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(Science)-fiction et philosophie

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Message par AlexisP Ven 19 Fév 2016 - 11:57

Alors bien que je ne sache pas si la science fiction comme genre littéraire soit appréciée par ici ou bien connue, j'ai quand même envie de poser la question : quel est le rôle dans la science fiction dans l'élaboration d'un discours philosophique ? Et en général j'aimerais réfléchir avec vous aux rapports entre fiction et philosophie.

Tout d'abord il ne faut pas recouvrir la science fiction avec des contenus trop futuristes (bien que cela soit possible). En effet, nous pouvons admettre qu'une fable du type "Anneau de Gygès" dans la République de Platon constitue déjà en un sens un récit de science fiction. Dans ce cas me direz vous : pourquoi parler de science et non pas seulement du rapport entre philosophie et fiction ? Tout d'abord parce qu'il s'agit souvent d'anticiper des développements technologiques que l'on imagine être à la portée de l'être humain et qu'ensuite on se pose la question de la transformation des problèmes éthiques ou épistémologiques en fonction de ces développements. Ainsi le concept d'état de nature est par exemple bien une fiction qui permet d'interroger anthropologiquement l'homme et la genèse du pouvoir politique en revanche il ne s'agit pas de science fiction dans la mesure où l'on ne présuppose pas ici la possibilité pour l'homme de pouvoir connaître cet état (on pourrait  discuter en revanche du fait de savoir si des fictions de fin du monde liées à des développements technologiques de type guerre nucléaire totale ou virus mondial etc. comme on en retrouve dans des jeux ou bandes dessinées voire romans et permettant d'imaginer un monde post-apocalyptique, sont des récits de science fiction à proprement parler. Ils permettent souvent d'interroger les changements dans les constructions sociales et morales des hommes). Donc il s'agit bien en général de penser des dérives ou évolution de certains systèmes déjà en place, bref de comprendre qu'une partie de notre épistémologie ou de notre morale ou de notre système politique dépend essentiellement d'une forme de rationalisation du monde que la science fiction interroge et distord. Il devient par exemple possible de se poser la question de savoir si les mondes de science fiction que l'homme peut imaginer sont nécessairement déjà rationalisés (et en ce sens ne seraient que des hypertrophies de mécanismes déjà en place) ou si l'on peut imaginer un monde non-humain.

Ensuite j'aimerais quand même en général interroger avec vous les rapports entre imagination et philosophie ou entre fiction et philosophie. C'est à dire traiter la science fiction comme un cas particulier d'un processus de pensée plus général qui consiste à exagérer, grossir le trait, comme Socrate lorsqu'il souhaitait comprendre dans la République l'ordre des fonctions de l'âme à partir d'un effet grossissant de l'ordre politique. Bref en ce sens la question la plus importante est celle-ci : Quel type de vérité ou de rationalité créons nous lorsque nous atteignons une compréhension d'une philosophie à partir d'une fiction ? Quelle valeur de vérité ce résultat possède t-il ? Pourquoi sortir du réel nous permet de le comprendre mieux et est ce que cette amélioration de l'intelligibilité ne se paye pas du prix d'une inefficacité ?

Enfin, la question à mon sens la plus importante bien qu'elle soit plus générale et qu'elle découle de ce qui précède : Existe-il des philosophies qui ne soient pas fictionnelles ? La fiction ici n'est donc pas reléguée au rang de l'exemple, de l'illustration, de l'artifice méthodologique (comme chez Platon plus haut) mais rehaussée au niveau du type de rationalité que met en place le philosophe lorsqu'il décompose ce qui ne se présente que de manière mélangée, imagine des politiques idéales, réorganise l'entendement selon des catégories, suit la genèse de nos idées abstraites à partir des données empiriques primaires, comprend toutes les formes de développement du réel à partir d'une dialectique, ou des développements politiques à partir d'un système de lutte de classes, bref. Que faisons nous lorsque nous philosophons si ce n'est raconter une histoire avec des règles inventées pour décrire un monde imaginaire ? Nous compliquons les règles, les auteurs ne les énoncent d'ailleurs pas mais laissent leurs interprètes les découvrir, et nous pensons avoir décrit du réel à partir de la complexité croissante de nos systèmes de description. Comment philosopher sans raconter ? Et est-ce possible et souhaitable ?

