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Platon, la théorie des Idées

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Platon, la théorie des Idées Empty Platon, la théorie des Idées

Message par Grégor Mar 27 Sep 2022 - 9:47

« Nous autres, tard-venus, ne pouvons plus mesurer la portée de l’acte par lequel Platon ose employer le mot εἶδος pour ce qui déploie son être en tout et en un chacun. Car, dans la langue de tous les jours, εἶδος signifie l’aspect qu’une chose visible offre à notre œil corporel. Platon exige cependant de ce mot quelque chose de très insolite : qu’il désigne ce qui précisément n’est pas, n’est jamais perceptible par les yeux du corps. Mais même ainsi on n’en a pas encore fini avec l’extraordinaire. Car ἰδέα ne désigne pas seulement l’aspect non sensible de ce qui est sensiblement visible. Ce qui constitue l’essence dans ce qu’on peut entendre, toucher, sentir, dans tout ce qui est de quelque manière accessible : cela est appelé « aspect », ἰδέα, et est aussi tel. »
Heidegger, La question de la technique.

Ce passage nous a interpelé, même s’il est marginal dans l’essai de Heidegger, nous avons eu envie de retourner chez Platon et d’essayer de bien saisir ce que la tradition philosophique a nommé : la théorie des Idées.

République, livre V et début du VI et pour l’exemple du lit, livre X.

Platon théorise la distinction entre opinion, connaissance et ignorance de la façon suivante : l’opinion est l’intermédiaire entre l’ignorance, qui a pour objet le non être et la connaissance, qui a pour objet l’être. Elle est moins claire que la connaissance mais moins obscure que l’ignorance.

« Πῶς γὰρ ἄν, ἔφη, τό γε ἀναμάρτητον τῷ μὴ ἀναμαρτήτῳ ταὐτόν τις νοῦν ἔχων τιθείη; »
« Comment en effet, dit-il, un homme sensé confondrait ce qui est infaillible avec ce qui ne l’est pas ? »

Ce qui semble caractériser pour Platon la connaissance, c’est son caractère infaillible. On peut déduire de l’opinion qu’elle est au contraire faillible. L’opinion peut nous tromper mais non la connaissance.

« Τί δ’ ἄλλο, ἦν δ’ ἐγώ, ἢ τὸ ἑξῆς; ἐπειδὴ φιλόσοφοι μὲν οἱ τοῦ ἀεὶ κατὰ ταὐτὰ ὡσαύτως ἔχοντος δυνάμενοι ἐφάπτεσθαι, οἱ δὲ μὴ ἀλλ’ ἐν πολλοῖς καὶ παντοίως ἴσχουσιν πλανώμενοι οὐ φιλόσοφοι, (…)»
« Rien d’autre, répondis-je, que d’en tirer les conséquences. Si les philosophes sont ceux qui sont capables d’atteindre à ce qui existe toujours d’une manière immuable, et s’il faut refuser ce titre à ceux qui en sont incapables et qui s’égarent dans ce qui est multiple et changeant, (…) »

Platon déroule son argument et présente deux caractères de l’opinion : le multiple et le changeant. La connaissance se préoccupant, au contraire, de l’immuable. Dans cet extrait, Platon ne parle pas du caractère un de la vérité mais on peut le déduire du caractère multiple de l’opinion.

« Βούλει οὖν ἐνθένδε ἀρξώμεθα ἐπισκοποῦντες, ἐκ τῆς εἰωθυίας μεθόδου; εἶδος γάρ πού τι ἓν ἕκαστον εἰώθαμεν τίθεσθαι περὶ ἕκαστα τὰ πολλά, οἷς ταὐτὸν ὄνομα ἐπιφέρομεν. Ἢ οὐ μανθάνεις; »
« Veux-tu que nous procédions dans cette recherche selon notre méthode ordinaire ? Nous avons, en effet, l’habitude d’admettre une certaine idée, une seule, qui embrasse chaque groupe des objets multiples auxquels nous donnons le même nom. Ne comprends-tu pas ? »

