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Le projet kantien est-il délirant?

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Message par euthyphron Dim 27 Jan 2013 - 12:24

Suite à une suggestion de Bergame, je reproduis ici mon accusation aventureusement portée à l'encontre du grand homme dans le sujet "Pourquoi des philosophes?". Ce ne sera pas un traité, mais juste un point de départ, afin de ménager ma paresse légendaire grâce à laquelle j'ai jusqu'à présent réussi à économiser les ressources de mon esprit.
Je pensais à l'idée de procéder à une critique complète de la faculté de connaître opérée par elle-même. Critique aboutissant à tracer la frontière entre le connaissable et l'inconnaissable, et qui s'interdit, pour éviter tout dogmatisme, de recourir à toute idée d'un enseignement de l'esprit par l'être, ou la nature si vous préférez. Ce qui ressemble fort à un cercle : pour délimiter le connaissable, d'abord postuler l'impossibilité de connaître au-delà des phénomènes. Pas question, par exemple, de dire que si je suis capable de reconnaître une pomme alors que je n'ai encore jamais vu cette pomme-ci, et qu'il y en a tant de variétés, c'est qu'il faut bien qu'il y ait une forme intelligible de la pomme. On préfèrera scruter les mystères du schématisme de l'imagination. Et je me demande quel est le statut du narrateur de cette histoire.

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Message par Chut Dim 27 Jan 2013 - 12:37

Chouette, un sujet d'Euthyphron ! :D

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Message par Bergame Dim 27 Jan 2013 - 13:37

Alors pour ma part, je ne comprends pas tout à fait les choses comme ça.
D'abord, l'impossibilité de connaître au-delà des phénomènes n'est pas un postulat (donc disons : pour la raison théorique), c'est selon moi un constat (empirique). Pour Kant, il me semble que de l'adéquation de l'objet avec les conditions formelles de l'expérience (= l'intelligible, je crois) on ne peut conclure qu'à la possibilité de connaitre. La connaissance du réel dérive de l'adéquation avec les conditions matérielles de l'expérience, à savoir les sens.

Ca a un sens très net pour moi, je prends un exemple : Au cours de nos discussions sur Philoforum, AntiSubjectiviste, doctorant en physique à cette époque, me disait qu'aujourd'hui, en mathématiques, on ne travaille pas sur des objets à 3 dimensions (bien entendu), on ne travaille plus sur des objets à 4 ou 5 dimensions, on travaille sur des objets à n dimensions. Une infinité de dimensions. Prosaïquement dit, cela signifie qu'en somme, et formellement, tout est vrai. Lorsque des scientifiques font le buzz en disant que le voyage dans le temps est possible, ils veulent dir en gros que les théories mathématiques sont là qui démontrent que, effectivement, c'est possible. Le problème est : Parviendrons-nous un jour à développer les technologies qui nous permettront de vérifier empiriquement ces théories ? Parce que tant que nous ne les vérifions pas empiriquement, cela reste effectivement du domaine du possible, et non du réel.
Or, le up-to-date en la matière, le LHC du CERN, a été construit pour vérifier prioritairement une série d'hypothèses qui date des années 60. Entretemps, la recherche en physique formelle s'est plutôt pas mal portée et a poussé très loin ses développements. Mon idée est que plus les théories de physique formelle (mathématiques, donc) deviennent sophistiquées, plus les technologies requises pour les vérifier sont coûteuses et gourmandes en énergie. Et qu'il y a donc un écart, grandissant, entre les conditions formelles de l'expérience, la connaissance intelligible si l'on veut, et les conditions matérielles de l'expérience. Cet écart, selon moi, et pour l'instant, donne raison à Kant, pour ce que j'en comprends.

Je ne comprends pas bien ta remarque sur la pomme. Les catégories ne se constituent pas à partir de l'expérience, si c'est ce que tu veux dire, puisqu'elles sont a priori. En revanche, elles sont les conditions de connaissance de tout objet donné dans l'expérience, y compris une pomme -me semble-t-il.

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Message par Geo Rum Phil Dim 27 Jan 2013 - 16:14

Bergame a écrit:
Ca a un sens très net pour moi, je prends un exemple : Au cours de nos discussions sur Philoforum, AntiSubjectiviste, doctorant en physique à cette époque, me disait qu'aujourd'hui, en mathématiques, on ne travaille pas sur des objets à 3 dimensions (bien entendu), on ne travaille plus sur des objets à 4 ou 5 dimensions, on travaille sur des objets à n dimensions.

Un doctorant en physique qui travaille sur des objets à n dimension, et qui a choisi un pseudo AntiSubjectiviste à deux dimensions ! ...voilà, voici, quelque chose de suspect ! La valise du Philoforum avec toutes les participations est devenu sa propriété privée Objectiviste à n dimensions !

