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Apprendre à mourir ?

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Message par Geo Rum Phil Ven 22 Nov 2013 - 11:37

victor.digiorgi a écrit: Non, non et non ! Madame ! Moi et ma sale mentalité de petit flic BELGE ! ...[/i] Agatha Christie

Ce n'est pas la première fois que Victor fait son commerce avec les marchands des tapis ...

Non, non et non, Geo ! Ce n'est pas la première fois que Victor fait son commerce avec les marchands DE tapis ...
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Tan pis pour le tapis d’érudit du grand flic de fautes d’orthographe ! Apprendre à mourir ?  - Page 2 3291034321 

Pourquoi une faute d’orthographe n’a pas la même grandeur qu’une erreur de jugement bien orthographiée ? Apprendre à mourir ?  - Page 2 3987630492 

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Message par baptiste Ven 22 Nov 2013 - 15:01

Courtial a écrit:Je ne retrouve pas dans le texte de la Genèse la mention du fait que la mortalité est la punition du péché. Je croyais bien l'y avoir lue, pourtant. Adam devra mourir parce qu'il a péché : mais où trouve-t-on cela ?
L'idée que cette mortalité sera rachetée elle-même par la mort (et la mort d'un seul, la mort de Dieu) est un exercice de haute voltige sophistique ! Chapeau bas ! Belle illustration de l'adage credo quia absurdum (j'y crois parce que c'est absurde) !

2 17 mais tu ne mangeras pas de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras.

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Message par poussbois Ven 22 Nov 2013 - 16:07

Qui vous dit qu'Adam était immortel par essence ?

Dire "si tu manges ça, tu vas mourir" veut bien dire justement qu'Adam n'est pas immortel. D'ailleurs la liste des malédictions divines ne comportent finalement pas la mort, mais l'exil de l'Eden et la perte de l'arbre de vie.

Certains exégète suggèrent ainsi qu'Adam était bien mortel par essence, et immortel en Eden par grâce.  Par conséquent, il ne mourrait pas s'il ne mangeait pas du fruit de l'arbre de la connaissance. On peut d'ailleurs trouver ainsi la justification de l'arbre de vie (2.9) : maintenir le couple en vie.

Perdant la grâce de Dieu, Adam recouvre sa faculté de mourir.

On peut dire ainsi qu'Adam en Eden était un être mutilé, privé de sa mort et de sa descendance dans cet Eden stérile.

D'autres, comme Paul de Tharse visiblement, considère qu'Adam reçoit son immortalité par le souffle divin créateur (2.3), qu'il participe par ce fait de l'immortalité divine. Mais bon, une immortalité qui ne tient pas mieux qu'un pucelage, ça parait un peu léger comme argument.

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Message par victor.digiorgi Ven 22 Nov 2013 - 18:09

Geo Rum Phil a écrit:Pourquoi une faute d’orthographe n’a pas la même grandeur qu’une erreur de jugement bien orthographiée ? Apprendre à mourir ?  - Page 2 3987630492 
Pour la même raison qu'une erreur de jugement bien orthographiée n'a pas la même grandeur qu'une erreur de jugement mal orthographiée.

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Message par victor.digiorgi Ven 22 Nov 2013 - 18:15

poussbois a écrit:Qui vous dit qu'Adam était immortel par essence ?

Dire "si tu manges ça, tu vas mourir" veut bien dire justement qu'Adam n'est pas immortel. D'ailleurs la liste des malédictions divines ne comportent finalement pas la mort, mais l'exil de l'Eden et la perte de l'arbre de vie.

Certains exégète suggèrent ainsi qu'Adam était bien mortel par essence, et immortel en Eden par grâce.  Par conséquent, il ne mourrait pas s'il ne mangeait pas du fruit de l'arbre de la connaissance. On peut d'ailleurs trouver ainsi la justification de l'arbre de vie (2.9) : maintenir le couple en vie.

Perdant la grâce de Dieu, Adam recouvre sa faculté de mourir.

On peut dire ainsi qu'Adam en Eden était un être mutilé, privé de sa mort et de sa descendance dans cet Eden stérile.

D'autres, comme Paul de Tharse visiblement, considère qu'Adam reçoit son immortalité par le souffle divin créateur (2.3), qu'il participe par ce fait de l'immortalité divine. Mais bon, une immortalité qui ne tient pas mieux qu'un pucelage, ça parait un peu léger comme argument.

Dieu !

Oui, Ève ...

Je voudrais te poser une question.

Vas-y, je t'écoute ...

Adam dit toujours que tu l'as créé en premier et que tu ne m'as créée, moi, qu'après lui. Or, tu sais que c'est faux, et que c'est moi que tu as créée avant lui.

Oui, je le sais. Et alors ?

Et alors ce n'est pas bien, de le laisser mentir comme ça, effrontément.

Bon, je vois. Eh bien alors laisse lui croire qu'il a été créé avant toi et ça restera entre nous notre petit secret de femme.

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Message par euthyphron Ven 22 Nov 2013 - 18:24

Je serais intéressé de savoir comment les uns ou les autres comprenez "apprendre à mourir". Car enfin, mourir c'est facile, il n'y a rien à faire ça vient tout seul.
Du coup l'on considère qu'apprendre à mourir c'est se libérer de la peur de la mort, s'entraîner à faire bonne figure, ne pas emmerder ceux qui restent avec ses jérémiades, etc. Apprendre à être digne devant le malheur, et par extension la mort, considérée comme un grand malheur.
Ceci ne me convient pas. L'enseignement socratique est loin de considérer la mort comme un grand mal, et l'épicurisme non plus. Apprendre à mourir voudrait-il alors dire apprendre à regarder la mort comme une vaste blague? Peut-être, mais cela ne peut que rejailir sur la vie, dont la mort serait par hypothèse un épiphénomène rigolo.

