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Liberté et loi morale

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Message par Bergame Dim 23 Sep 2007 - 11:46

Nous sommes dans un forum qui veut prôner la transdisciplinarité, et voici à mon sens une bonne occasion de débat transdisciplinaire. Comme j'ai essayé de le faire apparaitre rapidement ici, une question centrale pour comprendre le clivage entre les deux paradigmes de la sociologie contemporaine me semble être celui du rapport entre liberté et loi morale chez Kant.

En gros, la question est celle-ci : Comment le sujet agissant pourrait-il être libre à l'égard de la morale, alors que son libre-arbitre, chez Kant, est irréductiblement lié à sa capacité de transcendance, et que la transcendance est liée à sa faculté de connaitre la loi morale ? -du moins est-ce ainsi que je comprends Kant.
En fait, dans la Seconde Critique, il m'a toujours semblé clair que l'impératif catégorique est la condition de la liberté. Comment le choix pourrait-il alors s'exercer sur le respect ou non de la loi morale ?
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Message par Chut Sam 22 Sep 2012 - 23:35

Kant me donne l'impression d'être un type extrêmement habile et intelligent, mais pour autant que j'y comprenne quelque chose il bute quand même, étonnamment de mon point de vue, sur certains trucs, comme le problème de la communication entre le monde intelligible, où il situe je crois la liberté, et le monde sensible (une solution pourrait pourtant être de trouver un moyen de ne pas faire de distinction aussi tranchée entre les deux) et aussi sur une représentation possible de ce concept de liberté qui est censé autoriser une action sans détermination du fait de l'existence de cette fameuse idée de liberté, il place il me semble ce genre de truc au delà des possibilités de la raison, il dit : c'est impossible etc... Qu'un esprit aussi brillant n'ait pu trouver de solution possible à certains trucs m'épate.
Mais peut-être que je me goure, merci de vos lumières.

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Message par Geo Rum Phil Dim 23 Sep 2012 - 15:11

Chut a écrit:[...] le problème de la communication entre le monde intelligible, où il situe je crois la liberté, et le monde sensible (une solution pourrait pourtant être de trouver un moyen de ne pas faire de distinction aussi tranchée entre les deux) [...]

...moins tranchée, par exemple, une indistinction/confusion;

...le monde illisible-grossièrement-sensible... lol!

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Message par Chut Dim 23 Sep 2012 - 17:38

C’est délicat de répondre, car ma connaissance de Kant est trop incomplète et partielle, et souvent l’objection se lève d’elle-même simplement en relisant. Difficile de dire quelque chose de sensé dans ces conditions. Heureusement qu’ici personne ne lit à part quelques égarés. Tiens, à ce propos, comme je n’ai toujours pas Digression en favori, l’autre jour je me branche sur le forum via un petit trajet habituel et je me dis : tiens, ils ont refait les peintures, changé des trucs, des intitulés, ma parole c’est une vrai refonte, mouais, pas mal … ce n’est qu’un peu plus tard que je me suis aperçu qu’en fait j’avais débarqué par inadvertance sur un forum nommé Dérision haha.

Ton ressenti de confusion vient du fait que j’ai été timoré dans mon expression. Pour dire les choses plus clairement, je ne vois pas de contradiction majeure, logique ou autre, à envisager la possibilité, et j’irais même jusqu’à penser que c’est le plus raisonnable jusqu’à plus ample informé, de considérer les humains et autres êtres vivants comme des êtres machines, y compris mon humble moi évidemment.
Je ne sais si on peut l’appeler comme ça, mais ce que je nommerai ce matérialisme radical efface ce me semble toute distinction autre que de type formel entre ce qu’on pourrait appeler un monde sensible et un monde intelligible, tout concept pensé n’étant que la résultante plus ou moins complexe d’un travail élaboré à partir du sensible.
A partir de là, cette volonté Kantienne de séparation nette d’une raison pure peut apparaître comme la création artificielle d’un refuge illusoire dans un coin de la pièce, et la liberté qui s’y trouve comme le suivi inconscient d’une sorte de surmoi, et son expression l’exploration de la baraque, en oubliant la cave. D’ailleurs ce rattachement obligé au monde sensible entraîne aussi un passage plus général possible de Kant à l’impitoyable moulinette Freudienne. C’est quoi cette mise à l’écart irrépressible de l’empirique, que veut dire cette récurrente promesse insupportablement non tenable etc… ?

Attention, même si ça parait contradictoire je respecte et j’admire beaucoup Kant, mais comme dirait Euthyphron : Amicus Kant aber much more better amico véritas (in vino).

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Message par euthyphron Dim 23 Sep 2012 - 19:46

Chut a écrit: Pour dire les choses plus clairement, je ne vois pas de contradiction majeure, logique ou autre, à envisager la possibilité de considérer les humains et autres êtres vivants comme des êtres machines, y compris mon humble moi évidemment.
Ceci, Kant aurait pu le signer, même si l'on n'y reconnaît pas l'admirable patte stylistique du maître. Evidemment, j'ai dû ôter la petite incise matérialiste.
Mais fondamentalement, l'apport (pas forcément heureux) de Kant à la question du libre arbitre c'est cela. Il n'y a pas de contradiction à se penser libre, il n'y en a pas non plus à se penser déterminé, et aucune expérience ne peut trancher le débat. Il faut donc considérer la question comme insoluble sur le plan strictement théorique, et rechercher (et prétendre trouver) la solution sur le plan pratique. Nous faisons tout comme si nous avions la possibilité de choisir, nous ne pouvons pas faire autrement. Dès lors que nous nous posons la question morale, dès lors que nous hiérarchisons les fins de notre action, nous nous postulons libres.
Sur cette question précise (sommes-nous libres ou déterminés?), la coupure brutale, à la teutonne, ne passe pas entre le sensible rejeté et l'intelligible approuvé, mais entre la raison pure théorique et la raison pratique.

