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Socrate et la théia moïra

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Socrate et la théia moïra Empty Socrate et la théia moïra

Message par Bergame Lun 13 Juil 2009 - 1:28

Le Ménon est l’un des dialogues les plus commentés de Platon, au moins pour trois raisons : D’abord parce qu’il traite de l’arétê, la vertu. Ensuite, parce qu’on se perd en conjectures sur sa démonstration, et en particulier, sur l'utilisation des termes epistémè (qu'on pourrait traduire par "connaissance"), nous ("intelligence") et phronésis (le "cauchemar du traducteur", un terme qui renvoie à "pensée", "raison", "sagesse", et en particulier "sagesse pratique"). Enfin, parce que sa conclusion peut apparaître "pessimiste" -c'est par exemple l'avis de Monique Canto-Sperber.

La question de Ménon, jeune noble thessalien, qui ouvre le dialogue est celle-ci :

Peux-tu me dire, Socrate, si la vertu s’enseigne ? Ou si elle ne s’enseigne pas mais s’acquiert par l’exercice ? Et si elle ne s’acquiert point par l’exercice ni ne s’apprend, advient-elle aux hommes par nature ou d’une autre façon ?
Fidèle à sa méthode, Socrate va d’abord amener Ménon à formuler sa propre réponse, telle : « La vertu, c’est le désir des belles choses avec le pouvoir de se les procurer. » (77b)
Mais réfuté trois fois, Ménon se retrouve dans la perplexité [aporia]. S'ensuit le fameux discours où il compare Socrate au poisson-torpille, qui plonge dans un état de torpeur : Lui qui se faisait une gloire de connaître la vertu et d'en discourir, voila que Ménon est maintenant incapable de dire ce qu’elle est. La métaphore est connue, on note moins souvent que Ménon accuse Socrate de l'avoir comme ensorcelé [goeteueis] avec des charmes [pharmatteis] et des maléfices [atekhnôs]. Aussi, affirme-t-il :

Je crois que tu as pris une bonne décision en ne voulant ni naviguer ni voyager hors d’ici. Car si tu te comportais ainsi, en tant qu’étranger, dans une autre cité, tu serais vite traduit en justice comme sorcier [goês] ! (80a)
Socrate va répondre de manière tout à fait typique, en disant qu’il ne ressemble à la raie torpille que si, lorsque celle-ci met les autres dans un état de torpeur, elle s’y met elle-même. C’est que, continue-t-il, il ne sait pas non plus ce qu’est la vertu. Cependant, il veut bien chercher avec Ménon ce qu'elle est.

C’est alors que Ménon formule une objection redoutable connue sous le nom de « paradoxe du Ménon » : Comment chercher ce dont on ne sait même pas dans quelle direction il faut le chercher ? Et si même, par chance, on tombait dessus, comment saurait-on que c’est bien là ce qu’on cherchait ?
On a pu commenter ce paradoxe en disant que Ménon, partant du principe que Socrate connaît la réponse et sait ce qu'est la vertu, tente de le prendre en flagrant délit de mauvaise foi. On a également pu dire que ce qui est véritablement paradoxal, c’est que Socrate, ayant déclaré qu’il ne sait rien, veuille tout de même continuer à chercher. Pour ma part, je trouve remarquable que Socrate reformule ce dilemme dans les termes mêmes qui étaient ceux de Diotime :

Tu vois comme il est éristique, cet argument que tu lances, selon lequel il n’est pas possible à un homme de chercher ce qu’il connaît ni ce qu’il ne connaît pas. En effet, ce qu’il connaît, il ne le chercherait pas, parce qu’il le connaît, et le connaissant, n’a aucun besoin d’une recherche ; et ce qu’il ne connaît pas, il ne le cherchera pas non plus, parce qu’il ne saurait même pas ce qu’il devrait chercher. (80e)
Et lorsque Ménon demande explication, Socrate parle des « choses divines » qu’il a entendu de la part d’ « hommes aussi bien que de femmes », de « prêtres et prêtresses », et de « poètes » tel Pindare.
La solution de Socrate au dilemme de Ménon est donc toujours la même : L’âme est immortelle, et la connaissance est une réminiscence (81d). Ce que Socrate montrera en faisant retrouver la solution d'un problème de géométrie par le jeune esclave de Ménon.

- Que t’en semble, Ménon ? Y a-t-il une opinion que ce garçon ait donnée en réponse, qui ne vînt pas de lui ?
- Non, au contraire, tout venait de lui-même.
- Et pourtant, il est vrai qu’il ne savait pas, comme nous le disions un peu plus tôt.
- C’est la vérité.
- Mais ces opinions-là se trouvaient bien en lui, n’est-ce pas ?
- Oui.
- Chez l’homme qui ne sait pas, il y a donc des opinions vraies [aletheîs doxai] au sujet des choses qu’il ignore. (85b)

Puisque la vertu est un type de connaissance, une connaissance qu'on pourrait qualifier de "latente", la suite du dialogue peut donc porter sur la possibilité de l’enseigner. Les sophistes, prétendument maîtres de vertu, ne semblent pourtant pas être en mesure de le faire. Et les politiques ?
Car en effet, certains politiques sont des hommes de bien, des hommes vertueux. C’est le cas de Thémistocle et de Périclès. Or, l’histoire montre qu’ils n’ont pas su enseigner la vertu à leurs propre fils. Pourquoi ? C’est sans doute que la vertu ne peut s’enseigner, et elle ne peut s’enseigner car elle n’est pas une connaissance [epistémè]. Par conséquent, la vertu n’est pas de l’ordre de la raison [phronésis] (98d). Lorsque les politiques sont de bons chefs, c’est grâce à l’opinion droite ou vraie

mais, pour ce qui est de raisonner [phronein], il n’y a aucune différence entre eux, les diseurs d’oracles [khresmodoi] et les prophètes [theomanteis]. Car le fait est que ces gens-là disent beaucoup de choses vraies, mais sans rien connaître à ce dont ils parlent […] C’est donc à bon droit [orthos] que nous appellerons divins [theios] tous ceux dont nous venons de parler, prophètes, devins et poètes. Et des hommes politiques, nous dirons qu’ils ne sont pas moins que ceux-là des hommes divins, nous dirons qu’un dieu les habite, et que lorsqu’ils prononcent bien des choses d’importance et en accomplissent autant, mais sans savoir de quoi ils parlent, ils sont inspirés et possédés par le dieu. (99b-c)

La conclusion du Ménon me semble donc claire : La vertu ne s’enseigne pas ni n’advient par nature dans les hommes, elle est une faveur divine [theia moïra], dépourvue d’intelligence [nou]. C'est cette faveur divine qui engendre l'opinion vraie, et c’est parce qu’elle est dépourvue d’intelligence qu’elle ne peut se transmettre à autrui. Reste à comprendre ce qu'est la théia moïra.

