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Pouvoir et autorité, légitimité et reconnaissance

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Message par AnythingK Dim 11 Nov 2007 - 14:53

[Edit-gression : Ce post fait suite à une autre discussion : ]
Foucault, les sciences humaines


*


Merci messieurs pour cette belle discussion, inspirante et enrichissante.

J'aurais deux questions, et une proposition. Ma première question concerne le "néo-structuralisme" de Foucault : peut-on dire, selon vous, que si Foucault n'est pas structuraliste (d'une part parce qu'il n'y a pas chez lui le discours d'un côté, la pratique de l'autre mais aussi, parce qu'il n'y a pas le sens manifeste d'un côté, le sens caché de l'autre... tout étant à la surface ou sinon, dans les plis de la surface) ; ce n'est jamais par simple non-allégeance à cette forme de pensée, et ce n'est pas parce que le structuralisme ne dit rien de sensé, mais bien, parce que là n'est pas son objet, et ce, pour deux raisons. Ce n'est pas son objet parce que d'une part il s'intéresse à des champs encore peu questionnés, problématisés, et que le structuralisme laissait de côté. Et ce n'est pas son objet deuxièmement parce que cet objet devient, à mesure qu'avance la modernité vers la "postmodernité", comme "désuet", voire qu'il "meurt"... s'effaçant devant l'apparition d'une nouvelle organisation sociale, non plus "structurale", mais davantage en forme de réseaux, de rhizomes comme dit Deleuze, de quadrillage (Foucault), où seul le discours (conçu non pas comme structure mais bien presque comme "substance" des choses....et corrigez-moi si j'ai tort ici) est à même de révéler le sens des pratiques, leur pouvoir, le intelligibilité. Bref, Foucault tente seulement (ou surtout) de dire le réel tel qu'il est.

Deuxièmement, au sujet des sciences humaines. Serait-il possible selon vous que Foucault ait eu peur que la postérité fasse de ses analyses un outil de domination ? (pensons à la Volonté de puissance de Nietzsche) Et que pour cette raison même, il en soit venu à refuser de s'inscrire dans un discours déjà constitué et à partir duquel il aurait été possible, puisque ce discours déjà contitué existe déjà à l'intérieur des jeux de pouvoir, d'affiner encore mieux les mécanismes du contrôle social ? Car c'est à la résitance que Foucault voulait donner des outils. La résistance qui, comme pouvoir, est le moins "organisé" de tous, et donc, qui ne peut voir son reflet que dans un discours "au raz" de la pratique de détails, en deça du "sujet souverain", dans les méandres des "conditions de possibilité" de la pratique et du pouvoir, plutôt que dans les vapeurs aériennes des structures et des théories générales ? Et là je pose la question à savoir : n'a-t-il pas précisément donné là ses meilleurs armes au pouvoir organisé, quand on y pense bien ? Le pouvoir le plus "fort" actuellement n'est-il pas précisément celui qui agit sur les actions plutôt que sur les sujets (libres) ?

Finalement, à propos du "sujet". Je ne crois pas que Foucault ait voulu "évacuer" le sujet connaissant ou le sujet souverain pour dire qu'il n'existait pas. Au contraire, il a voulu en montrer le développement, les moyens par lesquels il a pu émerger (ou mourir, comme pour la figure de l'homme). Sa volonté de se situer "en deça" du sujet, ou encore de se placer "hors sujet" est selon moi purement méthodologique et vise précisément à en démonter (et démontrer) la constitution. Bref, malgré cette méthode, il reste que son principal "sujet" reste le "sujet". Si on regarde son euvre de bout en bout et qu'on généralise un tantinet, voire un petit peu trop...

Mais peut-être que je me trompe... c'est peut-être un peu radical comme interprétations ... et je suis toute "oui" à entendre vos réactions.... en espérant vous en inspirer !

Salut !
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Message par Tenzin Dorje Dim 11 Nov 2007 - 15:52

Pour répondre à la première question, je dirais que tu n'as pas tout tort mais je dirais les choses autrement :

Le structuralisme, eu égard au au relativisme historique foucaldien, n'est qu'une tendance parmi les autres, qui jonche le sol de l'histoire et qui est appelé à passer. Lui se veut plus éternel. C'est pour ça que je dis qu'il s'intéresse à "la façon dont les choses posent problème" (comme il le dit lui-même, ce sont ses propres mots) et que le reste est accessoire.

Quand à ta dernière remarque, on trouve des échos avec mon message précédent, non ?

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Message par AnythingK Dim 11 Nov 2007 - 18:03

Lui se veut plus éternel.

Qui ça ? pas Foucault quand même.....

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Message par Tenzin Dorje Dim 11 Nov 2007 - 22:36

AnythingK a écrit:
Lui se veut plus éternel.

Qui ça ? pas Foucault quand même.....
Si, dans le sens de "ne pas appartenir à son temps ; transcender l'épistémé de son temps".

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Message par AnythingK Lun 12 Nov 2007 - 13:24

Oh là là... je serais curieuse de savoir ce que les autres en pensent, mais pour ma part, j'éviterais (au moins) de le dire de cette façon. Foucault se moquait bien de "l'éternité" possible de son oeuvre autant que de sa personne. Tout au plus je dirais que sa méthode, voire, son ontologie de l'histoire, touchent à des réalités qui transcendent l'histoire elle-même, ou qui dépassent le présent de son époque ... mais je ne prétendrais jamais qu'il a lui-même voulu qu'il en soit ainsi ...

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Message par Vargas Lun 12 Nov 2007 - 20:00

C'est pas très important.

C'est le plus éternel qui compte et qui qualifie la posture, le travail de Foucault, la position de son oeuvre dans l'énoncé des savoirs, et par rapport aux cadres historiques à interroger.

S'il remet en cause ce qu'il remet en cause, ça implique nécessairement qu'il se donne à une démarche à suivre qui vise à rompre avec cela.
Ca rejoint le fait de vouloir être considéré comme agitateur par les réguliers et recto verso :) .

On peut dire inactuel, ou bien en-deça de l'histoire sinon.

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Message par AnythingK Lun 12 Nov 2007 - 23:32

Oui, je suis d'accord et je préfère de loin cette formulation (inactuel, en deçà de l'histoire), qui me semble plus près de sa propre façon de poser les choses. Cela dit, il est vrai que nous n'avons pas à lui être fidèle pour autant ... surtout quand il s'agit de lui faire honneur !
***
"je pose des bombes" a-t-il même dit un jour ... dans une entrevue dont j'oublies la source.
***

Par ailleurs, pour extrapoler un peu.... diriez-vous qu'il y a chez Foucault seulement une théorie du pouvoir (s'il en est), ou si, entre les lignes, nous pouvons saisir une théorie de la domination ? Et quelle place ferait Foucault à la notion d'autorité, selon vous ?

bien à vous et merci pour vos réponses !

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Message par Vargas Mar 13 Nov 2007 - 12:12

Il en est question ici : Foucault, pouvoir et savoir


Il faut rajouter à ceci la conception du biopouvoir.

En gros, avant, le pouvoir gérait droit de vie et de mort.

Maintenant il gère les vies mêmes, il les administre, quadrille les lieux en espaces de pouvoir, jusqu'à s'attacher aux corps et à leur mouvement.*
Urbanisation, recensement, etc..
Ce qui implique que le pouvoir traverse les dominés mais aussi les dominants.

C'est la société de contrôle ou disciplinaire.



*Nota Bene : à ce sujet, il y a l'article de michel2 :
Le Corps dans les espaces du Pouvoir et déviation

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Message par AnythingK Mar 13 Nov 2007 - 18:02

D'accord, mais dans ce contexte où, comme le disait déjà Marx, les dominants sont tout aussi soumis au pouvoir que les dominés (bien que souvent différemment, selon les situations), qu'en est-il de l'autorité selon vous ?

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Message par Vargas Mar 13 Nov 2007 - 22:15

Mis à part tout ce que le reste évoqué (biopouvoir, rapport pouvoir/savoir, gouvernementalité, société de contrôle et de répression) implique, je ne vois pas trop.

Tu peux préciser ?

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Message par Pierre Rivière Mar 13 Nov 2007 - 23:22

AnythingK a écrit:D'accord, mais dans ce contexte où, comme le disait déjà Marx, les dominants sont tout aussi soumis au pouvoir que les dominés (bien que souvent différemment, selon les situations), qu'en est-il de l'autorité selon vous ?

Je ne suis pas totalement certain de ce que j'avance, mais il me semble que ce rapport dominant-dominé selon Marx relève de la dialectique du maître et de l'esclave chez Hegel. Le dominant a besoin de la reconnaissance de l'esclave pour être dominant et le dominé n'est qu'en tant que reconnu par la volonté du maître (pour le dire schématiquement).
Ainsi, l'autorité (je ne sais pas exactement dans quel sens tu l'entends, mais disons que) si on entends par là le pouvoir d'influencer la volonté d'un autre par la sienne propre, ce concept d'autorité reste situé dans la dialectique du maître et de l'esclave; du côté du maître plus précisément.

Il me semble que Foucault rejeterait un tel concept (celui d'autorité) lorsqu'il s'agit des résistances. Le résistant ne désire pas imposer son autorité aux autres, mais bien s'affirmer dans sa différence.

Ainsi, l'affirmation de soi est exclusive de pratique autorité; puisqu'il est vrai que cette affirmation de soi est voulue pour l'autre aussi. Parce qu'agir de façon autoritaire envers un autre (brimer son affirmation de soi) revient à le nier dans ce qu'il est pour pouvoir s'affirmer soi-même. Toutefois, ce mode d'affirmation de soi n'a rien de positif (il n'affirme rien), il ne fait que nier l'autre (il est négatif). Donc, une affirmation de soi autoritaire n'est pas une véritable affirmation de soi, c'est une négation de l'autre.

Ceci ne veut pas dire qu'il faut empêcher toute influence d'une volonté sur une autre, mais bien que ce mode d'influence ne doit pas prendre le modèle de l'injonction, mais de la demande ou de l'offre lorsqu'on cherche à définir le modèle de résistance de Foucault (qui, tel que je le comprends, se définit comme affirmation de la différence; dans une société dont le modèle de pouvoir est disciplinaire, i.e. normalisant)

Toutefois, il faut bien prendre conscience que nous ne sommes pas un bloc moral monolithique. On n'est jamais totalement résistant ou autoritaire, ou maître ou esclave. Le sujet n'est jamais identique à lui-même, il navigue à travers ces multiples pratiques de soi (résistant, autoritaire, maître, esclave, penser aussi à l'histoire de la sexualité, etc.)

P.S.: Par rapport au structuralisme, il me semble que le problème qu'a Foucault envers ce genre de méthode ou de pensée est qu'il s'agir d'un avatar de la pensée métaphysique traditionnelle. Réduire la multiplicité phénomènale à un système cohérent de concept, et expliquer la totalité de l'expérience vécue par ce système de concept. Trouver le fondement absolu, le principe premier, le premier moteur, les prédicats éternels de l'être, etc. ou trouver la structure, c'est le même mode de penser.
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Message par AnythingK Mer 14 Nov 2007 - 5:16

Mr. Rivière me répond ! Cette réponse m'inspire. Bien que j'apprécie énormément Foucault, il n'en demeure pas moins que commenter sa pensée est pour moi un peu comme un prétexte pour discuter de ces questions fondamentales qui m'animent. Je trouve donc opportun et enrichissant de faire ce que nous faisons, c'est-à-dire extrapoler et se demander "ce qu'en aurait dit Foucault". D'autant plus que je trouve ça assez amusant !

C'est intéressant de partir de la dialectique hégélienne pour analyser les choses. Ce n'est pas ce à quoi je faisais précisément référence - qui était plus simplement l'idée que les dirigeants sont eux mêmes déterminés par l’organisation des rapports de production qui est la leur, notamment sous la forme de l’appât du gain, dans la perspective du biopouvoir foucaldien – mais parler du maître et de l’esclave offre aussi un éclairage intéressant, si l’on parle surtout du dernier Foucault, et c’est bien ce que je voulais faire.

C’est-à-dire au sens du « résistant » (qui est donc un sujet constitué ou enfin, une « singularité somatique » comme dit Foucault) –sujet « à part entière » qui chez Foucault n’est jamais, je suis entièrement d’accord, ni totalement dominant ou dominé, étant donné que contrairement à Marx, Foucault ne voit pas du tout les rapports de production comme l’unique détermination de la pratique des hommes. Ce sont bien davantage les rapports de savoir/pouvoir qui déterminent les sujets non pas « en bloc », pour prendre votre expression, mais par « capillarité », car Foucault lorsqu’il parle des « résistances » peut aussi bien parler d’énoncés, d’actions et autres multiplicités objectivables mais « non subjectives »... d’où leur caractère « partiel » pour les sujets, qui dans tel énoncé est dominant, mais dans telle action, ne l’est pas et ainsi de suite.

Le « résistant » comme vous l’appelez, n’existe il me semble que dans le second Foucault en tant qu’objet « plein », dans le concept de « sujet » rapatrié « enfin », après un long rejet. Là où la dialectique du maître et de l’esclave peut se voir être intériorisée comme gouvernement de soi, dans la mesure où il s’agit, pour avoir du pouvoir sur l’autre, d’en avoir d’abord sur soi. C’est ce double effet que j’appelle « faire autorité ». Car Foucault ne disait pas que le pouvoir était « mal », ni même qu’il était un obstacle à l’affirmation de soi (mais je n’aime pas trop cette formule un peu creuse à mon sens et que Foucault n’utilisait pas vraiment il me semble…mais je n’ai pas tout tout lu), au contraire, « l’affirmation de soi » est un exercice de pouvoir, ou est faite de « relations de pouvoir » entre des « points » ou « pôles » plus ou moins actifs, passifs, matériels, symboliques, etc…

Autorité ne veut pas dire pouvoir. Et une distinction peut-être intéressante serait peut-être cette question, justement, de la reconnaissance. L’autorité comme résultat de la reconnaissance du pouvoir ? Ceci ne concernant pas bien sûr « l’autoritarisme » comme abus de pouvoir ou exploitation de l’autre. C’est dans un sens plus Arendtien que je parle d’autorité. Et cette reconnaissance n’est pas obligée de se faire de manière totalement rationnelle ou même consciente, chez Arendt. L’idée étant simplement qu’elle n’oppose pas de résistances. Ce pourquoi, avec Foucault, on pourra dire qu’il ne s’agit plus de pouvoir, car le pouvoir et les résistances sont des « vis-à-vis » essentiels. Je prend la liberté d’ajouter qu’il s’agit donc d’autorité.

Encore faut-il distinguer la question de la légitimité de l’autorité. Toute autorité est-elle légitime ? Qu’est-ce que la conscience de soi ou la conscience de classe peuvent-elles faire à l’autorité, au pouvoir, à leur légitimité ? «L’autoritarisme » ne serait-il pas ce moment de l’autorité où la reconnaissance est totale mais inconsciente (l’enfant, l’esclave, la classe en soi, l’inconscient), moment (ou espace) ou « on ne sait pas » si le pouvoir est oui ou non légitime. Mais le moment où l’on qualifie une action "d’autoritaire » en ce sens, c'est déjà que cette autorité abusive est en danger, et que des résistances prennent corps. Espace où il me semble circulent et se rencontrent le désir et la loi, espace aussi de la discipline où se choquent le corps et la machine. Espace où le contrôle social a pris la relève de l’autorité devenue "non-légitime", usant de pouvoir insidieux car ils ont cours « en deçà » de la pratique, en deçà du bien et du mal, et même de l’histoire.

