Du pseudo-parricide de Platon dans le "Sophiste", et donc de l'Etant.
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Du pseudo-parricide de Platon dans le "Sophiste", et donc de l'Etant.
Bonjour,
Salut poussbois, ,
Je cite : " Re: Phèdre.
Message par poussbois le Dim 17 Mar 2013 - 10:29.
Oui, très juste, Platon n'est pas Parménidien et je continue à penser suite à une de nos premières discussions qu'il a été suffisamment retors pour lui régler son compte (à Parménide)".
Allons, allons, on en avait pourtant longuement parler sur feu PhiloForum. Ze vais donc te rafraichir la mémoire ! Ne me remercies pas, tu sais que ce texte doit beaucoup à nos échanges !
II - Du pseudo-parricide de Platon dans le "Sophiste", et donc de l'Etant.
A la fin du " Théétète ", Socrate, Théodore et Théétète se donne rendez-vous pour le lendemain. Et donc le lendemain Théodore et Théétète se présentent au rendez-vous accompagnés d’un étranger, Théodore, début du dialogue : " Nous sommes fidèles à notre engagement d’hier, Socrate : nous voici à point nommé et nous amenons un étranger que voici. Il est originaire d’Elée. Il appartient au cercle des disciples de Parménide et de Zénon et il est un véritable philosophe ". Les choses sont donc bien claires, l’étranger est un éléate. On décide rapidement que ça sera Théétète qui donnera la réplique à l’étranger. Mais dans les dialogues platoniciens, il n’y a qu’un patron : Platon. Quand Théétète parle c’est Platon qui parle, quand c’est l’étranger qui parle, c’est Platon qui parle. Dans ce dialogue Platon à travers les personnages qu’il met en scène et fait parler, se propose de définir le sophiste et il le fait. Mais dès l’antiquité, c’est bien la longue digression centrale, qui court de XXIV à XLIV, et occupe la moitié du texte qui a retenu toute l’attention et fait l’objet d’une abondante littérature jusqu’à aujourd’hui.
Même si elle participe pleinement à la définition du sophiste, l’objet de cette digression est de ruiner, de surmonter, de dépasser l’orthodoxie éléate quant à l’Être et le Non-Etre, dont le sophiste est censé se servir pour pouvoir émettre des discours erronés. Ces deux orthodoxies, en l’état, mettent littéralement la pensée, la connaissance, de l’époque, à l’arrêt. C’est premièrement, " l’Être est, absolument, et il ne saurait être autre, devenir ", et deuxièmement " le Non-Être, absolument, en tant que tel, n’est pas ". L’objectif du dialogue est donc de remettre en cause ces deux stérilisantes ultra-univocités. Faire dire à l’éléate, là où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir, que l’Etre n’est pas en quelques manières et que le Non-Être doit pouvoir également être d’une certaine façon, et ce afin de pouvoir continuer à penser, à penser le devenir.
Et effectivement à la lecture du dialogue, il semble que Platon parvienne à ses fins, mais j’ai dit " il semble " d’où mon expression " pseudo-parricide " Platon respecte Parménide, c’est celui qu’il respecte le plus, et redoute le plus. C’est pour ça qu’on parle de parricide, terme qui apparaît dans le dialogue lui-même, en 241 b – 241 e, l'étranger : " Maintenant j’ai encore une prière plus pressante à t’adresser ". Théétète : " Laquelle ? " L’étranger : " De ne pas me regarder comme une sorte de parricide ". Théétète : " Qu’est-ce à dire ? " L’étranger : " C’est qu’il nous faudra nécessairement, pour nous défendre, mettre à la question la thèse de notre père Parménide et prouver par la force de nos arguments que le non-être est sous certains rapports et que l’être, de son côté, n’est pas en quelque manière ".
Si Platon veut développer son propre système, il lui faut surmonter la critique éléate, il lui faut donc mettre à mal ces deux ultra-univocités dialectiques, et il le dit, d’où l’expression historique de parricide dialectique. Le " Sophiste " est un très grand texte, notoirement à cause de la digression centrale, où le dialecticien Platon est au sommet de son talent. Et il a donc plutôt intérêt, il y va de sa propre pensée. D’un point de vue doctrinal, il est sans doute le dialogue le plus important. Et beaucoup tienne pour acquis le parricide dialectique, Platon ayant surmonté la critique éléate, qui met la pensée, la connaissance, en panne, il sort celles-ci de ce cul de sac et nous propose sa propre théorie, celle de la participation, où le Non-Être a toute sa place et où l’Être n’est plus tout à fait ce qu’il était. Les éléates ne nient pas le devenir, c’est absurde de le soutenir. Comme tout le monde, ils se levaient le matin, les oiseaux continuaient à voler et à chanter, les choses non seulement à être mais à devenir. Mais les éléates n’en convinrent pas moins de poser l’Être intangible, immuable, étranger au Devenir, et que le Non-Être n’est rien d’autre que ce qu’en dit Parménide dans son poème.
Pour beaucoup, les éléates eux-mêmes ne proposent aucune alternative, ne disposent pas de l’issue, à ce que tout le monde considère comme des positions aporétiques. Mais l’aporie est ailleurs. Et ils défendent bec et ongles leurs positions. Si les fragments de Zénon sont tous plus gênants, aporétiques, les uns que les autres, c’est qu’avec ceux-ci il se propose de bien illustrer à quel point c’est la philosophie grecque toute entière qui est dans l’aporie. Il faut bien se souvenir qu’à l’époque le " philosophe " est aussi physicien, astronome, biologiste et s’intéresse à tout, qu’il cumule, si j’ose dire plusieurs casquettes.
Mais si mon interprétation du poème en deux parties est la bonne, les éléates proposent une solution, ils ont les premiers l’intuition que la situation est intenable, aporétique, qu’il y a deux domaines bien distincts de la connaissance, que ce divorce épistémologique entre les deux est un impératif. Mais Platon n’entend pas cette distinction donc l’orthodoxie éléate a forcément tord quelque part. Le résultat c’est le parricide dialectique du " Sophiste très ironiquement mené soi dit en passant par un soit disant éléate. La digression centrale intervient comme suit au début de XXIV, l’étranger : " C’est que réellement bienheureux jeune homme, nous voilà engagés dans une recherche tout à fait épineuse, car paraître et sembler, sans être, parler mais sans rien dire de vrai, tout cela a toujours été plein de difficultés, autrefois comme aujourd’hui. Car soutenir qu’il est réellement possible de dire ou de penser faux et, quand on a affirmé cela, qu’on n’est pas enchevêtré dans la contradiction, c’est véritablement Théétète, difficile à concevoir ". Théétète : " Pourquoi donc ? ". L’étranger : " C’est que cette assertion implique l’audacieuse supposition que le non-être existe, car, autrement, le faux ne pourrait pas être. Or le grand Parménide, mon enfant, au temps où nous étions enfants nous-mêmes a toujours du commencement jusqu’à la fin professé contre cette supposition et il a constamment répété en prose comme en vers :
" Non, jamais on ne prouvera que le
Non-Être existe.
