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Message par cedric Ven 29 Mar 2013 - 10:38

hks a écrit: la vérité je la veux pour moi.

Et quand tu l'auras tu comptes la manger avec du sel et du poivre ?

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Message par hks Ven 29 Mar 2013 - 10:45

à Bergame

Mais la question :La philosophie est-elle une activité intellectuelle et solitaire, une pensée, ou est-elle un échange, un dialogue, une discussion entre les hommes -certains hommes ?" demanderait un échange plus approfondi.
Je dois très probablement pencher plus vers le pôle cognitif de la philosophie, plus que vers le pôle sociétal.

Quels griefs peut- on faire à l'égard du philosophe solitaire, possédé par une question, dans l'impossibilité même de publier un écrit ou ne le souhaitant pas
Je pense par exemple à Jules Lequier .. mais combien de solitaires inconnus ? Lesquels pensent, parlent peu mais écrivent .
Et combien de bavards très connus ?

Le cas de l'écrivain dont l'oeuvre abondante consisterait à démontrer que l'écriture est un leurre, est aussi à considérer.

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Message par hks Ven 29 Mar 2013 - 11:10

à cédric

Et quand tu l'auras tu comptes la manger avec du sel et du poivre ?
Mes propos sont volontairement provocateurs.
La vérité n'est pas un étant ( ni une possession acquise ). Le serait- elle, il serait bien stupide de la consommer. La vérité est une compréhension actuelle ( en acte ).
L'état des choses peut te désoler, mais comprendre est une activité qui importe en première instance à celui qui comprend ou cherche à comprendre.
Le monde entier affirmerait- il y comprendre quelque chose et pas moi, mon premier soucis serait non pas d'admirer mais de comprendre pour moi ce qui semble être compris par tous.
Il peut me faire chaud au coeur de savoir que certains comprennent mais encore plus chaud si c'est moi qui comprends.

Je dois manquer de générosité.
... probablement bien moins égotiste qu'il ne paraisse puisque je dialogue... ici.
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Dernière édition par hks le Ven 29 Mar 2013 - 11:52, édité 1 fois

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Message par Bergame Ven 29 Mar 2013 - 11:15

euthyphron a écrit:L'écriture est un pharmakon, ce qui signifie à la fois poison et remède.
Absolument, mais comme le disait Derrida, remède ou poison, le pharmakon contrarie la vie naturelle et sa signification est de "substituer le signe à la parole vivante".
D'ailleurs, évidemment, je ne saurais trop conseiller, pour ma part, la lecture de "La Pharmacie de Platon" sur les sujets que nous discutons ici.


hks a écrit:Mon objectif est la vérité. Alors le problème est qui en jugera ? Et là je réponds fermement que c'est moi et moi seul qui suis en responsabilité de juger pour moi même.
Nous y voila. Et je retiens la très intéressante formulation "possédé par une question", je pense que nous y viendrons.

Mais pour l'instant, discutons donc. Comment juges-tu toi-même de la vérité de ce que tu penses ? Je veux dire : Comment pourrais-tu seulement juger ce que tu penses autrement que vrai ?

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Message par hks Ven 29 Mar 2013 - 11:51

à bergame

Je veux dire : Comment pourrais-tu seulement juger ce que tu penses autrement que vrai ?
Disons que ce que je juge vrai je ne peux le juger faux .
Il m'arrive quand même de douter un peu de la pertinence de certains de mes jugements ... quand même.
Mais pas de mes certitudes actuelles ( en acte ).