Si nous disions, avec Marx, que la « classe en soi » est dominée (donc soumise à un pouvoir) sans en avoir conscience et que, à l’inverse la « classe pour soi », c’est à dire la conscience de classe des ouvriers, est quant à elle par nécessité « révolutionnaire », nous dirions, en y ajoutant le précédent paragraphe, qu’il n’y a pas d’autorité légitime (uniquement de l’autoritarisme) dans le système capitaliste. Avant qu’ils ne se révoltent (ou s’ils ne se révoltent pas), les ouvriers obéissent par reconnaissance non de la légitimité, mais de l’autorité. À partir du moment où ils se révolteront, ils ne reconnaîtront plus aucune autorité aux dominants en raison de leur conscience de classe, laquelle juge le pouvoir des dominants comme étant illégitime. Et dès lors ils sont les « points de résistance » au pouvoir de cette classe. Et ces « relations de pouvoir » à la Foucault, à force d’être disséquées, parcellisées, stratégifiées, et à mesure qu’on portera sur eux un regard de plus en plus affiné et de moins en moins soumis à l’empire du système et de l’unité, deviendront des parcelles de subjectivités et, encore une fois, cela explique que comme le dit Bourdieu, on peut être à la fois dominant dans un champ et dominé dans un autre. C’est un contexte idéal à une exploitation de masse, non pas de la totalité des dimensions de la vie humaine d’un seul individu (à condition qu’il use de liberté) mais de la totalité de certaines parcelles de leurs vies à tous, tous également enchaînés à la vie et donc à ses nécessités, elles-mêmes faisant l’objet d’une surenchère ontologique comme technique de marketing. Bon, je m’emporte !bounce

L’autorité légitime serait donc plutôt celle qui quant à elle, au lieu de reproduire à l’extérieur de soi la dialectique maître/esclave, l’intériorise pour devenir maître de soi, condition idéale pour gouverner une ville ou des employés ou une famille, par exemple. Condition essentielle pour s’inventer une vie, esthétiser l’existence, avoir soin de soi et des autres, et Penser Autrement.

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Message par Pierre Rivière Jeu 15 Nov 2007 - 3:43

Bien, je vois que si on lui en laisse la chance mademoiselle AnythingK nous emporte vers de jolies considérations.

Premièrement, lorsque je parlais du rapport dominant-dominé comme reproduisant le schème moral du maître et de l'esclave, j'ajouterais que je l'implique en un sens fort et plutôt négatif. Je m'explique.

Cette dialectique du maître et de l'esclave est en fait une morale d'esclave; au sens où notre société est organisée de telle sorte que certains esclaves dominent d'autres esclaves et les modifications des rapports de pouvoir à l'intérieur de cette société ne changent en rien la forme morale de cette société.
- Par exemple, l'organisation en U.R.S.S. d'une domination du prolétariat ne change en rien la constitution métaphysique de cette société. Il s'agit encore et toujours d'une société régie par une métaphysique de la marchandise, c'est-à-dire où les rapports entre hommes et avec la nature sont vécues selon une volonté de maîtrise et où toute chose est réduite à sa valeur d'échange. Pour parler avec Debord, le Capitalisme a trouvé dans la bureaucratie une classe de substitut (ce qui démontre d'ailleurs son indépendance de la classe bourgeoise) qui lui permet de se propager et d'agir comme accélérateur dans les pays qui ont acquis un retard dans leur développement économique.

Cette morale d'esclave s'incarne d'abord et avant tout dans l'opposition conceptuelle entre "sujet" et "monde" qui traverse la métaphysique occidentale principalement depuis la modernité. Il s'agit d'un rapport au monde comme étant hostile et cette hostilité est le qualificatif qu'un organisme donne à ce qui est plus fort que lui et le menace. La relation au monde est fondamentalement vécue comme une relation de peur et d'angoisse (Heidegger n'a rien inventé là-dessus, il ne fait que prendre conscience du fait). La peur de la mort, notre saisie de soi comme finitude, sont les symptômes de cet étrange fait, qui caractérise en quelque sorte notre culture, que nous nous comprenons comme radicalement différent et opposé au monde dans lequel nous vivons; nous sommes en relation d'opposition avec la nature, et cela nous porte, depuis que nous en avons le pouvoir, à exercer une domination très aggressive sur celle-ci. Nous en revenons ici à la métaphysique marchande où la nature est perçue comme objets de notre consommation.

Maintenant: diagnostic du symptôme. C'est uniquement dans la mesure ou nous définissons notre identité à partir de la conscience de soi que nous nous saisissons comme étant mortel. C'est la conscience, comme émergant de notre constitution matériel (de chair et d'os), qui se saisit comme fini ou comme ne participant pas du Tout de la nature; c'est-à-dire comme opposé au monde ou comme être-au-monde (pour utiliser le concept d'Heidegger). Si ce n'est de la conscience, nous sommes constitués exactement de la même matière que le reste du monde; nous sommes même obligé de consommer ce monde pour vivre. J'ajouterai que dans la tradition philosophique la distinction homme/animal s'est pratiquement toujours fait autour de ce concept qu'est la conscience de soi.

À ce point: apparition de la conscience de soi dans l'histoire de l'animal-homme. Ici je me réfère entièrement à la Généalogie de la morale de F. Niezsche. La conscience, avant que nous la théorisions comme conscience de soi, était comprise comme conscience morale. De nos jours encore, nous disons des psychopathes qu'ils n'ont aucune conscience, etc. Je n'ai pas vraiment le loisir d'exposer tout l'argumentaire de Nietzsche, mais disons simplement que la conscience est apparue comme une intériorisation de l'interdit; la conscience est une forme de négation de soi, le soi étant entendu içi en tant que la constitution d'un organisme est d'être une multiplicité de pulsions. De plus, l'intériorisation de l'interdit se forme dans la mesure où un organisme plus fort en assimile un autre et en fait une fonction de lui-même. Ainsi, certains individus intériorise la négation de certaines pulsions qui les empêcheraient d'agir comme leur est dicté leur nouvel être de fonction. Ce rappel de l'interdit est ce que nous expérimentons lorsque notre conscience nous dit que tel acte est "mal"; il s'agit ici de la qualification d'un danger relié à cet acte, un danger exercé par celui qui s'est assimilé un autre organisme pour en faire sa fonction.

Nous pouvons voir alors que ce qui constitue notre singularité par rapport au monde est l'intériorisation d'interdits; il s'agit, d'une certaine façon, d'une constitution transcendantale du sujet à l'intérieur d'un langage (de pratiques de savoirs). Je, en tant que je suis ma conscience, doit alors exercer une maîtrise sur mon corps; cette fameuse maîtrise de soi. Ainsi, la dialectique du maître et de l'esclave, dans son volet intériorisé, n'est qu'un avatar de cette constitution métaphysique du sujet conscient opposé au monde. C'en est en fait l'expression la plus claire et la plus consciente si j'ose dire.

Donc, dans la mesure où une autorité est légitime pour un esclave, c'est seulement si le maître reproduit de façon plus excellente qui lui-même l'idéal de l'esclave. Ce dernier, qui doit se maîtriser en tant qu'il est la fonction d'un autre organisme, considère comme légitime cette domination s'il reconnaît le dominant comme hiérarchiquement supérieur à lui, c'est-à-dire comme ayant la force d'exercer une meilleure maîtrise de soi. Sinon, l'esclave ne comprendrait pas pourquoi lui, en tant qu'esclave, doit se dominer, alors que le maître ne doit pas faire cela. L'esclave considérerait comme injuste d'être l'esclave et non le maître, il voudra donc être le maître et la seule chose qui l'en empêche encore est que le maître est plus fort (physiquement) que lui. Ainsi, l'esclave, dès qu'il sera plus fort, se rebellera contre le maître.
Alors, c'est ici que l'esclave plit le maître à son joug puisque s'il veut rester maître, il doit devenir esclave de lui-même (et donc esclave de l'esclave); c'est-à-dire d'atteindre à l'idéal de maîtrise de soi.

La dialectique du maître et de l'esclave est donc une morale d'esclave. C.Q.F.D. (Ce Qu'il Fallait Démontrer)

Oufff.. c'est long tout ça. Bref, si quelqu'un voit une faille dans mon (c'est pas non plus comme s'il était juste à moi) argument, prière de me l'indiquer et j'aviserai.

Alors, on continue au sujet de l'autoritarisme. Ainsi, l'autoritarisme, comme activité du maître sur l'esclave selon la logique exposée plus haut reste dans la cadre d'une morale d'esclave, qu'elle soit légitime ou non puisqu'il s'agit en fait soit de la reconnaissance du maître comme atteignant mieux l'idéal de l'esclave (légitime) ou soit du maître comme décadent par rapport à l'idéal de l'esclave (illégitime).

Donc, dans le mesure, où, par une esthétique de l'existence du résistant (et là-dessus je crois m'échapper un peu de Foucault), je l'emploi comme résistence à ce mode de penser moral (de l'esclave) et comme possibilité de penser autrement que selon cette logique qui s'est constituée une métaphysique de la marchandise comme logis, alors je crois être en droit de dire que la définition de l'esthétique existentiel du résistant est l'affirmation de la différence. En ce sens la différence est différence d'avec la réduction normalisatrice (qui est le mode de pouvoir de nos société contemporaine) à ce mode de penser exposé plus haut. Et l'affirmation est une morale aristocratique (pour ne pas utiliser le terme de maître) opposée à la morale d'esclave; de la même façon que l'affirmation s'oppose au nihilisme (ce qui est, en vérité, décrit dans mon exposé plus haut) dans la pensée de Nietzsche; affirmation qui est la constitution de l'identité comme d'une non-identité à travers le soi en tant que multiplicité pulsionnelle (c'est-à-dire des forces du corps), et non d'une identité de soi à partir de la conscience (qui serait maître du corps).

Si vous voulez, on peut peut-être dire que je corrige Foucault à partir de Nietzsche. Wink
Mais, dans tout les cas, j'ai de la difficulté à comprendre précisément comment Foucault emploi, lui, son concept de résistance. J'ai lu tous ses livres et je n'y ai vu que des allusions passagères; il ne le thématise jamais explicitement. Il va falloir que je lise les Dits et écrits, mais en attendant je n'ai qu'une vague de ce qu'il entends par résistance: peut-être ce qui lutte comme pouvoir indépendant contre un autre pouvoir.
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Message par AnythingK Ven 16 Nov 2007 - 16:13

C’est pas long quand c’est bon … :D

« Il n’y a rien en dehors du tout » disait Nietzsche, pour expliquer pourquoi il nous est impossible de « voir » ce tout, de le penser comme si nous en étions à l’extérieur. L’impossible connaissance du monde, la bataille constante entre le réel et le savoir, l’illusion généralisée, mais nécessaire, nous cachent non pas le réel, mais son absence... « il faut savoir se tromper intelligemment sur le réel ». Et intelligemment pour Nietzsche (et pour Foucault) veut dire le contraire de suivre le troupeau et les idoles…

Je vois la radicalité de Foucault, ses appels à la critique, et son ouverture d’esprit sans limites, un peu comme des « symptômes », ou plutôt en fait une conséquence de sa conception du pouvoir et des résistances. Ou bien, au contraire, c’est son concept de pouvoir qui est tributaire de sa posture résistante. Ses éloges de la création représentent, il me semble, l’aspect le plus achevé de l’équivalent formel de sa position dans le monde. Et je crois que si nous avions à trouver un concept de résistance chez lui, il s’agirait de trouver les « trous » dans ses livres pour un tel concept et les remplir par son être. Je me représente souvent Foucault comme au bord d’un abîme, faisant un pas devant en souriant franchement. « Je ne fais rien qui ne me compromette » avait écrit Nietzsche dans Ecce Homo. C’est vrai que c’est par Nietzsche que Foucault est le mieux éclairé. Il n’a peut-être pas vraiment eu le temps de se détacher du maître … de ce genre de maître il faut sans doute plus longtemps … Cela dit, Foucault ne serait sans doute pas trop rétif à l’idée d’être corrigé à l’aide du marteau de Nietzsche !

Oui, la conscience de soi comme négation de l’autre, la conscience de l’autre (et de l’Autre) comme négation de soi, tout à fait. C’est pourquoi la conscience et la reconnaissance ne suffisent pas au « penser autrement » que cherchent Nietzsche et Foucault, encore faut-il être inconscient, fou, méchant même, ou dans l’ingratitude la plus innocente envers l’autre et encore plus envers l’Autre. Pour éviter le cycle des négations et des identifications, pour sortir de la dialectique et même du structuralisme, et pour sortir de la domination... Quitter enfin cette morale d’esclave …

Mais c’est là où la notion de légitimité devrait prendre un sens plus restrictif que celui que vous utilisez, Mr. Rivière. Celui qui reconnaît la légitimité d’une autorité, n’est peut-être déjà plus esclave à part entière. Reconnaître l’autorité n’est pas l’équivalent de reconnaître la légitimité d’une autorité. Et dans un contexte de « liberté », surtout, cela signifie une différence quand même assez importante. Que signifie liberté ? Chez Foucault, à vue de nez, liberté et résistance semblent indistinctes. Il y a chez lui en tout cas une sorte de célébration de la lucidité, de la pensée critique, de la recherche du sens profond, de l’interprète premier … et qui toujours « achoppent » sur son épistémologie incertaine, hésitante, fuyante, mais radicalement nihiliste (il n'y a rien en dehors du tout), voire un peu rigide (attachement excessif au maître?) dans ses fondements ontologiques (mais c’est peut-être par attachement à mon propre maître que je dis cela moi-même !).

J’ai mis « achoppe » entre guillemets, car achopper, c’est aussi naître ailleurs, et c’est bien ce que voulait Foucault. Donc il n’achoppe aucunement par rapport à son but (ou non-but, selon la perspective…). « Je suis un artificier, je pose des bombes ». Déstabiliser, obliger l’autre autant que soi à se questionner, pousser toujours plus loin la radicalité en guise de réponse à l’angoisse plutôt que de calmer le jeu avec des certitudes et des vérités. C’est un peu caricaturer la posture de Foucault tant dans sa vie que dans son savoir et la mécanique de sa pensée, c’est pour faire image, mais la réalité dépassera toujours ce qu’on peut en dire.

Éloge de la lucidité, tête chercheuse de « vérité », critique de la méconnaissance du pouvoir, refus de l’apriori du sujet libre ou transcendantal, mais éloge de la pensée, éloge de la conscience ? Qui plus est, de la conscience et de la maîtrise de soi ? Oui, je crois que c’est un peu ça Foucault. Mais attention, il ne faut pas croire que pour lui la liberté se réduise à une « région de la conscience » (comme le déplore Arendt à propos de la modernité), ou encore une liberté sans contraintes (cela est tout simplement impossible pour lui, car il faut le pouvoir, il faut les résistances, et ces deux termes sont réversibles). Le pouvoir, comme les résistances et comme la liberté, sont des « exercices ». On pourrait peut-être en dire autant de l’autorité. « Exercer » voulant dire à la fois agir et penser.

Pour revenir à la question de la légitimité, donc, celle-ci cependant, je la réserverais pour un jugement de la conscience lucide. Dans un contexte de liberté, on ne peut parler de légitime autorité si nous lui obéissons « en soi », ce que j’appelle reconnaître l’autorité, car la reconnaissance précède la conscience de cette reconnaissance (je sais je sais, je ne suis plus du tout dans Foucault). La légitimité n’existerait donc que d’être jugée en tant que telle. La légitime autorité n’ayant donc rien, mais alors absolument rien à voir avec l’autoritarisme, qu’il soit d’hier ou d’aujourd’hui.