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Message par Chut Dim 23 Sep 2012 - 20:06

Merci pour ta réponse, Euthyphron, je ne saisis pas tout et ne suis pas très d'accord avec le reste :) mais je ne vais pas enchaîner car en fait je venais juste pour virer mon post que je trouvais finalement un peu léger (mais que du coup je laisse), comme je suis là dans la C. de la raison pratique ça me démangeait de faire une petite intervention ; c'est pas simple, même si à force y a des trucs qui rentrent car j'ai l'impression à tort ou à raison qu'il redit souvent un peu la même chose pour enfoncer le clou sans doute.

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Message par Courtial Dim 23 Sep 2012 - 21:37

Sur cette question précise (sommes-nous libres ou déterminés?), la coupure brutale, à la teutonne, ne passe pas entre le sensible rejeté et l'intelligible approuvé, mais entre la raison pure théorique et la raison pratique.

Si fait, mais ce qui est distinct n'est pas pour autant exclu. Car quand il 'agit de poser métaphysiquement la question de la liberté, il s'agit bien d'une affaire de causalité (libre ou déterminée), et celle-ci est pensée à travers l'opposition d'un caractère sensible (ou empirique)et d'un caractère intelligible
Et gageons que Kant n'a pas mis ces termes-là au hasard ou pour faire une farce. Puisqu'il paraît - Chut a laissé tombé ce jugement, avec toutefois la mention "peut mieux faire", mais d'un tel juge, même les restrictions sont un honneur - que Kant était un garçon intelligent.

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Message par euthyphron Lun 24 Sep 2012 - 8:24

Je le redis autrement. Certes, l'opposition sensible-intelligible joue un grand rôle dans la pensée de Kant, aussi bien théorique que pratique. Mais il ne faudrait pas croire que l'expérience sensible m'enseignerait que je suis déterminé, cependant qu'une intuition de l'intelligible me conduirait à affirmer ma liberté.
La question portant sur un noumène et non un phénomène n'est pas résolue par l'expérience, et nous n'avons pas d'intuition intellectuelle.
Ce qui conduit à affirmer la liberté n'est donc pas une connaissance quelconque, mais une nécessité de l'action. Agir moralement, c'est-à-dire d'après la représentation de fins jugées bonnes, présuppose la liberté.

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Message par Geo Rum Phil Lun 24 Sep 2012 - 12:02

euthyphron a écrit:Certes, l'opposition sensible-intelligible joue un grand rôle dans la pensée de Kant, aussi bien théorique que pratique.

[...] Agir moralement, c'est-à-dire d'après la représentation de fins jugées bonnes, présuppose la liberté.

Exemple de fins jugées bonnes pour le sensible-intelligible...

La distance convenable
« Un jour d’hiver glacial, les porcs-épics d’un troupeau se serrèrent les uns contre les autres afin de se protéger contre le froid par leur chaleur réciproque. Mais douloureusement gênés par leurs piquants, ils ne tardèrent pas à s’écarter de nouveau les uns des autres.
Obligés de se rapprocher de nouveau en raison du froid persistant, ils éprouvèrent une fois de plus l’action désagréable des piquants et ces alternatives de rapprochement et d’éloignement durèrent jusqu’à ce qu’ils aient trouvé une distance convenable où ils se sentirent à l’abri des maux.
» SCHOPENHAUER

Par exemple on pourrait dire que l'internet est la distance convenable avec nos interlcuteurs, mais philosophiquement, les ironies piquantes peuvent avoir le même effet. Wink

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Message par Chut Lun 24 Sep 2012 - 12:22

Geo, et si tu nous trouvais une photo de piqûre faite par de l'ironie ? l'ironie ne fait mal que si on le décide aurait dit je sais plus qui.

@ Euthyphron : Il me semblait plutôt qu'agir moralement pour Kant n'était pas agir en vue de fins quelconques jugées bonnes ou pas mais agir en se conformant à la forme d'une législation produite par l'être au moyen d'une volonté et d'une liberté appartenant d'abord au monde intelligible.
Mais je vais essayer de vérifier. Pff c'est dur, Kant .

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Message par euthyphron Lun 24 Sep 2012 - 13:21

Il me semble que tu as raison, mais je ne vois pas de contradiction. Tu ajoutes à mon message, à juste titre, que pour Kant le bien moral est déterminé par l'autonomie de la volonté législatrice. Toute autre détermination est rejetée hors de la sphère de la morale en raison de son hétéronomie.
Geo, à toutes fins utiles, un hérisson n'est pas un porc-épic. :)

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Message par Geo Rum Phil Lun 24 Sep 2012 - 13:49

Chut a écrit:Geo, et si tu nous trouvais une photo de piqûre faite par de l'ironie ? l'ironie ne fait mal que si on le décide aurait dit je sais plus qui.
Tu es assez intelligent pour t'imaginer la photo d'un cynique (chien) qui une fois irronisé pour son cynisme ou ses aberrations animalistes, t'envoie en échange toute sa collection d'invectives.

euthyphron a écrit:Geo, à toutes fins utiles, un hérisson n'est pas un porc-épic. :)

Oui, je sais, et aussi que euthyphron n'est pas un hérisson selon son avatar. :)

Dico: Tandis que les épines du porc-épic sont extrêmement pointus, dentelées et très dangerseuses, celles du hérisson sont lisses et beaucoup moins piquantes.

C'est un peu-beaucoup comme la distinction entre un parisien et un pharisien. (ironie philosophique) Wink
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Message par Chut Mar 25 Sep 2012 - 12:58

Un peu de bavardage : je ne peux m'empêcher de sentir une parenté entre Socrate et Kant, ils expriment il me semble tous les deux l'existence de voies impénétrables mais inexorablement droites, en ce sens ils se reconnaissent tous deux les dépositaires d'une vérité, Socrate en cherchant la trace et l'expression dans le donné et la révélation progressive dans le rapport à l'autre qu’il déplace, Kant dans le fond de son intellect où il replace l’autre après lui.
Et ainsi, bizarrement, sous cet aspect, quelque part Socrate m'apparaît plus dans l’intelligible et Kant plus dans le sensible, c'est à dire Kant d’abord essaye d’écouter la loi morale en lui, la raison pure, Socrate essaye de la cerner et de la discerner par la dialectique, la raison qui raisonne.
Et également bizarrement, j’ai l’impression que Kant revendique une voie plus simple, plus facile, telle que « l’entendement le plus ordinaire et le moins exercé ne sache s’en tirer à merveille », alors que la voie de l’ « hétéronomie du libre arbitre(*) » est « une chose difficile qui réclame la connaissance du monde ».

Et quel rôle pour l’ironie dans tout ça Géo ?

Un truc qui m’intrigue, c’est quand il écrit (et si j’ai bien compris) que c’est un devoir d’établir et de cultiver le sentiment de contentement de soi-même issu de l’exercice de la loi morale. C’est pas un peu contradictoire, ça, avec le fait que l’exercice de cette loi ne devrait en aucune manière avoir rapport avec quelque chose qui ressemble à une inclination ou la poursuite d’un but dans le monde sensible ?

(*) je ne suis d'ailleurs pas sûr de bien comprendre cette expression, si quelqu'un peut m'expliquer, merci.

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Message par Geo Rum Phil Mar 25 Sep 2012 - 13:54

Chut a écrit:Et quel rôle pour l’ironie dans tout ça Géo ?

Philosophiquement, il ne s'agit pas de mettre un accent sur mon Geo, mais accentuer d'une manière aiguë, critique/ironique tout agissement trompeur du monde intellectuel communiste-capitaliste (grossièrement sensible) qui tente sans jamais réussir de foutre le bordel dans le monde intelligible avec leur esprit tordu, cynique, bourré d'invectives et toute une collection de raisons-déraisonnables. Wink
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Message par euthyphron Mar 25 Sep 2012 - 15:23

Chut a écrit:Un peu de bavardage : je ne peux m'empêcher de sentir une parenté entre Socrate et Kant, ils expriment il me semble tous les deux l'existence de voies impénétrables mais inexorablement droites, en ce sens ils se reconnaissent tous deux les dépositaires d'une vérité, Socrate en cherchant la trace et l'expression dans le donné et la révélation progressive dans le rapport à l'autre qu’il déplace, Kant dans le fond de son intellect où il replace l’autre après lui.
Et ainsi, bizarrement, sous cet aspect, quelque part Socrate m'apparaît plus dans l’intelligible et Kant plus dans le sensible, c'est à dire Kant d’abord essaye d’écouter la loi morale en lui, la raison pure, Socrate essaye de la cerner et de la discerner par la dialectique, la raison qui raisonne.
Et également bizarrement, j’ai l’impression que Kant revendique une voie plus simple, plus facile, telle que « l’entendement le plus ordinaire et le moins exercé ne sache s’en tirer à merveille », alors que la voie de l’ « hétéronomie du libre arbitre(*) » est « une chose difficile qui réclame la connaissance du monde ».
Je trouve cette lecture intéressante. C'est "bizarre", parce que lire Kant est un effort ardu, mais c'est revendiqué aussi d'une certaine manière. Pour Kant, un enfant sait comment se conduire moralement, et s'il n'y avait des pervers ou des sophistes pour corrompre l'innocence il n'aurait pas été nécessaire d'écrire la Critique de la Raison pratique (merci les pervers! Laughing ). Pour Socrate, ou plus sûrement pour Platon, la connaissance du Bien est la plus élevée de toutes, au-delà de toute formulation. Mais c'est que le Bien ne saurait se réduire à la morale.
Quant à l'hétéronomie du libre arbitre, je suppose que Kant parle ici des choix motivés par la recherche du bonheur. Si l'on sait comment faire le bien, en revanche nul ne sait par quel moyen se rendre heureux. Si ce n'est pas cela, peux-tu préciser la référence?

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Message par Courtial Mar 25 Sep 2012 - 20:12

Notre ami songe peut-être à ceci :

Kant, [i]Critique de la raison pratique[/i], Première partie, Théorème 4 a écrit:L'autonomie de la volonté est le principe unique detoutes les lois morales et des devoirs qui y sont conformes ; au contraire, toute hétéronomie du libre-choix, non seulement n'est la base d'aucune obligation, mais elle est plutôt opposée au principe de l'obligation et à la moralité de la volonté. Le principe unique de la moralité consiste dans l'indépendance à l'égard de toute matière de la loi (c'est-à-dire à l'égard d'un objet désiré) et en même temps aussi dans la détermination du lbre choix par la simple forme législative universelle dont une maxime doit être capable. Mais cette indépendance est la liberté au sens négatif, cette législation propr de la raison pure et, comme telle, pratique, est la liberté au sens positif

