Nietzsche et la mégalomanie

[Philosophos]

Sauf exception, la plus grande étant Nietzsche, le philosophe n'a rien d'un artiste, n'a pas forcément une plume. A contrario, le talent littéraire de Nietzsche a plus que probablement desservi une formalisation qu'on aurait souhaité plus précise.

Pourtant, dans les dernières années, sa pensée s'est beaucoup plus structurée qu'auparavant. On arrive parfaitement à le suivre, sans devoir le déchiffrer et l'interpréter. J'ai pu expliquer ailleurs sa vision de la morale ("bien et mal", "bon et mauvais") qui est parfaitement claire. Dans ses derniers livres, toutes ses pensées concordent et se complètent.

[neopilina]

J'ai été un peu rebuté par les oeuvres de la fin : la mégalomanie saute à la figure. Il faudra que je réessaye.

[Philosophos]

Je crois qu'il a toujours été mégalomane, enfin si on en croit les fameux fragments posthumes et ses lettres. Dès Zarathoustra, il se disait prophète des temps nouveaux. Les anecdotes sur sa jeunesse, certes pour beaucoup sujettes à caution, sont révélatrices de son admiration pour la grandeur. Contradictoire comme toujours, à côté de cette grandeur, il y a une auto-dérision. Il se disait volontiers bouffon.

[neopilina]

Pour le Zarathoustra, ça va avec le contexte, avec le personnage, l'intemporalité, etc. Mais en dehors, surtout à la fin, c'est lourd.

[Philosophos]

Pour le Zarathoustra, ça va avec le contexte, avec le personnage, l'intemporalité, etc. Mais en dehors, surtout à la fin, c'est lourd.

Dans le Zarathoustra, sa mégalomanie est tempérée  par l'ironie permanente. Dans Ecce Homo, Nietzsche devient exhibitionniste. Mais dans la Généalogie, dont je persiste à penser qu'il est son meilleur, il s'est dépouillé de toutes ses manies pour nous donner un texte limpide, serré, tout en gardant son ton allègre habituel.

[neopilina]

Idem pour la " Généalogie : c'est avec le Zarathoustra ( Chef d'oeuvre mondial de la littérature.) et le " Gai savoir " ceux que je relis avec le plus de plaisir.

[Philosophos]

J'aime le ton alerte et vif de Nietzsche, quand il est mordant sans être excessif, et toujours brillant d'intelligence. J'ai changé mon regard sur les choses en le lisant, et je dois dire que c'est le seul philosophe qui a eu cet effet sur moi, le seul dont je peux dire : "Voilà un philosophe, il nous fait voir le monde différemment, il brise les préjugés de toutes sortes".

[neopilina]

A titre personnel, je viens de découvrir ceci (1) :

- Turin, vers le 4 janvier 1889.
Lettre à Franz Overbeck à Bâle

À l’ami Overbeck et à sa femme.
Bien que vous ayez démontré jusqu’à maintenant une croyance limitée dans ma capacité à compter, j’espère pouvoir encore démontrer que je suis quelqu’un qui paie ses dettes ― par exemple envers vous… Je viens de faire fusiller tous les antisémites…

Dionysos.

- ( Extrait. )[Cachet de la poste Turin, 5.1.1889] 6 janvier 1889.
Lettre à Jacob Burckhardt

... Je fais mettre Caïphe dans les chaînes ; moi aussi j’ai été continuellement crucifié l’année dernière par les médecins allemands. Supprimé Guillaume, Bismarck et tous les antisémites ".

Ça a le mérite d'être clair. Encore plus si on renoue un tant soit peu avec le contexte. Avant de sombrer, il songe à vomir les plus grands dangers. Parfois il signe " Le Crucifié ", c'est exact, surtout si on précise " Un des chefs de file les plus notoires de la cohorte sans nombre des crucifiés ". J'ai toujours dit que Christ avait escaladé de lui-même la Croix, il souffrait trop.

(1) https://fr.wikisource.org/wiki/Billets_de_la_folie

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