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Le dieu absent

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Message par Bergame Sam 29 Aoû 2009 - 0:55

Qu'est-ce donc que le dieu absent ? J'en trouve trace chez Hölderlin, Heidegger, Derrida, mais je suis toujours incapable de comprendre de quoi il est question exactement.

:?:

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Message par lanK Sam 29 Aoû 2009 - 13:15

Complétement incompétent pour répondre à ce type de question.
Pourtant ça me fait penser à la mère froide,le trou de l'objet ,entre autre chez Winnicott,l'absence de regard .l'indifférence .la négligence .
Déjà ailleurs .

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Message par Tenzin Dorje Sam 29 Aoû 2009 - 14:03

C'était présent déjà dans la tradition juive, et Derrida, par exemple, ramène à cette tradition. Mais loin de s'arrêter à la tradition juive, elle a été intégrée par la plupart des courants protestants, et par certaines personnalités catholiques. Le "problème" a aussi été traité philosophiquement et théologiquement, par des approches différentes et des termes eux-aussi différents.


Un juif hassidique contemporain, Martin Buber, répondait à la sentence nietzschéenne (Dieu est mort) par "Dieu n'est pas mort, c'est une éclipse". Il a d'ailleurs écrit un bouquin titré "L'éclipse de Dieu." Conséquence : ce principe, cette observation, est anti-scolastique. Dieu n'est pas quelque chose qu'on puisse connaître, ou plus précisément, il n'est pas quelque chose a connaître. Il n'est pas un objet (un celà) mais un Tu, c'est-à-dire quelqu'un qu'on tutoie, qu'on apostrophe, avec qui on peut dialoguer, qui est échappée, on ne le reconnaît que de dos. Être en relation à Lui, c'est être écartelé entre sa petitesse et la Grandeur de Dieu. IL échappe aux catégories, qualifications, étiquettes. Une telle conception de "Dieu absent" se retrouve chez Luther, mais plus encore chez Kierkegaard, chez Unamuno, Certeau, Karl Barth. D'ailleurs, c'est Barth qui disqualifie l'aspect théo-sophique de la théologie : c'est-à-dire que l'approche anthropologique de Dieu est disqualifiée, et, plus largement, que toute tentative de cerner Ses attributs est disqualifiée.

La question est "absent de quoi ?", et on y répond plus volontier par "absent de la connaissance" que "absent de nos vies."


En somme, ce n'est pas de l'absence de Dieu qu'il s'agit mais d'un Dieu absent, c'est-à-dire d'un Dieu qui, soit ne se présente pas, soit se présente mais sans que nous ne le re-connaissions. Certeau disait à cet effet "on ne reconnaît Dieu que de dos ; il est l'étranger de tous les étrangers, étranger à la raison, à la connaissance[...]" Ainsi Dieu se présenterait-il, se manifesterait-il à l'Homme, mais l'Homme n'a ni les yeux pour le voir, ni les oreilles pour l'entendre, ni la bouche pour manger ses Paroles... ni les outils pour le mesurer ou l'appréhender.

Il est assez rare de voir des théologiens prétendre que Dieu ne se présente pas, c'est plutôt le lot de philosophes. Les théologiens disent plutôt "il se présente, mais on ne Le voit pas." Les références scripturaires ne manquent pas sur le sujet.

Bref, Dieu absent, c'est Dieu comme mystère de tous les mystères. Être en relation à Lui, c'est être en relation au mystère, c'est ce qu'on qualifie parfois de "folie de la foi".
D'un point de vue Certalien, la question du mystère se pose au niveau de l'itinéraire et des plans de Dieu plus qu'au niveau de ses attributs.
D'un point de vue kierkegaardien, la question se pose au niveau relationnel, nottamment "être en relation à Lui, ça me place ? je ne sais pas."
D'un point de vue plus essentialilste, elle se pose au niveau Idéel, c'est-à-dire ses attributs, son visage, sa nature (théosophie).


(c'est un peu ma "spécialité", étant souvent sur le terrain de la philosophie de l'existence, anti-scolastique)


Post-Scriptum : argument contre la "négligence" citée par Lank. Chez les calvinistes, par exemple, Dieu aura beau tout faire, il faut que je participe. Il se manifeste mais nous ne le voyons pas, soit car nous ne l'avons pas décidé, soit car nous nous sommes fait esclaves de nos yeux-aveugles depuis le péché originel.