Il faudrait citer aussi la suite, qui explicite davantage, mais ceci paraît déjà clair. L'idée de "l'hétéronomie du libre-arbitre" (ou du libre choix, selon ma traduction, le mot allemand est bien Willkühr : libre arbitre, "willkürlich"= arbitraire ou arbitrairement, etc.) me semble pouvoir être comprise ainsi (ceci n'invalide pas le propos d'Euthyphron, mais j'essaie d'être plus précis ) :
C'est quoi, le "libre arbitre" ? C'est l'idée que je peux indifféremment me décider pour ceci ou cela (fromage ou dessert, Hollande ou Sarko, fromage de Hollande ou dessert au Roquefort, etc.) sans être déterminé à faire le choix de l'un plutôt que l'autre. La liberté est donc dans le fait que j'ai le choix entre plusieurs possibles.
Bien, cela, c'est de la philo classique. Mais ici on est dans la philo allemande (ce que je vais dire vaut aussi pour Fichte, pour Hegel, etc), et là Kant fait l'analyse suivante : je choisis ce que je veux, mais je choisis bien un quelque chose, et où est-ce que je le trouve ? Nous parlons ici de ce que la volonté veut, ce qu'il appelle la matière du vouloir, vouloir, c'est vouloir quelque chose. Eh bien, cet objet, ou cette matière n'est pas produit par ma volonté elle-même, mais je la trouve dans le monde comme une matière qui m'est donnée. Autrement dit, cette matière s'impose à moi du dehors, et par conséquent la notion d'hétéronomie s'impose (1)
C'est pour cela que Hegel dira, au reste, que le libre arbitre, c'est la liberté en tant que contradiction (Principes de la philosophie du droit, § 15), comme "hétéronomie" et "libre" (choix) est contradictoire, car, dixit Freddy, il repose sur l'indéterminité formelle de la volonté(je peux vouloir indifféremment ceci ou cela) et la déterminité du contenu : le contenu ou la matière m'est donné, par conséquent il s'impose à la volonté de l'extérieur, d'où il résulte qu'elle n'est pas libre.

La vraie liberté consistera donc dans l'indépendance à l'égard de la matière du vouloir qui relève, comme l'a dit Euthyphron, des impératifs du bonheur, par exemple : je peux certes choisir de faire mon bonheur en choisissant librement la Mercedes ou la nouvelle Audi, mais il est bien clair que ni mon désir de bonheur ni les moyens fournis par l'époque, la mode, mon état de fortune, les diktats et les voies plus ou moins obscures de la pub',etc. ne sont le résultat de ma volonté).
Mais ceci n'est, dit Kant, que négatif. Formulé positivement, je serais pleinement libre en étant autonome, càd si la matière de la volonté ne lui est pas imposée du dehors, ce qui a lieu précisément quand j'agis en fonction de la loi morale. Mais celle-ci ne me donne plus alors tel ou tel contenu, mais la forme universellement législatrice.

Qu'on excuse la longueur. C'est un élément un peu difficile à comprendre, mais tout à fait capital.

(1) Euh, oui, oublié de dire : hétéronomie : recevoir sa loi (nomos) d'un autre (hétéro), par opposition à : se donne à soi-même (auto) sa propre loi. Autonomie.
Kant aimait beaucoup Rousseau, qui définissait la loi comme obéissance à la loi qu'on s'est soi-même prescrite, dans le Contrat Social. Il a retenu cette conception au delà de sa signification surtout politique, chez le penseur français.

Tout à fait d'accord avec Euthyrphron également sur l'anti-intellectualisme moral de Kant, qui ne cesse de répéter (dans la Deuxième Critique ou la Métaphysique des moeurs) que la moralité n'a aucun rapport avec l'intelligence, qu'elle est à la portée d'un enfant de 8 ans même passablement abruti. Et aussi le soupçon que ceux qui commencent à vous dire que la moralité est une question de savoir, que c'est difficile à comprendre, qu'il faut avoir contemplé pendant 10 ans l'Idée du Bien, etc. sont des casuistes qui se cherchent des excuses pour ne pas faire leur devoir.
Mais ici encore plane l'ombre immense de Jean-Jacques. Voici ce qu'il dit, au sujet de la "bonté naturelle", qu'on lui reproche tant, sans faire le moindre effort pour comprendre, le plus souvent :

Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes a écrit:C'est elle qui, au lieu de cette maxime sublime de justice raisonnée : fais à autrui comme tu veux qu'on te fasse, inspire à tous les hommes cette autre maxime de bonté naturelle bien moins parfaite, mais plus utile peut-être que la précédente. Fais ton bien avec le moindre mal d'autrui qu'il est possible. C'est en un mot dans ce sentiment naturel, plutôt que dans les arguments subtils qu'il faut chercher la cause de la répugnance que tout homme trouverait à mal faire, même indépendamment des maximes de l'éducation. Quoi qu'il puisse appartenir à Socrate et aux esprits de sa trempe d'acquérir de la vertu par raison, il y a longemps que le genre humain ne serait plus, si sa conservation n'eût dépendu que des raisonnements de ceux qui le composent.

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Message par Chut Mar 25 Sep 2012 - 22:57

@ Geo : il n’y avait pas de sous-entendu politique ou autre dans ma question mais une vraie question, bien que de portée probablement limitée et critiquable : l’ironie de Socrate n’est plus à présenter, c’est la marque de son rapport aux autres, à la fois sociable, hyper adaptée mais quand même un poil distante comme le hérisson de Schopenhauer, quel blagueur ce Socrate quand même, vaut mieux pas être dans sa ligne de mire, bref, Kant lui n’est a priori pas trop genre farceur comme dirait Courtial, supposons (je dis bien supposons, on peut tout se permettre, il est tard) que pour une raison x (ou y, ça marche aussi) le susdit Kant ne se soit pas senti très bien adapté au monde, il se trouvait alors devant le risque de subir, lui, l’ironie des autres. Et ça c’est quand même chiant, faut reconnaître : non seulement t'es inadapté mais en plus on se fout de ta gueule. Est-ce que l’idée de lutter contre une telle ironie potentielle n’aurait pas pu jouer un tout petit peu dans sa volonté de construire un système démontrant qu’il était en fait au contraire tout à fait à la pointe de l’adaptation, et ce avec la marque de la plus haute qualité et de la plus haute valeur ? (et pour l'accent désolé, pas fait exprès, c'est parce que j'ai plus tendance à lire Geo Géo que Jo.)