Maintenant, pour ceux qui ont vu la faille dans ce raisonnement, à savoir que tout en combattant, au nom de la liberté ou de la résistance, la dialectique de la conscience de soi, cette dernière est nécessaire à la reconnaissance de la légitimité de l’autorité. C’est pourquoi je dis que chez Foucault l’autorité légitime n’existe pas. Il n’y a que du pouvoir légitime par « nécessité », si je peux dire, dans la mesure où il ne sert à rien d’évoquer l’illégitimité de quelque chose d’inéluctable. Il n’en demeure pas moins que tout pouvoir n’est pas inéluctable et que s’il y a inéluctabilité du pouvoir chez Foucault, ce n’est certainement pas sous l’une de ses formes historiques contingentes. Même s’il ne le dit pas ainsi, il demeure néanmoins chez Foucault une sorte d’ontologie du pouvoir et des rapports savoir/pouvoir, où se manifeste une constellation de formes « contenant » ou pouvant contenir les diverses occurrences historiques de ces rapports.

Foucault a l’air de dire : l’autorité n’est pas nécessaire puisque le pouvoir s’en charge, mieux vaut la lutte que la soumission, mieux vaut la réversibilité que le surplomb, mieux vaut la révolution, que la stagnation. Et c’est tout à son honneur, mais sociologiquement, il manque quelque chose, même pour expliquer les « singularités » … et sans aller plus loin ni même « fonder » plus avant mon propos, je vous laisse avec ceci : l’autorité légitime n’est-elle pas de toute nécessité, sinon la source, du moins l’élément déclencheur ou encore la « lumière » de toute singularité ?

On ne se sort pas de la dialectique de la conscience de soi et de l’autre, « il n’y a pas d’autre de l’Autre » disait Lacan (je ne suis pas certaine mais il me semble que c'est ce qu'il voulait dire...), tout au plus pouvons-nous changer d’Autre … et cela est loin d’être anodin …

alors voilà, ce n'est qu'une tentative d'interprétation bien incertaine, et probablement défectueuse par endroits ...

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Message par Bergame Ven 16 Nov 2007 - 23:25

Je ne veux aucunement m'immiscer dans cette très belle discussion, mais je serai heureux de discuter de pouvoir, autorité et le reste à l'occasion avec toi, AnythingK. Tu as en particulier une définition de la légitimité dont je n'identifie pas la référence théorique.
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Message par AnythingK Sam 17 Nov 2007 - 0:23

Mais, bienvenue ! Contrairement aux discussions à vives voix, rien ne nous empêche ici de tous "parler en même temps"!

À vrai dire, moi non plus je n'identifie pas la source théorique de ce que j'avance au sujet de la légitimité. Il me semble que c'est là un sujet assez récent, et relativement peu traité ... mais votre remarque m'a fait y regarder de plus près (je réfléchis en écrivant !), et je ne suis déjà plus tout à fait d'accord avec ce que je dis moi-même (c'est joli ça !). En fait, c'est plus une précision que je voudrais apporter.

Sans en dire plus pour l'instant, par manque de temps, je dois ajouter qu'il peut y avoir une autorité légitime, même sans la conscience de cette légitimité de la part de celui qui s'y soumet, quand même. Parcontre, c'est celui qui l'exerce qui en est conscient et qui peut la justifier. Sans quoi il ne s'agirait pas d'autorité légitime ...

ce n'est rien de révolutionnaire au fond.... Rolling Eyes

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Message par Pierre Rivière Sam 17 Nov 2007 - 1:09

Il y a des Oui et des Non, mais j'aime bien discuter avec vous mademoiselle Anythingk.

Pour ce qui est de la résistance. Vous touchez à mon intuition principale à ce sujet; qui est que la résistance foucaldienne n'est pas proprement théorisée dans ses livres, car elle n'est pas un objet épistémologique, mais plutôt une pratique. En ce sens, la résistance est la réalisation concrète pour la vie de celui qui prend acte du savoir déployé par Foucault dans son oeuvre. La simple déstabilisation des concepts sociaux réifiés (folie, délinquances, disciplinaire) par l'oeuvre écrite de Foucault suffit à permettre une résistance au pouvoir qui, pour se maintenir, professe sa réification (son caractère chosale et donc nécessaire). L'exposition du caractère historique et contingent du pouvoir laisse la place à une critique avec bonne conscience. C'est peut-être ainsi qu'il "pose des bombes". De plus, il est vrai que "résistance" et "liberté" se confondent chez Foucault si on considère qu'il s'agit là d'un héritage de l'école de Frankfurt et de la dialectique adornienne.

Bref rappel de la dialectique adornienne. Le moment objectif est la société (le "Tout"). Ce Tout est caractérisé par des contradictions internes qui s'expriment par la souffrance des individus vivant dans ce Tout. La conscience de ces contradictions appellent leur résolution et ce moment est le moment subjectif et critique. Cette critique s'exerce sur le Tout qui se voit modifié vers une nouvelle Unité qui résout les contradictions précédentes. Cette possibilité dialectique de correction (le moment subjectif de critique du Tout) est la liberté humaine.
Donc, si Foucault, qui disait lui-même travailler dans le sillon de l'école de Frankfurt, assume, au moins partiellement, cette compréhension de la pensée critique, alors il faut en conclure que, pour lui aussi, "résistance" ou "critique" se confondent avec "liberté".

Pour ce qui est de la maîtrise de soi. Ce que vous dites est vrai: "Qui plus est, de la conscience et de la maîtrise de soi ? Oui, je crois que c’est un peu ça Foucault.". Mais, c'est pour ça que je disais que: "et là-dessus je crois m'échapper un peu de Foucault". Je comprends cette vision foucaldienne, mais je lui oppose le fait qu'une telle esthétique existentielle n'est pas achevée. Dans la mesure où la maîtrise de soi nécessite deux terme: le "moi" et le "soi", et que le "moi" est la conscience qui sort d'elle-même pour revenir à son "soi" corporel, il s'agit là bel et bien d'une intéressante prise de conscience de son corps et d'une capacité d'auto-régulation, mais ce n'est pas encore de l'autonomie.
Peut-être ne l'avez vous pas connue, mais un certain Aristhidda était le fondateur (enfin je crois) du défunt forum Philautarchie qui a donné naissance à ce forum-ci, quoi qu'il en soit, il a écrit un jour que : "Le surhomme n'a pas le contrôle sur soi, il est puissance" et c'est là toute la différence. La reconnaissance de son identité comme soi autonome (apte à agir en fonction de ses propres règles) est la forme achevée du contrôle de soi; en ce sens que la réalisation de son identité personnelle comme étant les forces de son corps (qui est la conclusion de la "prise de conscience de son corps" dont je parlais plus haut) élimine la nécessité des deux termes qui se résolvent en une identité supérieure (c'est vraiment trop dialectique ça...). Donc, l'achèvement du mouvement de conscience se fait dans la réalisation du soi autonome; de soi primitif irréfléchi et impulsif, il s'achève dans le soi réfléchi et autonome. C'est-à-dire : je suis mon corps et la conscience n'est plus son maître, mais une de ses fonctions - la fonction intellective (mémoire et connaissances, jeux de langage et capacité à créer des mondes). Pour résumer le plus succinctement possible: la pensée au service de la vie.

Pour ce qui est de l'autorité, et sa légitimité. Premièrement, je dois constater que cela semble beaucoup plus votre rayon que le mien. Vous dites:
"Pour revenir à la question de la légitimité, donc, celle-ci cependant, je la réserverais pour un jugement de la conscience lucide. Dans un contexte de liberté, on ne peut parler de légitime autorité si nous lui obéissons « en soi », ce que j’appelle reconnaître l’autorité, car la reconnaissance précède la conscience de cette reconnaissance (je sais je sais, je ne suis plus du tout dans Foucault). La légitimité n’existerait donc que d’être jugée en tant que telle."
Oui et non (j'ai réservé la lettre majuscule pour le "Oui" Wink ). Je suis d'accord qu'il faut éviter l'attitude "petit révolutionnaire" et qu'il est nécessaire de reconnaître une légitimité critique à l'autorité lorsque celle-ci le mérite (donc pas dans une situation de totalitarisme).
Mais ce que je voulais établir dans mon précédent message, c'était le "par qui" est reconnu la légitimité de l'autorité. En effet, il me semble que les modes de reconnaissances vont varier selon les idéaux du "moi" que l'individu pose. Il n'y a pas d'autorité légitime en soi, seulement des modes de légitimation selon ceux à qui on s'adresse. L'autorité nazi était légitime pour le type d'individu qui constituaient une certaine partie du peuple allemand à cette époque (je suis prudent sur ça :D). Toutefois, il est certain que pour madame Arendt qui était pratiquante de la pensée critique, ce genre d'autorité était beaucoup trop primaire pour elle. L'autorité nazi est légitime dans la mesure où ceux pour qui elle l'est sont des dégénérés si je peux laisser exprimer mon opinion personnelle.
Donc, tout ça pour dire que l'autorité est fonction d'une certaine culture qui élevent un certain type d'individu dont certain d'entre eux répondront aux standards pour lesquels il est légitime d'exercer l'autorité dans un type de culture avec les valeurs qu'elle véhiculent - ceci dit avec l'arrière-fond personnel que les valeurs sont les conditions de vie d'un certain type de corps qui s'interprète selon la typologie: affirmatif - nihiliste et la topologie: actif - réactif.

Mais, encore là, je suis allé trop vite puisque vous parlez en fait d'un "jugement de conscience lucide". Je suis d'accord, mais vous m'accorderez probablement la difficulté qu'il y a définir les paramètres de ce qui est lucide et de ce qui ne l'est pas. Ceci ne peut se faire que par comparaison entre différents individus (donc ce sont des critères relatifs à une totalité culturelle) et, de plus, il est bien rare que les individus non-lucides acceptent gentilement le jugement des individus lucides. S'il suffisait de dire à un nazi que son jugement est idiot, les choses seraient plus faciles qu'elles ne le sont en réalité. Donc, puisque la lucidité me semble un concept trop difficile (voir même impossible) à définir, je renoncerai à le voir comme un contre-argument de ce que j'ai avancé plus haut: qui est que la légitimité est entièrement relative à celui qui fait l'expérience d'un certain type d'autorité.
Ainsi, finalement, il me semble plutôt faux de dire que : "La légitimité n’existerait donc que d’être jugée en tant que telle." puisque la légitimité est fonction de la reconnaissance par celui qui subit l'autorité (il peut bien accepter de n'exercer aucun jugement critique et se complaire ainsi).

Toutefois, je viens de réfléchir au paragraphe suivant et en fait vous l'avez dit vous-même: "la dialectique de la conscience de soi, cette dernière est nécessaire à la reconnaissance de la légitimité de l’autorité". J'ai donc écrit les deux derniers paragraphes pour rien... et puis zut...

Par ailleurs, vous avez dit: "Celui qui reconnaît la légitimité d’une autorité, n’est peut-être déjà plus esclave à part entière. Reconnaître l’autorité n’est pas l’équivalent de reconnaître la légitimité d’une autorité."
Peut-être, mais il s'agit là d'une différence contingente. Ceci distingue simplement celui qui fait usage de son sens critique avant d'obéir à un ordre. Toutefois, même si celui qui obéit à un ordre ne fait pas usage de son sens critique, il n'en reste pas moi que, pour lui, l'autorité et l'ordre sont légitimes. Il s'agit de deux modes de réactions au pouvoir, et il est certain que pour celui qui veut faire usage de son sens critique, l'autorité qui l'en empêche lui semble illégitime. Et je préfère moi aussi faire usage de mon sens critique, mais cela ne peut pas être un critère suffisant pour poser un gouvernement comme étant illégitime a priori, c'est illégitime dans certaines circonstances comme dans le contexte d'une démocratie parlementaire, mais dans le cas de la hiérarchie militaire il est impératif que dans une situation de combat l'obéissance aux ordres soit peu critique (même si elle peut l'être dans certains cas).

Bref, pour moi, la légitimité se fonde plutôt sur l'acceptation (d'une autorité) qui est elle-même le résultat de la reconnaissance de soi dans l'autre. Personnellement, je ne me reconnais pas dans la société capitaliste et elle est pour moi illégitime, mais passons...

Pour ce qui est de la dialectique du maître et de l'esclave, je ne sais pas trop quoi dire. Il semble vrai que "On ne se sort pas de la dialectique de la conscience de soi et de l’autre, « il n’y a pas d’autre de l’Autre » disait Lacan". Mais je ne suis pas prêt à abdiquer de sitôt aux pieds de Hegel. Il me semble que la reconnaissance telle que définit par Hegel (comme étant accordée par l'autre), si elle était accordée par soi (une reconnaissance de soi par soi) rendrait la dialectique du maître et de l'esclave méconnaissable. Mais, je vais devoir relire ce chapitre de la Phénoménologie de l'Esprit, c'est encore en processus de réflexion tout ça.

Finalement, vous avez dit: "l’autorité légitime n’est-elle pas de toute nécessité, sinon la source, du moins l’élément déclencheur ou encore la « lumière » de toute singularité ?"
Alors là je suis d'accord sur le point de la "lumière". Pour moi, la légitimité de l'autorité, et c'est ce que je voulais démontrer avec la dialectique du maître et de l'esclave dans le message précédent, est la reconnaissance de soi dans l'autre. Donc, si l'autorité légitime n'est pas "la source" de sa propre singularité, elle peut du moins être sa "lumière", en ce que la légitimité de l'autorité se fonde sur la reconnaissance d'une supériorité de l'autre sur soi ou, dans le cas de la singularité, sur la possibilité pour l'autre de nous éduquer à être nous-même. Toutefois, je crois qu'il est possible pour certaines singularités d'agir même sans cette "lumière", elle est utile mais pas complètement indispensable. L'exemple que j'ai en tête en ce moment est Jésus (ça compte aussi pour Socrate ou Nietzsche)... Mais peut-être que je comprends mal ce que vous voulez dire puisque la "singularité" dont vous parlez n'est pas explicitement définie.


P.S.: Je n'avais pas vu les deux derniers messages puisque j'étais en cours de rédaction lorsqu'ils ont été postés. Mais c'est pas comme si ça changeait quoi que ce soit après tout.
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Message par AnythingK Sam 17 Nov 2007 - 18:15

Ah ça, pour le caractère relatif de la légitimité je suis totalement d’accord. Si j’ai laissé planer l’impression que je posais une légitimité en soi de certains pouvoirs en particulier j’en suis désolée. Je crois que je fais peut-être un peu comme Foucault, je tire au présent toute l’ontologie. Et pourtant je voudrais bien essayer de montrer que Foucault manque certaines distinctions en faisant ça. Entre ontologie et politique, notamment.

Je dirais même que le concept d’autorité légitime que je cherche à forger se veut premièrement et radicalement une sorte d’idéal humaniste applicable à notre temps. En fait j’essaie de penser ce que pourrait être l’autorité aujourd’hui, si elle existait encore. Car ce n’est pas pour rien que l’autorité est absente des concepts « trans » de Foucault (pouvoir, savoir, sujet, vérité, vie, sexe) ; comme le dit Baudrillard, le discours de Foucault est un miroir des pouvoirs qu’il décrit.

Autonomie et Autorité vont de pair, que tu décides de faire de ton corps un outil de ta conscience, ou l’inverse, cela entre dans la relativité des choses également. Nous ne sommes pas tous obligés d’être Nietzschéens, même si Foucault et moi et peut-être vous, le préférons.

