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Littérature et philosophie

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Message par Vargas Jeu 6 Sep 2007 - 19:44

Fi, ô filature solitaire



Ce sujet centralise différentes études postées ou à venir et qui traitent des rapports tissés, des regards, des bisous et des baffes échangés entre littérature et philosophie.
Un couple éternellement frontalier !
Il peut aussi servir de "table ronde" autour de ces rapports pour déterrer de nouvelles pistes ou juste proposer quelques idées fugitives.


***



( Achevé )

Dans ce fil de discussion :
- Quelques pistes

Ailleurs :

- Qu'est-ce que la littérature, de Sartre (mon JPS à moi)


( Un jour... )

- Sterne et l'associationnisme lockien (Tristram Shandy)

- Unité du triptyque de Rousseau :
le complexe pédagopolitico-romanesque (Le contrat social / Emile / La nouvelle Héloïse)

- Escarmouches de genre autour de Bataille (avec Dostoïevski, Nietzsche, et Chestov en guest stars)

- Musil et l'essayisme (L'homme sans qualité)

- Proust et Bergson : Je t'aime/Moi non plus/J'ai tout inventé.


Dernière édition par le Ven 9 Nov 2007 - 19:31, édité 3 fois
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Littérature et philosophie Empty Quelques pistes

Message par Vargas Jeu 6 Sep 2007 - 19:57

Quelques pistes




Voici un début de répertoriage sur la façon dont littérature et philosophie s'articulent chez quelques auteurs et quelques pistes par l'exemple.
Toutes les citations sont tirées de Littérature et philosophie (éditions Artois Presses Université, études recueillies par P.Zard et A.Tomiche)


* Pour Charles Courtel :
- la position platonicienne est celle « qui évince les poètes après les avoir célébrés »
-La position aristotélicienne est plus ouverte mais, dès lors qu'elle « situe l'œuvre littéraire, poétique ou encore théâtrale, dans une propédeutique morale », aboutit à une forme d'annexion.
-La position hégélienne « intègre les œuvres littéraires au sein d'un système où chaque production spirituelle particulière est un moment dans le déploiement de l'esprit », la littérature y sert d'illustration et de préparation à la réflexivité philosophique.


* L'époque des Lumières, avant la Tour de Babel (cf l'étude d'A. Léon-Miehe).
- Un des sens de littérature au XVIIIème siècle est la culture du lettré, l'art de penser et de s'exprimer ; c'est donc une définition bien plus large qui comprend la culture qu'on a, la rhétorique, la réflexion.
- Pour Diderot, la littérature est un savoir d'imitation et d'expression distinct des savoirs de la récognition et de la représentation (les sciences) et des savoirs de la production (les métiers) ; c'est un art qui se propose d'étudier l'effet qu'ont les choses sur nous, leur valeur ainsi que d'en dégager la morale.
La littérature est conçue comme fiction verbale alliant imagination et sensibilité », ce qu'on retrouve chez Condillac et son « sensualisme » (« philosopher, c'est apprendre à bien parler sa langue ») : le langage comme point de jonction entre littérature et philosophie, il en est aux bases, à l'essence des deux.
- De même, la philosophie, au XVIIIème, recouvre aussi beaucoup de chose, il y a difficulté à spécifier ses pratiques, bien qu'elle détermine les autres domaines de savoir. Philo signifie alors : encyclopédie, théorie de la connaissance, anthropologie et épistémologie.
Le terme renvoie de plus au savoir-vivre et penser d'un esprit curieux, lequel doit s'intéresser à divers domaines (c'est le mythe ou le souhait de l'homme complet, comme à la Renaissance, mais les domaines ont changé : moins de classique et de langues anciennes, plus de commerce).
- Importance de l'éclectisme. Donc le savant, le moraliste et le pamphlétaire sont aussi philosophes au XVIIIème. Pour R. Pomeau (La religion de Voltaire) : « Quand on traite de la "philosophie" au XVIIIème, il faut abattre les cloisons que le positivisme du siècle suivant dressa entre métaphysique et science.
La « philosophie », et d'abord celle des lettres classiques, est un mélange de métaphysique, de science, d'attaques contre la religion et d'audaces politiques.
»


