La condition humaine et la faculté de pensée

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Message par cedric Lun 21 Fév 2011 - 17:36

Comme le souligne Arendt au sein de The Human Condition, la condition humaine ne se confond pas avec la nature humaine. En effet, parler de nature humaine afin de caractériser et définir l'homme relève d'une pure démarche métaphysique. En d'autres termes, il n'est pas possible de parler de nature humaine sans outrepasser les limites de la connaissance et faire ainsi un saut dans les diverses croyances métaphysiques et leurs justifications construites de toute pièce. Encore, parler de nature humaine ne relève pas de la philosophie mais de la croyance. Par conséquent, quiconque pense définir l'homme en le présentant sous l'angle d'une prétendue nature humaine ne se situe pas sur le terrain de la philosophie mais de la pure croyance à partir de laquelle il est possible de soutenir tout et n'importe quoi. « Evitons tout malentendu: la condition humaine ne s'identifie pas à la nature humaine, et la somme des activités et des facultés humains qui correspondent à la condition humaine ne constitue rien de ce qu'on peut appeler nature humaine » (Arendt, Condition de l'homme moderne, Calmann-Levy, 1961, p.44 ). Du reste, si l'homme était doté d'une nature qui pourrait le définir fondamentalement dans son éventuel Etre, nous ne pourrions pas pour autant en prendre la mesure ni parvenir à un tel type de « connaissance ». « Il est fort peu probable que, pouvant connaître, déterminer, définir la nature de tous les objets qui nous entourent et qui ne sont pas nous, nous soyons jamais capable d'en faire autant pour nous-mêmes : ce serait sauter par dessus notre ombre. De plus, rien ne nous autorise à supposer que l'homme ait une nature ou une essence comme en ont les autres objets. En d'autres termes, si nous avons une nature, une essence, seul un dieu pourrait la connaître et la définir » ( Ibid, p. 45 ). C'est pourquoi l'homme ne peut être approché sous l'angle d'une éventuelle nature, inexistante ou à jamais inconnaissable, mais sous l'angle uniquement de ses conditions générales d'existence. En d'autres termes, la seule approche philosophique de l'humain s'attache à définir en quoi consiste la condition humaine.

La condition humaine désigne l'ensemble des conditions par lesquelles l'homme existe au sein du monde et qui par conséquent permettent de définir en quoi consiste concrètement son existence, l'existence proprement humaine. La condition humaine, les conditions de l'existence de l'homme tel qu'il est au monde, sont distinguées en deux parties par Arendt, et qui du reste constituent chacune l'objet d'un ouvrage. D'un côté, la condition humaine est faite des activité de la vita activa, de la vie active de l'homme dans le monde, qui sont le travail, l'oeuvre, et l'action. D'un autre côté, la condition humaine est faite de la vie de l'esprit, de la faculté de pensée, qui se distingue en la pensée elle-même, la volonté et le jugement. The Human Condition traite spécifiquement de la condition humaine en tant qu'elle désigne la vie active de l'homme, tandis que son ouvrage posthume, la vie de l'esprit, traitera de la condition humaine en tant qu'elle désigne la vie de l'esprit, c'est à dire la faculté de pensée. Ces deux aspects fondamentaux de la condition humaine, vie active et vie de l'esprit, sont intimement dépendant de l'état contextuel du monde dans lequel chaque homme naît, vient au monde. En d'autres termes l'état contextuel du monde dans lequel l'homme advient au monde entre pleinement dans la définition de sa condition.

Arendt s'en tient, au sein de la Condition de l'homme moderne, dans son titre original The Human Condition, titre donc plus général que celui choisi par son traducteur et au sein duquel, de son propre aveu il s'agit de réaliser une analyse de la vie active de l'homme. « Ce que nous faisons » : tel est bien le thème central de cet ouvrage. On n'y traite que des articulations les plus élémentaires de la condition humaine, des activités qui, traditionnellement comme selon les idées actuelles, sont à la portée de tous les êtres humains. Pour cette raison et pour d'autres, l'activité la plus haute et peut-être la plus pure dont les hommes soient capables, celle de la pensée, restera en dehors des présentes considérations » ( Ibid, p.38 ). Il s'agit, au sein de cet ouvrage, de se concentrer sur l'analyse de la vie active, qui constitue un aspect de la condition humaine, et de laisser l'autre aspect, la pensée, en dehors des considérations, ou tout du moins de ne pas le développer. « Je m'en tiens d'une part à l'analyse des facultés humaines générales qui naissent de la condition humaine et qui sont permanentes, c'est à dire ne peuvent se perdre sans retour tant que la condition humaine ne change pas elle-même » ( Ibid, p.39 ). Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que les conditions d'existence de l'homme, la condition humaine, à ne pas confondre avec la nature humaine, est foncièrement changeante, variable, n'est jamais donnée une fois pour toute mais est soumise au changement et à l'histoire. C'est pourquoi la condition humaine change au cours de l'histoire, et que les valeurs qui l'animent sont vouées à changer de même. Aussi The Human Condition va consister précisément, par une description des trois activités majeures de la vita activa, de la vie active, le travail, l'oeuvre, et l'action, à montrer comment de l'antiquité à l'époque moderne les valeurs humaines se modifient et changent de lieu, allant jusqu'à s'inverser, passant du lieu public de la politique qui constitue le domaine de l'action, au travail. Se faisant, c'est la condition humaine elle-même qui change de définition. Il faut bien comprendre que les facultés de la condition humaine ( qui se divisent généralement en deux parties : les facultés de la vie active et les facultés de la pensée, les facultés de l'homme en tant qu'il participe activement au monde et les facultés de l'homme en tant qu'il se retire temporairement du monde ) naissent de cette même condition et par conséquent son conditionnées par elle, par le contexte historique du monde et des valeurs au sein duquel elles adviennent. En ce sens, la condition humaine, les conditions d'existence de l'homme au sein de la grèce du 5ème siècle avant Jesus Christ ne sont pas les mêmes que les conditions d'existence de l'homme occidental des années 2000. En effet, « Tout ce qui touche la vie humaine, tout ce qui se maintient en relation avec elle, assume immédiatement le caractère de condition de l'existence humaine. C'est pourquoi les hommes, quoi qu'ils fassent, sont toujours des êtres conditionnés. Tout ce qui pénètre dans le monde humain, ou tout ce que l'effort de l'homme y fait entrer, fait aussitôt partie de la condition humaine » ( Ibid, p.44 ). Le monde des objets au sein duquel les hommes viennent au monde, et selon la spécificité de ces objets, de son organisation, entre immédiatement dans la condition humaine du nouveau né qui grandira au sein de ce monde, sera conditionné par ce monde et ses spécificités. En ce sens, la condition humaine, loin d'être un absolu renvoyant à une transcendance qui pourrait définir absolument ce qu'est l'homme, désigne l'aspect foncièrement conditionnel de l'homme et qui se situe toujours dans son rapport à un monde historique, bien qu'existe une permanence relative de ses activités au sein du monde ( travail, oeuvre, action ) et de sa pensée. L'aspect foncièrement conditionnel et variable de la condition humaine implique du reste qu'il n'est pas possible de comprendre et définir ce qu'est la condition humaine à l'aune des conditions dans lesquelles l'homme vient au monde. « Dans sa compréhension, la condition humaine dépasse les conditions dans lesquelles la vie est donnée à l'homme » ( Ibid, p.43 ). La condition humaine n'est pas figée mais « évolue » avec son environnement, avec le renouveau des objets qui constituent le monde et qui la redéfinissent sans cesse. « Outre les conditions dans lesquelles la vie est donnée à l'homme sur terre, et en partie sur leur base, les hommes créent constamment des conditions fabriqués qui leur sont propres et qui, malgré leur origine humaine et leur variabilité, ont la même force de conditionnement que les objets naturels » ( Ibid, p.44 ). L'homme, puisqu'une de ces activités de base consiste à fabriquer sans cesse de nouveaux objets, fait sans cesse varier les conditions objectives de son existence. Cet aspect foncièrement conditionnel et variable de la condition humaine est important, d'autant plus qu'il semble entrer en contradiction avec l'évaluation même que fait Arendt au sein de son oeuvre. En effet, si la condition humaine, si ce qu'est l'homme ne possède pas en soi de critère stable, comment est-il dès lors possible d'évaluer la condition humaine, à l'aune de quel critère ? Or, bien qu'Arendt définisse la condition humaine comme ne possédant pas de critère stable, soumise au changement, à la variation, au conditionnement, dans le même temps elle se livre à une évaluation implicite du changement des valeurs de la condition humaine au fil de l'histoire, de la Grèce antique à l'époque moderne. Or, sans critère stable de jugement au niveau de la condition humaine, comment une telle évaluation est-elle possible ? Qu'est-ce qui permet et rend légitime une telle évaluation ? Si la condition humaine est foncièrement variable et conditionnelle dans tous ses aspects, comment est-il seulement possible de porter un jugement à son encontre et de dresser une généalogie des valeurs de la condition humaine, ce qu'Arendt réalise au sein de The Human Condition ?