Ecartes plutôt ta pensée de cette
route de recherche ".
Tel est son témoignage. Mais le meilleur moyen d’obtenir une confession de la vérité, ce serait de soumettre l’assertion elle-même à une torture modérée. C’est là, par conséquent, ce dont nous avons à nous occuper d’abord, si tu le veux bien ".
Et, à la fin de la digression, c’est ainsi qu’il revient à proprement parler au sophiste, au début de XXIV, en 259 e – 260 e, l’étranger : " Il nous est apparu que le non-être était un genre déterminé parmi les autres et qu’il est distribué en tous les êtres ". Théétète : " C‘est exact ". L’étranger : " Il faut dès lors examiner s’il se mêle à l’opinion et au discours ". Théétète : " Pourquoi donc ? ". L’étranger : " S’il ne s’y mêle pas, il s’ensuit nécessairement que tout est vrai. Qu’il s’y mêle, l’opinion fausse devient possible, et le discours aussi. Juger ou dire ce qu’il n’est pas, voilà, je pense, ce qui constitue la fausseté, dans la pensée et dans le discours ".
Je ne reprendrais pas point par point les différentes argumentations, brillantes, qui amènent à la théorie platonicienne de la participation, qui a, entre autres, requis la ruine des deux orthodoxies éléates quant à l’Être et au Non-Être. A la fin de la digression, tout juste avant de revenir au sophiste, on a donc droit à ceci, l’étranger : « Il nous est apparu que le non-être était un genre déterminé parmi les autres et qu’il est distribué en tous les êtres ». Et avant même ce final radical on a eu progressivement droit à une foule de conclusions toutes plus scandaleuses, inadmissibles, les unes que les autres pour l’éléatisme, et ce afin de parvenir à la théorie platonicienne de la participation. Prenons par exemple celle-ci, en 256 e – 257 b, l’étranger : " Quand nous énonçons le non-être, nous n’énonçons pas, ce me semble, quelque chose de contraire à l’être, mais seulement quelque chose d’autre ". Si un éléate s’était trouvé devant Platon, il l’aurait tout de suite arrêté. En substance ainsi, l’éléate : " Tu as pu dire Non-Être ? " " Oui " " Donc au moins dans cette mesure, il est ? " " Oui " " Donc le Non-Être existe, est, et est Un " " Oui, c’est très exactement ce que j’ai dit ! " " C’est pourtant, ce pourquoi, très précisément, en tant que tel, le Non-Être, n’est pas ". " … Mais c’est peut-être autre chose ? " " Non. Ce mince, très mince, bibelot, tel que nous venons de l’enfermer, de le circonscrire, ne peut plus rien être d’autre et on ne peut rien en dire d’autre. Alors posons-le dans un coin, et parlons donc de cette autre chose ". Je peux écrire, dire, " Non-Être ", donc ne serais ce que dans cette mesure, il est, ce pourquoi très précisément, absolument, en tant que tel, il n’est pas. Ceci bien entendu, il n’y a plus qu’à paraphraser, répéter, ce que Parménide en dit dans la première partie de son poème. La pensée ne peut que s’écarter de cet objet, le plus fantomatique qui soit qui ne peut rien être d’autre et dont on ne peut rien dire d’autre. De même, quant à l’Être, un éléate face à Platon n’aurait jamais admis, que celui-ci puisse ne pas être en quelques manières. Le Non-Être est posé sur une étagère et il y prend définitivement la poussière. Et deux mille cinq cents ans plus tard, il s’avère que les éléates avaient raison, ils ont eu l’intuition de la nécessité de ce divorce entre les deux domaines fondamentaux de la connaissance, ce que je crois donc discerner dans le poème. Et effectivement la connaissance se sert de l’Etant, j’entends par Etant, suite à ce divorce, tout, absolument tout ce qui advient intérieurement, produit par l’a priori, et qui une fois advenu ne saurait devenir. Si on interdit à Platon l’usage du Non-Être, comme je l’ai fait au-dessus, on réfute son postulat qui dit que le penser et parler faux, l’erreur, le discours erroné, impliquent l’existence du Non-Être, qu’il soit d’une certaine façon, ce qui l’amène à attaquer l’orthodoxie éléate quant au Non-Être. Mais ontologiquement parlant, ceux-ci sont des Etants à part entière, comme les autres. Il n’y a pas d’autre Non-Être que celui que j’ai circonscrit. On peut penser une chose totalement fausse, cela ne l’empêche surtout pas d’être pleinement un Etant. Il y a du vrai dans toute pensée dans la mesure où celle-ci est, c’est tout. Mais cela ne l’empêche surtout pas, au cas échéant d’être totalement fausse. Un exemple. Je vois un renard traverser la route, à la suite de quoi, j’affirme : " Une fouine vient de traverser la route ". Cette proposition d’un point de vue philosophique, dialectique, ontologique, ontique, est un Etant absolument pleinement tel. Par contre le fait que ça soit un renard et non une fouine qui a traversé la route relève de la zoologie, de la science, et est philosophiquement, ontologiquement, quand même un Etant à part entière. Et c’est la zoologie, la science, qui apporte la solution, qui dit que c’était un renard et non une fouine, pas la philosophie. " Tu as vu un renard ", c’est en soi un Etant, mais dans ce cas et beaucoup d’autres, le rôle de la philosophie se borne à le constater et s’arrête là. Le renard intéressera la zoologie, la biologie, l’écologie, l’éthologie, etc., en un mot, la science. En supposant qu’on veuille faire une thèse scientifique donc, sur la biologie du renard, cela se fera tout de même grâce à un maximum d’Etants concernant le renard. C’est l’examen par la conscience critique, sous une forme ou une autre, par la ou les disciplines concernées, d’une collection d’Etants suscitée par une même chose extérieure qui me permet de connaître celle-ci, de savoir. Dans le cas des Etants advenus intérieurement spontanément (Pensées, rêveries, fantasmes…), l’objet à connaître est le Sujet que je suis à priori. Et même si mon interprétation du poème est erronée, le dit divorce a de toutes façons historiquement eu lieu, empiriquement, laborieusement. On a désormais une foule de disciplines parfaitement différenciées.