Voilà les trois points que je trouve important, qu'en pensez vous ?

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Message par poussbois Ven 19 Fév 2016 - 13:42

Pourrais-tu lister les auteurs philosophiques dont tu parles ? À part Platon, dont je pense qu'on peut avoir une lecture plus ancrée dans le réel que ce que tu présentes. J'ai en tête des auteurs qui sont loin d'être des adeptes de la fiction et bien dans la réalité de leur temps, au hasard et très vite : HD Thoreau, JS Mill...

Pour les rapports Philo / Fiction, ça dépend directement de l'appétence des auteurs avec ce domaine très particulier. Là encore, quelques auteurs : Sturgeon, Orwell... La situation fictionnelle permet d'exacerber des situations pour en dénoncer les dérives (Orwell) ou pour s'interroger sur notre propre conscience de soi (Sturgeon).

Les autres références que j'ai concernent plus de la politique-fiction que des contes philosophiques.


A mon avis, il serait plus intéressant de se rapprocher de la poïesis pour comprendre le rôle de la SF dans la philosophie : l'acte créateur, le "travail" grec qui était beaucoup plus fertile que notre travail moderne plus servile. L'opposition que tu trouves entre empirisme et imagination vient peut-être d'une approche un peu trop moderne de la philosophie.

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Message par euthyphron Ven 19 Fév 2016 - 15:23

Je te remercie pour cette ouverture intéressante.
AlexisP a écrit:j'ai quand même envie de poser la question : quel est le rôle dans la science fiction dans l'élaboration d'un discours philosophique ? Et en général j'aimerais réfléchir avec vous aux rapports entre fiction et philosophie.
Quelque chose me gêne, c'est que les deux questions me semblent totalement différentes. A la première, j'ai envie de répondre "aucun", sauf désir particulier de l'auteur du discours en question, mais cela relève de sa liberté d'auteur, justement. Autrement dit, l'absence totale de référence à la science-fiction n'est en rien préjudiciable à la qualité du discours philosophique.
La seconde en revanche touche aux fondements de la démarche rationnelle. C'est un magnifique sujet de thèse. Pour le dire le plus rapidement possible, je n'imagine même pas ce que pourrait être une philosophie sans fiction. Que seraient Platon sans les mythes, Descartes sans le malin génie, Spinoza sans le déterminisme, Kant sans Dieu souverain juge, Nietzsche sans la volonté de puissance, Comte sans la loi des trois états, etc, etc (Sartre sans garçon de café (Science)-fiction et philosophie  2708159185 )?
La différence peut-être la plus significative opposerait ceux qui savent que leur fiction est une fiction et ceux qui l'ignorent.
AlexisP a écrit:En effet, nous pouvons admettre qu'une fable du type "Anneau de Gygès" dans la République de Platon constitue déjà en un sens un récit de science fiction. Dans ce cas me direz vous : pourquoi parler de science et non pas seulement du rapport entre philosophie et fiction ?
Je te le dirai en effet, mais ta réponse ne me convainc pas. Ce n'est pas parce qu'on peut toujours écrire un scénario de SF inspiré de l'histoire de Gyges que cette histoire est un récit de SF. C'est une légende, sans lien direct avec la science.
AlexisP a écrit:Ainsi le concept d'état de nature est par exemple bien une fiction qui permet d'interroger anthropologiquement l'homme et la genèse du pouvoir politique en revanche il ne s'agit pas de science fiction dans la mesure où l'on ne présuppose pas ici la possibilité pour l'homme de pouvoir connaître cet état.
Nous sommes bien d'accord. De la fiction, pas de la science-fiction.  
AlexisP a écrit:Ensuite j'aimerais quand même en général interroger avec vous les rapports entre imagination et philosophie ou entre fiction et philosophie. C'est à dire traiter la science fiction comme un cas particulier d'un processus de pensée plus général qui consiste à exagérer, grossir le trait, comme Socrate lorsqu'il souhaitait comprendre dans la République l'ordre des fonctions de l'âme à partir d'un effet grossissant de l'ordre politique. Bref en ce sens la question la plus importante est celle-ci : Quel type de vérité ou de rationalité créons nous lorsque nous atteignons une compréhension d'une philosophie à partir d'une fiction ? Quelle valeur de vérité ce résultat possède t-il ? Pourquoi sortir du réel nous permet de le comprendre mieux et est ce que cette amélioration de l'intelligibilité ne se paye pas du prix d'une inefficacité ?
Questions fondamentales, encore une fois. Je ne suis pas sûr qu'on puisse répondre en général. Je voudrais faire remarquer que lorsque nous comprenons quelque chose à partir du réel (aïe, le feu brûle!) le processus mental par lequel nous en induisons un enseignement n'est pas forcément d'une autre nature que celui par lequel nous tirons une leçon d'une fable (attention à ne pas être trop dépourvu quand la bise sera venue). La différence serait que nous sommes davantage frappés par l'événement réel, mais justement ce n'est même pas sûr. La chose la plus triste qui me soit arrivée est la mort de Lucien de Rubempré dans Splendeurs et misères des courtisanes, aurait dit Oscar Wilde.
AlexisP a écrit:Enfin, la question à mon sens la plus importante bien qu'elle soit plus générale et qu'elle découle de ce qui précède : Existe-il des philosophies qui ne soient pas fictionnelles ?
Je me sens prêt à soutenir que non. Bien entendu, ce n'est pas du tout un reproche fait à la philosophie, mais plutôt un hommage à la littérature.


