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Nietzsche est-il historiciste ? (devoir scolaire)

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Message par Rêveur Mer 14 Oct 2020 - 5:18

Je me permets de vous partager ici un devoir scolaire, dont j'espère qu'il est suffisamment digne d'attention. - Je n'ai malheureusement pas le retour du prof.
  Nous avions à rédiger des petits mémoires (ou grande dissertation) sur des sujets de notre choix liés à chaque cours. En l'occurrence un cours sur l'historicisme et la philosophie de l'histoire, principalement en Allemagne au XIXe siècle.

  

Nietzsche est-il historiciste ?


Commentaire de la 2e Considération Intempestive 1 de Nietzsche





 
       En 1874 paraît la Seconde Méditation Intempestive, sous-titrée : « Vom Nutzen und Nachtheil der Historie für das Leben », en français : « De l’utilité et des inconvénients de l’histoire pour la vie ». Dans ce texte, le (relativement) jeune N2 critique (dans toute la polysémie du verbe) l’étude historique et la fièvre historiciste qu’il constate en Allemagne.[/justify]
C’est à un courant de pensée complexe et difficile à pleinement saisir que s’attaque N. Le mot lui-même est plutôt une critique que le titre (revendiqué) d’un courant. D’ailleurs, il n’est pas même sûr que l’on puisse légitimement parler de courant de pensée (bien que N ne se prive pas de son côté d’employer ce mot de « courant » dans la préface) : il s’agit peut-être plutôt d’une certaine atmosphère, d’une tendance, ou de tendances que l’on regroupe dans ce mot-étiquette : car on peut y ranger à la fois la philosophie ou méthodologie de l’histoire (la recherche d’objectivité et de scientificité de l’histoire), la philosophie de l’histoire cette fois au sens de l’hégélianisme en particulier, qui paraît subsumer toute la philosophie voire la connaissance sous l’histoire comme déploiement de la raison, ou des projets d’histoire universelle, qui touchent à de nombreux domaines tous assimilés dans cette histoire (Herder, Kant, Condorcet notamment, chacun d’une manière différente), la méthodologie historiciste, si l’on peut ainsi appeler l’application de la méthode historique à de nombreux domaines, la volonté de faire une histoire du monde, y compris naturel (l’évolutionnisme particulièrement), enfin (sans prétendre ici à l’exhaustivité et à une parfaite catégorisation) une forme de relativisme axiologique, refusant ou modérant les jugements portés à l’encontre d’autres cultures, cherchant à comprendre chaque culture par elle-même et dans sa singularité (on pense à Herder ou Humboldt par exemple).
Ce serait plutôt à ces premières « tendances » (pas à la dernière, qui est la plus intuitive) que renvoie N ; mais on peut dire que c’est peut-être plus justement en fait à l’histoire, à l’excès d’histoire, qu’il s’attaque, plus généralement – plus « simplement ». D’ailleurs, c’est ainsi que N présente les choses : c’est surtout le commentateur qui est tenté d’appliquer ses propres concepts et grilles de lecture, et de parler d’historicisme, là où le mot n’est employé qu’une fois, dans la préface, après quoi N ne parle plus que d’histoire, d’historiens, d’historique (et de non historique). Ce qui n’implique pas que le commentateur soit tenu à respecter purement le vocabulaire et le schéma de N, car s’il allait au bout de cette démarche, son travail n’ajouterait rien à la lecture de l’oeuvre. Il ne doit pas s’interdire d’étudier le texte à l’aune de ses propres réflexions, bref de sa propre lecture. Et c’est d’ailleurs N lui-même qui y invite, en soutenant ou au moins suggérant (surtout dans ses œuvres suivantes) que tout est interprétation (voir par exemple PBM I, §22), et que ce qui compte est d’en être conscient et de donner la meilleure interprétation. Et pour obtenir cette dernière, PBM I §13 soutient que la méthode consiste en une « économie de principes », bref justement en la simplicité. Le problème complexe de l’historicisme prend alors la forme de la question : consacrons-nous (Allemands du XIXe siècle) trop d’énergie, donnons-nous trop de pouvoir, à l’histoire ? Et : quels sont l’utilité et les inconvénients de l’histoire ? À quoi N répond par un programme « simple », que l’on pourrait énoncer ainsi sommairement : l’aventure non-historique ; une charge contre la culture historique de son temps (en toute « intempestivité » et continuité de la précédente considération inactuelle).
Or, voilà qui interpelle. Si l’on parle d’historicisme aujourd’hui, c’est à une certaine forme de relativisme, refusant de juger le passé à l’aune du présent et s’exprimant par le fameux adage « autre temps, autres mœurs », que l’on pense le plus spontanément : mais la philosophie nietzschéenne ne se caractérise-t-elle pas comme un perspectivisme, que d’aucuns se permettraient de qualifier de relativisme, substituant à la vérité objective la volonté de vérité, dont la vertu est la « force », et qui est toujours liée à ses conditions d’apparition, notamment historiques (la compréhension d’un individu dépend de sa race, de sa civilisation...) ? Et si même on en revient à l’historicisme tel que N le présente dans le texte que nous étudions, à savoir la culture et la méthodologie historiques (et leur excès), difficile de ne pas faire le rapprochement avec la présence conséquente de références historiques dans les œuvres nietzschéennes (y compris même dans les CI, d’ailleurs), et le principe méthodologique consistant à retracer la généalogie, l’histoire, des notions, qu’il met particulièrement à l’œuvre dans sa GM. Après tout, N dit lui-même que « l’égal ne peut être connu que par l’égal » (p. 134). Aussi simple et énigmatique donc qu’est le propos de N (qu’est-ce que c’est, la culture non historique ? et comment peut-on critiquer l’histoire elle-même, qu’est-ce que ça signifie qu’un « excès d’histoire » ?), aussi simple et paradoxal sera notre question : Nietzsche n’est-il pas lui-même historiciste ? Nous la garderons à l’esprit tout au long de notre lecture et de notre commentaire, comme un point d’interrogation (voir PBM, 2, §25) posé sous la pensée de N – car l’intérêt de cette lecture dépasse ce simple livre. Cette lecture ne sera pas un suivi continu et exhaustif de l’œuvre : nous nous attarderons plutôt sur ce qui permet de parler de l’ensemble et de répondre à notre question. Et on peut juger qu’une telle lecture, en tant que telle, est nietzschéenne – dans la mesure où elle suit le modèle de l’histoire, et que celle-ci, plutôt qu’une stricte objectivité, doit viser un but ; et il faut prendre conscience que comprendre est toujours interpréter, et interpréter recréer ; le risque à ne pas être exhaustif étant d’en arriver aux lacunes de l’histoire monumentale non corrigée, quand « des pans entiers sont oubliés » etc. : le lecteur est juge de s’il en est ainsi, ou de s’ils sont fondamentalement présents, immergés et suggérés dans le drame entier, qui par ses idées générales dit l’essentiel (voir CI II, 6, p. 133).