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Message par Bergame Ven 17 Juil 2009 - 23:07

L'Ion est un dialogue très court, où Platon traite pourtant d'un sujet essentiel qui parcourt tous les Dialogues, à savoir la poésie. Ion est en effet un rhapsode, c'est-à-dire un artiste qui déclame devant un public les poèmes du répertoire. En l'occurence, c'est un spécialiste d'Homère, un spécialiste reconnu puisqu'il vient de remporter le concours de la cité d'Epidaure.
Mais Ion ne connaît que Homère, et ne s'intéresse d'ailleurs qu'à lui. C'est ce qui fait dire à Socrate qu'il est incapable de parler d'Homère par art [tekhnè] ou par science [epistémè]

car si tu pouvais en parler par art, tu pourrais parler aussi de tous les autres poètes (532c)
Socrate a également remarqué les transports émotionnels des poètes sur scène, ce qu'Ion admet volontiers :

Je t'avouerai en effet sans déguisement que, quand je récite un morceau pathétique, mes yeux se remplissent de larmes ; si c'est un passage effrayant et terrible, mes cheveux se dressent d'effroi et mon coeur bondit. (535c)
Ressentir des émotions aussi intenses par la seule puissance de l'imagination, voila qui ne s'appelle pas être dans son bon sens, dit Socrate. Mais de plus, les rhapsodes transmettent ces émotions à leurs spectateurs : Eux aussi pleurent, ou rient, à l'écoute des discours.
Cette compétence particulière du rhapsode, qui n'est ni un art ni une science, c'est bien entendu une théia moïra. Socrate la compare à une pierre magnétique, qui non seulement attire les anneaux de fer, mais encore leur communique leur vertu, de sorte qu'ils attirent à leur tour d'autres anneaux de fer :

C'est ainsi que la Muse inspire elle-même les poètes, et, ceux-ci transmettant l'inspiration à d'autres, il se forme une chaine d'inspirés. Ce n'est en effet pas par art, mais par inspiration et suggestion divine que tous les grands poètes épiques composent tous ces beaux poèmes ; et les grands poètes lyriques font de même. Comme les Corybantes ne dansent que lorsqu'ils sont hors d'eux-mêmes, ainsi les poètes lyriques ne sont pas en possession d'eux-mêmes quand ils composent ces beaux chants que l'on connaît [...] C'est le même délire qui agit dans l'âme des poètes lyriques, comme ils l'avouent eux-mêmes [...] Tant qu'il n'a pas reçu ce don divin [théia moïra], tout homme est incapable de faire des vers et de rendre des oracles [...] Et si le dieu leur ôte le sens et les prend pour ministres, comme il le fait des prophètes [khresmodoi] et des devins inspirés [mantesi tois theiois], c'est pour que nous qui les écoutons sachions bien que ce n'est pas eux qui disent des choses si admirables, puisqu'ils sont hors de leur bon sens, mais que c'est le dieu même qui les dit et qui nous parle par leur bouche. (533d-535a)
Ce que Socrate décrit donc, c'est une chaine d'inspiration : Muse - Poète - Rhapsode (interprète) - Public, fondée sur la transmission de la théia moïra conçue comme une propriété analogue au magnétisme. En fait, c'est le dieu lui-même qui agit à travers cette chaine, et attire à lui l'âme [psychè] des hommes (536a). Ce dont il s'agit est donc une possession : Chaque rhapsode appartient à un poète (Ion appartient à Homère) et chaque poète appartient à l'une des Muses.

Voici donc une nouvelle catégorie d'homme divin (542b), le rhapsode, qui prononce beaucoup de beaux discours parce qu'il bénéficie de la théia moïra et qu'il est possédé du dieu (il est enthousiaste), mais sans rien comprendre à ce qu'il dit puisque ses discours ne doivent rien à l'art ni à la science.


Hommes politiques puis poètes, c'est exactement l'ordre dans lequel Socrate déclare, devant ses juges, avoir mené son enquête. Dans l'Apologie en effet, le discours que Socrate prononce lors de son procès, il fait part du trouble qui l'a saisi lorsqu'il apprit la sentence de la Pythie, l'oracle d'Apollon : L'homme le plus sage de Grèce est Socrate.

En effet, ce mot que je venais d'entendre, je l'ai médité en mon coeur et je me suis dit : "Que peut bien vouloir dire le dieu, et que peut bien signifier son énigme ? Car enfin, moi j'ai bien conscience de n'avoir de sagesse ni grande ni petite." (21b)
C'est cette énigme qui incite Socrate à aller questionner les hommes réputés sages, et tenter, par comparaison, de comprendre en quoi consiste sa propre sagesse. Muni de leurs plus belles pièces, Socrate interroge donc les auteurs de tragédie et de dithyrambes, et leur demande ce qu'ils ont voulu dire :

J'eus vite fait de reconnaître, au sujet des poètes cette fois, que leurs créations ne devaient rien à la sagesse, mais qu'ils créaient par une sorte d'élan naturel, possédés par le dieu comme les prophètes et les devins : car ces derniers aussi disent beaucoup de belles choses, mais ils ne savent rien de ce qu'ils disent. (22b)
De cette enquête, comme cela est connu, Socrate va conclure que lui non plus ne sait rien, mais que lui au moins, il sait qu'il ne sait rien, et que c'est en cette "nescience" que consiste sa sagesse. Il est donc tentant de considérer que Socrate oppose, à la foi enthousiaste, la connaissance rationnelle qui sait ne pas outrepasser ses limites. Dans cette perspective, Socrate devient un peu le premier philosophe critique, celui du moins qui, comme le dira Hegel, introduit la subjectivité dans la Polis grecque :

Avec Socrate, au début de la guerre du Péloponnèse, le principe de l'intériorité, l'indépendance absolue de la pensée en soi, est parvenu à s'exprimer librement. Il enseignait que l'homme devait trouver et reconnaître en lui-même ce qui est juste et bien et que par sa nature ce juste et ce bien est universel [...] En appelant Sagesse la conviction qui détermine l'homme à agir, Socrate a attribué au sujet, à l'encontre de la patrie et de la coutume, la décision finale, se faisant ainsi oracle, au sens grec.
Leçons sur l'histoire de la Philosophie
Et de fait, il me semble que c'est souvent ainsi que les interprètes modernes de Platon, forcément rationnalistes, comprennent la doctrine de Socrate. Pourtant, cette interprétation a une conséquence : Elle implique que Socrate, lorsqu'il interroge, connaît déjà les réponses. Selon cette interprétation, Socrate ne se livrerait pas tant à une enquête sur la pensée qu'à la démonstration toujours répétée de la vanité de ses contradicteurs qui croient savoir mais ne savent pas d'une part, et d'autre part, à un enseignement classique de vérités subjectives ayant prétention à l'universel. Un pas plus loin, on peut même envisager l'idée que Socrate ne fait, par ces démonstrations de maitre d'école, qu'exprimer des pulsions agressives à l'égard d'individus pour lesquels il éprouve manifestement une forme de ressentiment (cf. Nietzsche).
Mais toutes ces interprétations reposent sur la représentation d'un Socrate "rationnel", un Socrate qui "pense par lui-même" comme nous sommes convaincus qu'on ne peut que penser, et particulièrement en philosophie. Or il me semble que ce qu'on peut noter, à tout le moins, c'est que ce n'est pas vraiment ce que dit Socrate lui-même.

