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Le capitalisme et le marxisme, au Miroir de la production (Jean Baudrillard, 1985)

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Le capitalisme et le marxisme, au Miroir de la production (Jean Baudrillard, 1985) Empty Le capitalisme et le marxisme, au Miroir de la production (Jean Baudrillard, 1985)

Message par Morologue Dim 23 Déc 2018 - 20:02

Nous prenons notre modèle de société pour universel, capable de tout comprendre, sous les hospices de sa "tolérance" et de son "ouverture" au nom du "progrès". Jean Baudrillard nous fait revenir là-dessus, en homme de gauche.
Jeau Baudrillard, /le Miroir de la production/, 1985, pp.96-97, a écrit:La culture occidentale fut la première à se réfléchir comme critique (à partir du XVIIIème siècle), mais l'effet de cette crise fut qu'elle se réfléchit aussi comme culture dans l'universel, et c'est alors qu'elle fit entrer dans son musée toutes les autres cultures sous forme de vestiges à son image. Elle les a toutes "esthétisées", réinterprétées selon son propre modèle, et ainsi conjuré l’interrogation radicale qu'impliquaient pour elle ces cultures "différentes". On voit les limites de cette culture "critique" : sa réflexion sur elle-même ne la mène qu'à universaliser ses propres principes. Ses propres contradictions la mènent à l'impérialisme mondial, comme ce fut le cas d'ailleurs, économiquement et politiquement, de toutes les sociétés occidentales, capitalistes et socialistes, des temps modernes. Les limites de l’interprétation matérialiste [d'économie politique] des sociétés antérieures [ou du Tiers-Monde] sont les mêmes.
D'enchaîner :
Avec toute la lucidité qu'on voudra sur leur originalité et leur complexité, mais ceux qui ont découvert les arts primitifs, sauvages, ont fait preuve de la même bonne volonté : c'est sans prévention, et en essayant de "restituer" ces "œuvres" à leur "contexte" magique et religieux, qu'ils ont le plus gentiment, mais le plus radicalement du monde, muséifié en leur inoculant la catégorie esthétique ces objets qui n'étaient pas de l'art du tout, et dont précisément le caractère non esthétique aurait, s'il avait été envisagé sérieusement, pu être le point de départ d'une mise en perspective , radicale cette fois (et non une critique interne qui ne mène qu'à la reproduction élargie) de la culture occidentale. Ainsi de l'interprétation matérialiste : il n'est que de remplacer "art" par "économie", "virus esthétique" par "virus de la production et du mode de production" : ce que nous avons dit de l'une s'applique trait pour trait à l'autre. L'analyse des contradictions de la société occidentale n'a pas mené à la compréhension des sociétés antérieures (ou du Tiers-Monde).
Auparavant :
Jeau Baudrillard, /le Miroir de la production/, 1985, p.95, a écrit:... cette inoculation structurale du mode de production ne peut que faire éclater la réalité spécifique de tel ou tel type de société en catégories disjointes, satellisées (puis réarticulées en termes d'autonomie relative et de dominance). La science sera passée par là, mais à quel prix ? Le vieux finalisme n'est pas mort : il est simplement passé d'une finalité des contenus (l'évolutionnisme traditionnel) à la finalité structurale du modèle et de l'analyse elle-même.
Auparavant encore :
Jeau Baudrillard, /le Miroir de la production/, 1985, p.93, a écrit:Althusser a vu là [dans le marxisme] une révolution théorique, par rapport à l'évolutionnisme génétique naïf. Certes, et celui-ci est bien mort. Mais il faut se demander si nous n'avons pas affaire ici, avec ce structuralisme rétroactif, à un procès idéologique encore - non plus au sens de l'évolutionnisme empiriste et finaliste, mais d'une reconstruction structurale par modèle de simulation [en l'occurrence : l'économie politique marxiste-capitaliste].
Plus loin :
