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L'Ethique de Spinoza et la spiritualité ignatienne

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Message par Vanleers Mer 17 Mar 2021 - 9:28

Spinoza relie l’effort (conatus) de persévérer dans l’être au désir.

Spinoza a écrit:

L’effort par lequel chaque chose s’efforce de persévérer dans son être n’est rien à part l’essence actuelle de cette chose. (E III 7)

Cet effort, quand on le rapporte à l’esprit seul, s’appelle volonté ; mais quand on le rapporte à la fois à l’esprit et au corps, on le nomme appétit, lequel n’est, partant, rien d’autre que l’essence même de l’homme, de la nature de qui suivent nécessairement les actes qui servent à sa conservation ; et par suite l’homme est déterminé à les faire. Ensuite, entre l’appétit et le désir il n’y a aucune différence sinon que le désir se rapporte généralement aux hommes en tant qu’ils sont conscients de leur appétit, et c’est pourquoi on peut le définir ainsi : le désir est l’appétit avec la conscience de l’appétit. (E III 9 sc.)

Le désir est l’essence même de l’homme en tant qu’on la conçoit comme déterminée, par l’une quelconque de ses affections, à faire quelque chose (E III déf. aff. 1)

C’est, déterminé par l’une de ses affections, que l’homme fait quelque chose, ce qui rejoint la spiritualité ignatienne qui considère que l’homme est mu par deux esprits : l’esprit de consolation ou l’esprit de désolation.
Animés par une passion hostile vis-à-vis de l’autre (inspirés par l’esprit de désolation), nous serons agressifs, voire violents, à l’égard de cet autre.
A l’inverse, déterminés par une joie active (inspirés par l’esprit de consolation), nous nous affirmerons de façon pacifique.
Dans les deux cas, il y a affirmation de soi (conatus), soit de façon passionnelle et hostile, soit de façon rationnelle et pacifique.

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Message par Vanleers Ven 19 Mar 2021 - 9:08

Je poursuis, dans la même direction, le message précédent.

Quoiqu’il ait été considéré comme un « rationaliste absolu » (Gueroult), Spinoza donne une place essentielle à l’affectivité.
On l'a vu : lorsqu’un homme fait quelque chose, c’est toujours déterminé par une affection de lui-même.
Il est donc essentiel que cette affection soit une « bonne affection » et Spinoza s’emploie à montrer ce qu’est une bonne affection.
Ce sera une affection positive (une action et non une passion – affection passive), une affection qui naît d’idées adéquates, de la raison ou de la science intuitive (connaissances du deuxième et du troisième genre).
A l’inverse, une passion est une affection qui naît d’idées inadéquates,  mutilées et confuses, de la connaissance du premier genre (imagination)
De la science intuitive naît l’amour intellectuel de Dieu qui est l’affect le plus puissant qui supplante les affects passifs.
Dans l’Ethique, la science intuitive ou connaissance du troisième genre dépasse la raison ou connaissance du deuxième genre : Spinoza est un rationaliste absolu au sens où la science intuitive est le couronnement de l’Ethique.

Ignace de Loyola, lui aussi, est un rationaliste absolu car il soutient que c’est lorsque l'homme est déterminé par le bon esprit, l’Esprit de Dieu, qu’il vit pleinement.


Dernière édition par Vanleers le Ven 19 Mar 2021 - 15:34, édité 1 fois

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Message par jean tardieu Ven 19 Mar 2021 - 10:31

D'évidence, il faut tenter de se défaire des passions pathologiques.
Mais s'en remettre aveuglément à la divine providence pour vivre dans la joie n'est assurément pas suffisant : il faut s'aider pour que le ciel nous aide ce qui implique d'avoir quelquefois à se battre, tel un chien. Il faut parfois souffrir pour éviter une souffrance pire encore. On discerne mal alors quelles sont les idées adéquates de celles qui ne le sont pas et les passions pathologiques peuvent prendre le dessus, mais elles servent à doper les défenses. C'est cela, la réalité, plutôt qu'un prêchi prêcha qui n'engage que le prêcheur.

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Message par Vanleers Dim 21 Mar 2021 - 9:26

Le grand intérêt de l’Ethique est que Spinoza, très en avance sur son temps, a  construit une théorie axiomatique de l’éthique inspirée des Éléments d’Euclide.
On peut la comparer à la théorie ZF des nombres et dire que Spinoza est le Zermelo-Fraenkel de l’éthique.
Cette théorie met en évidence, par exemple, que l’« ego » est une erreur de perspective qui considère l’homme comme un être substantiel alors qu’il n’est qu’un être modal, une manière d’être.
Elle fonde une politique et même une écologie en montrant que tout homme, toute chose est un mode de la Substance unique.
Elle appelle Dieu cette Substance qui peut être également appelée Vie comme dans l’Évangile de Saint Jean (Zôê).
Elle purifie ainsi la lecture de l’Évangile de ses interprétations anthropomorphiques et superstitieuses.
De ce fait, elle éclaire la démarche pragmatique de la spiritualité ignatienne.

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Message par Vanleers Mar 23 Mar 2021 - 11:30

Je cite à nouveau une intervention de Xavier Partier déjà donnée sur un autre fil :

https://www.lefigaro.fr/livres/2014/03/13/03005-20140313ARTFIG00033-blaise-pascal-saint-ou-rebelle.php

Xavier Partier a écrit:Pascal est devenu un saint dans la nuit de novembre 1654, où il vit une espèce d'effusion de l'Esprit. Il découvre quelque chose qu'il savait mais qui lui était resté théorique, que le christianisme est la religion de l'amour: il se découvre aimé. Dans la lumière de Dieu qui l'éclaire cette nuit-là, ce scientifique imbu de sa supériorité désire se soumettre à Jésus, ce sceptique ressent une immense certitude, ce pessimiste est fasciné par la grandeur de l'âme humaine, ce cérébral éprouve un sentiment. Ce sont les mots qu'il emploie dans le compte rendu qu'il fait au matin de cette expérience, le fameux texte du «Mémorial». Pascal ne dit rien à personne, mais sa sœur remarque qu'il a une mine de «pénitent réjoui». Pascal ne devient pas parfait, mais il devient heureux. Il a compris qu'à la suite du Christ la sainteté consiste à se laisser aimer. […]

Pascal vit une expérience qui dépasse sa connaissance théorique de Dieu. Il fait une rencontre :

Xavier Patier a écrit:Il [Pascal] dit que la foi est du domaine de l'expérience amoureuse. Pendant la nuit de novembre 1654, le géomètre n'a pas fait une découverte : il a fait une rencontre.