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Message par victor.digiorgi Ven 22 Nov 2013 - 19:02

euthyphron a écrit:Je serais intéressé de savoir comment les uns ou les autres comprenez "apprendre à mourir". Car enfin, mourir c'est facile, il n'y a rien à faire ça vient tout seul.
Du coup l'on considère qu'apprendre à mourir c'est se libérer de la peur de la mort, s'entraîner à faire bonne figure, ne pas emmerder ceux qui restent avec ses jérémiades, etc. Apprendre à être digne devant le malheur, et par extension la mort, considérée comme un grand malheur.
Ceci ne me convient pas. L'enseignement socratique est loin de considérer la mort comme un grand mal, et l'épicurisme non plus. Apprendre à mourir voudrait-il alors dire apprendre à regarder la mort comme une vaste blague? Peut-être, mais cela ne peut que rejailir sur la vie, dont la mort serait par hypothèse un épiphénomène rigolo.
Je suppose pour ma part que ceux qui se posent la question d'apprendre à mourir veulent parler de Démocrite, qui, fatigué des misères de son temps et de toutes les souffrances du monde, parla me semble-t-il de planter un arbre, de le regarder pousser, de débiter ses planches, de les voir sécher et de s'en faire un cercueil dans lequel il irait prendre sa place dans la terre, c'est-à-dire dans le cosmos.

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Message par baptiste Sam 23 Nov 2013 - 0:02

Paul Diel prétend que la lecture littérale de la chute est une erreur. Que signifie l’arbre de la connaissance ? Pourquoi ses fruits sont défendus ? Comment justifier que la faute d’un seul retombe sur l’humanité de générations en générations ? Comment une faute minime justifie-t-elle une punition aussi grave ? Pour lui il s’agit d’un récit mythique, comme il en existait beaucoup au Moyen-Orient, tout dans ce récit est symbole, Dieu créateur et juge uni dans un seul symbole celui du mystère de la vie qui inclus celui de l’existence, la responsabilité de l’homme à l’égard de ses propres intentions, la responsabilité du choix entre le juste et le faux...

Pour le judaïsme et le christianisme, l'histoire est le lieu par excellence de la révélation divine : Dieu s'y révèle à travers son acte créateur initial et ses interventions pour sauver l'humanité par médiateurs interposés (Noé et le Déluge, Abraham, Moïse et l'Exode, les prophètes, Jésus). Cette valorisation de l'histoire correspond bien entendu à une interprétation théologique de celle-ci, considérée comme une " histoire sainte ". La double opposition mise en place par la philosophie grecque entre mythe et raison d'une part, entre récits fabuleux et vérité historique d'autre part, permettait de valoriser la Bible en soulignant son caractère essentiellement historique : la Bible dit vrai car elle parle de faits historiques, au contraire des mythes. Ce n’est finalement qu’une récupération de l’histoire parmi d’autres.

La mort n’est pas l’essentiel dans la chute.

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Message par euthyphron Sam 23 Nov 2013 - 11:26

victor.digiorgi a écrit:
Je suppose pour ma part que ceux qui se posent la question d'apprendre à mourir veulent parler de Démocrite, qui, fatigué des misères de son temps et de toutes les souffrances du monde, parla me semble-t-il de planter un arbre, de le regarder pousser, de débiter ses planches, de les voir sécher et de s'en faire un cercueil dans lequel il irait prendre sa place dans la terre, c'est-à-dire dans le cosmos.
Cette anecdote me paraît intéressante en effet. "Apprendre à mourir" signifierait alors apprendre à vivre sa vie dans son lien dialectique avec la mort. "Qui sait si mourir n'est pas vivre ni si vivre n'est pas mourir?" Je cite de mémoire un passage du Gorgias où Socrate convoque un subtil amateur de mythes, qui serait sicilien, et manfestement pythagoricien, pour combattre la conception de la vie défendue par Calliclès.
courtial a écrit:Je ne retrouve pas dans le texte de la Genèse la mention du fait que la mortalité est la punition du péché. Je croyais bien l'y avoir lue, pourtant. Adam devra mourir parce qu'il a péché : mais où trouve-t-on cela ?
Je n'ai pas le texte sous les yeux, mais il me semble qu'il est question de la mort dans le dialogue entre Eve et le serpent qui précède le péché. Dieu aurait menacé de mort, le serpent dit à Eve qu'elle ne mourra pas.
Ceci me paraît manifester, si besoin est, le caractère mythique du récit de la Genèse. Il n'y a guère que quelques fondamentalistes absolus pour en défendre la vérité littérale, et encore je ne sais s'il en existe vraiment, mais je suppose que oui. Le paradoxe est que la tradition chrétienne ignore la notion de mythe, sauf appliquée à ce qui lui est étranger, alors qu'elle repose sur des récits qui pour certains ne sont pas à prendre au sens littéral, pour d'autres si. Il y a là à mon sens une clef pour son interprétation.

