Lettre à Mersenne 15/04/1630
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Bergame
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Lettre à Mersenne 15/04/1630
Quelle est la nature et l'origine de l'objet mathématique? Une figure, un nombre, ne sont certes pas des choses? Alors ce sont des idées? Autre chose encore? Et d'où viennent-ils?
On a là-dessus trois positions classiques :
1) l'empirisme : l'objet mathématique est une abstraction à partir d'un donné empirique de base.
2) l'intuitionnisme : les objets mathématiques ont une réalité indépendante de notre pensée, une réalité idéelle (platonisme). Hilbert semble l'entendre ainsi : les ensembles sont des objets distincts de ma pensée (des mêmes objets).
3) le constructivisme : ce sont des fictions, des êtres de raison, inventées par le mathématicien à partir de certaines recettes (ou exigences) formelles.
Je n'insiste pas sur le fait que la question ne peut évidemment pas être tranchée mathématiquement (ça n'est pas une question mathématique) ni sur son caractère indécidable.
Je crois seulement pouvoir noter que c'est le constructivisme qui semble avoir gagné la bataille en ce sens qu'il est la position dominante ou la plus fréquente si on interroge les mathématiciens (si on leur demande brutalement : un triangle, pour toi, c'est quoi?)
Mais cette vue rencontre une difficulté dans l'articulation maths/physique, càd en clair la mathématisation de la physique. Comment en expliquer le succès? Si les objets et procédures mathématiques sont des fictions plus ou moins arbitraires, comment expliquer qu'ils puissent correspondre, congruer, être pertinents pour décrire ou expliquer une réalité empirique qui n'a par hypothèse aucun rapport avec eux?
Bon, maintenant, je répète la même chose en changeant de langue, je traduis en métaphysique :
Nous savons que l'étendue et la pensée sont rigoureusement distinctes, et ceci non seulement sur le plan logique, mais en réalité (leur différence est substantielle). L'étendue, la matière est soumise à des lois mécaniques, que la physique s'emploie à découvrir. Mais la pensée a aussi ses propres loi, son ordre (l'ordre des raisons) par lequel les propositions s'enchaînent rigoureusement, et dont la découverte fait l'objet de la mathématique universelle.
Mais il n'y a aucune raison que ces deux concaténations se correspondent. Ou alors il faut sortir du dualisme et faire du Spinoza (Ethique II, prop. 7 : "l'ordre et la connexion des idées sont les mêmes que l'ordre et la connexion des choses").
Descartes tranche par une thèse métaphysique, la fameuse création des vérités éternelles :
Je ne laisserai pas de toucher en ma physique plusieurs questions métaphysiques, et particulièrement celle-ci : que les vérités mathématiques, lesquelles vous nommez éternelles, ont été établies de Dieu et en dépendent entièrement, aussi bien que tout le reste des créatures. C'est en effet parler de Dieu comme d'un Jupiter ou Saturne, et l'assujettir au Styx et aux Destinées, que de dire que ces vérités sont indépendantes de lui. Ne craignez point, je vous prie, d'assurer et de publier partout que c'est Dieu qui a établi ces lois en la Nature, ainsi qu'un roi établit des lois en son royaume.
Or il n'y en a aucune en particulier que nous ne puissions comprendre, si notre esprit se porte à la considérer, et elles sont toutes mentibus nostris in genitae (1), ainsi qu'un roi imprimerait ses lois dans le coeur de ses sujets, s'il en avait aussi bien le pouvoir.
Lettre à Mersenne du 15 avril 1630
(1) elles sont dans nos esprits de naissance, innées.
Un texte très étrange, non? D'autres commentaires?
On a là-dessus trois positions classiques :
1) l'empirisme : l'objet mathématique est une abstraction à partir d'un donné empirique de base.
2) l'intuitionnisme : les objets mathématiques ont une réalité indépendante de notre pensée, une réalité idéelle (platonisme). Hilbert semble l'entendre ainsi : les ensembles sont des objets distincts de ma pensée (des mêmes objets).
3) le constructivisme : ce sont des fictions, des êtres de raison, inventées par le mathématicien à partir de certaines recettes (ou exigences) formelles.
Je n'insiste pas sur le fait que la question ne peut évidemment pas être tranchée mathématiquement (ça n'est pas une question mathématique) ni sur son caractère indécidable.
Je crois seulement pouvoir noter que c'est le constructivisme qui semble avoir gagné la bataille en ce sens qu'il est la position dominante ou la plus fréquente si on interroge les mathématiciens (si on leur demande brutalement : un triangle, pour toi, c'est quoi?)