Variétés de pomme de terre à n dimension Wink
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Message par euthyphron Dim 27 Jan 2013 - 17:09

Bergame a écrit:D'abord, l'impossibilité de connaître au-delà des phénomènes n'est pas un postulat (donc disons : pour la raison théorique), c'est selon moi un constat (empirique).
Ce n'est pas un constat, c'est une thèse métaphysique, de cette métaphysique qui peut se constituer comme science une fois qu'elle a adopté le point de vue transcendantal. Mais quittons le jargon kantien. La proposition "on ne peut connaître que les phénomènes" est double : 1) ce qui est au-delà du monde phénoménal est inconnaissable. 2) les phénomènes sont connaissables. Ni 1 ni 2 ne peuvent être prouvées que de façon circulaire, donc en ayant postulé par avance ce que l'on prétend démontrer.
Par exemple, selon Kant la loi morale prouve la liberté, car qui est face à un choix moral, quand bien même en théorie il serait un fieffé déterministe, ne peut que faire comme s'il était libre. C'est, semble-t-il, un bel exemple de démonstration phénoménologique. Je lis cela, je comprends, c'est vrai, donc c'est une connaissance, non? Eh bien non, pas pour Kant, car cela concerne le monde nouménal, donc il faut l'intégrer dans la catégorie des postulats. Cette modestie kantienne serait tout à son honneur si on ne nous refourguait pas en même temps, dans la même catégorie, l'immortalité de l'âme et l'existence de Dieu comme souverain juge. Du coup, on ne sait plus. C'est vrai tout ça, ou bien ce n'est pas forcément vrai mais il faut le croire, ou bien quoi? Il est pourtant clair qu'on ne peut effectivement choisir sans faire au moins comme si on pouvait choisir, alors qu'on peut agir moralement sans croire à une récompense posthume. La modestie kantienne dégénère en fidéisme, j'eusse préféré qu'il distinguât hardiment ce qui se démontre de ce que l'on espère.
Quant à dire que les phénomènes sont connaissables, cela présuppose que l'on ait admis le modèle de connaissance qui nous est proposé, à savoir la possibilité d'être subsumé sous une loi. Qu'être connaissable, ce soit pouvoir être subsumé sous une loi, n'est pas un constat.
Bergame a écrit:
Je ne comprends pas bien ta remarque sur la pomme. Les catégories ne se constituent pas à partir de l'expérience, si c'est ce que tu veux dire, puisqu'elles sont a priori. En revanche, elles sont les conditions de connaissance de tout objet donné dans l'expérience, y compris une pomme -me semble-t-il.
Mais la pomme n'est pas une catégorie. Ni la pomme, ni l'essence de la pomme. C'est pour cela que Kant nous gratifie du si difficile chapitre sur le schématisme de l'imagination, afin qu'un pont soit établi entre les catégories et la réalité telle que je la perçois. Il s'agit non seulement d'expliquer comment les catégories de l'entendement peuvent s'appliquer à la diversité des phénomènes, mais aussi d'éviter que l'on puisse croire reconnaître une pomme parce qu'on aurait perçu la forme intelligible de la pomme incarnée dans ce fruit-ci.
L'enjeu de tout ceci est de réduire la connaissance à la connaissance scientifique, celle-ci étant pensée sur le modèle newtonien, présumé définitif. Pour cette raison, je tiens Kant pour un de ces philosophes qui espéraient mettre fin à la philosophie, l'ambition avouée étant d'ailleurs de mettre fin au conflit de la raison avec elle-même, donc à la dialectique. Et sans dialectique, que reste-t-il à la philosophie?

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Message par Geo Rum Phil Dim 27 Jan 2013 - 18:21

euthyphron a écrit: Pour cette raison, je tiens Kant pour un de ces philosophes qui espéraient mettre fin à la philosophie, l'ambition avouée étant d'ailleurs de mettre fin au conflit de la raison avec elle-même, donc à la dialectique. Et sans dialectique, que reste-t-il à la philosophie?

...les sophismes (la paradoxologie)...qui sont allergiques à la dialectique Wink

Ce n'est pas la faute de la dialectique que la raison est en conflit avec sa part déraisonnable (-raison) d'elle même; par contre son rôle, de la dialectique, est le dépassement de toute opposition. La synthèse englobant l'oposition entre la thèse et l'antithèse, etc.

Chez Aristote et chez Kant, la dialectique est l'analyse ayant pour objet les raisonnements partant de prémisses probables (logique de l'apparence) par opposition à l'analytique se fondant sur des prémisses certaines (logique de la réalité). Dialectique transcendantale.

La dialectique est une analyse des illusions fondamentales de l'homme, inévitables, réapparaissant toujours.
(M. Alexandre, Lecture de Kant)
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Message par cedric Mar 29 Jan 2013 - 13:57

Ca voudrait dire que le travail de Kant dans la critique de la raison pure constituerait une sorte de phénoménologie des structures du psychisme, des grandes règles de fonctionnement du psychisme dans son aspect rationnel ( car Kant ne traite pas une seconde de ce qu'on pourrait appeler l'inconscient non ? ).