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Message par Courtial Sam 23 Nov 2013 - 20:35

euthyphron a écrit:Je serais intéressé de savoir comment les uns ou les autres comprenez "apprendre à mourir". Car enfin, mourir c'est facile, il n'y a rien à faire ça vient tout seul.
Du coup l'on considère qu'apprendre à mourir c'est se libérer de la peur de la mort, s'entraîner à faire bonne figure, ne pas emmerder ceux qui restent avec ses jérémiades, etc. Apprendre à être digne devant le malheur, et par extension la mort, considérée comme un grand malheur.
Ceci ne me convient pas. L'enseignement socratique est loin de considérer la mort comme un grand mal, et l'épicurisme non plus. Apprendre à mourir voudrait-il alors dire apprendre à regarder la mort comme une vaste blague? Peut-être, mais cela ne peut que rejailir sur la vie, dont la mort serait par hypothèse un épiphénomène rigolo.
Eh bien, je suppose que si l'on rétablit l'ensemble de la phrase, qui porte que "philosopher, c'est apprendre à mourir", il y a une ligne significative : l'objet de la philosophie étant la méditation de la vérité éternelle, inchangeable, de l'Etre immobile, on peut comprendre la vie du sage comme une méditation de la mort (qu'est-ce que cela veut dire ne pas bouger, ne pas changer, etc. sinon être mort ?), en sorte qu'on corrigera Sénèque : c'est cum doctrinam, vita est quasi mortis imago qu'il aurait dû dire.
On peut le décliner en néo-platonicien si tu préfères (le client est roi) : penser, c'est détacher l'âme du corps, se séparer du sensible. C'est donc une préfiguration de la mort, où l'âme sera, en effet, détachée du corps.
Montaigne s'appuie sur ce genre de références dans son Essai, puisqu'il y en a un entièrement consacré à cette citation (je vous sortirai le lieu exact plus tard, pour l'instant, je me prépare mentalement pour le match : quand on rencontre l'Afrique du sud, on ne peut pas disperser son énergie avec des futilités).

Ca ne m'intéresse pas beaucoup, c'est pourquoi j'avais mentionné que je préferais laisser de côté cet aspect platonico-augustino-chrétien pour interroger plutôt la place d'une réflexion sur la mort, sa nécessité (ou au contraire sa futilité, ou son caractère illusoire, etc.).
"Apprendre à mourir", dans un sens moins littéral, c'est se préparer à l'idée de la mort.
Y a-t-il des préparatifs et lesquels ? Et qui servent à quoi, puisque, à l'évidence, il n'y a pas de risque d'échec.
J'ai évoqué Marc-Aurèle, en particulier, parce qu'il insiste en permanence sur la nécessité de se rappeler tous les jours, toutes les minutes que nous allons mourir. Il a des phrases très frappantes là-dessus : tu es déjà presque mort, la différence qu'il y a entre toi et un mort est tellement minime que cela ne vaut pas la peine d'en parler, etc. Pense-toi d'abord comme un "futur cadavre", comme dirait Cohen (ceci pour faire plaisir à Poussbois... Poupousse, si tu nous entends...Chez Cohen, c'est surtout accentué vers la nécessité de la modestie : arrête de péter plus haut que ton pauvre cul, arrête de te prendre pour quelque chose, t'es rien, t'es déjà mort).
Dans son esprit (et celui du stoïcisme en général), cela a surtout une signification morale, et d'une exhortation à l'exigence éthique : comme "en toutes choses il faut considérer la fin", une vie se juge surtout à sa fin, ce qui revient à dire que nous devrons dorénavant considérer chacun de nos actes comme s'il était le dernier : je ne voudrais tout de même pas être saisi d'un coup par la mort alors que je suis en train de faire une saloperie, et que l'on dise, à ceux qui interrogeront : alors, il faisait quoi, Courtial, au moment de sa mort ? Eh bien, il était en train de molester un enfant, ou de raconter un gros bobard, ou de vendre de la drogue.
Il m'est donc fermement déconseillé de faire des conneries en me disant que c'est un moment, que c'est pas grave, que je rattraperai le coup après, parce qu'il n'y aura peut-être pas d'après.
A Saint-Germain-des-prés comme partout ailleurs.

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Message par victor.digiorgi Sam 23 Nov 2013 - 22:26

Courtial a écrit:l'objet de la philosophie étant la méditation de la vérité éternelle, inchangeable, de l'Etre immobile
HEIN ?? Ah ben ça alors ! C'est ÇA, la philosophie ? Tu m'inquiètes ...

Courtial a écrit:(pour l'instant, je me prépare mentalement pour le match : quand on rencontre l'Afrique du sud, on ne peut pas disperser son énergie avec des futilités).
Ouf ! J'ai eu peur pour toi, mon brave ami ! ...

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Message par baptiste Sam 23 Nov 2013 - 23:36

Courtial a écrit:
J'ai évoqué Marc-Aurèle, en particulier, parce qu'il insiste en permanence sur la nécessité de se rappeler tous les jours, toutes les minutes que nous allons mourir. Il a des phrases très frappantes là-dessus : tu es déjà presque mort, la différence qu'il y a entre toi et un mort est tellement minime que cela ne vaut pas la peine d'en parler, etc. .

Il y a deux temps différent dans la manière de considérer la mort, celui vague où elle n’est que possibilité et celui où elle s’annonce comme inéluctable à brève échéance, je n’ai pas souvenir de personnes ayant abordé les deux temps de la même manière. Marc-Aurèle avait de quoi l’envisager de la seconde manière. L’assassina de largement la moitié de ses prédécesseurs par leurs gardes avait de quoi entretenir chez lui la conscience de la précarité de l’existence humaine.
Mais question inverse, avez-vous jamais imaginé l’horreur que serait une vie sans fin ?



