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La liberté chez Arendt

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Message par baptiste Sam 22 Fév 2014 - 8:52

Ou plus exactement ce que j'en ai compris, pour faire suite à une autre discussion.



Pour Arendt, les théories nous enseignent que nous ne sommes libres de rien ( c'est Courtial qui va être content  La liberté chez Arendt 4017359721 ) ni du principe causal qui régit le monde extérieur, ni de la causalité de notre monde intérieur, on ne peut transposer la liberté du domaine politique des affaires humaines en général au domaine intérieur, cette liberté du moi n’est qu’une certaine flexibilité de notre esprit face à des situations entièrement nouvelles.

Pour elle la liberté est la condition qui fait que les hommes existent ensemble dans une organisation politique. « La raison d’être de la politique est la liberté et son champ d’expérience est l’action » Arendt La crise de la culture
L’expérience de liberté intérieure, où le moi est à l’abri du monde, ne doit pas être confondu avec celle de l’esprit qui ne fonctionne qu’en relation avec le monde. La première expérience que nous faisons de la liberté est celle de la réalité tangible dans le monde, mais le statut de l’homme libre ne découle pas de l’acte de libération. Etre libre exige, outre la simple libération, la constitution d’un espace public commun où rencontrer ses semblables, un monde politiquement organisé qui garantisse à chacun des hommes libres la capacité de s’insérer par la parole et par l’action.

Agir, c'est prendre, grâce à la parole, des initiatives originales qui auront pour effet d'aménager l'espace politique du monde commun. L'action a donc, chez elle, un contenu étroitement "politique". C'est pourquoi chez Arendt, action et responsabilité sont indissolublement liés comme deux aspects de la même réalité : la liberté. Si être libre, c'est être libre d'agir et qu'être libre d'agir, c'est être libre d'entreprendre du nouveau, il faut bien que l'entreprise d'un individu donné soit soumise à l'appréciation des autres individus dont l'entreprise risque de modifier les conditions d'existence, et, par conséquent aussi, les conditions d'exercice de leur propre liberté. En d'autres termes, le principe de responsabilité est la cause nécessaire du principe de liberté. Arendt donne au principe de responsabilité un contenu en l'attachant à la mémoire collective qui fonde l’histoire.

Faisant référence d’abord au discours de Charles Ier sur l’échafaud « Ce ne fut pas par désir de liberté que le peuple exigea finalement de participer au gouvernement ou être admis dans le domaine politique mais par méfiance envers ceux qui détenaient le pouvoir sur sa vie et ses biens » Elle poursuit « … les hommes ne sont libres aussi longtemps qu’ils agissent, ni avant ni après ; en effet être libre et agir ne font qu’un…  "la liberté ... est réellement la condition qui fait que les hommes vivent ensemble dans une organisation politique. Sans elle, la vie politique comme telle serait dépourvue de sens. La raison d'être de la politique est la liberté, et son champ d'expérience est l'action. Cette liberté, que nous prenons pour allant de soi dans toute théorie politique ... est l'opposé même de la "liberté intérieure", cet espace intérieur dans lequel les hommes peuvent échapper à la contrainte extérieure et se sentir libres .... La liberté, envisagée dans ses rapports avec la politique, n'est pas un phénomène de la volonté…. La liberté comme inhérente à l'action est peut-être illustrée le mieux par le concept machiavélien de virtù, l'excellence avec laquelle un homme répond aux occasions que le monde lui révèle sous la forme de la fortuna. Son sens est rendu de la meilleure façon par "virtuosité", c'est-à-dire la perfection que nous attribuons aux arts d'exécution (différents des arts créateurs de fabrication) où l'accomplissement consiste dans l'exécution-même et non dans un produit fini qui survit à l'activité qu'elle a amené à l'existence ... Comme toute action comprend un élément de virtuosité, et puisque la virtuosité est la perfection que nous attribuons aux arts d'exécution, la politique a souvent été définie comme un art…le fait que sa conservation dépende d’une manière absolue d’actes postérieurs désigne l’Etat comme un produit de l’action " (Arendt, la Crise de la Culture)  "l'action, dans la mesure où elle se consacre à fonder et à maintenir des structures politiques, crée la condition du souvenir, c’est-à-dire de l’Histoire" (Arendt, Condition de l’Homme Moderne).

Pour elle la liberté est une valeur positive, l'action pensée, celle qui implique ce qui en l'humain le démarque du comportement simplement spontané, c’est-à-dire la réflexion, doit aussi avoir une visibilité sociale afin de pouvoir être une valeur collective. Cette condition exclut la liberté intérieure des Stoïciens et Bouddhistes. La liberté dont nous parle Arendt est le contraire du spontanéisme qui donne la valeur principale à la liberté comme spontanéité, la spontanéité, pour elle, ce n'est pas l'utopie d'un monde meilleur, juste la misère du monde présent à travers la victoire du « moi souverain ».

