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Message par Grégor Mer 31 Jan 2024 - 10:45

Nous allons commencer notre exposé sur l’espace par un texte de Kant, issu de la Critique de la Raison pure.

« Exposition métaphysique du concept de l’espace.
(...)
1. L’espace n’est pas un concept empirique, dérivé d’expériences extérieures. En effet, pour que je puisse rapporter certaines sensations à quelque chose d’extérieur à moi (c’est-à-dire à quelque chose placé dans un autre lieu de l’espace que celui où je me trouve), et, de même, pour que je puisse me représenter les choses comme en dehors et à côté les unes des autres, et par conséquent comme n’étant pas seulement différentes, mais placées en des lieux différents, il faut que la représentation de l’espace existe déjà en moi. Cette représentation ne peut donc être tirée par l’expérience des rapports des phénomènes extérieurs ; mais cette expérience extérieure n’est elle-même possible qu’au moyen de cette représentation.
2. L’espace est une représentation nécessaire, a priori, qui sert de fondement à toutes les intuitions extérieures. Il est impossible de se représenter qu’il n’y ait point d’espace, quoiqu’on puisse bien concevoir qu’il ne s’y trouve pas d’objets. Il est donc considéré comme la condition de la possibilité des phénomènes, et non pas comme une détermination qui en dépende, et il n’est autre chose qu’une représentation a priori, servant nécessairement de fondement aux phénomènes extérieurs.
3. L’espace n’est donc pas un concept discursif, ou, comme on dit, un concept universel de rapports de choses en général, mais une intuition pure. En effet, d’abord on ne peut se représenter qu’un seul espace ; et, quand on parle de plusieurs espaces, on n’entend par là que les parties d’un seul et même espace. Ces parties ne sauraient non plus être antérieures à cet espace unique qui comprend tout, comme si elles en étaient les éléments (et qu’elles le constituassent par leur assemblage) ; elles ne peuvent, au contraire, être conçues qu’en lui. Il est essentiellement un ; la diversité que nous y reconnaissons, et par conséquent le concept universel d’espaces en général ne reposent que sur des limitations. Il suit de là qu’une intuition a priori (non empirique) sert de fondement à tous les concepts que nous en formons. C’est ainsi que tous les principes géométriques, comme celui-ci, par exemple, que, dans un triangle, deux côtés pris ensemble sont plus grands que le troisième, ne sortent pas avec leur certitude apodictique des concepts généraux de ligne et de triangle, mais de l’intuition, et d’une intuition a priori.
4. L’espace est représenté comme une grandeur infinie donnée. Il faut regarder tout concept comme une représentation contenue elle-même dans une multitude infinie de représentations diverses possibles (dont elle est le signe commun) ; mais nul concept ne peut, comme tel, être considéré comme contenant une multitude infinie de représentations. Or c’est pourtant ainsi que nous concevons l’espace (car toutes les parties de l’espace coexistent à l’infini). La représentation originaire de l’espace est donc une intuition a priori, et non pas un concept. »

Étrange espace, qui n’est pas un concept empirique, dérivé de l’expérience, mais qui est plutôt condition de possibilité de toute expérience. Où se situe-t-il, cet espace ? Il n’est pas là, devant nous, comme une chose parmi d’autres. Toutes choses paraissent en lui et viennent limiter l’horizon infini de cet espace qui s’ouvre devant nous. Une grandeur infinie donnée.
Mais n’ayons pas peur d’être saugrenu : où se trouve l’espace ?
N’est-il pas devant nous ?
Non, car ce « nous » est une reconstitution de nous-même en tant qu’objet du monde, simplement là, à côté d’un autre. L’espace s’ouvre autrement. Nous y reviendrons. Mais avec Kant, nous voyons déjà qu’une des caractéristique du perçu est qu’il échappe à la représentation conceptuelle classique, du moins en tant qu’il est espace. Nous retrouvons cette caractéristique exceptionnelle de l’espace dans l’erreur de Descartes.
Regardons Être et Temps de Heidegger :

« Chapitre 19 : La détermination du « monde » comme res extensa
Descartes distingue l’« ego cogito » en tant que res cogitans de la « res corporea ».
(…)
À l’intérieur de quelle entente de l’être celui-ci a-t-il déterminé l’être de ces étants ?
L’être d’un étant ne tenant qu’à lui-même répond au nom de substantia.
(...)
Qu’est-ce qui constitue le propre de la res corporea en tant qu’elle ne tient qu’à elle-même ?
(…)
L’étendue, à savoir selon la longueur, la largeur et la profondeur, constitue l’être propre de la substance corporelle que nous nommons « monde ». Qu’est-ce qui donne à l’extensio cette marque distinctive ? Nam omne aliud quod corpori tribui potest, extensionem praesupponit. (car tout ce qu’on peut attribuer d’autre au corps présuppose l’étendue). L’étendue est la consitution d’être de l’étant qui se trouve au centre du débat, c’est elle qui, avant toutes les autres déterminations de cet être, doit déjà « être » pour que celles-là puissent « être » ce qu’elles sont. (…)
Ce qui constitue l’être de la res corporea est donc l’extensio, (…) le capax mutationum, qui se maintient, remanet, au milieu de toutes ces transformations. (…) »

L’espace, en tant qu’étendue, est substance, il ne tient qu’à lui-même. En effet, le morceau de cire peut fondre, il occupera toujours un espace représentable en trois dimensions. Tout ce qu’on peut attribuer à un corps suppose l’étendue et nul corps ne peut être donné sans elle.