1 Les citations données sans autre référence qu’une page ou une partie sont tirées des Considérations inactuelles I et II, folio essais, traduction Pierre Rusch. Les autres citations de N viennent des éditions GF.
2 Nietzsche. On utilisera également des initiales pour la Généalogie de la Morale (GM), Par-delà Bien et Mal (PBM), Ainsi Parlait Zarathoustra (APZ) et les Considérations Inactuelles (CI), ainsi que pour le Contrat Social (CS).

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Message par Rêveur Mer 14 Oct 2020 - 5:28

Ouverture


Laozi, 52 a écrit:Tout ce qui est sous le ciel a une origine
Cette origine en est la mère
Laozi, 64 a écrit:Ce qui n’est point éclos est facile à prévenir

Ce qui ne manque pas de frapper, dès la préface, le lecteur de N (de ses Par-delà bien et mal, Crépuscule des idoles etc.) qui découvrirait ce livre pour la première fois, c’est son style. Et parlant de N, chez qui celui-ci est indissociablement mêlé au fond (après tout, son propos dans les quatrième et cinquième parties consiste à critiquer l’opposition entre intériorité et extériorité), ce n’est pas une remarque superficielle.
D’abord, N ouvre par une citation de Goethe (auteur largement honoré), qu’il suit, ou au moins confirme ; et il emploie à nouveau des citations, souvent longues et qu’il ne critique généralement pas, dans la suite du texte. Or, s’il arrive fréquemment que N se réfère à d’autres dans ses autres œuvres, ce n’est généralement pas sous forme de citation, mais c’est comme recréé dans sa propre substance (ou pour le dire plus prosaïquement, c’est généralement sous forme d’une sorte de paraphrase).
Plus largement, outre inclure des citations dans son texte, N l’a écrit comme un essai (très loin de sa forme aphoristique habituelle ou de la narration mystérieuse d’APZ), et l’a construit de façon très structurée et classique, ouvrant par un avant-propos succinct et introduisant son propos, son problème (« la valeur et la non-valeur des études historiques »), sa thèse (formulée selon plusieurs vues, l’idée étant qu’il faut critiquer l’histoire, la culture historique, dans la mesure où elle ne sert pas la vie), la valeur ou les fondements de son propos (« un sentiment... » « j’ai le plus souvent emprunté à moi seul... »), le tout accompagné d’un certain lyrisme qui n’est pas incompatible avec un ton sérieux et académique (il est rare, et particulièrement en philosophie, qu’on ne cherche pas à captiver l’attention du lecteur – on le fait souvent au moyen d’une « phrase d’accroche » ou « amorce). La suite du texte est entièrement structurée selon un plan clair et bien introduit : après une considération générale (première partie) et l’introduction de thèses (p. 102-103), N présente d’abord l’utilité des études historiques, puis leurs inconvénients (réalisant exactement le projet annoncé dans le sous-titre), avant de lancer une invite lyrique comme en guise de conclusion ou d’ouverture (10e partie). Et pour le développement, il présente l’utilité des études historiques selon trois types d’histoire, d’où trois sous-parties, et leurs inconvénients sont listés en cinq points principaux (cinq sous-parties). C’est tout juste si la division du texte en parties ne suit pas complètement rigoureusement ce plan, et les deux dérogations à la règle (troisième et quatrième parties), ainsi que la légère interpénétration des thèmes (par exemple l’ironie intervenant dans la huitième) ne font que fluidifier le propos et le rendre plus naturel (outre qu’on ne peut totalement empêcher le second point qu’en tenant un propos artificiel – ce peut être à la rigueur le cas pour des sciences dures).
Enfin, considérons le propos de N, le problème et la thèse. Si on l’extrait du début du livre (des moyens d’accroche, des passages où N présente la nature de sa position, etc.), et on le simplifie, on peut l’exposer ainsi : 1) « l’élément historique et l’élément non historique sont également nécessaires à la santé d’un individu, d’un peuple, d’une civilisation » (1, p. 98), et 2) ce à quoi surtout N va s’attacher dans cet essai, c’est à critiquer spécifiquement la culture historique, et montrer la nécessité de l’élément non historique. Et c’est certes une position originale, paradoxale, et qui contraste (et se veut contraster) avec l’époque (« mais la plupart... sur le compte de notre époque », préf., p. 94). Mais il faut bien reconnaître qu’il n’y a en tant que tel rien qui dénote tant que ça par rapport à un essai classique. Surtout en philosophie, dont le travail consiste pour beaucoup à défendre une position originale et paradoxale, à critiquer la doxa – et dans les rares cas où le but visé est de défendre quelque chose qui ressemblerait à la doxa, l’opinion commune, l’auteur est tenu de se justifier2, et l’une des forces de son propos est à nouveau, paradoxalement, que défendre la doxa surprend, bref est paradoxal. Bref, tant que l’idée originale et paradoxale défendue dans un essai l’est à travers une argumentation philosophique et une structure logique, sous une forme classique (un essai en partie avec une introduction, un développement et une conclusion), cela reste familier à un lecteur de philosophie. Et ce paraît être au moins raisonnablement le cas ici. D’autant qu’on pourrait reformuler le propos en la forme suivante, en semblant conserver le sens : il faut viser le juste milieu dans le rapport aux études historiques (comme dans le reste), et ce en le rattachant à un bien (ou critère) suprême (comme dans l’aristotélisme, le platonisme et l’utilitarisme, ou encore dans le kantisme avec le critère d’universalisation), la vie ; et puisque notre époque (le XIXe siècle) penche essentiellement vers un extrême (l’excès d’histoire), notre tâche doit être de le corriger en réinclinant la balance dans l’autre sens. Autrement dit, on a affaire ici à une sorte d’aristotélisme (ou confucianisme) alternatif, en tout cas on peut lire le schème bien connu et reconnu du juste milieu3.
Or, nous avons pourtant ici affaire à Nietzsche. À un auteur qui a lui-même construit son propre style et son propre mythe (voir par exemple PBM I, §23, le marteau du Crépuscule des idoles, ou mieux encore les fameux titres des parties d’Ecce Homo), et qui a osé déclarer s’aventurer par-delà bien et mal, en l’explicitant dans la GM. Il faut donc s’interroger sur ce N apparemment normal auquel on a affaire ici.