Dernière édition par euthyphron le Ven 19 Fév 2016 - 18:22, édité 1 fois

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Message par kercoz Ven 19 Fév 2016 - 16:04

Bonjour Alexis P.
Quand tu écris :

[quote="AlexisP"Ainsi le concept d'état de nature est par exemple bien une fiction qui permet d'interroger anthropologiquement l'homme et la genèse du pouvoir politique en revanche il ne s'agit pas de science fiction dans la mesure où l'on ne présuppose pas ici la possibilité pour l'homme de pouvoir connaître cet état [/quote],

il reste à définir le concept d' "état de nature" pour discuter ton affirmation.
Admettre qu' un état de nature n' a pas existé c'est valider comme "normal" un état erratique auquel nous sommes confronté.
Pourtant, il me semble possible de définir un "état de nature" pour notre espèce. Si l' on définit comme état de nature un état stable ( du moins à l' échelle des temps historique), on peut en repérer au moins 2:
- l' état pré hominidé, en remontant au maillon commun existant avant la socialisation ( c'est pas évident!)
- l' état hominidé voire humain, socialisé, stabilisé sur ses boucles trophiques. Rien ne s'oppose à ce que ces individus ne possèdent pas nos capacités sociales et intellectuelles ( peut être paléo, début néolithique).
J'ai tendance à conserver le qualificatif " état de nature" du fait de la permanence et l' appartenance aux boucles trophiques et à la similitude structurelle commune aux autres espèces sociales.
Comme pour les autres espèces sociales, je placerais le "Contrat Social" au début de la socialisation et non, pour l' homme à sa sortie pour raison d' étatisation ou d ' hypertrophie.
L' état "culturel" étant une seconde nature aussi bien pour l' humain que pour les corvidés.
Chez les autres espèces c'est un état stabilisé. Il serait surprenant que cet état n' existe pas pour nous , ou qu' il n' ait jamais existé. Il est même probable que la sortie de cet état soit tres récente ( néolithique) et ne concerne qu' une infime partie de la durée de la partie socialisée de notre espece.
La science fiction implique une uchronie, ce qui implique l' existence d' une "histoire". Si, comme je le suppose, un "état de nature" peut exister, il interdit l' Uchronie puisqu'il interdirait l' histoire. ( les peuples heureux n' ont pas d' histoire).



