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Hegel, critique de Kant

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Message par Bergame Sam 24 Jan 2009 - 19:34

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Hegel, critique de Kant





Pour comprendre comment un auteur construit l'articulation de sa pensée, une bonne méthode peut consister à essayer d'identifier ce qu'il critique et ce qu'il retient chez ses prédécesseurs. Je me suis donc amusé à essayer de lister les critiques que Hegel adresse à Kant, et à essayer de les organiser.




1. Une connaissance limitée et subjective



Evidemment, une première série de critiques porte sur la conception bornée de la connaissance selon Kant. Selon Hegel, il faut en chercher l'origine dans les fondements empiristes du criticisme.
La philosophie critique a cela de commun avec l'empirisme qu'elle considère l'expérience comme l'unique fondement de la connaissance. Mais pour elle la connaissance s'arrête au phénomène et n'atteint pas à la réalité. (Encyclopédie, §XLI)

Par ailleurs, les catégories de l'entendement sont un concept vide de sens (sic) :
Enseigner que les catégories sont en elles-mêmes des éléments vides, c'est enseigner une doctrine qui n'est pas fondée en raison, en ce que de toutes façons, par là qu'elles sont déterminées, les catégories ont leur contenu. (Petite Logique, 2nde édition)

En effet, selon Hegel, Kant conçoit les catégories de l'entendement comme les éléments subjectifs de la conscience. Elles donnent une valeur objective à la pure intuition sensible, mais une objectivité conçue comme exprimant l'universel et le nécessaire, et non au sens d'une existence en soi de ce qui est posé devant nous. Or : Si les catégories (l'unité, la cause, l'effet, etc.) sont du ressort de la pensée comme telle, il ne suit nullement de là qu'elles ne sont que nos déterminations et qu'elles ne sont pas aussi les déterminations des objets.
Car en réunissant l'élément subjectif et l'élément objectif des déterminations de la pensée dans le sujet, la philosophie critique ne laisse plus en face du sujet que la chose-en-soi (E, §XLI) qu'elle conçoit comme un "abîme infranchissable." (PL, 2nde)

De ce point de vue, la solution de Hegel est donc de conserver le principe selon lequel toutes les catégories ne sont pas contenues dans la sensation immédiate :
Un morceau de sucre, par exemple, est dur, blanc, doux, etc. Nous disons que ces qualités se trouvent réunies dans un objet, et cette unité n'est pas dans la sensation.
Mais de réfuter l'idée selon laquelle ces pensées ne seraient que subjectives (selon la définition hégélienne, toujours) :
Ce qui fait, au contraire, la vraie objectivité de la pensée, c'est que les pensées ne sont pas simplement nos pensées mais qu'elles constituent aussi l'en soi des choses et du monde objectif en général." (PL, 2nde)

L'objectivité, au sens de Hegel, c'est donc "l'en soi pensé", c'est-à-dire tout à la fois la détermination de l'objet et la connaissance objective.



2. La valeur du criticisme


A parir de là, la notion de vérité risque évidemment d'être bien différente chez Kant et chez Hegel. En fait, selon Hegel, Kant ne parvient jamais à la connaissance vraie, et il en est incapable, du simple fait de l'origine sensible de cette connaissance. En effet, le criticisme prétend que tout ce qui peut être connu n'est que "l'être contingent et périssable", par conséquent il prétend "que ce qui peut être connu n'est pas le vrai, mais le faux." (Discours de 1816 à l'Université de Berlin).

Mais le criticisme ne se contente pas d'affirmer que l'origine de la connaissance est sensible, il pose cette connaissance comme une connaissance absolue
en disant que l'intelligence ne peut aller au-delà, et que c'est la limite naturelle et absolue de la science humaine. Mais il n'y a que les choses de la nature qui soient limitées, et elles ne sont des choses de la nature que parce qu'elles ignorent leur limite ; car leur déterminabilité est une limite pour nous et non pour elles. (E, §LX)
Or, que les formes de l'entendement n'aient aucune application à la chose en soi "ne peut avoir qu'un seul sens : ces formes en elles-mêmes sont fausses." (Grande Logique, Introduction)

Ailleurs, Hegel préfère dire que le criticisme, plutôt que de produire une connaissance fausse, produit une connaissance "superflue". En effet, dit-il, la doctrine de Kant n'a fait faire aucun progrès à la science :
Montrer que les déterminations de l'universalité et de la nécessité sont les éléments de la connaissance, ce n'est qu'indiquer un fait qui ne réfute pas le scepticisme de Hume. La philosophie de Kant constate seulement un fait, et l'on peut dire en se servant du langage ordinaire de la science qu'elle s'est bornée à donner une nouvelle explication de ce fait. (E, § XLI)
En fait, elle n'est tout simplement qu'une "description psychologique".

Au fond, tout se passe un peu comme si Kant, selon Hegel, ne voulait pas connaître le vrai. Alors que l'esprit éprouve naturellement "le désir de connaître cette identité ou cette chose-en-soi" (E, § XLIV), avec Kant, il est
une recherche inquiète qui dans le processus de chercher déclare qu’il est absolument impossible d’avoir la satisfaction de trouver. (Phénoménologie de l'Esprit)

Finalement, la philosophie critique est pusillanime. En faisant porter la recherche sur l'usage légitime des catégories de l'entendement, elle interroge avec profit les formes de la pensée elle-même, et les élève au rang d'objet de connaissance. Mais dans cette saisie de la pensée par elle-même se glisse une confusion :
C'est de vouloir connaître avant de connaître, c'est de ne pas vouloir entrer dans l'eau avant d'avoir appris à nager. (P.L., 2nde)
Or, cette crainte d'un mauvais usage possible des formes de l'entendement présuppose beaucoup de choses :
Elle présuppose notamment une représentation de la connaissance comme instrument et milieu, et aussi une distinction entre nous et cette connaissance ; mais surtout elle présuppose que l'Absolu se trouve d'un côté, et que la connaissance qui se trouve d'un autre côté, pour soi, séparée de l'Absolu, est pourtant quelque chose de réel ; en d'autres termes, elle présuppose que la connaissance (qui est certainement en-dehors de la vérité, puisqu'elle est en-dehors de l'absolu) est pourtant vraie -position qui fait découvrir en ce qui se proclame crainte de l'erreur, la simple crainte de la vérité. (Ph.)

En bref, Kant a reculé devant la difficulté et n'a pas su aller au bout de sa découverte. Du coup, "la critique de la raison pure n'est qu'un idéalisme timide et subjectif." [E., §XLIV)

Mais quel est précisément cet obstacle devant lequel le courage de Kant aurait fléchi ?

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Message par Bergame Sam 24 Jan 2009 - 20:05

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3. La contradiction


Hegel reconnaît donc à Kant d'avoir d'avoir élevé la pensée à un niveau où elle devient à elle-même son propre objet, c'est-à-dire au niveau de la réflexivité :
Il faut en général comprendre par ce mot l'entendement abstrayant et par là divisant, qui persévère dans ses divisions. Tourné contre la raison il se comporte comme sens commun, et fait valoir ses vues d'après lesquelles la vérité repose sur la réalité sensible et les pensées sont seulement des pensées, dans ce sens que c'est seulement la perception sensible qui leur donne contenu et réalité, et que la raison, dans la mesure où elle reste en et pour soi, n'enfante que des chimères. (GL, Introduction)

On voit donc ici ce que Hegel critique et conserve du moment kantien de la philosophie : Certes, le criticisme aboutit à un "renoncement de la raison à elle-même" mais en chemin, il a découvert le "conflit nécessaire des déterminations de l'entendement".
Ce conflit a atteint son expression la plus manifeste chez Kant, avec l'exposé des antinomies de la raison. Mais autant la pensée d'une contradiction essentielle de la raison constitue selon Hegel "le progrès le plus important et le plus profond de la philosophie moderne", autant la solution des antinomies est "superficielle". (E., §XLVIII).

Ce que Hegel reproche fondamentalement à la philosophie critique, c'est d'avoir laissé la contradiction au seul niveau de la raison. Avec Kant, "on s'imagine que c'est la raison qui entre en contradiction avec elle-même." On notera à cet endroit comme le discours prend un tour ironique et un brin compatissant :
On a éprouvé une sorte de tendresse pour le monde : on a pensé que la contradiction serait une tache sur lui, et que c'est à la raison, à l'essence de l'esprit qu'il faut l'attribuer. (E., XLVIII)
Ou encore :
Quelle tendresse pour les choses ! Comme ce serait dommage si elles se contredisaient ! Mais que l'Esprit soit la contradiction, cela n'a pas d'importance [...] Or, le contradictoire se détruit ; ainsi donc l'Esprit est en lui-même désordre, folie.(Leçons sur l'Histoire de la Philosophie, III)
On mesure l'étendue du crime...

La solution de Hegel consiste donc à réviser la notion d'aperception pure, et de poser "l'unité transcendantale de la conscience de soi" selon laquelle "les déterminations de la pensée ont leur source dans le moi".
Le moi est, si l'on peut ainsi dire, le creuset et le feu où la multiplicité vient se dissoudre, et est ramenée à l'indifférence et à l'unité [...] Il faut dire que cette doctrine exprime bien la nature de la conscience. L'homme aspire à la connaissance du monde, il aspire à se l'approprier et à se le soumettre, et il faut que la réalité du monde en quelque sorte s'efface, c'est-à-dire s'idéalise devant l'activité humaine.(PL, 2nde)
En effet, tout au contraire de ce que dit Kant, ou plutôt de ce qu'il insinue,
nous savons de l'expérience que le Moi ne se dissout pas ; nous savons que le Moi est. On peut donc se désintéresser de ses contradictions ; puisqu'il ne se dissout pas, il peut les supporter. (Leçons, III)

Toutefois, la contradiction ne disparait pas, elle est simplement placée dans les choses. Tandis que le Moi est l'être originairement identique, "l'être qui ne fait qu'un avec lui-même et qui est tout à fait en lui-même", l'être sensible est l'être extérieur, extérieur aux choses et à lui-même. C'est un être multiple qui n'est qu'autant qu'il n'est pas ses contraires, et que ces contraires sont :
Le présent, par exemple, n'est que dans son rapport avec un avant et un après. De même, le rouge n'existe qu'autant que le jaune et le bleu viennent se poser comme contraires devant lui. (PL, 2nde)

La contradiction devient donc une détermination de toutes choses, qui trouve sa résolution en tant que réduction du multiple dans l'unité de la conscience :
Le point essentiel qu'il faut remarquer ici, c'est qu'il n'y a pas seulement quatre antinomies tirées du monde, mais qu'il y en a dans tous les objets de quelque nature qu'ils soient, comme dans toute représentation, dans toute notion et dans toute idée. Etablir ce point et reconnaître cette propriété dans les choses, c'est là l'objet essentiel de l'investigation philosophique : c'est cette propriété qui constitue le moment dialectique de la logique. (E., §XLVIII).