C'est dans le registre tragique chrétien, qui a pris sa forme de crucifix à la tradition héllénique : Sa petitesse, l'Homme ne la doit qu'à lui ; sa grandeur, il ne la doit qu'à Dieu.


Dernière édition par Adam le Sam 29 Aoû 2009 - 21:13, édité 7 fois

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Message par Bergame Dim 30 Aoû 2009 - 11:27

Merci Adam !

Ok, donc si j'essaie de résumer, je comprends que le dieu absent, c'est le dieu qu'on ne peut pas connaître. Il n'est pas absent de l'existence, peut-être même au contraire, mais il est inacessible à la compréhension de l'homme. Et cependant, sa présence est sentie. Une présence qui est une absence. Effectivement, je pense pouvoir toucher du doigt le concept derridien de "trace" : Une interprétation possible, et même celle qui s'impose, est de l'envisager comme ce qui était là et qui a disparu, mais dont on reconnaît le passage aux traces qu'il a laissées. Des traces très concrètes, des vestiges historiques qui ne peuvent faire douter qu'Il était bien là.
Très intéressant. Je crois que je commence à voir. J'essaie de me remémorer qui disait que Dieu existe dans ses églises. Je me demande si ce n'est pas Weber, du moins un neo-kantien. D'ailleurs, c'est la conclusion de l'Insensé de Nietzsche : Que sont les églises si ce n'est les tombeaux de Dieu. Oui oui, je crois comprendre. A l'autre bout, ça me fait penser à cette thèse de Marx selon laquelle la machine est de l'esprit figé. Ce qui était, me semble-t-il, son interprétation de l'esprit objectif de Hegel. Je vais peut-être loin. Mais on peut effectivement se demander par exemple : Le capitalisme existe-t-il ? Et si oui, à quoi reconnaît-on son existence ? Ou plus exactement, à quoi reconnaîtra-t-on son existence lorsqu'il aura disparu (car tout, hélas, disparait).

Mais revenons au sujet, parce que le doute m'habite, d'un coup.
Je comprends d'après ce que tu en dis et les noms que tu cites que ce dieu absent est un dieu des mystiques. Mais autant que je comprenne ce dont il s'agit, le mysticisme n'évacue pas toute forme de connaissance de Dieu, ce qui, d'ailleurs, n'aurait pas grand sens. Il intègre donc une théorie de la connaissance, simplement, ce n'est pas une théorie rationaliste (celle du scolastique) mais disons une théorie intuitionniste : Le sujet est supposé être dans une relation directe, inexprimable et incompréhensible, mais certaine, avec son objet. Je veux dire : Quelque soit la faculté qu'on pose comme étant impliquée dans l'intuition, il est difficile de concevoir qu'elle puisse tromper. Pour l'intuitif, donc, l'intuition ne trompe pas -pour l'observateur de l'intuitif, et en particulier pour le scolastique, c'est autre chose.
Il me semble qu'il y a donc une alternative :
- Ou bien le dieu existe, il se présente, mais on ne le connaît pas rationnellement, comme tu l'as proposé. Dès lors, le scolastique, bien entendu, ne peut en rendre compte, mais le mystique, lui, le connaît, intuitivement. C'est donc seulement pour le scolastique que dieu est absent, mais il est bien présent pour le mystique.
- Ou bien le dieu est véritablement absent, pour le scolastique comme pour le mystique. Mais alors il faut concevoir un sujet, le mystique, qui se vit en relation de participation intuitive et directe avec un objet (si j'ose dire) dont il sait pourtant qu'il n'existe pas, qu'il présente lui-même comme étant absent.
Or, le dieu absent est bien un dieu des mystiques, si j'en crois ce que tu dis. Voila un paradoxe, non ? Comment, du point de vue de la connaissance, Dieu peut-il être absent pour un mystique ?

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Message par Pierre Rivière Dim 30 Aoû 2009 - 21:22

Le Dieu absent
Il me semble que la meilleure voie afin d’aborder le Dieu absent est celle du mystère. Étymologiquement, le terme grec signifiant mystère est « musterion ». Il partage une racine commune avec « muthos », ainsi qu’avec le « silence », ce qui est reconnaissable au terme « muet ». Le Dieu absent est au-delà de la connaissance rationnelle, il est le mystère et réside dans le silence. En ce sens, il est absent à la connaissance rationnelle. Cette connaissance peut être appelé théosophie, c’est-à-dire la connaissance des attributs, de la nature de Dieu et de son visage. Elle a par contre ses limites dans son accès au divin.