Vous dites : « Donc, puisque la lucidité me semble un concept trop difficile (voir même impossible) à définir, je renoncerai à le voir comme un contre-argument de ce que j'ai avancé plus haut: qui est que la légitimité est entièrement relative à celui qui fait l'expérience d'un certain type d'autorité »

C’est précisément de cette expérience (aussi relative serait-elle) que la lucidité propre à ce dernier tire ses conclusions dans un jugement de légitimité, s’il en est. Ça ne veut pas dire qu’il ne pourrait pas éventuellement changer d’avis. Il n’y a pas d’autorité légitime universelle et a-historique. Nous sommes d’accord donc. Sauf cependant, lorsque vous dites « entièrement ». Car il y a tout de même le contexte historique, culturel, voire même sous-culturel, qui détermine les contours de ce qu’on trouvera ou non légitime. Et c’est dans le contexte actuel que je situe mon argument.

Vous dites : « il me semble plutôt faux de dire que : "La légitimité n’existerait donc que d’être jugée en tant que telle." puisque la légitimité est fonction de la reconnaissance par celui qui subit l'autorité (il peut bien accepter de n'exercer aucun jugement critique et se complaire ainsi) ».

Si la légitimité n’est qu’une fonction d’autre chose, ce n’est pas de la légitimité, c’est autre chose, c’est un instrument, c’est un effet secondaire, c’est accessoire. « Être fonction de » est une aliénation, une perversion en quelque sorte. Se complaire dans une acceptation a-critique ne mérite pas, à notre époque, d’être qualifié par une légitimité, aussi relative serait-elle. Déjà, si l’on ajoute que cette complaisance est choisie librement et avec un esprit critique, c’est différent.

Ce n’est pas la légitimité qui est une fonction, mais l’autorité. C’est parce qu’elle est légitime que l’autorité est, et non l’inverse (enfin, dans l’idéal). La légitimité de celui qui l’exerce précède son autorité comme exercice, même si c’est par cet exercice que celui qui la « subit » (mais ce n’est pas nécessairement un poids) ou qui en profite (car ça peut être libérateur) aura accès à cette légitimité.

Ça ne signifie pas qu’il n’y ait aucune autorité illégitime (et donc qu’autorité et légitimité sont un même), car il y a des autorités (jugées par plusieurs) illégitimes qui réussissent (à l’aide de pouvoirs) à se faire reconnaître et accepter. Et c’est surtout là où la lucidité devient nécessaire.

Imaginons une situation problématique et conflictuelle, pour voir. Un adulte exerce une autorité, qu’il sait ou en tout cas qu’il juge être légitime, sur un adolescent. C’est parce qu’il la juge légitime qu’il l’exerce et non l’inverse (c’est du moins à espérer). Mais cet ado juge cette autorité comme étant non-légitime, pourquoi ? Parce que ? Cela l’empêche d’assouvir un désir, par exemple, d’aller jouer plutôt que d’aller à l’école. Ici, il est assez évident que l’autorité n’a pas à être reconnue par l’ado pour être légitime. Ici donc, ni l’autorité ni la légitimité ne sont reconnues par celui à qui on demande de s’y soumettre. Mais comment les lui faire reconnaître ? Partirons-nous de l’autorité ou de la légitimité pour faire reconnaître l’autre terme ? De la légitimité, bien sûr… car tenter de faire reconnaître l’autorité sans d’abord faire reconnaître la légitimité est une méthode traditionnelle qui ne fonctionne plus aujourd’hui. Quelques coups de règle sur les doigts, la ceinture ou l’enfermement n’ont plus tellement de prise sur le réel, comme on le sait. Et c,est pourquoi les autorités en place (qui sont les mêmes qu’à l’époque traditionnelle) doivent, pour se faire reconnaître ou accepter, produire de la « fausse » légitimité ou encore, carrément exercer un contrôle où la lucidité de celui qui le subit est empêchée.

La légitimité impose aujourd’hui de dire le pourquoi de l’autorité, et cette réponse ne peut plus se limiter au parce que. (Cela va encore plus loin, mais j’y reviendrai peut-être plus tard…)

J’ai écrit: "Celui qui reconnaît la légitimité d’une autorité, n’est peut-être déjà plus esclave à part entière. Reconnaître l’autorité n’est pas l’équivalent de reconnaître la légitimité d’une autorité."

Vous répondez : « Peut-être, mais il s'agit là d'une différence contingente»

Oui, bien sûr, je ne prétends pas forger le concept (et encore moins le concept des concepts) mais comprendre ou simplement signifier notre réalité, celle de notre temps. (mais je suis consciente qu’il y a un point de tension ontologique important ici… on pourra en discuter….)

Vous ajoutez pour qualifier cette contingence : « Ceci distingue simplement celui qui fait usage de son sens critique avant d'obéir à un ordre. Toutefois, même si celui qui obéit à un ordre ne fait pas usage de son sens critique, il n'en reste pas moins que, pour lui, l'autorité et l'ordre sont légitimes »

Je ne suis pas d’accord pour faire une règle générale avec ce que vous dites là. Il s’agit là aussi de simple contingence, car obéir ne veut pas dire invariablement « trouver légitime ». On peut très bien obéir par peur, par résignation, par stratégie …

Vous dites : « Il s'agit de deux modes de réactions au pouvoir (….) »

Attention, je ne parlais pas de pouvoir ici, mais d’autorité. Ce ne sont pas une même chose, comme je le disais plus haut sans tellement élaborer. En termes arendtiens, « autorité et pouvoir ne jaillissent pas d’une même source », c’est-à-dire que le pouvoir est de l’ordre de l’action alors que l’autorité est de l’ordre de la loi (j’entend ce terme au sens le plus large possible). Pour Arendt l’autorité est ce qui permet l’effectivité du pouvoir, en assure sinon la légitimité, du moins la « réalité », de son surplomb « autorisant ». Hormis lors de l’acte de fondation de l’autorité, qui est un exercice de pouvoir par des hommes libres, c’est surtout l’autorité qui instaure un espace pour le pouvoir (et la liberté, car les deux concepts sont presque équivalents chez Arendt) davantage que l’inverse (le pouvoir instaurant l’autorité), même si cela, c’est-à-dire la possibilité de « changer » d’autorité grâce au pouvoir et à la liberté, doit idéalement rester, dans cet espace ménagé par l’autorité, une possibilité légitime (garder l’esprit révolutionnaire).

Il ne s’agit donc pas de « deux modes de réaction au pouvoir », mais plutôt d’une reconnaissance ou non d’une légitimité à l’autorité (et n’oublions pas que ce n’est pas parce que celui qui est en face ne la reconnaît pas, qu’elle ne l’est automatiquement pas). Mais cela est encore plus complexe, car dans chacun de ces deux cas de figure, différentes occurrences sont encore possibles (nous en reparlerons peut-être plus tard). On obéit à l'autorité, on subit le pouvoir. Ou encore, on conteste l'autorité, on résiste au pouvoir.

Mais pour l’exemple que vous évoquez, à savoir que « pour celui qui veut faire usage de son sens critique, l'autorité qui l'en empêche lui semble illégitime », Encore là, pas nécessairement, car d’une part qui pourrait empêcher quiconque d’user de son sens critique s’il le veut vraiment ? Personne ! À moins de le droguer, de l’endormir, de l’aveugler par différentes techniques, qui n’ont plus rien à voir avec l’autorité, mais tout à voir avec le pouvoir (et le biopouvoir), justement. Ainsi, dans la mesure où aucune technique insidieuse (qui se passent bien de légitimité) n’est utilisée, l’usage de son sens critique dépend de la conscience (de soi et de l’autre) du sujet lui-même et alors, il considérera l’autorité légitime ou non en vertu de ce sens critique lui-même et de ce qu’il défend comme valeurs, comme idéaux, comparés à ceux défendus par l’autorité en question.

Vous ajoutez : « Et je préfère moi aussi faire usage de mon sens critique, mais cela ne peut pas être un critère suffisant pour poser un gouvernement comme étant illégitime a priori, c'est illégitime dans certaines circonstances comme dans le contexte d'une démocratie parlementaire, mais dans le cas de la hiérarchie militaire il est impératif que dans une situation de combat l'obéissance aux ordres soit peu critique (même si elle peut l'être dans certains cas) »

Ici encore, vous confondez autorité et pouvoir. On peut bien trouver illégitime un ordre donné par l’autorité, mais trouver quand même cette autorité légitime. Ainsi, c’est un (et non « le ») pouvoir que l’on conteste et non l’autorité qui l’exerce. Pour ce qui est du gouvernement, c’est la même chose, il en faut quand même un, serait-il très réduit dans ses fonctions, il est donc « apriori » légitime, mais on peut contester les pouvoirs dont il use, selon les circonstances justement. Mais on peut aussi contester son autorité en contestant sa légitimité, non pas cette fois apriori ou « en soi », mais dans la contingence de son exercice et « pour soi ».

Je vous cite (qui me cite): « Toutefois, je viens de réfléchir au paragraphe suivant et en fait vous l'avez dit vous-même: "la dialectique de la conscience de soi, cette dernière est nécessaire à la reconnaissance de la légitimité de l’autorité". J'ai donc écrit les deux derniers paragraphes pour rien... et puis zut... »

Non, pas pour rien… car cela a permis de préciser bien des choses, je trouve !

Je vous cite encore : « Bref, pour moi, la légitimité se fonde plutôt sur l'acceptation (d'une autorité) qui est elle-même le résultat de la reconnaissance de soi dans l'autre. Personnellement, je ne me reconnais pas dans la société capitaliste et elle est pour moi illégitime, mais passons...»

Nous disons passablement la même chose … même pour ce qui est de nos sensibilités personnelles (dont la dimension singulière demeure quand même assez minime ! qui oserait se dire pro-capitaliste sur Digression …?)

Sauf que quand vous dites que « la légitimité se fonde sur l’acceptation de l’autorité qui est elle-même le résultat de la reconnaissance de soi », encore là, je veux refaire une distinction permettant de mieux comprendre ou envisager, ou résister à, notre époque.

Accepter et se reconnaître dans l’autorité n’est pas l’équivalent d’un jugement de légitimité, j’ai envie de dire « malheureusement ».

Les pouvoirs dont parle Foucault ont cette capacité à produire de la l’acceptation et de la reconnaissance « en soi » de la part des subjectivités à qui ils s’adressent. Bref, et vous serez sans doute d’accord avec moi, à les positionner dans le statut d’esclave content de l’être. Mais content de l’être ne veut pas dire encore là « trouver légitime ». Il ne faut pas confondre la dialectique de la conscience intersubjective dans un contexte de liberté avec celle du maître et de l’esclave….

Vous dites : « Pour ce qui est de la dialectique du maître et de l'esclave, je ne sais pas trop quoi dire. Il semble vrai que "On ne se sort pas de la dialectique de la conscience de soi et de l’autre, « il n’y a pas d’autre de l’Autre » disait Lacan". Mais je ne suis pas prêt à abdiquer de sitôt aux pieds de Hegel. Il me semble que la reconnaissance telle que définit par Hegel (comme étant accordée par l'autre), si elle était accordée par soi (une reconnaissance de soi par soi) rendrait la dialectique du maître et de l'esclave irreconnaissable. »

Mais cela définirait cependant, enfin je crois, la dialectique de la conscience intersubjective dans un contexte de liberté, là où, idéalement, chacun a intériorisé et dépassé pour soi cette dialectique du maître et de l’esclave. Je parle précisément de la dialectique de la conscience intersubjective (dans la phéno de l’esprit de Hegel), ce qui est très différent il me semble du rapport maître et esclave, où l’esclave n’est pas sujet, mais objet.

« Toutefois, je crois qu'il est possible pour certaines singularités d'agir même sans cette "lumière", elle est utile mais pas complètement indispensable. L'exemple que j'ai en tête en ce moment est Jésus (ça compte aussi pour Socrate ou Nietzsche)... Mais peut-être que je comprends mal ce que vous voulez dire puisque la "singularité" dont vous parlez n'est pas explicitement définie. »

En effet, je suis restée très laconique là dessus, et je vois que ce sera utile de préciser, puisque je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites. Pour moi il y a une autorité légitime indispensable (et là je crois que je sors de l’ordre de la simple contingence et ma position est peut-être ambigüe là dessus… c’est un « work in progress »…), indispensable certes à l’avènement de la conscience de soi véritable (encore plus que de la simple acceptation ou reconnaissance de l’autre), mais indispensable encore plus largement, à toute forme de communication, de relations, de pratiques, qui, pour avoir toutes à chaque fois un caractère radicalement contingent et singulier, n’en demeurent pas moins attachées à « plus grand » qu’eux, qui sert justement, de lumière sans quoi nous ne pourrions les voir, les distinguer, les qualifier. Le langage est sans doute le moins contraignant (et donc celui dont la légitimité est la moins questionnée) de ce type d’autorité : nous n’avons pas tant à nous demander s’il est légitime d’appeler table une table, ou d’accorder le verbe avec le sujet ou le complément, nous le faisons et ça marche et c’est tout. Mais quand il s’agit du contrôle social actuel (il se fait et ça marche et c’est tout), on peut en questionner la légitimité, par sa capacité, justement, à faire apparaître ou non, voire à empêcher d’apparaître, les singularités (qu’il s’agisse de sujet singuliers ou de paroles ou d’actes singuliers). Nietzsche a quand même eu quelques maîtres, avant d’être vraiment singulier. Et quand même l’autorité légitime ne serait pas incarnée dans un ou des individus réels (si elle était incarnée dans une mythologie par exemple), elle n’en serait pas moins efficace et effective pour autant.

Comprise dans un sens aussi large, vous comprenez maintenant ce que je veux dire par indispensable autorité légitime.

Bon, en tout cas tout cela manque encore considérablement de précisions… mais disons que ce sera assez pour aujourd’hui !

J’ai moi aussi beaucoup de plaisir à discuter avec vous, cher Monsieur. Il est écrit « Sage » en dessous de votre pseudo, les sages ne méritent-ils pas d’être appelés Monsieur peu importe leur âge ? À moins que sage veuille seulement dire que vous n'êtes pas trop énervé !

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Message par Pierre Rivière Dim 18 Nov 2007 - 23:53

Bien, je vois mieux ce que vous voulez dire. Si j'ai répondu essentiellement sur le plan du rapport entre un type d'individu et une forme de pouvoir pour définir la possibilité d'établir sa légitimité, c'est parce que vous faites des distinctions que je ne faisais pas, mais qui sont effectivement très pertinante. Principalement la distinction entre autorité et pouvoir (je confondais les deux), mais aussi je comprenais l'établissement de la légitimité à partir de celui qui "subit" (même si ce n'est pas nécessairement pénible) l'autorité, et non à partir de l'autorité qui se juge légitime à exercer son pouvoir. Ceci faisait que nous nous comprenions mal.

Mais, tout d'abord,
Vous avez dit: "que tu décides de faire de ton corps un outil de ta conscience, ou l’inverse, cela entre dans la
relativité des choses également."

Non, ça, ça ne se voulait pas relatif. C'est dans la mesure où la conscience comme fonction devient la finalité du corps que se déploit la réactivité des forces. La conscience (qui, comme l'entendement de Kant, est le pouvoir des règles - ou, pour le dire plus explicitement, la fonction d'organisation -mise en ordre- du divers sensible) est un pouvoir de mise en forme du monde dans lequel évolue le corps. Dans la mesure où une certaine organisation de forces (i.e. de matière - chimique, biologique, etc.) forme une totalité qui veut se maintenir dans sa forme (un corps), celui-ci nécessite, dans le cadre de sa sensibilité (perceptions sensibles), une organisation de cette sensibilité par la conscience (et la conscience est cette sensibilité organisée - et qui s'organise continuellement, notamment à l'aide des concepts; nous sommes en train de l'organiser en ce moment même par notre discussion).
Cette conscience permet donc le maintient et le déploiement du corps) dans ce qui n'est pas lui - i.e. son monde. Mais cette conscience peut aussi servir à l'organisation, non pas du monde, mais du corps lui-même. Il suffit de penser à la discipline dans Surveiller et Punir, qui organise le corps en fonction du certain rapport avec des exercices militaires (les étapes de mouvement d'un fusil selon les ordres d'un sergent dans Surveiller et Punir).
Ainsi, si la conscience devient réifiée et est l'outil par lequel un corps extérieur exerce du pouvoir sur le premier corps, alors le corps est réactif (et non-autonome) puisque son organisation est fonction de son utilité pour la puissance d'un autre corps. La loi de la conscience devient la finalité de l'action d'un organisme, i.e. l'organisme ré-agit à sa conscience et n'est pas celui qui agit sa conscience. Il s'agit là de la définition de la réactivité. Mais si la conscience sert, pour et par le corps, à s'organiser lui-même (la maîtrise de soi), alors le corps est en voie d'autonomie, mais l'autonomie n'est atteinte que dans la mesure où le corps s'est pleinement organisé lui-même et où la conscience est enfin libre de se tourner vers son monde. Donc, l'achèvement de la maîtrise de soi est l'autonomie.

