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Approche sémantique des termes utilisés en philo et sciences humaines

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Message par kercoz Lun 12 Sep 2016 - 14:48

Rejeté au panier sur un autre forum et bien que mon érudition soit insuffisante, je pense l' interrogation de Febvre passionnante.

///En Lisant Lucien Febvre ( L' incroyance au 16e siecle) entièrement appuyé sur Rabelais et ses écrits, on tombe sur un passage percutant. Il date l' apparition des principaux termes dont usent et abusent ( je ne vise personne) ceux qui se proposent de réfléchir. On est étonné de constater que la pluspart d'entre eux datent du 18/19e ou au mieux du 17e . Et l' on se pose la question de savoir comment les penseurs pensaient sans concepts ou quels étaient les équivalents utilisés pour approcher un signifiant qui devait bien exister ....ou ne pas exister ?
Je n' ai ni les connaissance ni la patience pour débuter ce genre de travail . Les dico philo abordent bien sur ce débat , mais souvent trop briévement par l' éthymologie. C'est , me semble t il, un boulot qui aiderait pas mal de thèsards....L' argument du Latin ne suffit pas , Febvre le mentionne dans un chapitre spécifique.///

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Message par kercoz Lun 12 Sep 2016 - 16:35

C'est la notion d' historicité des concept qui me semble mériter discussion...
Je relance la ligne sur un endroit plus profond:
"""il dit que Rabelais , bien qu'étant le plus riche de l' époque en vocabulaire possédait tres peu des concepts dont on se sert actuellement. Il prévoit aussi l' argument du latin et cite Pascal, qui, " un beau jour de juillet 1654, ne parvenant pas a formuler un problème en français, "trop mal dégrossi", dans une de ses lettres en reprend l' énoncé en Latin car """"le Français n' y vaut rien """".
C'est le chap. 2 de " l'incroyance au 16e siecle" . Début du chapitre . I et I,i : l' Outillage mental et les mots qui manquent.
Il cite un tas de mots en les datant:
Ni "absolu" ni relatif ni abstrait, , ni concret ni confusion, complexe, ni adéquat que chérira Spinoza , mais en Latin. Virtuel utilisé par Chapelain vers 1660; Insoluble , intentionnel, intrinsèque, inhérent, occulte primmitif, sensitif, tous du 18e. Transcendantal 1698 chez Bossuet ...encore ne sont ce là que des adjectifs ......etc Il cite le dico de Féraud qui ne m'est pas plus connu que Febvre ne l' était."""

Le livre est des plus agréable mais curieux à lire du point de vue de son style. Celà doit provenir du fait qu'il a préféré laisser les échafaudages plutôt que faire une 3e réécriture. C'est plus agréable que les notes en bas de page même si ça parait confus.

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Message par Bergame Lun 12 Sep 2016 - 17:26

Essayons d'abord, à la fois de préciser la question, et de la replacer dans son contexte -une démarche que, je crois, Febvre ne renierait d'ailleurs pas.  Wink

Je pense qu'une bonne clé pour "entrer" dans l'Ecole des Annales, ce sont les articles de Francois Simiand qui ont cet avantage d'être courts et directs. Dans un article devenu célèbre, "Méthode Historique et Science Sociale", Simiand dénonce les trois "idoles" auxquelles sacrifient trop aisément les historiens (de son temps, chacun jugera si la critique peut être toujours valable) :
- L'idole politique, qui donne la prééminence aux faits politiques dans l'étude de l'histoire
- L'idole individuelle, qui conduit à envisager l'histoire comme une histoire des individus et non "des faits"
- L'idole chronologique, conséquente de la précédente, qui consiste à se perdre dans des investigations dites "empiriques" de diversités particulières plutôt qu'à étudier d'abord le "cas normal".