On n'oubliera pas pourtant que cette conscience est objective et non plus subjective. Par conséquent, il faut aussitôt ajouter que :
Cette unité est bien plutôt l'absolu lui-même, la vérité elle-même. C'est pour ainsi dire la bonté de l'absolu qui laisse aux existences individuelles la jouissance d'elles-mêmes et les stimule en même temps à revenir à leur unité absolue.



4. Le scepticisme


Outre la contradiction, l'autre grande avancée de la philosophie critique est d'avoir posé l'autonomie absolue de la raison :
Le résultat de la philosophie de Kant consiste à avoir affranchi la pensée et la raison de toute détermination extérieure et de toute autorité, et de leur avoir donné la conscience de leur absolue indépendance […] L’indépendance absolue de la raison, est, depuis Kant, le principe essentiel de toute philosophie, et l’une des croyances universelles des temps modernes. (E., § LX)
J'avoue trouver très intéressant comment Hegel présente cette idée ici, car il ne la présente pas comme une connaissance vraie ou une certitude, du type de celle qui préside à la conscience de l'unité du moi, mais comme un postulat et une croyance, dont il s'avère simplement qu'elle n'est pas remise en cause aujourd'hui -enfin, aux jours de son époque, donc. Ici, nous pouvons le noter pour la suite, Hegel se fonde sur la connaissance commune.

Mais pour l'heure, ayant posé l'autonomie de la raison comme une croyance et non une vérité, Hegel peut demander en substance s'il est nécessaire de suivre Kant jusque dans tous ses développements. Car certes,
suivre sa conviction propre vaut certainement mieux que se rendre à l’autorité ; mais par la transformation d’une croyance par autorité en une croyance par la propre conviction, le contenu de la croyance n’est pas nécessairement changé, ni l’erreur remplacé par la vérité. Être pris dans le système de l’opinion et du préjugé en vertu de l’autorité d’autrui ou par conviction propre, ne diffère que par la vanité inhérente à la seconde manière. (Ph.)
Autrement dit sans le dire, pourquoi devrions-nous soumettre notre jugement à l'autorité de Kant sans examen ? Assurons-nous au préalable qu'il dise vrai. Or, précisément, les philosophes critiques ont délaissé la recherche du vrai :
Ils sont allés aussi loin que Pilate, le proconsul de Rome, qui, ayant entendu le Christ prononcer le mot vérité, lui demanda : "Qu'est-ce que la vérité ?" comme quelqu'un qui sait à quoi s'en tenir sur ce sujet, qui sait, veux-je dire, qu'il n'y a pas de connaissance de la vérité. Et ainsi, cet abandon de la recherche de la vérité qui, de tous temps, a été regardé comme la marque d'un esprit vulgaire et étroit, est aujourd'hui considéré comme le triomphe de l'esprit. (Discours à l'Université de Berlin, 1816)

On voit, je crois, se dessiner la critique la plus forte : Il ne s'agit pas seulement de ce que Kant aboutisse à une doctrine qui, après tout, est la sienne et constitue un moment dans l'histoire de la philosophie ; il ne s'agit pas seulement de discuter de la valeur de cette doctrine pour la connaissance ; il ne s'agit pas seulement de ses lacunes, de ses erreurs, voire même d'une certaine lâcheté intellectuelle ; il s'agit d'une décision consciente, d'une revendication motivée et justifiée, que la connaissance vraie est une impossibilité et un égarement de la raison. Au fond, je crois que ce n'est pas par hasard si Hegel irait presque jusqu'à dire que le pauvre Kant est un peu trop sensible, voire un peu fou : Il ne fait jamais que renverser l'argument. Pourquoi faudrait-il que la philosophie s'arrête avec Kant ? De toutes façons, comme nous le verrons, selon Hegel, elle ne le peut pas.

Faire de la critique un moment, seulement un moment, dans le déploiement de la pensée, voila donc le projet de Hegel. Pour cela, il faut montrer que c'est la manière dont Kant comprend le rapport sujet-objet et les propres présupposés de sa théorie de la connaissance qui le conduisent à un scepticisme indéterminé, abstrait, qui, dans le néant, ne voit que le néant.
Mais le néant n’est en fait rien d’autre, pris comme le néant de ce dont il résulte, que le véritable résultat ; par quoi il est un néant déterminé avec un contenu […] Dans la mesure où le résultat est compris, comme il l’est en vérité, c’est-à-dire comme négation déterminée, alors immédiatement une nouvelle forme naît, et dans la négation est effectuée la transition par laquelle le processus à travers la série complètes des figures de la conscience résulte de lui-même. (Ph.)

Seulement, le « contenu » dont il est ici question n’est évidemment pas un contenu sensible. A vrai dire, le contenu de la connaissance n’est aucunement sensible. C’est précisément la raison pour laquelle, la chose-en-soi peut être connue :
La chose en soi –et sous cette dénomination l’on comprend aussi l’esprit, Dieu, etc. – est l’objet où l’on fait abstraction de tout ce qui le rend saisissable à la conscience, de tout élément sensible comme de toute pensée déterminée. L’on voit aisément qu’il ne reste après cela, qu’une pure abstraction, un être vide qui recule indéfiniment et échappe à la pensée, une négation de toute représentation […] Mais on peut faire, à cet égard, cette réflexion bien simple, à savoir : Que ce caput mortuum est lui-même un produit de la pensée, de la pensée qui forme cette abstraction pure, ou du moi vide […] On doit, par conséquent, s’étonner d’entendre si souvent répéter qu’on ignore ce qu’est la chose en soi, car il n’y a pas de connaissance plus facile que celle-là. (E. § XLIV)

La méthode dialectique présentant un moment affirmatif et un moment négatif, critique, de la connaissance, le scepticisme kantien, "peu rassurant pour l'esprit", devient désormais "un peu superflu". Hegel peut alors affirmer avoir dépassé Kant, mais sans pour autant en être revenu à la vieille métaphysique, à une pensée sans critique. Cela est bel et bon.

Sauf que, tout de même :
L'ancienne métaphysique avait de la pensée un concept plus élevé que celui qui est devenu courant dans les temps modernes. Cette métaphysique acceptait l'idée fondamentale suivante : ce qui est connu par la pensée, des choses et dans les choses, est leur seule véritable vérité. Ainsi les choses n'étaient pas acceptées telles quelles, dans leur aspect immédiat, mais élevées à la forme de la pensée, en tant que pensées. Pour cette métaphysique donc la pensée et la détermination de la pensée n'étaient pas quelque chose d'étranger aux objets, mais plutôt leur essence ; autrement dit, les choses et leur pensée [...] s'accordent quand elles sont pleinement actualisées. La pensée dans ses déterminations immanentes et la nature véritable des choses, sont un seul et même contenu. (G.L., Introduction)

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Message par Bergame Sam 24 Jan 2009 - 20:39

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5. Pensée et être


On aura peut-être noté, au passage d'une citation précédente, qu’en définissant Dieu comme une chose en soi, Hegel affirmait tout à la fois son existence (en soi) et la possibilité pour l’esprit de le connaître. Dès lors, on ne s’étonnera pas que Hegel s'attaque à la réfutation kantienne des preuves de l'existence de Dieu.

Dans l’Idéal de la Raison Pure (qui suit d'ailleurs, dans la CRP, l'exposé des antinomies de la raison), Kant avait montré que les différentes preuves de l’existence de Dieu se réduisaient toutes à l’argument ontologique.
Cet argument peut être présenté ainsi :
1. Quelque chose de nécessaire ne peut pas ne pas exister (selon le concept de nécessité)
2. Dieu est un être nécessaire (selon le concept de Dieu)
3. donc Dieu existe.

Or, continuait Kant, l’existence de Dieu ne peut être déduite de son seul concept. Afin de montrer que « être n’est pas un prédicat réel », c’est-à-dire que d’une « idée », d’un possible, on ne peut déduire l’existence réelle, Kant avait utilisé l'argument devenu fameux des 100 thalers :
Cent thalers réels ne contiennent rien de plus que cent thalers possibles […] Mais je suis plus riche avec cent thalers réels que si je n’en ai que l’idée (c’est-à-dire s’ils sont simplement possibles). (III, 401)

De là, découlait un raisonnement qui justifiait la quatrième antinomie selon laquelle on ne peut attribuer aucune réalité empirique au concept d'un être absolument nécessaire, et qu'il ne peut être objet
pour la raison théorique qu'en tant qu'elle est spéculative :
Une connaissance théorique est spéculative, quand elle se rapporte à un objet ou à des concepts d’un objet auquel on ne peut arriver par aucune expérience. Elle est opposée à la connaissance de la nature, laquelle ne s’étend à d’autres objets ou à d’autres prédicats qu’à ceux qui peuvent être donnés dans une expérience possible […] L’être suprême demeure donc pour l’usage purement spéculatif de la raison un simple idéal. (III, 421-425)
Cet "idéal" servira d'ailleurs de modèle à Kant pour son concept d’ « idées régulatrices » de la raison théorique, à savoir Dieu, l’immortalité de l’âme et la liberté.

Que dit donc Hegel de tout cela ?
Il commence par accepter la validité « évidente » de cette distinction entre la pensée et l’être, tellement évidente, à vrai dire, qu’ « il n’y a pas de connaissance plus vulgaire ». Mais, ajoute-t-il aussitôt,
on ne devrait pas ignorer que, lorsqu’il s’agit de Dieu, l’on est en présence d’un objet d’une toute autre espèce que cent thalers.