La seule façon de surmonter l’orthodoxie éléate est de sortir de la situation aporétique où se trouve la philosophie grecque toute entière est d’entériner ce divorce entre philosophie, dialectique, sciences humaines et sciences dures, ce que propose, me semble- t-il, pour la première fois Parménide avec son poème en deux parties. A partir de là, comme je l’ai déjà dit, l’intégrité dialectique de l’Être et de l’Etant peuvent et doivent subsister dans l’intérêt même de la connaissance. Il y a bien aujourd’hui deux grands domaines de la connaissance parfaitement différenciés. Chez moi, l’Etant est le fruit de la perception, et donc au lieu de réduction phénoménologique, je dis « perception – réduction Idéalisante», parce que c’est elle qui génère des Etants, de l’Être. Nous, et même mes deux chats, fonctionnons a priori, scientifiquement, biologiquement, neurologiquement et philosophiquement dit ainsi. Et l’Etant une fois advenu ne pourrait devenir, même si l’instant d’après la même chose extérieure suscite un nouvel Etant, qui ressemblera sans doute beaucoup au précédent s’il est question de mon stylo.
Mais il y a d’autres exemples de choses moins triviales qui peuvent susciter en moi des Etants manifestement différents. Voilà ce qui subsistera aujourd’hui de l’orthodoxie éléate : l’intégrité dialectique de l’Etant. Même si les débats sont loin d’être clos quant aux modalités concrètes de la perception et de la connaissance, personne ne remet en cause l’intégrité dialectique du fruit de la perception, ce pourquoi, à propos de celui-ci, je dis Etant. Je crois qu’on a là, enfin, une définition simple, consensuelle, non-problématique, de celui-ci. La perception génère des Etants, c’est pourquoi je parle de " perception – réduction Idéalisante " et ce pourquoi je pense que l’ontologique et le phénoménologique sont absolument consubstantiels. L’Etant, pleinement donné a priori et intrinsèquement suspect, puisque relevant de Ma Subjectivité, c’est donc le lieu correct du cogito, et le matériel de base de la connaissance, du savoir, de la conscience qui sera forcément critique. Chaque Etant étant le fruit de Ma subjectivité, du Sujet, de l’ priori, dans l’absolu devrait faire l’objet d’une démarche inquisitoriale de la part de la conscience critique. Et une fois ce divorce entériné, la science ayant récupérée ce qui lui revenait, que reste- t-il de l’Être ? Se pourrait-il qu’il ne soit plus qu’un produit de la pensée obtenu a posteriori et a contrario en ôtant tous les attributs d’un Etant, à commencer par le premier d’entre eux, le fait qu’il advienne, se déploie, intérieurement, Un ? La question semble se poser, mais je me garderais bien d’y répondre à la légère. On verra.
Je tiens à remercier la patience et la gentillesse de Nathalie Joly sans laquelle ce texte serait formellement proprement imbuvable.
Et on prend bonne note qu'en essayant de forcer le cul de sac dialectique où l'éléatisme plonge la philosophie avec le soi-disant parricide, Platon s'est fait lui-même prince des ... sophistes.
Salut poussbois, ,
Je cite : " Re: Phèdre.
Message par poussbois le Dim 17 Mar 2013 - 10:29.
Oui, très juste, Platon n'est pas Parménidien et je continue à penser suite à une de nos premières discussions qu'il a été suffisamment retors pour lui régler son compte (à Parménide)".
Allons, allons, on en avait pourtant longuement parler sur feu PhiloForum. Ze vais donc te rafraichir la mémoire ! Ne me remercies pas, tu sais que ce texte doit beaucoup à nos échanges !
II - Du pseudo-parricide de Platon dans le "Sophiste", et donc de l'Etant.
A la fin du " Théétète ", Socrate, Théodore et Théétète se donne rendez-vous pour le lendemain. Et donc le lendemain Théodore et Théétète se présentent au rendez-vous accompagnés d’un étranger, Théodore, début du dialogue : " Nous sommes fidèles à notre engagement d’hier, Socrate : nous voici à point nommé et nous amenons un étranger que voici. Il est originaire d’Elée. Il appartient au cercle des disciples de Parménide et de Zénon et il est un véritable philosophe ". Les choses sont donc bien claires, l’étranger est un éléate. On décide rapidement que ça sera Théétète qui donnera la réplique à l’étranger. Mais dans les dialogues platoniciens, il n’y a qu’un patron : Platon. Quand Théétète parle c’est Platon qui parle, quand c’est l’étranger qui parle, c’est Platon qui parle. Dans ce dialogue Platon à travers les personnages qu’il met en scène et fait parler, se propose de définir le sophiste et il le fait. Mais dès l’antiquité, c’est bien la longue digression centrale, qui court de XXIV à XLIV, et occupe la moitié du texte qui a retenu toute l’attention et fait l’objet d’une abondante littérature jusqu’à aujourd’hui.
Même si elle participe pleinement à la définition du sophiste, l’objet de cette digression est de ruiner, de surmonter, de dépasser l’orthodoxie éléate quant à l’Être et le Non-Etre, dont le sophiste est censé se servir pour pouvoir émettre des discours erronés. Ces deux orthodoxies, en l’état, mettent littéralement la pensée, la connaissance, de l’époque, à l’arrêt. C’est premièrement, " l’Être est, absolument, et il ne saurait être autre, devenir ", et deuxièmement " le Non-Être, absolument, en tant que tel, n’est pas ". L’objectif du dialogue est donc de remettre en cause ces deux stérilisantes ultra-univocités. Faire dire à l’éléate, là où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir, que l’Etre n’est pas en quelques manières et que le Non-Être doit pouvoir également être d’une certaine façon, et ce afin de pouvoir continuer à penser, à penser le devenir.
Et effectivement à la lecture du dialogue, il semble que Platon parvienne à ses fins, mais j’ai dit " il semble " d’où mon expression " pseudo-parricide " Platon respecte Parménide, c’est celui qu’il respecte le plus, et redoute le plus. C’est pour ça qu’on parle de parricide, terme qui apparaît dans le dialogue lui-même, en 241 b – 241 e, l'étranger : " Maintenant j’ai encore une prière plus pressante à t’adresser ". Théétète : " Laquelle ? " L’étranger : " De ne pas me regarder comme une sorte de parricide ". Théétète : " Qu’est-ce à dire ? " L’étranger : " C’est qu’il nous faudra nécessairement, pour nous défendre, mettre à la question la thèse de notre père Parménide et prouver par la force de nos arguments que le non-être est sous certains rapports et que l’être, de son côté, n’est pas en quelque manière ".