Dans la suite de l'Apologie, voici en effet comment Socrate continue :
Voila l'enquête, Athéniens, d'où sont nées tant de haines contre moi, combien pénibles et lourdes ; de ces haines sont nées les nombreuses calomnies et me vint ce renom de sage qu'on me donne. Car l'assistance s'imagine chaque fois que je sais ce sur quoi je convaincs autrui d'ignorance. Mais, Athéniens, la vérité est que seul le dieu est sage, et qu’il a voulu dire seulement, par son oracle, que toute la sagesse humaine n’est pas grand-chose, ou même qu’elle n’est rien. Et il est clair qu'en désignant Socrate il s'est servi de mon nom pour me prendre en exemple comme s'il disait : "Le plus sage d'entre vous, hommes, c'est celui qui comme Socrate a reconnu qu'en vérité sa sagesse [sophia] ne vaut rien." (23a-b)
Durant tout son discours, Socrate se présente comme celui qui s'est entièrement "réglé" sur le dieu. La métaphore militaire indique même qu'il se vit un peu comme une sorte de soldat du dieu (28b) -au reste, disait Heidegger, promos signifie à la fois "pieux" et "en première ligne". Et par ses discours, Socrate prétend ne vouloir que transmettre la parole du dieu, car c'est le dieu qui commande de s'occuper de son âme plutôt que de son corps ou de sa fortune (30b).
Faut-il alors comprendre que Socrate lui-même est possédé du dieu ? Qu'il est marqué de la théia moïra ?
Car on l'a vu, la question double n'en est qu'une : Posséder le don divin et être possédé par le dieu, ce semble une seule et même chose. Or, Socrate déclare en effet que l'activité d'interroger ses concitoyens lui a été à la fois ordonnée et donnée en partage :

Quant à moi, je vous le répète, cette activité m'a été prescrite par le dieu au moyen d'oracles [manteiôn], de songes, et de toutes espèces d'avis dont en d'autres occasions un privilège divin [theia moïra] a jamais prescrit à un homme n'importe quelle sorte de mission. (33b)
A ce propos, le Philèbe nous apprend d'ailleurs que la dialectique est un présent des dieux [theiôn dosis] rapporté aux hommes par Prométhée (16a). Et le Sophiste renchérit : Les philosophes sont des hommes divins [theios], ce pourquoi, d'ailleurs, certains les prennent pour des fous [manikôs] (216b-c).
On ne s'étonnera donc pas que, dans l'Apologie, Socrate se présente comme étant lui-même un présent divin :

En réalité, Athéniens, je suis bien loin de plaider pour ma défense propre, comme on pourrait le croire, mais c'est pour vous que je plaide, de peur que vous ne vous rendiez fautifs envers le présent que le dieu [theou dosin] vous a fait. Car si vous me tuez, vous ne trouverez pas facilement un autre homme comme moi, qui [...] a tout bonnement été attaché à la Cité par le dieu, comme à un cheval grand et de bonne race, mais un peu lourd du fait de la taille, et qui aurait besoin d'être réveillé par une espèce de taon. (30e)
Plus loin, Socrate va même produire une preuve de son caractère divin : Il est pauvre.

En effet, cela ne ressemble pas à un caractère humain, ma façon de négliger tous mes intérêts propres et d'en supporter les conséquences dans mes affaires domestiques depuis tant d'années déjà, tout en cultivant vos intérêts à vous, en abordant sans arrêt chacun de vous en particulier, comme un père ou un frère plus âgé, pour vous persuader de vous préoccuper de vertu. (31b)

Socrate se considère donc comme un homme divin, possédé du dieu (en l'occurence, il semble bien qu'il s'agisse d'Apollon) et possédant un don, qui est également une mission : Socrate était destiné à être le taon de la Cité.

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Message par Bergame Dim 19 Juil 2009 - 16:10

Les hommes politiques, les poètes, sont donc des hommes divins. Mais on a du s'en rendre compte dans le cours de cet exposé, Socrate fait aussi constamment référence à une troisième catégorie d'hommes divins, les devins et les prophètes. L'Euthyphron est le dialogue qui met en scène Socrate aux prises avec l'un de ces hommes.

Socrate a en effet été accusé d'impiété par Mélétos et il attend son tour de passer devant l'archonte-roi. Euthyphron, lui, sort d'une audience : Il a intenté un procès contre son propre père, pour meurtre. A Socrate qui s'étonne qu'on puisse accuser son père, Euthyphron, versé dans les choses divines, répond que les dieux commandent d'être juste, quelque soit la situation, et que c'est donc par piété (qu'on traduit mieux par "sainteté", hosiotès) qu'il traine son père devant les tribunaux. Le dialogue va donc porter sur ce que c'est qu'être pieux, Socrate justement accusé d'impiété espérant obtenir d'Euthyphron des éléments qui lui permettront peut-être de se défendre contre Mélétos.

Ce qui me semble d'abord intéressant, c'est qu'Euthyphron le devin considère d'emblée Socrate comme un semblable. L'accusation de Mélétos porte en effet plus exactement sur le fait que Socrate fabrique [poietèn] des dieux nouveaux et corrompt ainsi la jeunesse.

J'entends, Socrate : c'est à cause de cette voix divine [daimonion] que tu déclares entendre en toute circonstance [...] Moi-même, quand je parle des choses divines [theiôn] dans l'assemblée et que je leur prédis ce qui doit arriver, ils me prennent pour un fou et se moquent de moi. Et cependant il n'y a pas un mot qui ne soit vrai dans les prédictions que je leur ai faites. Mais ils sont jaloux de tous les gens de notre sorte. (3b)
La confrontation entre le philosophe et le saint, qui sont tous deux des hommes divins, va donc consister à montrer en quoi ils diffèrent. Or, au questionnement de Socrate sur ce qu'est l'hosiotès, Euthyphron propose trois réponses qui sont toutes trois réfutées. Il se retrouve donc dans l'aporie.