Mais peut-être que cette contradiction apparente est une contradiction qui s'ancre encore dans la logique de la pensée idéaliste qui cherche un fondement, un critère objectif par lequel il est possible de juger et non dans une expérience humaine, qui serait l'expérience du mal, une expérience éthique concrète n'ayant pas besoin de fondement philosophique autre que sa propre réalité de fait. Et il semble implicitement que c'est bien par rapport à une telle expérience qu'Arendt peut réaliser une généalogie des valeurs de la vie active au fil de l'histoire, selon le degré de rapprochement ou d'éloignement de cette expérience éthique du mal. Du reste, pour Arendt, la pensée, fondamentalement, a bien plus rapport à l'éthique qu'à la connaissance, ce qui peut paraître difficile à comprendre du point de vue de la pensée philosophique du paradigme « idéaliste » qui a toujours envisagée la pensée dans son rapport à l'Etre et à la Vérité, ce que ne fait pas Arendt pour qui la pensée n'a plus rapport ni à l'Etre, ni à la Vérité, ni à la connaissance mais désigne une faculté au même plan axiologique que les nombreuses autres facultés de l'homme. Or, il semble bien que c'est cette expérience éthique du mal, défini non pas comme pensée mauvaise ou volonté de faire le mal, mais à l'inverse comme une absence de pensée, qui représente l'expérience par laquelle il est possible d'évaluer la condition humaine à l'aune du fait qu'elle s'éloigne ou non de cette possibilité du mal. En effet, une des expériences majeures d'Arendt a été sa mise en présence d'Eichmann lors de son procès, expérience qui lui a permis de découvrir la banalité du mal, que le mal se situait, non pas dans une volonté mauvaise de faire le mal, mais au contraire dans une absence de pensée, dans une mise en retrait de la pensée qui implique une banalité du mal, un mal causé par un manque de pensée. Et ce manque de pensée, cette banalité du mal, désigne le terreau du totalitarisme.« La manifestation du vent de la pensée n'est pas le savoir; c'est l'aptitude à distinguer le bien du mal, le beau du laid. Aptitude qui, aux rares moments où l'enjeu est connu, peut très bien détourner les catastrophes, pour le moi tout au moins » ( Arendt, la vie de l'esprit, Presses Universitaire de France, 1981, p.252 ). Cette citation est éclairante car elle montre à la fois qu'Arendt envisage la pensée, dans un rapport non pas au savoir - qui est l'objet de l'intellect sur lequel s'appuie les sciences dites exactes et non pas de la pensée – mais à l'éthique, c'est à dire à l'expérience du mal ; et à la fois que le danger du manque de pensée est d'entrainer des « catastrophes » qui ici font clairement référence aux implications des divers totalitarismes et évidemment de celles de l'allemangne nazie.

Il semble donc que toute l'évaluation d'Arendt au niveau de la condition humaine soit guidée par cette possibilité du totalitarisme qui advient par le manque de pensée. Et la meilleure façon de se tenir le plus à l'écart de ce manque de pensée, de la possibilité sociétale du totalitarisme, se situe dans l'activité politique que mènent les hommes par le dialogue et qui correpond au lieu de la liberté. Et c'est du reste parce que les valeurs modernes représentent un terreau propice à l'émergence du totalitarisme que son évaluation à son encontre est critique. En effet, « Si l'on compare le monde moderne avec celui du passé, la perte d'expérience humaine que comporte cette évolution est extrêmement frappante ( … ) La pensée elle-même, en devenant « calcul des conséquences », est devenue une fonction du cerveau, et logiquement on s'aperçoit que les machines électroniques remplissent cette fonction beaucoup mieux que nous » (Arendt, Condition de l'homme moderne, Calmann-Levy, 1961, p.400 ). Le risque de l'absence de pensée, qui est la condition de l'émergence de la banalité du mal qui entraine au niveau sociétal la possibilité du totalitarisme, se manifeste à l'époque moderne dans le fait que la pensée n'est plus conçue dans sa qualité de mise en dialogue d'hommes libres mais dans un aspect calculatoire qui désigne la prédominance moderne de la science. En d'autres termes, la pensée a été dépossédée de sa qualité fondamentale de mise en dialogue critique, symbolisée par le personnage de Socrate qui n'a rien d'autre à enseigner que le mouvement de la pensée elle-même dans ses incertitudes et ses mises en question, dans son rapport à l'éthique, au profit du calcul des conséquences de la sciences, de la raison calculatoire qui est par définition une contradiction dans les termes. Cette perte de la pensée a entrainé une redirection de l'action, qui ne se situe plus désormais au sein du monde politique des hommes libres, mais au niveau de la capacité de la science et des technologies à transformer le monde naturel. Ainsi, l'action, qui désignait auparavant une capacité d'agir sur le monde des hommes, désigne désormais, à l'époque moderne, une capacité d'agir et de transformer, de manière irréversible, le monde naturel. Et cette réorientation de l'action symbolise la perte de l'expérience humaine à laquelle elle était auparavant attachée, et par conséquent la montée en puissance de la possibilité du totalitarisme, allant de pair avec l'absence de pensée comme expérience foncièrement critique et éthique. « Mais l'action des hommes de science, agissant sur la nature du point de vue de l'univers et non sur le réseau des relations humaines, manque du caractère révélatoire de l'action comme de la faculté de produire des récits et de devenir historique qui, à eux deux, forment la source d'où jaillit le sens, l'intelligibilité, qui pénètre et illumine l'existence humaine » ( Ibid, p.403 ). L'action, à l'époque moderne, n'est plus que l'apanage des hommes de sciences et plus des hommes d'action liés au politique et à la pluralité. L'action a été transféré du domaine politique des hommes libres au domaine scientifique des spécialistes.

Ainsi, pour Arendt, la pensée, qui désigne une faculté de l'homme et ne fait référence à aucune transcendance métaphysique, n'est foncièrement pas cognitive, n'a pas pour objet la connaissance, comme peut l'avoir l'intellect qui sert de base à la science. La pensée correspond à son activité pure, qui s'apparente à un vent qui sans cesse est en quête de signification et n'a pas pour vocation de répondre à ses questions, n'a pas pour vocation une quelconque vérité qui n'est pas son objet. La pensée, dans son activité même, est sa fin en soi. Et le philosophe qui a le mieux compris cette caractéristique non dogmatique de la pensée est Socrate, fondateur de la philosophie occidentale, qui n'était pas un spécialiste et qui n'avait rien à enseigner, si ce n'est à montrer l'activité critique en quoi consiste la pensée et qui évite l'avènement du mal, du mal fait à soi même et aux-autres. En effet, « le sens de ce que fait Socrate se trouve dans l'activité elle-même » ( Arendt, la vie de l'esprit, Presses Universitaire de France, 1981, p.233 ). On pourrait opposer à cette vision non dogmatique de Socrate la théorie des Idées qu'il n'a de cesse de mettre en avant, et qui consiste une sorte de système métaphysique. Toutefois, Arendt distingue le Socrate dont se sert Platon afin de légitimer les fondements objectifs de sa cité idéale, et le Socrate historique dont on sait à l'évidence plusieurs choses, et notamment ce fait marquant qu'il n'a rien écrit, ce qui signifie clairement qu'il n'avait aucun système philosophique à léguer et que par conséquent l'aspect majeure de sa pensée résidait bien plus dans la mise en question que permet la pensée, en d'autres termes dans son mouvement même, qui s'apparente à un vent et plonge, par son incapacité à trouver une quelconque certitude, dans la stupeur. Or, ce qu'il faut comprendre, c'est que l'incapacité de la pensée à déboucher sur une quelconque certitude, incapcité que tous les hommes, penseurs ou non, expérimentent, n'implique pas un scepticisme à l'égard de la vérité, mais implique que l'objet de la pensée n'est pas la vérité comme le conçoit et le concevait le paradigme idéaliste, métaphysique, de la pensée philosophique. « Si la pensée est une activité qui est sa fin en soi, et si la seule métaphore qui lui convienne, empruntée à notre expérience sensorielle courante est la sensation d'être en vie, il s'ensuit que les questions concernant le but ou l'intention de la pensée n'ont pas plus de réponses que celles qui portent sur le but ou l'intention de la vie » ( Ibid, p.253 ). C'est pourquoi « La pensée est hors de l'ordre parce que la quête de signification ne produit aucun résultat final qui survive à l'activité et conserve un sens quand elle s'achève ( … ) la loi est celle « du mouvement perpetuel, qui est un mouvement en cercle » - le seul à ne jamais avoir de fin, et dont les résultats ne produisent rien » ( Ibid, p.166 ). Et la raison a ainsi le besoin « de poursuivre sa quête errante de signification » ( Ibid, p.273 ), quête qui demeurera à jamais errante, bien qu'elle se fige parfois en systèmes philosophiques chez des penseurs qui lui assignent pour objet la vérité, mais qui, parce qu'ils mécomprennent la pensée dans son rapport à elle-même et à ses possibilités, verront nécessairement leurs idées détruites et réfutées par d'autres. « La pensée, au sens non cognitif et non spécialisé, conçue comme un besoin naturel de la vie, l'actualisation de la différence présente dans la conscience de soi, n'est pas la prérogative d'une minorité, mais une faculté constamment présente en chacun de nous; de plus, l'incapacité de penser n'est pas le défaut des légions de gens qui manquent d'intelligence, mais une possibilité qui, sans arrêt, guette tout un chacun – y compris les hommes de laboratoire, les érudits, et autres spécialistes de l'équipée mentale. Tout le monde peut être amené à fuir ce rapport à soi-même dont Socrate a, le premier, découvert qu'il était réalisable et important. La pensée va de pair avec la vie et est elle-même la quintessence dématérialisée du vivre; et, du fait que la vie est un processus, sa quintessence ne peut résider que dans le processus de pensée en soi, et non dans des résultats tangibles ou des pensées spécifiques » ( Ibid, p.249 ). La pensée, qui s'apparente foncièrement à son propre mouvement, à son activité pure, est aussi neutre et vierge en termes de connaissance qu'un nouveau né qui advient au monde, et tandis que la pensée est condamnée, par sa définition même, à le demeurer, l'une et l'autre symbolisent la liberté qui est une des caractéristique fondamentale de l'humain, qui toutefois, selon ses conditions d'existences, peut se perdre et disparaître. La pensée, en tant que pure activité et capacité critique de mise en question, n'a pas pour objet la vérité, comme le croyaient les nombreux philosophes occidentaux qui jalonnent l'histoire de la métaphysique et qui ont été implicitement remplacés par les hommes de science au niveau de cette croyance, mais, comme l'image de son mouvement même, se porte à sans cesse mettre en question ce que font les hommes afin d'éviter l'absence de pensée qui entraine la possibilité du totalitarisme. La pensée se résume à son mouvement incessant de mise en question qui s'assimile à un état d'éveil permanent, dont l'inquiétude, chez chacun, correspond à ce qu'il peut la perdre, ou tout du moins en perdre l'habitude, et ouvrir ainsi la voie à l'absence de pensée et les drames potentiels qu'elle pourrait impliquer d'un point de vue éthique. « L'incapacité de penser n'est pas le défaut des légions de gens qui manquent d'intelligence, mais une possibilité qui, sans arrêt, guette tout un chacun » ( Ibid, p.249 ). Et le philosophe peut sans doute être caractérisé par une acuité plus ou moins consciente à l'égard de cette possibilité de perte de la pensée qui le guette, comme tout un chacun mais qui l'inquiète et l'angoisse sans doute un peu plus. « Après tout, ne savons-nous pas tous à quel point il a toujours été relativement facile de perdre, sinon la faculté, du moins l'habitude de penser ? Il suffit de vivre dans le divertissement constant et de ne jamais abandonner la compagnie des autres » ( Ibid, p.374 ). Mais cette immersion dans le divertissement n'aurait aucune raison qu'on la critique, si l'absence de pensée n'entrainait pas, dans le même temps que le divertissement, la possibilité du mal et du totalitarisme.