Si Platon veut développer son propre système, il lui faut surmonter la critique éléate, il lui faut donc mettre à mal ces deux ultra-univocités dialectiques, et il le dit, d’où l’expression historique de parricide dialectique. Le " Sophiste " est un très grand texte, notoirement à cause de la digression centrale, où le dialecticien Platon est au sommet de son talent. Et il a donc plutôt intérêt, il y va de sa propre pensée. D’un point de vue doctrinal, il est sans doute le dialogue le plus important. Et beaucoup tienne pour acquis le parricide dialectique, Platon ayant surmonté la critique éléate, qui met la pensée, la connaissance, en panne, il sort celles-ci de ce cul de sac et nous propose sa propre théorie, celle de la participation, où le Non-Être a toute sa place et où l’Être n’est plus tout à fait ce qu’il était. Les éléates ne nient pas le devenir, c’est absurde de le soutenir. Comme tout le monde, ils se levaient le matin, les oiseaux continuaient à voler et à chanter, les choses non seulement à être mais à devenir. Mais les éléates n’en convinrent pas moins de poser l’Être intangible, immuable, étranger au Devenir, et que le Non-Être n’est rien d’autre que ce qu’en dit Parménide dans son poème.
Pour beaucoup, les éléates eux-mêmes ne proposent aucune alternative, ne disposent pas de l’issue, à ce que tout le monde considère comme des positions aporétiques. Mais l’aporie est ailleurs. Et ils défendent bec et ongles leurs positions. Si les fragments de Zénon sont tous plus gênants, aporétiques, les uns que les autres, c’est qu’avec ceux-ci il se propose de bien illustrer à quel point c’est la philosophie grecque toute entière qui est dans l’aporie. Il faut bien se souvenir qu’à l’époque le " philosophe " est aussi physicien, astronome, biologiste et s’intéresse à tout, qu’il cumule, si j’ose dire plusieurs casquettes.
Mais si mon interprétation du poème en deux parties est la bonne, les éléates proposent une solution, ils ont les premiers l’intuition que la situation est intenable, aporétique, qu’il y a deux domaines bien distincts de la connaissance, que ce divorce épistémologique entre les deux est un impératif. Mais Platon n’entend pas cette distinction donc l’orthodoxie éléate a forcément tord quelque part. Le résultat c’est le parricide dialectique du " Sophiste très ironiquement mené soi dit en passant par un soit disant éléate. La digression centrale intervient comme suit au début de XXIV, l’étranger : " C’est que réellement bienheureux jeune homme, nous voilà engagés dans une recherche tout à fait épineuse, car paraître et sembler, sans être, parler mais sans rien dire de vrai, tout cela a toujours été plein de difficultés, autrefois comme aujourd’hui. Car soutenir qu’il est réellement possible de dire ou de penser faux et, quand on a affirmé cela, qu’on n’est pas enchevêtré dans la contradiction, c’est véritablement Théétète, difficile à concevoir ". Théétète : " Pourquoi donc ? ". L’étranger : " C’est que cette assertion implique l’audacieuse supposition que le non-être existe, car, autrement, le faux ne pourrait pas être. Or le grand Parménide, mon enfant, au temps où nous étions enfants nous-mêmes a toujours du commencement jusqu’à la fin professé contre cette supposition et il a constamment répété en prose comme en vers :
" Non, jamais on ne prouvera que le
Non-Être existe.
Ecartes plutôt ta pensée de cette
route de recherche ".
Tel est son témoignage. Mais le meilleur moyen d’obtenir une confession de la vérité, ce serait de soumettre l’assertion elle-même à une torture modérée. C’est là, par conséquent, ce dont nous avons à nous occuper d’abord, si tu le veux bien ".
Et, à la fin de la digression, c’est ainsi qu’il revient à proprement parler au sophiste, au début de XXIV, en 259 e – 260 e, l’étranger : " Il nous est apparu que le non-être était un genre déterminé parmi les autres et qu’il est distribué en tous les êtres ". Théétète : " C‘est exact ". L’étranger : " Il faut dès lors examiner s’il se mêle à l’opinion et au discours ". Théétète : " Pourquoi donc ? ". L’étranger : " S’il ne s’y mêle pas, il s’ensuit nécessairement que tout est vrai. Qu’il s’y mêle, l’opinion fausse devient possible, et le discours aussi. Juger ou dire ce qu’il n’est pas, voilà, je pense, ce qui constitue la fausseté, dans la pensée et dans le discours ".
Je ne reprendrais pas point par point les différentes argumentations, brillantes, qui amènent à la théorie platonicienne de la participation, qui a, entre autres, requis la ruine des deux orthodoxies éléates quant à l’Être et au Non-Être. A la fin de la digression, tout juste avant de revenir au sophiste, on a donc droit à ceci, l’étranger : « Il nous est apparu que le non-être était un genre déterminé parmi les autres et qu’il est distribué en tous les êtres ». Et avant même ce final radical on a eu progressivement droit à une foule de conclusions toutes plus scandaleuses, inadmissibles, les unes que les autres pour l’éléatisme, et ce afin de parvenir à la théorie platonicienne de la participation. Prenons par exemple celle-ci, en 256 e – 257 b, l’étranger : " Quand nous énonçons le non-être, nous n’énonçons pas, ce me semble, quelque chose de contraire à l’être, mais seulement quelque chose d’autre ". Si un éléate s’était trouvé devant Platon, il l’aurait tout de suite arrêté. En substance ainsi, l’éléate : " Tu as pu dire Non-Être ? " " Oui " " Donc au moins dans cette mesure, il est ? " " Oui " " Donc le Non-Être existe, est, et est Un " " Oui, c’est très exactement ce que j’ai dit ! " " C’est pourtant, ce pourquoi, très précisément, en tant que tel, le Non-Être, n’est pas ". " … Mais c’est peut-être autre chose ? " " Non. Ce mince, très mince, bibelot, tel que nous venons de l’enfermer, de le circonscrire, ne peut plus rien être d’autre et on ne peut rien en dire d’autre. Alors posons-le dans un coin, et parlons donc de cette autre chose ". Je peux écrire, dire, " Non-Être ", donc ne serais ce que dans cette mesure, il est, ce pourquoi très précisément, absolument, en tant que tel, il n’est pas. Ceci bien entendu, il n’y a plus qu’à paraphraser, répéter, ce que Parménide en dit dans la première partie de son poème. La pensée ne peut que s’écarter de cet objet, le plus fantomatique qui soit qui ne peut rien être d’autre et dont on ne peut rien dire d’autre. De même, quant à l’Être, un éléate face à Platon n’aurait jamais admis, que celui-ci puisse ne pas être en quelques manières. Le Non-Être est posé sur une étagère et il y prend définitivement la poussière. Et deux mille cinq cents ans plus tard, il s’avère que les éléates avaient raison, ils ont eu l’intuition de la nécessité de ce divorce entre les deux domaines fondamentaux de la connaissance, ce que je crois donc discerner dans le poème. Et effectivement la connaissance se sert de l’Etant, j’entends par Etant, suite à ce divorce, tout, absolument tout ce qui advient intérieurement, produit par l’a priori, et qui une fois advenu ne saurait devenir. Si on interdit à Platon l’usage du Non-Être, comme je l’ai fait au-dessus, on