Pascal fait l’expérience qu’il est aimé et retrouve ainsi, concrètement, le message central de l’Évangile.
« Pascal ne devient pas parfait, mais il devient heureux. Il a compris qu'à la suite du Christ la sainteté consiste à se laisser aimer. »
Pascal fait une expérience essentielle qui le rend joyeux, il réalise, intimement, que la vie en Dieu consiste simplement à se laisser aimer.
C’est une surprise comme il est surprenant de lire, au départ de la spiritualité ignatienne, que « Dieu veut le bonheur de l’homme » :

Adrien Demoustier a écrit:
A la racine de cette affirmation, il y a le rappel d’une vérité fondamentale de notre foi chrétienne, souvent méconnue parce qu’elle prend à revers l’évidence immédiate. Son acceptation demande effectivement un acte de foi : croire que Dieu veut le bonheur de l’homme parce que telle est sa très sainte et libre volonté. (op. cit. p. 7)

C’est par surprise que l’homme se met en route.

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Message par Vanleers Dim 28 Mar 2021 - 16:15

Je vois un rapport évident entre le sujet qui nous occupe sur ce fil et les mythiques « Thèses de Hambourg » qui furent arrêtées par l’Internationale Situationniste en 1961.
Ces thèses devaient rester secrètes et ne furent jamais publiées.
Debord écrivit plus tard, en 1989, qu’elles pouvaient se ramener à une seule phrase : « L’I.S. doit, maintenant, réaliser la philosophie. »
Elle évoquait une célèbre formule de Marx en 1844 dans sa Contribution à la critique de la Philosophie du Droit de Hegel.
L’éthique, en tout cas celle de Spinoza, ainsi que la spiritualité n’ont de sens que si, d’une certaine façon, elles réalisent, elles aussi, la philosophie, que si elles l’inscrivent dans la réalité pratique quotidienne et ne se contentent pas de vouloir expliquer le monde.

http://debordiana.chez.com/francais/hambourg.htm

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Message par jean tardieu Lun 29 Mar 2021 - 2:07

Se bien conduire en ce monde en échange de la vie éternelle est conforme au principe de récompense. Mais se bien conduire en croyant à la mort éternelle est bien plus méritoire et désintéressé.

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Message par Vanleers Lun 29 Mar 2021 - 17:11

Spinoza démontre, dans la dernière proposition de l’Ethique, (traduction PUF) :

Spinoza a écrit:La béatitude n’est pas le prix de la vertu mais la vertu elle-même ; et si nous en éprouvons la jouissance, ce n’est pas parce que nous contrarions les désirs [libidines], c’est au contraire parce que nous en éprouvons la jouissance que nous pouvons contrarier les désirs.

Pautrat traduit par « nous réprimons les désirs capricieux » et Misrahi par « nous réprimons nos désirs sensuels ».
La béatitude naît de la science intuitive qui est une connaissance sub specie aeternitatis.
Autrement dit, une connaissance par laquelle nous comprenons que nous n’existons pas seulement dans la durée mais que nous existons aussi dans l’éternité  car modes d’une chose éternelle : Dieu.
L’éternité n’a rien à voir avec la durée et encore moins avec le temps qui n’est qu’un auxiliaire de l’imagination ; ce n’est pas une durée infinie : l’éternité, c’est maintenant.
Selon Spinoza, la vie éternelle n’est donc pas la récompense d’une « bonne conduite » et il en est de même de l’Évangile qui fonde la spiritualité ignatienne :

Adrien Demoustier a écrit:Dieu veut le bonheur de l’homme. Tel est le présupposé de base du discernement. Par son acte créateur il a suscité et il suscite tous les jours l’homme, chacun et tous, comme un être différent de lui pour pouvoir lui communiquer sa propre béatitude. L’homme est donc, en sa racine, capacité d’être heureux, possédé du désir d’un bonheur qu’il ne peut se donner, mais qui lui est réellement communiqué. Il lui faut donc faire sien ce bonheur reçu. A lui de s’engager dans l’accueil de la béatitude pour la laisser naître et s’épanouir.

La révolution de l’Évangile, dont s’inspire le discernement ignatien, consiste à accueillir la béatitude, c’est-à-dire la Vie éternelle (Zôê) que Dieu communique à tout homme, à tout moment, sans conditions.
Il s’agit simplement, à l’inverse d’une attitude volontariste et stoïcienne, de se décentrer de soi et de se centrer sur Dieu, Source de la Vie et de la joie.

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Message par Vanleers Mer 31 Mar 2021 - 9:43

Après avoir longuement étudié les affects passifs ou passions, Spinoza termine la partie III de l’Ethique en évoquant la fortitude (fortitudo), qu’il divise en deux affects actifs ou actions : la vaillance ou fermeté (animositas) et la générosité (generositas).
Il reprend cette notion de fortitude, qui caractérise celui qu’il appelle : l’homme fort, à la fin de la partie IV.
Enfin, dans la partie V, il distingue le sage et l’ignorant.

On est donc, dans l’Ethique, en présence de deux modes d’existence : le sage ou homme fort ou homme libre et l’ignorant.
Le premier suit la raison (c’est-à-dire l’esprit en tant qu’il comprend clairement et distinctement – E IV 26 dém.) et le second est déterminé par des passions (qui dépendent des seules idées mutilées et confuses – E III 3).
L’homme fort s’affirme dans la vaillance et ses relations avec autrui sont marquées par la générosité.
L’ignorant s’affirme de façon passionnelle, ne s’estimant pas à sa juste valeur et fluctuant entre orgueil et humilité ou abjection (voir les définitions à la fin de la partie III).
Ses relations avec autrui sont marquées par l’agressivité, pouvant aller jusqu’à la violence, et que je définis comme une anti-générosité :une faiblesse d’âme, un désir, déterminé par une passion triste : la haine de l’autre, de nuire à autrui et de réduire sa puissance d’exister, en refusant tout lien d’amitié avec lui.