Je soupçonne –si l'on me permet une hypothèse de psychologue- que le fond, ou le premier mouvement de la critique de Hegel porte sur le prix accordé à l’idée de Dieu. Et à bien y réfléchir, c’est assez amusant, d’ailleurs, que Kant ait utilisé précisément ce type d'exemple pour justifier de la non-existence de Dieu. « 100 thalers dans ma poche sont plus réels que Dieu. » Une vraie provocation...

Toujours est-il qu'à partir de là, Hegel développe la discussion dans deux directions -qui, bien sûr, se rejoignent.
Il définit la notion de Dieu :
Ce qui fait la finité des choses, c’est que leur existence se distingue de leur notion. Mais à l’égard de Dieu, la pensée et l’existence, la notion et l’être sont inséparables. Et c’est précisément cette unité de la notion et de l’être qui constituent la notion de Dieu.
Nous retrouvons bien l’absolu en lequel se résolvent toutes les contradictions. Nous voyons aussi qu’« être » et « existence » sont synonymes, et consistent en un rapport immédiat (sans médiation) de la notion avec elle-même : Avoir une notion, c’est poser ce qui est.
Ainsi, Hegel définit également l’être,
la plus vide des déterminations. Il n’y a rien, en effet, qui ait moins de contenu que l’être, si l’on excepte toutefois ce qu’on est porté d’abord à prendre pour l’être, à savoir : une existence extérieure et sensible, ce papier, par exemple, qui est devant moi. Mais personne ne voudra arrêter un instant son attention sur cet objet fini et transitoire. (E, § LI)

Il me semble que cette discussion met en lumière les articulations respectives entre concept et existence, pensée et être, chez Kant et Hegel. Chez Kant, le concept, en tant que possible, est toujours plus que le réel, en tant qu’existence sensible. Chez Hegel, le concept est tellement plus que l’existence sensible qu’il est le résultat de sa négation, résultat qui est immédiatement le réel.



6. Le mouvement "ascendant" de la pensée


A la suite du passage cité précédemment, Hegel propos un second argument contre la réfutation kantienne de la preuve ontologique, un argument qui évoque le mouvement inéluctable de la pensée :
En outre, cette remarque vulgaire de la critique kantienne, que la pensée et l’être sont deux choses distinctes pourra troubler l’esprit, mais elle ne parviendra pas à y arrêter ce mouvement par lequel il va de la pensée de Dieu à l’affirmation de son existence. La doctrine de la science immédiate ou de la foi a, avec raison, rétabli la légitimité de ce passage et l’indivisibilité absolue de l’être de Dieu et de sa pensée.

Notons d'abord que cette nouvelle citation dévoile un autre aspect de la critique de Hegel à l'égard de Kant, et qu'on aura peut-être pu repérer en divers endroits de cet exposé tant elle est récurrente, l'idée selon laquelle la pensée critique est "vulgaire". Par exemple, le criticisme ressort trop aisément de l'opinion commune :
Le concept de la logique repose sur la séparation admise d’avance dans la conscience ordinaire entre le contenu de la connaissance et sa forme, en d’autres termes entre la vérité et la certitude. (G.L., Introduction)

Mais ce qui peut apparaître amusant, c’est qu’il arrive aussi à Hegel de justifier la critique de Kant par le même sens commun. Ainsi, à propos du dualisme :
Avec Kant, on maintient la différence, le dualisme est l'ultime ; chaque aspect pour soi est accepté comme absolu. Ce qui veut être ici l'absolu et l'ultime est le mauvais. Le bon sens humain est contre cela ; chaque conscience ordinaire dépasse ce point de vue, chaque action tend à dépasser une idée (subjective) et la rendre objective. Aucun homme n'est aussi bête que cette philosophie : quand il a faim, il ne se contente pas d'imaginer des nourritures, mais il agit pour se rassasier. (Leçons, III, 585)

Ou encore, lorsque Hegel réfute l'idée selon laquelle les catégories sont vides de contenu. Certes, ce contenu n’est pas sensible, dit-il, mais
ce n’est pas là un manque, c’est plutôt une perfection. C’est ce que reconnaît la conscience ordinaire elle-même lorsque, par exemple, elle dit d’un livre, ou d’un discours que son contenu est d’autant plus riche, qu’il renferme d’autant plus de pensées, de résultats généraux, etc. ; et que par contre, elle n’accorde pas de valeur à un livre, disons à un roman, où l’on a entassé des situations, des évènements individuels, et d’autres traits semblables. Par là, la conscience ordinaire reconnaît elle aussi que la nature du contenu exige quelque chose de plus que la matière sensible. (PL, 2nde)

C'est l'avantage, bien sûr, d'avoir intégré le criticisme comme un moment de l'hégélianisme, on peut le retourner contre lui-même. La conscience ordinaire est donc hégélienne, tout comme l'est sa critique. Admettons donc, même si l'on n'est pas obligé de partager les convictions de Hegel quant à la hiérarchie des valeurs de la "conscience ordinaire".
Toujours est-il qu'on peut se demander ce qui, selon Hegel, peut bien pousser la conscience ordinaire à s’élever ainsi du sens commun vers les idées les plus générales.

Selon Hegel, il existe un besoin à l'origine du mouvement de la pensée, qui fonde d’ailleurs la philosophie :
La philosophie a notamment pour fondement un besoin de l’esprit qui, en tant qu’esprit doué de sensibilité, d’imagination, de volonté, n’a comme objet que des êtres sensibles, des représentations et des fins diverses, et qui, en opposition avec ces formes de son existence et de ces objets, éprouve le besoin de satisfaire ce qu’il y a de plus intime en lui –c’est-à-dire à sa pensée- et de l’élever à ce degré où il n’a qu’elle pour objet. (E, §XI)

Le principe de la contradiction trouve donc ici son origine : De la confrontation entre le mouvement « naturel » de l’esprit qui n’aspire qu’à se « saisir lui-même » et la présence –au sens de ce qui est là, devant soi- d’êtres sensibles, tout aussi « naturellement » insatisfaisants pour ce même esprit. A partir de là, il me semble qu'on comprend mieux ce que signifie la résolution de la contradiction : La progression de l'esprit vers son essence en tant qu'absolu nécessite l'anéantissement du monde sensible.
La pensée trouve, d’une part, sa satisfaction dans l’idée de l’essence universelle du monde phénoménal (l’absolu, Dieu), idée qui peut être plus ou moins complète. D’autre part, la connaissance empirique elle-même est naturellement stimulée à effacer cette forme, où la richesse de son contenu se présente comme une existence immédiate et extérieure, comme un assemblage d’éléments qui se succèdent sans ordre, et d’une manière fortuite, et à élever ainsi ce contenu à la forme nécessaire de la pensée. C’est ce désir qu’éprouve la pensée d’atteindre à l’essence universelle, et la satisfaction qu’elle en tire, qui est le point de départ et le mobile de ses développements. (E. § XII)

Encore qu'ici, on parle de « nécessité » et de « nature », bref on parle d'être. Mais pour faire bonne mesure, je livre l’autre version de ce discours, où il s’agira plutôt de « foi » et de devoir-être :
Le courage de la vérité, la foi en la puissance de l’Esprit sont la première condition de la philosophie. L’homme, puisqu’il est Esprit, a le droit et le devoir de se considérer comme digne des choses les plus hautes ; il ne peut surestimer la grandeur et la puissance de son Esprit […] La nature d’abord cachée et fermée de l’univers n’a pas la force qui puisse résister au courage de la connaissance ; elle doit s’ouvrir devant lui, offrir à ses yeux et à sa jouissance sa richesse et sa profondeur. (Leçons, 6)

Et enfin, la version anthropologique :
S’il est juste de dire que l’homme se distingue des animaux par la pensée, tout l’humain n’est tel que parce qu’il est l’œuvre de la pensée. (E, §II)

Evidemment, à mes yeux, c'est la meilleure conclusion possible.
Pas vous ? :clind'oeil:

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Message par Courtial Lun 2 Fév 2009 - 18:14

Si ce n'est pas du boulot, ça! Chapeau, Bergame.
Je n'en ai lu qu'une partie faute de temps, mais ça me semble poser de bonne base, sans erreur à ma connaissance.
Une observation sur ce passage :

Ce que Hegel reproche fondamentalement à la philosophie critique, c'est d'avoir laissé la contradiction au seul niveau de la raison. Avec Kant, "on s'imagine que c'est la raison qui entre en contradiction avec elle-même." On notera à cet endroit comme le discours prend un tour ironique et un brin compatissant :
On a éprouvé une sorte de tendresse pour le monde : on a pensé que la contradiction serait une tache sur lui, et que c'est à la raison, à l'essence de l'esprit qu'il faut l'attribuer. (E., XLVIII)
Ou encore :
Quelle tendresse pour les choses ! Comme ce serait dommage si elles se contredisaient ! Mais que l'Esprit soit la contradiction, cela n'a pas d'importance [...] Or, le contradictoire se détruit ; ainsi donc l'Esprit est en lui-même désordre, folie.(Leçons sur l'Histoire de la Philosophie, III)
On mesure l'étendue du crime...

Merci pour la citation des Leçons qui termine l'extrait, je ne la connaissais pas (je n'ai lu que ce qui concerne la philosophie grecque, dans ce bouquin), elle est très bonne.
Mais cela me suscite ce commentaire - que j'ai peut-être déjà fait ailleurs - : je vois ici pulvériser la critique marxienne selon laquelle Hegel n'aurait conçu la dialectique que dans les idées, et réduire à l'allégation grotesque les propos du genre la dialectique est, chez Hegel, la tête en bas, il faut la retourner pour découvrir, sous la gangue mystique, le noyau rationnel.
Althusser avait tenté en son temps (Pour Marx) de justifier ladite assertion. Pour paraphraser Spinoza (qui parlait en l'occurence de Descartes), Althusser aura surtout montré en cette occasion les éminentes qualités de son grand esprit, sans rien proposer qui fasse avancer l'affaire.

