Moralisation kantienne
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Moralisation kantienne
J'écris ce topic après celui sur la part de l'imagination. Il y a d'autres topics sur la Critique de la raison pratique, néanmoins ils ne me semblent pas judicieux pour mon propos : Liberté et loi morale, Y a-t-il un droit de mentir (Benjamin Constant contre Emmanuel Kant) ?. Dernière remarque : je n'ai plus le livre dans les mains au moment d'écrire ce post, et je ne pourrai donc le citer comme j'aurais voulu. Néanmoins l'idée est là, et de toutes façons l'ouvrage est redondant.
La Critique de la raison pratique me semble fondamentale, comme complément à la Critique de la raison pure. Cela dit, Emmanuel Kant le fait lui-même incessamment remarquer dans son ouvrage ; incessamment et sempiternellement d'ailleurs car, bien plus bref que le premier, il y a des tartines répétées pour dire que "en fait, vous comprenez, il valait mieux construire l'ouvrage sur le modèle inverse du précédent". Vraiment, Emmanuel Kant nous fait perdre beaucoup de temps, à répéter cela, au moins trois fois et sur plusieurs pages. Et en vertu de quoi ? ... En vertu du bon sens, ce bon sens qu'il faisait déjà remarquer lors de la rédaction de la Critique de la raison pure ! ... Cela devrait procéder de l'évidence expériencielle-même, partagée par tout un chacun, honnête lecteur devant Kant auteur. Eh bien, en toute honnêteté, pour un si gros morceau de la Critique de la raison pratique, je trouve que c'est léger.
Mais Emmanuel Kant, dès la Critique de la raison pure, expliquait que cette raison pure spéculative procédait depuis la pratique (de bon sens), de telle sorte que cette même raison pure, une fois pratique là, ne pouvait pas procéder autrement. La raison spéculative intéressait Kant en premier, parce qu'elle est condition de possibilité de la connaissance ; cela s'entend. Néanmoins, il n'en bornait l'usage connaissant qu'en vertu donc du praticable de bon sens où les dialectiques ensuite (Dieu, par exemple) restaient bien en dehors du praticable de bon sens. C'était rejeter Dieu hors du bon sens, sauf à en faire ce principe épistémique transcendantal-nouménal selon lequel la raison cherche à unifier sa matière, systématiser sa teneur, rendre cohérents ses éléments. Mais cela est d'imagination !
Eh bien, dans la Critique de la raison pratique, nous retrouvons au principe le même genre d'imagination, reprenant explicitement le raisonnement sur la liberté. C'est-à-dire qu'épistémiquement, nous devrions kantiennement connaître comme si Dieu faisait l'unité ; où donc moralement, nous devrions kantiennement agir comme si le libre-arbitre existait. Et vraiment, Kant ne se pose plus la question de savoir si ce libre-arbitre existe ou non : tout ce qu'il fait, c'est de dire, sous un angle strictement praticiste (sa praticabilité de bon sens), que la liberté est cruciale et nécessaire à nos démarches. Mais elle l'était surtout à son raisonnement d'imagination, encore que nous ne puissions reprendre si facilement Kant sur ce point, en ce qu'en définitive nous avons toujours à assumer les conséquences de nos actes, et qu'en cela ils en appellent à une responsabilité a minima illusoirement libre. En effet, libre-arbitre ou pas, c'est toujours vers moi que l'on se tournera, quand on estimera que je suis cause de quelque chose, et c'est au nom d'une contingence alléguée, qu'on me sanctionnera positivement ou négativement.
Reste que j'ai été surpris de voir tourner la question de la raison pratique autour de la morale uniquement et, pour ainsi dire, je trouve cela risible et d'une pauvreté sans nom. Quand on parle de raison pratique, on ne parle pas de décision morale, encore que les décisions morales entrent dans son champ, dans la mesure où je suis avec autrui selon une morale. Mais, quand on parle de raison pratique, on parle plus généralement de toutes les bidouilles, bricoles, gestures et agissements possibles et imaginables, en plus des décisions morales. Pour le coup, Emmanuel Kant réduit et appauvrit monstrueusement, incompréhensiblement et injustifiablement le champ de sa prospective à la question morale sans raison ou pour des raisons impures ! ... car, de même que son développement de la raison pure spéculative déployait un pré-cognitivisme (sans répondre à la question de ce qui rend possible les jugements synthétiques a priori que subrepticement par l'imagination), voici que son moindre développement de la raison pure pratique aurait dû déployer la même espèce de pré-cognitivisme ès maniements, orientations et autres manœuvres pratiques ! du moins, à ce que je m'y attendais (au lieu de quoi donc, tout se résume au principe moral par l'imagination). Vous imaginez bien ma déception.