On retrouve cette dichotomie dans la spiritualité ignatienne.
L’homme fort est l’homme animé par l’esprit bon, source de consolation spirituelle, et l’ignorant l'homme animé par l’esprit mauvais, cause de désolation spirituelle.
Cette spiritualité se fonde sur l’Évangile qui invite l’homme à vivre dans la vaillance et la générosité.

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Message par Vanleers Jeu 8 Avr 2021 - 9:52

Martin Steffens a écrit:Le christianisme est la religion de ceux qui, ayant un jour connu un excès de joie, ayant pleinement goûté « la joie fragile et impérissable d’être né », ont ressenti l’irrépressible besoin non seulement d’entretenir cet état de grâce mais, ce qui finalement est la même chose, d’en remercier. Dieu se découvre dans le sentiment de gratitude. Et ce sentiment s’entretient par la vie sacramentelle. Tout, dans la religion chrétienne, dit le Dieu donateur, le Dieu relation, la joie d’avoir reçu et de pouvoir ainsi donner. Et tout ce qui ne dit pas cette Bonne Nouvelle, qui est le cœur du message du Christ, est nommé chrétien par erreur. On n’est pas chrétien pour telle ou telle raison : pour se rassurer, pour se consoler, pour donner un sens à sa vie (si d’ailleurs on le donne, ce sens, c’est qu’il n’en a pas…). On est chrétien comme la fauvette grisette chante : ni le chrétien ni la fauvette n’ont le choix, il leur faut dire quelle joie est la leur. (Petit traité de la joie)

Le vrai chrétien sifflote.
C’est d’ailleurs à ça qu’on le reconnaît.

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Message par Vanleers Sam 10 Avr 2021 - 9:03

Il est remarquable de constater que le but de l’Ethique : « Bien agir et être dans la joie » (bene agere et laetari) est également l’objectif de la spiritualité ignatienne.
Cette spiritualité repose sur le discernement des esprits afin d’agir, inspiré par l’esprit bon, celui qui donne la joie spirituelle (consolation).

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Message par Vanleers Mer 14 Avr 2021 - 9:49

La maxime de Spinoza : « bien agir et être dans la joie » (bene agere et laetari) s’exprime, de façon résumée dans la fortitude (fortitudo) que Spinoza introduit comme affect actif à la fin de la partie III de l’Ethique. (E III 59 sc.)

Je donne la traduction de Pierre-François Moreau aux PUF :

Spinoza a écrit:Toutes les actions qui suivent d’affects se rapportant à l’âme en tant qu’elle comprend, je les rapporte à la force d’âme, que je divise en résolution et générosité. Car par résolution j’entends le désir par lequel chacun s’efforce de conserver son être sous le seul commandement de la Raison. Tandis que par générosité j’entends le désir par lequel chacun s’efforce sous le seul commandement de la Raison d’aider les autres hommes et de les joindre à lui d’amitié.

Spinoza définit la joie et la tristesse (déf aff 2 et 3) :

Spinoza a écrit:La joie est le passage de l’homme d’une moins grande à une plus grande perfection.
La tristesse est le passage de l’homme d’une plus grande à une moins grande perfection.

En combinant ces définitions, je dirais que bien agir c’est agir afin que la joie augmente, la sienne et celle d’autrui.
Paraphrasant Saint Paul (Rom. 5, 20) : que, là où la tristesse abonde, la joie surabonde.
La joie dont il est question ici n’est pas le plaisir ou l’euphorie.
Être dans la joie, c’est plutôt « avoir le moral » et ce, même dans l’épreuve qui fait souffrir.
C’est dans ce sens aussi qu’il faut entendre la joie dans la spiritualité ignatienne, la consolation.
Le suivant de l’Evangile est ainsi l’homme qui répand la joie que lui inspire l’Esprit.

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Message par Vanleers Lun 19 Avr 2021 - 9:50

Je cite, à nouveau, un extrait de Vers le bonheur durable, introduction à la spiritualité ignatienne :

Adrien Demoustier a écrit:De cet affrontement [de difficultés et d’obstacles] une leçon se dégage peu à peu. Elle apprend à distinguer, d’une part ce qui agit d’abord à partir de la tête pour répercuter ensuite dans l’affectivité et finalement l’être tout entier en provoquant le désaccord et la division de l’être, et, d’autre part ce qui se vit à la fois dans la tête et dans l’affectivité selon un mouvement qui les accorde l’une à l’autre. Il convient donc de distinguer ce qu’on peut appeler l’activité mentale et l’activité affective ou psychique à laquelle sont liées des réactions corporelles.
Selon la tradition spirituelle, l’esprit n’est pas d’abord l’affectivité, mais plus précisément le centre à partir duquel l’unité de ces deux dimensions peut se faire.

Il apparaît que deux approches du monde peuvent être envisagées : une approche abstraite et une approche spirituelle.
L’approche abstraite isole dans le monde ce qui correspond à nos idées et nos préjugés .
L’approche spirituelle est une approche holistique dans laquelle nous nous mettons en présence du monde dans toutes ses dimensions : intellectuelle, affective et corporelle.
L’expérience montre que l’approche spirituelle est source de joie alors que l’approche abstraite « en provoquant le désaccord et la division de l’être » provoque trouble et tristesse.
L’art de la vie consistera à ne pas oublier de se placer dans une perspective spirituelle.