Mais cette vue rencontre une difficulté dans l'articulation maths/physique, càd en clair la mathématisation de la physique. Comment en expliquer le succès? Si les objets et procédures mathématiques sont des fictions plus ou moins arbitraires, comment expliquer qu'ils puissent correspondre, congruer, être pertinents pour décrire ou expliquer une réalité empirique qui n'a par hypothèse aucun rapport avec eux?
Bon, maintenant, je répète la même chose en changeant de langue, je traduis en métaphysique :
Nous savons que l'étendue et la pensée sont rigoureusement distinctes, et ceci non seulement sur le plan logique, mais en réalité (leur différence est substantielle). L'étendue, la matière est soumise à des lois mécaniques, que la physique s'emploie à découvrir. Mais la pensée a aussi ses propres loi, son ordre (l'ordre des raisons) par lequel les propositions s'enchaînent rigoureusement, et dont la découverte fait l'objet de la mathématique universelle.
Mais il n'y a aucune raison que ces deux concaténations se correspondent. Ou alors il faut sortir du dualisme et faire du Spinoza (Ethique II, prop. 7 : "l'ordre et la connexion des idées sont les mêmes que l'ordre et la connexion des choses").
Descartes tranche par une thèse métaphysique, la fameuse création des vérités éternelles :
Je ne laisserai pas de toucher en ma physique plusieurs questions métaphysiques, et particulièrement celle-ci : que les vérités mathématiques, lesquelles vous nommez éternelles, ont été établies de Dieu et en dépendent entièrement, aussi bien que tout le reste des créatures. C'est en effet parler de Dieu comme d'un Jupiter ou Saturne, et l'assujettir au Styx et aux Destinées, que de dire que ces vérités sont indépendantes de lui. Ne craignez point, je vous prie, d'assurer et de publier partout que c'est Dieu qui a établi ces lois en la Nature, ainsi qu'un roi établit des lois en son royaume.
Or il n'y en a aucune en particulier que nous ne puissions comprendre, si notre esprit se porte à la considérer, et elles sont toutes mentibus nostris in genitae (1), ainsi qu'un roi imprimerait ses lois dans le coeur de ses sujets, s'il en avait aussi bien le pouvoir.
Lettre à Mersenne du 15 avril 1630
(1) elles sont dans nos esprits de naissance, innées.
Un texte très étrange, non? D'autres commentaires?
Courtial- Digressi(f/ve)
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Re: Lettre à Mersenne 15/04/1630
Il est cetainement vrai que les idées sont des fictions, au sens où elle sont créée; or, ce qui a de mystérieux réside dans le fait qu'elles ont l'aptitude à correspondre à une réalité empirique de tel sorte qu'elle épouse la substantialité elle-même par l'intermédiaire du concept d'unité. Par conséquent, l'idée d'une substance simple, que l'on pourrait s'amuser à dénommer: particule élémentaire, donne l'intuition de l'unité qui a pour caractère l'indivisibilité soit, l'indestructibilité de sa morphologie première et uniforme: le Un premier, d'où 2,3,4,5... ne sont que les coefficients de sa multiplicité possible.
Toute cette génération n'est, à mon sens, que le résultat d'une imitation résultant de l'observation de la nature en son mouvement de différenciation continu et paradoxal. L'aplanissement de cette différenciation par le nombre (temps) ou par la forme (espace) n'est que le résultat d'une acuité non développé davantage dû à un état psychologique qui prend racine dans l'angoisse que provoque le processus de différenciation continu, le Devenir. Le désir de constituer l'Un apaise donc l'incertitude liée au Devenir en question. Une fois cette unité faite nous préférons la conserver - illustrant notre besoin de sécurité - en s'abstenant d'augmenter la qualité de notre acuité qui nous ferait renoncer à ces fictions immuables.
Toute cette génération n'est, à mon sens, que le résultat d'une imitation résultant de l'observation de la nature en son mouvement de différenciation continu et paradoxal. L'aplanissement de cette différenciation par le nombre (temps) ou par la forme (espace) n'est que le résultat d'une acuité non développé davantage dû à un état psychologique qui prend racine dans l'angoisse que provoque le processus de différenciation continu, le Devenir. Le désir de constituer l'Un apaise donc l'incertitude liée au Devenir en question. Une fois cette unité faite nous préférons la conserver - illustrant notre besoin de sécurité - en s'abstenant d'augmenter la qualité de notre acuité qui nous ferait renoncer à ces fictions immuables.