"Par substance nous ne pouvons rien entendre d’autre qu’un étant qui est tel qu’il n’a besoin d’aucun autre étant pour être »
Or, nous savons (leçon kantienne) que l’espace (en tant qu’étendue) n’est pas extrait des étants (n’est pas dérivé des phénomènes ni de l’expérience extérieure), il n’a donc pas besoin des étants pour être et n’en est pas dérivé. Au contraire, il les englobe tous en tant que grandeur infinie donnée.
« Chapitre 22 : La spatialité de l’utilisable au sein du Monde
(…)
Il avait été question de l’utilisable sous la main. Cela ne veut pas seulement dire l’étant qui chaque fois se rencontre avant un autre mais cela suggère du même coup l’étant qui est « à proximité ». L’utilisable a dans le commerce quotidien le caractère de proximité. À y regarder mieux, cette proximité de l’util est déjà indiquée dans le terme qui exprime son être, dans l’ « utilisibalité », l’être à main (Zuhandenheit) . L’ « étant à portée de main » (zur hand) a chaque fois une proximité différente qui ne se repère pas par des mesures de distances. Cette proximité se règle sur le maniement possible et à l’usage qu’en fait la discernation qui compte dessus. »

Voici donc le véritable espace. Celui qui est pris dans notre habitation quotidienne du monde. Mais cet espace concret est inaperçu aussi longtemps qu’on le théorise. À vrai dire, cet espace ne se fait pas remarquer quotidiennement, quand chaque chose est à sa place. C’est plutôt quand quelque chose manque, qu’on la cherche partout, qu’on remarque explicitement que chaque chose a une place au sein de notre monde ambiant. Mais quand il devient un objet de représentation dans un espace géométrique, alors l’espace concret est définitivement perdu. L’espace devient alors un constant « être-là-devant ». Chaque chose est simplement située en lui, sans avoir de place particulière correspondant à nos préoccupations.
L’a priori est perdu, celui de la donation d’un monde, et nous basculons inexorablement dans une représentation de celui-ci d’où le problème de la première philosophie ne pourra plus être posé.
On parlera des préoccupations du Dasein sur le mode de la subjectivité et, en effet, quand on abstrait l’espace de sa donation première, le sujet devient aussi un objet du monde, pris dans l’espace global (mais abstrait) à côté des autres choses du monde. On rattache alors comme on peut à ce sujet, ce vers quoi il se tourne. Ce n’est plus en soi que les choses ont des places particulières dans le monde mais seulement du point de vue subjectif d’un sujet qui se les représente telles. Nous avons basculé dans l’en soi, le neutre, l’objet de connaissance. D’un côté, un monde objectif, de l’autre des intérêts subjectifs. Et encore, une explication objective des phénomènes subjectifs peut être tentée et ainsi la boucle de la représentation est bouclée. Le sujet est attiré par tel objet parce que tel mécanisme à l’intérieur de son cerveau le pousse à désirer cet objet. On arrive donc, in fine, à réduire le monde et l’espace à une représentation de deux objets situés dans l’étendue. Pourtant nul sujet ne peut se représenter lui-même : mythe de Narcisse.

Un vieux texte que j’exhume :

« Est-il possible de se saisir soi-même ?

        L’épisode de Narcisse est riche de sens. L’incapacité de l’homme à se prendre pour objet est rendue manifeste par son exagération même. Une sorte de raisonnement par l’absurde qui, à travers ce mince fil d’eau qui nous sépare de nous-mêmes, indique la situation tragique de l’homme, en son incapacité à se saisir lui-même comme objet.  Si cette illusion persistante de l’homme à se saisir totalement lui-même est bien le signe avant-coureur de sa noyade à venir. Encore une fois, l’impossibilité de se saisir soi-même, n’est pas un terme pour l’homme, car il peut s’imaginer et se débattre indéfiniment dans ses représentations et ce mouvement décrit parfaitement la noyade de l’homme dans son cercle de représentations totalisantes et impensées. Le désir narcissique est impossible, nous ne pouvons pas saisir le soi-même comme un objet, car il est d’une autre nature, et pourtant cette impossibilité n’est jamais un terme pour l’homme qui continue d’ouvrir ses bras pour s’étreindre lui-même et se noyer dans l’infini. »

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