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Message par poussbois Sam 23 Nov 2013 - 23:49

Courtial a écrit:
Pense-toi d'abord comme un "futur cadavre", comme dirait Cohen (ceci pour faire plaisir à Poussbois... Poupousse, si tu nous entends...Chez Cohen, c'est surtout accentué vers la nécessité de la modestie : arrête de péter plus haut que ton pauvre cul, arrête de te prendre pour quelque chose, t'es rien, t'es déjà mort).
Bien sûr que je vous entends, je participe peu, mais je lis beaucoup, pas tout ni tous, mais je lis. Pour Cohen, je te fais confiance, pour l'humilité. "Pense-toi comme un futur cadavre", sortie de son contexte, ça me semble toutefois être plus que de la simple humilité, et se rapprocher vers une forme de vision mortifère. C'est effectivement une position bizarrement assez catho et proche de l'ascèse stoïcienne qui accorde tant de place à la mort qu''on se demande un peu si la vie n'est finalement pas réduite à son pendant obligatoire mais encombrant.

Que je sois un futur cadavre, j'en suis persuadé, encore faudra-t-il toutefois valider le fait qu'on puisse envisager notre propre mort... mais je ne pense pas être réductible à cet état qui sera certainement définitif pour mon entourage, mais relativement anecdotique vis-à-vis de l'ensemble de ma vie. Donc, je préfère des philosophes comme Thoreau qui ne dit rien de grandiloquent sur la vie et la mort, mais qui cherche, en tant que vivant, à se rapprocher de la vie :

Thoreau dans Walden a écrit:I went to the woods because I wished to live deliberately, to front only the essential facts of life, and see if I could not learn what it had to teach, and not, when I came to die, discover that I had not lived. I did not wish to live what was not life, living is so dear; nor did I wish to practise resignation, unless it was quite necessary. I wanted to live deep and suck out all the marrow of life, to live so sturdily and Spartan-like as to put to rout all that was not life, to cut a broad swath and shave close, to drive life into a corner, and reduce it to its lowest terms, and, if it proved to be mean, why then to get the whole and genuine meanness of it, and publish its meanness to the world; or if it were sublime, to know it by experience, and be able to give a true account of it in my next excursion.

Je suis parti dans les bois car je souhaitais vivre avec mesure, me confronter uniquement à l'essentiel de la vie, et vérifier si je pouvais apprendre ce que cela avait à m'enseigner, et ne pas découvrir, à l'heure de ma mort, que je n'avais pas vécu. Je ne désirais pas vivre ce qui n'était pas la vie, elle est si précieuse ; je ne voulais pas moins me résigner, sauf si cela s'avérait nécessaire. Je souhaitais vivre intensément et sucer toute la moelle de la vie, mener une vie spartiate et vigoureuse et mettre en déroute tout ce qui n'était pas la vie, à grand coup de rasoir, couper ces pans inutiles, cerner cette vie dans un coin et la réduire à sa plus simple expression, et si cela s'avérait mauvais, apprendre de ce mal dans sa totalité et sa vérité et le diffuser au monde entier ; ou si cela s'avérait sublime, en avoir fait l'expérience sensible et être capable d'en rendre compte de façon authentique lors des voyages suivants.
Voila une philosophie de la vie qui n'oublie pas la mort, sans la mettre en avant. Tout cela n'est que de la mesure. Un empereur romain comme le dit Baptiste, ne peut pas mettre le curseur au même niveau qu'un transcendantaliste américain.  

L'horreur d'une vie sans fin, oui. C'est ce dont je parlais un peu rapidement au début de ce fil, il me semble. La mort ne peut pas être futile ni dérisoire. Elle l'est dans le cadre d'une pensée tronquée, égocentrée. Mais elle ne peut pas l'être si on considère la stérilité et l'horreur potentielle effectivement d'une vie sans fin. Le petit livre de Barjavel sur une immortalité contagieuse est de fait cauchemardesque.

Ce que j'aime dans Thoreau, c'est que la connaissance (pas la conscience, il n'en parle pas) de sa propre fin, lui donne le prix de la vie et l'énergie pour en découvrir les ressorts. En somme, il construit sa vie pour elle-même. Il n'apporte pas d'intérêt particulier à la mort qui est dans ses livres quelque chose d'assez naturel et très mécanique : les oiseaux meurent de froid l'hiver car la source de nourriture et d'énergie qu'ils cumulent dans la journée ne leur permet pas de lutter efficacement contre le froid. Par contre, il écrit des textes magnifiques sur leurs chants durant la belle saison. Il a une vue pour cela très "campagnarde" de la mort. Elle est là, présente, si on fait trop d'erreurs, on meurt, c'est ce qui fait le prix de la vie et nous permet de nous en émerveiller.

On n'a pas parlé de sublime dans cette réflexion sur la vie et la mort. C'est peut-être via ce sentiment de terrassement devant quelque chose qui nous dépasse que cette conscience de la vie et de la mort peut apparaître et définir notre relation à notre projet intime.

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Message par victor.digiorgi Dim 24 Nov 2013 - 0:23

baptiste a écrit:avez-vous jamais imaginé l’horreur que serait une vie sans fin ?
Simone de Beauvoir fait de cette horreur le centre de son petit roman de jeunesse intitulé « Tous les hommes sont mortels ».