@ Courtial : excellent, merci. Je pense avoir suivi, c’est marrant je concevais l’hétéronomie du libre arbitre aussi à partir de bagnoles. Je me dis, je suis en train de conduire ma voiture, il y a une manière, que je me plais à appeler optimale, de la conduire, où je veux , comme je veux mais pas pour ça n’importe comment : je sens une manière de faire qui est la meilleure : et ce choix libre de suivre ce ressenti (intellectuel et pur) ou pas constitue le libre arbitre autonome, il ne dépend de rien, d’aucun but, ne se construit sur aucun raisonnement, la transcendance me montre la voie, je suis ou pas, elle n’est strictement limitée par rien, je me fous de tout, sauf de suivre la bonne voie, sans jeu de mot, même si ça peut paraître bizarre. On est là il me semble dans la raison (pure ?) pratique.
Et puis il y a la considération du réel avec : le code de la route, les performances de la voiture, l’envie subite de prendre son temps ou d'accélérer pour pas risquer d'être en retard parce qu'après c'est encore des remarques désobligeantes etc.., diverses inclinations qui vont me faire volontiers ou pas prendre telle ou telle bifurcation ou telle ou telle auto-stoppeuse, moult choix cornéliens donc, où mon libre arbitre va devoir bosser à plein régime en fonction de représentations et de lois qui demandent à être respectées, et en utilisant peu ou prou la raison raisonnante. Et là, on n’est plus dans la moralité Kantienne, mais dans un foutoir total que pourtant il me semble Kant ne dénigre pas totalement à bloc, simplement il annonce la couleur : c’est vachement difficile et aléatoire de faire comme ça (merci on avait remarqué mais on fait c’qu’on veut après tout).
Il me semble en tout cas que c’est ce qu’il dit dans le passage suivant qui constituait donc ma référence de départ, Euthyphron, pas loin du théorème 4, dans son scolie 2, mais que je ne suis pas encore certain d’avoir totalement ni justement capté malgré 283 lectures successives :
« Ce qu’il y a à faire d’après le principe de l’autonomie du libre arbitre, l’entendement le plus ordinaire le perçoit sans peine et sans hésitation ; savoir ce qu’il y a à faire dans la supposition de l’hétéronomie du libre arbitre est une chose difficile et qui réclame la connaissance du monde. La connaissance du devoir se présente d’elle-même à chacun, tandis que ce qui apporte un avantage vrai et durable, est toujours, si cet avantage doit être étendu à toute l’existence, enveloppé d’impénétrables ténèbres, et qu’il faut beaucoup de prudence pour adapter la règle pratique ainsi déterminée, par d’adroites exceptions et seulement d’une façon supportable, aux fins de la vie. »

Et si on se place après le pur pratique dans le pratique pratique du monde sensible, et étant toujours dans ma bagnole je vais profiter d'une pub sur Radio-nostalgie pour considérer tout à trac la maxime suivante: conduire de façon à ne pas avoir d'accident, ça me parait une maxime qui me semble qu'elle est bonne et universalisable.
Mais vite fait dans l'histoire je vais affiner (épurer) mon raisonnement et discerner que l'important c'est en fait de ne pas avoir d'accident tout court, en effet si tout le monde avait des accidents la vie sur Terre serait salement compromise, et la raison pure aussi du coup. Considérant le nombre d'alcooliques et de femmes au volant, je vais donc insensiblement être amené par transcendance à garer immédiatement ma bagnole au parking, tu sais celui juste devant l'église de Königsberg, et à ne plus y toucher. Ouf, bonne décision, et mon contentement est en plus immédiatement redoublé car je m'aperçois que d'avoir fait ça s'accorde tout à fait avec d'autres maximes également universalisables, comme faire des économies ou éviter de polluer la planète, et ça confirme, même si ce n'était aucunement nécessaire, que le choix était le bon car clairement orienté en direction du souverain bien, au moyen d'un usage judicieux de ma liberté, dont je ne doute pas de l'existence, car puisque je la conçois c'est qu'elle existe. Cool

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Message par Geo Rum Phil Mer 26 Sep 2012 - 13:50

Courtial a écrit:
[...] C'est quoi, le "libre arbitre" ?

[...] La liberté est donc dans le fait que j'ai le choix entre plusieurs possibles.

C'est pour cela que Hegel dira, au reste, que le libre arbitre, c'est la liberté en tant que contradiction.

Donc, on est libre d'accepter la liberté en tant que contradiction sans savoir/comprendre à quoi sert la notion d'arbritage ! ...ça alors ! nom de philodoxie !

Il sera contradictoire pour un arbitre de football de choisir à défendre une équipe contre une autre parce que son fils joue dans l'équipe qu'il favorise ! ... ce qui se passe en réalité selon doxa, la paradoxologie de madame et monsieur tout le monde; le croyant défend ses croyances contre la science, et l'athée défend ses hypothèses (autre forme de croyance) contre la religion.

La philosophie sera là pour arbitrer le fanatisme, le nationalisme extrémiste contre l'extrémisme ethnique/religieux ou les créationnistes contre les évolutionnistes; deux équipes de insensés. lol!

ARBITRAGE _Faculté de juger, de décider.
JUGER _ péjoratif . Juger sur l'étiquette (du sac). ,,Porter son jugement sur quelque affaire, sur quelque personne, sans avoir examiné les pièces, les raisons`` (Proverbe, vieilli Ac. 1835, 1878).