Où donc j'apprends ces poncifs, que la volonté pure = causalité intellectuelle = loi morale = libre-arbitre, avec les problèmes soulevés par Bergame sur Liberté et loi morale ... Finalement, Emmanuel Kant parle de cognition quant il parle de raison pure spéculative, et il parle d'intention quand il parle de raison pure pratique. Bon.
Où j'apprends encore ces poncifs, que la moralité est de vouloir devoir sans autre fin que d'honorer la moralité-même, tautologiquement, autotéliquement, et que cela seul doit s'appeler le respect, pour ainsi dire le pur respect, et qu'il n'y a qu'en cela que nous devrions retirer du contentement et de la satisfaction. Ce qui est extrêmement débonnaire et ridicule, d'autant plus qu'au moment où le texte parle de cette ascèse, voilà qu'Emmanuel Kant part dans une harangue personnifiant le devoir. Littéralement, il écrit : "Devoir !", et il s'adresse poétiquement à "lui" soudain, comme s'il ne supportait pas lui-même - Kant - l'impersonnalité de sa propre imagination philosophique ne servant que les poncifs ... encore que je reconnaisse véritablement sa description de l'honneur devant la loi morale pour juste (mais c'est-à-dire qu'elle ne me semble pas impersonnelle, et qu'elle me semble varier d'une culture l'autre, perspectivement, au lieu de cet absolutisme kantien intenable, pas même par lui-même - Kant).
En tutoyant soudain le devoir, Emmanuel Kant se pose en absolu à côté de ce qu'il vient de poser en absolu, pour recréer une fraternité avec ce qui l'humiliait au paragraphe précédent, et qu'il ne peut tolérer lui-même. Soudain il a un sursaut d'orgueil ! mais c'est que l'orgueil ne me semble pas un mal à moi, modeste mais néanmoins confiant forumeur. Reste que la lutte kantienne contre la Schwäremerei alors, semble elle-même une Schwärmerei, et l'on réalise que ce n'était qu'allemand - comme dirait Nietzsche.
Je finirai sur ces deux notes positives, que la morale kantienne ne s'oppose pas au bonheur, mais c'est simplement que le bonheur n'en dispose pas, ni qu'elle n'y prépose. Morale et bonheur se côtoient sans vraiment se rencontrer, en fait.
Deuxième chose, pour ainsi dire nietzschéenne, Emmanuel Kant n'admet pas que la compassion soit au principe moral. C'est-à-dire que les motions humanitaires sont toujours des façons de se payer de pitié, par arrogance involontaire mais néanmoins efficace, en l'occurrence parfaitement amorale chez Kant (tandis que chez Nietzsche, il y a différentes morales, dont les humanitaires inspirées par le ressentiment contre le sort).
Bref, Kant n'admet pas de s'en tenir à l'empirisme pur, tout en refusant le mysticisme aussi, par une espèce de rationalisme qui ne se soutient que de son praticisme - c'est-à-dire de son imagination philosophique quant au bon sens indéfinissable.
Rien de moins évident que l'évidence, pour un tas de raisons ... !
Dès qu'il s'agissait de spéculation, Kant partait d'une interrogation abstraite concernant les jugements synthétiques a priori - c'est-à-dire une interrogation portant sur un noumène ontoconditionnel (condition de l'ontique, de ce qui est). Dès qu'il s'agit de pratique, de même, Kant s'interroge sur un noumène - la loi morale - sous l'angle d'un jugement bénéconditionnel (condition du bien - et par conséquent du mal). C'est très singulier, d'autant plus que ni l'un ni l'autre ne sont justifiés par l'auteur.
Quant à cette loi morale elle-même, pouvant se formuler sous l'angle universaliste du fameux "Agis de telle sorte que tout le monde puisse agir de même", elle place aussitôt l'auteur dans une démarche d'exemplarité héroïque, sous les feux publics de l'humanité. C'était donc intérioriser l’œil d'autrui absolument, un sens commun généralisé à tout l'univers, en soi-même, avec présomption. Un œil d'abord et avant tout moralisateur, comme si autrui n'avait que cela à faire : approuver ou condamner - et encore que "les gens" s'y appliquent plutôt assidument.