Came- Digressi(f/ve)
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Re: Lettre à Mersenne 15/04/1630
J'aimerais bien que tu explicites en quel sens tu trouves ce texte étrange, Courtial ? Etrange, pour nous, ou au regard de la pensée de Descartes ? Globalement, je pense que la doctrine épistémologique de Descartes est ce qu'on peut appeler un réalisme ou intuitionnisme, non ? De mon côté, je cite parfois la Cinquième Méditation, qui me semble peut-être un complément à cette lettre. Descartes y parle même de "réminescence", signifiant clairement par là, je suppose, l'influence platonicienne de ses conceptions.
A part ça, j'ai regardé un peu Guenancia, j'ai pas tout compris à l'analyse qu'il tire de la distinction entre mentibus nostris ingenitae(Lettre) et ideas veras mihi ingenitas (Méditation) mais j'ai un peu suivi l'analogie entre Dieu et le monarque.
Guenancia nous dit que la thèse de l'indépendance des vérités éternelles à l'égard de Dieu était courante à l'époque de Descartes (je suis d'ailleurs étonné). C'est contre cette thèse, qui ravale le Dieu unique au rang de divinité grecque, qu'il écrit donc ici. Au fondement rationnel de la vérité, Descartes semble opposer un fondement arbitraire. Ce n'est pas parce qu'une chose est bonne ou vraie que Dieu l'a créée, c'est parce que Dieu l'a créée qu'elle est bonne ou vraie -de même que la loi procède de la volonté du monarque (absolu).
Mais bien qu'elles soient arbitraires, ces lois ne sont pas inintelligibles. Parce qu'elles ne sont pas seulement imposées à notre esprit, mais qu'elles lui sont proprement siennes :
A part ça, j'ai regardé un peu Guenancia, j'ai pas tout compris à l'analyse qu'il tire de la distinction entre mentibus nostris ingenitae(Lettre) et ideas veras mihi ingenitas (Méditation) mais j'ai un peu suivi l'analogie entre Dieu et le monarque.
Guenancia nous dit que la thèse de l'indépendance des vérités éternelles à l'égard de Dieu était courante à l'époque de Descartes (je suis d'ailleurs étonné). C'est contre cette thèse, qui ravale le Dieu unique au rang de divinité grecque, qu'il écrit donc ici. Au fondement rationnel de la vérité, Descartes semble opposer un fondement arbitraire. Ce n'est pas parce qu'une chose est bonne ou vraie que Dieu l'a créée, c'est parce que Dieu l'a créée qu'elle est bonne ou vraie -de même que la loi procède de la volonté du monarque (absolu).
Mais bien qu'elles soient arbitraires, ces lois ne sont pas inintelligibles. Parce qu'elles ne sont pas seulement imposées à notre esprit, mais qu'elles lui sont proprement siennes :
Au final, la comparaison fait donc ressortir l'incomparabilité entre les deux puissances, l'une en quelque sorte devenant nous-mêmes en tant que naturelle, l'autre demeurant arbitraire et étrangère à nous-mêmes.Guenancia a écrit:L'arbitraire divin ne s'exerce pas sur nous comme un fatum opaque mais davantage à la manière d'une cause dont l'effet est en nous, ou plutôt dont l'effet est nous-mêmes [...] L'effet de la toute-puissance divine est donc l'inséparabilité de la vérité et de l'esprit humain : quand nous adhérons à la vérité, c'est simultanément à nous-mêmes que nous adhérons. C'est pourquoi, soit dit en passant, la vérité ne diminue pas le libre arbitre.
(Lire Descartes, Folio, p.396)
Bergame- Persona
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Re: Lettre à Mersenne 15/04/1630
Etonnant pour le lecteur (de l'époque). Création des vérités éternelles est une expression contradictoire dans les termes, aussi Descartes dit-il "lesquelles vous nommez éternelles". L'idée était que les vérités logiques et mathématiques sont incréées, qu'elles sont consubstantielles à Dieu (ou coéternelles, si j'ose dire). Chez Leibniz, elles s'imposent à l'entendement divin lui-même, qui est donc passif par rapport à elles. Il n'est pas au pouvoir de Dieu que A ne soit pas égal à A ou que 2+2 ne fassent pas 4.
C'est pourquoi je rangerais plutôt Descartes dans les constructivistes (quoique d'un genre inhabituel). Bien sûr j'accède à ces vérités par une intuition intellectuelle, mais celles-ci n'en sont pas moins "construites" (créees), sauf que c'est par Dieu et non par moi.