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Message par victor.digiorgi Dim 24 Nov 2013 - 0:31

poussbois a écrit: Le petit livre de Barjavel sur une immortalité contagieuse est de fait cauchemardesque.
Oui, c'est vrai.

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Cela dit, oui aussi, le point de vue de Thoreau sur la question de la mort est saine.

Y faut vraiment n'avoir rien à foutre de sa tête ou de ses dix doigts pour être travaillé par la mort ...

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Message par quid Dim 24 Nov 2013 - 0:39

Concernant le texte de Montaigne. Il lève effectivement une distinction qui n'est pas soulignée dans le texte de Heidegger ; Le fait qu'il y a un chemin naturel vers la mort.

Pour Heidegger, au travers de l'expérience de mort des autres, on projette l'expérience de sa propre mort, de sa propre disparition ; donc l'ultime bout du chemin, qui ne peut-être dépassé.

Mais le texte de Montaigne, nous signale le côté naturel de cette inéluctabilité. Bien qu'a priori saisissant, la considération de la mort, la fin de toute chose pour nous, n'en reste pas moins partie intégrante de notre être-au-monde, de notre rapport au monde, de notre appréhension du monde. Et finalement, c'est bien l'éternité qui nous est un concept étranger.

Il le met en exergue par les signes de notre décrépitude, interpellant sur les implications d'une continuation à vivre dans cette déchéance, qui peut être souffrance morale et souvent physique. Il reçoit en quelque sorte comme une grâce cette délivrance obligée, de notre obstination à vivre malgré l'affliction. L'affliction de la vieillesse est alors quelque peu ambiguë dans son texte : « Est-ce une aide ou est-ce la cause ? ». C'est en fait plus une justification continue et générale, la vie n'est que relative à la mort ; on est toujours plus ou moins vivant ; La résolution finale étant qu'on ne peut vivre si l'on est mort, ou qu'il est normal de mourir sous le joug de l'altération continue de ce qui fait que l'on soit vivant et de notre désir de vivre.
Donc, si le miroir de la mort des autres nous met face à notre propre absence, le miroir de notre « déchéance » nous alerte sur le rapprochement de l'inéluctable, l'actualise, lui donne une réalité et une proximité.

Une autre considération. Comment justifier la disparition des autres sinon par sa propre disparition ? Ou alors, il faudrait être capable de justifier sa propre disparition, afin de justifier toutes les disparitions. Je pense que Montaigne ne justifie pas la disparition, il en prend seulement acte et trouve que la vie porte en elle les moyens de sa mort.

Euthyphron a écrit:Je serais intéressé de savoir comment les uns ou les autres comprenez "apprendre à mourir". Car enfin, mourir c'est facile, il n'y a rien à faire ça vient tout seul.
Courtial a écrit:"Apprendre à mourir", dans un sens moins littéral, c'est se préparer à l'idée de la mort.
Y a-t-il des préparatifs et lesquels ? Et qui servent à quoi, puisque, à l'évidence, il n'y a pas de risque d'échec.
La dessus je ne sais pas, mais j'ai l'impression que si tout le monde y passera, il y a peut-être possibilité de rater sa mort. Ou plus exactement de ne pas la réussir. Et cette réussite se ferait de son vivant et serait personnelle, un genre d'approche sereine. Je n'ai rien de précis en tête.
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Message par victor.digiorgi Dim 24 Nov 2013 - 1:05

quid a écrit:Pour Heidegger, au travers de l'expérience de mort des autres, on projette l'expérience de sa propre mort, de sa propre disparition ; donc l'ultime bout du chemin, qui ne peut-être dépassé.
C'est peut-être une chose parfaitement ressentie par Heidegger, mais cette chose, cette expérience projeté de ma propre mort, je ne la vois nulle part en général et pas au travers de l'expérience de la mort des autres en particulier. Et pourtant des morts, j'en ai vus ...

Par contre, je peux parfaitement imaginer les tourments possibles des derniers instants de ma vie, mais sans plus ni moins d'acuité que si je ne devais pas en mourir, ce qui me permet de bien planifier mon suicide pour éviter soigneusement les tourments possibles de mes derniers instants, mais sans plus ni moins de soucis que s'il s'agissait d'une anesthésie précédent une simple opération de l'appendicite.

quid a écrit:Mais le texte de Montaigne, nous signale le côté naturel de cette inéluctabilité. Bien qu'a priori saisissant, la considération de la mort, la fin de toute chose pour nous, n'en reste pas moins partie intégrante de notre être-au-monde, de notre rapport au monde, de notre appréhension du monde. Et finalement, c'est bien l'éternité qui nous est un concept étranger.
Curieusement, il n'y a pas plus familier pour moi que le plus parfait sentiment d'éternité totale !

Il ne s'agit évidemment pas de nier le fait que je serais mort un jour pour les autres, cependant, sans métaphysique, sans artifice verbal, sans pensée justificative, sans argumentation, sans explications, je puis assurer chacun ici que je suis parfaitement éternel. Je me demande d'ailleurs comment il se fait qu'il y ait si peu de monde se voyant indubitablement éternel comme moi. J'avancerais peut-être que cela est peut-être dû à un état matériel, biologique, physiologique, neurologique provoqué par une sorte de mutation génétique ayant peut-être un rapport avec une certaine idée de la démence en tant qu'anormalité particulière émergeant d'un prolongement de l'évolution naturelle. Le cerveau est le dernier avatar de l'évolution. Il y a en conséquence de bonnes raisons de penser qu'il se cherche encore, qu'il est encore loin d'avoir atteint sa maturité ...