réfute son postulat qui dit que le penser et parler faux, l’erreur, le discours erroné, impliquent l’existence du Non-Être, qu’il soit d’une certaine façon, ce qui l’amène à attaquer l’orthodoxie éléate quant au Non-Être. Mais ontologiquement parlant, ceux-ci sont des Etants à part entière, comme les autres. Il n’y a pas d’autre Non-Être que celui que j’ai circonscrit. On peut penser une chose totalement fausse, cela ne l’empêche surtout pas d’être pleinement un Etant. Il y a du vrai dans toute pensée dans la mesure où celle-ci est, c’est tout. Mais cela ne l’empêche surtout pas, au cas échéant d’être totalement fausse. Un exemple. Je vois un renard traverser la route, à la suite de quoi, j’affirme : " Une fouine vient de traverser la route ". Cette proposition d’un point de vue philosophique, dialectique, ontologique, ontique, est un Etant absolument pleinement tel. Par contre le fait que ça soit un renard et non une fouine qui a traversé la route relève de la zoologie, de la science, et est philosophiquement, ontologiquement, quand même un Etant à part entière. Et c’est la zoologie, la science, qui apporte la solution, qui dit que c’était un renard et non une fouine, pas la philosophie. " Tu as vu un renard ", c’est en soi un Etant, mais dans ce cas et beaucoup d’autres, le rôle de la philosophie se borne à le constater et s’arrête là. Le renard intéressera la zoologie, la biologie, l’écologie, l’éthologie, etc., en un mot, la science. En supposant qu’on veuille faire une thèse scientifique donc, sur la biologie du renard, cela se fera tout de même grâce à un maximum d’Etants concernant le renard. C’est l’examen par la conscience critique, sous une forme ou une autre, par la ou les disciplines concernées, d’une collection d’Etants suscitée par une même chose extérieure qui me permet de connaître celle-ci, de savoir. Dans le cas des Etants advenus intérieurement spontanément (Pensées, rêveries, fantasmes…), l’objet à connaître est le Sujet que je suis à priori. Et même si mon interprétation du poème est erronée, le dit divorce a de toutes façons historiquement eu lieu, empiriquement, laborieusement. On a désormais une foule de disciplines parfaitement différenciées.
La seule façon de surmonter l’orthodoxie éléate est de sortir de la situation aporétique où se trouve la philosophie grecque toute entière est d’entériner ce divorce entre philosophie, dialectique, sciences humaines et sciences dures, ce que propose, me semble- t-il, pour la première fois Parménide avec son poème en deux parties. A partir de là, comme je l’ai déjà dit, l’intégrité dialectique de l’Être et de l’Etant peuvent et doivent subsister dans l’intérêt même de la connaissance. Il y a bien aujourd’hui deux grands domaines de la connaissance parfaitement différenciés. Chez moi, l’Etant est le fruit de la perception, et donc au lieu de réduction phénoménologique, je dis « perception – réduction Idéalisante», parce que c’est elle qui génère des Etants, de l’Être. Nous, et même mes deux chats, fonctionnons a priori, scientifiquement, biologiquement, neurologiquement et philosophiquement dit ainsi. Et l’Etant une fois advenu ne pourrait devenir, même si l’instant d’après la même chose extérieure suscite un nouvel Etant, qui ressemblera sans doute beaucoup au précédent s’il est question de mon stylo.
Mais il y a d’autres exemples de choses moins triviales qui peuvent susciter en moi des Etants manifestement différents. Voilà ce qui subsistera aujourd’hui de l’orthodoxie éléate : l’intégrité dialectique de l’Etant. Même si les débats sont loin d’être clos quant aux modalités concrètes de la perception et de la connaissance, personne ne remet en cause l’intégrité dialectique du fruit de la perception, ce pourquoi, à propos de celui-ci, je dis Etant. Je crois qu’on a là, enfin, une définition simple, consensuelle, non-problématique, de celui-ci. La perception génère des Etants, c’est pourquoi je parle de " perception – réduction Idéalisante " et ce pourquoi je pense que l’ontologique et le phénoménologique sont absolument consubstantiels. L’Etant, pleinement donné a priori et intrinsèquement suspect, puisque relevant de Ma Subjectivité, c’est donc le lieu correct du cogito, et le matériel de base de la connaissance, du savoir, de la conscience qui sera forcément critique. Chaque Etant étant le fruit de Ma subjectivité, du Sujet, de l’ priori, dans l’absolu devrait faire l’objet d’une démarche inquisitoriale de la part de la conscience critique. Et une fois ce divorce entériné, la science ayant récupérée ce qui lui revenait, que reste- t-il de l’Être ? Se pourrait-il qu’il ne soit plus qu’un produit de la pensée obtenu a posteriori et a contrario en ôtant tous les attributs d’un Etant, à commencer par le premier d’entre eux, le fait qu’il advienne, se déploie, intérieurement, Un ? La question semble se poser, mais je me garderais bien d’y répondre à la légère. On verra.
Je tiens à remercier la patience et la gentillesse de Nathalie Joly sans laquelle ce texte serait formellement proprement imbuvable.
Et on prend bonne note qu'en essayant de forcer le cul de sac dialectique où l'éléatisme plonge la philosophie avec le soi-disant parricide, Platon s'est fait lui-même prince des ... sophistes.
Dernière édition par neopilina le Dim 23 Juin 2013 - 11:13, édité 5 fois
neopilina- Digressi(f/ve)
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Re: Du pseudo-parricide de Platon dans le "Sophiste", et donc de l'Etant.
HEY, salut Néopilina ! Content d'avoir de tes nouvelles !
Bon, c'est le WE (ouioui, déjà) et le WE, j'ontologise très mal :D Je vais donc prendre le temps de digérer ton texte, mais super content de te relire. :)
Ceci dit, pour ne pas que tu imagines que j'ai mauvaise mémoire et que tes leçons ne portent pas, je reprécise : Je m'adressais surtout à des platoniciens comme Euthyphron qui arguent que Platon n'est pas si retors et que son but n'est pas de briser l'éléatisme. Je pense au contraire du peu que j'ai compris qu'il le détourne tellement qu'il perd toute substance... dans les écrits de Platon.
Maintenant, est-ce que Platon arrive à ses fins et règle le compte de Parménide de façon définitive ? A l'évidence, je suis incapable de répondre à cette question. J'ai plus l'impression à te lire que l'éléatisme parménidien est évacué, mais pas contre-dit. Il est même plutôt contourné, mais continue à être un caillou dans la chaussure de bien des philosophes classiques.
Allez, je relis tout ça à tête reposée. A très bientôt !
Bon, c'est le WE (ouioui, déjà) et le WE, j'ontologise très mal :D Je vais donc prendre le temps de digérer ton texte, mais super content de te relire. :)
Ceci dit, pour ne pas que tu imagines que j'ai mauvaise mémoire et que tes leçons ne portent pas, je reprécise : Je m'adressais surtout à des platoniciens comme Euthyphron qui arguent que Platon n'est pas si retors et que son but n'est pas de briser l'éléatisme. Je pense au contraire du peu que j'ai compris qu'il le détourne tellement qu'il perd toute substance... dans les écrits de Platon.
