Phèdre
DIGRESSION :: Philosophie :: Antiques et Médiévaux :: Platon :: Phèdre
Page 1 sur 1
Phèdre
Socrate
Figure-toi donc, bel enfant, que le discours précédent était de Phèdre, fils de Pythoclès, du dème de Myrrhinunte, et que celui que je vais prononcer est de Stésichore, fils d' Euphèmos, d'Himère. Voici comment il faut parler : « Non, ce discours n'est pas vrai ; non il ne faut pas, lorsqu'on a un amant, lui préférer un homme sans amour, par cela seul que l'un est en délire et que l'autre est dans son bon sens ; ce serait juste s'il était hors de doute que le délire fût un mal, mais au contraire le délire est pour nous la source des plus grands biens, quand il est l'effet d'une faveur divine. C'est dans le délire en effet que la prophétesse de Delphes et les prêtresses de Dodone ont rendus maints éminents services à la Grèce, tant aux Etats qu'aux particuliers ; de sang-froid, elles n'ont gère ou n'ont point été utiles. Ne parlons pas de la sibylle et des autres devins inspirés par les dieux, qui, par leurs prédictions, ont mis dans le droit chemin bien des gens : ce serait allonger le discours sans rien apprendre à personne. Mais voici un témoignage qui mérite l'attention, c’est que, chez les anciens, ceux qui ont crée les mots n'ont pas cru que le délire fût ni honteux ni déshonorant ; car ils n'auraient pas attaché ce nom même au plus beau des arts, à l'art qui interprète l'avenir, et ne l'auraient pas appelé manikè ( délire ) ; c’est parce qu'ils regardaient le délire comme un don magnifique, quand il vient du ciel, qu'ils lui ont donné ce nom ; mais les modernes, insérant maladroitement un t dans le mot, en ont fait mantikè ( divination ). Quand, au contraire, des hommes de san-froid cherchent à connaître l'avenir par les oiseaux et les autres signes, comme cet art se fonde sur le raisonnement pour fournir à la pensée humaine l'intelligence et la connaissance, on l'a appelé oionistikè, dont les modernes ont fait oiônistikè, en y introduisant un emphatique oméga. Ainsi, autant la divination l'emporte en perfection et en dignité sur l'art augural, autant le nom l'emporte sur le nom, et l'objet sur l'objet, autant aussi, au témoignage des anciens, le délire l'emporte en noblesse sur la sagesse, le don qui vient des dieux sur le talent qui vient de l'homme.
Quand, pour venger de vieilles offenses, les dieux frappèrent certaines familles de maladies ou de fléaux redoutables, le délire, s'emparant de mortels désignés et faisant entendre sa voix inspirée à ceux qui devaient l'entendre, trouva le moyen de détourner ces maux, en recourant à des prières et à des cérémonies propitiatoires. C'est ainsi qu'en inventant les purifications et les expiations le délire préserva celui qui en était favorisé des maux présents et des maux futures ; car il apprend à l'homme vraiment inspiré et possédé la manière de s'affranchir des maux qui surviennent.
(p.139-140 )
Socrate, en tant qu'interprète, opère ici clairement une apologie du délire. Le délire est en effet la source des plus grands biens quand il est l'effet d'une faveur divine.
Nous sommes ici mis en présence d'un aspect « religieux » et « mystique » de la figure de Socrate, qui fait référence à l'art de la divination pratiqué dans les temples par les prophétesse. En effet, dans le délire, possédées par les délire divin, il va de soi pour Socrate, telle une évidence, que les prophétesse et prêtresses ont rendu de grands services à la fois aux États et aux particuliers.
Faisant référence aux anciens, que Socrate oppose aux modernes, c'est à dire à ses contemporains, il dresse une apologie du délire entendu comme discours d'un mortel possédé par le divin qu'il oppose à l'art de la divination par l'interprétation d' objets extérieurs ( signes ).
Nous sommes ici dans la thématique de l’interprétation, étant entendu que le plus beau des arts désignant l’interprétation de l'avenir. Or, d'une part il est possible d'interpréter l'avenir en étant un interprète possédé, de l'intérieur, par les dieux ( délire ), et d'autre part il est possible d'interpréter l'avenir en interprétant des signes extérieurs. Socrate fait l'apologie de la première façon, qui une fois de plus renvoie au soi-même et non pas à l'extérieur de soi-même. Selon le lien intime qui existe entre l'homme et le divin. Socrate semble donc critiquer la posture qui consiste à connaître par une interprétation de l'extérieur qu'est le monde physique. Le message important semble ici encore de dire que la connaissance du monde présuppose, implique, nécessite, équivaut à, la connaissance de « soi », le soi dont il est ici question, et qui incarne la nature de l'homme, désignant justement une dimension divine dont ceux qui pensent connaître le monde par la science s'émancipent et font abstraction.
Finalement, par cette apologie des anciens et de leurs pratiques « religieuse », Socrate met peut-être en garde contre le danger du développement de la « science naturelle » émancipée de la sphère divine, développement déjà présent à son époque et qu'il pressent à l'avenir. Socrate est peut-être aussi un devin en ce sens, que pressentant l'avenir, il tient déjà un discours à son encontre.
On peut voir ici que la raison, le raisonnement auquel Socrate fait référence n'ont rien à voir, et sont même opposés à notre concept de « raison » qui présuppose la rationalité, que précisément Socrate semble déjà anticiper par sa critique.
On peut tout de même s'étonner de cette apologie par Socrate, tant résonne une dimension « mystique » faite de prières, de cérémonies propitiatoires, qui selon lui servirent, en guise de purification et d'expiation, à émanciper les États et les particuliers de maux. Nous sommes véritablement ici mis en présence de l'aspect « religieux » de la figure de Socrate dans son rapport aux anciens et à la pratique des temples qui, pour le coup, semblent éloignés de la méthode philosophique, si ce n'est de son objet.
cedric- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 436
Date d'inscription : 02/06/2008
DIGRESSION :: Philosophie :: Antiques et Médiévaux :: Platon :: Phèdre
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum