore à en déduire aucune conséquence, notre éternité est entièrement impersonnelle ; à l’arrivée, lorsque nous concevons notre essence individuelle dans ce qui fait son originalité irréductible, elle est entièrement personnelle ; et, entre les deux, la transition est continue. Qu’en conclure, sinon que le Christ était plus près de l’étape finale que de l’étape initiale ? Que son moi mortel était déjà insignifiant par rapport à son moi éternel (Ethique V 38 sc. in fine ; 39 sc. in fine). Qu’il s’était donc – et lui seul peut-être, car Spinoza lui-même n’a jamais prétendu en être arrivé là – éternisé, régénéré, sauvé du temps et de la mort en tant qu’individu singulier ? (pp. 258-259)

A la lumière de cet extrait, l’Ethique apparaît encore davantage comme un chemin de personnalisation qui vise à ce que nous soyons pleinement nous-mêmes, actifs, causes adéquates de ce que nous pensons et faisons (cf. Ethique III déf. 1 à 3).
Rappelons que l’acquiescentia in se ipso, lorsqu’elle naît de la raison, est ce que nous pouvons espérer de plus haut (Ethique IV 52 sc.). La science intuitive prolonge la raison et achève le processus de personnalisation par la connaissance intuitive (intellectuelle et affective) de Dieu comme notre cause immanente.

La biodanza, quant à elle, est faite de rencontres personnalisées et personnalisantes. A ce titre, elle est dans le droit fil de l’Ethique.

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Message par Vanleers Jeu 30 Aoû 2018 - 11:40

Je relève sur l’annonce d’une proposition de séances de biodanza, présentée comme une méthode corporelle de développement humain, les points suivants :

- bouger, danser, se reconnecter à son corps
- être à l’écoute de ses sensations, de ses émotions afin de se sentir vraiment vivant
- trouver plus de sens à ce que l’on vit, expérimenter d’autres modes de communication plus authentiques
- être soi-même, savourer le moment présent, jouir pleinement de la vie

Il est clair que ces points sont parfaitement compatibles avec l’éthique selon Spinoza. Ils caractérisent une approche concrète qui peut être considérée comme le pendant corporel de la méthode exposée dans l’Ethique qui, elle, met l’accent sur l’esprit. Rappelons que, dans cette philosophie, esprit et corps, c’est la même chose présentée sous deux aspects différents.

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Message par maraud Jeu 30 Aoû 2018 - 12:37

Ne peut-on pas dire que la biodanza est une tentative ( méthode) de renouer avec la contemplation ?

Peut-on oser une corrélation entre biodanza et anthroposophie, par exemple ?

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Message par Vanleers Jeu 30 Aoû 2018 - 16:04

J’essaie sur ce fil d’examiner les liens possibles entre la biodanza et la science intuitive selon Spinoza.
Celle-ci, ou science du troisième genre, peut sans doute être rapprochée de la contemplation, au sens de la vision de notre dépendance de Dieu-Nature comme cause immanente.
En conséquence, la biodanza, la danse de la vie, serait ainsi reliée à la contemplation.
Par ailleurs, je n’ai pas vu, sur internet, de corrélation évidente entre la biodanza et l’anthroposophie que je ne connais pas.

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Message par maraud Jeu 30 Aoû 2018 - 22:59

Vanleers a écrit:je n’ai pas vu, sur internet, de corrélation évidente entre la biodanza et l’anthroposophie que je ne connais pas.

Il me semble assez clair que la biodanza est un moyen pensé pour " revenir à soi" ( ou à Soi, pour les plus spirituels).

J'avance un constat invérifiable car relevant du psychologisme: lorsque l'on se met en quête de soi, c'est en quelque sorte prendre rendez-vous avec soi-même, or on se rencontre rarement dans l'intériorité mais plus généralement dans l'extériorité, et plus particulièrement dans une zone mal définie et déplaisante entre réalité et intériorité, là où on projette nos désirs et représentations avant de les éprouver dans la "dure réalité. Il y a entre notre intériorité et le réel , une zone tampon où se mêlent nos espoirs et nos déceptions ( les espoirs refusés par la réalité).

-La Contemplation pure vise à résoudre toute opposition entre intériorité et extériorité dans une forme de renoncement qui pourrait en effrayer plus d'un.