Un arbitre de football est la personne qui dirige le déroulement d'une rencontre de ce sport, assisté de deux arbitres assistants et d'un quatrième arbitre dans certains matchs. Il applique les compétences et obligations que lui accorde la Loi 5 du football.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Arbitre_(football)

L’autorité de l’arbitre
- l'arbitre disposant de toute l’autorité nécessaire pour veiller à l’application des Lois du Jeu dans le cadre du match qu’il est appelé à diriger.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_5_du_football_:_l%27arbitre


Dernière édition par Geo Rum Phil le Mer 26 Sep 2012 - 14:27, édité 1 fois
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Message par euthyphron Mer 26 Sep 2012 - 13:56

La notion d'exception est capitale. Il y a des maximes de conduite, visant le bonheur individuel ou collectif, qui peuvent sembler imiter la moralité, mais qui ne sont pas morales, et donc qui ne commandent qu'hypothétiquement (à supposer que... alors je dois). On les reconnaît à ce qu'elles admettent des exceptions, ce qui n'est pas le cas de la loi morale. Et c'est le traitement de ces exceptions qui rend la question beaucoup plus difficile que celle de savoir ce qui est bien ou ce qui est mal.
Par conséquent, est-il moral d'avoir une automobile? ce n'est ni méritoire ni coupable, un enfant, surtout éduqué à la sauce Peillon, l'aurait trouvé tout de suite. Ne prendre aucun risque n'est pas une maxime universalisable. En plus, il y a plein de gens louches au parking près de l'église de Königsberg. Ton raisonnement durable n'est donc pas kantien.
Je conteste aussi ce point:
chut a écrit:Je me dis, je suis en train de conduire ma voiture, il y a une manière, que je me plais à appeler optimale, de la conduire, où je veux , comme je veux mais pas pour ça n’importe comment : je sens une manière de faire qui est la meilleure : et ce choix libre de suivre ce ressenti (intellectuel et pur) ou pas constitue le libre arbitre autonome, il ne dépend de rien, d’aucun but, ne se construit sur aucun raisonnement, la transcendance me montre la voie, je suis ou pas, elle n’est strictement limitée par rien, je me fous de tout, sauf de suivre la bonne voie, sans jeu de mot, même si ça peut paraître bizarre. On est là il me semble dans la raison (pure ?) pratique.
L'autonomie du libre arbitre relève de la volonté et non de la sensibilité. C'est ici que l'opposition sensible-intelligible joue à plein. Le choix de suivre un ressenti est hétéronome, puisque la volonté se soumet à des penchants qui lui sont étrangers.
Tout ceci est l'expression de ce que j'ai compris de Kant, il va de soi que cela ne m'engage pas. En d'autres termes, je ne dis pas que c'est vrai, je dis que c'est ce que pense Kant.

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Message par Geo Rum Phil Mer 26 Sep 2012 - 14:26

euthyphron a écrit: En d'autres termes, je ne dis pas que c'est vrai, je dis que c'est ce que pense Kant.

...ceci est une pirouette universitaire pour échapper à la responsabilité des ses affirmations stil; si j'ai tort ce n'est pas ma faute, mais celle de Kant. :)

Une volonté dépourvue de la sensibilité (grossièrement-sensible) des cinq sens n'a pas de sens. Sans accès à l'ultra-sensible de l'intelligible, le libre arbitre n'est que la liberté de choisir en méconnaissance de cause.

Le concept de sublimation va au delà...

La sublimation est la dérivation d'une fonction instinctive inférieure et primitive en une autre de haute valeur morale. (O. Pfister, La psychanal.au service des éduc. 103.)
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Message par Chut Mer 26 Sep 2012 - 19:53

euthyphron a écrit:
Par conséquent, est-il moral d'avoir une automobile? ce n'est ni méritoire ni coupable, un enfant, surtout éduqué à la sauce Peillon, l'aurait trouvé tout de suite. Ne prendre aucun risque n'est pas une maxime universalisable.

En observant tous les bouchons quotidiens de voitures à cinq places qui ne contiennent qu’un conducteur, en constatant le budget ahurissant de l’entretien des dits véhicules de plus en plus chargés d’électronique, on est naturellement amené à considérer qu’actuellement posséder une automobile est un acte parmi d’autres d’un faisceau confortant la participation aveugle au dogme de la consommation maximale voulu par les dirigeants économiques actuels, qui ne nous entraîne pas vers le bien,et ce en vertu de la maxime de la figure universelle de ma grand-mère qui indique qu’il n’est pas bon de gâcher. Mais peut-être que cette maxime ne t’agrée pas non plus.
La sauce Peillon, je ne sais pas ce que c’est, mon opinion s’il faut absolument en donner une est que la dite sauce n’est pour le moment ni relevée ni brillante, par exemple je trouve l’expression observatoire de la violence très parlante par elle-même.

Euthyphron, utiliser la mauvaise foi n’est pas une bonne maxime, jamais je n’ai parlé de « ne prendre aucun risque » mais d’ « éviter les accidents », peux-tu préciser en quoi cette dernière ne serait pas universalisable ? C’est pas bien d’essayer d’éviter les accidents ?

euthyphron a écrit:
Je conteste aussi ce point:
chut a écrit:Je me dis, je suis en train de conduire ma voiture, il y a une manière, que je me plais à appeler optimale, de la conduire, où je veux , comme je veux mais pas pour ça n’importe comment : je sens une manière de faire qui est la meilleure : et ce choix libre de suivre ce ressenti (intellectuel et pur) ou pas constitue le libre arbitre autonome, il ne dépend de rien, d’aucun but, ne se construit sur aucun raisonnement, la transcendance me montre la voie, je suis ou pas, elle n’est strictement limitée par rien, je me fous de tout, sauf de suivre la bonne voie, sans jeu de mot, même si ça peut paraître bizarre. On est là il me semble dans la raison (pure ?) pratique.
L'autonomie du libre arbitre relève de la volonté et non de la sensibilité. C'est ici que l'opposition sensible-intelligible joue à plein. Le choix de suivre un ressenti est hétéronome, puisque la volonté se soumet à des penchants qui lui sont étrangers.