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Message par Bergame Mar 3 Fév 2009 - 19:19

Merci Courtial. Je n'ai pas lu Althusser, mais quant à moi, il me semblait assez évident que, chez Hegel, la dialectique n'est pas que le mouvement de la pensée, mais également celui de la vie. Quel est donc ce passage où Hegel dit qu'en gros, les animaux aussi sont dialecticiens, puisqu'ils ne s'arrêtent jamais à la chose-en-soi et la consomment, se l'incorporent. Bon, mais au fondement de tout cela, il y a une interprétation très personnelle de la chose-en-soi par Hegel qui n'a plus grand chose à voir avec celle de Kant. Je crois que tu avais parlé quelque part de cette lettre de Fichte à Kant où le premier en arrive à dire que, finalement, est-ce qu'on ne comprendrait pas mieux tel ou tel sujet si on se passait de la chose-en-soi. C'est tout à fait comme cela que je comprends Hegel -pour ce que ça vaut. D'ailleurs, Hegel paye aussi sa contribution à Fichte, sur la conception du Moi transcendantal, en particulier, non ?

Mais je t'avoue que je suis un peu étonné, je pensais être un peu provocateur en fait, avec ce petit travail. Ils sont où nos hégéliens, là ?
"Et ils sont où, et ils sont où, et ils sont où les hé-gé-liens, la la la la la la, la la la la la la..." :nan:

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Message par Courtial Mar 3 Fév 2009 - 22:00

chez Hegel, la dialectique n'est pas que le mouvement de la pensée, mais également celui de la vie. Quel est donc ce passage où Hegel dit qu'en gros, les animaux aussi sont dialecticiens, puisqu'ils ne s'arrêtent jamais à la chose-en-soi et la consomment, se l'incorporent

Je ne vois pas de quel passage tu parles. Mais je songe à un autre, qui confirme au plus haut point ce que nous disons, le passage de l'Encyclopédie où Hegel se montre fort ennuyé, dans la Philosophie de la Nature, parce que nous avons 5 sens, 5 n'étant pas très dialectique, comme chiffre. Pourquoi qu'o n'a pas 3 sens? C'est rigolo la façon dont il essaie de se sortir de là...
Pour le reste, j'ignorais qu'on trouvât ici les Hégéliens que tu mentionnes. J'aimerais aussi leur soumettre quelques questions. C'est un auteur qui, lorsqu'on a dépassé la torture intellectuelle qui constitue la préparation nécessaire, se révèle souvent passionnant à lire et très stimulant pour l'esprit. L'allocution de 1817 (pas 1816, comme tu dis) à l'Université de Berlin, c'est un texte magnifique.
Hegel inaugure la série des philosophes essentiellement "littéraires" - avant, c'est que des matheux, Platon, Aristote, Descartes, Leibniz, etc., là on a un type qui a une culture essentiellement littéraire, un Liseur.

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Message par thianoumar Jeu 5 Fév 2009 - 19:13

Salut Bergame, merci de nous avoir gratifier de cette analyse que moi je juge excellente et dont toi seul connaît les secrets. Pour qui cherche à situer le niveau critique de Hegel face à Kant, je crois qu’il ne peut être mieux servi. Encore une fois, merci !

J’ai pris mon temps pour vous lire et je crois que tout ce que je pourrais ajouter ne serait qu’une confirmation du moins une contribution. A mon avis, et tu le souligne bien, on ne trouver prétexte pour valider la critique hégélienne sur le simple fait de se limiter a Hegel. Un retour à Kant s’impose pour comprendre comment le criticisme aborde le problème de la connaissance. L’entreprise philosophique de Kant est essentiellement centrée sur le problème du fondement de la connaissance. Son projet critique devait alors l’amener à s’interroger sur les conditions de possibilité de la connaissance, c'est-à-dire, sur l’examen critique des limites de la raison dans son pouvoir de connaître afin d’édifier un espace à l’intérieur duquel elle peut s’exercer légitimement. Et on peut sans doute affirmer que c’est dans le soucis, entre autre, de restaurer l’unité métaphysique dans les limites naturelles de la raison, de redonner à la métaphysique une nouvelle démarche, que Kant sent la nécessité de formuler une critique de la raison pure, critique qui, alors définira un nouveau champ, à la fois pratique et théorique, pouvant désormais garantir les pouvoirs de la raison. On peut voir, il me semble, que si on comprend ainsi l’intention du criticisme l’objectif est bien précis. Mais la question est de savoir comment fonder cette connaissance dans et par les facultés humaines en considérant à la fois leur limite sensible et leur finalité rationnelle. La manière dont la question de la connaissance est abordée chez Kant laisse penser qu’il s’agit d’un problème de la raison avec elle-même. Dans ce sens le criticisme peut être lu comme une critique de l’usage dogmatique et empiriste de la raison. La critique se voit ainsi comme le souligne Kant, « opposée au dogmatisme, c'est-à-dire à la prétention d’aller de l’avant avec une connaissance pure (la connaissance philosophique) tirés de concepts d’après des principes tels que ceux dont la raison fait usage depuis longtemps sans se demander comment ni de quel droit elle y est arrivée. Le dogmatisme est donc la marche dogmatique que suit la raison pure sans avoir fait une critique préalable de son pouvoir propre »(CRP, p. 26) Ainsi pour éliminer cette prétention il faut mener des recherches pour établir des connaissances a priori, afin d’infléchir l’objet et pour mettre en place une métaphysique rationnelle pour l’avenir. A travers cette tâche comme le note A. Philonenko, « Kant a ouvert de nouvelles voies à la raison humaine par et dans la fondation de l’idéalisme transcendantal. » (L’œuvre de Kant)On reviendra peut être sur cette expression. En même temps, il s’oppose à l’empirisme anti-métaphysique qui se réduit à la fameuse formule : « il n y a rien dans l’entendement qui n’est d’abord été dans les sens ». Mais je retiens par cette lecture l’idée d’un dépassement de l’expérience c'est-à-dire des limites sensibles de ces mêmes facultés humaines. Ainsi chez Kant la distinction entre l'entendement et la raison conduit à faire du sujet humain le point de départ d'une réalisation antidogmatique de la science et le principe d'une intentionnalité morale objectivement universelle. A la suite de ce constat, Kant cherchant toujours ce qui pourrait rendre possible la connaissance, en arrive à comprendre que le domaine de la connaissance proprement dite, par laquelle nous saisissons des objets à partir des impressions sensibles, est organisé dans le cadre des formes a priori que sont les conditions de possibilité de toute connaissance. Ce cadre reste pour sa part, l’œuvre de d’un sujet transcendantal, qui ne se situe pas lui-même en tant que tel dans le cercle phénoménal, et ne peut non plus être assimilé à un autre transcendant. Nous comprenons donc que la philosophie kantienne est profondément rationaliste en ce sens qu’elle se propose de déterminer exactement les limites d’exercice de la pensée ainsi que les conditions dans lesquelles elle produit des notions idéales ou des règles de notre liberté.

Ainsi, ce sont les catégories comme l’espace et le temps qui nous permettent d’appréhender les objets. L’espace et le temps comme le considère Kant, n’étant pas des intuitions empiriques, sont plutôt les concepts purs de l’entendement, autrement dit, ils sont présents dans notre esprit antérieurement à toute expérience. Kant justifie cette idée dans l’Esthétique transcendantale quand il considère que nullement nous ne pouvons avoir d’expérience sans que celle-ci apparaisse dans l’espace et le temps. C’est ainsi qu’il affirme : «en effet nous ne connaîtrons, en tout cas, parfaitement que notre mode d’intuition, c'est-à-dire notre sensibilité toujours soumise aux conditions du temps et de l’espace originairement inhérentes au sujet ; ce que les objets peuvent être en eux-mêmes, nous ne le connaîtrons jamais, même par la connaissance la plus claire du phénomène de ces objets, seule connaissance qui nous est donnée ». L’idée d’une limitation du savoir consiste à se demander jusqu’où on peut aller dans l’usage spéculatif de la raison. Considérer sous un autre angle, cela amène à se demander dans quelle sphère la raison peut se déployer pour pouvoir appréhender correctement la réalité. Mais au lieu d’entendre cette critique comme une simple réaction contre le dogmatisme Kant affirme qu’elle « est plutôt la préparation nécessaire au développement d’une métaphysique établie en tant que science (…) ». Nous voyons bien à travers cette idée que l’ambition de Kant, loin de consister à l’abandon de la métaphysique, demeure plutôt de lui donner sens, lui trouver une autre nouvelle voie. Cette idée se justifie à travers cette affirmation de Kant : « Peut-être jusqu’ici ne s’est-on que trompé de route : quels indices pouvons-nous utiliser pour espérer qu’en renouvelant nos recherches nous serons plus heureux qu’on ne l’a été avant nous ? »

Pour ne pas servir un long développement je dirai qu’ en ce qui concerne le domaine général de la connaissance, le criticisme nous montre que l’expérience est insuffisante pour fonder toute connaissance mais aussi pour se suffire à expliquer l’entendue du savoir que demande la pensée. En clair, « la raison ne s’aurait être pleinement satisfaite d’un emploi des règles de l’entendement limité à l’expérience» Proleg p, 109. Du même coup, il faut rapporter cette expérience à des conditions aprioriques. La découverte des idées transcendantales n’est pas une issue métaphysique rendue possible par l’expérience, mais une activité hors du cercle de cette expérience pour lui servir de fondement théorique et de limite rationnelle destinée à assurer la connaissance.

Mais alors qu’en est-il lorsque la raison, pour des raisons de droit, achoppe aux difficultés de saisir le noumène et, de ce fait, recule devant le problème de l’absolu et préfère se ravaler vers un domaine qu’elle considère comme plus sure et plus légitime pour son application, mais domaine pourtant qui révèle son inaptitude parce qu’incapable de maîtriser le réel dans son essence ? C’est alors cette même raison qui préfère faire demi-tour devant le problème de l’absolu, qui prend la direction opposée sans être incapable de rendre compte du réel en lui-même et dans son essence. Or l’interrogation métaphysique a toujours cherché à justifier cet intelligible, à fonder le principe absolu qui est le centre de l’activité philosophique. Dès lors on serait en droit de se demande si cette double limites assignée à la raison peut la libérer des contraintes à la fois métaphysiques et empiriques, d’autant plus que ni dans un champ ni dans l’autre la raison ne se trouve dans le pouvoir résoudre entièrement le problème de la connaissance. Cette insatisfaction que suscite l’intelligibilité kantienne constitue le point de départ des critiques qui se sont formulées en son encontre et dont les figures les plus marquantes se retrouvent dans le terrain de l’idéalisme allemand.