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Message par euthyphron Mar 29 Jan 2013 - 15:02

C'est bien ainsi que je le lis, en effet. :D

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Message par Chut Mar 29 Jan 2013 - 19:15

euthyphron a écrit:Pas question, par exemple, de dire que si je suis capable de reconnaître une pomme alors que je n'ai encore jamais vu cette pomme-ci, et qu'il y en a tant de variétés, c'est qu'il faut bien qu'il y ait une forme intelligible de la pomme.
Si je comprends bien il est donc question pour toi de postuler l'existence d'un objet appelé "forme intelligible de la pomme" pour expliquer la capacité d'un être à dire : "tiens, voilà une pomme", devant une pomme dont il n'a jamais vu que ses soeurs ?
Peux-tu stp préciser un peu ce que tu entends par "forme intelligible de la pomme" ?

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Message par euthyphron Mar 29 Jan 2013 - 21:18

Je crois bien au contraire qu'il n'y a rien à postuler. Une pomme est une pomme, si tu vois ce que je veux dire.
Mais là où l'opinion s'en contente, car pourvu qu'elle ne soit pas véreuse, l'avoir reconnue comme pomme devrait suffire à la traiter en comestible, le curieux peut s'interroger sur le paradoxe de la reconnaissance de quelque chose qu'on n'a encore jamais vu. Car cette pomme-ci, on ne l'a jamais vue.
Elementaire, dira le bon sens! Je reconnais une pomme à ce qu'elle ressemble à une autre pomme. Le bon sens a raison. C'est bien ainsi que je reconnais une pomme. Mais la question est de savoir ce qui fait que l'on saisit la ressemblance entre ce fruit-ci rouge, dense et charnu, et qui pousse dans mon verger, et cet autre, jaune et flétri, plus petit, que j'ai vu au supermarché.
La réponse est dans Kant. Il faut lire le chapitre sur le schématisme de l'imagination. Il ne faut pas me demande d'expliquer, c'est trop difficile pour moi.
C'est pourquoi je me contente provisoirement, en attendant d'avoir fini mes études, d'une réponse plus simple : je reconnais que ceci est une pomme parce que ça s'appelle une pomme, comme je reconnais un poisson dans un parallépipède orangé et blanc à l'intérieur. La vraie question est alors de savoir ce que veulent dire les mots. C'est la bonne vieille querelle des universaux. Le mot fabrique-t-il insidieusement l'idée de pomme, alors qu'il n'existe que des individus? Ou bien faut-il qu'il y ait une réalité de l'espèce "pomme" qui fait qu'on peut ainsi la nommer? Je n'en sais rien, mais quand je n'en sais rien j'en reste provisoirement au sens commun.

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Message par Chut Mer 30 Jan 2013 - 19:01

Petites remarques sur la ressemblance des pommes.

On pourrait dire pour commencer qu’une pomme ne ressemble pas à une autre pomme, que c’est notre perception d’une pomme qui peut éventuellement ressembler à notre perception d’une autre pomme.

Ensuite on ne reconnait pas une pomme qu’on n’a jamais vue, on la découvre, la connait, et on la nomme du même nom en fonction d’une ressemblance.

La ressemblance, c'est le bon sens, certes.

Mais on peut aussi dire que la ressemblance n’existe pas. Cool

Ce qui existe, c’est l’identique et un jeu sur l’identique.
Ce qu’on appelle ressemblant n’est que de l’identique à un certain pourcentage près, une donnée relative. C’est l’identique le concept fort dans cette histoire.

En passant, mon impression est que Kant met un peu de côté tout le travail qui s’effectue, et accessoirement le temps que ça prend, entre l’être et l’objet. Il faudrait aussi parler du travail de « synthèse », mais ici je considère juste le travail qui concerne le rapport au concept, le travail qui amène à dire d’une pomme qu’on n’a jamais vue que c’est une pomme.

Je propose que, et ce grâce à un outil de néantisation adéquat (qui n’est peut-être pas sans parenté avec un certain daimôn haha) ce travail s’établit ainsi : primo : néantisation de ce qui n’est pas l’objet, découpage de l’objet dans le paysage du réel, l’objet (ou le phénomène objet si on veut) se place sous la perception, secundo : néantisation progressive par la pensée de différentes qualités, qui peut aussi comporter en particulier la variation des dimensions et orientations spatiales originelles, jusqu’à obtenir un objet identique à celui qu’on a en magasin, identique dans le sens où il se comporte comme une clé qui ouvre, un code activateur de la boîte concept (ou plutôt idée) de pomme, car mon opinion est que quand on pense à une pomme en général, on ne pense pas à une pomme en général, c'est-à-dire à quelque chose qui ressemble forcément à une pomme, on pense à une clé , on met en état d'alerte une activation qui peut initier un processus permettant d’accéder à des pommes définies dans la mémoire, la clé pouvant effectivement se réduire à un nom, mais aussi à une sorte de schéma simplifié subjectif en mémoire, ou d’autres choses encore, une odeur, un goût etc ... Dès que par ce travail intellectuel de néantisation-variation des qualités et détails originaux on accède à ce schéma simple et subjectif, alors la cloche s’agite.