-L’anthroposophie se place entre la contemplation et la vie pratique, on peut alors parler d'éthique de vie ( et plus si possibilité)

-La biodanza me parait être plus "curative" puisqu'elle semble donner des directives pour apprendre à vivre. En cela, je crois qu'elle est un compromis entre soin, en vue de la guérison, et éthique de vie. Et seule une minorité " d'élus" pourra depuis la biodanza s'élever vers la joie.

L'instigateur de cette discipline a dû penser sa méthode au regard du désordre physique et mental qui agite l'homme moderne.

Je parlais, ailleurs, des formes d'intelligences et notamment de la classification opérée par H Gardner. Ce qui me fait dire que la biodanza a , au moins, le mérite d'en stimuler quelques-unes plus ou moins ignorées par notre éducation.

Description des intelligences décrites par Howard Gardner

  • Intelligence linguistique. ...
  • Intelligence logico-mathématique. ...
  • Intelligence spatiale. ...
  • Intelligence intra-personnelle. ...
  • L'intelligence interpersonnelle. ...
  • Intelligence corporelle-kinesthésique. ...
  • Intelligence musicale. ...
  • Intelligence naturaliste (1993)



( c'est moi qui colorise)


On sent, en tous cas, une " réaction" à la surévaluation, dans nos sociétés, des l'intelligences linguistique et logico-mathématique ( tests de QI).

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Message par Vanleers Ven 31 Aoû 2018 - 11:34

maraud a écrit:

Il me semble assez clair que la biodanza est un moyen pensé pour " revenir à soi" ( ou à Soi, pour les plus spirituels).


Je suis d’accord pour dire que la biodanza est un moyen de revenir à soi.
Quel est ce moyen et quel rapport a-t-il avec la connaissance du troisième genre ou science intuitive selon Spinoza (le sujet de ce fil).
Je ferai d’abord une citation d’Alexandre Matheron (Le Christ et le salut des ignorants chez Spinoza) :

Alexandre Matheron a écrit: Nous savons en effet, en quoi consiste cette connaissance [du troisième genre] : elle procède de l’idée adéquate d’un Attribut divin à la connaissance adéquate des essences singulières (Ethique II 40 sc. 2) ; elle reconstruit génétiquement ces essences à partir de Dieu, en passant successivement par des niveaux de généralité décroissants, jusqu’au moment où elle arrive à les saisir dans ce qui constitue leur individualité irréductible. Mais toute connaissance, de quelque genre qu’elle soit, se fonde sur la connaissance de notre corps : de même que nous imaginons les choses dans la seule mesure où nous  percevons la façon dont notre corps est affecté hic et nunc, de même, si nous comprenons les choses sub specie aeternitatis, c’est parce que nous comprenons l’essence de notre corps sub specie aeternitatis (Ethique V 29). La connaissance adéquate de n’importe quelle essence singulière a donc pour condition de possibilité la connaissance adéquate de notre essence singulière : plus s’individualise la définition génétique que nous formons de cette dernière, plus nous sommes capables de concevoir les autres essences dans ce qu’elles ont d’individuel, plus grande est notre aptitude à la science intuitive. (p.251)

J’appelle « soi » d’un homme son essence singulière et conscience de soi la connaissance de son essence singulière
Selon Spinoza, une telle essence est connue en procédant à partir de l’idée adéquate d’un attribut divin. Toutefois, ce procès est problématique et difficile comme l’écrit A. Matheron à la suite du passage cité.
Rien ne nous empêche, en droit, d’aller toujours plus loin dans le sens de la particularisation mais force est de constater que notre connaissance en reste, en fait, à un certain degré de généralité et que nous n’atteignons jamais notre essence dans sa singularité foncière.
La biodanza, toutefois, est un chemin qui peut nous conduire assez loin dans la connaissance de l’essence singulière de notre corps, condition de possibilité de la connaissance des autres essences, comme l’écrit A. Matheron.
Il s’agit ici de la connaissance, non pas du corps organique (du corps comme composé d’organes) mais du corps affectif, envisagé dans sa capacité d’affecter et d’être affecté.
Ceci devrait être développé.

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Message par Vanleers Ven 31 Aoû 2018 - 11:56

maraud a écrit:

Je parlais, ailleurs, des formes d'intelligences et notamment de la classification opérée par H Gardner. Ce qui me fait dire que la biodanza a , au moins, le mérite d'en stimuler quelques-unes plus ou moins ignorées par notre éducation.