Étrange faculté du langage en effet, car qu’est-ce qu’un nom en définitive ?
« Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets. »
Crise de vers, de Mallarmé.
Un nom n’a-t-il donc aucun contour ? Aucune limite ?
Le nom fleur peut désigner une infinité de fleurs mais il ne peut cependant pas tout désigner non plus, sinon il ne signifierait plus rien. Il a donc une certaine limite. Mais cette limite n’est pas limitée par un contour particulier de fleur. Elle est une limite illimitée.
Cette faculté nous étonne et elle en a étonné plus d’un.
Kant s’est aussi posé la question mais il a préféré s’interroger à propos d’un triangle.
Sa réponse est que ce qui fait l’idée du triangle, c’est la manière dont on le construit.
On peut construire une infinité de triangles mais la méthode de construction sera toujours la même.
L’âme d’un mot est dans sa méthode.


« Οὐκοῦν καὶ εἰώθαμεν λέγειν ὅτι ὁ δημιουργὸς ἑκατέρου τοῦ σκεύους πρὸς τὴν ἰδέαν βλέπων οὕτω ποιεῖ ὁ μὲν τὰς κλίνας, ὁ δὲ τὰς τραπέζας, αἷς ἡμεῖς χρώμεθα, καὶ τἆλλα κατὰ ταὐτά; οὐ γάρ που τήν γε ἰδέαν αὐτὴν δημιουργεῖ οὐδεὶς τῶν δημιουργῶν· πῶς γάρ; »
« N’avons-nous pas aussi coutume de dire que l’ouvrier qui fabrique ces deux espèces de meubles, ne fait le lit ou la table dont nous nous servons que d’après l’idée qu’il a de l’un et de l’autre de ces meubles, et ainsi des autres ? Car assurément ce n’est pas l’idée même qu’aucun de ces ouvriers fabrique. Cela peut-il être ? »

Nous voyons que Kant et Platon n’auraient certainement pas été d’accord l’un avec l’autre.
Car pour Platon l’idée préexiste à sa construction, de toute éternité. Or, pour Kant, l’idée est une méthode de construction.
Nous avons aussi employé deux exemples différents, l’un naturel, la fleur et l’autre géométrique, le triangle.
Le triangle est tracé par le géomètre qui connait la méthode pour réaliser sa construction.
La fleur, elle, est construite par ses gènes et le mot « fleur » existait bien avant que l’homme ne découvre la génétique.
Pourtant, un tel concept de fleur est aussi le fruit (sans jeu de mot) d’une méthode de classement opérée par l’esprit humain.
Cette méthode de classement, si je me souviens bien du livre de Steven Pinker (Comment fonctionne l’esprit humain, que je n’ai pas encore le temps de relire afin d’être plus précis), est l’un des modules, instinctif, qui compose l’esprit de chaque être humain.
Le tout jeune enfant apprend à classer instinctivement les objets du monde qui l’entoure.
Donc la théorie de Kant semble assez solide.
Elle répond bien à la manière dont notre cerveau fonctionne.
Un mystère demeure, c’est la manière dont notre cerveau peut penser aussi adéquatement le réel.
Comment se fait-il que la logique de notre esprit corresponde si bien à la logique de la nature ?
Du moins dans une certaine mesure, car ce même Steven Pinker, dans ce même ouvrage, déplore les insuffisances de notre esprit, dans certains domaines, à pouvoir véritablement se saisir lui-même.
Il se peut que ce formidable cerveau dont nous disposons ne soit pas suffisamment équipé pour pouvoir se comprendre complétement.


« Περὶ ἕκαστον ταύτας τινὰς τρεῖς τέχνας εἶναι, χρησομένην, ποιήσουσαν, μιμησομένην; »
« Je veux dire qu’il y a trois arts qui répondent à chaque chose, l’art qui s’en sert, celui qui la fait, et celui qui l’imite. »
« Οὐκοῦν ἀρετὴ καὶ κάλλος καὶ ὀρθότης ἑκάστου σκεύους καὶ ζῴου καὶ πράξεως οὐ πρὸς ἄλλο τι ἢ τὴν χρείαν ἐστίν, πρὸς ἣν ἂν ἕκαστον ᾖ πεποιημένον ἢ πεφυκός; »
« Mais à quoi tendent les propriétés, la beauté, la perfection d’un meuble, d’un animal, d’une action quelconque, sinon à l’usage auquel chaque chose est destinée par sa nature ou par l’intention des hommes ? »