Un exemple amusant (mais qui n'est pas vraiment drôle) est une personne qui n'aurait aucun sens (vision, ouïe, toucher, goûter, audition) et dont le corps ne pourrait donc pas se maintenir et se déployer. Dans ce cas, le corps est proprement inconscient et ses chances de maintenir son organisation dans le monde sont passablement nulles; à moins qu'on s'acharne à le maintenir artificiellement en vie.

Alors, pour ce qui est de: autorité, pouvoir et légitmité.
Vous avez dit: "Car il y a tout de même le contexte historique, culturel, voire même sous-culturel, qui détermine les contours de ce qu’on trouvera ou non légitime."

Oui, je suis tout à fait d'accord, et c'est ce que je voulais aussi dire dans mon dernier message.

"Et c’est dans le contexte actuel que je situe mon argument."

D'accord je me sens mieux orienter maintenant.

"Se complaire dans une acceptation a-critique ne mérite pas, à notre époque, d’être qualifié par une légitimité, aussi relative serait-elle. Déjà, si l’on ajoute que cette complaisance est choisie librement et avec un esprit critique, c’est différent."

C'est là où je ne suis pas d'accord. Ce n'est pas une question de légitimer l'autorité au nom de l'esprit critique. Pour moi, accepter une autorité sans esprit critique est légitime, mais il s'agit d'un symptôme de notre époque.
Une chose que j'aime beaucoup dans l'école de Frankfurt est leur déplacement de l'orientation critique du marxisme; de l'économie, ils vont à la culture. C'est uniquement dans la mesure où nous sommes dans une culture qui tend à former des individus dénués d'esprit critique que les autorités que nous avons nous (moi exclus, entre autres) sont légitimes.
Par ma tendance à relativiser le concept de légitimer aux formes culturels dans lequel il s'exerce, je voulais signifier que, dans la nôtre, qui forment des individus technique et non critique, nous avons les autorités que nous méritons. Elles sont légitimes pour nous dans la mesure où nous sommes dans une culture dénuée d'esprit critique. Ainsi, c'est l'exercice de la pensée critique (mais c'est un pléonasme Wink ) qui seul peut nous permettre d'avoir de meilleures autorités et un exercice différent du pouvoir. Mais, si nous laissons la forme culturelle intacte, nous demeurerons dans notre misère. Notre travail en est un d'éducation, non de révolution.
Donc, pour moi, cette complaisance peut être choisit librement, mais sans esprit critique; et elle est légitime pour une culture comme la nôtre.

Toutefois, maintenant, il faut comprendre que les cultures ne se valent pas toutes. Il y a des formes culturelles déficientes et d'autres riches, certaines sont inaptes à la survie et d'autres exercent une grande puissance (pas nécessairement au sens de pouvoir; les grecs antiques par exemple). Comprendre et qualifier, interpréter et juger les formes culturels est un de mes travaux du moment; d'ailleurs Foucault fournit des informations merveilleuses pour faire cela.

Vous avez dit:
"Ce n’est pas la légitimité qui est une fonction, mais l’autorité. C’est parce qu’elle est légitime que l’autorité est, et non l’inverse (enfin, dans l’idéal). La légitimité de celui qui l’exerce précède son autorité comme exercice, même si c’est par cet exercice que celui qui la « subit » (mais ce n’est pas nécessairement un poids) ou qui en profite (car ça peut être libérateur) aura accès à cette légitimité."

Oui, je suis d'accord.
Toutefois, ce sont les cultures qui délimitent les espaces de légitimité pour l'exercice de l'autorité (cela vous l'avez dit vous-même).
Or, ce sont les individus, formés par cette culture, qui reconnaissent cet espace d'autorité comme légitime.
La justification de la dernière proposition est que: il est certes vrai que l'autorité se justifie, dans son exercice, car elle se considère légitime, mais elle se considère légitime selon les pratiques définit par sa culture. Ces pratiques sont le résultat de l'apprentissage, par un individu, du rôle qu'il aura à exercer dans telle ou telle fonction. Cet apprentissage se fait par un autre ou plutôt par un groupe d'autre (car l'autre spécifique est justifié parce que l'autre fait aussi cela ainsi, etc.) - et même par une certaine conception de la rationalité (de ce qu'il est rationnel de faire), et donc ce n'est pas purement arbitraire, mais bien motivé par des intérêts (survie, avancement professionnel, procréation, amitié, amour, etc.). Ultimement, cet apprentissage se fait au nom d'une communauté. Donc, ce n'est pas l'adolescent qui est l'autre qui doit reconnaître l'autorité paternel; la communauté (par des lois, des convention explicite ou implicite, etc.) est l'autre qui légitime un type d'autorité définit (par exemple, du père envers son adolescent).
Donc, la légitimité est fonction de la reconnaissance par une communauté du type d'autorité à exercer par un individu sur un autre. Je change un peu ma conclusion précédente qui était que : "la légitimité est fonction de la reconnaissance par celui qui subit l'autorité", mais je reste dans le même esprit et j'améliore mon argumentation grâce à vos critique constructives :D .

De plus, j'ajouterai que, selon moi, la définition des différences d'une communauté à une autre s'analyse comme les différences d'une culture à une autre. La communauté est l'objectivation de ce qu'on peut analyser théoriquement comme une culture; la culture est l'objet épistémologique, la communauté est sa réalisation objective et ce dont on a à rendre compte théoriquement.

Vous avez dit:
"il y a des autorités (jugées par plusieurs) illégitimes qui réussissent (à l’aide de pouvoirs) à se faire reconnaître et accepter."

Là je ne suis pas d'accord, parce qu'il me semble que le pouvoir est un mode de légitimisation de l'autorité tout à fait légitime, si j'ose la confusion. Le pouvoir peut servir de légitimisation de l'autorité. Un citoyen peut se dire que:
Il est légitime que le plus fort soit le maître du plus faible.
Or, il est plus fort que moi.
Donc, il est légitime qu'il ait pouvoir sur moi.

La prémisse peut être motivé par des intérêts personnels. Comme par exemple: s'il est le plus fort, alors il est le mieux à même de nous défendre contre nos ennemis extérieurs et de maintenir l'ordre dans le pays.
Dans des exemples concrets de politique internationale, il s'agit de se demander si un peuple préfère une dictature qui permet que tous ait accès à l'eau et l'électricité (même si elle est au pouvoir par la force et ne tolère pas l'opposition) ou une démocratie qui laisse des compagnies étrangères piller son territoire et n'assurent pas un accès adéquat aux services d'eau et d'électricité. Il me semble que la population préfère la dictature à la démocratie dans ce cas.
Toutefois, j'accorde volontier que la population, parfois (souvent) sous l'effet de propagande, ne voit pas toujours les choses aussi clairement.

Et même si l'autorité dictatoriale en question devient illégitime aux yeux de la population, alors c'est possiblement parce qu'une base de sécurité est bien instaurée et que la population a d'autres besoins qui ne peuvent pas être assurés par ce type de gouvernement. La démocratie peut alors s'instaurer et permettre une activité parlementaire pour discuter des orientations de la nation, mais ceci est uniquement possible sur la base d'une sécurité intérieure et extérieure pour le pays, ce que la démocratie rend souvent plus difficile à assurer qu'une dictature militaire.
Donc, l'illégitimisation d'un certain type d'autorité peut parfois aussi être le symptôme d'une modification positive dans les formes culturelles et permettre l'apparition d'un nouveau type de légitimisation de l'autorité.

Donc, lorsque vous dites: "La légitimité impose aujourd’hui de dire le pourquoi de l’autorité, et cette réponse ne peut plus se limiter au parce que." vous voyez pourquoi je ne suis pas d'accord. "Dire le pourquoi de l'autorité" ne s'impose que dans la mesure où les citoyens ont une certaine "maturité" (disons plus justement une certaine culture) qui leur permet de questionner et de demander (et exiger) que l'autorité ait des comptes à leur rendre.
Mon avis est plutôt que nous sommes dans une phase de régression culturelle; parce que les citoyens n'ont plus la culture nécessaire pour assumer l'exercice critique qui seule permet de légitimiser seulement l'espace démocratique. C'est dire que se sont ouverts des espaces de légitimisation des autorités (et de leur pouvoir) autres; plus précisément sous la forme d'oligarchie financière dans une culture impérialiste (ce qui nécessite un certain abrutissement des citoyens (télévision, etc.) et un très haut niveau de luxure (alcool et sexe, les deux narcoticas contemporains).


Dernière édition par le Lun 19 Nov 2007 - 0:11, édité 1 fois
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Pouvoir et autorité, légitimité et reconnaissance Empty Re: Pouvoir et autorité, légitimité et reconnaissance

Message par Pierre Rivière Dim 18 Nov 2007 - 23:57

Mon message était trop long, alors je continue ici.

Ne vous inquiétez pas, il s'agit surtout de citations et d'acquiescements.

Vous avez dit:
"Vous ajoutez pour qualifier cette contingence : « Ceci distingue simplement celui qui fait usage de son sens critique avant d'obéir à un ordre. Toutefois, même si celui qui obéit à un ordre ne fait pas usage de son sens critique, il n'en reste pas moins que, pour lui, l'autorité et l'ordre sont légitimes »

Je ne suis pas d’accord pour faire une règle générale avec ce que vous dites là. Il s’agit là aussi de simple contingence, car obéir ne veut pas dire invariablement « trouver légitime ». On peut très bien obéir par peur, par résignation, par stratégie …"

Je reste avec le même arguments, obéir par peur ou résignation désigne des pouvoirs se légitimisant si et seulement si les citoyens sont inaptes à faire les efforts nécessaires pour l'illégitimiser en théorie (i.e. simplement par la discussion) et en pratique. L'U.R.S.S. est devenu une forme de pouvoir illégitime pour ses citoyens du moment où ils ont été suffisamment forts (mentalement et physiquement) pour prendre conscience des limites d'une telle forme d'exercice de l'autorité. Et que cette prise de conscience s'est faite de façon collective, parce qu'il est vrai que pour certains individus cette forme d'exercice de l'autorité était illégitime, mais seul il ne pouvait rien faire. Ce n'est pas pour rien que Staline a fait des purges massives à travers l'U.R.S.S., cela permettait d'éliminer les gens qui avaient connus l'ancien régime et qui avaient cette base d'expérience pour critiquer les actions de son régime.
Mais, il est vrai qu'obéir à un ordre n'est pas toujours le résultat d'un pouvoir légitime, c'était un exemple, non une règle générale. Par contre, c'était une mauvaise formulation, je reconnais que ce point était confus.

Vous avez dit:
"Il ne s’agit donc pas de « deux modes de réaction au pouvoir », mais plutôt d’une reconnaissance ou non d’une légitimité à l’autorité (et n’oublions pas que ce n’est pas parce que celui qui est en face ne la reconnaît pas, qu’elle ne l’est automatiquement pas)."
Je suis d'accord, merci de m'avoir fait distinguer entre autorité et pouvoir.

Vous avez dit:
"« pour celui qui veut faire usage de son sens critique, l'autorité qui l'en empêche lui semble illégitime », Encore là, pas nécessairement, car d’une part qui pourrait empêcher quiconque d’user de son sens critique s’il le veut vraiment ? Personne !"
Je suis d'accord, par "l'empêcher", je voulais dire ne pas lui reconnaître le droit d'en faire librement usage.

Vous avez dit:
"Ici encore, vous confondez autorité et pouvoir. On peut bien trouver illégitime un ordre donné par l’autorité, mais trouver quand même cette autorité légitime. Ainsi, c’est un (et non « le ») pouvoir que l’on conteste et non l’autorité qui l’exerce. Pour ce qui est du gouvernement, c’est la même chose, il en faut quand même un, serait-il très réduit dans ses fonctions, il est donc « apriori » légitime, mais on peut contester les pouvoirs dont il use, selon les circonstances justement. Mais on peut aussi contester son autorité en contestant sa légitimité, non pas cette fois apriori ou « en soi », mais dans la contingence de son exercice et « pour soi »."

Oui, je suis d'accord, je confondais autorité et pouvoir.

Vous avez dit:
"J'ai donc écrit les deux derniers paragraphes pour rien... et puis zut... »
Non, pas pour rien… car cela a permis de préciser bien des choses, je trouve !"

Si je les avais vraiment écrits pour rien, je les aurais éffacés. :D

Vous avez dit:
"Les pouvoirs dont parle Foucault ont cette capacité à produire de la l’acceptation et de la reconnaissance « en soi » de la part des subjectivités à qui ils s’adressent. Bref, et vous serez sans doute d’accord avec moi, à les positionner dans le statut d’esclave content de l’être. Mais content de l’être ne veut pas dire encore là « trouver légitime »."

Je suis d'accord. Dans mes termes, la raison est que certains pouvoirs produisent des cultures qui légitiment leur forme d'autorité et l'exercice de leur pouvoir. Toutefois, pour moi, "content de l'être" veut dire "légitime" et je ne vois pas où il y aurait une différence à faire, sinon en établissant une légitimité hors de la culture où l'autorité prend place, i.e. à partir d'une autre culture (la mienne par exemple :) ).

Vous dites:
"Il ne faut pas confondre la dialectique de la conscience intersubjective dans un contexte de liberté avec celle du maître et de l’esclave…."

Effectivement, je confonds parce que je ne sais pas qu'est-ce que la dialectique de la conscience intersubjective dans un contexte de liberté. Je n'ai pas encore fini la Phénoménologie de l'esprit, je suis en train de la lire.

Vous dites:
"Mais cela définirait cependant, enfin je crois, la dialectique de la conscience intersubjective dans un contexte de liberté"

Finalement, semblerait-il que je le savais sans savoir que je le savais. C'est bien alors. :D

Vous dites:
"Pour moi il y a une autorité légitime indispensable (et là je crois que je sors de l’ordre de la simple contingence et ma position est peut-être ambigüe là dessus… c’est un « work in progress »…), indispensable certes à l’avènement de la conscience de soi véritable (encore plus que de la simple acceptation ou reconnaissance de l’autre), mais indispensable encore plus largement, à toute forme de communication, de relations, de pratiques, qui, pour avoir toutes à chaque fois un caractère radicalement contingent et singulier, n’en demeurent pas moins attachées à « plus grand » qu’eux, qui sert justement, de lumière sans quoi nous ne pourrions les voir, les distinguer, les qualifier. Le langage est sans doute le moins contraignant (et donc celui dont la légitimité est la moins questionnée) de ce type d’autorité : nous n’avons pas tant à nous demander s’il est légitime d’appeler table une table, ou d’accorder le verbe avec le sujet ou le complément, nous le faisons et ça marche et c’est tout. Mais quand il s’agit du contrôle social actuel (il se fait et ça marche et c’est tout), on peut en questionner la légitimité, par sa capacité, justement, à faire apparaître ou non, voire à empêcher d’apparaître, les singularités (qu’il s’agisse de sujet singuliers ou de paroles ou d’actes singuliers). Nietzsche a quand même eu quelques maîtres, avant d’être vraiment singulier. Et quand même l’autorité légitime ne serait pas incarnée dans un ou des individus réels (si elle était incarnée dans une mythologie par exemple), elle n’en serait pas moins efficace et effective pour autant.