Maintenant, est-ce que Platon arrive à ses fins et règle le compte de Parménide de façon définitive ? A l'évidence, je suis incapable de répondre à cette question. J'ai plus l'impression à te lire que l'éléatisme parménidien est évacué, mais pas contre-dit. Il est même plutôt contourné, mais continue à être un caillou dans la chaussure de bien des philosophes classiques.
Allez, je relis tout ça à tête reposée. A très bientôt !
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poussbois- Digressi(f/ve)
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Re: Du pseudo-parricide de Platon dans le "Sophiste", et donc de l'Etant.
Salut à toi, Neopilina!
Je n'ai pas oublié notre longue discussion sur le sujet. Poussbois, dirait-on, essaie de m'appâter :D . Mais je ne la recommencerai pas, je ne tomberai pas dans ce piège grossier!
Au plaisir de te lire!
Je n'ai pas oublié notre longue discussion sur le sujet. Poussbois, dirait-on, essaie de m'appâter :D . Mais je ne la recommencerai pas, je ne tomberai pas dans ce piège grossier!
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euthyphron- Digressi(f/ve)
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Re: Du pseudo-parricide de Platon dans le "Sophiste", et donc de l'Etant.
euthyphron a écrit:Salut à toi, Neopilina!
Je n'ai pas oublié notre longue discussion sur le sujet. Poussbois, dirait-on, essaie de m'appâter :D . Mais je ne la recommencerai pas, je ne tomberai pas dans ce piège grossier!
Au plaisir de te lire!
Hé ! J'attendais ton intervention pour te saluer !
Tu le sais, ce texte doit énormément à toi et à Poussbois. Vous avez été mes partenaires, contradicteurs, etc. Si PhiloForum existait encore, on pourrait suivre la genèse de ce texte à travers nos échanges ! Il est le fruit de ce Dialogue.
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" Tout Étant produit par moi m'est donné (c'est son statut philosophique), a priori, et il est Mien (cogito, conscience de Soi, libéré du Poêle) ". " Savoir guérit, forge. Et détruit tout ce qui doit l'être ", ou, équivalents, " Tout l'Inadvertancier constitutif doit disparaître ", " Le progrès, c'est la liquidation du Sujet empirique, notoirement névrotique, par la connaissance ". " Il faut régresser et recommencer, en conscience ". Moi.
C'est à pas de colombes que les Déesses s'avancent.
neopilina- Digressi(f/ve)
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Date d'inscription : 31/10/2009
Re: Du pseudo-parricide de Platon dans le "Sophiste", et donc de l'Etant.
gregorirlande@hotmail.fr a écrit:J'espère vous avoir répondu de bonne foi et n'hésitez pas à me faire part de vos remarques, notamment sur ce que vous appelez étant.
neopilina a écrit:Avant que benfifi ne le fasse, je voulais revenir, comme tu le souhaitais, je suis un garçon bien élevé, sur l'étant, je le ferais.
De l'Etant.
L'Etant, c'est la Chose générée par et pour un être vivant, un individu, un Sujet. Avec majuscules. Pourquoi ? Il fait sens et/ou Sens pour le dit être vivant, il est parfaitement, constitutivement, cohérent ontologiquement et dialectiquement : il peut faire et fait sens et/ou Sens. J'écarte donc ici, c'est une intervention à vocation philosophique, l'usage initial et classique du terme " étant ", inauguré par les philosophes grecs (qui inaugurent la philosophie occidentale). Des Grecs, donc, à Sartre (dernier dinosaure en date, mort en 1981), " étant " est synonyme de " chose ". La divergence advient au XVIII° siècle à l'occasion de deux évènements majeurs, l'un pour l'histoire de l'humanité, l'essor de la science (et donc son émancipation de la philosophie), et un autre tout aussi important pour la philosophie occidentale, avec le cogito de Descartes (qui soit dit en passant est aussi un père fondateur de la science), qui va générer, je vais le dire ainsi, une crise de la représentation. Le cogito me dit que tout Etant est Mien, généré par et pour Moi, c'est la conscience de la conscience, de sa propre Subjectivité. Dés lors, quid, de la sensation, de la perception, de la représentation, etc., toutes choses produites par moi, en soi ? Il n'est plus question de l'étant, de la chose, de cette fraise qui est là devant moi, mais bien de " celle-ci vue par moi ", de ma perception de celle-ci en soi. L'étant, la chose, " fraise ", vue par moi ressort d'abord de la science, c'est un objet scientifique, ici, la vue, on est et on reste dans le registre du sens. Mais si je lis un journal, etc., etc., je passe à autre chose, au Sens, à l'intersubjectivité, aux interactions spécifiques entre être vivants, individus, Sujets, en tant que tels. Peu importe ici comment fonctionne mes yeux, c'est du sens, un objet scientifique. Il y a des disciplines du sens, c'est la science. Il y a des disciplines du Sens, de l'intersubjectivité, c'est l'éthologie pour les espèces animales les plus complexes, les sciences humaines pour nous. Qu'est-ce qu'un Etant, une Chose ? En premier : c'est, ça existe, etc., par et pour moi. J'ai posté dans ce fil sur le " Sophiste " de Platon et des fragments de Zénon ? Pourquoi ? Voir ci-dessus, mais je vais le rappeler. Celui-ci a formulé des apories relatives à l'étant, à l'époque la chose au sens le plus général, universel et indifférencié, qui soit (un caillou, du métal, etc.), qui n'ont pas d'autre solution que la version intelligible, de l'étant, c'est à dire l'Etant généré par un être vivant au sens philosophique, abandonnant à la science ce qui lui revient quand celle-ci apparaîtra. Et donc, si on décide de s'interroger, d'approfondir, etc., à propos d'un Etant qui fait Sens, on doit avoir en premier lieu ce réflexe méthodologique, épistémologique, le cogito, la conscience de sa propre Subjectivité : c'est Mien. C'est la clause cartésienne de sécurité.
édité, la petite formule soulignée à la fin
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neopilina- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 8364
Date d'inscription : 31/10/2009
Re: Du pseudo-parricide de Platon dans le "Sophiste", et donc de l'Etant.
Une fraise. La fraise. Une / la? Verbe...
Une fraise. Sur le fraisier. Vermillon. La tige cordon ombilical lien de transmission de la vie. Une fois cueillie est-ce la même fraise ? Oui / non? Verbe...
Une fraise. Au début. Un bouton de fraise. Vert d'eau. Tout petit. Qu'est-il la veille ? Plus petit. L'avant veille ? Minuscule. Une semaine avant ? En puissance / Non-être ? Verbe...