Mais que c'est imaginatif !
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La Critique de la raison pratique me semble fondamentale, comme complément à la Critique de la raison pure. Cela dit, Emmanuel Kant le fait lui-même incessamment remarquer dans son ouvrage ; incessamment et sempiternellement d'ailleurs car, bien plus bref que le premier, il y a des tartines répétées pour dire que "en fait, vous comprenez, il valait mieux construire l'ouvrage sur le modèle inverse du précédent". Vraiment, Emmanuel Kant nous fait perdre beaucoup de temps, à répéter cela, au moins trois fois et sur plusieurs pages. Et en vertu de quoi ? ... En vertu du bon sens, ce bon sens qu'il faisait déjà remarquer lors de la rédaction de la Critique de la raison pure ! ... Cela devrait procéder de l'évidence expériencielle-même, partagée par tout un chacun, honnête lecteur devant Kant auteur. Eh bien, en toute honnêteté, pour un si gros morceau de la Critique de la raison pratique, je trouve que c'est léger.
Mais Emmanuel Kant, dès la Critique de la raison pure, expliquait que cette raison pure spéculative procédait depuis la pratique (de bon sens), de telle sorte que cette même raison pure, une fois pratique là, ne pouvait pas procéder autrement. La raison spéculative intéressait Kant en premier, parce qu'elle est condition de possibilité de la connaissance ; cela s'entend. Néanmoins, il n'en bornait l'usage connaissant qu'en vertu donc du praticable de bon sens où les dialectiques ensuite (Dieu, par exemple) restaient bien en dehors du praticable de bon sens. C'était rejeter Dieu hors du bon sens, sauf à en faire ce principe épistémique transcendantal-nouménal selon lequel la raison cherche à unifier sa matière, systématiser sa teneur, rendre cohérents ses éléments. Mais cela est d'imagination !
Eh bien, dans la Critique de la raison pratique, nous retrouvons au principe le même genre d'imagination, reprenant explicitement le raisonnement sur la liberté. C'est-à-dire qu'épistémiquement, nous devrions kantiennement connaître comme si Dieu faisait l'unité ; où donc moralement, nous devrions kantiennement agir comme si le libre-arbitre existait. Et vraiment, Kant ne se pose plus la question de savoir si ce libre-arbitre existe ou non : tout ce qu'il fait, c'est de dire, sous un angle strictement praticiste (sa praticabilité de bon sens), que la liberté est cruciale et nécessaire à nos démarches. Mais elle l'était surtout à son raisonnement d'imagination, encore que nous ne puissions reprendre si facilement Kant sur ce point, en ce qu'en définitive nous avons toujours à assumer les conséquences de nos actes, et qu'en cela ils en appellent à une responsabilité a minima illusoirement libre. En effet, libre-arbitre ou pas, c'est toujours vers moi que l'on se tournera, quand on estimera que je suis cause de quelque chose, et c'est au nom d'une contingence alléguée, qu'on me sanctionnera positivement ou négativement.
Reste que j'ai été surpris de voir tourner la question de la raison pratique autour de la morale uniquement et, pour ainsi dire, je trouve cela risible et d'une pauvreté sans nom. Quand on parle de raison pratique, on ne parle pas de décision morale, encore que les décisions morales entrent dans son champ, dans la mesure où je suis avec autrui selon une morale. Mais, quand on parle de raison pratique, on parle plus généralement de toutes les bidouilles, bricoles, gestures et agissements possibles et imaginables, en plus des décisions morales. Pour le coup, Emmanuel Kant réduit et appauvrit monstrueusement, incompréhensiblement et injustifiablement le champ de sa prospective à la question morale sans raison ou pour des raisons impures ! ... car, de même que son développement de la raison pure spéculative déployait un pré-cognitivisme (sans répondre à la question de ce qui rend possible les jugements synthétiques a priori que subrepticement par l'imagination), voici que son moindre développement de la raison pure pratique aurait dû déployer la même espèce de pré-cognitivisme ès maniements, orientations et autres manœuvres pratiques ! du moins, à ce que je m'y attendais (au lieu de quoi donc, tout se résume au principe moral par l'imagination). Vous imaginez bien ma déception.