On peut mettre en avant deux éléments de réponse. Le premier est le plus évident : l’auteur de ce livre est le jeune « Friedrich », âgé d’à peine 30 ans, et il est donc possible qu’il ne soit pas encore pleinement embarqué dans sa pleine excentricité, qu’il soit encore trop marqué par son éducation et par le style académique qu’il devait suivre4. Quant au second point, il complète le premier. Si l’on poursuit la lecture, on s’apercevra que le développement et la justification des idées de N ne sont pas complètement si classiques : qu’en s’engageant dans la lecture, on découvre peu à peu des implications, des fondements, on s’enfonce dans une perspective de plus en plus originale et dépaysante. Et qui prend tout son sens à la lecture de l’œuvre complète de N. – Refuser de tenir compte des œuvres ultérieures est limiter ses perspectives, et ne pas considérer l’œuvre d’abord dans son contexte propre est trahir sa réalité stricte. Quand on prend tout cela en considération, on peut aboutir à l’idée suivante : nous avons ici affaire au jeune philologue Nietzsche qui, s’embarquant sur une route d’abord naturelle et académique, et porté d’abord par un élan naturel philosophique (la curiosité, la recherche du paradoxe et de l’idée originale), est entraîné vers une direction « dangereuse » (PBM), et d’autant plus qu’il persévère dans cette voie sans s’en détourner au cours de sa carrière. Nous sommes ainsi témoins ici d’une pensée qui se crée.
Il y a en effet quelques points intéressants qu’il convient de souligner, dans le début de l’ouvrage. D’abord, N se présente comme un « philologue classique » (pr.), il en a donc conscience et même ironise, disant à la fin de la 1ère partie (p. 102) : « je recourrai à un procédé éprouvé de longue date, et poserai sans plus attendre un certain nombre de thèses ». On pourrait dire, donc, qu’en rédigeant cet essai (académique au moins en apparence), il joue un rôle ; mais pas seulement en ce sens.
D’un philologue, d’un penseur classique, il se distingue de deux façons, chacune répétée comme pour bien insister – comme en hésitant (ce qui est lisible ici mais ne l’est plus dans ses œuvres de maturité), en cherchant à se convaincre de la justesse de la voie suivie, en prenant conscience de sa singularité, comme le suggèrerait le 2nd paragraphe : « un sentiment qui m’a bien souvent tourmenté... », « je gagne quelque chose... ». D’abord, il s’oppose au temps présent et à la pensée dominante (c’est d’ailleurs la seconde considération « intempestive ») : « la plupart me diront... », « sur le compte de notre époque », « quelque chose dont l’époque se glorifie... » ; ensuite, il le fait en suivant un « sentiment » (« dépeindre un sentiment... », « j’ai le plus souvent emprunté à moi seul... »). Ce point est très important. D’abord, il singularise le fond méthodologique de l’œuvre, et il faut le garder à l’esprit pour la lire et commenter. Ensuite, il marque une forme de subjectivisme, presque de relativisme (avec « je ne tenterai pas de me disculper... », il paraît presque s’en excuser), et on peut encore une fois faire le rapprochement avec l’historicisme. Enfin, c’est présenté comme quelque chose dont il a conscience et qu’il pose comme devant être mentionné (ce dont il s’embarrassera moins par la suite). En ce sens, on peut dire là encore qu’il joue un rôle. Ce rôle, dans son entièreté, doit marier la nécessité académique et méthodologique avec la nécessité du sentiment qui l’inspire et la puissance du message qu’il veut transmettre.
Pour le mettre complètement en évidence et en question et pour conclure sur ce point, revenons sur le 3e paragraphe de la préface. Il s’ouvre ainsi (je souligne) : « Inactuelle, cette considération l’est encore parce que je cherche à comprendre [zu verstehen versuche] comme un mal, un dommage, une carence, quelque chose dont l’époque se glorifie à juste titre ». Ici, nous retrouvons bien cet habitus philosophique consistant à prendre le contre-pied de l’opinion courante (moteur de la pensée et des découvertes). N nous montre ici qu’il était libre de suivre cette voie, que sa philosophie, ici, se construit – et aussi qu’ainsi, nous-mêmes sommes libres d’explorer un peu ce sentier. En fait, nous avons ici mis en évidence ce principe qu’un individu ou une idéologie séparée et vivant en s’opposant aux autres, est entraîné dans un cercle vicieux où cette condition initiale génèrera des comportements et des interactions qui la nourriront en retour ; et dès que le schéma d’interprétation général du monde et des idées est profondément mis en place, il peut absorber toute altérité. C’est ce qu’on observe facilement aujourd’hui, en particulier sur internet, qui permet la formation de groupes idéologiques homogènes, et de bulles de filtration pour tous les utilisateurs, les algorithmes leur proposant un contenu similaire (nourrissant le biais de confirmation). Il ne s’agit pas ici de discréditer la pensée de N, mais de souligner que celle-ci devient en quelque sorte prisonnière d’elle-même, et est poussée d’elle-même vers l’extrême (ce qui a le mérite de nourrir une pensée originale). Et de souligner ce parallèle possible avec les idéologies extrêmes qui existent aujourd’hui (comme elles ont du reste toujours existé). Il serait possible de comparer N à un révisionniste – bien sûr en relativisant cette comparaison (qui n’a pour but que de proposer un certain point de vue sur N). N est ainsi typiquement ce penseur qui interprète l’histoire et tourne des évènements de tous temps et lieux dans un certain sens, tout en critiquant l’histoire, telle qu’elle s’est institutionnalisée. Toute cette réflexion vise à permettre de voir dans le nietzschéisme une pensée possible, à laquelle on peut s’identifier (alors qu’on tend plutôt, surtout en lisant ses œuvres ultérieures, à voir dans cette pensée une idéologie complètement exotique et hermétique, qu’on peut seulement « trouver » « intéressante »).
Il y a, à la fin de ce même paragraphe, une autre expression qui ne peut manquer d’interpeler. Il écrit en effet : « Il est également vrai que je suis le disciple d’époques plus anciennes, notamment de l’Antiquité grecque, et que c’est seulement dans cette mesure que j’ai pu faire sur moi-même, comme fils du temps présent, des découvertes aussi inactuelles ». N ici continue à cultiver le paradoxe. Est-il « disciple d’époques plus anciennes » ou bien « fils du temps présent » ? Et s’il entend critiquer la culture historique, pourquoi se présente-t-il à nous comme un disciple de l’Antiquité grecque ? Bien sûr, quand on y regarde de plus près, on doit admettre qu’il n’y a pas de stricte contradiction ici : il est un fils du temps présent précisément en étant disciple d’époques plus anciennes (éduqué par l’histoire), et ce qui l’a inspiré à se retourner contre son époque est d’avoir été plus loin dans la démarche, d’avoir considéré l’antiquité dans ce qu’elle est (ou dans ce qu’elle offrait de grand ; voir la suite de l’exposé) et non dans ce qu’en dirait un manuel historique. Il faut cependant souligner qu’il y a bien une contradiction au sens d’un retournement contre soi-même : N se retourne contre lui-même « comme fils du temps présent », et critique son époque et la culture historique qui y domine à l’intérieur de celles-ci. La contradiction, le paradoxe, est moteur de sa pensée, « scellant ainsi cette vérité, qu’ “être” n’est qu’un continuel “avoir été”, une chose qui vit de se nier et de se consumer, de se contredire elle-même » (1, p. 96).