A partir de la critique de ces trois "idoles", on peut dégager un certain nombre de principes méthodologiques qui vont structurer l'historiographie des Annales :
- L'individu, fut-il roi ou empereur, n'est pas cause des évènements, mais éventuellement condition :
F.Simiand a écrit:L’individu pris comme un tout apparaît au mieux comme une condition ; mais c’est quelque élément abstrait de lui qui apparaît comme l'antécédent immédiat véritablement significatif […] En dirigeant la recherche suivant cette norme de la relation à la fois la plus générale et la plus précise à trouver, on apercevra donc souvent, je crois, que l’individu, homme ou parti, s’il a un rôle effectif dans la production des phénomènes considérés, a celui de donner aux causes régulières et propres de ces phénomènes l’occasion de se produire, plutôt que de les produire lui-même [...] et dans ce rôle, souvent aussi, il apparaît éminemment substituable.
- Du coup, la chronologie, qui avait l'avantage de confondre flèche du temps et chaine causale est remise en cause. La continuité n’explique quelque chose qu’à partir du moment ou elle est sous-tendue par une loi valable de succession des phénomènes.
- Egalement remis en cause, le mode d'explication, souvent finaliste, des évènements historiques, le fait d'expliquer des phénomènes humains par les idées, les buts, les décisions d'autres humains. En fait, il il s’agit surtout pour Simiand de distinguer l’explication par la fin de celle par la fonction (du reste, on distingue toujours aujourd'hui les deux courants majeurs de l'historiographie sous les noms d'"intentionnalisme" et de "fonctionnalisme").

Qu'est-ce qui ennuie tellement les historiens des Annales dans cette centralité accordée aux décision individuelles dans les faits historiques ? Toujours pareil : La manie du jugement. Le non-respect de la distinction jugement de fait / jugement de valeur. J'aime beaucoup le texte de Marc Bloch sur la distinction juger/comprendre :
Marc Bloch, in Apologie pour l'Histoire a écrit:Il existe deux façons d’être impartial : celle du savant et celle du juge. Elles ont une racine commune, qui est l’honnête soumission à la vérité […] Un moment vient cependant, où les chemins se séparent. Quand le savant a observé et expliqué, sa tâche est finie. Au juge, il reste encore à rendre sa sentence. Imposant silence à tout penchant personnel, la prononce-t-il selon la loi ? Il s’estimera impartial. Il le sera, en effet, au sens des juges. Non au sens des savants. Car on ne saurait condamner ou absoudre sans prendre parti pour une table des valeurs qui ne relève plus d’aucune science positive [...] Or longtemps l’historien a passé pour une manière de juge des Enfers, chargé de distribuer aux héros morts l’éloge ou le blâme. Il faut croire que cette attitude répond à un instinct puissamment enraciné. Car tous les maîtres qui ont eu à corriger des travaux d’étudiants savent combien ces jeunes gens se laissent difficilement dissuader de jouer, du haut de leurs pupitres, les Minos ou les Osiris. C’est plus que jamais le mot de Pascal : « Tout le monde fait le dieu en jugeant : cela est bon ou mauvais. »  On oublie qu’un jugement de valeur n’a de raison d’être que comme la préparation d’un acte et de sens seulement par rapport à un système de références morales, délibérément accepté.
Comme le disait Weber mot pour mot en Allemagne 40 ans plus tôt (les Annales ignoraient à peu près tout de Weber), Bloch cite un seul cas historique où le jugement normatif est véritablement légitime : Le général qui engage une bataille souhaite la gagner. Or, la bataille, il la gagne ou il la perd.

Le désintérêt pour les décisions et les actions individuelles en tant que causes historiques s'accompagne donc d'une recherche d'autres causes. Ici, les champs différent. Simiand s'intéressera par exemple beaucoup à la macro-économie. Bloch s'intéressera davantage aux faits culturels et sociaux ("La Société Féodale"). Pour Febvre, le champ privilégié, c'est ce qu'il appelle la "psychologie". Mais il faut comprendre ce que Febvre entend alors par "psychologie" : L'ensemble des doctrines, religieuses, idéologiques etc. qui structurent la pensée d'une aire culturelle donnée en une période historique donnée. Et, du reste, au point d'origine de ces "œuvres historiques", il y a des individus, il y a des auteurs, des créateurs. Mais le fait que leurs créations individuelles deviennent la "pensée" d'une époque ou d'une aire culturelle leur échappe totalement.