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Message par Bergame Lun 28 Fév 2011 - 0:28

Bonjour cédric :)

Admettons que la "nature humaine" relève effectivement de la croyance. Il me semble qu'une question serait alors : Mais, et la "condition humaine", ne relève-t-elle pas elle aussi de la croyance ?
Pourquoi donc la "nature" serait-elle croyance tandis que la "condition" serait… quoi, réelle ?

D’ailleurs, je n'avais pas noté cette phrase, qui me semble maintenant tout à fait étonnante :
    "Il est fort peu probable que, pouvant connaître, déterminer, définir la nature de tous les objets qui nous entourent et qui ne sont pas nous, nous soyons jamais capable d'en faire autant pour nous-mêmes : ce serait sauter par dessus notre ombre. De plus, rien ne nous autorise à supposer que l'homme ait une nature ou une essence comme en ont les autres objets. En d'autres termes, si nous avons une nature, une essence, seul un dieu pourrait la connaître et la définir."
Les objets ont une essence ? Les objets ont une nature ? Et elle est connaissable ?? Surprenant. Et comment donc connaît-on l’essence des objets ?
Ah ! L’essence des objets fabriqués par l’homme, oui, peut-être, si on ramène leur essence à leur utilité et/ou à leur origine : On peut admettre que le créateur connaît ses créatures, comme le fabricant connaît ses fabrications –et ainsi s’éclaire peut-être l’analogie implicite, vue plus haut, entre l’homme et le dieu.
Mais tout ce qui ne résulte pas de la main de l’homme ? On peut en percer l’essence ? On peut en connaître la nature ?

Il me semble que la question se pose d’autant plus que tous les objets qui ne résultent pas de la main de l’homme, c’est précisément ce que l’homme a toujours appelé « Nature ». Comme dans la phrase : « Cette perte de la pensée a entrainé une redirection de l'action, qui ne se situe plus désormais au sein du monde politique des hommes libres, mais au niveau de la capacité de la science et des technologies à transformer le monde naturel. »
Or, l’homme lui-même n’étant pas non plus une fabrication de l’homme, n’étant pas un produit de la technologie, ne faudrait-il pas considérer qu’il possède, lui aussi, une Nature ?

Alors, si d’aventure on trouvait qu'il existe quelque chose comme une nature humaine, dont on puisse néanmoins en connaître aussi peu qu’on ne connaît la Nature, je crois qu’on en viendrait à se demander si la pensée est vraiment si neutre que ça.
Un vent, oui, il me semble que c’est une jolie métaphore. Non seulement parce que le vent souffle bien de quelque part, mais aussi parce qu’il pousse dans la direction opposée.

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Message par cedric Lun 28 Fév 2011 - 9:46

Salutations : )

parler de nature humaine relève de la croyance car lorsque l'on parle de nature humaine, d'une part on assigne une définition à ce qu'est ou doit être l'homme, c'est à dire qu'on le détermine, et que d'autre part et bien cette détermination on ne saurait jamais en avoir réellement la connaissance autre qu'hypothétique, sans jamais savoir dans quelle mesure l'homme est déterminé par cette prétendue nature. Parler de nature humaine c'est nécessairement une sorte de quadrature du cercle, et c'est pour ça qu'Arendt utilise la métaphore du saut par dessus son ombre, propre à la phénoménologie pour qui la conscience, qui d'emblée se jette au monde et l'éclaire, n'a pas pour "fonction" de se regarder elle-même en retour et de pouvoir s'analyser.

A l'inverse, la condition humaine désigne toujours un état de faits clairement empirique. La condition humaine, qui doit en fait se subdiviser en plusieurs conditions humaines, selons les différentes cultures....afin de rester cohérente, désigne simplement des conditions d'existences d'un peuple à un moment donnée de l'histoire. Ca n'a rien à voir avec la croyance, c'est limite de l'anthropologie, de la description. Il s'agit de déterminer quelles sont les conditions d'existence d'un groupe d'humains à un moment donné de l'histoire, tout en sachant que ces conditions sont foncièrement variables quant à leurs valeurs et leur état. Un monde et une vision du monde...ça change, et peut-être que la seule "certitude" que l'on puisse avoir quant à la condition humaine, c'est qu'elle est foncièrement conditionnelle.

Concernant le passage ou ( désolé je ne trouve pas l'accent du u sur mon nouveau clavier ) Arendt parle de l'essence des objets, comme tu le remarques après, c'est seulement à entendre il me semble dans un aspect métaphorique.

Je pense qu'au niveau de la question quant à la "nature" de l'homme, il faut distinguer deux choses.
D'une part ce n'est pas parce que l'homme est issu de la nature qu'il possède lui-même une nature, et ça l'est d'autant moins si on lui attribue à la base la faculté la plus haute, celle de la liberté, ce que fait Arendt et qui conditionne toute son analyse. En fait, pour Arendt, on est libre ou ( disjonction exclusive ) non, pas de milieu. Or, cette liberté, on pourrait se dire, tiens, Arendt pris à son propre piège, puisque postuler la liberté, c'est un postulat métaphysique. Mais pour elle, le simple fait que l'on puisse avoir la capacité de choix montre que nous sommes fondamentalement libres, disons que pour elle la liberté n'est pas une question de démonstration métaphysique ( d'ailleurs avec Arendt au fond on est toujours loin de la métaphysique ) mais de monstration phénoménologique, disons simplement que lorsque l'on regarde les choses en actes, ce qui est se montre, et notamment la liberté dans la simple capacité de choix. Mais alors on peut très bien faire la réflexion : oui mais on pourrait très bien croire qu'on est libre tout en étant déterminé par une nature.... et en fait cet argument n'a pas lieu d'être pour Arendt, car précisément c'est un argument métaphysique. L'approche "phénoménologique" d'arendt, si on peut l'appeler comme ça, est une phénoménologie dégagée de la métaphysique, et qui s'attache à décrire se qui se passe sans plus faire de postulat métaphysique.

Mais j'ai envie d'aller dans ton sens et dire ok d'accord, mais quand même l'homme possède des déterminations, notamment dues à son aspect animal, ce que je pense. Et bien force est de constater, que quand bien même, cela ne suffit pas à assigner à l'homme une nature qui le détermine. Aucune détermination n'est susceptible de se transformer en nature pour l'homme, puisqu'il est libre. Tu peux devenir ascète, tu peux devenir ce que tu veux, te tuer, être bouddhiste....parce que tu est libre et c'est tout.

Tu parles de neutralité de la pensée, et tu soulignes que si on découvrait une nature humaine on pourrait voir que la pensée n'est pas neutre. Mais on a pas besoin de cette hypothèse pour savoir que la pensée n'est pas neutre, que d'ailleurs le péché de la pensée métaphysique réside précisément dans le fait qu'elle n'a jamais été neutre et toujours orientée par des idées psychologico-religiosio-culturelles.
Et ce que je trouve très fort et qui d'ailleurs se situe dans la voie de la phénoménologie concernant l'approche de la pensée, bien qu'orientée encore différemment par Arendt et vidée de métaphysique, c'est qu'Arendt parvient à décrire la pensée dans sa neutralité et qui correspond simplement au mouvement même de la pensée. La pensée, c'est simplement un vent, un mouvement sans fin dans lequel toute idée est nécessairement broyée. Pourquoi est-ce que les systèmes philosophiques ne tiennent pas et ne tiendront jamais ? Parce que la pensée n'a pas pour objet la vérité, sans quoi on s'en serait rendu compte depuis longtemps, mais parce qu'en elle-même elle correspond simplement à son propre mouvement. A mon sens, ça c'est quelque chose de très très fort : on a toujours lié la pensée à la vérité et à l'Etre, et Arendt de montrer en quoi la pensée n'est en fait pas du tout liée à la vérité, ni à l'Etre. Et elle fait un pas de plus qu'Heidegger qui liait encore la pensée à la révélation de l'Etre. Arendt est la seule, à ma connaissance, à donner une définition neutre et cohérente de la pensée, et sa définition à d'autant plus de poids que c'est clairement une philosophe "continentale" à la base, qui possède une finesse de pensée, et qu'elle ne fait pas partie de la clique des analytiques qui avancent toujours sur ce terrain, il faut bien le dire, avec des sabots.