* Chez Bakhtine, ou encore Kundera (L'art du roman), est exprimé le rapport d'ambiguïté incontournable qui existe entre littérature et philosophie. On retrouve l'opposition devenant traditionnelle entre le sérieux, l'énoncé doctrinal pour la philosophie, tel que peut le figurer le projet kantien de « mettre la philosophie sur la voie sûre d'une science » (Critique de la raison pure) et la force d'une certaine relativité, le doute et l'ironie pour la littérature comme par exemple pour le romantisme allemand, Musil, Mann, Borges ou Kafka.
Musil dénonce les « systèmes », ce qui révèlerait la nature tyrannique de la philosophie.
Même refus chez Charles Péguy, autre frontalier philo /rature. Pour C. Courtel, c'est le « refus d'un système qui fait de ce qui est autre un simple moment d'affirmation et de confirmation du même », mettant en péril la richesse et la complexité de l'expérience.
- Pour Camus, si proche de ce qui est en jeu dans l'existentialisme, s'il affirme son indépendance, sa distance par rapport au courant existentialiste de son époque, c'est qu'il ne souhaite pas dans ce qu'il exprime y perdre l'irréductibilité de la vie, et se méfie de toute reconstruction conceptuelle totalisante.

- A l'ambition scientifique, résisterait la vocation poétique.
Merleau-Ponty, Heidegger, eux, n'ont pas voulu choisir entre les deux.
Pour C .Crowley la formulation de ce dernier serait « l'heureuse collaboration entre la littérature, entendue essentiellement comme poème, et la philosophie entendue comme une méditation post-métaphysique ».
- Quant à la formulation foucaldienne, elle propose la littérature comme retour réflexif du langage sur lui-même.
Mais dans ces deux derniers cas encore, c'est la philosophie qui dit à la littérature ce qu'elle doit être.


* La dimension achevée, finie du livre littéraire diffère formellement et fondamentalement de la thèse philosophique, ce qui rend l'échange difficile.
Le livre se suffit à lui-même, il est une réalité qu'on évoque et qui peut ne renvoyer à rien d'autre qu'elle-même. En somme, elle est plus ou moins parallèle à ce qui est, ne coïncide pas avec ce qui est. La littérature, comme l'art en général, par son existence implique que la vie ne se suffit pas à elle-même.
La thèse, le système philosophique au contraire est englobant et ne peut qu'aller vers, en se confrontant à ce qui est. La philosophie contourne par défaut le problème en réifiant le littéraire, comme objet d'étude, voire comme outil d'étude.
Mais c'est alors nier la dimension esthétique, le cœur du problème.
- A. Camus, Le Mythe de Sisyphe, chapitre "Philosophie et roman" : « Les grands romanciers sont des romanciers philosophes » Mais si Dostoïevski se contentait de poser avec une intensité une question métaphysique fondamentale, « il serait philosophe. Mais il illustre les conséquences que ces jeux de l'esprit peuvent avoir dans une vie d'homme et c'est en cela qu'il est artiste. »


* En parallèle se pose la question du style, de l'écrire pour le philosophe afin d'exprimer sa pensée de la façon la plus adéquate, fidèle possible. Enjeu du métaphorique cerné apr Ricoeur. Difficulté qu'a tenté d'affronter Sartre pour La Nausée :
J'aurais rêvé de n'exprimer mes idées que dans une forme belle- je veux dire dans l'œuvre d' art, roman ou nouvelle. Mais je me suis aperçu que c'était impossible. Il y a des choses trop techniques, qui exigent un vocabulaire purement philosophique. Aussi je me vois obligé de doubler, pour ainsi dire, chaque roman d'un essai.
- Chez Musil, l'impossibilité de concilier dimension esthétique et théorique explique l'inachèvement de son œuvre : « Ne faudrait-il pas dire simplement que je n'ai pas eu le courage de traiter en penseur et en savant mes préoccupations philosophiques, de sorte qu'il me faut les introduire subrepticement dans mes récits, les rendant impossibles ? »
Il y a inachèvement mais pas échec, échec mais pas renoncement pour autant : ces deux auteurs illustrent avec d'autres le fait que la philosophie a bénéficié au renouvellement du roman tant au niveau générique que formel (avant l'aventure du Nouveau roman de Robbe-Grillet, et de façon plus intéressante, oserai-je soutenir). En même temps que cela a offert à la philosophie une passerelle contemporaine via le médium littéraire tant que c'est la vie qui est évoquée. Dernier exemple en date : L'Eternel retour de M. Surya.