L'exemple-type, pour Febvre, c'est Luther -et sa biographie de Luther fait d'ailleurs toujours autorité. Parce que Luther est ce type d'homme qui crée une œuvre ayant un fort retentissement sur les hommes de son temps, et qui, toute sa vie, luttera contre la récupération, la transformation de sa doctrine par ses contemporains. Le créateur dépassé par son œuvre, mais dont le dépassement est précisément la condition de sa diffusion et de son influence sur ses contemporains et au-delà.
Et ce qui est encore plus intéressant chez Luther, c'est qu'il n'élabore pas seulement une doctrine, il invente une langue. Il donne un sens à certains concepts, il crée des catégories, catégories au travers desquelles on pensera, à l'avenir, dans le monde germanique.
Lucien Febvre, in Martin Luther, Un Destin a écrit:Le style de Luther : quel admirable sujet d’études ! Mais il n’y faudrait pas un philologue statisticien, un pédant de grammaire. Un homme, oui, et qui sente. Un historien doublé d’un psychologue — qui sache et plus encore devine, qui évoque dans cette langue, par cette langue, tout un âge, toute une époque de la pensée : si loin de nous déjà, avec son primitivisme persistant, sa logique étrangère en partie à la nôtre, sa prédominance des images acoustiques et olfactives sur les images visuelles, sa passion musicienne sans contrepoids.
Il y a, dès lors, non pas seulement une "culture" allemande, mais une "mentalité" allemande. Et c'est cet univers psychologique-là, plus ou moins localisable dans le temps et l'espace, qui intéresse fondamentalement Febvre.

Dès lors, l'une des conséquences, est que la frontière individu/société s'estompe. L'individu est à envisager comme membre d'une société ou "civilisation" particulière ("civilisation", un autre concept sur lequel Febvre a pas mal écrit). C'est-à-dire comme un type -et l'on retrouve le précepte méthodologique de l'Ecole des Annales qui consiste à moins étudier la spécificité individuelle que le cas général, moyen.
Une autre conséquence est que les "univers psychologiques" ainsi constitués sont relativement incommensurables les uns aux autres : Un homme moderne ne "pense" pas comme un homme d'autrefois. Par exemple, dit Febvre, les hommes du Moyen-Age se caractérisaient par une extraordinaire mobilité d'humeur, une "perméabilité excessive aux impressions du dehors" (1). C'est ce qui agace tellement dans l'histoire chronologique, romancée : Cette similitude de comportements avec l'homme moderne qui, tout à la fois apparaît anachronique et qui, en même temps, autorise les jugements de valeur. Si l'on part du principe que les univers psycho-historiques sont incommensurables, alors il devient illégitime de juger les hommes d'autrefois -tout au plus peut-on essayer, avec difficulté du reste, de les comprendre.
Et enfin, dernière conséquence, si les univers psycho-historiques sont incommensurables, alors il n'existe aucune forme de nécessité dans leur succession chronologique. Il y a un développement historique, sans doute, mais ce développement lui-même échappe au jugement normatif. En particulier, peut-être l'histoire a-t-elle une "fin", mais cette direction ne manifeste a priori aucun "progrès" :
Ici, il s'agit d'intégrer une psychologie historique toute nouvelle, à créer, dans le puissant courant d'une histoire qui l'entraîne, comme toutes choses, vers le destin de l'humanité -d'une humanité qui marche sans savoir où elle tend.