Rolando Toro, l’inventeur de la biodanza, en parle dans un article de Mai 2002 : L’intelligence affective, qu’on peut lire en :

http://www.biodanza-paula.org/archives_02.htm#mai

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Message par Vanleers Sam 1 Sep 2018 - 12:05

Je cite maintenant la suite du texte d’Alexandre Matheron qui montre combien est problématique la connaissance de l’essence singulière de notre corps :

Alexandre Matheron a écrit: Or, pour savoir ce qu’est notre corps, il faut d’abord savoir ce qu’est le corps humain en général ; et celui-ci à son tour, peut se concevoir adéquatement à plusieurs niveaux : plus se précise le concept que nous en élaborons, plus s’individualise notre connaissance de nous-mêmes. Spinoza, pour  sa part, n’est pas allé très loin dans ce sens. Tant que nous nous en tenons au livre I de l’Ethique, la seule idée adéquate que nous puissions avoir de l’homme est celle d’un mode fini de Dieu, sans plus. Puis le début du livre II, en montrant que la Pensée et l’Etendue sont des Attributs divins, nous fait descendre d’un degré : avec les propositions 10-13, l’homme apparaît comme un corps, c’est-à-dire comme un mode fini de l’Etendue, et comme l’idée, ou mode fini de la Pensée, qui exprime objectivement ce corps existant en acte. La définition qui suit la proposition 13 nous fait faire un troisième pas : elle nous permet de concevoir ce corps comme étant un corps composé. Enfin, les six postulats suivants, dont l’ensemble nous donne l’équivalent d’une définition génétique un peu plus précise, nous amènent au niveau qui sera celui de tout le reste de l’ouvrage : ce corps composé se caractérise par son très haut degré de composition et par la très grande variété de ses composants (parties fluides, parties molles et parties dures) ; d’où son aptitude à subir un très grand nombre d’affections, à être régénéré, à conserver les traces de ses affections passées grâce à l’action des parties fluides sur les parties molles, et à disposer les corps extérieurs d’un très grand nombre de façons. Le concept ainsi construit, remarquons-le, est encore si général qu’il pourrait tout aussi bien s’appliquer à d’autres êtres : Spinoza n’est même pas arrivé à définir l’homme en tant que tel, dans ses caractéristiques spécifiques. Par rapport à l’omniscience de l’Entendement infini, c’est dérisoire ; et pourtant, c’est de là que se déduira toute l’Ethique. Mais rien ne nous empêche, en droit d’aller plus loin. Bien plus : le scolie de la proposition 4 du livre V nous invite expressément à poursuivre ; plus nous progresserons dans la connaissance de notre nature, nous indique-t-il, plus nos passions se transformeront en idées claires. (pp. 251-252)

Plusieurs remarques.

1) Il est frappant de constater à quel point la science du corps humain de Spinoza est rudimentaire.
Tout ce qu’il écrit savoir de ce corps, c’est qu’il est très composé (de parties fluides, molles et dures), qu’il peut être affecté et affecter d’autres corps de beaucoup de façons, qu’il garde des traces de ses rencontres avec d’autres corps et qu’il peut être régénéré.
Et c’est tout.
Cela ne s’applique d’ailleurs pas qu’à l’homme et Spinoza ne dit même pas que le corps humain est le plus complexe des corps finis.
L’esprit étant l’idée du corps, Spinoza ne soutient donc pas non plus que l’esprit de l’homme soit le plus élaboré des esprits finis.
Et pourtant, aussi rudimentaire soit-il, ce savoir a suffi à Spinoza pour en déduire toute l’Ethique.

2) Nous en savons beaucoup plus sur le corps humain aujourd’hui qu’au XVII° siècle.
Mais, d’une part, ce savoir n’invalide pas celui de Spinoza tant celui-ci a été prudent et s’est appuyé sur une connaissance du corps générale et sommaire.
D’autre part, on peut espérer que ce nouveau savoir nous permettra d’aller plus loin dans la connaissance du troisième genre qui, comme A. Matheron l’a souligné, part de la compréhension de l’essence singulière de notre corps sub specie aeternitatis.

3) La biodanza, mais ce n’est pas la seule pratique corporelle, nous fait progresser dans la connaissance de la nature de notre corps.
En effet, mettre le mental au repos, c’est neutraliser la connaissance spontanée du premier genre, mutilée et confuse, et s’ouvrir, dans la vivencia à une connaissance de nos affects différente.
Ainsi, nous pouvons davantage nous comprendre clairement et distinctement ainsi que nos affects (cf. Ethique V 4) ce qui nous fait progresser dans la connaissance de notre nature comme l'écrit A. Matheron.

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