Où donc j'apprends ces poncifs, que la volonté pure = causalité intellectuelle = loi morale = libre-arbitre, avec les problèmes soulevés par Bergame sur Liberté et loi morale ... Finalement, Emmanuel Kant parle de cognition quant il parle de raison pure spéculative, et il parle d'intention quand il parle de raison pure pratique. Bon.
Où j'apprends encore ces poncifs, que la moralité est de vouloir devoir sans autre fin que d'honorer la moralité-même, tautologiquement, autotéliquement, et que cela seul doit s'appeler le respect, pour ainsi dire le pur respect, et qu'il n'y a qu'en cela que nous devrions retirer du contentement et de la satisfaction. Ce qui est extrêmement débonnaire et ridicule, d'autant plus qu'au moment où le texte parle de cette ascèse, voilà qu'Emmanuel Kant part dans une harangue personnifiant le devoir. Littéralement, il écrit : "Devoir !", et il s'adresse poétiquement à "lui" soudain, comme s'il ne supportait pas lui-même - Kant - l'impersonnalité de sa propre imagination philosophique ne servant que les poncifs ... encore que je reconnaisse véritablement sa description de l'honneur devant la loi morale pour juste (mais c'est-à-dire qu'elle ne me semble pas impersonnelle, et qu'elle me semble varier d'une culture l'autre, perspectivement, au lieu de cet absolutisme kantien intenable, pas même par lui-même - Kant).
En tutoyant soudain le devoir, Emmanuel Kant se pose en absolu à côté de ce qu'il vient de poser en absolu, pour recréer une fraternité avec ce qui l'humiliait au paragraphe précédent, et qu'il ne peut tolérer lui-même. Soudain il a un sursaut d'orgueil ! mais c'est que l'orgueil ne me semble pas un mal à moi, modeste mais néanmoins confiant forumeur. Reste que la lutte kantienne contre la Schwäremerei alors, semble elle-même une Schwärmerei, et l'on réalise que ce n'était qu'allemand - comme dirait Nietzsche.
Je finirai sur ces deux notes positives, que la morale kantienne ne s'oppose pas au bonheur, mais c'est simplement que le bonheur n'en dispose pas, ni qu'elle n'y prépose. Morale et bonheur se côtoient sans vraiment se rencontrer, en fait.
Deuxième chose, pour ainsi dire nietzschéenne, Emmanuel Kant n'admet pas que la compassion soit au principe moral. C'est-à-dire que les motions humanitaires sont toujours des façons de se payer de pitié, par arrogance involontaire mais néanmoins efficace, en l'occurrence parfaitement amorale chez Kant (tandis que chez Nietzsche, il y a différentes morales, dont les humanitaires inspirées par le ressentiment contre le sort).
Bref, Kant n'admet pas de s'en tenir à l'empirisme pur, tout en refusant le mysticisme aussi, par une espèce de rationalisme qui ne se soutient que de son praticisme - c'est-à-dire de son imagination philosophique quant au bon sens indéfinissable.
Rien de moins évident que l'évidence, pour un tas de raisons ... !
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Dès qu'il s'agissait de spéculation, Kant partait d'une interrogation abstraite concernant les jugements synthétiques a priori - c'est-à-dire une interrogation portant sur un noumène ontoconditionnel (condition de l'ontique, de ce qui est). Dès qu'il s'agit de pratique, de même, Kant s'interroge sur un noumène - la loi morale - sous l'angle d'un jugement bénéconditionnel (condition du bien - et par conséquent du mal). C'est très singulier, d'autant plus que ni l'un ni l'autre ne sont justifiés par l'auteur.
Quant à cette loi morale elle-même, pouvant se formuler sous l'angle universaliste du fameux "Agis de telle sorte que tout le monde puisse agir de même", elle place aussitôt l'auteur dans une démarche d'exemplarité héroïque, sous les feux publics de l'humanité. C'était donc intérioriser l’œil d'autrui absolument, un sens commun généralisé à tout l'univers, en soi-même, avec présomption. Un œil d'abord et avant tout moralisateur, comme si autrui n'avait que cela à faire : approuver ou condamner - et encore que "les gens" s'y appliquent plutôt assidument.
Mais que c'est imaginatif !
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Les absents ont toujours tort.
Re: Moralisation kantienne
Morologue a écrit:"Agis de telle sorte que tout le monde puisse agir de même"
Nous sommes des dieux.
Invité- Invité
Re: Moralisation kantienne
Non - enfin, si tu veux, - certainement il le faudrait au compte kantien.
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