Comment juges-tu toi-même de la vérité de ce que tu penses ?
Par intuition. C 'est l'intuition de la certitude . Je suis certain d'avoir deux mains . Je ne le sais pas par raisonnement, j 'en ai l'intuition. Mon rapport à la vérité est immanent . Et Spinoza dit ( thèse archifondamentale chez lui) que la vérité est norme d' elle même.
Ce dont je n'ai pas eu l'intuition immédiate ... soit dit en passant

Je ne suis pas critique de cela:" le pharmakon contrarie la vie naturelle et sa signification est de "substituer le signe à la parole vivante". Je n'ai que peu lu Derrida mais je fus lecteur de Marcel Jousse et de Henri Meschonic , et assez sensible à leurs thèses. Le paradoxe est qu' ici nous écrivons . Oui mais aussi que je ne le regrette pas.

bien à toi
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Message par Bergame Ven 29 Mar 2013 - 14:12

Hé oui, ici nous écrivons et nous discutons tout à la fois. C'est exactement la raison pour laquelle je pense que, par-delà les apparences, ce que nous faisons ici est si innovant et si important.

Effectivement, le problème est que nous ne pouvons cognitivement pas penser X sans partir du principe que X est vrai. Appelons cela l'intuition si tu le souhaites, c'est le terme consacré. Mais c'est un terme que nous aurions bien du mal à référer à un objet. En fait, de la cognition, disons de l'esprit, nous ne savons pas grand-chose. Et néanmoins, nous savons que nous pensons vrai, parce que nous ne pouvons tout simplement pas penser autrement.

A cela, il me semble aisé de faire une première objection. En référant le vrai à la certitude, tu as défini un vrai subjectif, ou disons particulier. Mais ce qui est vrai pour toi ne l'est pas nécessairement pour autrui, c'est-à-dire ne l'est pas en général -sans même parler d'universel. Dès lors, est-ce le vrai ? C'est simplement ce que tu penses vrai, et il se trouve que tu ne peux penser autrement que vrai. En somme, ce n'est pas autre chose qu'une simple opinion à laquelle tu accordes un statut de vérité. Comme nous accordons tous un statut de vérité à nos opinions, bien entendu. Comment pourrions-nous faire autrement ?

Et supposons que personne ne vienne jamais t'objecter ni remettre en cause cette opinion, hé bien il y a de fortes chances pour que tu continues à lui accorder le même statut de vérité, quand bien même ce n'en serait une que pour toi. Et supposons que tu ne la confrontes jamais à la discussion, supposons que tu sois véritablement et effectivement un penseur solitaire enfermé dans une tour d'ivoire, il te serait même impossible de seulement te rendre compte que cette opinion n'est vraie que pour toi, et que le monde entier pense différemment. Qu'est-ce que signifierait alors le terme "vrai", ici ?

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Message par Courtial Ven 29 Mar 2013 - 14:44

Je n'ai que peu lu Derrida mais je fus lecteur de Marcel Jousse et de Henri Meschonic , et assez sensible à leurs thèses.

Je ne connais pas Jousse, mais je me souviens d'avoir lu, avec le plus grand intérêt, la série de Meschonnic sur Hugo (Ecrire Hugo).
Mais je ne me souviens pas qu'il ait eu une réflexion sur la coupure écrit/oral ou écrire/dire, il me semble qu'il écrasait tout cela dans un Même.
Mais j'ai lu sa bibliographie, j'ai vu qu'il a écrit infiniment plus de choses et dans des domaines très différents de ce que j'ai lu, il en parle peut-être ailleurs...

Bon, Derrida, c'est quand même le penseur de l'écriture, y a pas photo. Le fait qu'il soit Juif (tout comme Meschonnic) n'est peut-être pas complètement un hasard ?

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Message par hks Sam 30 Mar 2013 - 1:01

à bergame

Qu'est-ce que signifierait alors le terme "vrai", ici ?
C' est un expérience de pensée. Les anglo-saxons en sont friants et je ne nie pas l' utilité de l'exercice . Je ne suis néanmoins pas persuadé qu'on puisse faire toutes les expériences de pensée dicibles .
Imaginons que je sois Robinson Crusoé de naissance. Difficile à imaginer !

Plus prosaïquement , mon imagination étant limitée, j' ai comme toi toujours été en contact avec des "vérités " objectives . Je ne veux pas dire "universelles" mais objectives versus subjectives . Les vérités objectives ( concernant l' empiricité) ne sont pas de même nature que la vérité subjective.