Si cette position tient par une thèse métaphysique que l'on ne pourrait soutenir en ces termes aujourd'hui sans encourir le ridicule, elle présente un gros avantage.
J'ai entendu il y a quelques années un de nos brillants mathématiciens (hélas, son nom ne me revient pas à l'instant... un ponte, Collège de France et tout et tout) qui expliquait qu'il voulait bien se rallier au constructivisme de rigueur chez ses collègues, mais que cela le gênait aux entournures. En effet, disait-il, quand je fais des mathématiques, je n'ai pas du tout l'impression d'inventer à mon gré des objets, je fais bien l'expérience d'une nécessité, d'une sorte de contrainte, comme si j'avais affaire à une réalité consistante, indépendante, et non à mon inventivité arbitraire,à ma fantaisie.
Or, la position cartésienne (et sur ce plan, je suis tout à fait d'accord avec Guenancia, si je peux me permettre l'immodestie) rend compte à la fois du côté arbitraire et de la contrainte : je ne peux pas penser autrement, puisque c'est mentibus nostris in genitae. Toujours se souvenir que chez Descartes (contrairement à Kant), l'entendement est une faculté essentiellement passive, une "réceptivité".
C'est pourquoi je rangerais plutôt Descartes dans les constructivistes (quoique d'un genre inhabituel). Bien sûr j'accède à ces vérités par une intuition intellectuelle, mais celles-ci n'en sont pas moins "construites" (créees), sauf que c'est par Dieu et non par moi.
Si cette position tient par une thèse métaphysique que l'on ne pourrait soutenir en ces termes aujourd'hui sans encourir le ridicule, elle présente un gros avantage.
J'ai entendu il y a quelques années un de nos brillants mathématiciens (hélas, son nom ne me revient pas à l'instant... un ponte, Collège de France et tout et tout) qui expliquait qu'il voulait bien se rallier au constructivisme de rigueur chez ses collègues, mais que cela le gênait aux entournures. En effet, disait-il, quand je fais des mathématiques, je n'ai pas du tout l'impression d'inventer à mon gré des objets, je fais bien l'expérience d'une nécessité, d'une sorte de contrainte, comme si j'avais affaire à une réalité consistante, indépendante, et non à mon inventivité arbitraire,à ma fantaisie.
Or, la position cartésienne (et sur ce plan, je suis tout à fait d'accord avec Guenancia, si je peux me permettre l'immodestie) rend compte à la fois du côté arbitraire et de la contrainte : je ne peux pas penser autrement, puisque c'est mentibus nostris in genitae. Toujours se souvenir que chez Descartes (contrairement à Kant), l'entendement est une faculté essentiellement passive, une "réceptivité".
Courtial- Digressi(f/ve)
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Re: Lettre à Mersenne 15/04/1630
Ok, c'était donc la position classique que celle des vérités mathématiques éternelles.
Classique depuis quand ? C'est scolastique aussi ?
Ton mathématicien français pourrait être Alain Connes, non ?
Mais je suis étonné de lire que le constructivisme est la position dominante aujourd'hui. Pour ma part, j'avais compris que la révolution quantique et la formalisation de la physique conduisaient plutôt à privilégier une position réaliste. Bon, je ne maitrise pas, anyway.
Classique depuis quand ? C'est scolastique aussi ?
Ton mathématicien français pourrait être Alain Connes, non ?
Mais je suis étonné de lire que le constructivisme est la position dominante aujourd'hui. Pour ma part, j'avais compris que la révolution quantique et la formalisation de la physique conduisaient plutôt à privilégier une position réaliste. Bon, je ne maitrise pas, anyway.
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Bergame- Persona
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Re: Lettre à Mersenne 15/04/1630
Je ne maîtrise pas plus. Il s'agissait bien de Connes, en effet!
Je ne crois pas néanmoins que la formalisation de la mécanique quantique conduise à un réalisme, mais le contraire. Pour moi, formalisme veut dire constructivisme. Dans la formalisation, on insiste sur des questions de cohérence, on conçoit des modèles, etc. Tout ceci est de la fabrication, de la construction. Ca a pour conséquence que l'on travaille sur des éléments qui relèvent de moins en moins de l'expérience (au sens banal, non scientifique du terme). Il me semble (mais je répète que je suis fort ignorant de ces choses et apprécierais qu'on me corrige, je le serais un peu moins!) que cette question fut évoquée dès l'époque de Solvay, lorsque les débats portèrent sur le fait qu'il fallait (ou pas) donner une représentation "intuitive" de la théorie. Je comprends cela comme signifiant : quelque chose que l'on puisse se représenter, ou construire dans l'espace, etc.