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Message par Vanleers Lun 26 Avr 2021 - 10:08

Si on a pu dire que la philosophie de Spinoza était une philosophie de la joie, il faut ajouter que cette philosophie débouche, dans la partie V de l’Ethique, sur une philosophie de la béatitude.
Spinoza définit la béatitude au chapitre 4 de l’Appendice de la partie IV :

Spinoza a écrit:la béatitude n’est rien d’autre que la satisfaction même de l’âme [ipsa animi acquiescentia] qui naît de la connaissance intuitive de Dieu
(traduction Pautrat)

Pierre-François Moreau traduit ipsa animi acquiescentia par « la satisfaction intérieure même ».
Cette expression renvoie à la satisfaction de soi que Spinoza définit dans la partie III (déf. 25) :

Spinoza a écrit:La satisfaction de soi-même [acquiescentia in se ipso] est une joie qui naît de ce que l’homme se représente lui-même ainsi que sa propre puissance d’agir.
(traduction P.F. Moreau)

Si l’acquiescentia in se ipso est bien une joie, la béatitude (ipsa animi acquiescentia) n’en est pas exactement une, comme Spinoza le note dans le scolie d’E V 33 :

Spinoza a écrit:Si la joie consiste dans le passage à une plus grande perfection, la béatitude assurément doit consister pour l’âme à posséder la perfection elle-même.

Pascal Sévérac précise et montre même que la béatitude peut être contemporaine de la tristesse (Spinoza Union et désunion p. 252) :

Pascal Sévérac a écrit:La béatitude ne saurait donc être une transition de perfection, enveloppant une certaine durée, mesurée par un certain temps ; et c’est pourquoi le terme même de « joie » décrit mal ce que nous éprouvons( voir E V 33 sc. Et V 36 sc.). La béatitude, ou amour intellectuel de Dieu, est la réjouissance (gaudium) de la perfection même, quels que soient par ailleurs son augmentation ou sa diminution, ses adjuvants ou ses empêchements… Est-ce à dire que la béatitude n’est pas nécessairement gaie, et qu’il serait possible d’éprouver sa liberté même dans la tristesse ? La béatitude est satisfaction de l’esprit, jouissance de perfection, réjouissance de son union avec Dieu ; elle ne saurait donc être, en elle-même, diminution de puissance, passion de tristesse. Mais si nous la comprenons dans l’unité concrète de la durée et de l’éternité, la béatitude peut alors se concevoir comme contemporaine d’une tristesse, puisque pour diminuer en perfection, il faut en être doté : s’il est possible de jouir de sa perfection en même temps qu’on en perd, alors on peut être béat et triste à la fois. Cette béatitude est alors vécue comme un pôle de résistance à tout amoindrissement de la vie en soi : amour envers Dieu, elle affirme la puissance infinie du réel en notre être singulier. Bien plus, amour de notre esprit pour Dieu, la béatitude se comprend et se vit comme participation à l’amour infini que Dieu se porte à lui-même. Le réel, en toutes ses dimensions, pensée et matière à la fois, est aussi affect, c’est-à-dire puissance d’amour éternel et infini dont tout être vivant, à la mesure de son esprit et de sa conscience, fait l’expérience.

On verra dans le prochain post le lien de la béatitude spinozienne avec la joie évangélique.

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Message par Vanleers Mar 27 Avr 2021 - 9:08

On l’a vu, la béatitude, que Spinoza définit comme « la satisfaction intérieure même » (ipsa animi acquiescentia), n’est pas une joie à proprement parler mais « la réjouissance (gaudium) de la perfection même, quels que soient par ailleurs son augmentation ou sa diminution, ses adjuvants ou ses empêchements… » (Pascal Sévérac).
Elle peut être « contemporaine d’une tristesse ».
Or, les tristesses sont inévitables car, comme le montre la proposition E IV 4 et son corollaire :

Spinoza a écrit:Il est impossible que l’homme ne soit pas une partie de la Nature, et ne puisse subir d’autres changements que ceux qui se peuvent comprendre par sa seule nature et dont il est cause adéquate.

Il en résulte que l’homme, nécessairement, est toujours en proie aux passions et suit l’ordre commun de la nature, qu’il lui obéit et qu’il s’y adapte autant que la nature des choses l’exige.

Jean Gouvernaire, commentant les Exercices Spirituels d’Ignace de Loyola (Mener sa vie selon l’esprit op. cit.) va dans le même sens.
Il écrit que la béatitude « est un contentement au fond de l’âme : on est content de Dieu, d’être avec lui. […] Ce contentement peut coexister avec un malaise physique, une souffrance, une épreuve morale. » (p. 12)
Nous avons déjà vu, avec Adrien Demoustier, que la consolation, autre nom de la béatitude dans la spiritualité ignatienne, est toujours offerte, quelles que soient les circonstances.
Cette spiritualité s’enracine dans l’Évangile et prend pour modèle la figure du Christ qui a vécu dans la béatitude, même quand il a du affronter la mort.
Jésus n’est pas quelqu’un qui a prêché une doctrine mais celui qui, par ses paroles et ses actes a enseigné une manière de vivre dans la béatitude dans toutes les circonstances de la vie, aussi défavorables et attristantes soient-elles.

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Message par Vanleers Lun 21 Juin 2021 - 12:39

Au début des Exercices spirituels, Ignace de Loyola écrit un « Principe et fondement » qui « fait entrer dans l’expérience des Exercices, est le commencement et l’esprit de tout leur cheminement » (voir référence plus loin).

Ignace de Loyola a écrit:L’homme est créé pour louer, révérer et servir Dieu notre Seigneur et par là sauver son âme, et les autres choses sur la face de la terre, sont créées pour l’homme, et pour l’aider dans la poursuite de la fin pour laquelle il est créé.
D’où il suit que l’homme doit user de ces choses dans la mesure où elle l’aident pour sa fin et qu’il doit s’en dégager dans la mesure où elles sont, pour lui, un obstacle à cette fin. Pour cela il est nécessaire de nous rendre indifférents à toutes les choses créées, en tout ce qui est laissé à la liberté de notre libre-arbitre et ne lui est pas défendu ; de telle manières que nous ne voulions pas, pour notre part, davantage la santé que la maladie, la richesse que la pauvreté, l’honneur que le déshonneur, une vie longue qu’une vie courte et ainsi de suite pour tout le reste, mais que nous désirions et choisissions uniquement ce qui nous conduit davantage à la fin pour laquelle nous sommes créés.