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Message par Courtial Ven 19 Fév 2016 - 20:18

euthyphron a écrit:La seconde en revanche touche aux fondements de la démarche rationnelle. C'est un magnifique sujet de thèse. Pour le dire le plus rapidement possible, je n'imagine même pas ce que pourrait être une philosophie sans fiction. Que seraient Platon sans les mythes, Descartes sans le malin génie, Spinoza sans le déterminisme, Kant sans Dieu souverain juge, Nietzsche sans la volonté de puissance, Comte sans la loi des trois états, etc,

J'aime bien le pâté d'alouettes et, dans le pot-au-feu, qu'il y ait des carottes et aussi des navets, mais on peut sérier un peu, peut-être ?
Quand Platon nous parle de la Caverne, il dit qu'il va raconter une histoire. Et Nietzsche n'essaye pas de nous faire croire que Zarathoustra est un type qui existe vraiment.
Nous sommes donc, littérairement, dans le genre "fiction".

La volonté de puissance, le Cogito ou le déterminisme, c'est un peu autre chose.
Les Idées aussi sont fictives, c'est un concept forgé par Platon et qui n'étaient pas avant lui (même si, par modestie excessive et sans doute feinte, il dit le contraire), mais c'est un autre type de fiction.

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Message par euthyphron Ven 19 Fév 2016 - 20:41

Eh bien oui, il y a plusieurs espèces de fictions.
Il serait donc intéressant de les classer. Je n'ai rien en magasin à présenter, mais il me semble qu'il y aurait au moins la fiction sur le mode du récit (tous les mythes), sur le mode de l'allégorie (la caverne, le malin génie), ou sur le mode du concept (l'état de nature, Dieu comme postulat de la raison pratique, le déterminisme universel).
En ai-je oublié?
Une autre question serait de savoir ce qu'il y a de commun à toutes ses espèces, donc ce qui fait que la fiction est fiction. Là dessus je n'ai rien à dire de plus que ce que dit le bon gros bon sens : ou bien ce que je dis prétend être réel, j'en témoigne, je l'ai vu ou si ce n'est moi c'est donc mon frère, ou bien ce que je dis s'avoue fictif et on n'a pas à exiger que ce soit conforme à quelque fait d'expérience.
Evidemment, la difficulté ou les polémiques commencent quand ce qui est fictif est néanmoins présenté comme réel. Il me semble qu'il y a quelques bisbilles de ce genre dans certaines discussions avec des croyants de religions bien connues.
Mais rappelons qu'il n'y a rien de déshonorant dans le recours à la fiction, qui me paraît au contraire nécessaire.

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Message par Ataraxie Ven 19 Fév 2016 - 21:04

L'imagination très bien, mais la narration ? Quelle place vous lui faites lorsque vous parlez de "récit" ? Parce que cette narration possède ses propres caractéristiques et celles-ci n'impliquent pas d'être nécessairement une fiction.
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Message par euthyphron Ven 19 Fév 2016 - 21:27

Bien entendu, toute narration n'est pas fictive.
Même s'il peut être considéré comme une interprétation du réel, qui sélectionne ce qui est digne d'être raconté et ce qui ne l'est pas, pour ne mentionner que le plus évident des facteurs de variation, un témoignage est à la fois narratif et non fictif.
Mais où veux-tu en venir?

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Message par Courtial Ven 19 Fév 2016 - 22:16

Ataraxie a écrit:L'imagination très bien, mais la narration ? Quelle place vous lui faites lorsque vous parlez de "récit" ? Parce que cette narration possède ses propres caractéristiques et celles-ci n'impliquent pas d'être nécessairement une fiction.

Me paraît essentiel. La narration, la mise en récit (tout lyotardisme étant mis à part pour l'instant, mais on peut noter au passage que c'est à lier à l'historicité) a ses guises propres.
Si je veux raconter ce qui m'est arrivé hier soir ou une blague, une histoire drôle, etc. , je vais être exposé à des règles d'ordre (que je respecterai ou pas), la question va être : par quoi je commence, qu'est que je mets avant, qu'est-ce qui doit être dit après, etc. Qu'est-ce qui est significatif et qu'est-ce que j'omets parce que cela n'appartient pas à l'histoire, etc.
J'ai dit ailleurs mon admiration pour Tournier à ce point de vue, il sait raconter.