On pourrait en dire autant du fameux triangle, l’observation d’un triangle nécessite un travail, la rapidité ne doit pas faire illusion sur une absence de travail ou un processus de synthèse automatique, avant de pouvoir dire : c’est un triangle, il faut se connecter et travailler la représentation.

On s’en rend mieux compte pour un carré qui penche. jocolor

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Message par Bergame Jeu 31 Jan 2013 - 14:14

euthyphron a écrit:
Bergame a écrit:D'abord, l'impossibilité de connaître au-delà des phénomènes n'est pas un postulat (donc disons : pour la raison théorique), c'est selon moi un constat (empirique).
Ce n'est pas un constat, c'est une thèse métaphysique, etc.

Il y a tellement de choses dans ce que tu dis là.
D'abord, ne pas oublier que Kant, à l'origine, est un physicien. Enfin, c'est comme cela qu'il commence sa carrière académique. Donc ne pas mettre la charrue avant les boeufs et la métaphysique avant la physique. Je suis toujours gêné quand on envisage la Critique comme une construction strictement intellectuelle. La Critique est une enquête. En l'occurence, 1 et 2 n'ont pas à être "prouvés", ils sont simplement constatés, et ce constat, tu peux le faire aussi.

Par ailleurs, je ne crois pas du tout que le but de Kant soit de mettre fin au conflit de la raison avec elle-même, du moins il faudrait s'entendre sur ce qu'on entend par là. Parce que par exemple, Hegel reproche précisément à Kant de rendre manifeste le conflit de la raison avec elle-même, et d'en rester là. Et c'est effectivement dialectiquement que Hegel prétend dépasser ce conflit.

On pourrait donc dire que Kant propose une autre solution, qui serait que la raison reste dans certaines limites. Mais moi, je ne vois pas ce que ça a de délirant, et même, au contraire, cela suggère que la raison peut sombrer dans le délire, la Schwärmerei. Et oui, je pense que c'est une importante leçon de Kant. Sans doute que, pour Kant, c'est Hegel qui aurait été un peu délirant.
Mais enfin, comme l'a suggéré très opportunément cédric, je ne crois pas que Kant et Hegel aient la même représentation de la raison.

Maintenant, je crois comprendre ta critique de la pomme ainsi : Kant ne pense pas l'aller-retour entre contenu empirique et catégorie formelle. Ses catégories étant a priori, elles sont supposées rester identiques à elles-mêmes, et il n'est pas prévu d'évolution structurelle, en quelque sorte. Quelque chose comme ça ? Si c'est le cas, je suis d'accord, mais j'avoue que je ne vois pas ce que ce défaut porte en lui de délirant.

Enfin, les considérations sur l'immortalité de l'âme, etc. je ne comprends vraiment pas pourquoi cela bloque autant de gens. Je ne suis pas croyant, et pourtant, ça ne me pose aucun problème. Et il me semble que Kant répond assez clairement à tes questions : Ce sont des postulats pour la raison théorique, et des idées directrices pour la raison pratique. Ce qui signifie à peu près : Quand on agit bien, on agit comme si on partait du principe que l'âme est immortelle. Mais comment pourrait-on savoir que l'âme est effectivement immortelle ?

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Message par cedric Jeu 31 Jan 2013 - 15:44

Je crois que je comprends mieux dans son ensemble ta position, Bergame, vis à vis de Kant et vis à vis de ce que tu appelles si je ne me trompe pas une " anthropologie psychologiste ". Et je me rappelle qu'il y a quelques années tu avais formulé une critique de Kant que je n'avais pas comprise, et qui consistait à dire que certaines catégories a priori postulées par Kant ( en gros pour les termes car je ne maîtrise pas la terminologie kantienne sur le bout des doigts ) avaient été infirmées par l'évolution des sciences.

Et maintenant je pense comprendre, donc ta critique revient à dire, et c'est intéressant : certaines structures a priori postulées par Kant comme étant des a priori de la raison pure, c'est à dire des catégories invariables, sont en réalité des catégories qui se sont modifiées. Ce qui montre qu'en réalité, croyant parler de catégories de la Raison, Kant parlait sans le savoir de catégories du psychisme, c'est à dire de quelque chose de variable.