Je ne crois pas néanmoins que la formalisation de la mécanique quantique conduise à un réalisme, mais le contraire. Pour moi, formalisme veut dire constructivisme. Dans la formalisation, on insiste sur des questions de cohérence, on conçoit des modèles, etc. Tout ceci est de la fabrication, de la construction. Ca a pour conséquence que l'on travaille sur des éléments qui relèvent de moins en moins de l'expérience (au sens banal, non scientifique du terme). Il me semble (mais je répète que je suis fort ignorant de ces choses et apprécierais qu'on me corrige, je le serais un peu moins!) que cette question fut évoquée dès l'époque de Solvay, lorsque les débats portèrent sur le fait qu'il fallait (ou pas) donner une représentation "intuitive" de la théorie. Je comprends cela comme signifiant : quelque chose que l'on puisse se représenter, ou construire dans l'espace, etc.
Courtial- Digressi(f/ve)
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Date d'inscription : 03/07/2008
Re: Lettre à Mersenne 15/04/1630
Je ne laisserai pas de toucher en ma physique plusieurs questions métaphysiques, et particulièrement celle-ci : que les vérités mathématiques, lesquelles vous nommez éternelles, ont été établies de Dieu et en dépendent entièrement, aussi bien que tout le reste des créatures. C'est en effet parler de Dieu comme d'un Jupiter ou Saturne, et l'assujettir au Styx et aux Destinées, que de dire que ces vérités sont indépendantes de lui. Ne craignez point, je vous prie, d'assurer et de publier partout que c'est Dieu qui a établi ces lois en la Nature, ainsi qu'un roi établit des lois en son royaume.
Or il n'y en a aucune en particulier que nous ne puissions comprendre, si notre esprit se porte à la considérer, et elles sont toutes mentibus nostris in genitae (1), ainsi qu'un roi imprimerait ses lois dans le coeur de ses sujets, s'il en avait aussi bien le pouvoir.
Il s'agit pour Descartes dans ce texte d'éclairer, avant même la publication des MM (c'est, à vrai dire, son premier texte (publié) portant sur la métaphysique), le créationnisme divin. Je pense que la coupure du texte est insuffisante, il faudrait ajouter la suite pour bien entendre de quoi il s'agit :
Au contraire nous ne pouvons comprendre la grandeur de Dieu, encore que nous la connaissions. Mais cela même que nous la jugeons incompréhensible nous la fait estimer davantage ; ainsi qu’un roi a plus de majesté lorsqu’il est moins familièrement connu de ses sujets, pourvu toutefois qu’ils ne pensent pas pour cela être sans roi, et qu’ils le connaissent assez pour n’en point douter. On vous dira que si Dieu avait établi ces vérités, il les pourrait changer comme un roi fait ses lois ; à quoi il faut répondre que oui, si sa volonté peut changer. – Mais je les comprends comme éternelles et immuables. – Et moi je juge le même de Dieu. – Mais sa volonté est libre. – Oui, mais sa puissance est incompréhensible ; et généralement nous pouvons bien assurer que Dieu peut faire tout ce que nous pouvons comprendre, mais non pas qu’il ne peut faire ce que nous ne pouvons pas comprendre ; car ce serait témérité de penser que notre imagination a autant d’étendue que sa puissance.
Eu égard à la Méditation quatrième, selon laquelle, chez l'homme, l'entendement propose, la volonté dispose, chez Dieu, au contraire, volonté, entendement et création coïncident. Aussi chez Descartes est-il inconcevable que l'entendement divin se soumette à des vérités de raison qui lui préexistent. Dès lors, le Dieu de Descartes crée deux choses objectives : les idées et les créatures. Se forme un triangle. Les idées sont antérieures aux créatures ("de toute éternité"), c'est pourquoi chez ces dernières (les hommes exclusivement), leur entendement s'y soumet.
L'autre partie du texte (qui correspondrait à une troisième partie) porte sur l'incompréhensibilité de la création divine pour l'entendement humain. Problème : alternative suivante. Soit les vérités de raison ne sont pas éternelles. Soit Dieu est soumis à sa création. Solution de Descartes : Dieu est incompréhensible. Il est au-dessus de l’intelligible comme le roi des lois. Il crée l’intelligible. Il est inintelligible. Ou an-intelligible. Ses raisons dépassent notre entendement (faculté de comprendre) et notre imagination (non pas au sens d’imagination reproductrice, mais de faculté de création d’idée). On ne peut créer la raison expliquant la puissance de Dieu. 1. Dieu a fait tout ce qu’on comprend. 2. Dieu a aussi fait ce qu’on ne comprend pas.