En bonne universitaire elle parle du stoïcisme en se référant à Zénon et Lucrèce, méprisant ce que firent Cicéron, Sénèque et Marc-Aurèle, elle oublie que le stoïcisme ne fut finalement pas l’école de l’indifférence ou de l’impassibilité de ses théoriciens, mais celle du discernement et de l’humilité. Pour reprendre Marc-Aurèle qui résume toute entière dans ces phrases la relation de l’éthique et de la politique pour un stoïcien: «  il faut avoir la force d’accepter ce que l’on ne peut changer, le courage de changer ce que l’on peut et la sagesse de discerner l’un de l’autre. » et encore « Ne consume pas le peu qui te reste de vie en des pensées qui ne concernent que les autres, à moins que ce que tu fais ne se rapporte à l'intérêt commun… »

Elle explique que les stoïciens d’abord, Saint Paul ensuite puis les premiers intellectuels chrétiens éduqués dans la tradition grecque ont introduit un principe nouveau «  la volonté » qui a eu pour effet, mais peut-être était ce le but, d’attirer toute l’attention vers « l’intériorité » au détriment du monde extérieur. Arendt reprend donc l’analyse paulinienne dans l’Epître aux Romains (Livre 7) : « Qu’est-ce à dire ? Que la Loi est péché ? Certes non ! Seulement je n’ai connu le péché que par la Loi. Et de fait, j’aurais ignoré la convoitise si la Loi n’avait dit : Tu ne convoiteras pas ! ». Saint Paul conçoit la Loi divine comme un commandement qui s’adresse à la volonté de l’homme. Or le commandement de la loi est par sa nature même « équivoque », dans la mesure où, en m’interdisant de commettre un péché, la loi me fait connaître du même coup la possibilité du péché que j’ignorerais sans elle. C’est le combat entre les penchants et le commandement de la Loi. Or l’issue de ce combat ne pourra être, pour l’homme libre que la conquête de la maîtrise de soi, de la domination de soi, ou ce qui revient au même, de la domination de l’esprit contre la chair  pour Paul. La « chair » étant pour Arendt non pas le corps mais une « métaphore de la résistance intérieure » de l’homme contre lui-même, comme elle le précise.

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Message par Courtial Sam 22 Fév 2014 - 11:56

baptiste a écrit:Elle explique que les stoïciens d’abord, Saint Paul ensuite puis les premiers intellectuels chrétiens éduqués dans la tradition grecque ont introduit un principe nouveau «  la volonté » qui a eu pour effet, mais peut-être était ce le but, d’attirer toute l’attention vers « l’intériorité » au détriment du monde extérieur

J'ai lu l'article il y a une bon moment, j'ai donc des souvenirs seulement : Arendt dit elle sous quel nom le concept de volonté a été introduit ?
A ma connaissance, il n'y a même pas de mot, en grec, qui signifie "volonté" au sens où nous l'entendons : on peut traduire comme cela des mots au sens proche (boulè, bouleusis, airesis, etc.) mais aucun ne signifiant proprement "volonté". Il semble que cette notion même soit étrangère au monde grec. (Voir aussi Vernant : Mythe et pensée chez les Grecs, l'article Ebauches de la volonté...). Un concept difficile et dont la formation est intéressante.
Le Stoicisme tardif et le Christianisme naissant semblent en effet avoir procédé à une dépolitisation de la question de la liberté, dépolitisation qui va durer jusqu'au 17ème siècle (avec bien sûr quelques rares exceptions : je tombe ici dans le travers que je reproche à d'autres ailleurs : la grande fresque historique rarement vraie parce que trop massive). La problèmatique va essentiellement devenir pendant quinze siècles un problème lié à la volonté, la liberté la liberté d'une volonté, c'est-à-dire un problème purement intérieur et subjectif.

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Message par poussbois Sam 22 Fév 2014 - 12:53

La volonté, c'est pas un concept juif à la base ??

Je vais regarder ça, mais il me semble avoir lu quelque chose là-dessus à propos de l'ancien testament.
De mémoire, ce serait d'abord un attribut divin dont les hommes doivent se débarrasser. L'époque moderne se distinguerait par une récupération de la volonté par les hommes. C'est flou et mauvais souvenir... je cherche :)

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Message par neopilina Sam 22 Fév 2014 - 19:12

Courtial a écrit : " Le Stoicisme tardif et le Christianisme naissant semblent en effet avoir procédé à une dépolitisation de la question de la liberté, dépolitisation qui va durer jusqu'au 17ème siècle ... "

Processus que parachèvera, couronnera, " l'explosion " des Lumières : naissance de l'individu, et très vite à la suite, du Sujet.

Courtial a écrit : " ... (avec bien sûr quelques rares exceptions : je tombe ici dans le travers que je reproche à d'autres ailleurs : la grande fresque historique rarement vraie parce que trop massive) ... "

Mais c'est avec un pinceau fait d'un seul poil de moustache de renard, français de surcroit !, que je fais de la métaphysique ! Arabesques noires, rouges et vertes de l'azur métaphysique dont Je/je suis le héraut ! Mais qui donc danse, s'agite, et s'impatiente au coeur du " nuage sans indice ", ça dépend pour qui, de l'Alétheia ? Je n'ai pas dit " Berger ", aussi immodestement que maladroitement employé par le Martin. Mes quartiers en Lisière sont bien plus assurés que les siens.