Une fraise. Tombée à terre. Rouge violet. Décharnée. Qu'est-elle le lendemain ? Desséchée. La semaine suivante ? Souvenance / Non-être ? Verbe...
Homo faber. "Passe moi une clé de 12". Le verbe permet de fabriquer. La poésie est un genre de fabrique. La métaphysique est un genre de poésie.
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benfifi- Modérateur
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Date d'inscription : 08/12/2018
Re: Du pseudo-parricide de Platon dans le "Sophiste", et donc de l'Etant.
vous, ramenez pas votre fraise, hein !
denis_h- Digressi(f/ve)
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Date d'inscription : 24/11/2020
Re: Du pseudo-parricide de Platon dans le "Sophiste", et donc de l'Etant.
Je note l'humour. Bien envoyé !
benfifi- Modérateur
- Nombre de messages : 877
Date d'inscription : 08/12/2018
Re: Du pseudo-parricide de Platon dans le "Sophiste", et donc de l'Etant.
neopilina a écrit:hks a écrit:Succulent :Deleuze a écrit:Au tout début de la " Phénoménologie de l'esprit ", il est évident à tout lecteur que Hegel fait un tour de passe-passe, un tour de saltimbanque, qu'il appellera effrontément dialectique. Car qu'est-ce qu'il nous dit ? Pour montrer que les choses sont prises dans un mouvement, dans un mouvement ininterrompu qui est le propre de la dialectique, pour montrer que les choses sont soumises à une espèce de mouvement de l'auto-dépassement, qu'est-ce qu'il va faire ? A t-on jamais été plus sournois ? Il nous dit ceci, il nous dit partons de ce qui est le plus sûr. Imaginez, on fait un dialogue des morts. Pensons qu'Hegel explique ça justement à des philosophes anglais, vous avez dit vous mêmes, quand est-ce que les anglais vont commencer à rire. Hegel dit avec sa gravité, je retire tout ce que je viens de dire sur Hegel, c'est évident que c'est un immense génie, mais enfin, qu'est-ce que vous voulez ? Suivez-moi bien, il nous raconte une histoire qui parait très belle, très convaincante, il dit, voilà, il y a la certitude sensible, la conscience empêtrée, c'est le départ de la " Phénoménologie de l'esprit ", la conscience enlisée dans la certitude sensible, et elle dit, le sensible, c'est le dernier mot des choses, là, les philosophes anglais peuvent se dirent, il est déjà en train de nous trahir cet allemand, il est déjà en train de nous trahir [sic], mais à la limite, ils diraient, oui, peut être que nous on peut dire ça, on a dit ça, oui, la certitude sensible, elle est première et dernière, c'est en effet un thème qui parcourt ce qu'on appelle l'empirisme. Et comme chacun sait, l'empirisme est anglais. Bon, alors, voilà, la conscience prise dans la certitude sensible, elle épouse la particularité, la singularité, et Hegel, splendide, analyse la singularité, et va montrer que c'est une position intenable parce qu'on ne peut pas faire un pas sans pressément dépasser ce stade de la certitude sensible. Et pour le montrer, il dit voilà, la conscience sensible est comme déchirée, ça va être ce déchirement qui va être le premier stade de la dialectique de la " Phénoménologie de l'esprit ", elle est comme déchirée car elle croit saisir le plus particulier, et en même temps elle ne saisit que l'universel abstrait. Pourquoi elle croit saisir le plus particulier ? Elle croit viser le plus particulier dans le sensible et elle l'exprime en disant ceci, ici et maintenant, mais comme dit Hegel qui à ce moment là devient presque, presque [sic] rieur, alors qu'il n'en a pas l'habitude, ici et maintenant, c'est l'universel vide puisque c'est le tout moment de l'espace, de tout le ... zut ... non ..., de tout lieu de l'espace, que je dis ici, et c'est le tout moment du temps que je peux dire maintenant. Au moment même où je crois saisir le plus singulier, je ne saisis que la généralité vide et abstraite.
Extrait d'un cours, " Anti-Oedipe et autres réflexions ", séance 2, Université Paris-VIII (Vincennes), 3 juin 1980.
Je n'ai jamais rien entendu d'aussi bon, clair et court sur cette fameuse " Préface ", qui est l'assise de l'hégélianisme, ça mériterait d'être développé dans un essai. Deleuze dit " tour de passe-passe ", je plussoie à fond, et " sournois ". Je ne dirais pas " sournois ", je dirais qu'Hegel est tellement convaincu de la pertinence de sa position, qu'il pense qu'il va forcément trouver une, " la ", solution, la " vérité " qui fonde sa position. Et c'est ce qu'il fait avec cette " Préface ". De même chez Marx, les textes décisifs sont ce qu'on appelle aujourd'hui les " Manuscrits de 1844 ". Le jeune Marx pur produit de l'Académie allemande et hégélienne, a bien compris que son propos ne peut pas s'inscrire dans l'hégélianisme, il lui faut trouver une solution pour en sortir, et on le voit la chercher dans ces " Manuscrits ". Dans les deux cas, après ces textes, Hegel et Marx peuvent dérouler mécaniquement leur discours.
Hegel est un génie, oui. Mais tout l'hégélianisme est une scholie au cogito en l'état. C'est une ivresse chez Hegel. A propos du cogito en l'état, c'est à dire qui a mis les choses à l'envers, Hegel a écrit, entre autres, donc, je cite : " Terre ! " Robinson fut moins enthousiaste. Hegel n'est pas un prisonnier comme les autres du cogito en l'état, il le revendique, il en est le plus grand promoteur. Quant au jeune Marx, il ne comprend pas qu'il n'est pas prisonnier de l'hégélianisme mais du cogito, dont l'hégélianisme est un développement forcené. Et donc dans ses " Manuscrits ", il claque la porte comme il peut, et ce en faisant une perte monstrueuse, constitutive de ce que je nomme le " Bolide marxiste ", le volet positif du cogito, la conscience de Soi. Le résultat ne peut être que tragique. Et on l'a effectivement assez vu.
hks a écrit:Ce dont parle Deleuze est plutôt bien expliqué dans cette leçon de Jean-François Marquet : Jean-François Marquet, " Leçons sur la Phénoménologie de l’esprit de Hegel ", Editions Ellipses, Paris 2004, pp. 39-48. Un extrait de la leçon III, consacrée à la certitude sensible : https://www.coin-philo.net/p_hegel.JFM.cs.pdf
Dont j'extraie ceci, je souligne, page 42 :
Marquet a écrit:Reste que, dit Hegel, " c'est le langage qui est le plus vrai ", c'est lui qui a raison et, par conséquent la certitude sensible, à peine proposée, s'évanouit devant une autorité supérieure. Hegel dit d'ailleurs de la parole, page 92/I 92, qu'Et c'est cette inversion qui va mettre en marche tout le processus de la philosophie.Hegel a écrit:elle a la nature divine d'inverser immédiatement mon avis (Meinung) pour le transformer en quelque chose d'autre.