J'avais fait un mémoire sur la condition de l'homme moderne et ce qui est troublant, quand on aborde la question d'une éventuelle ontologie chez Arendt, c'est qu'à la fois on a des résonnances, des expressions qui laissent penser qu'il y a un arrière plan ontologique, métaphysique, même minimal, alors qu'au fond non, et ça on le voit d'autant mieux dans son dernier ouvrage publié à titre posthume, la vie de l'esprit, dont l'analyse de la pensée en conclusion est magistrale et il me semble pas assez connue. Pour Arendt, l'essence, cette notion qu'elle manipule, est toujours métaphorique. Et pour elle, on ne peut connaître l'essence d'une personne que lorsque cette personne meurt, et cette essence, ce qui définit cette personne, aura consisté à ce qu'elle a fait durant sa vie, ce qui représente ce que cette personne par ces actions, à révélé d'elle.

Je terminerai, parce que le sujet est proche, par ce que tu dis dans un autre topic sur l'origine des idées, ou tu dis qu'une idée veut toujours aller plus loin, trouver une porte qui la mène à une autre salle, monter, regarder le ciel. Mais qui veut tout ça, c'est l'idée en elle-même ou la culture dans laquelle elle s'ancre, ou encore une volonté de pouvoir ? Si tu réponds que c'est l'idée en elle-même, on bascule dans la croyance, et on a quitté la philosophie.
Au fond, je pense qu'il existe un cloisonnement entre les diverses disciplines, et que quand on a bien compris ça on a fait un grand pas en avant.

Après, je pense qu'on peut être à la fois philosophe et théologien, mais il faut avoir conscience de ce qui fait qu'on est encore dans la philosophie ou non, je pense. Et la philosophie à aussi cette caractéristique, en ce qu'elle correspond au pur mouvement de la pensée, de pouvoir faire déboucher sur de nombreuses disciplines, qui toutefois lorsqu'on s'y insèrent, ne sont plus à proprement parler sur le terrain de la philosophie.

A ce qu'il me semble, et parce que la pensée n'a rien à voir avec la vérité dans laquelle elle se trouve toujours à la base ( et pas qu'elle devrait "trouver" à la fin ), la philosophie n'a pas pour vocation une quelconque certitude. Ce n'est pas une position sceptique, qui présuppose que la philosophie a pour finalité la vérité mais que cette finalité est à jamais frustrée, mais une mise au jour du fait que l'objet de la philosophie n'est pas la vérité, et que par conséquent, la philosophie n'a pas pour vocation de déboucher sur une quelconque certitude.




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Message par Bergame Mar 1 Mar 2011 - 21:33

Je commence par un aveu : Je crois bien que c'est la première fois que je me sens en désaccord avec ce que tu écris. Bon.

A l'inverse, la condition humaine désigne toujours un état de faits clairement empirique. La condition humaine, qui doit en fait se subdiviser en plusieurs conditions humaines, selons les différentes cultures....afin de rester cohérente, désigne simplement des conditions d'existences d'un peuple à un moment donnée de l'histoire. Ca n'a rien à voir avec la croyance, c'est limite de l'anthropologie, de la description.
Ma conviction est désormais qu'il n'y a pas d'empirie en sciences sociales. Il n'y a donc pas de description. Parce que les objets n'y sont jamais donnés. Le réel social, ça n'existe pas, si ce n'est en tant que représentation -et représentation commune, éventuellement, ou idéal-type.
Ce pourquoi, lorsque tu dis que la "nature humaine" est une croyance, je veux bien. Mais je réponds que la "condition humaine", elle aussi, relève de la croyance.
D'ailleurs, je vois bien que tu hésites : "Un monde et une vision du monde." Désolé, je suis plus tranché : Il n'y a que des visions du monde. Ce que le monde est, on n'en sait rien et on ne peut rien en dire -à moins de pratiquer la métaphysique.

Je suis d'accord sur la définition de la pensée par Arendt. J'avais vu ça aussi, et clairement, ça fait sens aussi pour moi. Mais lorsque j'évoque l'origine de la pensée, je ne pense pas à des déterminations qui affecteraient son contenu. Je pense bien à une origine du... vent. Parce que le vent vient bien de quelque part. Et la pensée aussi, sans doute.
Tout est croyance. Il n'y a donc pas de cloisonnement entre les disciplines. Quand on a compris ça, hé bien... il reste à comprendre la croyance. :) La pensée qui se pense, l'intelligence qui se saisit elle-même. Elle est là, pour moi, la philosophie. Dans cette impossibilité et ce que signifie, peut-être, cette impossibilité.

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Message par cedric Mer 2 Mar 2011 - 9:36

Je te trouve trop tranché, et je ne serais pas aussi affirmatif. Je ne pense pas qu'il n'y ait que de la croyance. Et il est bien possible de parler de condition humaine qui ne relève pas de la croyance, en répertoriant simplement en quoi consistent les conditions d'existences objectives ( des objets ) de l'homme à un moment donné. Les conditions de mon existence objective, par exemple : un pc portable, une fourchette, une maison.... et lorsqu'on dresse ces conditions et la manière dont elles nous affectent, on n'est pas dans la croyance. C'est bien de la description, tu ne peux pas ne pas être d'accord avec ça.

Alors après, évidemment le monde de l'homme ne se résume pas au monde objectif de son environnement, mais comprend aussi le monde de sa "pensée" au sens large ( imagination, réflexion, croyance ). C'est pourquoi il faut comprendre un va et va constant entre l'imaginaire et le réel, l'imaginaire informant le réel, et le réel informant l'imaginaire. Donc oui, il y a bien un monde ( le monde qui demeure même quand tu cesses d'y croire ) et une vision du monde ( propre à une civilisation, un groupe, un individu ).

Je veux dire, tu ne peux pas nier ça rationnellement. C'est marrant car au final tu retombes sur une posture Nietzschéenne, il n'y pas de réalité mais que des images, des croyances...Mais, peut-être que l'on n'a pas assez précisé l' "objet" du désaccord apparent. Tu dis qu'il n'y a pas de réalité sociale. Si tu entends ça dans le sens d'une réalité générale et globale que partagerait la société au niveau de la pensée, je dis d'accord, bien qu'il y ait des visions générales a minima, ce qui s'appelle une culture, qui il est vrai est faite de croyance. Mais, quand on parle de condition humaine, on ne parle précisément pas du tout de ce genre de pensée partagée, précisément la pensée, qui est une condition de base, on en dit rien lorsque l'on parle de la condition humaine, on fait juste répertorier les objets et les valeurs des hommes qui représentent ses conditions d'existence à un moment donné de l'histoire.

Cette notion de croyance est importante aussi à mon sens, mais si tu ne fais pas de distinction entre plusieurs types de croyance et l'applique au tout du réel, à mon sens ça ne veut plus dire grand chose. Je ne crois pas en dieu comme je crois en l'existence de ma maison.


Concernant la pensée on semble être sur la même longueur d'onde, si ce n'est que pour moi l'origine de la pensée est précisément ce qui échappe à la pensée et qui la fonde, et qui par conséquent sort de son cadre, du moins de son cadre analytique, c'est à dire rationnel. Par définition, deux choses nous échappent et nous échapperont toujours : la naissance et la mort, de même pour la pensée, son origine et son anéantissement. Et chercher à saisir son origine est impossible, ce qu'a bien compris Arendt. En gros, en philosophie, l'origine de la pensée c'est pas le problème. Le problème c'est plutôt de savoir ce qu'on peut faire avec cette pensée, dans une visée non utilitariste évidemment.
Parler de l'origine de la pensée, c'est de la théologie. Après, évidemment ça a un intérêt. Mais je vois mal comment ça se passerait si on appliquait ton idée de la croyance dans toutes les "sciences" qui sont toutes transitives...ça serait ni plus ni moins que la disparition de la science occidentale, qui se définit par le cloisonnement de ses objets et de ses méthodes, ce qui a son intérêt, à défaut d'être exhaustif.

Il me semble très intéressant, comme le souligne Arendt, de montrer que la pensée n'a pas tant à faire à la vérité qu'à l'éthique, qui n'est pas une idée mais une expérience. En gros, l'expérience de l'éthique enjoint la pensée à penser le monde pour éviter l'expérience du "mal", et c'est une nécessité constante qui n'a pas de fin. La possibilité du "mal" enjoint la pensée à penser sans cesse, bien plus que la nécessité de Vérité.

