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Message par cedric Jeu 21 Mar 2013 - 15:44

Socrate

Assurément non ; mais ce sera sans doute pour son amusement qu'il sèmera dans les jardins de l'écriture et qu'il écrira, si jamais il écrit. Amassant ainsi un trésor de souvenirs pour lui-même, quand la vieillesse oublieuse sera venue, et pour tous ceux qui marcheront sur ses traces, il prendra plaisir à voir pousser les plantes délicates de ses jardins, et, tandis que les autres rechercheront d'autres divertissements et s'adonneront à des banquets et autres passe-temps du même genre, lui, répudiant ces plaisirs, passera sans doute sa vie dans l'amusement dont je viens de parler.

Phèdre

C'est un bien beau passe-temps, Socrate, à côté des mesquines distractions des autres, que celui de l'homme capable de se jouer en des discours et de composer des allégories sur la justice et les autres belles choses dont tu as parlé.

Socrate

C'est bien vrai, mon cher Phèdre ; mais il est, à mon avis, une manière bien plus belle encore de s'occuper de ces choses : c'est, quand on a trouvé une âme qui s'y prête, d'y planter et d'y semer avec la science, selon les règles de la dialectique, des discours capables de se défendre eux-mêmes, et aussi celui qui les a semés, et qui, au lieu de rester stériles, portent une semence qui donnera naissance en d'autres âmes à d'autres discours, lesquels assureront à la semence toujours renouvelée l'immortalité et rendront ses dépositaires aussi heureux qu'on peut l'être sur terre.

(…)

Ces principes admis, nous pouvons à présent, Phèdre, nous prononcer sur la question.

(…)

Et maintenant, quant à savoir s'il est beau ou honteux de prononcer et d'écrire des discours et dans quel cas l'on a tort ou raison d'en faire un grief à l'auteur, ce que nous avons dit tout à l'heure ne suffit-il pas à montrer...

Phèdre

Quoi ?

Socrate

Que si Lysias ou tout autre a jamais écrit ou vient à écrire sur une question d'intérêt privé ou public, en faisant des lois et en composant à cette occasion un écrit politique, et s'il pense y avoir mis une grande solidité et une grande clarté, ses écrits ne rapporteront à leur auteur que de la honte, qu'on en convienne ou non ; car son ignorance absolue du juste et de l'injuste, du mal et du bien est une véritable honte à laquelle il ne saurait échapper, fût-il couvert des applaudissements universels de la multitude.

(…)

Mais celui qui pense qu'un discours écrit, quel qu'en soit le sujet, est nécessairement à beaucoup d'égards un badinage, et que jamais discours en vers ou en prose, écrit ou prononcé, ne mérite qu'on en fasse grand cas, non plus que de ces discours que les rhapsodes récitent pour captiver les auditeurs, sans les admettre à discuter ni les instruire, et qu'en réalité les meilleurs discours ne sont que des mémentos pour ceux qui savent ; qu'au contraire les discours faits pour être étudiés, prononcés pour l'instruction des auditeurs et véritablement écrits dans leur âme, avec le juste, le beau et le bien pour sujets, sont les seuls qui soient clairs, solides et dignes de considération ; qu'il faut regarder de tels discours comme les fils légitimes de leur auteur, d'abord ceux qui vivent en lui et sont le produit de son esprit, puis ceux qui, fils ou frères de ceux-là, sont nés les uns dans telles âmes, les autres dans telles autres, sans démériter, cet homme-là, s'il n'a cure des autres sortes de discours, pourrait bien être celui que toi et moi nous souhaiterions d'être.

(…)

( p.194-197 )


L'écriture, au mieux, ne peut que permettre d'entretenir un rapport de soi à soi pour celui qui écrit pour lui-même. Écrire, pour Socrate, cette activité, équivaut à écrire pour soi, étant entendu que l'enseignement est impossible par le biais de l'écrit. Celui qui s'y adonne le fait donc par amusement, par divertissement, passe-temps, en vue de ses vieux jours, pour lui-même.

Dans le deuxième passage où intervient Socrate, nous retrouvons l'enseignement philosophique se faisant nécessairement par le discours oral et qui consiste en une transmission, d'une âme à une autre, par le biais de la parole, de la capacité philosophique à discours selon l' Ethique. Cette transmission orale du « savoir » représente potentiellement une chaîne infinie, éternelle, immortelle du savoir à travers le temps ( dont parlait Bergame dans un post ) et permet à ses dépositaires d'être aussi heureux qu'ils puissent l'être sur terre ( la philosophie permettant l'accès au bonheur par la quête des vertus).

Tandis que le savoir ne peut se passer de son incarnation charnelle par le discours oral, il est fort possible d'écrire tout en étant ignorant. Implicitement, Socrate pense que le discours oral révèle nécessairement la vérité, la justesse de ce qui est dit, et en ce sens peut se défendre par le biais d'arguments, tandis que l'écrit, à l'inverse de révéler quoi que ce soit, peut se tenir tout bonnement dans l'erreur, pire, dans l'image de l'erreur, si celui qui l'écrit s'y tient lui-même et n'a pas connaissance de la philosophie comme dialectique.


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