(surtout le mien ... Apprendre à mourir ?  - Page 2 852124971  ... ).

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Message par quid Dim 24 Nov 2013 - 1:33

à victor.

Si j'envisage également les possibilités de l'existence du côté de l'éternité, pour ma part j'ai besoin d'en être convaincu, ne serait-ce que par recoupement d'expériences et de projections mentales.
En fait le côté possible sous forme de différentes hypothèses ou points de vue, pourquoi pas, le côté indubitable ne peut provenir que d'une expérience intime de cristallisation. Et même si cette expérience revêt l'habit de la certitude, elle ne dit pas si c'est pour son propre bien ou pour son propre mal. Mais si en plus cette expérience se pare de la plus grande joie, que demander de plus sinon de ne surtout pas sortir de cette certitude ; personne ne nous le souhaiterait.
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Message par Courtial Dim 24 Nov 2013 - 3:39

victor.digiorgi a écrit:
Courtial a écrit:l'objet de la philosophie étant la méditation de la vérité éternelle, inchangeable, de l'Etre immobile
HEIN ?? Ah ben ça alors ! C'est ÇA, la philosophie ? Tu m'inquiètes ...

Courtial a écrit:(pour l'instant, je me prépare mentalement pour le match : quand on rencontre l'Afrique du sud, on ne peut pas disperser son énergie avec des futilités).
Ouf ! J'ai eu peur pour toi, mon brave ami ! ...

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Oui, bon, on s'est fait taper, d'accord. Mais respecte notre deuil, sois un peu charitable.

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Message par Courtial Dim 24 Nov 2013 - 4:08

baptiste a écrit:Il y a deux temps différent dans la manière de considérer la mort, celui vague où elle n’est que possibilité et celui où elle s’annonce comme inéluctable à brève échéance, je n’ai pas souvenir de personnes ayant abordé les deux temps de la même manière.
Je profite de cette remarque pour en venir à Jankélévitch, sur lequel j'avais promis quelques indications.
La référence est : V. Jankélévitch, La mort, Flammarion 1966 (moi j'ai l'édition de 1977, je suppose que c'est le même texte, y a peut-être des ajouts ou retranchements, je l'ignore).
C'est un pavé (mais qui se lit bien) et je ne vais pas tout résumer, je vais me contenter de ce que l'on peut voir sur "le temps qui reste", comme on dit.
Janké commence par interroger surtout sur cette chose : on est sûr qu'on va mourir. La question qui se pose est la nature de cette "certitude". Et là on se trouve déjà très mal pour la légitimer. Je ne sais pas que je vais mourir comme je sais que 2+2 font 4, certainement pas.
On pourra y revenir mais supposons cet obstacle surmonté. On en trouve un second :on est sûr qu'on va mourir mais personne ne sait quand. Ce qui est une deuxième difficulté. Certitude du fait, incertitude de l'heure.

On peut donc déjà déployer des figures sur ces données.
Voici les quatre possibles :

- La mort est certaine, mais l'heure incertaine (mors certa hora incerta. Janké est toujours dans les Pères de l'Eglise, il parle latin comme eux, sauf qu'il est complètement athée). Evoqué plus haut : faîtes gaffe, elle pourrait arriver plus vite que vous ne croyez. Ou l'inverse : allons-y gaiment, c'est toujours repoussé à plus tard. Procrastination thanatologique, si j'ose.

- La mort est certaine, son heure aussi, mais nous ne la connaissons pas (mors certa, hora certa sed ignota). Conception destinale : en fait, l'heure de notre mort est déjà fixée, mais nous l'ignorons. Superstition, talismans et toute la lyre...

- La mort est certaine et l'heure certaine (mors certa hora certa) C'est le Dernier Jour d'un condamné de Victor Hugo : celui qui sait que son heure est fixée à 5 heures demain matin, etc.

- La mort est incertaine et l'heure incertaine (mors incerta hora incerta) Ce qui se passe là, c'est que l'incertitude de l'heure rejaillit sur l'incertitude du fait. Après tout, puisqu'il n'est jamais nécessaire que je meure aujourd'hui,ni non plus demain, pourquoi ne pas le repousser indéfiniment ? En sorte qu'il n'est plus du tout sûr que je meure.

Naturellement, il faut développer, dans tous les cas, les conséquences éthiques. Chacun le sait : si les médecins me disent : "vous n'en avez plus que pour 6 mois", je ne vais pas me comporter comme un type en pleine forme et qui prend un crédit sur 20 ans, etc.

Pour Jankélévitch, qui est, comme j'ai dit, un athée, la seule attitude possible est la quatrième, c'est-à-dire la plus intenable. Je cite de mémoire (dommage, parce que lui aussi est un grand styliste, si c'est inexact), il dit je crois que la déraisonnable chimère se révèle plus vraie que l'absurde vérité.

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Message par victor.digiorgi Dim 24 Nov 2013 - 4:53

Courtial a écrit:
victor.digiorgi a écrit:
Courtial a écrit:l'objet de la philosophie étant la méditation de la vérité éternelle, inchangeable, de l'Etre immobile
HEIN ?? Ah ben ça alors ! C'est ÇA, la philosophie ? Tu m'inquiètes ...