Et d'autre part, pour moi, ce fait que la pensée n'a pas pour objet la vérité mais représente un vent, c'est que l'objet de la pensée n'est pas elle-même ( son origine....) mais bien plutôt de penser, au final, l'évènement, c'est à dire l'éthique et la politique, c'est à dire les affaires humaines. Quand la pensée a compris que son objet n'était pas une quelconque vérité ( tous les sytème métaphysiques depuis le début de son histoire occidentale qui tous, quelque part, tombent sous sa critique ), elle se tourne vers le réel des hommes, elle en vient à penser l'évènement, les évènements, ce qui est plus laborieux et moins glorifiant il est vrai ( merdre, on ne sera plus des génies en rapport avec l'Etre et la Vérité, fais chier ! )






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Message par Bergame Mer 2 Mar 2011 - 20:44

cedric a écrit:Je te trouve trop tranché, et je ne serais pas aussi affirmatif. Je ne pense pas qu'il n'y ait que de la croyance. Et il est bien possible de parler de condition humaine qui ne relève pas de la croyance, en répertoriant simplement en quoi consistent les conditions d'existences objectives ( des objets ) de l'homme à un moment donné. Les conditions de mon existence objective, par exemple : un pc portable, une fourchette, une maison.... et lorsqu'on dresse ces conditions et la manière dont elles nous affectent, on n'est pas dans la croyance. C'est bien de la description, tu ne peux pas ne pas être d'accord avec ça.
Bien sûr que si, je ne suis pas d'accord avec ça. Tu assimiles la description à l'explication. Décrire des objets (leur forme, leur taille, leur couleur), ce n'est pas encore expliquer comment ils m'affectent. Songe à la chaine causale que tu dois implicitement mettre en place pour passer de l'un à l'autre :
- Décrire un objet
- Expliquer à quoi il sert, càd avec quel but il a été conçu et fabriqué
- Rendre compte de ma propre utilisation de cet objet (est-elle conforme ou non à sa vocation ?)
- Rendre compte de l'importance subjective que j'accorde à l'utilisation de cet objet (un grille-pain m'importe sans doute moins que mon téléphone portable, qui signe par exemple et en partie mon statut social)
- Proposer une explication du sens qu'a pour moi l'utilisation de cet objet particulier (je viens d'en donner un exemple en parlant de statut social)
- Expliquer pourquoi ce sens spécifique est important pour moi (après tout, le statut social n'est pas déterminant pour tout le monde, d'autres prioriseront l'aspect pratique, ou l'aspect esthétique, etc. etc.)
- Et au final, présupposer que toutes ces explications ne sont pas seulement valables pour moi, mais pour tout un chacun -ou variante : Pour les autres membres de la même culture que moi -et d'ailleurs, qu'est-ce que c'est que la culture, et comment je la définis, par les objets, etc. etc.

Les sciences sociales ne sont jamais descriptives parce que, encore une fois, les objets ne sont jamais donnés.


Tu dis qu'il n'y a pas de réalité sociale. Si tu entends ça dans le sens d'une réalité générale et globale que partagerait la société au niveau de la pensée, je dis d'accord, bien qu'il y ait des visions générales a minima, ce qui s'appelle une culture, qui il est vrai est faite de croyance. Mais, quand on parle de condition humaine, on ne parle précisément pas du tout de ce genre de pensée partagée, précisément la pensée, qui est une condition de base, on en dit rien lorsque l'on parle de la condition humaine, on fait juste répertorier les objets et les valeurs des hommes qui représentent ses conditions d'existence à un moment donné de l'histoire.
Précisément. En fait, je pense exactement la réciproque : Le réel social, s'il existe, ce ne sont pas des objets, car les objets n'ont aucun sens en eux-mêmes. Leur sens, c'est nous qui le leur donnons. Tu vois ce que je veux dire : Les objets des sciences sociales ne sont jamais donnés a priori, ils sont construits par nous. C'est nous qui les construisons, c'est nous qui les utilisons, c'est nous qui leur donnons leur signification. Pour ainsi dire : Pour comprendre les objets, il faut interroger l'homme. Or, tu prétends faire l'inverse : Pour comprendre l'homme, interrogeons ses objets. Selon moi, c'est une erreur : Les objets ne disent rien par eux-mêmes.

En somme, donc, pour moi, le réel social, s'il existe, n'est pas constitué par des objets, mais par des croyances. Disons, de manière plus neutre et générale, peut-être : Des représentations. La culture, par exemple, elle n'est pas constituée par des objets, elle est constituée par des représentations communément partagées. Ce qui fait qu'on reconnaisse quelqu'un de la même culture que nous, c'est que, globalement, il "pense" comme nous. Alors néanmoins, ces représentations peuvent s'exprimer, se manifester, dans l'utilisation de certains objets plutôt que d'autres :
- Comment ? Chez toi, on peut avoir plusieurs femmes ? Ben ça alors !
- Mais alors, comment vous faites pour communiquer ? Des signaux de fumée ? Ca alors ! Nous, on utilise des téléphones portables.
- Ouais, mais moi, je suis pas habitué à discuter les prix, chez nous, c'est écrit sur l'étiquette.
- Chez nous, les parents, c'est comme des dieux, quoi, on leur doit le respect, jamais on ne pourrait leur parler comme toi tu fais avec les tiens (vu à la TV récemment :) ).

Dans ces exemples, tu constates que même là où il s'agit d'utiliser des objets, cette utilisation ne prend sens que par rapport à des représentations qu'il faut qu'un homme, membre de l'autre culture, t'explique et t'apprenne. Je veux dire : Si tu vois un homme agiter un tapis au-dessus d'un feu de bois en haut d'une colline, tu es en droit de te demander ce qu'il peut bien être en train de foutre. Quelque rituel d'un culte exotique ? Et là, un cheyenne te répond : "Pas du tout, il est en train de communiquer avec la tribu voisine." NOOON ??? :)

Les objets ne disent rien, par eux-mêmes. Et ils ne disent certainement rien sur l'homme et sa "condition".


Parler de l'origine de la pensée, c'est de la théologie. Après, évidemment ça a un intérêt. Mais je vois mal comment ça se passerait si on appliquait ton idée de la croyance dans toutes les "sciences" qui sont toutes transitives...ça serait ni plus ni moins que la disparition de la science occidentale, qui se définit par le cloisonnement de ses objets et de ses méthodes.
Peut-être bien, oui. Et alors ? :) En tous cas, mon problème est ailleurs.


Il me semble très intéressant, comme le souligne Arendt, de montrer que la pensée n'a pas tant à faire à la vérité qu'à l'éthique, qui n'est pas une idée mais une expérience. En gros, l'expérience de l'éthique enjoint la pensée à penser le monde pour éviter l'expérience du "mal", et c'est une nécessité constante qui n'a pas de fin. La possibilité du "mal" enjoint la pensée à penser sans cesse, bien plus que la nécessité de Vérité.
Nous sommes d'accord. :) D'autant plus que je trouve évidemment significatif que tu passes en un paragraphe de la science à l'éthique.
Pour moi, la science a un rapport avec le Vrai, pas avec l'Utile ni le Bien. Et tout, au final, est toujours une question de valeurs, c'est-à-dire, n'est-ce pas, de représentations Wink

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Message par cedric Jeu 3 Mar 2011 - 11:19

Je pense que le sujet est délicat. Toutefois, il me semble que ta position est trop subjectiviste, il me semble que tu accordes trop d'importance au mental et pas assez à l'objectivité des objets du monde. Il faudrait se mettre d'accord sur cette proposition : la pensée conditionne le monde des objets, mais en retour, le monde des objets conditionne aussi la pensée. Or, tu ne conçois que la première partie, et pas la seconde. A t'entendre, les objets n'auraient aucun pouvoir de conditionnement.

Tu accordes trop d'importance au mental car tu penses que tout consiste à la manière dont tu conçois que les choses t'affectent, sans voir que quoi que tu puisse en penser, les choses, a minima t'affectent nécessairement selon la définition de leur place dans le monde et de leur caractéristiques utilitaires. D'une certaine manière, tu peux être affecter comme tu veux, tu n'échappe pas au monde objectif ( des objets ) dans lequel tu vis et qui te conditionnent nécessairement selon leur définition, voilà le point auquel tu ne t'accordes pas, et qui est pourtant, il me semble assez évident.

Tu semble dire: le monde des objets, ce sont les croyances de l'homme qui le construisent, et en fonction de leur croyance. Je dis ok, d'accord. Mais cela n'implique pas que les objets se réduisent à être des croyances. Pourquoi, parce qu'un objet, quand bien même il est le fruit d'une croyance, et bien sa matérialité concrète, la définition de son utilité effective, se trouve toujours au delà de la croyance qui a certes servi à sa conception. En gros, le train est peut-être le fruit d'un monde de croyance vis à vis du progrès...mais sa réalité de fait, son effectivité ne relève plus du tout de la croyance. Et quand tu prends le train, tu n'a pas primitivement affaire à de la croyance, mais à des conditions objectives qui vont conditionner ton comportement pendant ton trajet : rester assis à une certaine place, aller à un tel endroit si tu veux pisser...
Ce que tu ne semble pas admettre, c'est que, quoi que puisse être ton choix dans la manière dont tu décides d'être affecté par les objets, tu ne vois pas le monde de la même manière selon le monde objectif dans lequel tu vis. Tu n'aurais pas la même vision du monde si tu avais grandi sur une planète bétonnée de A à Z, parce que ton environnement te conditionne et t'affecte toujours, quand bien même à la base il est le fruit de diverses croyances.
Moi dans le monde qui m'a conditionné en partie, il y a le train, il y a la moto, il y a la bourse, les 35 heures....qui me proposent une vision du monde spatio-temporelle découpée en fonction des objets qui les représentent et son omniprésents.

Alors tu peux dire, oui, justement, les objets sont des concentrés de croyance. Pourquoi pas, mais il n'en demeure pas moins que ceux qu'ils incarnent t'affectent et te conditionnent nécessairement a minima. Tu n'échappes pas à la vision du monde de ta société et ses objets. Alors tu me diras, mais oui, justement, les objets ne font que cristalliser des croyances. Peut-être, mais ça n'enlève rien au fait que ce qu'incarnent les objets te conditionne nécessairement, parce que tu ne peux pas faire sans eux, et que si tu fais sans eux, tu change de monde objectif.

L'homme à quand même cette caractéristique de s'adapter à son environnement, et sur ce point précis ( qui est un point formel ) on n'est pas dans la croyance. Et simplement il s'adapte différemment selon la tronche de son environnement.


Bergame a écrit:
Les objets ne disent rien, par eux-mêmes. Et ils ne disent certainement rien sur l'homme et sa "condition".