Je ne sais par quel canal passe la transcendance, de quelle façon ça communique entre l’intelligible et le sensible, j’ai donc écrit « je sens » à défaut de mieux mais en précisant « intellectuel et pur » pour qu’il n’y ait pas de confusion possible. Il s’agissait ici donc bien de libre arbitre autonome, pas question ici de penchants quelconques.

Mais j'ai du mal à comprendre comment ça fonctionne, pour aller plus loin on peut revenir à ta question « est-il moral d’avoir une automobile ? » je pense qu’une autre question peut-être plus difficile est : que se passe-t-il concrètement quand un conducteur lambda sur une route de campagne et venant d’être touché par la grâce ou le convertissement Kantien, décide d’appliquer subitement la loi morale (on objectera peut-être qu’il n’est pas question de morale dans ce cas, à quoi je rétorquerai que probablement si : on peut toujours se poser des questions comme : est-ce que c’est bien d’aller où je vais, d’y aller en voiture etc..) ? Que produisent donc ces concepts de liberté et de volonté dont le conducteur pourrait peut-être dire (même si c'est sûrement une bêtise car les concepts sont différents), par analogie avec ce que dit Kant de la causalité, : « si je n’ai à vrai dire aucune intuition qui en détermine la réalité théorique et objective, il n’en a pas moins une application réelle qui se montre in concreto dans des intentions et des maximes, c'est-à-dire une réalité pratique qui peut être indiquée »

Et je ne sais bien le dire mais comment discerner ce qui relève du libre arbitre autonome lié à la volonté pure et à la loi morale de ce qui relève d'un libre arbitre s'appliquant à une situation hétéronome mais synthétisée en une vision unique, est-ce que finalement tout le monde n'essaye pas en permanence de faire pour le mieux dans une perspective de bien ultime en fonction d'une perception synthétisée du monde interagissant avec son sensible et son intellect également synthétisés à un instant t ?
Où est-ce qu'on ne pourrait finalement résumer un des messages de Kant en direction de l'homme à la façon habituelle des enseignants en peine d'appréciation : peut mieux faire.

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Message par euthyphron Jeu 27 Sep 2012 - 18:30

Comme annoncé plus haut, je ne fais, pour l'instant du moins, que livrer ma lecture de Kant. Et non, Geo, cela n'a rien à voir avec une dérobade, c'est juste qu'on ne peut pas tout faire en même temps. Je continue ainsi.
Chut a écrit:En observant tous les bouchons quotidiens de voitures à cinq places qui ne contiennent qu’un conducteur, en constatant le budget ahurissant de l’entretien des dits véhicules de plus en plus chargés d’électronique, on est naturellement amené à considérer qu’actuellement posséder une automobile est un acte parmi d’autres d’un faisceau confortant la participation aveugle au dogme de la consommation maximale voulu par les dirigeants économiques actuels, qui ne nous entraîne pas vers le bien,et ce en vertu de la maxime de la figure universelle de ma grand-mère qui indique qu’il n’est pas bon de gâcher. Mais peut-être que cette maxime ne t’agrée pas non plus.
Ceci relève, il me semble, de la politique. Est-il de bonne politique de favoriser la circulation automobile? Je n'ai rien contre tes arguments. Mais on reste dans le relatif, dans la politique. Utiliser une automobile en situation d'urgence, par exemple pour transporter un malade, reste probablement la solution la plus avantageuse au bien commun. Or, on devrait se l'interdire s'il y avait une faute morale à le faire, toujours évidemment si l'on décide d'être kantien.
chut a écrit: Euthyphron, utiliser la mauvaise foi n’est pas une bonne maxime, jamais je n’ai parlé de « ne prendre aucun risque » mais d’ « éviter les accidents », peux-tu préciser en quoi cette dernière ne serait pas universalisable ? C’est pas bien d’essayer d’éviter les accidents ?
Si, sans doute, mais cela n'exclut pas l'usage de l'automobile.
chut a écrit:Je ne sais par quel canal passe la transcendance, de quelle façon ça communique entre l’intelligible et le sensible, j’ai donc écrit « je sens » à défaut de mieux mais en précisant « intellectuel et pur » pour qu’il n’y ait pas de confusion possible. Il s’agissait ici donc bien de libre arbitre autonome, pas question ici de penchants quelconques.
Il n'y a pas d'autonomie du libre arbitre hors de l'obéissance à la loi. Et il n'y a pas d'intuition intellectuelle. Toujours selon Kant.
chut a écrit:Mais j'ai du mal à comprendre comment ça fonctionne, pour aller plus loin on peut revenir à ta question « est-il moral d’avoir une automobile ? » je pense qu’une autre question peut-être plus difficile est : que se passe-t-il concrètement quand un conducteur lambda sur une route de campagne et venant d’être touché par la grâce ou le convertissement Kantien, décide d’appliquer subitement la loi morale ?
Je pense qu'il se met à respecter le code de la route, tout simplement. Et s'il se rendait en un endroit immoral, une certaine maison devant laquelle se tient une potence présumée réfrigérante, il s'arrête, après avoir mis son clignotant, et fait demi-tour.
chut a écrit:Et je ne sais bien le dire mais comment discerner ce qui relève du libre arbitre autonome lié à la volonté pure et à la loi morale de ce qui relève d'un libre arbitre s'appliquant à une situation hétéronome mais synthétisée en une vision unique, est-ce que finalement tout le monde n'essaye pas en permanence de faire pour le mieux dans une perspective de bien ultime en fonction d'une perception synthétisée du monde interagissant avec son sensible et son intellect également synthétisés à un instant t ?
N'est-ce pas une version modernisée du "nul n'est méchant volontairement" que tu nous livres ici? Effectivement, il existe entre Kant et Platon des différences inconciliables. Tu sais de quel côté je penche. Je ne désapprouve donc pas, bien au contraire, tes tentatives de déconstruction de l'ennemi prussien. Mais je m'efforce de bien le repérer.