Que je pense ( le cogito ), que je veuille ( la volition ), que j' ai un coprs et surtout que j' ai conscience de penser , vouloir et avoir un corps, que je puisse avoir des certitudes et notamment celle d'avoir conscience ne sont pas des vérités objectives ce sont des vérités subjectives .
Ce ne sont pas des "opinions" révisables.
Ce ne sont pas non plus des "vérités" universelles ( bien évidemment ).

Que je(moi même) doive décider de telle ou telle action ( morale ou ordinaire ) ne relève pas de la vérité objective. Lorsque je comprends et je suis le seul juge de ma compréhension cela relève de la vérité subjective en acte.

"Que je sois le seul juge de ma compréhension" peut choquer . Certes, mais pourtant tu ne peux comprendre à ma place ce que je suis en mesure de comprendre. Ni ne peut décider à ma place de mon acte.

La définition traditionnelle de la vérité issue de la scolastique est "adequatio intellectus et rei". Je veux bien remette en question cette idée d' adéquation. Mais ce sera aussi remettre en question l'idée de certitude .

bien à toi
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Message par hks Sam 30 Mar 2013 - 1:27

à courtial

Jousse est unpenseur(français )de l'oralité. Il y a quelques pages ou site sur le net . Je n'ai pas eu accès à ses cours oraux . La question de l'oralité que j' ai surtout entrevue à travers Meschonnic ne m'a pas paru en lien direct avec mes "préoccupations" philosophiques. Idem pour Derrida.
Je veux dire par là que des tropismes semblent obliger le philosophe. Comme des réactions d'orientation
"Beyond My Control".
Le dialogue ne parvient pas la plupart du temps à atténuer la puissance de ces tropismes. Sauf peut -être à les comprendre, mais ce serait demander de comprendre ce qui échappe à la conscience.

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Message par Bergame Sam 30 Mar 2013 - 17:07

hks a écrit:"Que je sois le seul juge de ma compréhension" peut choquer . Certes, mais pourtant tu ne peux comprendre à ma place ce que je suis en mesure de comprendre. Ni ne peut décider à ma place de mon acte.
Je ne peux pas comprendre à ta place, certes, mais, et cette fois quelle que soit la théorie de la vérité que tu retiennes, il n'est pas nécessaire que tu comprennes X pour que X soit vrai -de même que le fait que tu ne comprennes pas Y ne rend pas pour autant Y nécessairement faux.
Ou bien ?

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Message par hks Dim 31 Mar 2013 - 0:22

à bergame

quelle que soit la théorie de la vérité que tu retiennes,

L'exemple que tu donnes est pertinent relativement à la vérité objective .
Une grande majorité des scolastiques chrétiens avaient en horreur l'idée attribuée à Averroes sur la double vérité. Laquelle idée visait probablement plus l 'unité des savoirs que l'unicité de la vérité.

Pour tout ce que je t' ai indiiqué de vérités subjectives il est nécéssaire que je l' ai en consience pour que cela soit vrai. Là la vérité ne réside pas dans l' adéquation de ma pensée avec le monde objectif. Là la vérité réside dans l 'adéquation subjective de l'idée avec son objet, lequel est pensé par moi .

Maintenant si je dis : que la neige est blanche est vrai , si la neige est blanche . Il y a toujours une adéquation subjective entre l'idée de la neige blanche et l' objet qui est pensé ....
Mais la neige existe même si je ne la pense pas et blanche de surcoît .. Ce que je ne nie pas .
Tu va me dire que donc , il y a une vérité de la proposition la neige est blanche même quand cette proposition n'est pas pensée subjectivement par un esprit humain. Ce qui peut vouloir dire quil n'y a plus de proposition du tout mais que la neige est blanche quand même.
Mais dans ce cas la vérité n'est plus une adéquation de la pensée et de son objet.

Ou bien alors la nature pense indépendamment de moi.
Ce que je veux bien admettre .
D'où la vérité de l'intellect infini de Dieu .
Il n'y a donc pas double vérité mais différence de puissance de penser.