Le « Principe et fondement » est la base d’une éthique, c’est-à-dire d’un art de vivre, selon la spiritualité ignatienne.
Il fait l’objet d’un commentaire d’Adrien Demoustier en :

https://www.jesuites.com/le-principe-et-fondement-exercices-spirituels/

On fera part, ici, de quelques réflexions sur ce commentaire.

1) « L’homme est créé »
Le verbe est au présent ce que l’on peut rapprocher de la deuxième manière d’être selon Spinoza, c’est-à-dire « l’existence même des choses singulières en tant qu’elles sont en Dieu » (Ethique II 45 sc. - voir aussi V 29 sc.)

2) « pour louer... »

« Dans l’acte de louer, nous reconnaissons implicitement que ce que nous considérons est bien et bon », écrit A. Demoustier.
Autrement dit, Ignace nous invite à célébrer la Vie, à « habiter le monde en poète » pour reprendre une expression de Hölderlin citée dans des posts précédents.

3) « sauver son âme »

Adrien Demoustier a écrit:Il ne s’agit ni de se dissoudre en Dieu ni de se prendre soi-même comme fin, il s’agit de recevoir totalement de Dieu la grâce d’être entièrement soi-même. En louant, respectant et servant, l’homme donne à Dieu d’être Dieu et, dans un même mouvement, donne à lui-même d’être pleinement homme.

En louant, respectant et servant Dieu, l’homme se décentre radicalement de lui-même, se libère de son moi.
Le Principe et fondement d’Ignace est essentiellement libérateur.
C’est ce qu’écrit Spinoza dans le scolie d’Ethique V 36 : notre salut, autrement dit notre liberté, consiste dans un amour constant et éternel envers Dieu, c’est-à-dire dans l’amour de Dieu envers les hommes.

A suivre

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Message par Vanleers Mar 22 Juin 2021 - 10:01

Je poursuis la réflexion sur le Principe et fondement d’Ignace de Loyola et son commentaire par Adrien Demoustier.

1) Je reviens à l’expression : « L’homme est créé pour louer, révérer et servir Dieu notre Seigneur et par là sauver son âme ».
Que faut-il entendre par « sauver son âme » ?
Spinoza nous éclaire dans le scolie d’Ethique V 36 où il pose comme équivalents : salut, béatitude et liberté
Je dirais donc que sauver son âme, c’est vivre dans la béatitude et la liberté.
Plus simplement, louer, révérer et servir Dieu nous libère de nous-mêmes et nous donne la plus grande joie : c’est ça, sauver son âme.

2)
Adrien Demoustier a écrit:Or n’étant pas Dieu, l’homme n’est pas pure relation de sujet à sujet, il est à la fois objet et sujet, il participe aussi du monde des choses. Ainsi l’enjeu de l’existence – la suite du texte l’exprimera clairement – est de se libérer d’un attachement désordonné aux choses, y compris à l’égard de ce qui en nous et en nos semblables participe du monde des choses afin de les utiliser pour choisir Dieu, qui seul permet la relation de sujet à sujet, de soi avec Dieu et de soi avec l’autre homme. L’homme se situe en une position intermédiaire puisqu’il est chose et sujet et, sous ce dernier rapport, comme Dieu. Le rapport aux choses ne doit pas l’absorber mais le révéler comme sujet.

En remplaçant « sujet » par « personne » et « objet » par « chose », le Principe et fondement nous libère de la réification et nous ouvre à la personnalisation, notamment à la relation de personne à personne avec les autres hommes.
On peut parler ici de « développement personnel » si l’on entend par là une personnalisation obtenue par la spiritualisation, qui est une humanisation de l’homme.
Diverses pratiques de développement personnel gagneraient à intégrer explicitement une dimension spirituelle et humanisante à leurs actions.

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Message par Vanleers Lun 28 Juin 2021 - 10:53

Pierre Zaoui a écrit un article intéressant Spinoza et la joie en :

https://www.philomag.com/articles/spinoza-et-la-joie

L’auteur rappelle que, selon Spinoza, les joies sont toujours bonnes lorsqu’elles sont issues de la compréhension juste des choses :

Pierre Zaoui a écrit:Tout d’abord, Spinoza fait attention à clairement distinguer entre deux sortes de joie : les passives et les actives. Or, les premières, issues de nos rencontres de hasard, sont toujours bonnes en soi mais aussi toujours dangereuses tant elles dépendent des moindres variations du hasard : que l’on nous retire ce (ceux) que nous aimons tant, et nos plus grandes joies deviennent nos plus grands supplices. Les secondes, en revanche, issues de la raison, de la compréhension juste des choses, c’est-à-dire de ce en quoi elles sont vraies et d’une certaine manière éternelles, sont fiables et ne varient pas. En elles seules, on peut donc trouver notre salut ou notre liberté ; elles sont le contraire d’une foi, d’une soumission passive, puisqu’elles sont pures actions, tout comme le bonheur chez Aristote se définissait comme action et non comme récompense.

Plus loin, Pierre Zaoui insiste à nouveau sur « la compréhension adéquate des êtres et des événements singuliers de ce monde » d’où peuvent naître de vraies joies :

Pierre Zaoui a écrit:Il ne faut donc pas se tromper sur la philosophie spinoziste de la joie. Ce n’est pas la philosophie optimiste d’une époque bienheureuse où l’on pouvait encore croire, sinon au meilleur des mondes possibles, du moins au progrès et à la marche irrésistible du bonheur sur terre. C’est une philosophie ni optimiste, ni pessimiste, qui prône bien moins « la » joie en général que la compréhension adéquate des êtres et des événements singuliers de ce monde, compréhension d’où peuvent s’extraire des joies actives et multiples qui prennent très vite des noms bien plus précis que celui de joie.