La manière dont Socrate réfute Euthyphron est tout à fait typique : Ce sont les discours sur lesquels Euthyphron se fonde pour attester de ses connaissances qu'il interroge. Ainsi, Euthyphron prétend régler sa conduite sur la conduite de Zeus, qui, dit-on, n'a pas hésité à enchainer son propre père parce que celui-ci dévorait ses enfants sans cause légitime. Mais, dit Socrate, ceux qui mettent en scène ces histoires, poètes [poietôn] et grands écrivains (ou "illustres peintres" : agathôn graphatôn) sont les mêmes qui affirment par ailleurs que les dieux se font la guerre, et qu'ils ne sont jamais d'accord entre eux (6b-c). Il faudrait donc comprendre que, sur ce que les dieux veulent et attendent des hommes, ils ne sont pas d'accord non plus. Or, Euthyphron veut définir la piété comme ce qui plait à tous les dieux, voila la cause de son aporie. On voit donc que ce n'est pas tant Euthyphron que Socrate réfute, que les discours qu'Euthyphron a intégrés en tant que connaissances et qui sont originellement des créations poétiques ou artistiques.

Toutefois, on l'a vu, les créations poétiques sont inspirées par les dieux. Et s'il est une chose certaine, c'est que les dieux ne mentent pas (Apologie, 21b). Il faut donc comprendre que les dieux ont des exigences différentes au regard des hommes. L'argument est d'ailleurs semblable à celui du Ion : Sans doute Euthyphron possède-t-il un certain art puisqu'il est connu pour délivrer des prédictions qui s'avèrent justes (et il faut noter que, comme c'est la règle chez Platon, Euthyphron est apparemment un personnage historique) mais lui-même ne sait pas ce qu'il dit. Ce qui le montre est que, prétendant être pieux et plaire à tous les dieux, il règle sa conduite sur la connaissance qu'il a de celle de Zeus. Manifestement, c'est donc Zeus, père de Dikè, qui l'inspire dans son action judiciaire. Mais si Euthyphron possédait une connaissance portant sur tous les dieux, ce serait une epistémè.

Aussi le dialogue évolue-t-il vers l'idée que la piété consiste en une science [epistémè] du commerce [emporikè] entre les hommes et les dieux, un art de donner et d'obtenir (14d-e). Mais la question reste ouverte : Pour qu'échange de bons procédés il y ait, il faudrait que les hommes puissent savoir ce que les dieux veulent et attendent. Or, comment les hommes pourraient-ils accéder à cette connaissance ? Ce n'est pas Euthyphron qui pourra nous l'apprendre, il préfère s'éclipser sur une vague excuse (on l'attend...), mettant ainsi fin au dialogue.

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Message par Bergame Jeu 30 Juil 2009 - 1:45

Fait pendant à l'Euthyphron un dialogue qu'on appelle Second Alcibiade, non pas (seulement) parce qu'il met en scène un épisode postérieur à la rencontre que décrit le Premier Alcibiade, mais surtout parce qu'on le trouve généralement plus pauvre -à noter qu'il y a doute sur l'authenticité des deux Alcibiade. Pourtant, le sérieux avec lequel avec lequel Socrate traite, dans ce dialogue, de la question du commerce entre les hommes et les dieux me semble tout à fait remarquable.

Socrate rencontre Alcibiade sur le chemin du temple : Le jeune homme va prier le dieu, c’est-à-dire qu'il va lui demander quelque chose. Or, il est manifeste que, pour Socrate, la prière est un sujet d’importance. C’est que les hommes sont la propriété des dieux (kremathôn tois theois, Phédon, 62b), voire, comme le dira l’Athénien des Lois, ils sont leurs marionnettes :

Figurons-nous que chacun de nous est une machine animée [thauma, textuellement une « merveille »] sortie de la main des Dieux, soit qu'ils l'aient faite pour s'amuser, ou qu'ils aient eu quelque dessein sérieux : car nous n'en savons rien. Ce que nous savons, c'est que les passions [pathè] dont nous venons de parler sont comme autant de cordes ou de fils qui nous tirent chacun de leur côté, et qui, par l'opposition de leurs mouvements, nous entraînent vers des actions opposées, ce qui fait la différence du vice et de la vertu. Disons-le car le [logos] l'exige : Il est de notre devoir de n'obéir qu'à un de ces fils, d'en suivre toujours la direction, et de résister fortement à tous les autres. Ce fil est le fil d'or et sacré de la raison, appelé la loi commune de l'État. Les autres sont de fer et roides : celui-là est souple, parce qu'il est d'or ; il n'a qu'une seule forme, tandis que les autres ont des formes de toute espèce (Lois, 644d sq).
Qui tire sur les fils ? Manifestement, les dieux, et il semblerait presque que chacun d’eux ait un fil qui lui corresponde puisqu’il est dit plus loin à propos de l’éducation des enfants que

pour ce qui a trait aux sacrifices et aux danses, leur démon [daïmona] ou la divinité [theion] le leur inspirera : En exécutant chacun des jeux pour chacun des dieux en chaque occasion, et en s’attirant ses faveurs, ils mèneront une existence conforme à leur nature ; car s’ils sont des marionnettes [thaumata] la plupart du temps, ils ont accès, de temps à autre, à quelques bribes de vérité (Lois, 804b).
On note toujours le même positionnement intermédiaire : Si les hommes n’étaient que des marionnettes aux mains des dieux, il serait vain –et sans doute impossible- de réfléchir sur leur conduite ; mais comme ils ont accès à quelques miettes de vérité, et seulement d’ailleurs à ces quelques miettes, alors il importe au contraire de les exploiter au mieux. Car maîtres et possesseurs des hommes, les dieux sont libres de donner ce qu’on demande, ou de ne pas le faire, voire de donner le contraire. (Second Alcibiade, 148c)

C’est sans doute ce raisonnement qui conduit Socrate à affirmer que seuls les hommes sensés devraient entrer dans le commerce avec les dieux (volontairement, pourrait-on dire). C’est l’occasion de distinguer et définir l’homme en délire [mainomenon] et l’homme sain d’esprit [phronein] (138c), qui semblent deux contraires. Or, puisque les hommes sensés sont rares, il faudrait conclure que la plupart des hommes sont fous. Mais si tel était le cas, la Cité serait invivable. La vérité est donc que l’aphrosynè (absence de bon sens) se répartit entre les hommes en différentes variétés comme il existe différentes maladies, le délire en étant seulement la forme la plus élevée (140c). C’est dire que la plupart des hommes sont plus ou moins fous.