Je veux insister par là sur la difficulté/problème d'identifier vérité et réalité . La neige est blanche c'est une réalité. Mais est- ce que cela en fait une vérité ? S'il y a fusion des deux idées( vérité et réalité) toute recherche de la vérité laquelle recherche procède bien d 'une espérance d'adéquation, n' a plus de sens .
C' est pour cela que les philosophes contempteurs du théorique au profit de la vie ou de l'existence ou du réel vécu, sont dans le péril de ne plus avoir rien à en dire du tout, ainsi à ne pas être dans la vérité bien que dans la réalité. Car comment pourrions nous ne pas y être ?

amicalement
hks


Dernière édition par hks le Dim 31 Mar 2013 - 23:29, édité 1 fois

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Message par Geo Rum Phil Dim 31 Mar 2013 - 15:49

hks a écrit: Une grande majorité des scolastiques chrétiens avaient en horreur l'idée attribuée à Averroes sur la double vérité. Laquelle idée visait probablement plus l 'unité des savoirs que l'unicité de la vérité.

Maintenant si je dis : que la neige est blanche est vrai , si la neige est blanche . Il y a toujours une adéquation subjective entre l'idée de la neige blanche et l' objet qui est pensé ....

Mais dans ce cas la vérité n'est plus une adéquation de la pensée et de son objet.

Comment voulez-vous que cette vérité soit en adéquation avec la neige, si votre objectivité est incomplète/tronquée/superficielle ?! ...à sa couleur il faut ajouter les autre propriétés; froide, humide, etc.

Il faut penser l'unité des savoir via l'unité de sens; mettre sa langue et son doigt dans la neige, écouter ses propriétés acoustiques sous ses pieds, la propriété géométrique de ses flocons, etc.

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Message par hks Lun 1 Avr 2013 - 1:37


à Geo Rum Phil

Tu introduis l'idée qu' une proposition portant sur un objet du monde ( la neige ) et n'ayant qu'un prédicat ( la blancheur ) n'est pas adéquate. Si on juge que la proposition est vraie c'est qu'on la juge adéquate à ce dont elle est l' idée.
Sinon on juge la proposition fausse alors il n'y a pas adéquation entre l'idée et l 'objet ( ici une qualité de l'objet = la blancheur)
Qu'il y ait un nombre indéterminé de propositions vraies possibles ayant pour sujet la neige et pour prédicat d 'autres qualités ne nuit pas du tout à la vérité d'une de ces propositions .

On ne demande pas au discours sur des objets du monde d 'être d 'emblée la vérité absolue de cet objet. Savoir d 'ailleurs si cette vérité est possible. Çà c' est un autre problème.

Car il s'agit bien de jugements exprimables en propositions ( phrases ).
Ne remplace pas "discours" par sensation ( ou sensa data ), une sensation est toujours vraie. Etant toujours vraie la question de la vérité ne se pose pas. Je vois, je touche, je sens, j' entends, ce n'est ni vrai ni faux ... c'est réel.

Tu m'imagines peut -être en intellectuel froid et désincarné. J' ai parfois défendu avec vigueur Berkeley, largement méconnu voire raillé.
Tu es assez proche de Berkeley dans ce que tu dis.

Maintenant quand je défends la vérité subjective on va me dire que c'est comme la sensation, que ce n'est ni vrai ni faux. Certes , il est toujours vrai que je suis conscient quand je le suis et qu'ainsi le monde illuminé par la conscience est tout ce qu'il y a de plus réel.
La question de la vérité est subordonnée à la réalité de la conscience .

Quelle vérité pourrions- nous affirmer si nous étions plongé dans l'inconscience ?
C'est bien ce que j' ai du mal à entrevoir: la forme de la réalité, la forme de la certitude et de la vérité quand je suis inconscient. Je me détourne de ce nuage d' inconnaissance .

amicalement
hks

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Message par euthyphron Lun 1 Avr 2013 - 9:57

Au fait, et l'amour dans tout cela? Peut-on parler du Phèdre en négligeant le fait que ce soit un discours sur l'amour? 🐷 sunny drunken
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Message par Courtial Lun 1 Avr 2013 - 20:45

Oui, tu as raison.
Un peu d'amour dans ce monde de brutes.