Tu fais une distinction trop grande entre la pensée et l'objet, et tu dis bah tout est dans la pensée, ses croyances...Mais il ne s'agit pas de dire que les objets n'ont pas de rapport à la pensée. Il s'agit de voir qu'une fois les objets réalisés ils acquièrent une fonction indépendante de la pensée qui les a engendrée.
D'accord, il s'agit de savoir à quoi l'objet sert, mais une fois qu'on le sait, cela fait partie de la définition de l'objet. Et à partir de là, non seulement les objets disent quelque chose sur les hommes qui les ont construits, mais beaucoup de choses.
Tu peux être affecté comme tu veux, ton pc te serviras jamais à bouffer des spaghettis : dans sa définition se trouve le panel de ses fonctions. Et quand tu décris le panel de ses fonctions, ça te dis pas mal de choses sur la condition histoire ( le monde ) dans lesquels vivent les hommes qui l'ont conçu.

Peut-être que l'objet du désaccord vient de ce qu'on ne dit pas la même chose.
Tu dis : les objets sont des cristallisations de croyance, et en ce sens des représentations.
Je dis : notre adaptation aux objets et la manière dont on va les utiliser selon les fonctions qu'ils présentent ne relève pas de la croyance, et cette adaptation nous conditionne.

Il me semble aussi qu'il ne faudrait pas surcharger les objets de croyance non plus. Une fourchette quelque part elle est en deça de la croyance, un vêtement lambda aussi, il existe des objets fonctionnels, certes toujours aussi en partie objet d'"art", mais en deça du sens de la croyance. Le sens, la croyance n'est pas non plus partout dans le monde.

Et puis le choix d'un monde de sens peut ne pas relever de la croyance.

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Message par Bergame Sam 12 Mar 2011 - 2:23

Oui, le sujet est délicat, bien sûr. Bon, j'essaie de faire un pas vers toi.

Si tu veux, mon point de départ est plutôt celui-ci : Le réel social n'a pas le même statut que le réel physique. Les objets conditionnent la pensée ? Comme le réel physique s'impose en tant que conditions à notre existence ? Je ne crois pas : Les objets physiques sont donnés, les objets sociaux sont construits. La spécificité de l'espèce humaine, c'est précisément qu'elle ne s'adapte pas à son environnement, mais qu'elle le transforme. En l'occurence, les objets qui constituent notre environnement social sont notre propre production. Comment pourraient-ils conditionner notre existence ?
Il faudrait pour cela introduire l'idée d'une vie des objets, indépendante de l'homme, et qui puisse justifier que les objets puissent, à leur tour, s'imposer aux hommes. Il faudrait penser une autonomie des objets. Tu le dis d'ailleurs, tu parles d'une "fonction indépendante" des objets. Je ne sais pas. Latour a développé quelque chose comme ça, oui, l'idée que les interactions sociales sont de plus en plus des interactions homme-machine, ce qui implique donc que les objets deviennent acteurs. Mais comment ?

Si tu veux, pour l'instant, quand tu me dis : "L'utilisation du train conditionne ton comportement", je vois une erreur d'attribution causale. Si j'utilise un train, c'est bien en tant que moyen (qui prend en compte sa conception, sa vocation, bref, son utilité) pour une fin qui est la mienne. En quoi conditionne-t-il mon comportement ?
Quand tu me dis : "Tu ne verrais pas la vie de la même manière si ton monde n'était pas bétonné", même chose. N'est-ce pas plutôt parce que, dans ma civilisation, on voit la vie d'une manière particulière que mon monde est bétonné ? Et à vrai dire, ce n'est peut-être même pas une question de culture, mais de... nature humaine. Il semble que l'espèce humaine cherche partout à transformer son environnement -à vrai dire, comme toute espèce animale d'ailleurs, toute espèce est prise dans cette alternative d'adaptation et de transformation : un couple d'oiseaux qui construit un nid est déjà en train de transformer son environnement en fonction de ses besoins ; il se trouve seulement que l'espèce humaine a étonnament réussi. Cela aussi me semble plus intéressant à penser que la question de l'adaptation de l'homme aux objets qu'il a lui-même construit.

Alors bien sûr, je vois bien l'idée : La technologie modifie notre perception du monde. C'est exact : Le train raccourcit les distances, ou plus exactement encore : Semble raccourcir les distances. Précisément, c'est affaire de perception, ou mieux dit : de représentation. Tu me dis donc : "Tu vois bien, les objets influent sur notre représentation du monde à leur tour." Ok, je le vois. Mais quelque chose me gêne, je ne crois pas à la "fonction indépendante", ou alors explique-moi stp comment les objets développent cette indépendance.

Tu comprends, je ne nie pas, c'est peut-être une intuition intéressante. Elle est présente chez Heisenberg, par exemple, je l'avais mentionné dans ma petite étude sur la Technique : La technique devient un processus biologique, qui conditionne à son tour l'existence humaine. Admettons. Mais en admettant que la technique commence par être un prolongement de l'homme, comment rendre compte de la rupture, de son autonomisation ? Je ne sais pas, ce problème se pose-t-il à Arendt et comment le résoud-t-elle ?

En fait, si j'essaie de résumer ce problème -que j'aperçois maintenant passionnant, il est vrai- je vois deux options :
- Soit on rend compte du fait que le réel social s'apparente au réel physique, naturel. Dans ce cas, il faut expliquer par quel processus notre environnement, technique, social, redevient nature.
- Soit on rend compte du fait que les objets deviennent véritablement "sociaux", et acquièrent en quelque sorte une existence autonome, susceptible d'influer en retour sur l'existence humaine. Dans ce cas, il faut expliquer par quel processus les objets deviennent, en quelque sorte, sujets.

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Message par cedric Sam 12 Mar 2011 - 10:48

Evidemment je suis d'accord, le réel social n'a pas le même statut que le réel physique, il existe une différence ontologique, de nature, la différence qui existe et existera toujours entre un produit naturel et un objet culturel, et il ne s'agit pas pour moi de dire le contraire. Et justement il me semble qu'une de nos différences sur le sujet débattu, c'est que tu le penses à un niveau plus ontologique que moi.

C'est pour ça que tu t'attachais à définir la fonction d'un objet comme relevant, non pas d'une sorte de structure de l'objet, mais provenant toujours de l'information du sujet humain. On est d'accord, d'un point de vue absolu l'objet n'a rien à dire que ce que lui fait dire l'homme qui lui attribue une fonction spécifique. Mais il ne me semble pas que le sujet tienne dans cette précision.

Tu dis, les objets physiques sont donnés, les objets sociaux sont construits, et la spécificité de l'espèce humaine, c'est précisément qu'elle ne s'adapte pas à son environnement mais qu'elle le transforme. Et alors, si nos objets sont notre production, comment pourraient-ils conditionner notre existence, c'est ta question. Mais tu vois une contradiction, il me semble, précisément parce que tu réfléchis de manière "naturalisante" et "globalisante". Je précise. Tu penses implicitement, en disant que l'espèce humaine par nature modifie son environnement, que tous les hommes de l'espèce humaine ont en tête l'avènement du béton, du train....ce qui est faux. Ce que tu sembles ne pas prendre en compte, et qui ne relève pas d'une unicité de l'espèce humaine, ce sont les stratégies de pouvoirs qui sont mises en oeuvre dans l'information du monde, et qui ne sont, c'est le moins qu'on puisse dire, jamais posées en tant que question et choix à chaque homme mais qui représentent un mouvement auquel il est difficile de s'opposer. Clairement, s'il n'y avait que des types comme moi, je ne pense pas que la modernité aurait la même tronche, les mêmes idéaux, non pas que je me pense supérieur ou quoi, mais simplement parce que, bien que participant de l'espèce humaine, mon esprit critique et la philosphie m'ont amené à comprendre que la manière dont on conçoit la réalité dépend de ce qu'on choisit d'en faire à un certain niveau. Le problème, c'est que, bien qu'opposé à une vision de la réalité qui passe comme normale à l'heure actuelle, je suis pris dans ce mouvement qui, que je le veuille ou non, influe sur ma vision du monde de par les objets et ce qu'ils portent et véhiculent en termes de valeurs, auxquels je suis sans cesse confrontés. Ces objets m'influencent, relativement. Pas totalement, c'est sûr.

Je veux dire, ça me paraît assez simple. Il ne s'agit pas de dire que l'objet possède une valeur indépendante...très bien, la fonction de l'objet provient de l'homme, mais, et c'est là l'important, cette valeur une fois attribuée à l'objet, aux objets, existe une relative indépendance représentative de ce qu'il est, et du reste nous sommes tous formés, éduqués, à comprendre ces fonctions.
A partir de là, je ne comprends pas vraiment pourquoi tu cherches à trouver absolument, pour valider ce fait que les objets influent sur l'homme et sa conception du monde, une "indépendance des objets" à l'égard de la vie de l'homme, comme si tu cherchais un fondement absolu ici, alors que très bien cette indépendance est juste relative, formelle, mais peu importe, ça n'empêche pas que l'influence est effective, bien qu'évidemment les objets ne soient pas, absolument parlant, aussi autonomes que le sont les produtis de la nature. Donc quand je parle de "fonction indépendante" des objets, ce n'est pas une proposition ontologique, mais relative à la manière dont les hommes attribuent des fonctions aux objets qui se maintiennent formellement dans les mentalités d'une génération à une autre par exemple. Je ne vois aucunement de problème ontologique à ce niveau, ce qui semble te poser problème.