1 Voir par exemple Mengzi, VII, 2, 32, s’il est permis, en parlant de philosophie, d’évoquer un exemple si exotique (du reste, la visée à l’originalité dépasse la philosophie, et relève au fond de l’esprit humain dans son universalité, de la curiosité, moteur de ses pensées, activités et découvertes). Voir aussi l’attrait que peuvent provoquer les Entretiens – et qu’ils ont provoqué à l’époque moderne, quand elle a commencé à découvrir la Chine –, dû sans doute en bonne partie à la fraîcheur de leur simplicité (qui peut sonner même comme de la banalité), beaucoup moins bousculée avec des moments originaux et preuves d’astuces – qui sont bien présents toutefois – que ce à quoi le public occidental est habitué.
2 D’ailleurs, il cite explicitement Goethe, disant que « nous cultivons nos défauts, en même temps que nos vertus, et [...] une vertu hypertrophiée – ce qu’est à mon avis le sens historien de notre époque – peut tout autant qu’un vice hypertrophié causer la ruine d’un peuple » (pr.), justifiant ainsi son propos.
3 On a dit de même d’Aristote, notamment quant à son Ethique à Eudème et certains passages de ses Politiques.

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Message par Rêveur Mer 14 Oct 2020 - 5:34

L’oubli

Laozi, 60 a écrit:Celui qui possède en lui la plénitude de la vertu
Est comme l’enfant nouveau-né :
Les animaux venimeux ne le piquent pas,
Les animaux sauvages ne le griffent pas,
Les oiseaux de proie ne l’enlèvent pas.

 N ouvre son développement par une réflexion générale, portant sur la mémoire et l’oubli, parents de l’historique et du non historique. On a là déjà quelque chose de singulier à souligner. Quand on parle d’histoire, on parle de peuples, de nations, et d’une science, mais pas aux individus, sinon les grands hommes (en tant qu’ils font l’histoire, non en tant qu’ils se souviennent). Associer l’histoire à la mémoire, dire que le travail des historiens consiste à se souvenir, ressemble à une farce, à une vue simplifiée et primitive de ce que fait un historien – c’est un peu comme croire que le travail de l’astrophysicien consiste à regarder le ciel, et que c’est une qualité chez lui de posséder de bons yeux. Mais il est vrai qu’à bien y regarder, nous sommes loin ici de notre conception spontanée de ce qu’est l’histoire, mais l’associer à la mémoire n’est pas sans pertinence : après tout, si la mémoire consiste à retenir certaines parties du passé dans le présent, c’est bien ce que fait l’histoire1
          Cette conception trouve sa source dans deux choses associées : dans la confusion qu’installe N entre individu et peuple (« qu’il s’agisse d’un individu, d’un peuple ou d’une civilisation », 1, p. 97 ; cette triade est répétée page suivante), et dans le renvoi de toute chose, et particulièrement de l’histoire, à la vie (c’était le principe mis en avant par la préface, et maintenu tout au long de l’essai) : autrement dit, N voit les individus et les peuples comme des organismes vivants, ou mieux des puissances vitales (et historiques) – en ce sens, sa doctrine « métaphysique »2 (pour ainsi dire) est déjà présente, en tout cas amorcée.
            Il est donc naturel d’ouvrir par l’image du troupeau qui broute dans un pré. Cette image célèbre n’en reste pas moins déroutante. N met en avant le bonheur de l’animal, et le relie au caractère non historique de sa vie, à sa faculté d’oublier. Donc au remède proposé par l’essai contre l’histoire et son excès – le « non historique ». Est-ce donc à dire que N nous vante le bonheur de l’animal ? Nous paraissons ici à mille lieux de la volonté de puissance et de la force vantée par N ! Pourtant, s’il faut effectivement nuancer le propos de N (il suffit de lire la suite attentivement), qui ne consiste évidemment pas à nous inviter à redevenir « bêtes », il faut néanmoins remettre en perspective cette image, et voir qu’on y trouve bien quelque chose de ce que vise N. On peut en effet la comparer à cette autre célèbre image des agneaux et des rapaces (GM 1 §13) : certes le troupeau herbivore de CI II fait penser aux agneaux, mais au fond, tant qu’on le considère selon sa capacité à vivre dans le présent, il a l’innocence du rapace, qui mange sa proie sans mauvaise conscience – conscience qui naît de la mémoire (GM 2).
Au risque de se répéter3, cela remet en perspective à la fois ce texte, la GM et le reste de sa philosophie. D’abord, il faut rappeler que les rapaces ne sont pas simplement les forts, qui sont bons (gut), contrastant avec les faibles agneaux, qui sont mauvais (schlecht) : les rapaces se caractérisent par le fait qu’ils ne s’embarrassent pas de conscience morale, et se définissent eux-mêmes comme bons, inspirés par l’affirmation de soi, tandis que les agneaux moralisent, et au lieu de s’identifier par eux-mêmes, dérivent leur propre qualification (les bons) par opposition aux « méchants » (böse), inspirés par le ressentiment. Et ce ressentiment (issu de la conscience) inspire ensuite (ou participe à inspirer) la torture, les supplices subtils, la domination de l’Église (dans tout cela, il y a certes également une part de force4 ; il serait au fond ironique et mal inspiré de réduire le nietzschéisme à un manichéisme alternatif), et ainsi de suite. Au contraire, la noblesse des forts peut se caractériser par leur bonté, leur générosité, leur magnanimité, et c’est exprimé de façon plus ouverte dans la 2e CI5, par exemple ici : « Car quelle que soit la vertu considérée – justice, générosité, bravoure, sagesse ou compassion –, l’homme n’est jamais vertueux que pour autant [...] qu’il se soumet à des lois qui ne sont pas celles des fluctuations historiques » (8, p. 149).]
        Ensuite, on peut dire de N la même chose qu’on peut dire de Rousseau. Ce dernier décrivait ainsi le but de son Discours sur l’Inégalité : « Marquer dans le progrès des choses le moment où le droit succédant à la violence, la nature fut soumise à la loi ; d’expliquer par quel enchaînement de prodiges le fort put se résoudre à servir le faible, et le peuple à acheter un repos en idée, au prix d’une félicité réelle » (introduction). On voit ici qu’en dépit du mépris qu’il exprime pour Rousseau et sa description de l’homme à l’état de nature, celle-ci, et l’évolution de l’homme qu’il propose, se rapprochent au fond de façon significative de la conception nietzschéenne6. Or, sur ces points la philosophie de Rousseau propose deux perspectives, qui peuvent être vues comme contradictoires mais sont complémentaires : les discours pour l’Académie de Dijon nous offrent une vue mélancolique sur le passé de l’humanité et ce qu’elle a perdu, poursuivie jusque dans le CS par la ligne fameuse : « L’homme est né libre et partout il est dans les fers », tandis que ce dernier ainsi que d’autres œuvres visent l’avenir et comment l’améliorer. Rousseau a aussi déclaré expressément qu’il ne souhaitait pas un retour à l’état de nature, et a décrit ce que l’homme a gagné à l’état social (CS, I, VIII).
De même, donc, en dépit de la mélancolie que les textes de N expriment pour l’ancienne noblesse et tout ce qui a été fort et grand dans le passé, ils n’en visent pas moins l’avenir7. C’est explicitement le cas dans cette 2e CI. Or, cet avenir est marqué par son passé (il en est le fruit), les révoltes des esclaves, la Révolution Française, la domination de l’Église, et tout ce qui a laissé s’exprimer les instincts plébéiens, et permis que les faibles l’emportent, tout ce qui a été nourri de ressentiment et de bas instincts. Et c’est une telle histoire qu’il faut assumer, quoique en en cachant une partie sous une brume non historique (par opposition à la fièvre historienne qui veut tout retenir). Et les forces vives qui peuvent permettre un sursaut historique en sont bien nourries elles-mêmes. Le libre esprit doit son intelligence en partie à cette histoire et au travail de la faiblesse. D’ailleurs, N déclare expressément : « Une telle race d’hommes du ressentiment finira nécessairement par devenir plus intelligente [klüger] que n’importe quelle race noble, et elle honorera l’intelligence dans une toute autre proportion » (GM 1 §10). De même, nul n’aurait pu s’aventurer par-delà bien et mal si bien, mal et moralité n’existaient pas d’abord, et la condition post-morale de l’esprit libre n’est pas la même que la condition anté-morale de ses lointains ancêtres. Dans la 2e CI, 3, p. 114, N juge que c’est une « tentative toujours dangereuse » que de « se donner a posteriori le passé dont on voudrait être issu, par opposition à celui dont on est réellement issu ».
 Pour en revenir à la mémoire, l’essai nous suggère d’un côté que l’homme accomplit de grandes choses s’il possède une faculté d’oublier suffisante, de l’autre il oppose l’animal, qui vit dans le présent et l’oubli, à l’homme, au vrai homme donc, qui vit dans l’histoire et la mémoire. Cette ambivalence se retrouve dans ce passage de CI II (1, p. 99) : « il nous faudra donc tenir la faculté d’ignorer, jusqu’à un certain point, la dimension historique des choses pour la plus importante et la plus profonde des facultés, car en elle réside le seul fondement sur lequel peut croître [...] quelque chose de vraiment humain. », qui contraste avec le propos suivant (à peine deux phrases plus bas) : « Il est vrai que c’est seulement quand l’homme [...] limite cet élément non historique [...] que l’homme devient homme ». Ici, on paraît vraiment, à première vue, avoir affaire à une pure contradiction. Celle-ci se lève par une lecture attentive. N explique au paragraphe précédent : « C’est une loi générale : chaque être vivant ne peut être sain, fort, fécond qu’à l’intérieur d’un horizon déterminé ». Pour l’être historique et de mémoire qu’est l’homme, cet horizon est celui de l’oubli et du non historique. S’il ne parvient pas à le tracer autour de lui (largement par un travail inconscient), « il ne tarde pas à dépérir », comme la plante exposée à un excès de lumière. Cet horizon est comme la membrane d’une cellule. Cela n’empêche pas que l’homme se développe en élargissant cet horizon, en luttant contre le non-historique. Simplement, élargir cet horizon n’est pas le supprimer, et lutter contre lui implique sa présence : dans tout cela on retrouve ce principe fondamental d’autocontradiction, qui s’exprime dans cette citation déjà donnée, « une chose vit [...] de se contredire elle-même », et cette idée que « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort » (Crépuscule des Idoles, 1 §Cool, le travail du négatif (voir encore  PBM, 2 §44 : « Nous, qui voyons les choses sous une autre face, etc. »).