Mais pourrais-tu nous dire comment tu vois l'articulation entre la question de l'amour et celle de l'écriture et de la parole ?
Il y a bien sûr l'approche obvie : il s'agit d'un discours (de Lysias) sur l'amour, en sorte qu'après avoir parlé de l'amour, on en vient à l'art des discours, à la rhétorique, ensuite. N
Mais cela paraît tout extérieur.
Et je n'ai pas lu dans la littérature une analyse qui propose autre chose.

Si bien que Phèdre apparaît comme un texte mal foutu, qui colle à la suite deux dialogues, un sur l'amour, l'autre sur la rhétorique.
Surprenant, quelque chose d'aussi déglingué dans ce que l'on considère souvent (moi le premier) comme un des plus beaux textes de la philosophie (1)

On va laisser Derrida de côté, pour l'instant. En mentionnant juste qu'il faudrait lire sa Pharmacie de Platon et aussi son livre sur Nietzsche (Epérons, les styles de Nietzsche) : comment on grave ? Avec quoi on écrit ?
Mais faisons abstraction pour le moment.

Ne gagnerait-on pas à revoir le Lysis, par exemple ? Là aussi, il est question de philia. Mais l'on voit vite qu'il est surtout question des choses qui conviennent ou ne conviennent pas, de l'harmonie - bien plus que de "sentiments" et d'autres niaiseries que nous mettons au titre de "l'amour".
Mais s'il s'agit des choses qui vont entre elles, qui vont l'une avec l'autre, nous sommes conduits à la question l'adéquation, de la vérité.
"Nous sommes conduits" ne veut pas dire que ceci épuise la question ni même ne suffise à la dégager convenablement.

(1) Interrogé sur son Panthéon philosophique, Emmanuel Lévinas avait répondu, non sans s'excuser de l'outrecuidance de tels avis : le Phèdre (pas la République ou le Sophiste), La critique de la raison pure, la Phénoménologie de l'esprit, Sein und Zeit et... l'Essai sur les données immédiates de la conscience !

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Message par euthyphron Mar 2 Avr 2013 - 10:53

Courtial a écrit:Mais pourrais-tu nous dire comment tu vois l'articulation entre la question de l'amour et celle de l'écriture et de la parole ?
Il y a bien sûr l'approche obvie : il s'agit d'un discours (de Lysias) sur l'amour, en sorte qu'après avoir parlé de l'amour, on en vient à l'art des discours, à la rhétorique, ensuite. N
Mais cela paraît tout extérieur.
Et je n'ai pas lu dans la littérature une analyse qui propose autre chose.