Alors qu’est-ce qu’un homme sain d’esprit ? C’est, dit Socrate, un homme qui sait ce qu’il faut faire et ce qu’il faut dire, car celui qui ne sait pas, dit ou fait constamment, et sans aucunement s’en douter, ce qu’il ne faut pas (140e). Pour le faire comprendre, Socrate choisit l’exemple d’Alcibiade lui-même :

Toi, tout le premier, si le dieu que tu vas prier paraissait tout d'un coup, et qu'avant que tu eusses ouvert la bouche, il te demandât si tu serais content d'être roi d'Athènes ; ou, si cela te paraissait trop peu de chose, de toute la Grèce ; ou, si tu n'étais pas encore satisfait, qu'il te promît l'Europe entière, et qu'il ajoutât, pour remplir ton ambition, que, le même jour, tout l'univers saurait qu'Alcibiade, fils de Clinias, est roi ; je suis persuadé que tu sortirais du temple au comble de la joie, comme venant de recevoir le plus grand de tous les biens. (141a)
Notons-le : Alors que Socrate parlait de la prière en tant qu’une demande adressée aux dieux, il cite un exemple où c’est le dieu lui-même qui offre un présent à un homme. Peut-être est-ce un procédé rhétorique à l’égard d’Alcibiade, mais peut-être cela signifie-t-il aussi que, dans le rapport entre l’homme et la divinité, entre la marionnette et le marionnettiste, c’est une seule et même chose que de recevoir un don divin et d’être possédé par le dieu. De fait, Socrate qualifiera plus tard l'ambition d'Alcibiade de folie (aphrosynè, 150c), et ici, il semble suggérer qu'elle est, au sens propre, inspirée par le dieu. Dire que les hommes sont plus ou moins fous, c'est donc dire qu'ils sont plus ou moins possédés par les dieux.

Or, Socrate va démontrer à Alcibiade que si celui-ci y accorde attention, il n’est sans doute pas prêt à tout pour voir son ambition se réaliser. Par exemple, serait-il prêt, pour cela, à sacrifier sa vie ? Ce serait sans doute stupide, puisqu'il ne pourrait alors en profiter ! Et qu’en serait-il si au final la réalisation de ses rêves de grandeur lui apportait plus de maux que de biens ? Car c'est ce qui arrive à ceux qui, toute leur vie, ont rêvé du pouvoir absolu, et parviennent enfin à la tyrannie : Ils doivent alors faire face à des jalousies de toutes parts, des oppositions incessantes, et finissent régulièrement mis à mort par des rivaux. (141d) Ainsi, montre Socrate, ce qui paraît être un bien lorsqu'on l'espère et l'ambitionne, peut se révéler un mal lorsqu'on y parvient.

Le premier enseignement de ce dialogue est donc que les hommes font leur propre malheur. Socrate, citant Homère, déclare qu’ils « s’attirent des souffrances que leur destin [moron] ne comportait pas. » (142e) Par là-même, Socrate semble distinguer les présents (bons ou mauvais) que les dieux font aux hommes, et leur destinée. Or, si le présent divin et la possession sont tout un, alors tout se passe comme si les dieux interféraient dans la destinée humaine, pour le meilleur, et souvent pour le pire. Voila donc pourquoi il importe, dans le commerce avec les dieux, d’être sain d’esprit.
C’est ainsi qu’on peut comprendre l’exemple de l’ambition d’Alcibiade : Sans le dire encore, Socrate suggère que la bonne attitude consiste à refuser les présents que le dieu propose –du moins, tant qu’on n’en sait pas plus sur la science de ce qu’est le bien [epistèmôn krèma, 144e] (qui est d’ailleurs la même chose que la science de l’utile [euphelimou, 145c]), et tant qu’on n’en sait pas plus sur ce qu'attendent les dieux en échange de la réalisation de nos prières (150d).

Or, et c’est là le second enseignement du dialogue, Socrate a peut-être une idée sur ce point. C’est qu’il a entendu une histoire il y a longtemps, que racontaient, cette fois, des vieillards : Les Athéniens, s’inquiétant de se voir systématiquement vaincus par les Lacédémoniens, envoyèrent des émissaires en Egypte interroger le prophète Ammon : Pourquoi, alors qu’ils faisaient les plus beaux et les plus nombreux sacrifices, et dépensaient plus en processions et fêtes que tous les Grecs réunis, pourquoi les dieux leur refusaient-ils la victoire et leur préféraient-ils Sparte, qui était loin de leur rendre autant d’honneurs ? Or, le dieu répondit par la bouche d’Ammon que la réserve lacédémonienne lui plaisait mieux que tout le rituel grec. Et chez Homère aussi, continue Socrate, on trouve des récits qui tendent à affirmer la même chose. D’ailleurs, n’est-il pas un peu sot et blasphématoire de penser que les dieux puissent être corrompus par des présents ?

Il serait étrange en effet que les dieux eussent égard à nos présents [dora] et à nos sacrifices [thusias], et non à notre âme [psychè], pour distinguer ceux qui sont saints [hosios] et justes [dikaios]. Non, c’est à l’âme, selon moi, qu’ils ont égard, beaucoup plus qu’à une procession et à ces sacrifices somptueux qu’un individu ou un Etat, chargé de crimes aussi bien envers les dieux qu’envers les hommes, peut fort bien offrir chaque année. (150a)
Nous avions donc une première opposition conceptuelle entre l'homme sain d'esprit et l'homme en délire. En voici une seconde, entre l’âme et les dons faits aux dieux. Y a-t-il un lien entre ces deux enseignements ? C’est la suite qui le dit :

Il semble bien que chez les dieux et les hommes intelligents [noun], la justice [dikaiosynè] et la sagesse [phronèsis] soient particulièrement en honneur. Or il n’y a d’hommes sages et justes que ceux qui savent ce qu’il faut faire et dire dans leurs rapports avec les dieux et avec les hommes. (150a)

Résumons : L’homme sensé/sage est le même qui possède la science du bien, de ce qu’il faut dire et faire, avec les hommes et avec les dieux. Cette science s’enseigne-t-elle ? Manifestement oui, puisque c’est une épistémè. Et tant qu’on ne possède pas cette science, il vaut mieux s’abstenir de demander quoique ce soit aux dieux. Parce que dans l’échange qui caractérise le commerce avec les dieux, l’homme qui ne possède pas cette science ne dispose pas de ce qui plait aux dieux. En effet, la connaissance du bien dispose l’âme à être pieuse et juste. Et c’est aux âmes pieuses et justes que les dieux accordent leurs faveurs. Des autres, ils se jouent.
Ou plus exactement, les dieux se jouent de ceux qui ignorent ce qu’est le bien, mais croient suffisamment le savoir pour entrer en commerce avec eux. Mais le philosophe, lui, qui aspire à la connaissance, sait au moins qu’il ignore ce qu’est le bien, comme il ignore d’ailleurs ce que sont la piété et la justice. En d’autres termes, et si l’on suit l’Alcibiade qui pose une équivalence entre les deux thèmes, Socrate sait ne pas posséder l’épistémè qui lui permettrait de commercer avec les dieux, et par conséquent, il sait ne pas être sage selon la phronésis. Socrate s’abstient donc de tout commerce avec les dieux qui consisterait à leur demander la réalisation de ses désirs. Et c'est bien ce à quoi il enjoint Alcibiade : Ne te rends pas au temple avant d'avoir reçu l'enseignement nécessaire.