Ignace de Loyola appelle « consolation » la vraie joie et la rapporte à Dieu.
La consolation est un affect qui, selon l’axiome 3 de la partie II de l’Ethique, s’accompagne nécessairement d’une idée.
Comprendre que la consolation vient de Dieu, c’est avoir l’idée que le monde  est créé par Dieu, idée adéquate dans la spiritualité ignatienne.

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Message par Vanleers Lun 28 Juin 2021 - 16:22

La vraie joie, selon Spinoza, est la joie active issue de la compréhension juste des choses (Zaoui, cf. post précédent).
Ignace de Loyola l’appelle « consolation ». Cette joie possède « une tonalité particulière, celle d’être vécue comme action de grâce, dans la clarté et la reconnaissance du don de Dieu » (Adrien Demoustier – Vers le bonheur durable p. 33).
On pourrait l’appeler une « joie cosmique » qui naît lorsque l’homme est « conscient de soi, de Dieu et des choses » (Ethique V 42 sc.)

Cette joie véritable est à l’opposé de la schadenfreude, de la joie mauvaise à l’idée du malheur d’autrui. Voir :

https://www.franceculture.fr/emissions/le-malheur-des-uns/schadenfreude-la-joie-mauvaise-a-lidee-du-malheur-dautrui

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Message par Vanleers Ven 2 Juil 2021 - 15:26

Dominique Collin, dans l'ouvrage déjà cité : L’Évangile inouï, soutient que le texte des évangiles nous appelle à vivre autrement, dans la joie :

Dominique Collin a écrit:Il y a donc une manière d’entendre l’Écriture ou, plutôt, de ne pas l’entendre, qui se contente de la lire (et cette lecture peut être rigoureuse, appliquée, savante ou bien pieuse) sans y entendre qu’elle nous met au défi d’exister : qu’advient-il de toi ? Ou, encore : sans accepter que l’écoute du texte nous mette hors de soi (il faudrait dire : hors de son « moi ») comme le furent les femmes « expulsées » par le tombeau vide. Le texte me met hors de « moi » quand j’accepte d’être atteint par les effets déstabilisants qu’il provoque, à savoir des effets de déprise : d’interrogation, de déplacement, de résistance aussi, mais surtout, de joie. En effet, grâce au travail de réfléchissement opéré par le livre-miroir des Écritures, une lumière nouvelle me fait voir ce qui, jusque-là, était obscurci, la possibilité d’exister autrement, de vivre vraiment. Il y a là l’expérience d’une joie nouvelle. Et plus ce réfléchissement s’approfondit, plus la joie s’active en moi. Alors, non seulement je comprends que le texte me comprend – et c’est déjà là source de joie –, mais en plus j’arrive à me comprendre vraiment comme un Soi orienté vers la joie. Ainsi, à elle seule, la lecture – et la compréhension nouvelle qu’elle fait naître – est source de joie. Joie qui s’approfondit et se répète dans ce qu’elle rend possible : la sortie de l’angoisse. Cet à-venir a pour nom la Joie. « Maintenant je vais à toi et je dis ces paroles dans le monde pour qu’ils aient en eux ma joie dans sa plénitude » (Jn 17, 13). Une parole nous est adressée de la part de la Joie, pour que nous comprenions que toute notre vie trouve en elle son Alpha et son Oméga.
Grâce à l’effet de déprise qu’offre la Joie, la tristesse qui consiste à maudire la vie – et donc, fatalement à se maudire soi-même – est « convertie » en bonheur d’exister. Bien sûr, la tentation du « dévivre » ne disparaîtra pas d’un coup de baguette magique. C’est là un fantasme du « moi ». C’est pourquoi il nous faut sans cesse réentendre la parole de la Vie, regarder à nouveau ce que nous entendons et ne pas laisser tomber dans l’oubli la compréhension nouvelle de notre Soi que le texte nous a révélée. On n’a donc jamais fini de s’exposer au miroir de la parole, de se comprendre à sa lumière. Ainsi l’écoute est comme la Vie : une reprise à l’infini. La Vie, en effet, est inséparable de ce qui commence au lieu de finir, de ce qui s’affranchit au lieu de rester emmuré, de ce qui est encore à dire au lieu de tenir à ce qui a été dit. (pp. 116-117)

On continuera la lecture de L’Évangile inouï avant de le confronter à l’Ethique de Spinoza.

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Message par Vanleers Sam 3 Juil 2021 - 9:27

On a vu, dans le post précédent, que Dominique Collin pose la question : « Quel effet cela fait-il d’entendre l’Évangile ? » et répond que c’est faire l’expérience d’une joie nouvelle.
Nous comprenons alors que « toute notre vie trouve en elle [la Joie] son Alpha et son Oméga ».
D. Collin développe et explicite ce point :

Dominique Collin a écrit:On comprend que « Fils » est une métaphore pour dire celui qui existe en recevant d’un Autre la grâce d’être justifié d’exister ; et que « Père » est la métaphore pour dire celui qui aime l’Autre de manière inconditionnée. Être « Fils » dit, de manière métaphorique, la Vie en tant qu’elle a le pouvoir de se dessaisir d’elle-même et le pouvoir de se reprendre. « Le Père m’aime parce que je me dessaisis de ma vie pour la reprendre ensuite » (Jn 10, 17).
Telle est bien la révélation inouïe qui nous découvre enfin qui nous sommes en réalité : « Et voici ce témoignage : Dieu nous a donné la Vie vivante et cette Vie est en son Fils. Qui a le Fils a la Vie ; qui n’a pas le Fils n’a pas la Vie » (1 Jn 5, 11-12). Oui, la Vie est dans un Fils qui reçoit qui il est d’un Autre et qui, de ce don sans cesse offert, fait de sa Vie une Vie donnée. En ce « Fils », chacun découvre son origine filiale, laquelle prend pour lui une valeur inestimable, que la réussite ou la renommée ne peuvent envier. Sa joie, alors, est complète puisqu’il entend, adressée à lui, la parole qui dit son origine : « Tu es mon Fils bien-aimé, en toi j’ai plaisir ! » (Mc 1, 11). Ainsi, le « commencement » de l’Évangile de Marc n’est pas le début d’une histoire ancienne mais la révélation toujours actuelle de ce qui est le « bon fond » de chacun : la parole qui fait de nous, « dès à présent, des enfants de Dieu » (1 Jn 3,2).
« En toi j’ai plaisir [eudokèsa] ! » Et si nous n’avions pas encore entendu que l’Évangile est l’annonce d’un plaisir tel qu’il lui donne dans toute sa plénitude le nom de Joie ? N’est-ce pas, en définitive, l’indice que nous sommes parvenus à cette compréhension nouvelle : le sentiment d’une Joie sans mesure ? Une Joie accordée à Soi. Qu’une telle Joie soit possible, surgissant de rien, que rien ne vient expliquer, est le signe le plus fiable de l’effet de la parole de la Vie. (pp. 120-121)

On essaiera de rapprocher ce texte de l’Ethique de Spinoza dans le prochain post.