1 De même, on pourrait réagir : « mais c’est comme dire que le métier de l’astronome consiste à regarder le ciel », à quoi on répondrait : « mais, c’est exactement ce qu’ils font en effet, dans leurs observatoires ».
2 Voir PBM, 2, 36 (par exemple)
3 Ici comme ailleurs, ces remarques visent à mettre en évidence la continuité et l’évolution dans la pensée de N
4 Là-dessus, cf. par exemple GM 2, §17 : « Ce n’est certes pas chez eux, on le comprend d’emblée, qu’a poussé la “mauvaise conscience”, – mais elle n’aurait pas poussé sans eux »
5 Par la suite, à mesure que N s’aventure « par-delà bien et mal », il doit à tout prix éviter au lecteur de rattacher encore la visée à ses vieilles valeurs morales
6 Évidemment en dépit de profondes divergences.
La même chose pourrait être dite à l’égard de l’évolutionnisme et de Darwin, qu’il évoque rarement mais généralement pour les critiquer, bien que sa propre doctrine puisse être vue comme une forme d’évolutionnisme. Sur ce point encore : « l’égal ne peut être connu que par l’égal » (p. 134).
7 « nous, bons Européens [...] nous la possédons encore, toute cette détresse de l’esprit et toute cette tension de son arc ! Et peut-être encore la flèche, la tâche, qui sait ? le but... » (dernière phrase de la préface de PBM). Voir également GM 2 §25 et son mythe de Zarathoustra en général.

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Message par Rêveur Mer 14 Oct 2020 - 5:42

L’histoire contre l’histoire

Giorgio Agamben, Qu’est-ce que le contemporain ?, 7 a écrit:Cela signifie que le contemporain n’est pas seulement celui qui, en percevant l’obscurité du présent, en cerne l’inaccessible lumière ; il est aussi celui qui, par la division et l’interpolation du temps, est en mesure de le transformer et de le mettre en relation avec d’autres temps, de lire l’histoire d’une manière inédite, de la “citer“ en fonction d’une nécessité qui ne doit absolument rien à son arbitraire, mais provient d’une exigence à laquelle il ne peut pas ne pas répondre. C’est comme si cette invisible lumière qu’est l’obscurité du présent projetait son ombre sur le passé tandis que celui-ci, frappé par ce faisceau d’ombre, acquérait la capacité de répondre aux ténèbres du moment.
 