Autant dire que Kant, malgré son ambition de supprimer « toutes les erreurs qui, jusqu’ici avaient divisé la raison avec elle-même dans son usage en dehors de l’expérience » (L’œuvre de Kant p. 6), laisse le champ métaphysique inexploré. L’idéalisme transcendantal sera ainsi mis en jeu dans la formulation des critiques dont la pensée de Kant fera l’objet.

C’est a mon avis et a peu près dans ce contexte qu’on peut situer la critique hégélienne. On ne peut ignorer le rôle que Fichte et Schelling occupe dans cette tradition qui sépare Kant et Hegel. Il y a une phrase de Lénine dans ses Cahiers philosophiques que j’aime bien. Lénine dit : On dit que la raison a ses limites. Dans cette affirmation réside l’inconscience de ce que, par cela même qu’on détermine quelque chose comme borne, on opère déjà son dépassement. Je comprends cela encore suivant la critique que Hegel adresse à Kant.

Le point d’entrée de la critique hégélienne est celui de l’objectivité. Le criticisme tel que Hegel le voit s’investie dans une formulation tout a fait subjective de la connaissance. Kant n’a fait selon Hegel que conclure le criticisme en renfermant toutes nos connaissances dans les limites de l’expérience et en les faisant procéder des lois de l’entendement. C’est pour cette raison qu’elle n’a pu échapper à un subjectivisme, qui traduit un retour de la raison sur elle-même, préférant renoncer à tout apport extérieur. Il complut au rationalisme certes, mais non sans se convertir en une théorie transcendantale, à un formalisme affirmant l’impossibilité d’une vraie science, d’une science systématique. Et c’est ce même formalisme que Hegel critique dans la pensée de Kant quand, prenant son fondement théorique dans l’application des catégories, il dérive les déterminations du concept en les plaçant sous un schéma modèle, ce qui lui fait perdre la vérité de l’objet. Au lieu de faire du concept sa propre détermination, Kant prend le concept comme un schéma appliqué au savoir. Et ce que Hegel reproche à Kant c’est sa méthode de procéder, « consistant, selon B Bourgeois, au lieu de dériver du concept les déterminations d'un ob-jet, à le placer simplement sous un schéma tout prêt par ailleurs » Le fait pour Kant d’introduire les catégories comme relation ou comme nécessité pour la pensée participe non seulement d’une négation de l’essence, mais impose à la réalité une détermination subjective qui n’est pour cela que l’unité transcendantale subjective, appliquée à l’objet. Ce que la connaissance théorique, par l’application des catégories, produit comme concept, reste une médiation dans le sens où c’est avec et dans l’application des prédicats que s’offre le concept. Celui-ci reste abstrait chez Kant car, dans la synthèse l’isolement de la déterminité par le jugement n’est que le résultat d’une abstraction exercée sur l’objet. Ce que Hegel récuse c’est ce caractère abstrait du concept car selon lui « le concept est ce qui est absolument concret». La réunion d’un sujet et d’un prédicat dans un corps d’énoncé n’engendre pour cela que l’universalité de leur singularité. Ce qui nous amène au constat que si le prédicat se trouve contenu dans le sujet comme son identité il faut aussi voir que la singularité d’un prédicat ne suffit pas pour formuler l’identité du sujet dont il s’oppose comme une détermination extérieure.

Mais attention, En formulant ces critiques nous nous situerons dans la logique de la pensée hégélienne, logique qui, comme nous le verrons, intègre tout ce qui, dans la pensée de Kant, relevait de contradiction. A la raison subjective Kant accorde le droit d’instituer un monde des phénomènes qui tombe sous l’emprise d’un monde de représentations. Mais si cette subjectivité définie ainsi le sens des choses on serait en droit avec Victor Cousin de se poser cette question non moins subjective mais légitime. « Comment sais-je que ma raison est subjective ? ». C’est parce que qu’elle traduit une réflexion donc un retour sur elle-même que la raison croit débuter et s’accomplir sur la certitude de ses principes. Or, toujours selon V. Cousin « il faut reconnaître que la raison humaine n’est pas frappée primitivement de ce caractère subjectif dont Kant s’est fait une arme contre elle, et qu’elle doit débuter par une affirmation pure, absolue, sans aucun soupçon d’erreur ». C’est principalement cette position absolue d’une vérité non subjective que symbolise le cheminement de la conscience telle que nous pouvons le lire dans la phénoménologie hégélienne. Nous nous apercevons ajoute t-il que c’est « plus tard qu’il y’aura ce replis sur elle-même ».

En effet pour Hegel le savoir est un processus. Et parce qu’il est toujours savoir d’un sujet concret, le savoir absolu est avant tout la certitude que ce savoir réside dans une quête, un progrès. C’est pour cette raison que Hegel considère le savoir non pas simplement comme substance mais comme sujet. Ainsi il y a une objectivité du sujet par rapport a un monde dont il dépend mais aussi un subjectivisme de l’objet défini comme représentation partielle d’un sujet. C’est à travers ce cheminement que peut se comprendre l’intention de Hegel qui consiste à retrouver ce processus dialectique qui anime le travail de l’Esprit dans sa véritable conquête. La raison fondamentale qui habite ce fait réside dans la logique d’une interprétation exégétique qui définie la manière dont la pensée de Hegel s’aborde suivant sa démarche. Si elle s’inscrit dans la logique d’un discours philosophique qui cherche à exprimer un savoir absolu, elle le fait suivant une dynamique qui fait consister ce savoir sur une méthode. Et c’est pour cette même raison que la pensée hégélienne demeure une quête méthodique dont l’enjeu reste lié à l’unité absolue du savoir. Mais autant cette pensée se trouve habité par une nécessité systématique autant elle inscrit cette systématicité dans un devenir. La démarche hégélienne devait avant tout aborder le savoir dans son immédiateté c'est-à-dire, dans un contexte qui révèle une totalité encore naïve d’où commence cette quête. C’est en quelque sorte un retour à l’immédiateté que formule Hegel.

J’espère Bergame que vous n’allez pas me faire payer pour ce long développement. Je m’en excuse mais je crois que je ne suis pas aussi précis et bref que toi. Je reviendrai sur cette critique hégélienne de Kant.

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Message par Bergame Mer 11 Fév 2009 - 18:14

Te faire payer ? Mais bien au contraire, Oumar, je loue la richesse de ton intervention et tout le monde avec moi, j'en suis sûr. Et puis j'attendais cette intervention, je dois te le dire. Je me suis permis d'en changer la taille de caractères afin de la rendre plus lisible toutefois, j'espère que tu ne m'en voudras pas.

Sur le fond, je dirais que ce que tu écris m'évoque plusieurs choses.
Bon d'abord, c'est anecdotique, mais je n'aime pas trop l'ouvrage de Philonenko. J'ai le sentiment qu'il est à l'origine des interprétations "modernes" -je n'ose dire "libérales", mais le coeur y est- de Kant en France, celui en tous cas dont se prévalent Ferry et Renaut. C'est anecdotique, mais c'est déjà pour dire que, personnellement, et en tant que ver de terre, ce n'est pourtant pas la ligne interprétatrice de Kant à laquelle j'adhère.

Je comprends la première partie de ton exposé comme -au moins en partie- une démonstration que je résumerais comme suit :
1. L'entreprise de Kant n'est pas la réfutation de la métaphysique, mais sa rénovation. Autrement dit, Kant, dans son projet, ne renonce pas à penser l'absolu.
2. La philosophie critique, dans le même temps qu'elle pose la borne de la chose-en-soi, la nomme et la désigne en tant qu'objet pour l'esprit.
3. Il y a contradiction manifeste entre le projet kantien de rénovation de la métaphysique et le recul devant la possibilité de connaître le noumène.
=> 4. L'idéalisme transcendantal est l'achèvement logique d'un kantisme qui a péché par quoi, pusillanimité, ou irrationalisme sceptique ?
Et effectivement, c'est tout à fait ce que je comprends de la démonstration de Hegel, telle que j'ai tentée de la retracer ici.

Mais personnellement, j'aimerais formuler deux questions.
D'abord, est-il bien certain que le projet de Kant soit la rénovation, la refondation de la métaphysique ? Je crois qu'on peut voir Kant de deux manières : Comme un rénovateur, ou comme un destructeur, le "Alles-Zermalmer" de Mendelssohn. Et en fait, les deux visages ne sont pas contradictoires, mais je crois que, lorsqu'on commente Kant, on insiste plutôt sur l'un ou sur l'autre, sur la CRP ou sur les Prolégomènes, sur la CRPa ou sur les FMM, etc. Je crosi en tous cas que Hegel prend Kant comme un continuateur de la métaphysique, celui qui pense la métaphysique, mais qui la pense métaphysiquement. Or, c'est à mon sens sujet à discussion, discussion qui pourrait commencer avec cette seconde question :

Est-ce que, véritablement, et irrémédiablement, nommer la Chose, c'est la présenter à l'esprit en tant qu'objet ?
D'abord, notons que pour Kant, nommer la chose, ce n'est pas lui donner une existence sensible. Le terme "Dieu" existe, ce n'est pas pour autant que Dieu existe.
Maintenant, selon Hegel, et si je le comprends à peu près, poser une notion, c'est, dans le même mouvement, lui donner un contenu. Un contenu non pas existant au sens d'une existence empirique distincte de la connaissance, mais un contenu disons, pour l'esprit. Mais Kant répondrait : Quel contenu ? Que pourrais-tu donc nous dire à propos de Dieu ? Quelle connaissance objective pourrais-tu nous en offrir ? Et comment se fait-il que moi qui écris "Dieu" ici-même, je ne puisse m'en faire une idée précise et concrète au moment où je l'écris ?
Hé bien, je pense qu'en fait, l'idée selon laquelle nommer Dieu, c'est déjà lui donner un contenu, ne se justifie que pour celui qui connaît Dieu. Et c'est ainsi, je crois, qu'il faut comprendre Hegel lorsqu'il qui reproche à Kant "de ne pas vouloir entrer dans l'eau avant d'avoir appris à nager." Car Hegel, lui, il sait déjà nager avant d'entrer dans l'eau. C'est parce qu'il connaît déjà Dieu qu'il peut partir du principe que nommer Dieu, c'est lui donner un contenu.
Mais alors, ne faut-il pas s'interroger sur l'idée du mouvement de l'esprit ? N'est-il pas question d'une progression dialectique de l'esprit vers l'absolu, chez Hegel, de ce que tu appelles justement un "processus" ou un "progrès", Oumar ? Qu'est-ce donc que cette progression qui nécessite d'en connaître le terme avant même de commencer ? Peut-être réponds-tu à cette question lorsque tu évoques la pensée hégélienne comme celle d'un retour à l'immédiateté, mais mes connaissances ne me permettent pas de comprendre ce point.