Comprise dans un sens aussi large, vous comprenez maintenant ce que je veux dire par indispensable autorité légitime."

Je suis tout à fait d'accord, je n'ai rien à redire.


Je vous salue respectueusement,
le sage Mr. Rivière
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Message par Vargas Lun 19 Nov 2007 - 10:07

AnythingK a écrit:Nous disons passablement la même chose … même pour ce qui est de nos sensibilités personnelles (dont la dimension singulière demeure quand même assez minime ! qui oserait se dire pro-capitaliste sur Digression …?)
Disons quand même que s'il y a des tendances marquées, il n'y a pas de sélection à l'entrée. (faut juste ne pas avoir peur).

AnythingK a écrit:
Pierre Rivière a écrit:
« Toutefois, je crois qu'il est possible pour certaines singularités d'agir même sans cette "lumière", elle est utile mais pas complètement indispensable. L'exemple que j'ai en tête en ce moment est Jésus (ça compte aussi pour Socrate ou Nietzsche)... Mais peut-être que je comprends mal ce que vous voulez dire puisque la "singularité" dont vous parlez n'est pas explicitement définie. »
En effet, je suis restée très laconique là dessus, et je vois que ce sera utile de préciser, puisque je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites. Pour moi il y a une autorité légitime indispensable (et là je crois que je sors de l’ordre de la simple contingence et ma position est peut-être ambigüe là dessus… c’est un « work in progress »…), indispensable certes à l’avènement de la conscience de soi véritable (encore plus que de la simple acceptation ou reconnaissance de l’autre), mais indispensable encore plus largement, à toute forme de communication, de relations, de pratiques, qui, pour avoir toutes à chaque fois un caractère radicalement contingent et singulier, n’en demeurent pas moins attachées à « plus grand » qu’eux, qui sert justement, de lumière sans quoi nous ne pourrions les voir, les distinguer, les qualifier. Le langage est sans doute le moins contraignant (et donc celui dont la légitimité est la moins questionnée) de ce type d’autorité : nous n’avons pas tant à nous demander s’il est légitime d’appeler table une table, ou d’accorder le verbe avec le sujet ou le complément, nous le faisons et ça marche et c’est tout.

Mais quand il s’agit du contrôle social actuel (il se fait et ça marche et c’est tout), on peut en questionner la légitimité, par sa capacité, justement, à faire apparaître ou non, voire à empêcher d’apparaître, les singularités (qu’il s’agisse de sujet singuliers ou de paroles ou d’actes singuliers). Nietzsche a quand même eu quelques maîtres, avant d’être vraiment singulier. Et quand même l’autorité légitime ne serait pas incarnée dans un ou des individus réels (si elle était incarnée dans une mythologie par exemple), elle n’en serait pas moins efficace et effective pour autant.

Il me semble que ce point correspond à ce que Foucault appelle la détection des raretés.
Par exemple, ce qui l'intéresse dans le cas de l'égorgeur Rivière, c'est que celui-ci soit "apparu", soit devenu énonçable en ayant été appelé afin de répondre de ses actes par le pouvoir. Situation d'exception.

Sur ce point, sur le rapport au dehors et sur celui de cette lumière, Foucault est proche des études de Blanchot (lesquels ont beaucoup écrit, commenté l'un sur l'autre), en particulier en ce qui concerne les erreurs de la "personnologie linguistique". Le mythe du sujet.
Les positions du sujet dérivent de l'énoncé lui-même. Un énoncé singulier, une personne qui s'énonce singulièrement l'est parce qu'elle prend une position singulière, et/ou parce qu'elle passe de l'ombre à la lumière (comme c'est le cas de Rivière).
Au fond, le pouvoir empêche toujours plus ou moins l'apparition de ces singularités par sa fonction de régulation, bien qu'elle puisse aussi les favoriser dans le premier temps de leur émergence ( l'admission de Foucault au Collège de France, sur laquelle il est revenu, par exemple.).

Enfin, au sujet de la résistance (je remonte en aval votre échange), Foucault la considère comme la position dans laquelle le pouvoir nous met, si on cherche à s'énoncer en fonction de l'autorité, à être reconnu singulier.
Résister, c'est être le dehors du pouvoir.
Et, il semble qu'on soit d'accord, Foucault reste dans l'impasse à ce sujet. C'est justement la période-pivot entre La volonté de savoir et les 3 tomes de L'histoire de la sexualité

Et là je reprends la monographie faite par Deleuze : après s'être intéressé aux relations formées, stratifiées (savoir), puis aux rapports de force (pouvoir), il s'intéresse au rapport/non-rapport avec le dehors (pensée).
3ème dimension dans laquelle on retrouve les mêmes considérations :
la maîtrise de soi et la gouvernance d'autrui, par exemple.
Reconnaître une autorité qui nous contrôle, c'est reconnaître une autorité qui a démontré qu'elle se maîtrise elle-même. C'est sa seule légitimité.

Tout le problème de l'autorité désormais est de convaincre de sa maîtrise.
Mais Foucault l'a montré, et nous le comprenons mieux en général à présent.
Le pouvoir n'est pas l'Etat, en tout cas pas seulement. Le pouvoir voyage, investit des espaces, est économique, etc...
En somme l'autorité doit pouvoir répondre, justifier et mettre en en scène ses singularités de pouvoir (ses potentialités, écrit Foucault, je crois).

AnythingK a écrit:
Il est écrit « Sage » en dessous de votre pseudo, les sages ne méritent-ils pas d’être appelés Monsieur peu importe leur âge ? À moins que sage veuille seulement dire que vous n'êtes pas trop énervé !
C'est la deuxième réponse.

PS : Si vous pouviez utiliser la fonction "citer" pour vos réponses, cela permettrait que vos messages fassent moins "bloc".
Au cas où pour rappel (cliquer dessus):
https://digression.forum-actif.net/suggestions-problemes-et-infos-f28/editer-ses-messages-quelques-reperes-fondamentaux-t29.htm

Au plaisir de vous lire

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Paul Valéry, Poésie et pensées abstraites
(cité par Herbert Marcuse, in L'homme unidimensionnel)

hks : On le sait bien, une fois que un tel est parti (faché) on se retrouve seuls comme des imbéciles.
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Pouvoir et autorité, légitimité et reconnaissance Empty Re: Pouvoir et autorité, légitimité et reconnaissance

Message par AnythingK Lun 19 Nov 2007 - 17:53

Par chance le titre du forum est « Digression » car on s’éloigne (du moins pour ma part) de plus en plus de Foucault…

Cette discussion me fait réaliser à quel point je suis idéaliste, et même élitiste. C’est un gain important pour moi cette prise de conscience. Bref, cette discussion est fort enrichissante.

« Soyons idéalistes, exigeons les possibles » (pour renverser la formule du Che Guevara qui était : soyons réalistes, exigeons l’impossible »)

Je crois que c’est là où nous en sommes, malheureusement, en cette époque de fatalisme.

Vous dites : « Pour moi, accepter une autorité sans esprit critique est légitime, mais il s'agit d'un symptôme de notre époque »

Tout à fait d’accord avec l’idée, mais pas avec l’utilisation du concept de légitimité. Là s’arrête notre désaccord. Une question de mots. Non, en fait, c’est plus important, c’est une question de concepts.

Car quand même, je pouvais, et même je devais beaucoup concéder au relativisme de la légitimité, grâce à vous, mais là, le soi-disant caractère « tautologique » de la légitimité que vous évoquez, me rebute. Je trouve que votre concept en ratisse beaucoup trop large. J’appelle ça du consensus, de l’opinion publique, du sens commun. Pas de la légitimité.

D’accord, je suis une élitiste du concept de la légitimité. C’est un mot dont rares sont les choses qui méritent d’en être qualifiées, surtout à notre époque. L’utiliser à toutes les sauces est selon moi justement un symptôme de son déclin réel.

Vous dites :
« nous avons les autorités que nous méritons. Elles sont légitimes pour nous dans la mesure où nous sommes dans une culture dénuée d'esprit critique »

Encore ici, nos concepts d’autorité et de légitimité sont différents, donc je pourrais redire les mêmes choses…

Vous dites: « Ainsi, c'est l'exercice de la pensée critique (mais c'est un pléonasme ) »

La pensée critique c’est la conscience réflexive (cette seconde-nature de Nietzsche). Donc pas de pléonasme : Nietzsche dit que les animaux pensent … seul l’homme a la maladie de la conscience. (Hegel aussi je crois parlait de la conscience comme la maladie de l’animal)

Vous poursuivez « …qui seul peut nous permettre d'avoir de meilleures autorités et exercice différent du pouvoir. Mais, si nous laissons la forme culturelle intacte, nous demeurerons dans notre misère. Notre travail en est un d'éducation, non de révolution »

Pour ma part je doute qu’aujourd’hui la seule pensée critique suffise, malheureusement. À moins de la fantasmer comme une sorte de « virus » contenant tout plein d’empathie et d’amour et suffisamment puissant pour tuer tous les autres virus… et qui pourrait même contaminer les haut dirigeants …

Cela dit, même si mon esprit imagine bien des révolutions possibles et seules efficaces, je n’ai pas non plus tellement plus d’espoir de ce côté-là. Et je suis tout à fait d’accord qu’à ce compte, l’éducation et la conscience sont nos seuls pouvoirs. De là à dire qu’ils « font autorité » … et qu’ils sont « légitimes » pour ceux qui prennent les décisions ….

J’ai dit:
"il y a des autorités (jugées par plusieurs) illégitimes qui réussissent (à l’aide de pouvoirs) à se faire reconnaître et accepter."
Vous répondez :
Là je ne suis pas d'accord, parce qu'il me semble que le pouvoir est un mode de légitimation de l'autorité tout à fait légitime, si j'ose la confusion »

Moi aussi, mais à la seule condition cependant que ce pouvoir lui-même soit jugé légitime.

Et cela dépend de qui le juge, de qui l’exerce et de qui le subit. (je crois que nous touchons ici à un point important de nos différends)

Pour inverser mon exemple de l’adolescent, disons cette fois que l’autorité du parent n’est pas a priori légitimée consciemment par ce parent, et que d’un oeil extérieur vous et moi trouverions exagérée cette autorité que le parent tente d’avoir envers son jeune pubère en l’obligeant, par exemple, à se coucher à 19 :30 tous les soirs. Ayant le pouvoir (affectif, réglementaire, financier, etc..) sur l’enfant, le parent en abuse pour le discipliner à outrance.

Dans ce cas ci, c’est l’esclave (pardon, l’enfant) qui prend conscience de l’illégitimité de l’autorité, mais par le biais de l’abus de pouvoir (l’injonction à se coucher aussi tôt), et non « directement » ou « abstraitement ». C’est le sentiment ou la sensation d’être abusé qui ouvre au champ de la conscience la perception d’une illégitimité de l’autorité.

Vous avez raison d’évoquer le matérialisme de Nietzsche et je précise ce que j’ai dit là dessus, à savoir qu’en effet, la « force » précède la conscience, qui en est un outil. Même si tout de même, cet outil peut devenir le « gestionnaire » de la vie … et c’est la l’objet de la critique de la pensée critique …

En passant, vous dites : « Une chose que j'aime beaucoup dans l'école de Frankfurt est leur déplacement de l'orientation critique du marxisme; de l'économie, ils vont à la culture » ;

Il ne s’agit pas vraiment d’un déplacement, si la culture est dès lors comprise comme une « industrie ».


Cela dit, je réitère que la légitimité de celui exerce l’autorité doit précéder cette autorité comme exercice, même si c’est seulement par cet exercice que les autres peuvent en juger. Car on ne peut pas faire tenir le jugement de légitimité tout entier dans celui qui subit ou résiste au pouvoir. Cela ferait une société où les ados révoltés, ou encore la « majorité silencieuse » et a-critique auraient toujours raison … en tout cas c’est indésirable….

Mais malheureusement, je sais… ça nous ressemble….

Certes,
« Le pouvoir peut servir de légitimisation de l'autorité. Un citoyen peut se dire que: Il est légitime que le plus fort soit le maître du plus faible.
Or, il est plus fort que moi. Donc, il est légitime qu'il ait pouvoir sur moi »


Mais, de cela non plus il ne faut surtout pas faire une règle générale, sans quoi c’est la loi de la jungle….

Ici, c’est donc, « être le plus fort », qu’il faut absolument restreindre comme concept ou encore auquel il faut ajouter le jugement de légitimité. On peut être plus fort physiquement, on peut posséder plus de moyens de contraindre ou de manipuler, et donc plus de pouvoirs, et être, en plus de cela, dans une position de les utiliser comme bon nous semble (en position d’autorité), mais n’avoir aucune intention légitime …

Certes :
« l'illégitimisation d'un certain type d'autorité peut parfois aussi être le symptôme d'une modification positive dans les formes culturelles et permettent l'apparition d'un nouveau type de légitimisation de l'autorité »

Oui, ça va dans les deux sens bien sûr.

Mais quand vous dites :

"Dire le pourquoi de l'autorité" ne s'impose que dans la mesure où les citoyens ont une certaine "maturité" (disons plus justement une certaine culture) qui leur permet de questionner et de demander (et exiger) que l'autorité ait des comptes à lui rendre »

Ça non. Mais j’ai manqué de précision. Par « dire le pourquoi de l’autorité », je ne voulais pas nécessairement dire « le dire à tous » ou bien que tous devaient le comprendre et que cela devait devenir le sens commun généralisé. Il y a une reconnaissance possible de l’autorité où la confiance joue un plus grand rôle que la conscience de sa légitimité et cela, je crois l’avoir déjà dit d’une autre manière. C’est donc surtout celui qui l’exerce, cette autorité, qui doit être en mesure de la justifier à celui (citoyen critique et conscient, homme libre) qui le lui demande.


Vous dites : Mon avis est plutôt que nous sommes dans une phase de régression culturelle; parce que les citoyens n'ont plus la culture nécessaire pour assumer l'exercice critique qui seule permet de légitimiser seulement l'espace démocratique. C'est dire que se sont ouverts des espaces de légitimisation des autorités (et de leur pouvoir) autres; plus précisément sous la forme d'oligarchie financière dans une culture impérialiste (ce qui nécessite un certain abrutissement des citoyens (télévision, etc.) et un très haut niveau de luxure (alcool et sexe, les deux narcoticas contemporains).

Je suis d’accord et je crois avoir au moins sous-entendu plus tôt dans la discussion, cette idée, en disant que "Les pouvoirs dont parle Foucault ont cette capacité à produire de la l’acceptation et de la reconnaissance « en soi » de la part des subjectivités à qui ils s’adressent. Bref, et vous serez sans doute d’accord avec moi, à les positionner dans le statut d’esclave content de l’être. Mais content de l’être ne veut pas dire encore là « trouver légitime »."

Vous répondez : « Toutefois, pour moi, "content de l'être" veut dire "légitime" et je ne vois pas où il y aurait une différence à faire, sinon en établissant une légitimité hors de la culture où l'autorité prend place, i.e. à partir d'une autre culture (la mienne par exemple ).

Justement. Il y a des « autre culture ». S’il n’y a pas d’Autre de l’Autre, il y a d’autres Autres.