Personnellement, j’ai commencé par aborder ce chemin à partir d’une semblable théosophie, selon la tripartition d'Adam. Celle-ci peut, graduellement, nous élever jusqu’aux concepts absolument universaux de la raison. Afin de penser l’absolu, il faut réfléchir aux concepts d’Éternité, d’Infini, d’Unité, d’Être et de Totalité. Ces concepts sont des Transcendantaux, au sens qui lui attribut la scolastique. Il est impossible de les dériver des concepts qui leur sont opposés, soit ceux de multiplicité, d’étant et de partie. Toute tentative en ce sens est un sophisme. Certains ont pourtant voulus considérer, par exemple, l’Unité comme étant la synthèse du multiple. Pourtant, il s’agit d’un faux concept d’unité, qui n’est pas, ainsi pensée, différente de la multiplicité elle-même. Il faut, au contraire, voir les concepts Transcendantaux comme étant au principe de leurs opposés comme retrouve présent dans le monde manifesté, immanent. Les seconds dérivent des premiers, et non le contraire. Le véritable concept d’Unité est celui de l’Unité simple, c’est-à-dire celle qui est sans parties. C’est seulement par différenciation d’avec soi-même que cette Unité peut changer de niveau ontologique et passer dans la multiplicité. Il faut donc concevoir l’Unité, la Totalité et l’Être au principe du monde manifesté. On accomplit un pas supplémentaire en reconnaissant que ces trois concepts sont interconvertibles, encore au sens que ce terme avait dans la scolastique. Autrement dit, l’Unité, l’Être et la Totalité, au sens absolu, ont la même extension. En effet, ils englobent toutes choses à défaut d’impliquer une contradiction dans leur nature. L’Unité ne peut pas laisser subsister hors d’elle-même autre chose. À défaut de quoi, elle serait duelle, c’est-à-dire qu’elle ne serait pas elle-même. Il en est de même pour l’Être et la Totalité. Dès lors, on peut reconnaître qu’ils sont sans limites. Rien ne peut les limiter, car rien ne subsiste hors d’eux. Ils sont ainsi infinis, par négation de toute finitude. De même, ils ne peuvent inclure aucun changement puisque cela impliquerait qu’ils auraient des parties, ce qui est faux. Ils ne sont pas soumis au temps, et sont donc aussi éternels. Pourtant, en portant un regard plus subtil sur ces concepts, on peut percevoir qu’ils ne sont pas, tous les cinq, strictement équivalents, c’est-à-dire complètement interconvertibles. Ils sont limités d’une certaine façon, et c’est par leur forme même. On s’élève à un règne plus élevé en séparant l’Éternité, l’Infinité et l’Unité, de la Totalité et de l’Être. L’Unité, la Totalité et l’Être que nous concevions au début sont encore pensés en mode duel, par opposition à leurs contraires (au multiple, aux parties et aux étants). Ce sont les formes que prend l’absolu lorsqu’il est pensé à partir de la perspective du monde manifesté.