Toujours est-il que pour Kant, nommer la chose, ce n'est donc pas la présenter à l'esprit en tant qu'objet. Qu'est-ce que la chose-en-soi, selon Kant ? C'est ce qui reste, c'est un résidu. Dire qu'au terme de l'opération, il reste un résidu, est-ce le présenter comme objet pour la connaissance ? Possible, mais il faut alors que l'esprit s'y applique, s'attache à analyser, disséquer, comprendre. Et reste alors un nouveau résidu. Et ainsi de suite. A ce stade du process, qu'est-ce qui pourrait permettre de penser qu'un jour, l'esprit humain pourra rendre compte de la totalité du résidu ? Rien, ou bien la foi. Dirons-nous : la Schwärmerei ?

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Message par Bergame Mer 18 Fév 2009 - 12:11

Hé les amis ! Ce n'était peut-être pas évident dans la forme, mais ce sont là des questions, hein, adressées à tous ceux qui veulent bien en discuter, d'ailleurs. :lut:

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Message par Bergame Jeu 18 Aoû 2016 - 16:21

Une idée me frappe à l'instant : Kant et Hegel sont deux penseurs de la pensée, du moins ils s'y essaient. Mais Kant est à la fois un esprit scientifique et un esprit moral, c'est un homme qui pense la pensée en termes de limites. Et du reste, la discipline extraordinaire avec laquelle il règle son existence témoigne suffisamment de sa connaissance intime de la nécessité d'imposer des limites à la pensée.
En revanche, Hegel est un esprit qui semble avoir une absolue confiance en la pensée. Hegel est celui qui dit justement que la pensée est sans limites, et qu'elle dépasse successivement toutes les limites en les abolissant -à commencer par les limites empiriques, par le monde. Et je me rends brusquement compte qu'il n'y a pas d'éthique, chez Hegel. Il y a une philosophie du droit, oui, mais il n'y a pas de philosophie éthique.

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Message par chapati Sam 14 Jan 2017 - 4:45

Mais si, d'après Kant, on ne peut que percevoir les phénomènes (soit ce que l'entendement humain serait capable de percevoir des choses), comment déduit-il le noumène depuis le phénomène ?

Il est bien obligé d'accepter ce que le seul sens commun envisage comme une existence "en soi" des choses, une essence de ce que pourtant lui seul a nommé, théorisé : c'est a priori qu'il pose l'existence d'une forme extérieure donnée aux choses (noumènes).

Hegel semble voir cette faille et la critiquer (?), mais n'affirme-t-il pas de façon aléatoire que du coup, il faut bien qu'on "voit" l'essence des choses (ce qui évidemment raccrocherait les wagons) ? Ce qui le cantonnerait à rester lui-même dans la même insuffisance de ne pas remettre en cause cette représentation commune, de ne travailler qu'à partir de ces mêmes objets formels théoriques.

Avec l'un comme l'autre, on reste au stade du théorique : ni l'un ni l'autre ne vont à la genèse des choses, ne semblent les remettre en question.

Kant semble poser l'existence des conditions de connaissance d'une représentation possible et Hegel ne travailler qu'à partir de ces mêmes objets (transcendants) de la représentation.

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Message par Bergame Sam 14 Jan 2017 - 11:55

Félicitations pour avoir relevé le gant. critique - Hegel, critique de Kant 2101236583

Le fond de ta critique semble être :
Avec l'un comme l'autre, on reste au stade du théorique : ni l'un ni l'autre ne vont à la genèse des choses, ne semblent les remettre en question.
Qu'est-ce que c'est, le "stade du théorique" ? Est-ce que cela s'oppose à un "stade pratique" ?

Tu as pu lire dans ce qui précède que le lieu, ou l'un des lieux de l'explication entre Kant et Hegel, c'est Dieu.
Or Dieu "existe" -en tant au moins qu'idée. C'est-à-dire qu'il y a des dieux dans toutes les civilisations du monde, et que si j'écris "Dieu", ne serait-ce que pour dire "Dieu n'existe pas", ce terme renvoie à une idée également pour toi. Tu "vois" ce que je vise lorsque j'écris "Dieu".
Mais de cette idée (donc théorique, j'imagine ?), peut-on déduire une existence... "pratique" ?

Il y a manifestement des objets qui n'"existent" que théoriquement. La science en admet d'ailleurs un nombre considérable, tous les objets de recherche de la science physique sont "théoriques". Tout ce qui n'est appréhendable que mathématiquement est, je suppose, "théorique" ? Or, la science physique est éminemment mathématique aujourd'hui.

En quoi "Kant et Hegel en restent au stade théorique" constitue donc une critique ? Il y a des objets qui ne sont que théoriques.

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Message par neopilina Sam 14 Jan 2017 - 18:56

chapati a écrit:Mais si, d'après Kant, on ne peut que percevoir les phénomènes (soit ce que l'entendement humain serait capable de percevoir des choses), comment déduit-il le noumène depuis le phénomène ?

C'est intéressant ce que tu dis Bergame, mais chapati a souligné la question essentielle : quels sont les mots de Kant pour traduire, justifier, décrire, etc., philosophiquement ( Puisque ce simple message et tant d'autres choses le démontrent empiriquement. ) le Lien existant entre le Sujet et, cogito, Son Monde ?

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Message par Bergame Dim 15 Jan 2017 - 1:45

Je ne comprends pas la question.  critique - Hegel, critique de Kant 4221839403  Veux-tu l'expliciter ?

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Message par chapati Dim 15 Jan 2017 - 10:43

Les philosophes ont adoubé les objets de la représentation en les prétendant universels : c'est par extension vers une promesse d'universalité qu'il ont posé une représentation censée correspondre à la réalité des choses.
Sauf revenir deux mille ans en arrière, en un temps où il s'agissait de déchiffrer le grand livre ou Dieu aurait écrit la vérité, ces concepts qui peuplent la représentation, ils ont bien été créés par l'homme, non ? Donc si ce sont les hommes qui ont créé, défini les concepts, pourquoi les philosophes semblent-ils s'acharner à trouver une "essence", un "en-soi" au delà de ce qui n'est finalement qu'une création humaine ?
C'est tout sauf remettre en question les choses, tenter de retrouver leur genèse pour les expliciter les comprendre les remettre à leur place. Pour ordonner, mémoriser, expliquer, communiquer, c'est très bien la représentation, mais quand on est face à un problème réel (donc non théorique), est-ce que c'est suffisant ?
Est-ce que c'est ça, penser, philosopher ?
Pire, est-ce que c'est en entretenant ce commerce avec la représentation qu'on pense, dès lors que les choses nous affectent réellement, nous impliquent, nous déstabilisent ?
Ma réponse est claire : j'y crois pas.
Je crois que c'est pas comme ça qu'on pense (que c'est pas ça le processus de pensée) quand on se prend un problème dans la figure : Lola est partie, je n'interprète pas l'amour ou l'absence pour sortir de là, je me trouve pris dans un processus nébuleux et ce n'est qu'à la sortie de celui-ci que peut-être je serai en capacité de mettre des mots dessus, des mots qui disent de la compréhension, qui fassent sens.

Or la représentation se prétend la vraie nature des choses, le réel qu'on se coltine.
Alors puisque Kant dit qu'on ne fait qu'interpréter le réel sans pouvoir le connaître plus que ça, d'où tient-il que ce sont bien ces objets-concepts (noumènes) issus du sens commun, de l'extension au sens commun, qui sont à l'œuvre dans les choses ? Puisqu'on est censé ne connaître que les phénomènes, d'où tire-t-il que ceux-ci correspondent aux noumènes, soit donc je le répète à un ensemble de concepts supposés refléter le réel ?
Je dis que tant qu'on ne remet pas en question le bien-fondé de ces concepts, ils peuvent certes servir de repères (communs) à la pensée, mais on n'a aucune raison d'en chercher un en-soi ou une essence quand ce sont les hommes qui les ont créés : qui les ont définis.
(on ne fait ainsi que rester dans la description, on n'est pas dans la compréhension)

La représentation est une théorie qui valide de façon aléatoire nombre de concepts qui ne reflètent pas forcément le réel, dont il s'agirait de remonter à la genèse et de remettre en cause leur prétendue "universalité" avant que de chercher à comprendre les choses à partir de ces repères-là.
(sauf erreur et par exemple, Kant établit la morale comme "donnée", sans la penser)

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Message par kercoz Dim 15 Jan 2017 - 11:12

Bergame a écrit:-





De ce point de vue, la solution de Hegel est donc de conserver le principe selon lequel toutes les catégories ne sont pas contenues dans la sensation immédiate :
Un morceau de sucre, par exemple, est dur, blanc, doux, etc. Nous disons que ces qualités se trouvent réunies dans un objet, et cette unité n'est pas dans la sensation.
Mais de réfuter l'idée selon laquelle ces pensées ne seraient que subjectives (selon la définition hégélienne, toujours) :
Ce qui fait, au contraire, la vraie objectivité de la pensée, c'est que les pensées ne sont pas simplement nos pensées mais qu'elles constituent aussi l'en soi des choses et du monde objectif en général." (PL, 2nde)


Cette partie me fait penser au tableau de Mendéléïev.
Comme beaucoup de monde ( je suppose), je pensais que sa découverte était un "acquis", un "objet" caché dé-couvert...une vérité première incontournable.
Cette émission :
https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/mendeleiev-un-tableau-enfin-complet
( aller direct à la 20e mn) déconstruit complètement ma certitude. Ce tableau est une construction qui possède qqs réalités mais pas mal d'erreurs et d'autres choix de classification aurait pu être faits ...d'ailleurs il s'est modifié souvent durant et apres la vie de son auteur

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Message par hks Dim 15 Jan 2017 - 11:36

thianoumar a écrit:Mais si cette subjectivité définie ainsi le sens des choses on serait en droit avec Victor Cousin de se poser cette question non moins subjective mais légitime. « Comment sais-je que ma raison est subjective ? ». C’est parce que qu’elle traduit une réflexion donc un retour sur elle-même que la raison croit débuter et s’accomplir sur la certitude de ses principes. Or, toujours selon V. Cousin « il faut reconnaître que la raison humaine n’est pas frappée primitivement de ce caractère subjectif dont Kant s’est fait une arme contre elle, et qu’elle doit débuter par une affirmation pure, absolue, sans aucun soupçon d’erreur ». C’est principalement cette position absolue d’une vérité non subjective que symbolise le cheminement de la conscience telle que nous pouvons le lire dans la phénoménologie hégélienne. Nous nous apercevons ajoute t-il que c’est « plus tard qu’il y’aura ce replis sur elle-même ».
Très très intéressant ça.
Il y a affirmation pure mais non localisée. Pas en moi ou de moi pourrait on dire ..pas subjective. Enorme problème ? Vite dit l' être pense mais sans le savoir . Sans conscience. La conscience  intervient dans le poser de l'autre de la position absolue .
Hegel reconstruit un mouvement supposé de sortie de l'absolu .