Hier soir, j'ai rencontré un vieil homme qui m'a dit que j'avais de la chance. Je lui ai répondu que c'était lui qui n'avait pas de chance. J'ai retiré un billet d'opération financière dans un DAB. Je me suis rendu compte que je n'avais plus de monnaie en poche. J'ai fait un retrait de 40 euros. J'ai vu que je n'avais aucun billet dans mon portefeuille. C'était l'anniversaire de mon beau père.
Bref, je peux continuer, vous n'y comprendrez rien.
L'histoire est que voulant offrir un bouquin à mon beau-père, je suis allé retirer des sous au DAB et que je suis parti sans prendre l'argent (mais bien mon billet de transaction) : je m'en suis aperçu à temps pour avoir un dialogue avec la personne suivante au DAB.

Dans cet exemple, sans doute pas très bon, on peut voir que ce n'est pas clair parce que je ne respecte pas la chronologie, mais dans d'autres cas (par exemple la blague, ou dans L'allégorie de la Caverne) ce n'est pas une affaire de chronologie.
Il y a aussi des faits que j'élimine du récit comme n'y appartenant pas. Je ne vous dirais pas ce que j'avais comme chaussures ou si j'étais bien ou mal rasé, ni non plus si, à ce moment, j'étais plus amoureux de Fernande ou de Manon. Il y a donc ce que je montre et ce que j'écarte, des mises en lumière et des adombrations (des Abschattungen - ou qui en résultent-, comme on dit chez nous dans le Périgord).

Ceci peut se retrouver naturellement dans la fiction du philosophe : ce qu'on met en lumière et ce qu'on adombre, et surtout "l'ordre des raisons" a fortiori.

Euthyphron veut dégager un commun, un Même.
J'ai une interprétation rassurante et une inquiétante de cette initiative.
Le rassurant : platonisme basique. Après tout, nous sommes dans le monde du fingere - de la poiesis, mais je veux faire signe vers le français - le forger, le fabriquer, produire, feindre. Que  l'idée forgée soit un bout de glaise ou une construction intellectuelle, ou une oeuvre, ou un instrument scientifique, etc., tout cela doit bien avoir un Même, qui est le fingere comme tel.
Plus inquiétant dans l'interprétation : la lacoue-labarthisation d'Euthyphron soi-même. Je ne commenterai pas un spectacle aussi violent et cruel.
Au moins pas tant que la modération n'aura pas institué un filtre parental pour ce forum.

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Message par Ataraxie Ven 19 Fév 2016 - 22:24

euthyphron a écrit: Bien entendu, toute narration n'est pas fictive.
Même s'il peut être considéré comme une interprétation du réel, qui sélectionne ce qui est digne d'être raconté et ce qui ne l'est pas, pour ne mentionner que le plus évident des facteurs de variation, un témoignage est à la fois narratif et non fictif.
Mais où veux-tu en venir?
A une clarification. Alexis utilise le terme "récit" et se concentre sur la science-fiction, laissant entendre qu'il ne parle pas de fiction tout court mais de fiction narrative ; tu sembles d'accord avec lui mais parmi les exemples que tu cites certains ne sont pas des narrations. J'ai vu ton message sur les différents "types de fictions" après avoir posté le mien - ceci explique cela - et j'ai vu que tu avais mis de côté les fictions non-narratives. (Et incidemment, maintenant que tu as fait cette distinction, je dois dire que le dernier cas, que tu appelles "sur le mode du concept", est le plus ennuyeux. En tout cas je ne le retiendrais pas pour illustrer l'importance de l'imagination en philosophie.)
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Message par euthyphron Ven 19 Fév 2016 - 22:57

Je ne sais pas ce qu'est une lacoue-labarthisation. Sans doute est-ce ce que Ricoeur appelle une métaphore vive, dont on trouve l'explication dans quelque rituel sado-masochiste heureusement fictif. lol
Quant à la clarification il y a encore du chemin à faire, oui, je suis d'accord.
Pour l'instant, quelque chose ne me satisfait absolument pas, dans ce que j'ai moi-même écrit. C'est qu'on pourrait croire qu'entre le fictif et le réel il n'y a rien. C'est ceci qui n'est pas clair.
Car entre le fictif et l'empirique il y a quelque chose, oui, et c'est une bien vieille habitude prise par les philosophes que de chérir cet espace. Peut-être convient-il de l'appeler transcendantal? Par exemple, le concept de volonté générale, que l'on doit à Rousseau, n'est ni empirique ni fictif. Il ne s'agit pas d'une volonté générale "existante" ni non plus imaginaire, mais d'une idée transcendantale nécessaire à la compréhension du contrat social.