Nous voyons que Platon dégage ici ce que l’on pourrait appeler, après Aristote, la cause finale.
Nous voyons, grâce à Platon, qu’une idée, ce n’est pas seulement la méthode de fabrication d’un concept. Bien sûr l’exemple de Platon est un lit. Un objet fabriqué par des hommes pour des hommes. La « cause finale » de la nature, si j’en crois les sciences naturelles, c’est la sélection naturelle (en réalité il ne s’agit pas vraiment d’une cause finale mais d’une illusion de finalité dans la nature). Pour le non-vivant, je ne pense même pas que l’on puisse songer à une cause finale.
Restons-en donc à l’ouvrage humain.
Celui-ci admet, dans sa définition, une certaine utilité, une finalité.
La méthode de classement instinctive, que nous retrouvons déjà chez le tout jeune enfant, admet déjà cette cause finale dans l’élaboration de ses concepts.
Un lit, c’est, par exemple, « un truc pour dormir ».
Il possède donc un fait-pour.
Il possède aussi une matière, par exemple, le bois.
Une forme, un aspect, c’est ce que nous appelions avec Kant, une méthode de fabrication.
Enfin, la quatrième cause aristotélicienne : l’artisan.
L’homme est, ou, comprend, ces quatre causes. Il sait que le bois lui servira à faire le lit, dont il connaît aussi la forme (la façon d’assembler le bois), il sait faire cet assemblage en tant qu’artisan et c’est lui qui dormira dans un lit.

La théorie des Idées de Platon renvoie donc peut-être implicitement à la théorie des quatre causes d’Aristote.
Du moins, c’est ce qui nous est apparu à la lecture de ce passage de la République.
La théorie des Idées de Platon voulait expliquer la nature de la vérité des choses qui nous entourent.
Aristote a dégagé quatre causes pour ces objets, qui les déterminent.
Nous avons vu, certes assez brièvement, que ces quatre causes ne s’appliquaient pas à tous les phénomènes du monde. Seuls les objets fabriqués par les humains peuvent avoir une cause finale.
Existe-t-il d’autres causes ?
Est-ce que la théorie des quatre causes est pleinement satisfaisante ?
Je ne le pense pas.
Il suffit de penser à la théorie quantique pour s’apercevoir que les principes de causalité les plus évidents pour nous, à notre échelle, ne le sont plus au niveau des particules élémentaires.
Pourtant, si nous restions à notre échelle, afin de philosopher depuis notre salon, à partir d’exemples simples et évidents, pourrions-nous trouver un autre aspect de la vérité ?
Heidegger le pensait.
Cet autre registre de la vérité est, je crois, ce qu’il appelait notre ouverture au monde, notre Dasein (être-là).
Il diffère des quatre causes.
Car la notion de cause correspond, en substance, à la question de savoir comment un tel objet est arrivé en notre présence.
Dans l’exemple du lit, il a fallu aller chercher du bois (une matière), l’agencer (travail de l’artisan) selon une forme (méthode de fabrication), pour y dormir (cause finale).
Mais qu’en est-il de la présence même du monde ?
Et comment faut-il l’aborder ?
Faut-il chercher les causes du fonctionnement de l’esprit humain et du monde ?
S’interroger collectivement sur les causes finales de l’activité de l’homme sur cette terre ?
Nous avons dit dans d’autres textes que morale et science se renforcent l’une et l’autre.
Donc l’un n’empêche pas l’autre, au contraire.
Heidegger, je crois, voulait attirer notre attention sur ce miracle d’être simplement au monde.
Ce miracle de la présence du monde.
Il voulait aussi, me semble-t-il, que nous comprenions notre situation dans cette présence.
Cette situation n’est pas de notre fait, nous n’en sommes pas les maîtres.
Aussi bien, nous mourrons un jour et cette présence cessera pour nous.
Nous ne sommes pas les maîtres du temps qui nous est imparti, ni de l’espace, ni finalement de la présence des phénomènes et du monde.
Cette situation, qui est la nôtre, est-elle une autre forme de la vérité ?
En tout cas, cela nous donne à penser.
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