Pour atteindre le sommet du Dieu absent, il faut sortir du domaine formel dans lequel est limité la pensée rationnelle et ses idées, qui sont, à proprement parler, des formes. Ce passage hors de la forme est véritablement un saut ontologique et existentiel. Il peut être effectué par une meilleure considération de l’Unité. L’Unité, non pas en tant que principe de la multiplicité, mais en tant que Simplicité. Ce qui est sans dualité, la non-dualité selon l’expression orientale. Ce passage hors de la forme est la découverte du Dieu absent. Son absence est une non-présence. Sa Simplicité est une non-dualité. Son Silence est une non-parole. Son informalité est une non-forme. Son infinitude, une non-finitude. Son éternité, une non-temporalité. Vouloir le saisir à partir de la raison nous voue à lui attribuer, illusoirement, une forme négative, une absence, tandis qu’il est, en vérité, plénitude. Alors que nous considérions les concepts absolument universaux, nous nous situions à l’extrême limite de la raison. Un terme plus juste serait plutôt celui de logos, car nous sommes déjà loin de tous les rationalismes modernes. Nous nous situons à l’extrême limite du logos, là où, pour que l’esprit continue à avancer, il doit abandonner l’illusion de la forme et tendre la main au mythe et au silence. Le mythe naît au moment où le logos est impuissant à s’exprime dû à ses propres limites. Dans la maison du Dieu absent, une monnaie différente a cours. Il ne s’agit plus de penser ou d’idées, mais de vie; de qualités du cœur; de pureté de corps, de volonté et d’esprit; il s’agit de destin. Ce destin est la finalité de l’esprit. Un retour en sa terre originelle, à son lieu de naissance dans lequel il renaît. Le Dieu absent est notre Soi, il est notre centre, au cœur de nous-même. Tandis que l’intellect est dans le cerveau, l’esprit est dans le cœur. C’est de notre Soi intime que s’origine la relation vivante avec le Dieu absent. C’est une intuition de la partie pure en nous-même. Il ne faut plus seulement penser, mais vivre ce retour en nous-même, à notre propre origine métaphysique. C’est seulement ainsi que le Dieu absent pour l’intellect devient ainsi plénitude pour le cœur et l’esprit. Celui qui est véritablement retourné en son centre peut ainsi vivre son destin terrestre en une relation riche et vivante avec le Dieu lumière en vu de qui il a bâti en lui-même un temple afin d'y recueillir le sacré. Ce Dieu est un mystère, c’est-à-dire, selon le sens grec, inexprimable. D’où sa parenté avec le silence. Il n’est pas inconnaissable, mais il ne peut pas être exprimé, car il ne peut pas être mis en forme, limité, afin de cadrer dans notre langage tentant vainement de l’exprimer. C’est la raison pour laquelle seule des symboles, par relation d'analogie, réussissent à orienter l’esprit vers lui. La croix est un de ceux-ci, mais elle n’est pas le seul. Entre autres, le symbole alchimique de l’or (qui est aussi celui du soleil) représente un point dans un cercle, et réfère à la même symbolique du centre invisible d’où s’origine tous les mondes, représentés par la périphérie du cercle.

Ultimement, le Dieu absent peut uniquement être vu grâce à notre intuition intérieure de sa plénitude, et seulement alors l’esprit peut se reposer dans le silence. Tel que l’affirmait le milieu initiatique de l’Égypte ancienne, Osiris est un Dieu noir.


P.S.: C'est exactement le thème que je projette pour mon livre. Bien que cela ne se présentait pas sous le nom du Dieu absent, mais plutôt sous celui de la science sacrée.


Dernière édition par Pierre Rivière le Mar 1 Sep 2009 - 6:53, édité 3 fois
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Message par Bergame Dim 30 Aoû 2009 - 22:39

Zut ! Dis-nous juste les grandes idées, alors, non ?

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Message par Pierre Rivière Ven 4 Sep 2009 - 18:59

Nouveau message! Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué.
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Message par Tenzin Dorje Ven 4 Sep 2009 - 23:35

J'avais remarqué, et rien compris, surtout pas ce que venait faire l'Unité (présente dans la tradition juive mais pas dans le christianisme) venait faire ici.

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Message par Bergame Sam 5 Sep 2009 - 10:00

Ah ben non, moi je n'avais pas remarqué, je continuais patiemment à attendre. :anxieux:
Le texte est dense, ça mérite réflexion.
Comme ça, à chaud, je demanderais pourquoi le mythe serait-il hors du logos ? Le mythe reste un discours articulé, il me semble.
Mais je me retrouve vraiment bien dans ce texte, je trouve les réponses à mes questions. Effectivement, le dieu absent est ce qui n'est pas pour la pensée rationnelle, à laquelle l'intuition vient suppléer. Dès lors, il est présent.
La remarque sur les symboles me parle, et en même temps, le symbole est une forme, c'est compliqué. Je veux dire, il me semble que le raisonnement analogique est de type inductif, ce qui certes, nécessite un saut intuitif, mais la pensée qui effectue ce saut n'est peut-être pas "sans forme". Par exemple, le symbole peut être porté par la convention. Ou par la ressemblance... formelle. Bref, ça me semble compliqué, ça. Ce serait intéressant à discuter, d'ailleurs !
Mais beau texte, Joseph, si je peux me permettre, beau texte.

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Message par philodingue Sam 5 Sep 2009 - 11:35

Il y a quelque chose qui rappelle cette idée du "Dieu absent" chez Heidegger , abordée sous un tout autre angle et qui est celle du "Dernier Dieu".à jamais perdu dont on ne perçoit qu'une trace qui s'estompe . Comme une galaxie qui s'éloigne de nous pour se perdre au fin fond de l'univers , ce Dieu n'est plus perceptible selon la propre expression d'Heidegger qu'à travers son mouvement de fuite , sa "Passée" la "Passée du dernier Dieu"

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