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Message par Vanleers Dim 4 Juil 2021 - 9:28

Selon Dominique Collin l’Évangile est « la révélation inouïe qui nous découvre enfin qui nous sommes en réalité » : l’Évangile est « la parole qui fait de nous, « dès à présent, des enfants de Dieu » (1 Jn 3,2) ».
L’origine filiale des hommes trouve un écho dans l’Ethique lorsque Spinoza distingue deux modes d’existence et considère « l’existence même des choses singulières en tant qu’elles sont en Dieu » :

Spinoza a écrit:Ethique II 45 scolie :
Par existence je n’entends pas ici la durée, c’est-à-dire l’existence en tant qu’elle est conçue abstraitement et comme quelque aspect de la quantité. Car je parle de la nature même de de l’existence, qui est attribuée aux choses singulières parce que de l’éternelle nécessité de Dieu suivent une infinité de choses en une infinité de modes (voir prop. 16 p. I). Je parle, dis-je, de l’existence même des choses singulières en tant qu’elles sont en Dieu. Car même si chacune est déterminée par une autre chose singulière à exister d’une façon précise, cependant la force par laquelle chacune persévère dans l’existence suit de l’éternelle nécessité de la nature de Dieu. Sur ce point voir le corollaire de la proposition 24 de la première partie.

Si le langage de l’Évangile est poétique et utilise la métaphore pour marquer l’origine divine de l’homme, celui de l’Ethique est logique et rationnel et pose que Dieu est cause de l’être des choses (ratio essendi, expression empruntée à la scolastique dans le corollaire d’Ethique I 24).
L’Évangile invite l’homme à connaître ou reconnaître que son statut éthique est d’être un fils de Dieu que l’on peut appeler le Père, ou la Vie vivante (Zôê), la Source ou la Joie. « Une parole nous est adressée de la part de la Joie, pour que nous comprenions que toute notre vie trouve en elle son Alpha et son Oméga »  (D. Collin).
Le système de l’Ethique établit que le statut ontologique de l’homme est d’être un mode de la Substance que Spinoza appelle Dieu. C’est sur ce statut ontologique que Spinoza fonde une éthique de la joie.

Avec des approches et des vocabulaires différents, il y a une remarquable convergence entre l’Évangile et l’Ethique qui proposent, l’un et l’autre, une éthique de la joie fondée sur la connaissance vraie de Dieu.

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Message par Vanleers Mer 7 Juil 2021 - 9:20

Dominique Collin a fait un exposé sur « La foi comme conviction incertaine » qu’on peut écouter en :

https://www.youtube.com/watch?v=opO3RPIdaIk

Ce qui est surprenant, c’est que ce théologien dominicain considère que Nietzsche est l’un des grands théologiens du christianisme et même un docteur et Père de l’Église car il fut un grand pourfendeur d’un Dieu qui fait honte à l’homme.
Nietzsche dénonce ce Dieu dans la pensée 135 du Gai savoir que signale D. Collin :


Nietzsche a écrit:Ici l’on admet un Dieu puissant, d’une puissance suprême, et pourtant un Dieu vengeur. Sa puissance est si grande que l’on ne peut en général pas lui causer de dommage, sauf pour ce qui est de l’honneur. Tout péché est un manque de respect, un crimen læsæ majestatis divinæ — et rien de plus ! Contrition, déshonneur, humiliation — voilà les premières et dernières conditions à quoi se rattache sa grâce ; il demande donc le rétablissement de son honneur divin ! Si d’autre part le péché cause un dommage, s’il s’implante avec lui un désastre profond et grandissant qui saisit et étouffe un homme après l’autre, comme une maladie — cela préoccupe peu cet oriental avide d’honneurs, là-haut dans le ciel : le péché est un manquement envers lui et non envers l’humanité !

D. Collin appuie la thèse qu’il défend dans son exposé sur un autre extrait du Gai savoir :

Nietzsche a écrit:273
Qui appelles-tu mauvais ? — Celui qui veut toujours faire honte.
274
Que considères-tu comme ce qu’il y a de plus humain ? — Épargner la honte à quelqu’un.
275
Quel est le sceau de la liberté réalisée ? — Ne plus avoir honte devant soi-même.

« Épargner la honte à quelqu’un » est le leitmotiv de l’exposé et conduit D. Collin à poser la thèse que la foi chrétienne consiste à épargner la honte à quelqu’un.

Il termine son exposé en citant un passage de la pensée 29 de l’Antéchrist :

Nietzsche a écrit:Que signifie la « bonne nouvelle » ? La vie véritable, la vie éternelle est trouvée, on ne la promet pas, elle est là, elle est en vous : C’est la vie dans l’amour, dans l’amour sans déduction, sans exclusion, sans distance. Chacun est enfant de Dieu

Un mot de commentaire.

La honte (pudor) est une passion triste :

Spinoza a écrit:La honte est la tristesse qu’accompagne l’idée d’une de nos actions que nous imaginons blâmée par d’autres. (Ethique III déf. Aff. 31)

Épargner la honte à quelqu’un entre dans l’attitude plus générale consistant à ne pas attrister la vie, que l’on peut résumer par le commandement éthique :

« Tu n’attristeras pas la vie ».