* Les correspondances-dialogues-interprétation entre philosophe et écrivain.
- Bergson pour Proust (ce dont Blanchot a parlé) au sujet de la mémoire et du temps tel que la conscience l'appréhende.
Husserl et Freud pour Musil qui juge leurs système comme simple réductionnisme, il fait plutôt appel à Nietzsche pour son esthétisme vital, (auquel 2 des personnages de L'homme sans qualité font référence).
- Vice-versa, Deleuze (Logique du sens) utilise la traduction d'Artaud de la rencontre entre Alice et Humpty Dumpty pour traiter du langage en général.
Pour A. Tomiche, Deleuze commet une erreur d'analyse : Deleuze voit dans la traduction d'Artaud les signes d'une psychose (il faut dire qu'à l'origine cette traduction lui a été demandé par son psy comme exercice d'art thérapie, mais Artaud l'a poursuivi après sa sortie de clinique) :
« Les mots-souffles et les mots-cris d'Artaud sont moins le signe d'une psychose destructrice des articulations de la langue que la recherche de l'inscription de la dimension énergétique- et pas seulement sémantique – de la langue dans l'écrit. »


* L'exemple de La Nausée (1938) : marque le début de la renommée littéraire de Sartre. Mais problèmes à l'époque : œuvre jugée ambiguë, inclassable : roman, essai, satire, méditation métaphysique, confession, cours de philosophie travestie en roman ? Tout a été supposé.
A la fin, par sens du compromis, on emploie le terme gidien de roman d'idée, ce qui est bien ironique quand on sait à quel point Sartre a pu plagier Gide à ses débuts tout en le classant, lui le grand auteur de son époque, dans l'ancienne génération que la sienne serait en train de remplacer.
Cette difficulté formelle provoque le début d'un malentendu au sujet de Sartre, non dénué de rapport avec son succès et l'image qui va lui coller à la peau pendant des années : on le considère comme un philosophe qui écrit des romans.
Sartre a écrit:Suis-je philosophe ou suis-je littéraire ? Je pense que ce que j'ai apporté depuis mes premières œuvres, c'est une réalité qui soit les deux ; tout ce que j'ai écrit est à la fois philosophie et littérature, non pas juxtaposée, mais chaque élément donné est à la fois littéraire et philosophique, aussi bien dans les romans que dans la critique
(JPS et M. Sicard, L'Ecriture et la publication, entretien).
Et Beauvoir d'affirmer ce métissage volontaire : « exprimer sous une forme littéraire des vérités et des sentiments métaphysiques. » (La force de l'âge).

***


En somme, littérature et philosophie sont deux langues distinctes, traitant des même sujets par delà les cultures, mais avec des règles syntaxiques, des intonations différentes.

Traduire l'un dans l'autre, c'est trahir ; déterminer, fonder l'un au moyen de l'autre, c'est mentir ; mélanger les deux, c'est entamer le dialogue (souvent de sourd), affirmer la supériorité de l'un sur l'autre, c'est concéder au malentendu.
Néanmoins, ce n'est que le pan négatif de rapports de force, au demeurant, créateurs.

Des esthétiques de vie à la croisée des chemins.
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Message par talvera Dim 1 Mai 2016 - 18:00

Forum philosophie - Science et philosophie - Vangelis le Ven 22 Fév 2013 - 20:30
Je considère qu'il n'y a de sens que dans la narration, et non pas dans une liste d'assertions. Ce qui me semble intéressant c'est que la métaphysique classique n'a pas été déclassée par des scientifiques, mais par des philosophes…La quête du sens n'est tenable que si elle s'inscrit aussi dans un monde tenable, c'est-à-dire dans un monde qui nous dit quelque chose, un monde qui récite… Une découverte scientifique n'est rien d'autre qu'une découverte scientifique et l'homme doit se la réapproprier pour l'incorporer à son aventure. Sinon c'est le dictat de la singularité technologique. Ainsi nous pourrions bien avoir la connaissance absolue, qu'elle ne nous dira jamais ce que nous devons faire. Et ce qui lie les diverses activités de l'homme dans un récit qui peut lui donner un sens n'est autre que le langage narratif.

Forum philosophie - Science et philosophie - BOUDOU le Jeu 28 Avr 2016 - 18:09
…je suis ravi de découvrir la contribution de Vangelis (inspirée de Ricoeur ?) qui offre une magnifique synthèse de ce débat sur la science vs la philosophie.

Forum philosophie - Science et philosophie - Ianiscos Hier à 15:39
Comme cela vient d'être dit, alors que la science restreint, par nature, ses champs d'investigation, l’activité philosophique, qui est totalisante, serait la construction de perspectives interprétatives possibles du monde. Les modèles, récits, métaphores seraient des outils de l'interprétation philosophique (cf. mythe de la caverne), de la même manière qu'ils le sont dans d'autres disciplines à visée plus restreinte comme la science, l'art, la littérature, etc.
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