Pas de sortie de soi puisque l 'absolu n' a pas encore de soi.
L absolu pourrait demeurer tel  immobile  non conscient. Or ce n'est pas le cas.

Au lieu de demander comme Victor Cousin  Comment sais-je que ma raison est subjective ?
On peut demander comme sais- je que l' absolu  ne demeure pas  immobile? et la réponse est parce que je sais que ma raison est subjective

Le premier moment est cartésien ( je pense ) et non un hypothétique "ça pense" absolu.

La conclusion en est que le Je pense ne peut être antériorisé par un "ça pense" qui ne soit pas quelque part un "Je pense ". C' est à dire une subjectivité ou eccéité .
désolé mais je n'ai pas de temps pour préciser

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Message par Bergame Dim 15 Jan 2017 - 13:24

chapati a écrit:Les philosophes ont adoubé les objets de la représentation en les prétendant universels : c'est par extension vers une promesse d'universalité qu'il ont posé une représentation censée correspondre à la réalité des choses.
Sauf revenir deux mille ans en arrière, en un temps où il s'agissait de déchiffrer le grand livre ou Dieu aurait écrit la vérité, ces concepts qui peuplent la représentation, ils ont bien été créés par l'homme, non ?
Je fais une hypothèse : Tu penses la pensée dans le cadre de la Cité, subatmosphérique disons. Adopte juste pour voir le point de vue de Kant : Kant, au départ, c'est un physicien, un astronome. L'un de ceux qui ont introduit les travaux de Newton dans le monde germanique.
Donc, tourne tes yeux vers l'immensité infinie de l'univers (c'est beau !) : Les objets qui le peuplent et que nous découvrons peu à peu, ont-ils été créés par l'homme ?

Vieille, très vieille question : D'un côté, il y a l'homme et son esprit. De l'autre, il y a des choses. Comment se fait-il que l'esprit de l'homme puisse connaître ces choses, jusqu'à en développer un savoir lui permettant de faire des prévisions sur leur comportement. Des prévisions exactes ! Qui s'avèrent empiriquement justes ! (1)
Et mieux : Cette connaissance, petit à petit, dévoile l'inconnu. Ce qui était ignoré hier, petit à petit, se dévoile à l'"œil". Tu connais l'ouvrage de Koyré, "Du monde clos à l'univers infini" ? Petit à petit, au cours de l'histoire, l'horizon s'ouvre, la connaissance "progresse". Mais progresse sur... quoi ?
Derrière ce "quoi" se cache la chose-en-soi.

La meilleure métaphore, à mon sens, c'est celle de la droite. Conçois donc une droite, l'objet mathématique. Elle est infinie, n'est-ce pas ? Sur cette droite, délimite un segment. Ce segment, c'est la connaissance humaine. D'abord, c'est un petit segment. Et puis, agrandis-le : Les deux extrémités du segment s'espacent l'une de l'autre, la connaissance s'accroît. Agrandis encore : Le segment est maintenant très grand, la connaissance a encore progressé. Et ainsi de suite.
Et pourtant, au-delà de chacune des deux extrémités, perpétuellement : l'infini. C'est la chose-en-soi.

La chose-en-soi, pour Kant, n'est pas quelque chose qui est posé. Au sens, en tout cas, où ce n'est pas le dieu de la métaphysique, le principe de toutes choses. Au contraire, c'est un résidu. C'est ce qui reste, ce qui résiste au processus de la connaissance. Ce qui est posé, c'est effectivement quelque chose comme un "je" pensant. Et encore : Kant prétend même déduire les catégories de l'entendement. Mais enfin, il y a des catégories, quoi, des formes a priori de l'entendement. C'est en cela que la doctrine de Kant est une "révolution copernicienne".


(1) C'est quand même là que l'hypothèse de Dieu était bien pratique, il faut le reconnaître : Puisque Dieu était créateur de toutes choses, des hommes comme des choses, on pouvait supposer une affinité quelconque entre toutes ces créations.

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Message par maraud Dim 15 Jan 2017 - 14:08

Voilà ce que j'aime par dessus tout dans la métaphysique: on peut décliner les choses jusqu'à l'infini, et tirer partie de tout.

Bergame a écrit:La meilleure métaphore, à mon sens, c'est celle de la droite. Conçois donc une droite, l'objet mathématique. Elle est infinie, n'est-ce pas ? Sur cette droite, délimite un segment. Ce segment, c'est la connaissance humaine. D'abord, c'est un petit segment. Et puis, agrandis-le : Les deux extrémités du segment s'espacent l'une de l'autre, la connaissance s'accroît. Agrandis encore : Le segment est maintenant très grand, la connaissance a encore progressé. Et ainsi de suite.
Et pourtant, au-delà de chacune des deux extrémités, perpétuellement : l'infini. C'est la chose-en-soi.

Par exemple: je ne conçois pas ta droite comme un objet mathématique, mais comme un support symbolique. Cette droite ne peut être infinie, mais juste indéfinie ( les équations qui mènent au mur de Planck ne disent pas que l'on touche à l'infini, mais à l'indéfini, c'est-à-dire qu'au delà, on se sait pas./

De quoi, ta droite est-elle composée ? Pour moi, elle n'est pas composée d'un alignement infini de points, mais d'un alignement indéfini d'espaces entre les points. On admet que ce sont les objets qui créent l'espace, donc il n'y a pas d'espace sans objet or il faut que quelque chose d'autre s'ajoute aux points pour qu'il y ait espace puisque le point, même en nombre infini, ne peut par définition prétendre avoir quelque étendue que ce soit ( ce qui se recoupe avec l'idée de quanta qui nous apprend que rien dans l'univers ne peut produire de phénomène s'il n'a pas la valeur d'un quanta ( la matière étant, à ce niveau d'organisation, une onde: pour qu'une onde s'exprime en tant qu'onde, il lui faut un espace minimum))

L'objet ne peut émerger du néant, c'est pourquoi on le tire ( métaphysiquement) de l'infini ( qui n'est autre qu'un néant, mais logique celui-là), cela se comprend difficilement, mais il est plus logique de tirer quelque chose de fini de quelque chose d'infini que de le tirer du néant, ou pire encore de tirer quelque chose d'infini de quelque chose de fini ( là je vise Kant).

Je pense qu'avec ses catégories ( qui ont beaucoup amusées Nietzsche dans Par delà Bien et Mal ( édit))  Kant a forcé le trait, pour justifier à postériori le désir de réformer la métaphysique à peu de frais.



Il faut que j'y aille, mais vite fait, une question: comment situerais-tu l'homme dans cet espace où tu as inscrit ta droite ?


Dernière édition par maraud le Lun 16 Jan 2017 - 8:03, édité 1 fois
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Message par Bergame Dim 15 Jan 2017 - 14:43

Cette droite, je le redis, est une métaphore. Mais c'est une métaphore de la connaissance. Je veux dire par là deux choses :
- D'abord que la connaissance, selon Kant, est limitée : Le segment de la connaissance est délimité par deux extrémités.
- Ensuite, que lorsque la connaissance "progresse", elle progresse sur... quelque chose. Que lui, on ne connaît pas.
Voila comment on peut se représenter la chose-en-soi : C'est ce qui est -sans doute- mais qu'on ne connaît pas.

Donc infini ou indéfini, aucun problème. Néant, si tu veux. Appelle cela comme tu le veux, donne-lui les noms que tu veux, représente-toi le comme tu veux, peu importe les noms, les termes, les concepts : Précisément, c'est ce qu'on ne connaît pas, ce dont on a aucune connaissance, aucune représentation.
Cela étant, l'histoire nous montre que, au moins certains objets que nous ne connaissons pas aujourd'hui, nous les connaîtrons demain. Donc ils sont, déjà, aujourd'hui. Ce n'est pas parce que nous n'en avons aucune connaissance qu'ils ne sont pas.
Et toutefois, il restera sans doute toujours, indéfiniment, une "portion" des choses qui sont, que nous ne connaîtrons pas.

Et c'est bien ce qui ne convient pas à Hegel. Pour Hegel, en somme, à partir du moment où on nomme la chose, on en a une connaissance. On ne peut pas ne pas en avoir une connaissance. Hegel ne pense pas le néant en tant que néant. Pour lui, la négativité n'est qu'un moment dans le processus de la pensée. Donc viendra un moment où la connaissance englobera tout ce qui est.