Courtial a écrit:(pour l'instant, je me prépare mentalement pour le match : quand on rencontre l'Afrique du sud, on ne peut pas disperser son énergie avec des futilités).
Ouf ! J'ai eu peur pour toi, mon brave ami ! ...

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Je compatis, mon vieux. Je compatis.

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Message par victor.digiorgi Dim 24 Nov 2013 - 5:00

Courtial a écrit:on est sûr qu'on va mourir.
Ah non, moi, je suis sûr du contraire. Ou alors je me dis qu'il faudrait que quelqu'un me prouve que je suis mortel.

Et je ne demande cependant cette preuve à personne, parce que ça serait tenter le diable.

On pourrait me tuer pour avoir raison !

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Message par poussbois Dim 24 Nov 2013 - 12:28

Tu es donc dans la limite de ce que propose Jankélévitch.

Courtial, à part ce livre sur la mort (ou peut-être est-ce ce livre qui m'intéressera !), aurais-tu un avis sur une bonne entrée en matière pour Jankélévitch. J'ai écouté une partie de ses conférences enregistrées, lu quelques extraits, articles, mais malgré un a priori très positif sur ce bon homme, je n'ai jamais pris le temps de le lire sérieusement. On peut même dire que je me suis pris d'affection pour le personnage : voix chuintante, petit gabarit et visage impassible, mais d'une grande qualité d'élocution et de persuasion avec un véritable humour. Un philosophe musicien et d'une apparente désinvolture, humble devant son travail mais intransigeant devant ses adversaires, ceux qui dénigrent la philosophie, qu'il avait une grande capacité à cerner tout en ne répondant jamais à leurs questions.

Courtial a écrit:
Janké commence par interroger surtout sur cette chose : on est sûr qu'on va mourir. La question qui se pose est la nature de cette "certitude". Et là on se trouve déjà très mal pour la légitimer. Je ne sais pas que je vais mourir comme je sais que 2+2 font 4, certainement pas.
On pourra y revenir mais supposons cet obstacle surmonté.
Je sais que ce n'est pas ce que tu as envie de développer, mais moi c'est ce point qui me pose problème ; car d'après moi, c'est de la nature de cette certitude que va découler les choix que nous ferons dans la liste proposée par Jankélévitch;
Effectivement, on ne peut pas penser la mort, on peut parler "à propos" de la mort (Jankélévitch encore). On retrouve avec cette notion de néant, l'absurdité de la vie présentée par Camus.
On peut apprendre que 2x2=4 et en faire l'expérience, avoir un évaluation de ce que cela apporte. Pour la mort, tout d'abord, personne ne peut nous apprendre à mourir sur la base de son expérience, et nous sommes dans l'incapacité de voir quel conclusion on pourra en tirer, quel expérience... J'ai vu mourir, j'ai fait mourir, j'ai accompagné ma grand-mère sur son lit de mort, et alors ? Je reste néanmoins un débutant, et je ne suis pas sûr que cela m'apprenne quoi que ce soit sur ma mort.

La mort est toujours hors sujet dans une discussion. Les accidents terribles qui nous font perdre l'usage d'une partie de nos facultés ont cet aspect définitif de la mort, mais nous faisons l'expérience de ses conclusions. Pas pour la mort.

Ionesco, le roi se meurt a écrit:
Marguerite
"Il s'imagine qu'il est le premier à mourir."
Marie
"Tout le monde est le premier à mourir."
A partir de là, peut-on imaginer que les pensées qui permettent un espoir post-mortem, une foi religieuse, sont celles qui vont être le plus perméables aux acceptions "la mort est certaine", sans pour autant avoir une véritable idée de ce qu'elle va être. Il faut alors des arrières-mondes pour donner la moindre consistance à la mort. Dans le cas contraire,il y a un mystère indépassable et si on accepte ce mystère, l'acception "la mort est incertaine" prend beaucoup plus de place dans notre réflexion, même si la mort donne son sens à la vie.

Andreiev, les sept pendus, a écrit:
— Eh bien, comment va-t-il ?(note : ils parlent de Vassili, un des 7 condamnés qui vient de monter dans le wagon)
— Mal ! répondit Moussia, en chuchotant. Il est déjà mort. Dis-moi, Werner, y a-t-il vraiment une mort ?
— Je ne sais pas, Moussia, mais je crois que non ! répondit Werner d’un ton grave et pensif.
— C’est ce que je pensais ! Et lui ? J’ai souffert à cause de lui, dans la voiture ; il me semblait que je voyageais à côté d’un mort.
— Je ne sais pas, Moussia. Peut-être la mort existe-t-elle encore pour quelques-uns. Plus tard, elle n’existera plus du tout. Pour moi, par exemple, la mort a existé, mais maintenant, elle n’existe plus.
Les joues un peu pâlies de Moussia s’enflammèrent :
— Elle a existé pour toi, Werner ? Pour toi ?
— Oui, mais plus maintenant. Comme pour toi !
(extrait lu par Jankélévitch lors d'une conférence)


Ce qui intéresse Epicure, dans le cadre d'une pensée matérialiste et pour lutter contre les superstitions, c'est la relation du corps à la pensée. Avec la fin du corps, événement objectif, vérifiable et mesurable, il est concevable d'envisager la fin de la pensée.
Mais quelle relation la pensée a-t-elle avec la pensée elle-même ? Comment envisager une auto-réflexion ? Miroir contre miroir, il ne reste qu'une image à l'infini qui reste inconcevable. Même Epicure est bien obligé d'admettre que cette fin, cette séparation, doit retenir toute notre attention pour construire une vie.