Est-ce que Socrate lui-même peut diriger cet enseignement ? C'est la difficulté du dialogue. Car il semble bien le promettre à Alcibiade, il lui annonce même quelle sera la méthode : D'abord écarter le brouillard qui recouvre son âme, ensuite lui donner les moyens de distinguer le bien et le mal.
Mais puisque Socrate, philosophe, ne possède pas la science du bien, faut-il en conclure qu'il ment à Alcibiade, par exemple afin de le séduire ? Car le dialogue se conclut sur la révélation de son désir : "Je veux triompher de tous tes amoureux [erastes]". Ou bien est-ce qu'apparaît ici l'écart entre Socrate et Platon -car n'oublions pas que les dialogues sont aussi une forme de publicité pour l'enseignement de Platon dont, peut-on penser, la connaissance du Bien constituait une pièce maitresse ? Comment savoir ?

Mais quoiqu'il en soit, Platon a pris grand soin, dans ce dialogue, de diviser la connaissance nécessaire au commerce avec les dieux en deux genres : D'une part, la science du bien ; d'autre part, la connaissance de ce que veulent les dieux. Or, si l'on compare le Socrate de l'Alcibiade avec celui de l'Euthyphron, on constate qu'ici, le philosophe fait part d'une connaissance portant sur tous les dieux : Ils ont plus d’intérêt pour l’âme des hommes que pour leurs présents et leurs sacrifices. Toutefois, cette connaissance lui vient de poètes et de vieillards -et les vieillards exposent leurs arguments par des mythes lorsqu’ils s’adressent à des jeunes gens (Protagoras, 320c). A ce titre, on comprend qu’il ne s’agit pas là d’une épistémè. Comme le Ménon nous l’a appris, il s’agit d’une droite opinion, car là où la science est impossible ou inaccessible à l’homme, alors il faut se rabattre sur l’aléthéia doxa. Et poètes et vieillards ne sont-ils pas en train de nous dire tout simplement que les dieux aiment la vertu (piété et justice, deux concepts qui approximent la définition de la vertu dans le Ménon) ? Or, la vertu n'est pas une épistémè et elle ne s'enseigne pas.
Socrate n'est donc pas sage, de cette phronésis qui caractérise les âmes bien disposées par la science du Bien -cela, peut-être est-ce l'apanage de Platon. La science de Socrate est une nescience, que compense, parfois, une connaissance fondée sur la droite opinion.

Toutefois, le problème reste entier : Les poètes, comme les devins et les hommes politiques, sont inspirés par les dieux. Et c’est leur enthousiasme qui se transmet par leurs discours, comme au travers d’une chaîne d’anneaux aimantés. Comment Socrate peut-il prétendre y voir clair, comment peut-il justifier de distinguer l’opinion vraie au sein du maelström des opinions contraires ? Il me semble que s’impose l’hypothèse suivante : Evidemment, celui qui bénéficierait des conseils d'une sorte de médiateur, d’un intermédiaire entre les dieux et les hommes, celui-là pourrait prétendre à une forme de savoir sur ce qui concerne la volonté des dieux. Un médiateur, c'est-à-dire un daïmôn.

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Message par Courtial Jeu 10 Sep 2009 - 18:33

C’est sans doute ce raisonnement qui conduit Socrate à affirmer que seuls les hommes sensés devraient entrer dans le commerce avec les dieux (volontairement, pourrait-on dire). C’est l’occasion de distinguer et définir l’homme en délire [mainomenon] et l’homme sain d’esprit [phronein] (138c), qui semblent deux contraires. Or, puisque les hommes sensés sont rares, il faudrait conclure que la plupart des hommes sont fous. Mais si tel était le cas, la Cité serait invivable

Je serais bien partant pour ta lecture, mais je comprends alors d'autant moins pourquoi tu fais mine de confondre dès l'abord la question de la theia moira (lot, mission divine, destination, tu le traduis comment?) avec celle de l'enthousiasme (possession divine)... Deux sujets qui me semblent aux yeux de Platon tout à fait distincts. Je ne crois même pas qu'il veuille essayer de faire glisser la première vers l'autre - il semble qu'au début du Phèdre, quand il distingue les formes diverses de la mania, etc., on est bien d'accord sur ce point.
Socrate a-t-il besoin d'être enthousiasmé pour faire son travail? Il le dit, parfois - au reste, il jure comme un charretier, tout le Panthéon y passe. Dans le Phèdre, toutefois, on sent que l'appel aux Muses (accompagnement de flûtes, de pipeaux, aurais-je envie de dire) est franchement ironique...

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Message par Bergame Jeu 10 Sep 2009 - 19:26

Aaah ! Merci de ce commentaire, Courtial. Je suis tellement content que je lui saute dessus et y répond dans la foulée.

Bon, je sais explorer une voie un peu originale (en même temps, la prétention à l'originalité m'est tellement insupportable, j'espère qu'on voudra bien me pardonner cette forfanterie s'agissant de l'auteur le plus commenté en Occident depuis 2500 ans, cette prétention n'étant vraisemblablement qu'un effet de mon ignorance, bref) mais je suis effectivement une hypothèse : Et si Socrate n'était pas le fondateur du rationalisme qu'on veut voir en lui ? Si, par exemple, la référence aux Muses n'était pas ironique ? Etant entendu, bien sûr, qu'à ce stade, lorsque je dis "Socrate", je peux dire aussi bien "Platon", je n'en sais rien. Mais quand même, le Socrate de Platon, c'est un gars qui entend des voix, quoi. C'est un gars qui reste des heures debout sur une jambe, sans bouger, les yeux perdus dans le lointain. C'est un gars qui "voit" des choses, qui n'hésite pas à se comparer aux devins et aux prophètes, qui se croit manifestement investi d'une mission divine. C'est un gars qu'on accuse à mots couverts de sorcellerie, c'est d'ailleurs un gars à qui l'on aurait interdit, sous les Trente, de pratiquer son "art".
Et certes, son art est celui de la parole, et uniquement, semble-t-il, de la parole. Mais lorsqu'on lit ce qu'en dit Alcibiade, lorsqu'on constate l'impact qu'il a eu sur ses contemporains, et lorsque, surtout, on entrevoit ou croit entrevoir le pouvoir que les Grecs accordaient au Logos (ce que dit par exemple Gorgias de la rhétorique me semble, personnellement, tout à fait étonnant) hé bien on se dit, du moins je me dis, que tout cela a un parfum assez étrange. C'est cette petite piste que je me suis amusé à essayer de suivre un peu, celle en quelque sorte, d'un Socrate shaman ou magicien. Je n'ai pas franchement le temps de continuer, peut-être que tu auras d'ailleurs des lectures à me proposer ? J'ai trouvé quelques références très récentes sur le net, et puis Devereux, bien sûr, et les pistes de Dodds.