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Message par Chut Ven 28 Sep 2012 - 23:08

euthyphron a écrit:
chut a écrit:que se passe-t-il concrètement quand un conducteur lambda sur une route de campagne et venant d’être touché par la grâce ou le convertissement Kantien, décide d’appliquer subitement la loi morale ?
Je pense qu'il se met à respecter le code de la route, tout simplement. Et s'il se rendait en un endroit immoral, une certaine maison devant laquelle se tient une potence présumée réfrigérante, il s'arrête, après avoir mis son clignotant, et fait demi-tour.
Je ne crois pas. Suivre une loi des hommes ne me semble pas Kantien du tout. Le conducteur, par sa volonté et sa liberté crée sa loi, et cette loi détermine le bien et le mal. Et là tout devient possible, le plus conformiste comme le plus surprenant, le plus absurde, la loi qui ne suit aucune loi. Je ne vais pas reprendre mes litanies philoforumesques sur le hasard, mais je creuse toujours l'idée, je sens qu'il y a quelque chose. Tiens, voilà à quoi ça me fait penser cette histoire, où il est question non d'une voiture quelconque mais d'un taxi :
"Dehors, la précieuse lettre à la main, il combina d'économiser un taxi pour aller à Cologny. Une bonne idée serait d'arrêter la première automobile qui passerait, d'expliquer qu'il avait oublié son porte-monnaie et qu'il devait d'urgence aller voir un beau-frère qu'il aimait comme un frère, et qu'on était en train d'opérer en ce moment dans une clinique de Cologny, ablation d'un rein ! Non, en somme, le gain ne serait pas suffisant. Et d'ailleurs, quel besoin de gains ? Le billet du seigneur était de mille francs et il lui restait encore divers louis d'or. Donc, prendre un de ces taxis, là-bas, et en avant vers ce Cologny ! Mais passer d'abord à l'hôtel pour y reprendre la raquette de tennis et la canne de golf qui feraient bonne impression sur la jeune dame. Et puis changer de couvre-chef, mettre le haut-de-forme noir qui ferait plus protocolaire. Parfait. Il alla, sifflotant, haut-de-forme gris de côté et canne virevoltante, maître de lui-même comme de l'univers, chargé de mission.
Au coin d'une rue, assis sur un pliant contre le mur d'un garage, un aveugle jouait maladivement de l'accordéon pour personne. Mangeclous s'arrêta, fouilla dans sa poche, jeta un louis dans la sébile que le caniche du mendiant tenait dans sa gueule, s'éloigna, s'arrêta de nouveau, interrogea son nez, fit demi-tour, déposa le billet de banque, caressa la chien. Puis, pressé d'être un plénipotentiaire, il courut, lavallière flottante, vers la station de taxis. Mais pourquoi diable tous ces imbéciles le regardaient-ils avec tant de curiosité ? N'avaient-ils jamais vu un frac ?"

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Message par euthyphron Mar 2 Oct 2012 - 21:02

Chut a écrit:
Je ne crois pas. Suivre une loi des hommes ne me semble pas Kantien du tout. Le conducteur, par sa volonté et sa liberté crée sa loi, et cette loi détermine le bien et le mal. Et là tout devient possible, le plus conformiste comme le plus surprenant, le plus absurde, la loi qui ne suit aucune loi.
Ton conducteur me paraît beaucoup plus sartrien que kantien, car il ne semble absolument pas préoccupé de se demander s'il peut universaliser sa maxime. Je me demande même si, à l'inverse, il n'envisage pas la pleine et authentique expression de la liberté sous la forme de la singularité. Ce n'est pas idiot, mais ce n'est pas du tout kantien.
Quant à la répugnance à suivre la loi des hommes que tu attribues à Kant, d'abord la loi morale est une loi des hommes : Kant n'exige pas, du moins selon ma lecture, que la loi vienne de Dieu pour obliger. Ensuite, s'il est vrai que les conventions humaines apparaissent à la volonté comme une détermination hétéronome, il n'en est pas moins vrai que la décision de les suivre, elle, peut être commandée par l'autonomie de la volonté législatrice. Car je ne peux vouloir sans contradiction bafouer au volant de mon automobile une règle faite pour rendre possible la circulation automobile.

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Message par Geo Rum Phil Mer 3 Oct 2012 - 11:38

euthyphron a écrit:
Chut a écrit:
(...) Le conducteur, par sa volonté et sa liberté crée sa loi, et cette loi détermine le bien et le mal. Et là tout devient possible, le plus conformiste comme le plus surprenant, le plus absurde, la loi qui ne suit aucune loi.
Ton conducteur me paraît beaucoup plus sartrien que kantien, car il ne semble absolument pas préoccupé de se demander s'il peut universaliser sa maxime.

Un conducteur de locomotive, ce n'est pas lui qui crée la loi du fonctionnement selon ses caprices (manifestation irréfléchie de la volonté); il obéit comme l'ingénieur constructeur au Principe, au fil conducteur. La base de toute loi avec ses règles n'est-elle pas tel ou autre Principe ? Pour percevoir un Principe et tirer une loi, ce n'est pas donner à tout le monde !

L'ignorance (avec toute sa collection des synonymes) n'est-elle aussi le Principe des enfants-adultes gâté,-ée(s) via leurs caprices (manifestation irréfléchie de la volonté) ?

ignorance: abrutissement, analphabétisme, ânerie, aveuglement, balourdise, barbarie, béjaune, bêtise, candeur, crasse, faute, idiotisme, ilotisme, imbécillité, impéritie, impuissance, incapacité, incompétence, inconnaissance, inconscience, inconséquence, inculture, inexpérience, ingénuité, innocence, inscience, insuffisance, lacune,maladresse, méconnaissance, naïveté, nescience, nullité, obscurantisme, simplicité, sottise.

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