Jeau Baudrillard, /le Miroir de la production/, 1985, p.98, a écrit:C'est bien pourquoi le matérialisme historique, n'ayant pas subverti les fondements de l'économie politique, n'aboutit qu'à en réactiver le modèle à l'échelon mondial (ce modèle fût-il dialectique et chargé de contradictions). En se penchant sur les sociétés antérieures le plus "scientifiquement" qui soit, il les "naturalise" sous le signe du mode de production. Là aussi la muséification anthropologique commencée sous la société bourgeoise, se produit sous le signe de sa critique.
Et de préciser, avec l'esclave dans l'Antiquité et l'artisan au Moyen-Âge :
Jeau Baudrillard, /le Miroir de la production/, 1985, p.115, a écrit:Cette réécriture matérialiste de l'esclave ou de l'artisan (du mode esclavagiste ou féodal/artisanal) est d'une conséquence grave dans la mesure où se développent à partir d'elle des schèmes de "libération" et de dépassement qui sont en réalité des schèmes répressifs. Nous avons vu comment la réinterprétation de l'esclave en termes d'expropriation de la force de travail menait à considérer la réappropriation de celle-ci par le travailleur "libre" comme un progrès absolu dans l'ordre humain, et à reléguer la servitude dans la barbarie absolue, heureusement dépassée grâce au développement des forces productrices (l'idéologie de la liberté reste le point de fuite de notre rationalité occidentale, pour le marxisme aussi).
Sur l'artisan, donc :
De même la conception de l'artisan comme "maître de son travail" (Rolle, Introduction à la sociologie du travail) dessine immédiatement l'utopie d'un âge d'or du travail productif [des formes travail-production]. Or, il n'y a pas de "travail", il n'y a que la division du travail et la vente de la force de travail : la vérité du travail est sa définition capitaliste. C'est à partir d'elle que se noue l'illusion d'un travail qui ne serait pas du travail, réappropriable dans la totalité de son procès comme alternative artisanale au procès capitaliste. En fait, cette alternative reste imaginaire : elle ne se réfère pas du tout à ce qu'il y a de symbolique dans le mode artisanla, mais à l'artisanat revu et corrigé en termes de maîtrise, et d'autonomie du producteur. Or, cette maîtrise est dérisoire, puisqu'elle l'enferme dans sa définition en termes de travail et de valeur d'usage : l'individu qui "contrôle" son travail ne fait qu'idéaliser cette contrainte fondamentale. Il n'est rien d'autre que l'esclave qui est deveni son propre maître : le couple maître/esclave s'est intériorisé dans le même individu, sans cesse de fonctionner comme structure d'aliénation. Il "dispose" de lui-même, il en a l'usufruit, c'est l'autogestion au niveau du producteur individuel - mais on sait que l'autogestion n'est jamais que la métamorphose de la gestion productive [SCOOP, auto-entrepreneuriat, ZAD, etc.]. Sous sa forme collective, elle dessine aujourd'hui l'âge d'or du social-productivisme. L'autogestion artisanale, elle n'est que l'âge d'or du petit producteur individuel, l'apothéiose de "l'instinct of workmanship".
Alors enfin :
Jeau Baudrillard, /le Miroir de la production/, 1985, p.118, a écrit:"L'idée que dans toutes les sociétés le développement des forces productives a déterminé les rapports de production, et par suite le politique, le juridique, le religieux, etc., présuppose que dans toutes les sociétés la même articulation des activités humaines existe, que la technique, le droit, la politique, la religion sont toujours nécessairement séparés et séparables - ce qui est extrapoler à l'ensemble de l'histoire la structuration propre à notre société, et qui n'a pas forcément de sens hors d'elle." (Cardan, Socialisme et barbarie.) Ceci résume la critique que nous avons faite, dans la mesure où elle visait moins les contenus que la forme de l'analyse, moins telle ou telle conclusion que la démarche "scientifique" elle-même [...]
A méditer.

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