Dans cette optique, il serait intéressant de relire Kant et de faire le tri entre ce qui peut prétendre aux catégories de la raison et ce qui ne peut prétendre qu'aux catégories du psychisme. ( Par exemple la causalité paraît suffisamment solide pour ne pas qu'être un a priori du psychisme. Encore que... )

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Message par euthyphron Jeu 31 Jan 2013 - 16:53

Bergame a écrit: La Critique est une enquête. En l'occurence, 1 et 2 n'ont pas à être "prouvés", ils sont simplement constatés, et ce constat, tu peux le faire aussi.
Mais non, je t'assure, je ne le peux pas. Un constat suppose une vérification empirique possible. Il n'est pas possible de vérifier empiriquement que le connaissable se réduise au phénoménal, ni que le phénoménal soit connaissable. On ne peut l'établir que de façon circulaire. Ou s'il a un moyen empirique de le vérifier, qu'on me l'indique.
Bergame a écrit:Par ailleurs, je ne crois pas du tout que le but de Kant soit de mettre fin au conflit de la raison avec elle-même, du moins il faudrait s'entendre sur ce qu'on entend par là. Parce que par exemple, Hegel reproche précisément à Kant de rendre manifeste le conflit de la raison avec elle-même, et d'en rester là. Et c'est effectivement dialectiquement que Hegel prétend dépasser ce conflit.
Je vois plutôt l'opposition Kant-Hegel à partir de l'opposition résoudre-dépasser. Et sur ce point je suis clairement du coté de Hegel. Pour les défauts de ce dernier, son tour viendra peut-être.
Bergame a écrit:On pourrait donc dire que Kant propose une autre solution, qui serait que la raison reste dans certaines limites. Mais moi, je ne vois pas ce que ça a de délirant, et même, au contraire, cela suggère que la raison peut sombrer dans le délire, la Schwärmerei.
Tout à fait d'accord sur tous ces points. Ce que tu ne vois pas et qui serait potentiellement délirant (mais je ne tiens pas à ce terme, c'est juste pour attirer le chaland :pirat: ) c'est l'idée de déterminer par la raison pure les limites de la connaissance rationnelle, une fois pour toutes. C'est de mettre fin à la philosophie, à la fois en limitant ses possibilités et en lui donnant le pouvoir de légiférer universellement.
Bergame a écrit:Maintenant, je crois comprendre ta critique de la pomme ainsi : Kant ne pense pas l'aller-retour entre contenu empirique et catégorie formelle. Ses catégories étant a priori, elles sont supposées rester identiques à elles-mêmes, et il n'est pas prévu d'évolution structurelle, en quelque sorte. Quelque chose comme ça ? Si c'est le cas, je suis d'accord, mais j'avoue que je ne vois pas ce que ce défaut porte en lui de délirant.
Non, ce n'est pas exactement cela. C'est de se débarrasser du sens commun, en substituant à l'évidence première (je reconnais la forme de la pomme) une prétendue description, remarquable par ailleurs, du schématisme de l'imagination. Le gain supposé, se débarrasser de toute compromission métaphysique, me paraît totalement illusoire. Nous sommes plus que jamais dans la métaphysique, simplement c'est une métaphysique construite, systématique, et qui ne rend plus raison du sens commun. Je le dis autrement: j'aime pas quand je comprends pas, sauf si on m'explique. Et personne n'arrive à m'expliquer la partie consacrée à l'analytique des principes. Je me demande tout simplement si le grand secret est que personne n'y comprend rien.
Bergame a écrit:Enfin, les considérations sur l'immortalité de l'âme, etc. je ne comprends vraiment pas pourquoi cela bloque autant de gens. Je ne suis pas croyant, et pourtant, ça ne me pose aucun problème. Et il me semble que Kant répond assez clairement à tes questions : Ce sont des postulats pour la raison théorique, et des idées directrices pour la raison pratique. Ce qui signifie à peu près : Quand on agit bien, on agit comme si on partait du principe que l'âme est immortelle. Mais comment pourrait-on savoir que l'âme est effectivement immortelle ?
Ce n'est pas un blocage, c'est une dénégation! Non, quand on agit bien, on n'agit pas comme si l'âme était immortelle. Cette vie peut suffire. Et ce n'est pas équivalent au postulat de la liberté, pour la raison que j'ai indiquée, qui est qu'il faut bien faire comme si nous étions libres pour agir moralement. La solidarité entre la croyance en un au-delà et la valeur morale n'est pas du tout démontrée. Or, c'est cette solidarité qui, seule, pourrait autoriser à postuler l'immortalité de l'âme. Postuler ne veut pas dire parier, dans la perspective de Kant, ni opiner. Postuler, c'est exiger que ce qui est postulé soit admis sans démonstration.

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Message par Bergame Jeu 31 Jan 2013 - 17:47

D'ailleurs, je dois confondre ! Postulats pour la raison pratique, idées directrices pour la raison théorique, ça me parait mieux.

Pour ma part, je suis clairement du côté de Kant. Les critiques de Hegel n'ont de sens qu'à partir des postulats de Hegel -bien entendu.

Je te proposerais bien d'essayer, mais j'ai déjà cru constater qu'en matière éthique, tu étais assez dogmatique Wink
Brûlons donc les étapes, et admettons le principe de la réciprocité comme fondant une éthique universelle. Ce principe nous informe (éventuellement) de ce que nous devons faire dans une situation donnée ? Soit. Mais une fois connu ce que nous devons faire, qu'est-ce qui nous oblige, en ce monde, à le faire effectivement ? Pourquoi agissons-nous bien, tout simplement ?