Et ceci, page 43 :
Marquet a écrit:Voilà par conséquent comment on peut résumer ce premier moment de la Phénoménologie de l'Esprit : la Phénoménologie de l'Esprit démarre par ce qu'on peut appeler le ratage du singulier, le ratage du ceci ; le ceci est certain, mais cette certitude, je ne peux l'exprimer, elle s'évapore le temps de dire quelque chose d'universel. Il y a donc comme une impuissance constitutive du singulier immédiat à s'inscrire dans l'élément du signifiant, c'est-à-dire dans l'élément de la vérité.
Et benfifi, qui fait semblant de rester englué :
benfifi a écrit:Une fraise. La fraise. Une, la ? Verbe.
Une fraise. Sur le fraisier. Vermillon. La tige cordon ombilical lien de transmission de la vie. Une fois cueillie est-ce la même fraise ? Oui, non ? Verbe.
Une fraise. Au début. Un bouton de fraise. Vert d'eau. Tout petit. Qu'est-il la veille ? Plus petit. L'avant veille ? Minuscule. Une semaine avant ? En puissance, Non-être ? Verbe.
Une fraise. Tombée à terre. Rouge violet. Décharnée. Qu'est-elle le lendemain ? Desséchée. La semaine suivante ? Souvenance, Non-être ? Verbe.
benfifi a écrit:Si rien ne bouge, ne change, ne s'altère, alors pas de distinction, pas d'êtres, pas de mémoire, pas de temps, pas de verbe, pas grand chose.
Si tout bouge, change, s'altère, alors pas de distinction non plus, impossible de fixer, pas de mémoire, pas de temps, pas de verbe, pas grand chose.
Hé ben ! On n'est pas rendu, comme aurait dit ma grand-mère ! Nous voilà revenu à l'objection formulée par Héraclite, et ce via le tête à queue cartésien ! Petits préalables. Si l'objection vaut, certains y sont encore, il n'empêche, Héraclite le premier " sait " qu'il y a forcément une solution. Tout devient, passe, certes, il n'empêche qu'on sait tous bien, aussi bien que possible pour commencer, c'est à dire de façon expérimentale, que la connaissance est possible. Et avant de dire " connaissance ", j'aurais dit " vie ". Un organisme vivant est tout entier une interface avec son environnement qui lui permet de vivre sa vie, pour commencer, comme dit Deleuze, on est dans l'empirisme. Ensuite, toujours rendre à César ce qui revient à César. L'inversion qu'Hegel tente de dire, d'élucider, etc., dans sa " Préface ", il y croit dur comme fer : il y a forcément une solution, et il la cherche. Mais cette inversion, ce " tour de passe-passe ", comme dit Deleuze, c'est Descartes qui la fait, avec le cogito en l'état, sans le faire exprès, et il s'en effrayera lui-même. Hegel se montre un plus grand adepte du cogito que Descartes lui-même qui prendra grand soin de ne pas réutiliser la formule du " Discours ", trop tard donc, le mal était fait, sans aucun doute possible l'épisode le plus affligeant qui soit de la philosophie occidentale, s'il n'y a avait eu la conquête philosophique de la conscience de Soi. Je reprends une expression citée ci-dessus de Marquet à propos d'Hegel, " le ratage du ceci ". Heureusement que c'est faux : tout ce qui vit serait dans de très mauvais draps. Non, il n'y a que nous, notre espèce, pour nous attarder (voir s'engluer) ainsi. Oui, dans tous les singuliers, il y a tout l'universel possible pour nous, mais ce si je prends la peine à la suite d'y penser, ce qui n'est pas le cas le plus fréquent, il y a un tri, a priori précisera t-on dans le cas de notre espèce. Scientifiquement, biologiquement, dit, un être vivant, tant qu'il vit, génère un flot continu de perceptions, de sensations, etc., etc., etc., etc, et ce d'abord pour vivre sa vie. On passe à la version " philosophiquement dit ", un être vivant, tant qu'il vit, génère un flot continu d'Etants, cogito, les Siens. Et l'immense majorité d'entre eux va disparaitre aussi vite qu'elle est apparu sans qu'on y eut prêté la moindre attention, mais elle aura fait son office a priori. La vraie question, c'est est-ce qu'un Etant qui a disparu est devenu ? Oui. Mais il faut préciser : est-ce qu'il est devenu intrinsèquement ? Non. Ontologiquement, dialectiquement, philosophiquement, il sera toujours ce qu'il a été pour moi quand je l'ai généré, c'est cette intégrité qui le constitue, lui permet de faire sens et/ou Sens, et en permet l'usage a posteriori. Si pour telle ou telle raison, je décide d'y prêter attention, c'est bien lui que je vais examiner, manipuler, traiter, etc. Et c'est ce que tout être vivant fait, avec ses moyens propres, d'abord pour vivre sa vie. Parce que si tout devient, passe, ce n'est tout de même pas n'importe comment, et cela même fait l'objet d'une foule de connaissances. Le monde physique est sensé et les Mondes des Sujets sont Sensés. Il y a une intégrité ontologique, dialectique, philosophique, de l'Etant, qui permet à la vie de perdurer, de savoir, de connaître, etc. Alors, comme j'ai un peu d'avance en ontologie, il y a bien quelques questions qui résistent de façons coriaces. Par exemple, combien de temps ça dure un Etant ? In fine, on termine devant cette aporie : combien de temps ça dure un instant ? Etc.
Edité le 24/05/ 2022 : collation en parallèle de l'enregistrement de Deleuze et de la retranscription que je fournis. A la fin, il a une hésitation, le " zut ", mais il reprend le fil. Son erreur réside dans l'association de " moment " et " espace " qui précède le " zut ", ensuite, il corrige, et c'est bon.
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" Tout Étant produit par moi m'est donné (c'est son statut philosophique), a priori, et il est Mien (cogito, conscience de Soi, libéré du Poêle) ". " Savoir guérit, forge. Et détruit tout ce qui doit l'être ", ou, équivalents, " Tout l'Inadvertancier constitutif doit disparaître ", " Le progrès, c'est la liquidation du Sujet empirique, notoirement névrotique, par la connaissance ". " Il faut régresser et recommencer, en conscience ". Moi.
C'est à pas de colombes que les Déesses s'avancent.
neopilina- Digressi(f/ve)
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Re: Du pseudo-parricide de Platon dans le "Sophiste", et donc de l'Etant.
Je bascule sur le fil "Du langage" pour répondre.
benfifi- Modérateur
- Nombre de messages : 877
Date d'inscription : 08/12/2018
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