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Message par AlexisP Sam 20 Fév 2016 - 0:00

Il y a en effet plusieurs questions différentes.

La première concerne particulièrement la science fiction qui constitue le lieu conceptuel de nombreuses réflexions philosophiques. Quand je parlais de Gygés en l'associant à de la science fiction c'est parce qu'il s'agit bien d'un moyen technique que l'être humain peut espérer développer un jour (l'invisibilité) et qui interroge alors immédiatement les racines de notre obéissance sociale etc. Ainsi il y a science fiction dès que l'on distord des règles conceptuelles, temporelles, sociales pour faire apparaître par contraste une vérité sur notre monde. En cela, cette pensée par contraste est peut-être le propre de la fiction qui cherche dans l'étranger à souligner le familier (ce familier qui l'est tellement qu'il finit par ne plus jamais être interrogé autrement que par ce détour préalable). Enfin c'est bien la question de la rationalité de l'imaginaire qui apparaît lorsque l'on réfléchit à la science-fiction comme artifice philosophique : quels mondes puis-je imaginer ? Quelles règles puis-je modifier ? Comment mon imaginaire est dépendant d'un paradigme (en un sens kuhnien) et quelles en sont les variables ?

La seconde question se pose plus particulièrement concernant les rapports entre intelligibilité (d'un propos philosophique ici) et imagination. En l'occurrence le recours à la fiction peut se comprendre en un sens commun : raconter une histoire pour justifier un propos. L'histoire de la philosophie foisonne de ce genre d'exemples (on peut penser à la parabole de Pascal au début des Trois discours sur la condition des grands par exemple). Mais la fiction comme illustration me semble être un sens trop faible. C'est pour cela que j'ai précisé qu'il fallait questionner la nature (ou non) fictionnelle du mode de la philosophie (lorsqu'elle se fait système ou doctrine notamment). Ce que dit Courtial sur le récit est alors assez clair et s'applique selon moi aux différents systèmes philosophiques en ce qu'ils présentent au moins une logique d'exposition, une organisation, des personnages récurrents, des verbes d'actions (parfois littéralement imagés mais non reconnus comme tels, parfois remplacés par de nouvelles performances ou fonctions qui dérivent inévitablement en image), bref. Mais à quoi correspondent-ils ? Si l'on prend le cas de l'épistémologie kantienne, même en respectant le "lieu" transcendantal de ces fonctions (qui agit ici comme un infalsifiable dans la mesure où notre conscience phénoménale les présuppose sans les rencontrer), on se retrouve face à des fonctions abstraites et séparées les unes des autres et que le philosophe doit organiser via un récit plus ou moins rigoureux afin de justifier la légitimité de sa description. En un autre sens, des réalités symboliques comme la volonté générale de Rousseau ne prennent sens que par la croyance générale en la volonté générale. D'une certaine manière, et sur le mode des prophéties auto-réalisatrice (cf. La volonté de croire de William James qui admirable sur ce thème), une fiction philosophique devient réel à partir du moment où des individus en font un motif d'action.

En général peut être que si l'on réduit l'activité philosophique (dans les systèmes modernes par exemple) à des modes de description qui recherchent une fidélité et une intelligibilité d'un concret déjà donné, alors ces systèmes ne peuvent (par opposition) qu'être des abstractions qui cherchent à se raffiner en parallèle d'expériences concrètes (et nous n'avons encore rien dit de ce "réel" ou "concret" et de sa nature). Et l'un des instruments de ce raffinement et de cette augmentation dl'intelligibilité du réel consiste à travailler sur la cohérence même de la description par systématisation. Peut-être que toute rationalité est narrative en ce sens.

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