Tout à fait d'accord sur tous ces points. Ce que tu ne vois pas et qui serait potentiellement délirant (mais je ne tiens pas à ce terme, c'est juste pour attirer le chaland ) c'est l'idée de déterminer par la raison pure les limites de la connaissance rationnelle, une fois pour toutes. C'est de mettre fin à la philosophie, à la fois en limitant ses possibilités et en lui donnant le pouvoir de légiférer universellement.
Je crois surtout que le problème, c'est que personne n'aime le concept de limite.
L'idée, je crois, est que la philosophie n'est rien d'autre qu'une activité humaine, et que l'homme est limité. Il ne s'agit pas de limiter la philosophie, ni de limiter la connaissance, il s'agit de dire que la connaissance est limitée, parce que l'homme est limité, et qu'au-delà de cette limite, on spécule.
Et pourquoi pas, d'ailleurs, spéculer, ça n'est pas interdit -et même si ça l'était, on le transgresse toujours tous, allègrement. Il n'empêche qu'il est intéressant de tenter de cartographier ce que nous pouvons connaître.

Mais bon, ça c'est Kant. Moi, je trouve le projet grandiose, et je le trouve toujours d'autant plus grandiose et profitable en constatant les problèmes qu'il soulève. Je trouve tout à fait intéressant que Kant ait eu une si forte conscience d'opérer une révolution copernicienne. Je sais bien qu'il n'utilise pas la formule tout à fait en ce sens, mais moi, ça me rappelle un autre mot, de Freud celui-là, disant que la révolution psychanalytique s'inscrivait dans la lignée de Copernic, de Galilée, de Darwin : Toutes ces avancées intellectuelles engendrent les mêmes réactions : La frustration, la blessure narcissique.
A laquelle je n'échappe pas moi-même, bien entendu. Mais précisément, je trouve grandiose de la part de Kant d'avoir su et pu aller aussi loin dans la construction systématique de son projet et d'avoir su ainsi dominer son esprit, si j'ose dire. Car je crois que c'est cela, le plus difficile.
Bref, je schwärmerei. Wink

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Message par euthyphron Jeu 31 Jan 2013 - 18:13

Bergame a écrit:

Je te proposerais bien d'essayer, mais j'ai déjà cru constater qu'en matière éthique, tu étais assez dogmatique Wink
Brûlons donc les étapes, et admettons le principe de la réciprocité comme fondant une éthique universelle. Ce principe nous informe (éventuellement) de ce que nous devons faire dans une situation donnée ? Soit. Mais une fois connu ce que nous devons faire, qu'est-ce qui nous oblige, en ce monde, à le faire effectivement ? Pourquoi agissons-nous bien, tout simplement ?
Personne n'est moins dogmatique que moi. Je ne suis tellement pas dogmatique que je n'exclus pas qu'un dogme puisse être utile. Mais pas en matière de morale, non. En matière de morale, quelques bons vieux principes hérités d'une bonne éducation devraient suffire à ceux qui ont absolument besoin de régularité dans leur vie. Quelle idée d'en faire des dogmes!
Ceci dit, je ne comprends pas bien tes questions. Si par extraordinaire, car le cas est rare, nous savons ce que nous devons faire, eh bien c'est que nous savons que nous devons le faire, que veux-tu chercher d'autre comme obligation? Donc, tes questions ne s'appliquent qu'aux cas où nous ignorons tout ou partie de notre devoir. Ces cas sont tellement nombreux qu'on ne peut les ramener à l'unité. Citons quelques réponses possibles :
- par hasard
- par grâce
- pour faire plaisir à ceux qu'on aime
- parce que ça change un peu de faire le bien
- pour appliquer la doctrine de Kant
- parce que quelqu'un nous regarde
- par habitude
- pour s'entraîner à triompher de ses penchants, etc...
Bergame a écrit: Il n'empêche qu'il est intéressant de tenter de topographier ce que nous pouvons connaître.
Tout à fait. C'est fascinant, mais impossible. Car c'est la raison pure qui fait la critique de la raison pure. Si l'on n'a pas décidé a priori de ce qu'était une connaissance, on ne peut pas tracer la carte de toute connaissance possible. Et si on l'a décidé, c'est en se permettant un petit hors-limites. Mais je lève alors mon drapeau jaune.

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Message par Bergame Jeu 31 Jan 2013 - 18:47

Ce n'est pas parce que nous savons que nous devons le faire que nous le faisons effectivement. Le criminel n'est pas nécessairement celui qui ignore la loi, c'est aussi celui qui la connaît mais la transgresse. Et d'ailleurs, il ne peut être criminel au sens strict que s'il la connaît -ça n'est pas une leçon de Hegel, cela ?