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Message par quid Dim 24 Nov 2013 - 13:47

poussbois a écrit:
Andreiev, les sept pendus, a écrit:
— Eh bien, comment va-t-il ?(note : ils parlent de Vassili, un des 7 condamnés qui vient de monter dans le wagon)
— Mal ! répondit Moussia, en chuchotant. Il est déjà mort. Dis-moi, Werner, y a-t-il vraiment une mort ?
— Je ne sais pas, Moussia, mais je crois que non ! répondit Werner d’un ton grave et pensif.
— C’est ce que je pensais ! Et lui ? J’ai souffert à cause de lui, dans la voiture ; il me semblait que je voyageais à côté d’un mort.
— Je ne sais pas, Moussia. Peut-être la mort existe-t-elle encore pour quelques-uns. Plus tard, elle n’existera plus du tout. Pour moi, par exemple, la mort a existé, mais maintenant, elle n’existe plus.
Les joues un peu pâlies de Moussia s’enflammèrent :
— Elle a existé pour toi, Werner ? Pour toi ?
— Oui, mais plus maintenant. Comme pour toi !
(extrait lu par Jankélévitch lors d'une conférence)
On peut se poser la question dans ce texte, de la place de la condamnation à mort (il s'agit bien de condamnés à mort?).
Car si pour les bourreaux, ceux qui condamnent, la mort n'existe pas, en quoi rime une condamnation à mort ?
Plusieurs possibilités :
1 – Ils condamnent à mort pour que celui qui est condamné soit puni, lui qui croit à la mort. C'est comme si on le privait de gâteau définitivement. C'est une vengeance, car au final, le condamné n'aura aucune occasion de se corriger.
2 – Ils condamnent de manière à supprimer du monde la gêne occasionné par le condamné. C'est juste une question d'hygiène.

Dans le second cas, il y a quand même la notion de gêne. Ce peut être un encombrement, des préjudices ou des souffrances occasionnés. L'élimination pourrait alors être la solution unique ? Non, car il faut mettre en perspective la souffrance engendrée par la privation de la personne qu'on envisage d'éliminer. Qu'est qui pourrait alors justifier une condamnation à mort ? Le fait que la personne provoque une gêne et que le bénéfice qu'on en retirerait à l'éliminer serait supérieur à celui de le conserver.

Une constatation : c'est que la manière d'appréhender la mort individuellement et collectivement a une incidence sur notre manière de vivre. La croyance en l'éternité également.
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Message par poussbois Dim 24 Nov 2013 - 14:47

Oui, tout à fait d'accord sur ta dernière phrase, c'est pile dans le sujet de Courtial il me semble.

Pour la justification de la condamnation à mort, tu oublies l'exemplarité. Ce servir de la peur de la mort comme contrainte sociale pour brider nos instincts les plus réprouvés par la loi.

Par contre, petit aparté, il est curieux de voir que les pays qui appliquent le plus la peine de mort recouvrent à peu près tous les systèmes politiques envisageables :
1- Iran : dictature religieuse
2- Chine : dictature communiste athée
3- Irak : démocratie imposée militairement
4- Arabie Saoudite : monarchie
5- Etats Unis d'Amérique : démocratie libérale
6- Yemen : république autoritaire

Difficile de trouver une unité politique parmi toutes ces nations qui appliquent la peine de mort.

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Message par quid Dim 24 Nov 2013 - 17:26

poussbois a écrit:
Pour la justification de la condamnation à mort, tu oublies l'exemplarité. Ce servir de la peur de la mort comme contrainte sociale pour brider nos instincts les plus réprouvés par la loi.
Oui, l'exemplarité quant à la peine de mort mériterait réflexion. Son efficacité, notamment en considération d'une conception éloigné de la mort ; la mort c'est ce qui arrive aux autres comme d'autres événements. Egalement le côté extrême et définitif d'une telle peine ; celle où il n'y plus matière à discuter, pas de retour possible, l'autorité du dernier mot qui joue de ce côté définitif.

Mais sur le commentaire du texte, je me mettais dans le contexte du texte, ou il semble que l'on soit en présence d'une conception majoritairement acceptée de l'insignifiance et l'inexistence de la mort :
Andreiev, les sept pendus a écrit:Je ne sais pas, Moussia. Peut-être la mort existe-t-elle encore pour quelques-uns. Plus tard, elle n’existera plus du tout. Pour moi, par exemple, la mort a existé, mais maintenant, elle n’existe plus.
Dans ce cas l'exemplarité n'aurait de signification qu'envers une conception de peur de la mort majoritaire, ou envers tous les quelques cas minoritaires ayant peur de la mort. La privation de gâteau n'est exemplaire que pour ceux qui aiment le gâteaux.

Mais en fait j'ai ma réponse. Seul le second cas de mes éventualités est valable :
quid a écrit:2 – Ils condamnent de manière à supprimer du monde la gêne occasionné par le condamné. C'est juste une question d'hygiène.
Car on est en présence de sept condamnés et qu'un seul a manifesté la crainte de la mort. Les autres ne sont donc condamnés que par hygiène et non en vertu d'un exemple, d'une réparation ou d'une vengeance. C'est la raison d'être de la condamnation à mort dans ce contexte.
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