Pour reprendre l’idée de constructivisme, je ne sais pas si elle a du sens chez Descartes. Dieu construit des conventions (des idées nécessaires et immuables accessibles à l’homme) : il y aurait alors un constructivisme divin, et un intuitionnisme humain.
Dernière édition par Chesnay le Mer 19 Aoû 2009 - 22:53, édité 1 fois (Raison : Révisions diverses.)
Chesnay- Digressi(f/ve)
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Re: Lettre à Mersenne 15/04/1630
Merci, Chesnay -et bienvenue :lut: . Je me demandais à quelle thèse s'opposait ainsi Descartes, en fait. Je veux dire, à qui ? Qui peut-on poser comme le théoricien idéal-typique des vérités mathématiques éternelles préexistantes à Dieu ?
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Bergame- Persona
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Re: Lettre à Mersenne 15/04/1630
Bergame a écrit:Merci, Chesnay -et bienvenue :lut: . Je me demandais à quelle thèse s'opposait ainsi Descartes, en fait. Je veux dire, à qui ? Qui peut-on poser comme le théoricien idéal-typique des vérités mathématiques éternelles préexistantes à Dieu ?
Les thomistes, ou, je crois, le Dieu de Platon, soumis aux lois. Dès que je retrouve mon édition d'Alquié (tome 1 en Flammarion), j'édite mon post ^^.
PS : Merci pour l'accueil :clind'oeil:.
Edit. : "Pour les thomistes, Dieu a créé les existences. Mais les essences font partie de sa propre vérité intelligible : Dieu les contemple en se contemplant. La première affirmation de Descartes (en ce qui concerne sa fameuse théorie de la création des vérités éternelles) c'est que les vérités mathématiques ont avec Dieu le même rapport que le reste des créatures, ce qui revient à dire qu'elles sont elles-mêmes créées." (p. 259-260, DESCARTES, Oeuvres philosophiques, tome I, 1618-1637, Edition de F. Alquié, Classiques Garnier)
Dernière édition par Chesnay le Mer 5 Aoû 2009 - 18:58, édité 1 fois
Chesnay- Digressi(f/ve)
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Re: Lettre à Mersenne 15/04/1630
Bonjour à vous tous
Ma question peut être bête mais ça n'empêche que je n'y trouve nulle réponse...
L'infini ...l'idée de l'infini est-elle créée? ou innée ? et quels sont les arguments de chaque groupe...:sais pas:
Merci à vous
Ma question peut être bête mais ça n'empêche que je n'y trouve nulle réponse...
L'infini ...l'idée de l'infini est-elle créée? ou innée ? et quels sont les arguments de chaque groupe...:sais pas:
Merci à vous
Scolastique- Digressi(f/ve)
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Re: Lettre à Mersenne 15/04/1630
Scolastique a écrit:Bonjour à vous tous
Ma question peut être bête mais ça n'empêche que je n'y trouve nulle réponse...
L'infini ...l'idée de l'infini est-elle créée? ou innée ? et quels sont les arguments de chaque groupe...:sais pas:
Merci à vous
Puisqu'on parle de Descartes (même si ce n'est pas l'endroit idoine), voilà ce qu'il en pense. Dans la troisième méditation des Méditations métaphysiques, Descartes écrit :
Toute idée doit bien avoir une cause et vient ainsi d'un être réel qui en tant que cause de l'idée, doit contenir en lui au moins autant de réalité formelle que cette idée ne contient de réalité objective.
Keskesaveudire ? Cela signifie que chaque idée dépend d'un être (une réalité formelle). Plus cette idée s'approche du concept de substance ("Une chose qui existe en telle façon qu'elle n'a besoin que de soi-même pour exister", Les Principes de la Philosophie, 51), plus elle a de réalité objective ou représentative (l'attribut a moins de réalité objective que la substance). Par exemple, en tant que substance pensante, je peux être la cause de l'idée de substance étendue : même si je n'ai pas tous ses attributs, reste que je suis une substance. Je suis éminemment (du point de vue du degré ontologique) sa cause formelle. Mais une substance dans un sens faible : car de vraie Substance, il n'y a que Dieu ("A proprement parler, il n'y a que Dieu qui soit tel, et il n'y a aucune chose créée qui puisse exister un seul moment sans être soutenue et conservée par sa puissance", ibidem). (Je suis une créature de Dieu, une chose créée par lui. Or, pour Descartes, Dieu est aussi bien créateur que conservateur (théorie de la création continuée). Aussi suis-je dépendant de Dieu pour être, et ne subsiste donc pas par moi seul.)