Mais restons sur tes exemples seulement. Pour Kant, si l'action est conditionnée à la perspective d'un résultat, elle n'est pas "bonne", dans le sens où l'arbitre ne se détermine alors pas de manière autonome. Ca se défend, me semble-t-il : Si tu agis "bien" dans la situation X parce que tu as peur du gendarme, on peut supposer que lorsque le gendarme sera au bois, tu n'agiras pas aussi "bien". De même, si tu agis "bien" parce que tu espères qu'ainsi, tu recevras une gratification quelconque, on peut supposer que lorsqu'il n'y aura pas de récompense à la clé, tu n'agiras pas aussi "bien". Et néanmoins, il y a plein de de situations quotidiennes dans lesquelles on agit bien sans qu'il y ait ni punition ni récompense -en ce monde- à la clé. Alors ?
Habitude ? Oui, mais pour prendre l'habitude à X, il faut bien avoir commencé par faire X régulièrement.
S'entraîner à triompher de ses penchants ? Pour quoi faire ?
Quelqu'un nous regarde ? Et alors ? on l'invite ! :)


Tout à fait. C'est fascinant, mais impossible. Car c'est la raison pure qui fait la critique de la raison pure. Si l'on n'a pas décidé a priori de ce qu'était une connaissance, on ne peut pas tracer la carte de toute connaissance possible. Et si on l'a décidé, c'est en se permettant un petit hors-limites. Mais je lève alors mon drapeau jaune.
Ah ! ben tu vois, on a commencé cette discussion parce que j'évoquais la contradiction qu'il y a à prétendre étudier la pensée au moyen de la pensée. Moi, ce que j'aime, chez Kant, c'est que cette contradiction, il ne l'évite pas, il ne la contourne pas, il ne prétend pas la "dépasser" -ça n'a pas de sens, pour moi, ce "dépassement"- elle est là, il la constate, il la garde en permanence devant les yeux, et il va aussi loin que possible avec ça. Il délimite tout le champ du connaissable, et quand il arrive à la limite, à la contradiction elle-même, il en expose les termes tels quels et il s'arrête : Voila, au-delà, on ne peut plus connaître, on ne peut plus que spéculer. Je trouve cela absolument admirable. L'effort psychique, si je peux parler en ces termes, est, à mon avis, immense. Et moi, je ne suis pas du tout étonné que Kant ait eu une vie extrêmement réglée. Tu m'étonnes ! Le mec devait être un monstre d'auto-discipline. Bref.

Toi, en somme, si je comprends, tu penses que cette contradiction est dépassable et que, dans ce dépassement, la pensée se saisit elle-même. C'est bien cela ? Mais comment tu le conçois ?


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Message par euthyphron Jeu 31 Jan 2013 - 19:10

Bergame a écrit:Ce n'est pas parce que nous savons que nous devons le faire que nous le faisons effectivement. Le criminel n'est pas nécessairement celui qui ignore la loi, c'est aussi celui qui la connaît mais la transgresse. Et d'ailleurs, il ne peut être criminel au sens strict que s'il la connaît -ça n'est pas une leçon de Hegel, cela ?
Tu postules que la loi dit ce que nous devons faire. Evidemment, je ne t'accorderai pas ce postulat.
Bergame a écrit: Pour Kant, si l'action est conditionnée à la perspective d'un résultat, elle n'est pas "bonne", dans le sens où l'arbitre ne se détermine alors pas de manière autonome. Ca se défend, me semble-t-il : Si tu agis "bien" dans la situation X parce que tu as peur du gendarme, on peut supposer que lorsque le gendarme sera au bois, tu n'agiras pas aussi "bien". De même, si tu agis "bien" parce que tu espères qu'ainsi, tu recevras une gratification quelconque, on peut supposer que lorsqu'il n'y aura pas de récompense à la clé, tu n'agiras pas aussi "bien". Et néanmoins, il y a plein de de situations quotidiennes dans lesquelles on agit bien sans qu'il y ait ni punition ni récompense -en ce monde- à la clé. Alors ?
Vraiment? Pas même une petite récompense d'amour-propre? Je suis étonné par ton optimisme. Agir bien en sachant que l'on agit bien, par pur connaissance du bien, me semble admirable mais tellement rare! Si tu entends par agir bien faire quelque chose qui tombe juste, et se trouve au bout du compte plutôt apprécié par l'entourage, alors je veux bien que cela puisse arriver sans qu'il y ait eu la motivation d'une récompense quelconque. Mais je ne vois pas pourquoi un geste habituel, puisque tu prends cet exemple, ne pourrait jamais tomber juste. Et bien sûr qu'une habitude demande une pratique régulière, mais où est la difficulté?
S'entraîner à triompher de ses penchants sert à ne pas en être victime. Ainsi celui qui se sent devenir radin trouvera peut-être la motivation pour réagir par un acte de générosité. Et si quelqu'un nous regarde, cela peut être stimulant. Bref, je ne vois pas où est le problème. Le problème n'existe que si on se représente le bien comme quelque chose de codifié, et qu'il faudrait néanmoins aimer par dessus tout, d'un amour évidemment détaché de toute sensibilité. Cette vision des choses est un autre aspect du délire kantien. Rien n'oblige à s'y contraindre.