  Ce principe d’autocontradiction va s’exprimer dans le jugement de N sur l’histoire. On l’a vu, N critique l’excès d’histoire, la « fièvre historienne » et ses effets, mais tout en se posant lui-même comme « fils du temps présent » et « disciple d’époques plus anciennes » (préface). Et il se présente lui-même comme un philologue. C’est donc à partir de l’histoire qu’il critique l’histoire – telle qu’elle se pratique à son époque.
        Si l’on considère la 2e CI, on verra que N y a recours à l’histoire tout du long. D’abord, non seulement il renvoie à l’histoire passée, à la culture grecque qui était historique (4, p. 116-177), aux origines du christianisme ou de la réforme luthérienne (7, p. 138), et ainsi de suite, mais encore à l’histoire présente, à celle de l’Allemagne de son temps : l’essai porte sur l’histoire moderne de la science historique, et sur ses effets historiques. N met en évidence ceux-ci, et l’idée est que les historiens oublieraient que faire de l’histoire n’est pas neutre mais produit des effets historiques. En quelque sorte, on pourrait considérer que quand N se place du point de vue de la vie, il se place en fait du point de vue précisé et remis en lumière de l’histoire (le juste point de vue selon quelque chose de secondaire doit être remis en perspective avec son principe supérieur). Ainsi, les cinq problèmes posés par l’excès d’histoire listés au début de 5 (et présentés de 4 à 9) peuvent être vus comme cinq problèmes historiques. D’ailleurs, ce à quoi invite N (en 10), c’est à un sursaut de la jeunesse, qui au fond serait un évènement historique. N invite la jeunesse à (ou prévoit qu’elle va) faire l’histoire, au lieu de l’étudier (durant le temps à venir, les nouvelles générations doivent agir de façon non historique, et se guérir de la maladie historique, avant de pouvoir enfin à nouveau étudier l’histoire et utiliser le passé – 10, p. 168).
            Autrement dit, N oppose l’histoire qui s’écrit à celle qui se fait. L’excès d’histoire est l’excès de cette première, au détriment de la vie et de l’activité, et il ne serait pas si injuste de remplacer « la vie » par « faire l’histoire ». N met en avant le fait que les individus, en particulier ceux qui font l’histoire, agissent essentiellement de façon non historique, en s’aveuglant sur leur action, en la surestimant (1, p. 100, « Aussi tout homme d’action... »). C’était du reste déjà la perspective de Hegel (le grand homme accomplit des fins universelles et historiques en suivant des instincts personnels). Et de ce fait, d’une part l’excès d’histoire a ensuite un effet sur l’histoire qui se fait, en l’avortant (N l’expose à de nombreuses reprises, y compris en recourant à un exemple historique, celui de l’époque romaine impériale – 5, p. 122), d’autre part l’histoire comme étude manque au fond une partie de l’histoire, de ce qu’elle est véritablement, quand elle se veut pure science objective – objectivité que N critique en 6 – et désavoue sa propre historicité. C’est là la clef du problème moderne de l’histoire : la science (ou l’objectivité) « s’est effectivement interposé[e] entre l’histoire et la vie » (4, p. 115). L’histoire perd le lien à son principe supérieur, et de ce fait n’est plus elle-même ou ce qu’elle devrait être. Autrement dit, N est bien en train de défendre l’histoire contre elle-même.
         Ce que l’histoire comme étude objective pure manque quand elle se penche sur l’histoire passée, ce sont les conditions, c’est le processus, dans lequel celle-ci se réalisait. « L’égal ne peut être connu que par l’égal » : l’étude historique qui se veut objective, venant d’hommes qui se refusent à faire l’histoire d’une quelconque manière, mais veulent seulement étudier, ne peut connaître ce qu’il y a de vivant dans l’histoire, ce qu’il y a de non historique (c’est-à-dire, en un sens, d’historique ; ce qui n’est pas conscience de soi, réflexion, mais action) en elle. Il l’expose en recourant à l’image de la dissection : « Le même phénomène [de dissolution dans l’histoire] peut être étudié sur tout être vivant : il cesse de vivre quand on l’a disséqué jusque dans ses ultimes parties, et il ne mène plus qu’une existence douloureuse et maladive dès qu’on commence à le soumettre au scalpel historique. ». Elle reconstruit dès lors l’histoire dans sa propre substance, sa propre harmonie. Comme il le dit, 6, p. 129 : « Il me semble pourtant que l’on n’entend pour ainsi dire que les harmoniques supérieurs de la note historique primitive : l’âpre puissance de l’original ne se laisse plus deviner dans ces doux accords cristallins. Quand le son premier suscitait le plus souvent des actes, des besoins, des terreurs, la mélodie de l’historien nous berce et fait de nous des jouisseurs efféminés. ». D’ailleurs, aujourd’hui ce rôle de l’observateur (pour prendre une perspective plus large ; il est certes vrai que N se contente pas de souligner le rôle de l’observateur) est un principe bien connu en science. C’est à cause de lui qu’on a mis par exemple au point le principe de randomisation en double aveugle, et il demeure une des grandes énigmes de la physique quantique.
      Mais il faut se garder de comprendre que N veut renvoyer au contexte « historique » de l’époque quand on étudie historiquement cette dernière, en faisant abstraction de sa propre époque : car c’est précisément là l’erreur que commet l’histoire objective. Cette dernière s’aveugle en prétendant étudier et juger l’histoire selon un prisme objectif qui n’a rien à voir avec son propre contexte, selon des valeurs objectives, alors que ces dernières sont toujours un choix, un choix de la vie. Cette histoire-là ne peut comprendre le passé parce qu’elle ne peut se comprendre elle-même.
      Il faut bien se rappeler en effet que l’histoire se fait, selon N, essentiellement en luttant contre son temps (comme d’ailleurs le fait N lui-même). Comme il le dit en 6, p. 135 : « Et s’il vous faut des biographies, que ce ne soient pas celles qui ont pour refrain : “Monsieur Un Tel et son temps“, mais celles qui devraient avoir pour titre : “Un lutteur contre son temps”. ». L’homme vertueux oppose au « lourd “c’est ainsi” » le « “cela ne devrait pas être ainsi” de la morale » (8, p. 149). Or, on est là frappé d’une chose, c’est que N paraît bien se faire ici l’apologue de la morale : l’homme vertueux, fort, qui agit contre son temps, et que N appelle de ses vœux, c’est celui qui impose le « “cela ne devrait pas être ainsi” de la morale ». Il doit d’ailleurs confirmer ce dernier mot, en ajoutant : « Oui, opposé à la morale ! » : les tenants de l’histoire objective qu’il critique croient agir selon la morale, mais oublient comment la morale procède, historiquement. C’est là un point intéressant pour bien situer N. D’une part il participe à confirmer que le vocabulaire et l’imaginaire employés par N dans ses œuvres ont bien pour vocation d’empêcher le lecteur de s’y retrouver, de lire comme s’il avait affaire à un traité classique de morale (ou d’histoire) de manière à n’en rien comprendre ; et que N a progressé dans cet imaginaire, l’a exacerbé au fil de son Œuvre. Ensuite, il permet de bien insister sur le fait que le fort, l’homme de valeur (le libre esprit, ultimement le surhomme), n’est pas celui qui s’impose (nécessairement ou d’emblée) de fait dans l’histoire. C’est ici qu’on peut trouver une nuance distinguant le nietzschéisme de l’hégélianisme (car quand on lit la 2nde CI, même si N s’attaque à l’excès d’histoire, a fortiori à ceux qui la divinisent, et expressément à l’hégélianisme – en 8 –, il faut pourtant reconnaître que la vision du monde selon laquelle l’histoire, c’est la vie – non historique – qui lutte constamment contre l’époque, selon un principe de contradiction et autocontradiction, à travers une poignée de grands hommes qui surestiment leur action et se placent au-dessus de leur temps et de la morale, est au fond très proche de l’hégélianisme) : Hegel valorise l’effectif en tant que tel, ce qui nous est donné et qui arrive au bout du processus historique : N, de son côté, récuse cette « pure admiration du succès [qui] conduit à l’admiration du réel » et qui aboutit à « courber l’échine et baisser la tête devant la “puissance de l’histoire” », et ultimement à « opiner mécaniquement, comme les Chinois, à n’importe quelle puissance » (8, p. 147).
      N valorise l’histoire face à l’histoire. Elle est remise en perspective, et rapportée à la vie, à comment elle se fait : or, le paradoxe défendu par N, sur lequel il faut bien insister pour bien comprendre sa thèse, c’est que l’histoire se fait de manière essentiellement non historique. L’histoire est une succession de grands moments émergeant d’un océan de platitude et de bassesse. Il l’exprime par cette idée, en 2, p. 104, que « les grands moments de la lutte des individus forment une chaîne continue, qu’ils dessinent à travers les millénaires une ligne de crête de l’humanité, que le sommet de tel instant depuis longtemps révolu reste à mes yeux encore vivant, grand et lumineux ». Ainsi, il existe une force, une grandeur, non historique et d’ordre intemporelle, qui s’exprime par l’histoire, et ce, en s’opposant au temps présent. Il l’exprime dans la phrase d’avant : « ce qui fut une fois capable de donner à l’idée d’ “homme” une plus belle et plus ample réalité existe éternellement, pour éternellement illustrer cette idée ». Cette grandeur, bien sûr, c’est celle qu’il caractérisera plus tard comme « volonté de puissance ». Il faut cependant nuancer en précisant que ce propos s’inscrit dans le 2e chapitre, où Nietzsche met en avant les bienfaits de l’histoire monumentale : si cette vision des choses est exacerbée, jusqu’à gommer tout sauf ce qui apparaît à la vue, au-dessus de l’horizon, on finit par n’en plus voir la grandeur (qui se manifeste par contraste) et la nature réelle (dans quel cadre cette grandeur s’est ainsi exprimée, et face à quoi), et par ne plus pouvoir la retenir que sous forme d’une série de « faits montés en épingle émerge[ant] comme des îlots isolés » (p. 107).