Cela étant, pour répondre à ta question plus précise, oui, je pense que Socrate se définit comme enthousiaste. Je pense avoir suggéré qu'on peut comprendre sa théorie de la connaissance comme ne reposant pas sur la phronésis, disons sur la raison, mais bien sur l'opinion vraie. Or, l'opinion vraie, elle est l'apanage de celui qui possède la vertu, et celle-ci est une theia moïra (c'est bien la conclusion du Ménon, à moins que ma traduction ne soit à revoir). La difficulté devant laquelle je suis maintenant est de distinguer ce qui est de l'ordre des dieux du Panthéon et qui est plutôt rendu par theou dosin, et ce qui est de l'ordre de la divinité personnelle qu'est le daïmon. Je veux dire qu'il semble y avoir d'un côté les dons des dieux (le feu, le logos, etc.) et de l'autre la théia moïra, et sans doute est-ce différent. En revanche, j'ai beaucoup moins de mal à associer théia moïra et possession divine : Les hommes politiques, les poètes, et les devins sont trois catégories d'"hommes divins", càd possédés par le dieu, et détenant en partage la théia moïra. C'est bien ce que j'ai essayé de montrer ici.

Or, si l'on continue sur le daïmon à partir de là où j'en suis resté, on voit que Socrate n'est apparemment pas le seul à en posséder un. Dans les deux mythes qui cloturent le Phédon et la République , il est dit que les âmes des hommes sont chacune menées par un daïmon. Mais le mythe d'Er le Pamphylien nous en dit un peu plus : Le daïmon est justement attribué par les Moires, filles d'Ananké (la Nécessité). Par conséquent, peut-être est-il lui-même cette part divine qui constitue le destin de chaque homme, et, en même temps, ce médiateur entre l'homme et les dieux. Dès lors, il faudrait comprendre qu'être enthousiaste, pour Socrate, ce n'est pas... mal, si j'ose dire. C'est même, comme il est dit dans le Phèdre, le plus grand des biens. D'ailleurs, le Socrate de Xénophon dit lui aussi, dans les Mémorables, quelque chose comme : Le fou est celui qui n'écoute pas les dieux. Reste à savoir ce que cela veut dire, "écouter les dieux". Il semblerait, si mon étude a quelque sens, que Socrate distingue ceux qui, comme Alcibiade, pensent pouvoir entrer dans une relation directe avec les dieux sur le mode du "do ut des" -et eux, sans doute, ne sont pas bien sages- et ceux qui savent se mettre à l'écoute de leur guide, de leur médiateur dans ce commerce avec les dieux, de leur destin. Mais de toutes façons, il ne faut pas oublier, je crois, que le philosophe n'est pas sage, et que tous les hommes, d'ailleurs, se positionnent sur un continuum plus ou moins sage, càd plus ou moins enthousiaste. Car les hommes sont des marionnettes aux mains des dieux. Mais parmi tous les fils qui les meuvent et qui menacent de les tirer perpétuellement d'un côté, puis de l'autre, il en est un seul d'or, et c'est celui-là qu'il faut apprendre à reconnaître. Sans doute, on ne peut pas, au début, le faire seul.

Ce que je pense, donc, du moins ce que je poursuis avec cette petite étude, c'est que Socrate -et Platon- loin d'être l'inventeur de la subjectivité et de la rationalité, du "penser par soi-même", et loin également d'être un athée ou un impie, était au contraire beaucoup trop pieux pour la religion civique grecque. Un fanatique, un ascète, du moins un homme habité, un prophète. D'ailleurs, je crois que Nietzsche, au fond, ne le comprend pas autrement.
Pardonne à mon esprit romanesque, mais lorsque je lis Platon, je crois lire en filigrane une longue réflexion, une interrogation : "Mais qu'est-ce qu'était Socrate ?"

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Message par Vargas Sam 12 Sep 2009 - 12:44

Voir la part d'irrationnel chez lui :gsdgr:

Plus encore pour la compréhension de Nietzsche :
il a voulu mettre en valeur le Socrate hors du personnage de Platon.

Après tout, Socrate avait été très intéressé par Héraclite l'Obscur dans sa jeunesse, tout en traçant son parcours bien à lui.
Hop Platon rationalise, notamment la figure de Socrate, et via son caractère littéraire, en restant encore dans une certaine forme de cohabitation.
Enfin, Aristote, qui se détachera encore plus des présocratiques (en ne favorisant que certains) pour fournir les véritables armes de la rationalité dont héritera la rationalité médiévale et au-delà.

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Message par Bergame Dim 13 Sep 2009 - 2:25

Comment qualifier le rapport de Nietzsche à Socrate ? Il me semble que c’est assez complexe. Je pense toujours que la meilleure façon de comprendre Nietzsche, c’est de constater que sur tout sujet, il est contradictoire, et que c’est cette contradiction qu’il faut penser.
En l’occurrence, Socrate n’est pas un mince sujet de préoccupation pour Nietzsche. Il dit quelque part : « Socrate, il me faut l’avouer, m’est si proche que je me bats presque sans arrêt contre lui. » Il s’interroge beaucoup, lui aussi, sur le personnage de Socrate. Effectivement, il cherche à retrouver le vrai Socrate sous la gangue platonicienne –mais il se lamente également de ce que Platon aurait pu devenir s’il n’avait pas croisé la route de Socrate. Pour cela, il se fonde sur le Socrate de Xenophon, qu’il juge plus juste, plus « honnête » -Kierkegaard au contraire, le trouvait trop bourrin- et compare. En particulier, une grille de lecture chez Nietzsche, c’est la basse extraction de Socrate, son caractère plébéien –ce qui est évidemment forcé, Hegel par exemple avait bien noté que Socrate, quoique fils d’artisan, avait bénéficié de la meilleure éducation possible en son temps. Mais on sait que chez Nietzsche, c’est plus de sang et de race qu’il s’agit que d’autre chose. Cela donne le Socrate utilitariste du §190 de Par-Delà ou celui du Problème de Socrate dans le Crépuscule. Et puis il y a aussi le fameux §340 du Gai Savoir, et son interprétation –assez personnelle- des dernières paroles de « Socrate mourant ». Quoique Nietzsche y voit du pessimisme, ce pessimisme symptomatique du philosophe, perce, sous l’ironie, un véritable éloge.
Les cours que Nietzsche a donnés dans les années 1871-1874 sont également importants pour comprendre comment se construit sa pensée, et singulièrement, vis-à-vis des Grecs. On y lit par exemple la conviction de Nietzsche que la biographie intellectuelle qui est présentée dans le Phédon est bien celle de Socrate et non celle de Platon. Or, elle dessine le portrait d'un homme qui est passé d'une opinion à une autre, qui a su se déprendre de ce qu'il savait pour expérimenter le non-savoir, puis en a trouvé une issue. Socrate est ainsi parvenu à cette forme particulière de savoir et de non-savoir (Introduction à la lecture des Dialogues de Platon, §22).
En fait, je pense que, pour Nietzsche, Socrate est le modèle du philosophe, son « idéal-type » pour faire un quasi-anachronisme. Lorsque Nietzsche réfléchit à ce que c’est qu’un philosophe, c’est souvent à Socrate qu’il pense. Par exemple, le §289 de Par-Delà est quasiment dédié à Socrate, sans que celui-ci ne soit évoqué explicitement. Il y a en particulier une allusion au « labyrinthe » sur laquelle on peut, je crois, fructueusement développer.