Si bien que Phèdre apparaît comme un texte mal foutu, qui colle à la suite deux dialogues, un sur l'amour, l'autre sur la rhétorique.
Surprenant, quelque chose d'aussi déglingué dans ce que l'on considère souvent (moi le premier) comme un des plus beaux textes de la philosophie
Lorsque j'ai étudié le Phèdre, à la fois par plaisir et pour les besoins de ma profession, je me suis posé exactement la même question, dans les mêmes termes : comment un texte aussi fort et profond peut-il être si mal foutu, lui qui en plus contient quelques préceptes sur l'art de composer un discours?
Ma petite enquête m'a fait emprunter deux pistes. La première est quasiment bergsonienne : le Phèdre trouverait son unité dans une série d'oppositions : oral-écrit, vivant-mort, ouvert-fermé, etc. Contre une conception de l'amour qui le réduit à un échange contractuel, Platon réhabiliterait l'art de ne pas savoir où l'on va, le bon délire, celui qui touche l'âme en l'éveillant au sentiment de son origine céleste. Le discours écrit est alors condamné en tant que prostitution. Derrida aurait alors tout compris en centrant son commentaire sur la notion de pharmakon.
Mais il y a aussi autre chose. Il y a l'omniprésence du mythe. Il est remarquable que cedric a reproduit le contresens qu'on trouve aussi chez Derrida (dans la mesure où je comprends Derrida) à propos du mythe de Borée, lorsque Phèdre demande s'il faut croire aux mythes, et que Socrate répond, rappelons-le, qu'il a mieux faire que mener une enquête historique, qu'il a à se connaître lui-même et que pour cette raison (passage automatiquement censuré par la plupart des lecteurs) il préfère s'en tenir à la croyance commune, bref qu'il faut croire aux mythes, en s'en foutant éperdument de savoir s'ils sont vrais au sens trivial du terme.
Un autre passage souvent négligé, et "oublié" par cedric (ne m'en veux pas, cedric, mais c'est remarquable, d'autant que tu as fait comme tout le monde) est l'allusion, en plein coeur de la critique de l'écriture, au chêne de Dodone. Là encore, éloge des anciens qui croyaient à la divination, et moquerie à l'égard des modernes qui veulent savoir "d'où ça vient".
Tout ceci part d'un discours qui veut démythifier l'amour.
Lysias n'est pas n'importe qui. Il est témoin et acteur d'un mouvement culturel profond, par lequel le logos se constitue par opposition au mythos. C'est pratiquement l'invention du concept moderne de raison. Mon hypothèse de lecture est que Platon refuse cette mutation culturelle. La séparation du logos et du mythos qu'accomplit l'écriture en tant qu'aide-mémoire est, à terme, le poison qui tuera le logos. Car le logos démythifié marque le triomphe de la lettre sur l'esprit et définit la vérité comme ce qui, extérieur à l'âme, a autorité sur elle, alors que le discours des anciens, dans sa simplicité (contraire de duplicité) est fait pour que vive la pensée dans la communication des âmes.
Le Phèdre se termine par une prière, qui demande fondamentalement deux choses aux "divinités de ces lieux" : la réconciliation de l'intérieur et de l'extérieur (donc, de la lettre et de l'esprit) et d'avoir autant d'or que puisse en transporter l'homme tempérant (c'est-à-dire avoir en soi autant de sagesse, ou de savoir, qu'un esprit peut en contenir au présent).

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Message par poussbois Sam 13 Avr 2013 - 0:13

euthyphron a écrit:Au fait, et l'amour dans tout cela? Peut-on parler du Phèdre en négligeant le fait que ce soit un discours sur l'amour? 🐷 sunny drunken
(rayez les smileys inutiles)

Aucun smiley inutile à mon sens. Il en manque peut-être même quelques-uns, l'amour est un sentiment complexe.

C'est dans les intermèdes que j'ai eu l'impression de voir l'expression de l'amour théorisé par Platon dans sa palinodie et notamment dans le second intermède, entre les deux discours, où Socrate s'inquiète de l'absence de "l'enfant" qui était présent et qu'il faut convaincre de suivre l'élan amoureux. Ce à quoi répond Phèdre :
" [il est]tout près de toi, tout contre toi, toujours à tes côtés, chaque fois que tu le désires " (243e)
cours de J. Morne
Les traductions sont variées, et souvent bien moins sensuels et beaucoup plus courtes, plus sérieuses et plus sèches. J'ai essayé de trouver la plus intense pour la placer ici, et surtout celle qui fait référence au désir.
On pourra s’amuser de l’image de l’enfant sur la voie de la sagesse, mais qui m’a fait également pensé à l’enfant de la troisième mutation, qui dit un grand Oui à la vie. Celui qui sait ouvrir les yeux, et que Socrate a peur d’avoir perdu. Anecdotique et peut-être hors sujet voire fautif, mais je ne peux me passer de cette image à chaque fois que je tombe sur ce passage.

Et il y a également la conclusion à nouveau de Phèdre, pratiquement en fin d'ouvrage :

SOCRATE.