Tu dis, le train ok, je le prends parce qu'il correspond exactement à ce que j'en attends, et c'est d'ailleurs pour cela que je l'ai construit ( moi, représentant de la nature humaine ). Mais ce n'est pas moi, individu particulier, qui ait construit le train, moi je ne suis pas un fragment d'une espèce qui aurait un but unique, la construction du train, du monde contemporain, très bien, elle s'inscrit dans une culture à laquelle j'appartiens et qui possède une tendance globale ( le progrès ), mais elle est aussi et c'est là le point important, le produit de stratégies diverses de pouvoirs qui ne sont pas à penser sur le mode d'évolution historique ontologisée. Donc, cette fin, à proprement parler ( le train, le progrès ) n'est pas "la mienne" comme tu le dis, elle est tout au moins il est vrai partagée à minima par beaucoup. En fait, j'ai l'impression que lorsque tu ranges implicitement tous les hommes sous le même but, la même fin, par ta notion de "nature humaine", précisément tu te places en dehors de la capacité de penser en termes de liberté et de stratégies de pouvoir. Et implicitement tu as tendance à ontologiser une sorte d'évolution qui serait naturelle et inéluctable, alors qu'en fait c'est une vision du monde, à laquelle chacun est libre de s'accorder ou non. Le problème étant que, que tu t'y accordes ou non, cette vision du monde existe bel et bien en termes de faits, représentée par tous les objets qui forment ton environnement et auxquels tu ne peux échapper au niveau de l'ordre à la fois symbolique et effectif.

Et dans certains cas, cette vision du monde qui entraine la création d'objets spécifiques pose clairement problème. Prenons des exemples parlant, pour bien montrer qu'il est bien question d'adaptation à nos objets, notion qui te pose problème de par ta distiction ontologique. Prenons l'exemple du travail à l'usine, à la chaine. Là on voit bien que l'ouvrier, il peut être d'accord avec le progrès et tout, passer 40 ans à la chaine, ça influe considérablement sur tes conditions de vie et ta vision du monde. Et bien qu'on puisse tous, pourquoi pas, être d'accord avec le progrès, on n'est sans doute surement tous beaucoup moins capable d' accepter certaines conditions de vie nécessaires à l'avènement de ce progrès. Le problème étant que, tous, à notre niveau, nous sommes influencés par les désagrément d'une vision du monde, et qui se manifeste par des nécessités objectives ( metro, bruits, pollution....) ; et à minima, chaque objet reflète une vision du monde qui influe sur notre manière de penser au sens large, sur notre conception de ce qui est NORMAL.

Donc, que j'habite dans les bois ou à la ville, peu importe, il est bien question d'adaptation à son environnement, même si le deuxième s'inscrit dans un "choix général" de nos ancètres, ou du moins ceux qui étaient en mesure de décider effectivement.

Si je penses avec tes distinctions, je préciserais alors, il est vrai : on ne s'adapte pas à l'environnement naturel comme on s'adapte à l'environnement culturel, et ce parce que l'on a choisi en partie les caractéristiques de notre environnement culturel qui alors, en partie, représente une production de nos représentations, une affirmation de la manière dont on conçoit le monde, le notre, celui "humain", avec un peu d'ethnocentrisme.





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Message par Bergame Lun 14 Mar 2011 - 0:33

Ok, maintenant, nous pouvons trouver un terrain d'entente, mais il me semble que nous avons changé de sujet :

Ce que tu sembles ne pas prendre en compte, et qui ne relève pas d'une unicité de l'espèce humaine, ce sont les stratégies de pouvoirs qui sont mises en oeuvre dans l'information du monde [...]
En fait, j'ai l'impression que lorsque tu ranges implicitement tous les hommes sous le même but, la même fin, par ta notion de "nature humaine", précisément tu te places en dehors de la capacité de penser en termes de liberté et de stratégies de pouvoir.
Ce que tu es en train de faire, là, c'est de faire passer le clivage dominant / dominé au sein de l'espèce humaine. Tu es en train de construire une théorie politique. Et même :
Le problème étant que, que tu t'y accordes ou non, cette vision du monde existe bel et bien en termes de faits, représentée par tous les objets qui forment ton environnement et auxquels tu ne peux échapper au niveau de l'ordre à la fois symbolique et effectif.
Je pense que tu es essentiellement en train de faire une critique de l'idéologie.
Parce qu'il me semble que ce que tu es en train de dire, c'est : "Si le train conditionne mon existence, c'est parce que ce n'est pas moi qui l'ai construit." Et en effet, ce n'est pas toi, ni moi. Nous avons appris à l'utiliser. Parents, adultes, enseignants, élites multiples, en même temps qu'ils fabriquent les objets, ou qu'ils nous apprennent à les utiliser, ils nous enseignent une vision du monde particulière. Comme le Sioux : Il te tape sur l'épaule, et te dit à quoi sert le rituel du tapis et de la fumée. Et si d'aventure, tu voulais devenir Sioux, il te faudrait l'apprendre, le reproduire, et le tapis deviendrait ton outil de communication. En ce sens, il impacterait ton existence.

Mais en scindant -même si ça reste relativement implicite- l'espèce humaine en dominants et dominés, il me semble que tu t'es éloigné d'Arendt : Elle, me semble-t-il, parle de la condition de l'homme dans son universalité.

Ta solution à la fin est intéressante : Elle consiste à rejeter la domination dans le passé. Anecdotiquement, c'est un schéma théorétique que j'ai travaillé avec beaucpup d'intérêt. Je l'ai trouvé chez certains auteurs politistes "libéraux" ou "conservateurs" (comme Bendix, Dahrendorf, etc.) qui à la fois pensent en termes de classes sociales aux intérêts antagonistes, et à la fois font l'apologie de l'ordre social existant. Comment être "marxiste" et "conservateur" à la fois ? La solution qu'ils trouvent pour concilier les deux, c'est de rejeter la "lutte des classes" dans le passé. En gros : Il y a eu une "bataille" à un moment donné (révolution, guerre civile), une classe l'a emporté, et depuis, le statu quo (alimenté et justifié par l'idéologie) entérine sa domination. J'avais trouvé que c'était très intéressant comme schéma. Je ne sais pas si ça te parle.

Bon, mais je crois qu'il y a autre chose. Non, je suis d'accord, il faut rendre compte de la pollution, etc. Sans doute que les objets impactent notre existence. Mais pourquoi ils le font, comment ils le font, est pour moi assez mystérieux, en fait.

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Message par cedric Lun 14 Mar 2011 - 10:09

Je ne sais pas si je construis une théorie politique, les rapports sociaux de dominations me paraissent évidents. Mais, il ne s'agit pas de s'en tenir, évidemment, à la dichotomie dominant/dominé, on sait comment la dialectique du maître et de l'esclave peut se retourner, virevoleter...Non, là vraiment je pense plutôt à Foucault, qui définit le pouvoir comme la multiplicité des rapports de forces et qui s'exerce à tout niveau, le boulanger qui tient un discours, son employé, un directeur de banque...car tout discours a potentiellement un impact sur son ou ses interlocuteurs, et véhicule des valeurs, une vision du monde....
Donc, il ne s'agit pas véritablement de dominant/dominé, et c'est justement là le point délicat, je veux dire personne ne se dit : merde ces enfoirés de dominants qui ont des trains...les trains, la technologie, on aime tous ça, mais à la fois ça crée des conditions de vie globale parfois indésirables. Nous sommes pris dans le courant d'une culture, et une culture, c'est impersonnelle, même si cette culture, au fil des siècles a évidemment été alimentée par des hommes, qui eux-mêmes étaient pris dans des pouvoirs. Au fond, chacun de nous est plus ou moins toujours, en rapport à sa culture, à la fois dans une posture dominante et dominée, pour le dire différemment, une sorte de clivage plus ou moins grand selon sa sensibilité et sa grille de valeurs.

Je ne suis pas sûr de m'être éloigné d'Arendt en disant ça, au contraire. Tu dis qu'Arendt parle de la condition de l'homme dans son universalité. C'est vrai, mais pas du point de vue d'une nature humaine encore une fois. Ce qu'elle dit c'est : les conditions qui possèdent une certaine stabilité dans l'existence humaine sont le travail, l'oeuvre, l'action et la pensée. C'est tout ce qu'elle dit, c'est très minimal, et elle souligne que la condition humaine...peut changer, par exemple si à l'avenir les hommes habitent sur une autre planète, notre rapport au travail, aux oeuvres, à l'action et à la pensée viendraient alors à changer. Du reste, lorsqu'elle dresse une archéologie de l'inversion des valeurs de l'époque grecque à celle moderne, implicitement elle ne peut pas ne pas parler de rapports de pouvoirs, de force, même si elle s'attache plus à décrire les changement qu'à les localiser ( ce qui serait difficile ).

Pour moi on est dans le même débat, car tout ce dont on vient de parler, à mon sens, ça relève de la condition humaine, c'est à dire des valeurs représentées qui serviront de base en tant que conditions d'existence à un nouveau né humain, qui, bien que conditionnelles, pour lui seront la norme de son monde, la normalité.

J'avoue ne pas trop comprendre ton interrogation vis à vis du pouvoir des objets, quand tu te demandes pourquoi ils le font, comment ils le font. Pour l' "anecdote", Arendt accorde une très grande importance aux objets, qui se distinguent des produits de la nature. Et pour elle, le monde humain se situe tout entier dans le monde de ses objets qu'il fabrique. Et c'est à ma connaissance une des seules qui va dire que la stabilité de l'identité, l'homme ne la trouve pas de son côté ( une supposée âme, son corps ( qui pour Arendt est le symbole organique cylique de la déstruction permanente ) mais du côté de la stabilité de son monde d'objets, qui par transfert lui apporte une stabilité au niveau de son rapport à l'identité. En gros, la stabilité de l'identité pour l'homme provient du transfert de la seule chose stable dans son monde, les objets.
Du reste, à mon sens Arendt fait une trop grosse distinction entre nature et culture, comme si l'homme n'avait aucun rapport avec la nature, d'ailleurs à la fin de Condition de l'homme moderne il y a une phrase assez intriguante.