Je réserve la notion de légitimité à la culture « pour soi » (dont l’Autre est choisi) et je la « retire » de la culture « en soi », dont l’Autre demeure inconscient et de l’ordre du sens commun informel. "Retirer" ne voulant pas dire que rien n'est légitime dans la culture en soi, bien sûr, mais que ce n'est pas là où le jugement de légitimité se produit.


Vargas a écrit : « Au fond, le pouvoir empêche toujours plus ou moins l'apparition de ces singularités par sa fonction de régulation, bien qu'elle puisse aussi les favoriser dans le premier temps de leur émergence (l'admission de Foucault au Collège de France, sur laquelle il est revenu, par exemple.). »

Je crois qu’il y a ici aussi une confusion entre pouvoir et autorité… mais c’est compréhensible puisque c’est aussi le cas chez Foucault… sauf que je dirais, croyant tout de même être conforme à Foucault, qu’au contraire le pouvoir est ce qui produit de la singularité. Singularité historique ou singularité subjective, ce n’est que comme résultat de forces que ces singularités naissent. Ce sont les autorités (légitimes ou non, selon les situations) qui peuvent les empêcher …

Vargas dit : Reconnaître une autorité qui nous contrôle, c'est reconnaître une autorité qui a démontré qu'elle se maîtrise elle-même. C'est sa seule légitimité.

Je n’en suis pas certaine. J’oubliais toujours ce point dans mes messages précédents, mais je crois que nous devons distinguer la maîtrise et le souci de soi, qui sont différents. Je ne crois pas que Foucault use tant que ça de l’injonction platonicienne de maîtrise de soi (à vérifier), et que le souci ne s’y réduit surtout pas. Je dirais même qu’il y a une part de non-maîtrise de soi, dans le souci de soi (mais passons pour l’instant…)

Ce que je veux surtout dire ici, c’est que la maîtrise de soi de celui qui est en position d’autorité n’a peut-être pas besoin d’être à ce point parfaite pour être légitime, dans la mesure où elle doit surtout être supposée, reconnue possible. C’est l’intention et les actions de pouvoir qui sont légitimes ou non, et qui déterminent (apriori pour celui qui exerce l’autorité, et a posteriori pour celui qui la « reçoit »), la légitimité de l’autorité.

Vargas dit :Tout le problème de l'autorité désormais est de convaincre de sa maîtrise.

Là je répondrais tout comme mon ami Pierrôt : si tel était le cas, nous serions bien en peine car « nous sommes dans une phase de régression culturelle; parce que les citoyens n'ont plus la culture nécessaire pour assumer l'exercice critique qui seul permet de légitimer l'espace démocratique »

Vargas dit : Mais Foucault l'a montré, et nous le comprenons mieux en général à présent. Le pouvoir n'est pas l'Etat, en tout cas pas seulement.

L’état est une autorité. Une autorité qui use de pouvoirs, mais qui n’est pas « en soi » un pouvoir, car un pouvoir est une force, l’État est une institution.

Je disais:
"Il ne faut pas confondre la dialectique de la conscience intersubjective dans un contexte de liberté avec celle du maître et de l’esclave…."

Mr. Rivière répond :
Effectivement, je confonds parce que je ne sais pas qu'est-ce que la dialectique de la conscience intersubjective dans un contexte de liberté. Je n'ai pas encore fini la Phénoménologie de l'esprit, je suis en train de la lire.

Vous pourrez me dire alors si ce que je dis se trouve chez Hegel !


Je vois que Mr. Rivière est passé de sage à gueuleur … on dirait que j’en ressens une certaine responsabilité … et j’ai même un peu peur de recevoir bientôt le même titre …:o Mais oh ! Je vois que je suis identifiée sage .... espérons que ça demeurera ! D'ailleurs.... je devrais me faire un peu plus rare un certain temps .... (histoire de rester "légitime" ! Laughing )

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Pouvoir et autorité, légitimité et reconnaissance Empty Re: Pouvoir et autorité, légitimité et reconnaissance

Message par Pierre Rivière Dim 25 Nov 2007 - 0:34

Effectivement, nos deux concepts de légitimité divergent et ne semblent plus pouvoir se rejoindre. Nous parlons à partir de deux lieux différents.

Vous parlez d'une légitimité idéale qui seule peut justifier l'autorité dans notre contexte socio-politique contemporain.
Moi je parle d'une légitimité pragmatique qui permet d'étudier les modes de légitimisation que produit un foyer de pouvoir pour asseoir son autorité.

Je crois donc donner une acception plus large et moins localisé au concept que vous. Même si je reconnais avec vous que les autorités contemporaines sont majoritairement illégitimes en ce qu'elles bafouent les principes fondamentales de la démocratie; ceci étant leur contradiction interne - maintenir une façade de démocratie tout en violant constamment ses principes (prisons secrètes - Guantanamo -, etc.).

Pour moi, votre façon de voir la légitimité (idéaliste) est un cas particulier de ma conception de la légitimité (pragmatique). Puisque ceux pour qui cette façade démocratique totalise le champ de leur expérience social, alors, pour eux, cette autorité est légitime; même si cette légitimité peut être celle de l'opinion publique, du concensus, du sens commun. Ainsi, je déplore que les modes de légitimisation de l'autorité se fassent selon des principes aussi primaires que ceux des vérités concensuelles, mais je répète qu'il s'agit içi de modifier les modes de pensée des gens. En poussant un peu vers une pensée de type dialectique, on pourrait dire que l'autorité peut être légitime pour-soi (pragmatiquement), tout en étant illégitime en-soi (idéalement).
Toutefois, cette illégitimité en-soi n'est que pour un pour-soi particulier (qui a conscience de ses contradictions internes) et fait l'expérience de son illégitimité (mais qu'elles sont les critères d'une expérience de l'illégitimité de l'autorité...?).

Pour ce qui est du pléonasme, c'était seulement une blague (vous n'avez pas cité le Wink ). Si la pensée critique est un pléonasme, cela signifie que ceux qui ne critiquent pas ne pensent pas; là était la blague, je ne pense pas cela sérieusement.
Tout comme vous, je ne pense pas que la pensée critique soit seule suffisante.

AnythingK a écrit:C’est le sentiment ou la sensation d’être abusé qui ouvre au champ de la conscience la perception d’une illégitimité de l’autorité.

Je suis d'accord, mais c'est un sentiment difficile à analyser conceptuellement. De même que parfois l'enfant peut se sentir abusé dans une situation où la majorité ne se sentirait pas abusé.

AnythingK a écrit:Cela dit, je réitère que la légitimité de celui [qui] exerce l’autorité doit précéder cette autorité comme exercice, même si c’est seulement par cet exercice que les autres peuvent en juger. Car on ne peut pas faire tenir le jugement de légitimité tout entier dans celui qui subit ou résiste au pouvoir.

Je suis d'accord que la légitimité d'une autorité précède son exercice, sauf que le problème est que c'est cette autorité qui s'auto-accorde la légitimité dans les cas où ce n'est pas celui qui y est soumis qui accorde cette légitimité. En fait, la plupart des problèmes d'un foyer de pouvoir est de faire reconnaître aux autres l'autorité légitime qu'il s'est lui-même accordé. Toutefois, si la légitimité de l'autorité n'est ni déployé par celui qui y est soumis, ni par celui qui l'exerce, alors je ne vois pas d'autres solutions que de retomber directement dans la métaphysique d'une légitimité a priori; un a priori qui n'est en fait qu'un savoir que déploie une autorité pour se légitimer, que ce soit en tant que "résistance" ou en tant que "pouvoir".

Cela ne veut pas dire que les ados révoltés ou la majorité silencieuse a raison. Une autorité (avec l'appui de la population) peut bien se légitimer de faire marcher les ados révoltés au pas; et la majorité ne reste pas silencieuse pour toujours.


AnythingK a écrit:Je réserve la notion de légitimité à la culture « pour soi » (dont l’Autre est choisi) et je la « retire » de la culture « en soi », dont l’Autre demeure inconscient et de l’ordre du sens commun informel. "Retirer" ne voulant pas dire que rien n'est légitime dans la culture en soi, bien sûr, mais que ce n'est pas là où le jugement de légitimité se produit.

Si je comprends bien (mais j'ai peut-être mal compris), c'est donc une élite intellectuelle qui s'accorde le droit de juger de la légitimité des autorités. Mais qui peut juger de la légitimité de son jugement de légitimité? Quels seraient ses critères? en quoi seraient-ils bons pour tous? Ça me semble seulement une forme de savoir que développe un certain type de pouvoir pour se déployer.
Le peuple veut du pain et des jeux, il n'en a rien à faire si son gouvernement est illégitime selon une élite intellectuelle. Mais après tout qui suis-je pour dire ce que le peuple veut...


À Vargas,
j'ai lu le Foucault de Deleuze entre temps (depuis mon dernier message), c'est effectivement éclairant.

Mais, je ne suis pas d'accord que, comme vous dites, "Reconnaître une autorité qui nous contrôle, c'est reconnaître une autorité qui a démontré qu'elle se maîtrise elle-même. C'est sa seule légitimité.".

La maîtrise de soi est un mode de légitimation de l'autorité pour la société grecque de cette époque. C'est valide pour une société fondée sur l'opposition entre la virilité active et la féminité passive. Dans cette société la légitimité était fondée sur le principe que l'actif a autorité sur le passif. Donc, cela se reproduit dans les moeurs sexuels, le gouvernement de la maison, le gouvernement de la cité, etc. Mais ce principe est le savoir qu'un pouvoir patriarcal déploit pour légitimer son autorité. Dans nos société, les formes de pouvoir sont très différentes. La légitimiter est essentiellement fondée sur le savoir des prétendus "experts", c'est une légitimité de technocrates. Le bio-pouvoir et l'anatomo-politique légitiment l'autorité de ceux qui ont l'expertise pour exercer cette régulation (normalisation) de la vie et du corps (selon certaines valeurs - ou idéaux).


ÉDIT: P.S.: Je réfléchissais à notre débat et j'ai crains un malentendu. Lorsque je dis qu'une autorité est légitime, je ne veux pas dire qu'elle est légitime pour tous ses sujets. Les cultures sont des multiplicités, ainsi les modes de légitimisation s'appliquent à des multiplicités. Donc, un même mode de légitimisation d'une autorité peut être légitime pour certains individus et ne pas l'être pour d'autres. J'avais pris cela pour une évidence dans mon propos, mais c'est seulement pour être certain qu'il n'y a pas de malentendu.
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Pouvoir et autorité, légitimité et reconnaissance Empty Re: Pouvoir et autorité, légitimité et reconnaissance

Message par AnythingK Dim 25 Nov 2007 - 7:42

n.b. mon manque de pragmatisme me bouche la fonction « citer », je n’y arrive pas correctement (avec le nom de la personne citée). Désolée.
***

Ne pas se rejoindre ? je n’en suis pas certaine … ce qui n’était sans doute pas clair dans ma manière de le dire, c’est que tout ce relativisme n’est pas extérieur à la possibilité que j’évoque de restreindre le concept de légitimité à ce qu’il peut vouloir dire aujourd’hui d’idéal mais aussi de réel …

Il est vrai que j’insistais sur ce que vous n’insistiez pas et vice versa, mais il me semble pouvoir retourner encore une fois les choses pour dire à mon tour que la dimension sur laquelle vous insistez peut également pour ma part être vue comme un cas particulier de celle que je formulais.

Vous dites :

« Si je comprends bien (mais j'ai peut-être mal compris), c'est donc une élite intellectuelle qui s'accorde le droit de juger de la légitimité des autorités. Mais qui peut juger de la légitimité de son jugement de légitimité? Quels seraient ses critères? en quoi seraient-ils bons pour tous? »

Vous avez mal compris ou je me suis mal exprimée, mais en tout cas il ne s’agit pas de le savoir, mais bien plutôt de le produire. Et là je suis en plein Foucault de l’histoire de la sexualité.
Qui le produit ? Ceux qui dominent… les classes dominantes jugent elles-mêmes en quelque sorte effectivement de leur légitimité, tout comme l’intelligentsia ou le père de famille, mais tous reproduisent aussi à leur manière un héritage qui leur préexiste… qu’ils subissent en partie et choisissent en partie… relativement à leurs origines et influences idéologiques…

Vous ajoutez :

« Ça me semble seulement une forme de savoir que développe un certain type de pouvoir pour se déployer. »

Et c’est aussi ce que je viens de dire. À condition d’entendre « savoir » à la Nietzsche et à la Foucault, comme invention, comme sédimentations de couches d’interprétations, mais en tout cas non pas comme « vérités » au sens absolu du terme.

« Le peuple veut du pain et des jeux, il n'en a rien à faire si son gouvernement est illégitime selon une élite intellectuelle. « Mais après tout qui suis-je pour dire ce que le peuple veut... »

Ça ce sont des « vérités » au sens relatif du terme …


Bon, allez, je vous "remange" dialectiquement à mon tour :D

Le pragmatisme (votre cas général, mon cas particulier) comme étant « l’invention » d’une élite (mon cas général, votre cas particulier). D’une part. Ce qui n’exclut pas d’autres élites (intellectuelles, par exemple) d’exister sans grande légitimité dans cette grande société où les valeurs légitimes sont utilitaristes et instrumentales, alors qu’une certaine forme d’humanisme (au sens très large du terme, vous choisissez les particularités qui vous interpellent dedans) traverse beaucoup d’intellectuels, même si c’est à divers degrés et différemment (je veux rassurer votre besoin de relativité hihi). Ce qui n’exclut pas que chacune de ces élites soit « relativement » légitime, au moins « pour soi », dans ce monde, et cela même si justement elles peuvent se disputer la légitimité « générale » entre elles, il y en a quand même une qui semble l’emporter à chaque époque...

En effet je n’ai pas voulu parlé seulement d’une élite intellectuelle, ni seulement d’une légitimité idéale au sens moral, bien que tout cela était un peu imprécis, comme je vous en avais avisé. Par élitisme du concept de légitimité, je voulais confusément dire deux choses, mais surtout la première que voici : une sorte de discrimination théorique (et non pas sociale, culturelle, économique, religieuse ou ethnique, et quoi encore), un choix théorique consistant à privilégier une définition, à hiérarchiser les concepts que nous forgeons, dessinant une sorte de pyramide dont le sommet est l’importance décisionnelle, charismatique ou autre de l’autorité qui éclaire comme la portée d’une lumière en cône vers le bas, mais où la base est la moins éclairée de toutes les strates, en raison des ombrages créés à chacune des couches horizontales, pyramide dont la pointe même est la « déclaration de légitimité », déclaration devant invariablement aujourd’hui (c’est mon propos) être, en fait, mais très souvent encore seulement lorsqu’on la demande, une « démonstration » (et cela est vaste, il y a différents types de démonstrations, différents types de critères de validité de la démonstration, selon les différentes élites, et selon les divers contextes, jusqu’aux divers individus). Et c’est là la deuxième chose que je voulais préciser, étant donné mon insistance à placer la légitimité dans un espace restreint tout en haut de la pyramide des exercices de pouvoir, pourrions-nous dire en gardant à l’esprit tous les grouillements de vie qui en donnent l’image (non-figée donc), car à chaque communauté, à chaque conscience sa structure, son cône, son dôme, qu’on l’imagine dans un sens (transcendance) ou dans l’autre (immanence).