O Pan, et vous divinités qu'on honore en ce lieu, donnez-moi la beauté intérieure de l'âme ! quant à l'extérieur, je me contente de celui que j'ai, pourvu qu'il [279c] ne soit pas en contradiction avec l'intérieur, que le sage me paraisse riche, et que j'aie seulement autant d'or qu'un sage peut en supporter et en employer ! Avons-nous encore quelque chose à demander, mon cher Phèdre ? pour mon compte, voilà tous mes vœux.

PHÈDRE.

Fais les mêmes vœux pour moi, car entre amis tout est commun.

Contrairement à J. Morne, je n'ai pas vu dans le 2eme intermède qu'une victoire de Socrate sur Lysias, emportant ainsi le jeune Phèdre comme trophée. C'est plutôt un ressenti très profond de ce que peut être l'amour : une forme de don de soi et de recherche pour combler les désirs de son objet d'amour.

Et si, plus qu'un intermède, ce passage voulait nous montrer une méthode. Bien entendu, pas une méthode de calcul et de réflexion, mais d'ouverture de l'âme à ce qui peut l'éblouir. Initialement, j'avais pensé à quelque chose de sensuel : Phèdre ébloui tombe sous le charme et se rapproche du corps de Socrate. Je ne dis pas que je supprime cette image, mais elle devient insuffisante au regard du discours qui suit puisqu'il s'agit ensuite d'être inspiré, de rentrer dans un délire divin et bénéfique ouvrant aux réminiscences des âmes.
Ce n'est qu'en acceptant la tyrannie de l'amour, en se soumettant en esclave de son amant qu'on accède ainsi à une forme d'inspiration divine. C'est Socrate qui devient un ersatz d'Eros pour Phèdre. Enfin, plus qu'un Ersatz, une sorte de "voie royale" vers le beau et le désirable.

La sagesse platonique n’est donc pas calme et sérénité de l’âme, mais tumulte et effort angoissé associé à une forme d’oubli de soi.
D'où sa demande finale de se joindre aux voeux de Socrate et de souhaiter une communion amoureuse (amicale ?) jusque dans ses requêtes aux dieux.

Quant à la pharmacopée de Platon, elle devient d’autant plus nécessaire qu’il est important 1/ de déclencher ces délires, 2/ tout en étant capable de les soigner lorsqu’ils se retournent contre nous. L’ambivalence de ce pharmakon est à prendre à tous les niveaux et il s’agit bien d’un art que d’en maîtriser l’ensemble des effets. J’ai essaye de lire Derrida, mais ça donne l’impression d’être très répétitif, et c’est surtout farci d’érudition qui bloque un autodidacte tel que moi. J’en ai surtout retiré cette ambivalence des drogues, qui soignent mais saoulent également, alors même que c’est l’attitude recherché chez l’amoureux. Et si l’écriture est une drogue ou un venin, devient-il si impossible qu’elle ne rentre pas pour partie dans la pharmacopée de l’amoureux ?

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Message par euthyphron Sam 13 Avr 2013 - 11:36

Je suis tout à fait d'accord avec ta lecture. Tu as développé ma première piste, en soulignant avec pertinence la sensualité du passage où Phèdre semble s'abandonner.
Tout le dialogue, en effet, valorise le dynamisme de l'amour, qui éveille en l'âme la nostalgie du Vrai, du Beau et du Bien, et l'entraîne vers son propre désir sans qu'elle sache où cela la conduit.

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Message par poussbois Sam 13 Avr 2013 - 23:22

Ha la part de l'inconnu et de l'aventure... quelle surprise de les retrouver dans cet auteur.

En fait, on est toujours plein d'a priori quand on s'attaque à Platon sur le tard comme moi.

Ton grand et immense exploit aura été de m'obliger à lire ses ouvrages comme si je ne savais pas qui les avait écrit. Tu n'es pas le seul bien sûr, les anciennes discussions sur Philoforum y ont participé mais tu en es tout de même un des principaux protagonistes. Et je découvre un monde dont je commence à comprendre la portée et l'immense charme. Moi, amoureux d'un vieux barbu mort... heureusement que mes enfants ne savent pas tout ce que je fais et dis sur internet.

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