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Message par Tenzin Dorje Dim 13 Sep 2009 - 12:04

Bergamotte a écrit:Pour cela, il se fonde sur le Socrate de Xenophon, qu’il juge plus juste, plus « honnête » -Kierkegaard au contraire, le trouvait trop bourrin- et compare. En particulier, une grille de lecture chez Nietzsche, c’est la basse extraction de Socrate, son caractère plébéien –ce qui est évidemment forcé, Hegel par exemple avait bien noté que Socrate, quoique fils d’artisan, avait bénéficié de la meilleure éducation possible en son temps.

Kierkegaard a tout lu sur Socrate et ses compagnons, y compris l'Alicibiade de Plutarque (si c'est bien de lui, je ne me souviens plus avec certitude). Ceci n'aide pourtant pas à saisir comment il en est arrivé à dépeindre un Socrate exclusivement portée sur la dialectique négative (procédant en ne résolvant pas). Quelques textes de Platon semblent aller dans ce sens, mais je pense que le non-dit, ou plutôt le non-écrit de Socrate lui-même fut une piste.

Concernant Hegel, il a trouvé, chez Socrate, les deux moments : négatifs et possitifs. A la différence d'un Aristote, cependant, il en a fait la "dialectique de l'existence" le "mouvement de l'existence", cet aufgehoben.

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Message par Chut Dim 15 Juil 2012 - 0:18

Bonsoir et merci Bergame, j’ai tout lu et trouvé très intéressant. Ce qui est marrant c’est qu’à force de baigner là-dedans on finirait assez vite par trouver ordinaire et familier de considérer comme après tout normale l’idée d’une présence plus ou moins cachée mais cependant effective et active suivant un certain nombre de procédures particulières d’une ribambelle de dieux.

D’ailleurs finalement qu’est-ce que le monothéisme sinon une solution de facilité et de simplification consistant à mettre dans le même sac tout ce qui nous dépasse, une sorte de clef à molette du croyant pour s’épargner de la fatigue en pensant que de toutes façons à quoi bon faire des catégories d’objets dont on n’a rien à dire sérieusement et qu’on est bien en peine de définir…

Et pourtant il serait peut-être possible de délimiter certains champs dans ce qui nous dépasse, par exemple le champ qui concerne la création artistique.
Je dis ça car il m’apparait que Socrate peut être considéré au fond comme un artiste. C'est-à-dire quelqu’un qui a un certain nombre de particularités, comme celle d’une rareté, tout le monde n’est pas artiste, celle d’un démarquage par rapport à autrui (s’éloigner des préjugés, des a priori, du mimétisme), et bien sûr de la production d’un objet d’art, qui donne en tant que tel à voir, à entendre, à moudre, de l’invisible révélé porteur de sens et de sensation, de l’inouï, de l’inattendu nouveau bienvenu ou dérangeant. Quelqu’un qui du fait de ce démarquage peut aussi entretenir une fragilité, certains rapport avec ce qu’on peut appeler des aspects de « folie », et qui dans ce cadre peut par exemple attribuer sa capacité artistique à un lien privilégié avec ce qui nous dépasse, un monde des Dieux vers qui l’artiste tend le doigt en se dépassant lui-même et le commun des mortels dans son action artistique.

Car Socrate n’est pas un pédagogue, ce n’est pas son truc même s’il n’a rien contre : « A la vérité c’est pourtant une belle chose, à mon sens, d’être capable, éventuellement, de faire l’éducation des gens (…) » et même si certains passages peuvent laisser supposer qu’il a des avis sur la question.
Ce qui peut tromper dans cette histoire c’est qu’il emploie des procédés apparentés à une pédagogie assez élaborée et habile et qu’on peut supposer comme tu le remarques que Socrate interrogeant connait au moins parfois les réponses. Alors qu’en fait son geste artistique va consister à faire apparaître ces réponses grâce à un dieu et en se plaçant lui et son ou ses interlocuteurs dans des conditions adéquates pour la naissance d'un objet sagesse.

Et non pas aussi qu’un pédagogue ne puisse être un artiste dans sa partie, mais la cible de Socrate n’est pas constituée par les gens en manque de connaissance et de sagesse et qu’il s’agirait d’alimenter en ce sens, des élèves, mais bien plutôt spécifiquement les gens qui prétendent à la sagesse sans être sages. Son but est un but d’humiliation, dont on pourrait interroger l’origine mais c’est une autre histoire, humiliation dans le sens de rendre humble qui ne l’est pas car persuadé de détenir un savoir, des vérités, de prendre « en flagrant délit de faire mine de savoir », celui « qui se figure qu’il l’est sans l’être réellement » etc.. (tiens ça me rappelle quelqu’un) ; manœuvre délicate où il convient d’éviter les écueils de la bêtise et de la blessure infligée, manœuvre très difficile admirablement et invariablement réussie par Socrate l’artiste.

Et puis l’artiste ne se fait pas payer. Comme le dit Robert Combas cité sur un autre fil : « Ca ne me gêne pas de vendre des tableaux mais le jour où je ferais des tableaux pour l’argent, vraiment ce sera la fin du monde. » Jacques Anquetil également déclarait (approximativement) : « Si tu veux gagner des courses, alors tu gagneras de l’argent, mais si tu veux gagner de l’argent tu ne gagneras pas de courses ». Et en tout cas ce ne sera plus de l’art.

Socrate malgré son ironie ne se considère pas non plus comme un amuseur.

En ce qui concerne Socrate et les dieux, d’abord il y a la croyance en la Pythie qui a annoncé sa sagesse exceptionnelle, et un peu poussé il finit par exprimer une position très claire : il croit aux dieu, et même plus : la divination « démonique » lui est « coutumière », parfois avec « une extrême fréquence », lui donnant des « signaux », lui opposant des « empêchements » etc… et c’est là qu’on peut de mon point de vue éventuellement évoquer une sorte de « folie », ainsi aussi que dans son attitude par rapport à la mort.

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