(1) Notons qu'on peut parfaitement retourner la critique de Febvre contre elle-même et considérer que cette manière d'envisager les hommes du Moyen-Age correspond elle aussi à un épistémè. Ce que Febvre décrit là, même en se réclamant de Huizinga, c'est la figure classique de l'homme hétéronome, enclin aux passions et aux comportements excessifs, et qui s'oppose au moins implicitement au type de l'homme moderne, civilisé, rationnel et autonome. Après tout, il parait que nous, hommes du XXIe s., sommes post-modernes, ce qui semblerait devoir correspondre à un autre épistémè.

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Message par kercoz Mer 14 Sep 2016 - 8:24

Ce que tu dis est intéressant mais c'est appuyé sur des connaissances qui me manquent.
Ce qui m' a interpelé dans ces passages de Febvre ( il ne faut pas rater son chapitre contre-feu sur l' argument du latin), c'est le concept même de concept. Tous ces mots - concepts absents au 16e et même 17e ! Le mot n'existant pas, le concept était il perçu ? différent? atténué? ...Comment penser sans " abstrait" ni " transcendance" , nu "relatif".
Même existant la pêrception d' un concept pouvait être carrément inversé : Infini aurait été chez les Grecs une notion "obscène" ...Le dieux sont "finis" bien sur.
D' un autre coté, on peut inverser l' interrogation: quels seraient les concepts anciens disparus .....? Une tentative de réponse serait de dire qu'ils n' ont pas disparus mais passent inaperçus. On va dire que ce sont d'anciens mythes curieux et même ridicules, ce que l' on pardonne vu l' age...
Je pense à l' un d'entre eux : L' Ubris.
J' ai essayé de soutenir que ce concept de démesure émergeait avec la destructuration des groupes archaïques. La pertinence de ma thèse n' a pas d'importance. Mais on m' a opposé le ridicule de ma proposition du fait que ça n' avait "rien à voir", l' Ubris qui d'ailleurs devait se dire "Hybris" était tout autre chose : un Mythe signifiant la volonté de s'accaparer le pouvoir ou les prérogatives des Dieux.
Si même déja, les grecs le percevaient ainsi, c'était déja une approche psychologique d' un phénomène pour moi issu d' une causalité sociologique.
L' intéret de la culture Grecque tient au fait que sa croissance n' a pu s' hypertrophier par la taille du groupe du fait de la géographie du pays : des vallées isolées sur des territoires restreints du point de vue agricole ( de plus tres vite abimés par des pratiques désatreuses qui font couler l' humus vers les vallées en les transformant en vasières malsaines ( de mémoire, lectures anciennes , à confirmer). Communications maritimes entre vallées...etc
Malgré cette containte sur la taille des groupes, celle ci augmente et autorise l' émergence de l' Ubris. Il est possible que restant sur la frontière e cette émergence, celle ci ait pu être particulièrement perçue, étudiée, condamnée et combattue.
Aujourd' hui , le terme et le concept n' a pas disparu mais est devenu anecdotique, un caractère banalisé de l' individu, peu étudié et pas du tout combattu, même valorisé.

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Message par kercoz Lun 19 Sep 2016 - 9:29

Un peu Hs, mais restant sur la linguistique, une tres intéressante émission hier sur Talmudique. Celà concerne la langue allemande et un comparatif sur ses possibilités d'expression en comparaison à la notre. L' aspect utilisation de sa spécificité utilisé par les Nazis est un autre débat. Intervention claire et éclairante de l' invité:
http://www.franceculture.fr/emissions/talmudiques/eprouver-lalterite-22-se-trouver-en-langue-etrangere

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Message par kercoz Lun 19 Sep 2016 - 23:17

J' ai trouvé le lien du texte de Lucien Fevre :
http://classiques.uqac.ca/classiques/febvre_lucien/probleme_incroyance_16e/febvre_incroyance.pdf

La partie sur le langage du 16e est au livre 2 chap 2. de la 2e partie ( les mots qui manquent). Mais tout est à lire.

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