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Message par Rêveur Mer 14 Oct 2020 - 5:45

L’élitisme aventurier


Laozi, 5, trad. Liou Kia Hwey a écrit:Le saint n’a point d’affections humaines
Le peuple lui est comme chien de paille
Laozi, 27, je traduis a écrit:L’homme de vertu est le maître de l’homme sans vertu ;
l’homme sans vertu est la ressource de l’homme de vertu
Entretiens, XII, 18, trad. S. Couvreur a écrit:La vertu du prince est comme le vent ; celle du peuple est comme l’herbe. Au souffle du vent, l’herbe se courbe toujours

C’est en tant que tel que N se penche sur le passé et se réclame de l’antiquité et des Grecs : c’est la grandeur qui s’y exprime qui l’intéresse, grandeur éternelle qui dépasse l’époque et les contraintes. Or, cette grandeur, seul celui qui est lui-même grand peut la sentir, car seul l’égal peut connaître l’égal. C’est pour cela que N précise bien que son propos vient d’un sentiment. Ce n’est pas le fruit d’un raisonnement objectif et reproductible, mais d’un sentiment qu’il faut posséder pour le comprendre – soit on possède cette grandeur, soit on la possède pas. Il est tentant de se réclamer de N, comme beaucoup l’ont fait au cours des dernières décennies, parce qu’il est séduisant et lyrique, et l’aspect énigmatique de son propos permet de l’interpréter à sa façon : mais si de fait toute lecture est une interprétation, toutes ne sont pas une lecture grande et véritablement inspirée par la grandeur et la vie. Seule une élite est censée pouvoir comprendre N, et même la nouvelle génération non historique à venir ne le pourra pas d’emblée : elle aura une « compréhension immédiate » pour ces « généralités » (10, p. 167), sans s’apercevoir d’abord de leur contenu – en le pratiquant plutôt qu’en le théorisant. Il faut se garder de lire et suivre N à la lettre, et tâcher plutôt de sentir à la source de son propos quelque grandeur qu’on sente également en soi – autrement, en le réduisant à son propos littéral et en le considérant de façon théorique – ou bien en reprenant ses mots sans l’esprit qui y préside – on risquerait de n’en faire qu’un « vase vide ».
Cela renvoie à son propos sur l’opposition entre intériorité et extériorité, partie centrale du livre (elle occupe en effet deux chapitres, de 4 à 5). Il faut dire qu’elle est une occasion de plus de laisser la prévention (au sens cartésien) tromper la compréhension. D’abord, on s’imaginerait d’emblée que N veut critiquer l’homme moderne et particulièrement l’Allemand en tant qu’il cultive son extériorité au détriment de son intériorité (le penchant ou préjugé courant est en effet de défendre, par exemple, la beauté intérieure), or c’est le contraire qu’il fait : l’Allemand exalte son intériorité, cachée sous une extériorité quelconque ; il exalte le fond au détriment de la forme. – Précisément, N est cet auteur qui travaille la forme et non pas seulement le fond ; chez lui, la forme et le fonds sont intimement mêlés. En fait, on retrouve là encore ce qu’on a vu pour l’histoire : de même que cette dernière, coupée de son lien à la vie, n’est plus vraiment elle-même et ne vaut plus rien, l’intériorité coupée de l’extériorité, n’existant plus effectivement à l’extérieur, dans des actions et interactions, n’a plus vraiment d’existence. L’homme moderne « n’agit plus comme une force transformatrice orientée vers le dehors, il reste dissimulé dans une certaine intériorité chaotique, que l’homme moderne désigne avec une singulière fierté comme sa “profondeur” spécifique. On dit alors qu’on possède le contenu, et qu’il ne manque plus que la forme ; mais c’est là, pour tout être vivant, une opposition totalement inappropriée. Et c’est justement parce que notre culture moderne ne peut absolument pas être comprise sans cette opposition, qu’elle ne constitue pas une réalité vivante, c’est-à-dire qu’elle n’est pas une véritable culture, mais seulement une sorte de savoir sur la culture » (4, p.116). Là encore, ce n’est pas simplement qu’il possède une intériorité mais sans réelle extériorité, c’est que sans cette dernière, l’intériorité perd de son existence : « cette profondeur comporte un danger non moins célèbre : le contenu lui-même, dont on admet qu’il n’est pas visible de l’extérieur, pourrait un jour se volatiliser. Sa disparition ne laisserait pas plus de traces apparentes que sa précédente présence » (4, p. 119).
            L’écriture nietzschéenne se veut donc mariage de l’intériorité et de l’extériorité. Si elle n’était que cette dernière, elle se montrerait d’emblée, sans qu’il n’y ait rien d’autre, de plus profond, à déterrer ; et si elle n’était qu’intériorité, elle ne se cacherait pas derrière son extériorité, et on y accèderait directement : mais elle s’exprime comme en se cachant, elle s’exprime de manière dissimulée1. En lisant N, on pourrait être amené à comprendre certains points dans un sens ou dans l’autre. On a déjà vu que N avait beau s’opposer avec force à Hegel, sa philosophie n’en était au fond pas si distincte (à quoi l’on pourrait répondre qu’elle l’est évidemment par la forme, or celle-ci accompagne le fond). On pourrait aussi relever le passage suivant : « Un homme qui voudrait sentir les choses de façon absolument et exclusivement historique ressemblerait à quelqu’un qu’on aurait contraint à se priver de sommeil ou à un animal qui ne devrait vivre que de ruminer continuellement les mêmes aliments » (1, p. 97), et le mettre en parallèle avec la forme aphoristique de N et la façon dont il la présente dans la GM : « Il est vrai que, pour pratiquer de la sorte la lecture comme un art, une chose est nécessaire que de nos jours on a parfaitement oubliée – c’est pourquoi il faudra du temps avant que mes écrits soient “lisibles” –, une chose pour laquelle il faut être presque bovin et, en tout cas, rien moins qu’ “homme moderne” : la rumination. » (avant-propos, §Cool. D’ailleurs, cette image de l’animal bovin se rapporte dans la 2e CI tant à la rumination historique qu’à la situation non historique : bref, N brouille les lignes.
            À cause de cela, on serait tenté de fermer les yeux chaque fois que N nous montre explicitement dans quel chemin dangereux il nous entraîne, et de se focaliser sur tout ce qui est « récupérable ». Mais il faut pourtant bien voir que l’éloge de la grandeur de N est aristocratique ou élitiste en un sens extrême. Il faut garder à l’esprit qu’il s’adresse expressément aux seuls « hommes d’expérience » « hommes supérieurs » (6, p. 135). Quant au reste de l’humanité, au peuple, à la « masse », N n’hésite pas à en dire que les lois de l’histoire prouvent sa « vulgarité et [son] écœurante uniformité » (9, p. 157). Plus encore, quand N oppose le « cela ne devrait pas être ainsi » de la morale au « c’est ainsi » de la (brutale) vérité, cette dernière est le fait « que cette multitude [de vies jeunes et ultramodernes] vive, et que ce petit nombre [de grands hommes tels que Goethe] ne vive plus ». – Et au passage, remarquons ici que là encore, il faut interpréter N, en prenant son propos comme l’expression d’un sentiment, puisque quand il appelle la jeunesse de ses vœux, c’est une certaine jeunesse, par opposition à la jeunesse moderne vulgaire. D’ailleurs, à la fin du 3e chapitre, N suggère que parmi « ceux qui utilisent l’histoire critique au service de la vie », ce qui ne paraît pas être sa propre perspective (bien qu’il soit bien question de servir la vie), certains pourraient « gagner cette bataille », et faire que cette seconde nature qui est celle de l’historien critique (et N la critique en tant que telle) pourrait devenir une première nature.
Dans la GM, en 2 §12, N est encore plus brutal et explicite : « La grandeur d’un “progrès” se mesure même d’après le sacrifice qu’il a fallu lui consentir. Et même l’humanité sacrifiée en masse à la prospérité d’une seule espèce d’homme plus fortevoilà qui serait un progrès... ». Cela n’empêche pourtant pas le commentateur (Philippe Choulet, éd. GF), de « sauver » ce passage en annotation (218) ; toujours est-il que c’est, a minima, l’expression d’un violent mépris pour l’immense majorité de la population humaine (chez N, l’humanité ce n’est pas cela, c’est plutôt quelque chose comme une puissance souterraine, une potentialité qui peut s’exprimer à travers diverses grandes figures d’hommes, bref la volonté de puissance – on pourrait aussi la comparer au dasein), dont d’ailleurs donc la majorité de ses lecteurs (on pourrait dire qu’il considèrerait sans doute qu’ils ne méritent pas d’être ses lecteurs). Bien sûr, il ne faudrait pas exagérer le propos, et oublier l’avertissement que laisse N vis-à-vis de l’histoire monumentale, quand « des pans entiers [du] passé sont oubliés, méprisés » (2, p. 107). Il en est ainsi du rapport à la masse : celle-ci doit non pas disparaître, mais quitter le premier plan, et former l’arrière-plan duquel se détache la grandeur de l’humanité sous ses multiples figures. En 9, p. 157, N pose donc que les masses présentent un intérêt « à trois égards : premièrement, en tant qu’elles offrent l’image brouillée des grands hommes, tirées sur du mauvais papier et avec des plaques usées ; deuxièmement, en tant qu’elles opposent une résistance aux grands hommes ; et enfin, en tant qu’elles servent d’instrument aux grands hommes » – concluant : « pour le reste, qu’elles aillent au diable et à la statistique ! ».