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Message par baptiste Sam 22 Fév 2014 - 23:51

Courtial a écrit:
baptiste a écrit:Elle explique que les stoïciens d’abord, Saint Paul ensuite puis les premiers intellectuels chrétiens éduqués dans la tradition grecque ont introduit un principe nouveau «  la volonté » qui a eu pour effet, mais peut-être était ce le but, d’attirer toute l’attention vers « l’intériorité » au détriment du monde extérieur

J'ai lu l'article il y a une bon moment, j'ai donc des souvenirs seulement : Arendt dit elle sous quel nom le concept de volonté a été introduit ?
A ma connaissance, il n'y a même pas de mot, en grec, qui signifie "volonté" au sens où nous l'entendons : on peut traduire comme cela des mots au sens proche (boulè, bouleusis, airesis, etc.) mais aucun ne signifiant proprement "volonté". Il semble que cette notion même soit étrangère au monde grec. (Voir aussi Vernant : Mythe et pensée chez les Grecs, l'article Ebauches de la volonté...). Un concept difficile et dont la formation est intéressante.
Le Stoicisme tardif et le Christianisme naissant semblent en effet avoir procédé à une dépolitisation de la question de la liberté, dépolitisation qui va durer jusqu'au 17ème siècle (avec bien sûr quelques rares exceptions : je tombe ici dans le travers que je reproche à d'autres ailleurs : la grande fresque historique rarement vraie parce que trop massive). La problèmatique va essentiellement devenir pendant quinze siècles un problème lié à la volonté, la liberté la liberté d'une volonté, c'est-à-dire un problème purement intérieur et subjectif.

Elle dit que les grecs n’ont jamais reconnu la volonté comme une faculté distincte, ce n’est qu’à partir des stoïciens romain puis Paul et surtout Augustin, dont on sait qu’il avait une solide culture classique surtout latine qu’il  connaissait  mal le grec et avait accès aux classiques grecs à travers des traductions que la volonté comme faculté duelle est reconnue.

Poussbois, c’est le sens de la chute, Adam pouvait pécher parce qu’il avait une volonté libre, ceci étant dit il ne me semble pas que ce soit central dans la suite des la bible puisque chaque fois que le peuple élu s’éloignera de la foi de ses pères il sera puni  sévèrement par Dieu.

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Message par Courtial Mer 5 Mar 2014 - 1:34

Il semblerait plutôt que c'est l'idée inverse qui s'impose : cela doit bien être central puisque il se trouve que les hommes continuent de pécher, tout en étant à chaque fois sévérement punis par Dieu, et qu'apparemment rien ne change.
Pourquoi décentraliser cette idée s'il s'avère qu'en effet la Bible y revient sans cesse?
Ses rédacteurs avaient une dilection pour le bavardage inutile ?

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Message par baptiste Jeu 6 Mar 2014 - 7:52

Courtial a écrit:Il semblerait plutôt que c'est l'idée inverse qui s'impose : cela doit bien être central puisque il se trouve que les hommes continuent de pécher, tout en étant à chaque fois sévérement punis par Dieu, et qu'apparemment rien ne change.
Pourquoi décentraliser cette idée s'il s'avère qu'en effet la Bible y revient sans cesse?
Ses rédacteurs avaient une dilection pour le bavardage inutile ?

Le Dieu d’Israël est peut-être unique, mais il n'en est pas pour autant invariable. Le Dieu de la volonté de la liberté c’est le Dieu mythique universel de la genèse, le Dieu potier créateur de toute chose qui propose à l’homme le bonheur dans l’harmonie avec une nature parfaite. L’épisode de la chute justifie l’existence du mal et celle de la responsabilité de l’homme placé au cœur du paradis par la volonté de l’homme libre de faire le mal, il n’y a pas de punition juste un constat "L'homme est sa propre providence: de lui seul dépendent son sort essentiel, sa joie ou son angoisse de vivre,..". C’est ce que Kant dit aussi l’homme est « enclin » au mal, mais « déterminé » pour le bien ; c’est le thème même de la Genèse : aussi « originel » que soit le péché, il n’est pas « originaire ».

Ultérieurement par la grâce de l’empirie Dieu devient législateur mais aussi juge sectaire, diviseur, fauteur de trouble, cruel roi d’Israël. Sodome est détruite pour avoir péché et l’épouse de Lot transformée en sel pour s’être retournée malgré l’ordre formel de Dieu. L’objectif des rédacteurs change il s’agit d’inspirer la crainte, la volonté et la liberté sont remplacés par l’obéissance à des règles formelles impératives.

La problématique est toujours d’actualité, nous avons rompu avec la nature et notre nature humaine et cette nature menace désormais de se retourner contre nous. Nous sommes libres de changer nos comportement…est-ce qu’imposer démocratiquement et collectivement des règles coercitive est une « soumission volontaire », une « atteinte à la liberté »…on n’en a pas fini avec le libre arbitre de la volonté et les questions sur la volonté et la liberté.



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