Dans la troisième méditation, Descartes cherche s'il a une idée dont son être - substance pensante - ne pourrait pas être la cause. L'idée d'infini, c'est-à-dire d'omniperfection. Or, j'estime combien je suis imparfait (dans la troisième objection à la première preuve a posteriori de Dieu, Descartes se définit comme indéfini, je tends vers la perfection, mais ne le serai jamais (perfection en puissance)). D'où, il y a un autre être que moi : Dieu. Cette idée d'infini fait donc le pont entre Dieu et moi, chez Descartes.
Selon le principe de causalité, l'idée d'infini n'est ni adventice (venant des sens extérieurs), ni factice (créée par moi) : elle est innée. C'est, comme l'écrit Descartes, en substance (je suis sponsorisé par ce mot), la marque du Créateur sur sa créature.
Dernière édition par Chesnay le Mer 19 Aoû 2009 - 21:10, édité 3 fois (Raison : Précisions lexicales et citationnelles.)
Chesnay- Digressi(f/ve)
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Date d'inscription : 01/08/2009
Re: Lettre à Mersenne 15/04/1630
Merci à vous Chesnay..mais qu'en est-il des autres philosophes ?
Scolastique- Digressi(f/ve)
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Date d'inscription : 03/08/2009
Re: Lettre à Mersenne 15/04/1630
Scolastique a écrit:Merci à vous Chesnay..mais qu'en est-il des autres philosophes ?
Chez Leibniz, il y a antériorité logique chez Dieu comme chez les créatures de l'entendement sur la volonté.
C’est pourquoi je trouve encore cette expression de quelques autres
philosophes tout à fait étrange, qui disent que les vérités éternelles
de la métaphysique et de la géométrie, et par conséquent aussi les
règles de la bonté, de la justice et de la perfection, ne sont que les
effets de la volonté de Dieu, au lieu qu’il me semble que ce ne sont que
des suites de son entendement, qui, assurément, ne dépend point de sa
volonté, non plus que son essence. (Discours de métaphysique, article 2.)
Cela ne signifie pas que la volonté divine est soumise aux vérités éternelles : c'est à son entendement que sa volonté est soumise. De sorte que, si Dieu est soumis à son entendement, il n'est soumis qu'à lui-même.
Chesnay- Digressi(f/ve)
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Date d'inscription : 01/08/2009
Re: Lettre à Mersenne 15/04/1630
Il me semble que les mathématiques sont soumises à une sorte d'inéluctabilité constitutive dés le moment où l'unité est posée. Et cela n'est pas du fait des mathématiques mais de la "perception-Réduction idéalisante" ( = génératrice d'Etants. ), c'est comme ça que je nomme la réduction phénoménologique, formule qui me semble réductrice ( Pardon ! ). Même l'infini, et soit dit en passant il en existe une foule de formes, notamment mathématiques, quand je le conçois est Un. D'ailleurs dés que je conçois quelque chose, il est d'emblée Un, c'est un Etant.
Toute perception est dans ce sens d'emblée réductrice, avant toute considération quant à son adéquation avec la chose perçue. C'est l'un des prix à payer pour l'existence du sujet, lombrics et autres, biologiquement dit, puis du Sujet, dialectiquement dit. Tous les animaux font des mathématiques, dans la mesure de chacun, même s'il n'y a qu'une espèce pour les formaliser.
Et même si les mathématiques ont depuis belle lurette fait preuve de leurs époustouflantes capacités, y compris prédictives en physique et autres, le prix n'en demeure pas moins, sine qua none, le fait d'être constitutivement réductrices. Les mathématiques ne recouvrent pas et donc, à cause de ce défaut originel nécessaire, ne pourront jamais recouvrir totalement le réel. La diagonale d'un carré est la racine de sa diagonale, donc un carré de dix de coté n'existera jamais que mathématiquement, pas plus qu'un authentique cercle puisque celui-ci requiert Pi, sans parler des deux ellipses ou cercles issus de la coupe d'un cône qui sont rigoureusement identiques mathématiquement, etc.