1 N invite bien l’esprit libre à mettre un masque, dans PBM : II §25 « Et ayez vos masques et votre finesse, de sorte qu’on vous confonde avec d’autres ! », II §40 « Tout ce qui est profond aime le masque ».

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Message par Rêveur Mer 14 Oct 2020 - 5:46

Conclusion

La Seconde Considération Intempestive de Nietzsche est un livre intéressant. À côté de ses œuvres plus célèbres (APZ, GM, le Crépuscule des Idoles...), celle-ci offre une vue différente sur N et permet de mieux le cerner, et de mieux comprendre son parcours. Elle est une occasion pour ne pas récupérer les effets en soi que sont ses œuvres, et particulièrement les dernières, en les rattachant à sa propre manière de penser, en profitant de la relative obscurité de N et en interprétant les passages les plus problématiques de manière à les rendre admissibles (quitte à éventuellement les déformer) : elle est une occasion pour toucher l’humanité qui a produit ses effets, et la reconnaître en soi-même, et pour se reconnaître dans le parcours de N, dont le point de départ lui-même (qui tourne autour de la curiosité et de l’esprit de paradoxe) correspond bien au profil d’un philosophe en général.
On peut ainsi situer N, par rapport à son temps, et ainsi répondre à la question posée en introduction : « Nietzsche est-il historiciste ? ». Or, celle-ci paraît bien appeler l’affirmative. Nous avons mis en évidence que N était un homme de son temps, ce que du reste il ne cache pas lui-même, et que sa critique de l’époque est précisément signe qu’il y appartient. L’historicisme tel que N le cible, à savoir une tendance de son temps, une « fièvre historienne », se caractérise bien comme le fait de parler d’histoire et de parler de tout historiquement : or, sa critique s’inscrit bien dans ce mouvement général ; elle parle au fond de l’histoire, et elle en parle à travers l’histoire, c’est-à-dire à travers sa propre conception de l’histoire (accompagnée d’exemples historiques, donc explicitement d’histoire), de ce qu’elle devrait être. À travers N, l’historicisme doit se surmonter lui-même, l’histoire doit surmonter l’histoire.
Il s’agit certes bien de surmonter l’historicisme et l’excès d’histoire. L’histoire ne se surmonte pas elle-même à partir des critères et de la méthodologie admis à son époque, mais bien d’une méthodologie plus juste, qui remonte à la source de l’histoire, à la vie – à ce pour quoi on fait de l’histoire. Dès lors, l’histoire avec N s’écarte, de façon extrême sous certains plans, de son modèle communément admis. L’utilité de l’étude historique est remise en question, l’objectivité scientifique remise à sa place, et l’idée que le processus historique expliquerait l’évènement historique contredite. N met en avant la puissance à la source de la vie et de ce qui existe (donc de l’histoire), éternelle et universelle, et qui constamment lutte contre le présent – contre l’histoire, en la bousculant. Et on retrouve là ce concept central de sa philosophie qu’est la volonté de puissance. Celle-ci est ainsi éternelle – non historique. Et elle pousse la jeunesse à faire l’histoire, sans devoir étudier l’histoire. Ce n’est donc pas du tout la même histoire que celle que mettent en avant les historicistes.
Or, en tout cela, N est à la fois antihistoriciste et historiciste. N’oublions pas que l’historicisme est un courant vague et jamais clairement défini, et dont aucun auteur ne se revendique vraiment : on peut donc y admettre (de façon donc assez ironique – et donc nietzschéenne) N, avec la réserve que du reste on aura toujours à classer un auteur, et particulièrement dans un courant si indéfini. La pensée selon laquelle le monde est volonté de puissance se manifestant en se figurant historiquement dans des grands hommes, et on peut reconnaître celle-ci à travers une lecture, certes d’une certaine façon antihistorique (mais c’est une manière d’être authentiquement historique), de l’histoire, paraît bien s’inscrire dans la lignée – par exemple – de Hegel.

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Nietzsche est-il historiciste ? (devoir scolaire) Empty Re: Nietzsche est-il historiciste ? (devoir scolaire)

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