Tournure négative comme dans le « Épargner la honte à quelqu’un », ce que note D. Collin, en le mettant en rapport avec les commandements de la Bible (« Tu ne ... »)

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Message par Vanleers Jeu 8 Juil 2021 - 9:10

Le commandement éthique : « Tu n’attristeras pas la vie », qui a une tournure négative, est supplanté par le précepte positif : « Vis dans la joie ».

Ce précepte est à la base de la spiritualité ignatienne qui se fonde sur le désir de vivre dans la consolation spirituelle, c’est-à-dire la joie.
Spinoza, lui, montre que l’essence de l’homme est le désir de vivre dans la joie et que la tristesse ne peut être réduite ou supplantée que par un affect contraire, c’est-à-dire par la joie.
Le précepte « Vis dans la joie » avait déjà été formulé dans l’Ancien Testament :
« J’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta postérité » (Dt 30, 19).

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Message par Vanleers Mar 13 Juil 2021 - 9:42

Nicolas Rousselot commente les notions de « consolation » et « désolation » chez Ignace de Loyola dans un article en :

https://books.openedition.org/larhra/4634?lang=fr

Nicolas Rousselot a écrit:Ignace ira plus loin encore. Il ira jusqu’à appeler « consolation »« tout accroissement de foi, d’espérance et de charité, et toute allégresse intérieure qui appelle et attire aux choses célestes ». L’âme n’arrive pas à une étape où, comme de l’extérieur, un bien spirituel lui est donné. Au contraire, la consolation est un moment et un mouvement où l’âme s’éprouve attirée. Le « quand » et le « tout » indiquent que la vie de chaque personne, dans toutes ses composantes, peut être l’occasion d’éprouver cette relation singulière qu’elle a nouée avec Dieu. Ce nouveau plaisir a une saveur incomparable. Elle prend conscience qu’elle le reçoit d’un Autre, même si ce plaisir diffère de tous les autres plaisirs, puisqu’il n’exclut pas le déplaisir. Même dans la désolation la plus profonde, elle expérimente que quelqu’un se tient à ses côtés.
Ignace donne un titre à sa définition de la consolation : « De la consolation spirituelle », soulignant que cette visite de consolation est bien « spirituelle ». L’Esprit du Christ ressuscité est à l’œuvre en toute consolation humaine produisant une véritable allégresse intérieure, c’est-à-dire une sorte de libération intérieure de la personne lui donnant joie et légèreté.

A noter que la consolation est une visite qui survient à l’occasion, qu’elle est donnée par un Autre et qu’elle est spirituelle au sens que «  L’Esprit du Christ ressuscité est à l’œuvre en toute consolation humaine ».
Cela suffit à distinguer la consolation de la béatitude au sens de Spinoza qui, elle, résulte de l’effort de l’homme à comprendre les choses selon la connaissance du du troisième genre.
Remarquons toutefois que Spinoza parle de l’Esprit du Christ dans l’Ethique (scolie d’ E IV 68) à propos de la liberté  que l’homme a laissé échapper :

Spinoza a écrit: – liberté que les Patriarches ont plus tard recouvrée, guidés par l’Esprit du Christ, c’est-à-dire par l’idée de Dieu, de laquelle seule dépend que l’homme soit libre, et qu’il désire pour le reste des hommes le bien qu’il désire pour soi, comme plus haut (en vertu de la proposition 37) nous l’avons démontré.

Ajoutons que si la consolation produit «  une véritable allégresse intérieure, c’est-à-dire une sorte de libération intérieure de la personne lui donnant joie et légèreté », la béatitude, elle aussi, est libératrice comme le précise le scolie d’Ethique V 36.

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Message par Vanleers Sam 17 Juil 2021 - 9:37

Le commandement éthique, sous sa forme négative : « Tu n’attristeras pas la vie », a une traduction dans le Non ridere, non lugere neque detestari, sed intelligere du Tractatus Politicus.
« Ne pas ricaner, ne pas déplorer, encore moins maudire, mais seulement comprendre » est en effet un impératif éthique que Spinoza avait déjà exprimé au début de la préface de la partie III de l’Ethique, dans laquelle il se propose d’étudier les affects:

Spinoza a écrit:Ceux qui ont écrit sur les affects et la façon de vivre des hommes semblent, pour la plupart, faire comme s’il s’agissait non pas de choses naturelles, qui suivent les lois communes de la nature, mais de choses qui sont en dehors de la nature. Plus encore, ils semblent concevoir l’homme dans la nature comme un empire dans un empire. Car ils croient que l’homme trouble l’ordre de la nature plus qu’il ne le suit, qu’il a sur ses actions une puissance absolue, et que rien ne le détermine que lui-même. Ensuite, au lieu d’attribuer à la puissance commune de la nature la cause de l’impuissance et de l’inconstance humaine, ils l’attribuent à je ne sais quel vice de la nature humaine, et se mettent donc à en pleurer, à en rire, à la mépriser ou, cas le plus fréquent, à la maudire : qui sait reprendre avec le plus d’éloquence ou de subtilité l’impuissance de l’âme humaine est tenu pour quasiment divin.

Il conclut sa préface en écrivant qu’au lieu de« ricaner, déplorer, maudire », il va simplement chercher à comprendre la nature humaine et ses affects :

Spinoza a écrit:Je vais par conséquent traiter de la nature et des forces des affects, comme de  la puissance que l’âme a sur eux, selon la même méthode dont j’ai usé dans les parties précédentes à propos de Dieu et de l’âme, et je considérerai les actions des hommes et leurs appétits comme s’il était question de lignes, de surfaces ou de corps.

Dans la spiritualité ignatienne, le « ricaner, déplorer, maudire » relève de l’esprit mauvais et il importe d’en prendre conscience : c’est l’objet du discernement spirituel.
L’esprit mauvais a pour nom, dans la Bible, le satan , l’accusateur et, je dirais, l’inquisiteur.
Il faut être vigilant car il n’est que trop facile de se laisser entraîner à jouer les Torquemada.

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