Quant à l'infini, terme générique donc, il y'en a plein, et même l'éternité est une forme d'infini, dés le moment où il est introduit dans les formules, les équations, etc, singulièrement en physique et cosmologie, c'est très vite du grand n'importe quoi. De telle sorte que le physicien ou le cosmologiste est d'emblée découragé quand cette nécessité vient à s'imposer à lui. Rien d'étonnant donc, eut égard à la nature de la perception, puis de la pensée, qui ne manipule et ne peut manipuler que des Etants, Uns par définition, et des mathématiques.
Toute perception est dans ce sens d'emblée réductrice, avant toute considération quant à son adéquation avec la chose perçue. C'est l'un des prix à payer pour l'existence du sujet, lombrics et autres, biologiquement dit, puis du Sujet, dialectiquement dit. Tous les animaux font des mathématiques, dans la mesure de chacun, même s'il n'y a qu'une espèce pour les formaliser.
Et même si les mathématiques ont depuis belle lurette fait preuve de leurs époustouflantes capacités, y compris prédictives en physique et autres, le prix n'en demeure pas moins, sine qua none, le fait d'être constitutivement réductrices. Les mathématiques ne recouvrent pas et donc, à cause de ce défaut originel nécessaire, ne pourront jamais recouvrir totalement le réel. La diagonale d'un carré est la racine de sa diagonale, donc un carré de dix de coté n'existera jamais que mathématiquement, pas plus qu'un authentique cercle puisque celui-ci requiert Pi, sans parler des deux ellipses ou cercles issus de la coupe d'un cône qui sont rigoureusement identiques mathématiquement, etc.
Quant à l'infini, terme générique donc, il y'en a plein, et même l'éternité est une forme d'infini, dés le moment où il est introduit dans les formules, les équations, etc, singulièrement en physique et cosmologie, c'est très vite du grand n'importe quoi. De telle sorte que le physicien ou le cosmologiste est d'emblée découragé quand cette nécessité vient à s'imposer à lui. Rien d'étonnant donc, eut égard à la nature de la perception, puis de la pensée, qui ne manipule et ne peut manipuler que des Etants, Uns par définition, et des mathématiques.
neopilina- Digressi(f/ve)
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Re: Lettre à Mersenne 15/04/1630
Scolastique a écrit:Bonjour à vous tous
Ma question peut être bête mais ça n'empêche que je n'y trouve nulle réponse...
L'infini ...l'idée de l'infini est-elle créée? ou innée ? et quels sont les arguments de chaque groupe...:sais pas:
Merci à vous
Je me considère comme un éléate, je peux en faire " physiquement " l'expérience à plusieurs occasions, qui vont déclencher des réactions de ce type et telles a priori.
Et l'éléatisme déteste l'idée même de l'infini, je ne sais pas encore pourquoi, mais c'est donc " physiquement " expérimenté. Déjà dans son Poème Parménide borne l'Être et en fait, faute de mieux, une sphère parfaite.
Je peux donc concevoir l'infini même s'il va de soi que cette idée, conception, etc, est Une.
Pour l'instant, la science ne connait aucun infini " en acte ", effectivement tel, réel et décrit, formalisé, par une discipline précise de la science.
Mais l'usage même du si fécond principe de cause à effet nous précipite encore semble t-il inéluctablement et logiquement vers une forme d'infini qu'est l'éternité : la question de l'origine de l'univers.
On a deux alternatives à ce propos aussi frustrantes l'une que l'autre, qui seront formulées clairement dés Aristote, notamment dans sa " Physique ".
Il y a quelque chose à l'origine de l'univers sous la forme que nous lui connaissons bien maintenant, et ainsi de suite, à rebours, on a une itération à l'infini de la cause de la cause.
Ou alors l'univers a toujours existé sous cette forme ou une autre.
Ce qui revient au même.
Là, très clairement, la pensée, la notre, tombe sur un mur.
Pour revenir au sujet du fil, de la nature des mathématiques, et ça fait déjà bien longtemps que je suis l'actualité de cette question, même si toutes les contributions ont leur intérêt, je vois bien que nous n'avons pas avancé d'un poil. La boite est encore bien hermétique.
Au dessus Courtial a écrit : " Il me semble (mais je répète que je suis fort ignorant de ces choses et apprécierais qu'on me corrige, je le serais un peu moins!) que cette question fut évoquée dès l'époque de Solvay, lorsque les débats portèrent sur le fait qu'il fallait (ou pas) donner une représentation "intuitive" de la théorie".
neopilina- Digressi(f/ve)
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