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Message par Bergame Mar 15 Mar 2011 - 8:26

Donc, il ne s'agit pas véritablement de dominant/dominé, et c'est justement là le point délicat, je veux dire personne ne se dit : merde ces enfoirés de dominants qui ont des trains...les trains, la technologie, on aime tous ça, mais à la fois ça crée des conditions de vie globale parfois indésirables. Nous sommes pris dans le courant d'une culture, et une culture, c'est impersonnelle, même si cette culture, au fil des siècles a évidemment été alimentée par des hommes, qui eux-mêmes étaient pris dans des pouvoirs. Au fond, chacun de nous est plus ou moins toujours, en rapport à sa culture, à la fois dans une posture dominante et dominée, pour le dire différemment, une sorte de clivage plus ou moins grand selon sa sensibilité et sa grille de valeurs.
Hé bien d'accord, mais là, tu es en train de dire que ce qui est impersonnel et s'impose à nous, en dernier lieu, parce qu'elle nous préexiste, c'est la culture. Et une culture, c'est d'abord une représentation du monde. :) C'est sûr que les Sioux, pour communiquer, n'ont pas inventé le téléphone portable. Pourquoi ? Parce qu'auparavant, ils n'avaient pas inventé le microprocesseur. Pourquoi ? Parce qu'auparavant, ils n'avaient pas découvert les règles de la conduction électrique. Pourquoi ? etc. etc. Qu'y a-t-il "à l'origine" ? Je pense -avec Weber bien entendu- qu'il y a des représentations différentes de l'homme et du monde. Sans doute qu'il y a un allez-retour. Mais je pense que d'abord, il y a la pensée, avant l'activité -j'entends, l'activité de production, par exemple. Mais évidemment, ca n'est qu'une théorie, parmi d'autres -et qui, sans doute, me ressemble, qui plus est.
En fait, tiens, ce que je pense au plus profond, c'est que, si l'espèce humaine, comme toutes les espèces, cherche à transformer son environnement, il y a des cas où c'est plus simple que d'autres. Je fais l'hypothèse qu'il y a eu des situations où la nature a, en quelque sorte, mieux résisté qu'ailleurs. Par exemple, je suppose que ce n'est pas tout à fait un hasard si la modernité a fleuri dans les régions tempérées du globe, plutôt que dans les régions tropicales, désertiques, ou froides.
Alors, j'anticipe sur l'objection, ne suis-je pas là en train de dire que l'activité, après tout, préexiste à la pensée ? Non, car la puissance qui est à l'origine de la volonté de transformation de l'environnement, c'est ce que j'appelle la pensée. Et paradoxalement, donc, la pensée est alors... "nature", ou bien "vie". Bon, ça n'est que mon idée.

Aussi, et bien évidemment, j'ai conscience d'être en-dehors d'Arendt lorsque je discute ici avec toi. Il y aurait en effet une autre manière de mener cette discussion, ce serait d'accepter les postulats d'Arendt.
Par exemple, revenons-y. Lorsqu'Arendt dit que la nature humaine relève de la croyance, elle justifie :
Les tentatives faites pour définir la nature humaine s’achèvent presque invariablement par l’invention d’une divinité quelconque, c’est-à-dire par le dieu des philosophes qui, depuis Platon, s’est révélé à l’examen comme une sorte d’idée platonicienne de l’homme.
D’autre part, les conditions de l’existence humaine –vie, natalité, mortalité, appartenance au monde, pluralité, Terre- ne peuvent jamais « expliquer » ce que nous sommes ni répondre à la question de savoir qui nous sommes, pour la bonne raison qu’elles ne nous conditionnent jamais absolument. Telle a toujours été l’opinion de la philosophie, distincte des sciences (humaine, sociales) qui s’occupent aussi de l’homme. Mais aujourd’hui, nous pouvons presque dire que nous avons démontré, voire scientifiquement prouvé, que si nous vivons maintenant et devons probablement toujours vivre dans les conditions d’ici-bas, nous ne sommes pas de simples créatures terrestres. (p.46)

(j'ai la flegme de vérifier si ce sont les termes exacts, pardon, ce sont en tous cas mes notes).
Page suivante, Arendt explicite encore : Le postulat fondamental, c'est la liberté de l'homme. Le raisonnement est donc : Comme l'homme est libre, il échappe toujours aux déterminations naturelles, ce qui se traduit ici par : Il n'est pas une simple créature terrestre. Et le discours qui affirme que l'homme est une créature terrestre qui, à ce titre, est déterminée naturellement, est un discours métaphysique, càd, chez Arendt, "platonicien".

Moi ça me semble quand même très compliqué, comme position. Il est clair que je ne maitrise pas suffisamment Arendt, mais deux choses :
- Pour justifier cette distinction philosophie / SHS, telle que l'expose Arendt à moins que je ne me trompe, il faut manifestement exclure de la catégorie "philosophie" tout ce qui vient après Socrate. C'est-à-dire que lorsqu'elle affirme "telle a toujours été l'opinion de la philosophie", il faut comprendre : Jusqu'à Platon (à moins que je ne me trompe, je répète).
- Admettons néanmoins la partition, et admettons que pour le "vrai" philosophe, l'homme n'est pas une créature terrestre. Que devient alors Darwin ? Un métaphysicien ?

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Message par cedric Mar 15 Mar 2011 - 11:55

Bergame a écrit:
Hé bien d'accord, mais là, tu es en train de dire que ce qui est impersonnel et s'impose à nous, en dernier lieu, parce qu'elle nous préexiste, c'est la culture. Et une culture, c'est d'abord une représentation du monde. :) C'est sûr que les Sioux, pour communiquer, n'ont pas inventé le téléphone portable. Pourquoi ? Parce qu'auparavant, ils n'avaient pas inventé le microprocesseur. Pourquoi ? Parce qu'auparavant, ils n'avaient pas découvert les règles de la conduction électrique. Pourquoi ? etc. etc. Qu'y a-t-il "à l'origine" ? Je pense -avec Weber bien entendu- qu'il y a des représentations différentes de l'homme et du monde. Sans doute qu'il y a un allez-retour. Mais je pense que d'abord, il y a la pensée, avant l'activité -j'entends, l'activité de production, par exemple. Mais évidemment, ca n'est qu'une théorie, parmi d'autres -et qui, sans doute, me ressemble, qui plus est.

Je vois bien que ce point te tiens à coeur, et encore une fois je suis d'accord. La pensée précède l'information au sens large du monde humain. Je m'intéressais plutôt à voir les relations d'influence et d'action entre les deux. Tout ce qu'ai dit, je l'ai dit en étant d'accord avec ça, ou plutôt en laissant de côté cette discussion.

En fait, tiens, ce que je pense au plus profond, c'est que, si l'espèce humaine, comme toutes les espèces, cherche à transformer son environnement, il y a des cas où c'est plus simple que d'autres. Je fais l'hypothèse qu'il y a eu des situations où la nature a, en quelque sorte, mieux résisté qu'ailleurs. Par exemple, je suppose que ce n'est pas tout à fait un hasard si la modernité a fleuri dans les régions tempérées du globe, plutôt que dans les régions tropicales, désertiques, ou froides.
Alors, j'anticipe sur l'objection, ne suis-je pas là en train de dire que l'activité, après tout, préexiste à la pensée ? Non, car la puissance qui est à l'origine de la volonté de transformation de l'environnement, c'est ce que j'appelle la pensée. Et paradoxalement, donc, la pensée est alors... "nature", ou bien "vie". Bon, ça n'est que mon idée.

Comme tu le dis, c'est de la théorie, et je ne vois pas comment tu pourrais parvenir à savoir ce que tu pré-supposes.

Je trouve le paradoxe intéressant, et personnellement je sens quelque chose comme ça aussi. Pour Arendt, la pensée s'oppose à la nature, comme je l'ai dit, elle fait une très grosse distinction entre nature et culture et pour elle quasiment, tout le monde de l'homme désigne le monde de la culture, et la seule chose naturelle de la pensée réside dans sa capacité de mise en retrait du monde naturel.
La question devient, et là ça m'intéresse vraiment : comment penser la pensée, non pas comme une faculté de mise en retrait du monde ( la manière dont la conçoit Arendt qui la désigne comme un retrait de l'ordre ), mais comme une faculté qui en quelque sorte contient en elle un monde qui potentiellement pourrait se montrer à nous ( des règles morales par exemple, un lien à la nature.......) ? Comment penser la pensée, non pas comme un retrait de l'ordre du monde, mais comme le vecteur d'un ordre du monde ? Et faire ce pas, n'est-ce pas retomber dans la métaphysique nécessairement ? Tu vois. En fait, pour moi, même si je suis d'accord avec ce que tu as en tête, tout ce qui suit relève de la théologie. Comment le fonder philosophiquement ? Surement qu'il est possible de le fonder, mais pas de le suivre rationnellement.

- Admettons néanmoins la partition, et admettons que pour le "vrai" philosophe, l'homme n'est pas une créature terrestre. Que devient alors Darwin ? Un métaphysicien ?

Exactement ! Tout ce qui assigne une nature à l'homme relève de la métaphysique, quand bien même cette assignation l'est par une science qui se revendique empirique. Je veux dire, l'évolution c'est un très gros concept ( quasiment hégélien non ? et c'est en ce sens que tout le monde le comprend il me semble )
Et même sans aller jusque là ( jusqu'à penser ce que pense Arendt sur ce point ) il me semble évident que toute théorie qui tend à se faire passer pour scientifiquement pouvée, validé empiriquement, est douteuse, précisément parce que toute théorie est le fruit de la pensée qui tente d'expliquer les phénomènes du monde. Or, il y a une différence entre la vérité d'une théorie elle-même ( qui au fond est peut-être condamnée qu'à n'être un outil de travail et un modèle explicatif ), et la vérité des faits qui se produisent au sein de cette théorie. Mais, il est vrai, on a tendance à penser que le second point implique le premier.

Ceci étant dit, si ça te tentes, je lirai bien ce que tu as à dire concernant la notion de croyance qui a l'air de te servir à fonder une vision du monde, dans un autre post par exemple.









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