Ce qui oppose Kant et Hegel, c'est le problème de la limite. Et c'est la raison pour laquelle cette opposition est, à mon sens, si cruciale. Pour Kant, la connaissance humaine est limitée, et irréductiblement, elle est limitée par les sens : Ce que l'homme appréhende du monde, de l'univers, il l'appréhende d'abord empiriquement, par les sens. Et c'est ensuite sur cette matière brute que viennent s'appliquer, en quelque sorte, les catégories de l'entendement.
Pour Hegel, l'esprit dépasse toujours les sens. Mieux, le mouvement de l'esprit consiste toujours à abolir l'empirie, à l'envisager comme le moment initial aboli par sa négation pour être finalement dépassé (et conservé tout à la fois) dans la négation de la négation -qui est le réel. L'Esprit n'éprouve de limite que comme moment, et il tend, de dépassement en dépassement, à se retrouver seul avec lui-même, intelligence de l'intelligence comme disait Aristote, c'est-à-dire : Dieu.
Je répète cette citation :
Hegel a écrit:La philosophie a notamment pour fondement un besoin de l’esprit qui, en tant qu’esprit doué de sensibilité, d’imagination, de volonté, n’a comme objet que des êtres sensibles, des représentations et des fins diverses, et qui, en opposition avec ces formes de son existence et de ces objets, éprouve le besoin de satisfaire ce qu’il y a de plus intime en lui –c’est-à-dire à sa pensée- et de l’élever à ce degré où il n’a qu’elle pour objet.

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Message par chapati Dim 15 Jan 2017 - 16:55

Bergame a écrit:
chapati a écrit:Les philosophes ont adoubé les objets de la représentation en les prétendant universels : c'est par extension vers une promesse d'universalité qu'il ont posé une représentation censée correspondre à la réalité des choses.
Sauf revenir deux mille ans en arrière, en un temps où il s'agissait de déchiffrer le grand livre ou Dieu aurait écrit la vérité, ces concepts qui peuplent la représentation, ils ont bien été créés par l'homme, non ?
Je fais une hypothèse : Tu penses la pensée dans le cadre de la Cité, subatmosphérique disons. Adopte juste pour voir le point de vue de Kant : Kant, au départ, c'est un physicien, un astronome. L'un de ceux qui ont introduit les travaux de Newton dans le monde germanique.
Donc, tourne tes yeux vers l'immensité infinie de l'univers (c'est beau !) : Les objets qui le peuplent et que nous découvrons peu à peu, ont-ils été créés par l'homme ?

Vieille, très vieille question : D'un côté, il y a l'homme et son esprit. De l'autre, il y a des choses. Comment se fait-il que l'esprit de l'homme puisse connaître ces choses, jusqu'à en développer un savoir lui permettant de faire des prévisions sur leur comportement. Des prévisions exactes ! Qui s'avèrent empiriquement justes ! (1)
Et mieux : Cette connaissance, petit à petit, dévoile l'inconnu. Ce qui était ignoré hier, petit à petit, se dévoile à l'"œil". Tu connais l'ouvrage de Koyré, "Du monde clos à l'univers infini" ? Petit à petit, au cours de l'histoire, l'horizon s'ouvre, la connaissance "progresse". Mais progresse sur... quoi ?
Derrière ce "quoi" se cache la chose-en-soi.

La meilleure métaphore, à mon sens, c'est celle de la droite. Conçois donc une droite, l'objet mathématique. Elle est infinie, n'est-ce pas ? Sur cette droite, délimite un segment. Ce segment, c'est la connaissance humaine. D'abord, c'est un petit segment. Et puis, agrandis-le : Les deux extrémités du segment s'espacent l'une de l'autre, la connaissance s'accroît. Agrandis encore : Le segment est maintenant très grand, la connaissance a encore progressé. Et ainsi de suite.
Et pourtant, au-delà de chacune des deux extrémités, perpétuellement : l'infini. C'est la chose-en-soi.

La chose-en-soi, pour Kant, n'est pas quelque chose qui est posé. Au sens, en tout cas, où ce n'est pas le dieu de la métaphysique, le principe de toutes choses. Au contraire, c'est un résidu. C'est ce qui reste, ce qui résiste au processus de la connaissance. Ce qui est posé, c'est effectivement quelque chose comme un "je" pensant. Et encore : Kant prétend même déduire les catégories de l'entendement. Mais enfin, il y a des catégories, quoi, des formes a priori de l'entendement. C'est en cela que la doctrine de Kant est une "révolution copernicienne".


(1) C'est quand même là que l'hypothèse de Dieu était bien pratique, il faut le reconnaître : Puisque Dieu était créateur de toutes choses, des hommes comme des choses, on pouvait supposer une affinité quelconque entre toutes ces créations.
Bergame tu dévies.
Tu me parles de science et de nature, je te parle de concepts.
(lis-moi bien stp)

Et si ta parabole sur la connaissance est intéressante, les concepts de la représentation ne sont en rien des résidus puisqu'ils sont je le répète encore créés et définis par les hommes comme représentant les choses.
(je parle de l'amour, du sujet, de la liberté... pas des étoiles de chien ou de table, pas de la nature donc, je parle des concepts : de repères mentaux, d'outils philosophiques, ceux via lesquels, grâce auxquels on pense, de l'univers mental tel qu'on se le représente)

Maintenant libre à toi de croire que la philosophie peut telle la science évoluer en termes de vérités etc, mais ce n'est pas ce que je t'ai entendu dire ailleurs...

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Message par Bergame Dim 15 Jan 2017 - 17:09

chapati a écrit:Et si ta parabole sur la connaissance est intéressante, les concepts de la représentation ne sont en rien des résidus puisqu'ils sont je le répète encore créés et définis par les hommes comme représentant les choses.
Mais non, enfin, qui dit cela ? Les concepts ne sont pas des résidus ! C'est la chose-en-soi qui est un résidu. Précisément parce qu'elle n'est pas un concept.

Je crois l'avoir expliqué aussi bien que je le peux.

je parle de l'amour, du sujet, de la liberté... pas des étoiles de chien ou de table, pas de la nature donc, je parle des concepts, de repères mentaux, philosophiques, ceux via lesquels, grâce auxquels on pense : de l'univers mental tel qu'on se le représente[/i])
"Chien" est un concept, chapati, "étoile" aussi. Il y a bien d'un côté le concept "chien" et de l'autre la chose que le concept représente à l'esprit ?

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Message par chapati Dim 15 Jan 2017 - 17:40

Bon tu comprends pas, je sais pas comment expliquer mieux les choses... tant pis.

(oui y'a un concept de chien, merci j'avais compris : si tu ne vois pas de différence de nature entre concept de chien et concept de liberté tant pis)

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Message par hks Dim 15 Jan 2017 - 22:19

bergame a écrit:Et ainsi de suite. A ce stade du process, qu'est-ce qui pourrait permettre de penser qu'un jour, l'esprit humain pourra rendre compte de la totalité du résidu ?
Pour l' esprit humain et même surhumain ça semble sans espoir.

Nonobstant sa puissance limitée de penser  les événements  ou des séries  singulières , voire des lois  générales  de l'univers, c 'est  en tant qu'il est sujet ( esprit individué) qu' il ne peut être à la fois dedans et dehors.
Il ne peut être le savoir absolu.

Pour être le savoir absolu il ne lui faut pas être un sujet distinct de ce qu'il pense.

Le tour de force de Hegel est que sont  IDéE( le Geist) est à la fois ce qu'il pense ET ce qu'il ne pense pas (pas à la fois mais dans le processus)  en gros ne reste que le processus ..parce que en dehors du processus il y a contradiction.( le processus résoud la contradiction il ne fait même que cela )
Le processus dialectique remplit tout le possible ( pas de résidu )
sauf qu'il y a un sérieux manque . Le processus en tant que tel est un inachevé .

Ce n'est pas un résidu autour de nous, c' est un résidu dans l'avenir de nous.( et/ou dans celui du Geist)
Il manque à l' absolu d' en avoir fini.
et c'est pourquoi je la ramène de temps en temps avec mon éternalisme
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Message par chapati Lun 16 Jan 2017 - 4:00

Bon, je re-essaie encore une fois à partir de ton texte :
Bergame a écrit:Donc infini ou indéfini, aucun problème. Néant, si tu veux. Appelle cela comme tu le veux, donne-lui les noms que tu veux, représente-toi le comme tu veux, peu importe les noms, les termes, les concepts : Précisément, c'est ce qu'on ne connaît pas, ce dont on a aucune connaissance, aucune représentation.
On n'a pas du tout aucune connaissance de objets/concepts qu'on nomme "liberté", "sujet" ou "âme", ce sont des concepts que tout un chacun emploie tous les jours et qui font partie d'une représentation commune du monde.
Donc c'est faux de dire comme tu le fais qu'on n'en aurait "aucune représentation". Bien au contraire, la représentation commune du monde fait qu'on passe notre temps à reconnaître les choses à partir de ces représentations, à tenter de comprendre le monde à partir de ces objets mentaux.

Et je dis que finalement on passe notre temps à ne faire que définir et redéfinir ces objets mentaux... alors qu'ils ne sont que des outils destinés à comprendre les choses et non des objets en soi pourvus d'une "essence" mystérieuse, PUISQUE ce sont des concepts créés et définis par l'homme.

Or ce qui est la cause de cet acharnement c'est la façon dont chacun dispose ces objets au sein de sa représentation perso du monde, les interactions qu'on prête à ces concepts entre eux et qui font que l'un ou l'autre prenant une place différente suivant qui les emploie verra sa signification modifiée. (et là je comprends pourquoi tu crois que tout est "point de vue")

Sauf que les concepts étant des outils créés et définis par l'homme, ils n'ont pas de raison d'être dotés d'un "en-soi" ou d'une "essence" mystérieuse voire introuvable. Le mystère me semblant venir de la façon dont ils sont disposés dans la représentation de chacun (je me répète), mystère qui les complique et les sort de leur définition et rôle originel.

Je reproche à cette idée de connaissance de ne faire que chercher à trouver la place idéale de chaque concept de la représentation, afin que leurs interactions résolvent la totalité des problèmes (et je dis que c'est de la théorie). Place idéale c'est-a-dire universelle (et je ne crois pas à cet idéal).
La representation me semble être une structure théorique (intentionnellement suspecte car vectrice de transcendance) qui n'a pas de raison de recouvrir une quelconque totalité d'un réel toujours en marche, en mouvement, qui nécessiterait plutôt des concepts à l'intérieur desquels ce mouvement puisse s'inscrire pour qu'on puisse comprendre les choses jusque dans leur "nouveauté", qu'on puisse garder une chance d'en extraire un peu de sens.



hks a écrit:Le processus dialectique remplit tout le possible ( pas de residu )
Tout le possible... de la représentation !
Pas tout le réel.

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