Le cycle d’immanence qui est celui de notre époque, vous le décriviez très bien avec Foucault, c’est celui-là que je prenais pour objet de ma critique, en tentant de montrer que malgré les apparences, voire même malgré la simulation universelle d’un jugement plat de légitimité généralisée, il n’en demeure pas moins que les demandes mais surtout les réponses réelles de légitimation aux grandes autorités ne se font pas, mais alors là pas du tout sur la place publique. Nous (le peuple) ne voyons que la « pointe de l’iceberg » de tout un argumentaire qui tente de justifier le pourquoi de l’autorité et des pouvoirs qu’elle assume, transmet, et reproduit. « Le peuple », dont « nous » (dans un sens plus restrictif ici) sentons les vibrations parce que nous en sommes quand même (pas si éloignés en tout cas) et que nous souffrons sa souffrance, même si nous devons en partie nous en extraire pour penser, cette souffrance demeurant l’encre qui coule dans l’espoir que le sang circule au lieu de lui-même autant couler … ; n’a pas, comme je le disais, n’est pas obligé d’avoir conscience de cette légitimité, pour reconnaître et accepter l’autorité. Il peut fort bien se contenter de savoir que cette légitimité existe, qu’il y a des gens qui s’occupent de la questionner, que la pensée critique existe, quelque part dans la société, et qu’elle les protège. Sinon pour tout du moins pour un certain nombre de choses. Et l’utilisation de la peur, de la désinformation, de la simulation, de la propagande, de la manipulation ne sont que des intruments à produire du consentement à cette autorité, une reconnaissance de son pouvoir qui est pour certains une reconnaissance de sa légitimité, pour d’autre de son illégitimité. La relativité va même jusque là, bien sûr.

Il n’en demeure pas moins que l’autorité, si elle doit être questionnée (mais avons-nous encore les moyens de le faire envers les plus déterminantes de la majorité ?) autrement que par le journalisme quotidien, les manifestations vaines, le râle des famines, des suicides et des grèves, elle doit (au moins simuler) répondre d’une légitimité « au nom de » laquelle justifier les exercices de pouvoir dans lesquels les hommes sont entraînés à performer. Mais jusqu’en bas de la pyramide, chaque pouvoir sommé de se légitimer le fait par l’exercice d’une autre forme pyramidale en haut de laquelle la légitimité siège, dans le lieu de la conscience réflexive, quelle soit collective (élites intellectuelles) ou organisationnelle (légitimité instrumentale).

La légitimité (entendue donc ici à votre sens autant qu’au mien), est imaginable comme la pointe d’un immense iceberg « souterrain » ou « replié » qui nous sert de plan d’immanence à la surface mais où à chaque repli, à chaque domaine de la réalité (individuelle ou collective) des pyramides semblables pullulent et ont une organisation interne similaire, et font fonctionner, par leurs interactions, l’ensemble d’une immense pyramide « intérieure », c’est-à-dire invisible.

Pour toute pyramide, comme la géante invisible (sorte de tout chaotique et mouvant qui n’est visible que de l’intérieur) ou comme les multiples petites pyramides repérables en son sein, visibles pour certains et moins pour d’autres, il s’agit de dire que plus l’autorité est importante (plus elle se trouve en haut de la pyramide), plus sa légitimité n’a pas à être expliquée « au grand nombre », à tout le troupeau, à l’enfant ou à l’esclave, car étant tout en haut, elle n’a pas « le dos large »...pour tenter une image liée à la largeur de la pyramide où se trouvent les « strates » d’autorité.

La toute dernière strate au sommet est donc un point de plus en plus aveugle (car il est lui-même lumière) du pouvoir ou de l’autorité, et à plus forte raison de la légitimité. C’est le tout de Nietzsche qu’on ne peut voir, peut-être. À mesure que le regard se situe aux niveaux de plus en plus bas de la pyramide (pour la majorité silencieuse et pour les enfants notamment), moins elle voit les subtilités fines et parfois perverses du sommet.

D’où que je pose la question à savoir si on peut encore parler d’autorité et de légitimité (pour le sommet de la pyramide la plus générale de notre époque, du moins, mais peut-être pour la plupart des autres pyramides également, sauf celle de l’élite intellectuelle peut-être ;-) ), et s’il ne faudrait pas plutôt parler d’une sorte de cybernétique des pouvoirs où la pyramide quelconque, son autorité et sa légitimité « apparentes », sortes de simulations des anciennes structures de pouvoir servant à produire une acceptation et une reconnaissance générales, sorte de construction abstraite fondée sur des structures symboliques en forme de capital, de lois, d’obligations, de mécanismes de pouvoir procédural et pragmatique devenus la « naturalité », la « normalité » immanentes aux pratiques individuelles.

Lors que les pouvoirs simulent l’autorité et la légitimité, il est compréhensible que nous ayons tendance à confondre ces trois termes.

Lorsque, comme vous et moi le concevons, la conscience réflexive, qui est souci éthique, savoir et exercice ou pratique réflexive et affirmative, est conçue comme outil du corps plutôt que comme bourreau des corps, la transcendance de la conscience sur le corps propre (maîtrise de soi) est une fonction « immanente » à la force vitale, de sorte que la pointe de l’iceberg suffit à l’exercice des activités dans l’éthique du souci de soi et des autres (inutile de conserver tout l’échafaudage disait Nietzsche). Et c’est ce que toutes les élites, à mon sens « mal intentionnées », ont bien compris elles aussi et ont tourné à l’avantage de leur domination.

La « structure » ou le « plan » pyramidal que je présente un peu maladroitement à votre appréciation, tiendrait, c’est ce que j’essaie de voir, pour tout type de légitimité (aussi illégitime serait-elle pour nous), et pour la légitimité « générale ». Ma conceptualisation serait donc, contrairement, à ce que vous dites, à la fois large et « localisée » plutôt que seulement localisée dans la vôtre se voulant plus large. La vôtre constituant toute la base des pyramides construites telles que je tente de les concevoir, d’où cette « largeur » qui est la plus grande de la pyramide. Mais ce qu’il faut ajouter à cela c’est que cette largeur (qui n’est une épaisseur que dans un sens péjoratif) est déterminée de manière immanente par une pointe d’iceberg qui est son souterrain (au sens d’inconscient collectif et individuel), ou son « repli » mais où en réalité nous pouvons voir, lorsque nous le déplions, que cette intériorisation « collective », qui n’est visible que par sa réalisation dans la conscience réflexive individuelle, permise par la pensée critique, est en fait une pyramide qui existe à l’état fantomatique ou virtuel sur un plan d’immanence parce que les strates supérieures de la pyramide sont difficilement visibles quand on circule surtout dans les strates inférieures des consciences « collective » et « individuelle ».

Mais peu importe le degré de conscience des individus interagissant à l’intérieur des multiples pyramides jonchant les divers paliers de la vie en société, chacune d’elle a partie liée d’une manière ou d’une autre avec toutes les strates de cette pyramide plus vaste au sommet de laquelle la légitimité d’une époque a son trône. Ceci n’empêchant bien sûr aucunement les lignes (ou même les pyramides) de résistance de s’infiltrer ou de s’incruster à l’intérieur de ce tout.

Mais lorsqu’à l’inverse, comme pour plusieurs (mais non pour vous et moi (même si de votre côté, c’est cela sur quoi vous insistez, qui est un des legs de Foucault sans en être le seul)), la légitimité équivaut à « ce que tout le monde pense et à ce que tout le monde fait », alors là, les pyramides et surtout celles tenant l’ensemble pyramidal, sont plus ou moins totalement invisibles, elles n’en sont pas moins une sorte de contenant « idéal » (dans le sens de l’idéologie ou l’éthique des dominants, mais aussi dans le sens de « abstrait », « conceptuel »), qui n’en a pas moins des implications, des rapports avec le réel.

La position matérialiste est la seule véritablement lucide, soit, mais la position que je viens d’évoquer, où le corps est un outil de la conscience (position idéaliste au sens moral du terme), est celle communément existante au sein de la société, que cela soit une analyse de la pyramide générale (où c’est la conscience de quelques décideurs mondiaux, l’overclass planétaire qui « gère » ou enfin qui donne sa « légitimité » (pardon pour les guillemets que ma subjectivité ne peut s’empêcher de placer ici autour du mot légitimité, du haut de ma petite pyramide communautaire et individuelle particulière) à la gestion que ses subordonnés opèrent sur la pratique des exécutants du système) ou que cela soit à l’intérieur de la grande majorité des pyramides communautaires ou locales.

Mais je veux dire aussi que tout comme les concepts de Foucault, celui-ci est un complexe symbolico-matériel et il ne faut pas davantage comprendre ces « pyramides » comme des parcs humains, comme des totalités idéologiques, comme des communautés fermées ou comme des agrégats de murs infranchissables. Ce peut être un énoncé qui est analysable en ces termes, ce peut être une conscience subjective, une pratique légale, une pratique quotidienne informelle, une fonction sociale …etc… etc…

Bref il est vrai que ce que vous dites pour le pragmatisme est un des plus importants labyrinthes qui serpentent la grande pyramide actuelle du capital, mais ce que je voulais montrer était que ce pragmatisme, bien que généralisé, n’était qu’un cas de « contenu » à cette « structure » générale que j’essaie d’évoquer, et à l’intérieur de laquelle la reconnaissance du pouvoir et de l’autorité est davantage nécessaire que celle de la légitimité, tant et aussi longtemps que ce pouvoir et cette autorité ne semblent pas contestable à qui s’y retrouve soumis. Reconnaissance de la légitimité qui est un fait de la conscience réflexive davantage que la reconnaissance du pouvoir et de l’autorité, qui peut être seulement émotive. Et cela est loin de ne concerner que le pragmatisme… mais disons qu’en proportions variables d’une pyramide à l’autre, la conscience de la légitimité (relative, bien sûr) reste, bien que grandement recommandable, tout de même (bien sûr !) relativement rare. Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne soit pas effective, d’où toute votre analyse et celle de Foucault.

Bon c’est un peu aride et abstrait, mais j’ai voulu synthétiser et éviter autant que possible de répéter ce qu’il y avait déjà dans mes précédents messages…


Dernière édition par le Dim 25 Nov 2007 - 15:25, édité 1 fois

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Message par AnythingK Dim 25 Nov 2007 - 7:43

(je poursuis ici car mon message était trop long à mon tour)

Maintenant pour vous répondre un peu plus précisément à votre message, d’abord je dois vous dire que ce n’est pas clair pour moi quand vous dites :

«
Ainsi, je déplore que les modes de légitimation de l'autorité se fassent selon des principes aussi primaires que ceux des vérités consensuelles, mais je répète qu'il s'agit ici de modifier les modes de pensée des gens. En poussant un peu vers une pensée de type dialectique, on pourrait dire que l'autorité peut être légitime pour-soi (pragmatiquement), tout en étant illégitime en-soi (idéalement). Toutefois, cette illégitimité en-soi n'est que pour un pour-soi particulier (qui a conscience de ses contradictions internes) et fait l'expérience de son illégitimité (mais qu'elles sont les critères d'une expérience de l'illégitimité de l'autorité...?). »

C’est une configurtion que je n’arrive pas bien à saisir. Pour moi la coexistence relativement pacifique de points de vue différents sur la légitimité des autorité est possible, dans la mesure où les "pyramides" (n'oublions pas que ce n'est qu'une image) peuvent s'interprénéter pour se nuancer, se rigidifier et es'exclure par idéologie, entrer en conflit, mais chose certaine, une sorte de "résultat" général (légitime pour certain, illégitime pour d'autre) existe à notre époque (visible pour certains, invisible pour d'autres) et inclut en son sein toutes les contradictions (en soi ou pour soi n'y change rien à ce deré de généralité), mais les domine, les englobe néanmoins. Quant aux "critères d'une expérience de l'illégitimité de l'autorité", je crois que je tenter de les cerner au moins en partie par ceci : quand je disais que « c’est le sentiment ou la sensation d’être abusé qui ouvre au champ de la conscience la perception d’une illégitimité de l’autorité ».

Vous me répondez :

« Je suis d'accord, mais c'est un sentiment difficile à analyser conceptuellement. De même que parfois l'enfant peut se sentir abusé dans une situation où la majorité ne se sentirait pas abusé. »

Mais certainement ! encore une fois je répète n’avoir jamais nié la relativité de la reconnaissance de la légitimité !! Et on ne va pas non plus nier la place du sentiment dans le jugement de légitimité sous prétexte que c’est une chose difficile à conceptualiser… peu importe la légitimité en question, et peu importe le sentiment envers elle, il n’en deumeure pas moins que c,est lui qui va à son égard initier la pensée critique ou à l’inverse l’empêcher.

Je vous cite :
« Je suis d'accord que la légitimité d'une autorité précède son exercice, sauf que le problème est que c'est cette autorité qui s'auto-accorde la légitimité dans les cas où ce n'est pas celui qui y est soumis qui accorde cette légitimité »

Attention vous rapportez ma position à une posture positiviste alors qu’il n’en est rien ! J’ignore si je m’exprime mal , mais une fois de plus, ce que je dis n’est pas que c’est « tout un » qui accorde la légitimité « ou tout l’autre » et ce dans tous les cas et de manière semblable ! Parfois il y a reconnaissance réciproque, parfois non, parfois une personne qui ne se reconnaît à elle-même aucune autorité légitime s'en voit tout de même reconnaître une par une autre personne, etc… mais de plus et surtout, jamais il n’y a pas de véritable et pur « auto-accord » de légitimité (comme je le disais d’ailleurs pour les singularités). Toujours il y a un contexte culturel, historique, etc.. (je vous le répète, nous pensons identiquement là dessus)… Si la légitimité précède l’acte, c’est bien parce que justement elle précède le sujet qui exerce cette autorité, sinon en totalité (le prêtre anciennement), du moins en partie (le père de nos jours, dont l’autorité se doit d’être en bonne partie « inventée » ici et maintenant par ce père-là), dans cette société où l’autorité véritable est en déclin). Il ne s’agit pas de s’apitoyer, mais d’être créatif pour ne pas que ce ne soit que la loi de la jungle, là où le capital fait office de notre animalité instinctive immanente.

Vous poursuivez en disant :
« En fait, la plupart des problèmes d'un foyer de pouvoir est de faire reconnaître aux autres l'autorité légitime qu'il s'est lui-même accordé. »

Je répondrais que si cette autorité est réellement arrivée à se reconnaître réflexivement une légitimité à elle-même, cela n’est pas vraiment un problème dans la mesure justement où ceux à qui elle s'adresse ont une "capacité", une disposition ou une affinité pour y consentir. Je préciserais plutôt en disant que la plupart des problèmes des institutions c’est de ne pas savoir elles-mêmes en quoi elles sont légitimes, et que plus elles essaient d’être transparentes et rationnelles, plus elles sont obligées d’avouer leurs bavures et leurs incohérences.

« Toutefois, si la légitimité de l'autorité n'est ni déployé par celui qui y est soumis, ni par celui qui l'exerce, alors je ne vois pas d'autres solutions que de retomber directement dans la métaphysique d'une légitimité a priori; un a priori qui n'est en fait qu'un savoir que déploie une autorité pour se légitimer, que ce soit en tant que "résistance" ou en tant que "pouvoir". »

Pour ma part, je crois que nous sommes toujours dans un tel déploiement. Sauf que celui actuel parvient à masquer ses mécanismes d’une manière encore plus efficace, en se montrant comme un pragmatisme immanent généralisé, justement, alors qu’il est une religion du capital et du « pain et des jeux ». Le pragmatisme (un moyen de gagner) se faisant passer pour une fin (une manière d’être), ce qu’il réussit à merveille.

Voilà, j’espère que ce n’est pas trop confus. Et je vous rappelle que rien n’est « figé », que je ne prétends pas rendre compte de Foucault même s’il est nécessaire à ce raisonnement, et que les commentaires et récriminations sont bienvenus.

p.s. Je crois que « légitimation » est le bon mot, et non « légitimisation » (enfin il me semble bien) que je corrige dans vos mots lorsque je vous cite depuis les débuts … ;-)

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