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Message par Chut Jeu 31 Jan 2013 - 22:55

Tous vos discours un peu généraux me convainquent pas de grand-chose. Dans le domaine de la connaissance affirmer qu'un projet est impossible est tout aussi délirant que d'affirmer qu'un projet est possible, je n'hésite pas à l'affirmer.
Dire que Kant est délirant n'est-ce pas dire que tout philosophe est délirant ? Spinoza avec ses définitions, ses théorèmes et ses démonstrations c'est pas un délire du même ordre ?

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Message par cedric Ven 1 Fév 2013 - 10:29

euthyphron a écrit:
Bergame a écrit: Il n'empêche qu'il est intéressant de tenter de topographier ce que nous pouvons connaître.
Tout à fait. C'est fascinant, mais impossible. Car c'est la raison pure qui fait la critique de la raison pure. Si l'on n'a pas décidé a priori de ce qu'était une connaissance, on ne peut pas tracer la carte de toute connaissance possible. Et si on l'a décidé, c'est en se permettant un petit hors-limites. Mais je lève alors mon drapeau jaune.

Là je pense qu'Euthyphron vise juste. D'ailleurs Bergame il dit ici simplement ce sur quoi on s'accorde tout le temps : tout résultat d'étude dépend de la définition que l'on donne préalablement aux termes de la recherche ! D'ailleurs, il faut souligner que Kant est un philosophe qui a, qu'on le veuille ou non, envisagé la philosophie sous l'angle des sciences naturelles. Il a structuré la pensée selon des règles " naturelles ".

On ne peut pas trancher entre la philosophie kantienne et la phénoménologie ( qui me paraissent antinomiques, c'est pourquoi je les mets côte à côte ), car ces deux méthodes présentent des visions différentes du monde. C'est tout. Les deux sont tout aussi " vrai ".

Quant à la blessure narcissique, je dirai : une blessure n'est pas un argument Wink

J'ajoute que, si tout cela possède une sorte de dialectique interne, cette dialectique a à mon sens ce sens là : les apories de la pensée dans sa quête de la vérité ne font que renvoyer l'homme à lui-même et à sa nudité, en l'enjoignant à faire . Le vrai, pour l'homme, c'est ce qu'il décide de faire. Et là je bascule sur Arendt, qui pour le coup, ne pensant plus la pensée dans sa visée épistémique, est réellement postmoderne dans le bon sens, c'est à dire dans le sens du politique et de l'agir au sein du monde des hommes.

Bah oui, il y a quand même une contradiction entre ce que tu dis Bergame, et ta posture, si ta posture est de dire que la pensée ne peut pas se penser elle-même. Dans ce cas là ce forum de philosophie doit être effacé et compter pour du vent, et toutes tes études renvoyer au néant. Alors, qu'est-ce tu fais maintenant ? Cool

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Message par Bergame Ven 1 Fév 2013 - 11:55

Je dis que, bien entendu qu'il y a contradiction. Que c'est ce que je dis. Que c'est également ce qu'euthyphron a dit, puisque c'est l'idée qui a initié cette discussion. Bien sûr qu'il y a contradiction. Et d'ailleurs, il y a aussi des contradictions pratiques, dans l'ordre du "faire". C'est bien une contradiction pratique que tu me reproches ici, ne pas mettre mes actes en conformité avec mes paroles.
Mais le concept de "contradiction" implique la logique, la rationalité -et donc, notons-le, il existe une raison pratique. Il n'y a que dans l'ordre de la raison que la contradiction est. En revanche, nous ne sommes pas que des êtres rationnels. C'est la... raison pour laquelle, lorsque Hegel prétend dépasser cette contradiction dialectiquement, je pense qu'il adopte une autre représentation de la raison que Kant. Hegel étend la raison aux dimensions de l'esprit. Aussi pour moi, il se situe dans un autre registre, qui réfère davantage à la psychologie, au cognitivisme, qu'au raisonnement logique.

Mais je conçois aussi (et tout à fait) qu'on puisse ne pas ressentir cette contradiction. Si l'on part du cogito, "je pense, je suis", éventuellement, il n'y a plus de problème. Je ne fais qu'un avec ce que je pense, et tout ce que je pense, c'est moi, en tant qu'être unique et singulier qui le pense. C'est bien, à très gros traits, la démarche de Fichte puis de Hegel, que de résoudre la contradiction dans l'unité du moi :
Le moi est, si l'on peut ainsi dire, le creuset et le feu où la multiplicité vient se dissoudre, et est ramenée à l'indifférence et à l'unité [...] Il faut dire que cette doctrine exprime bien la nature de la conscience. L'homme aspire à la connaissance du monde, il aspire à se l'approprier et à se le soumettre, et il faut que la réalité du monde en quelque sorte s'efface, c'est-à-dire s'idéalise devant l'activité humaine.(Petite Logique, 2nde)
Moi, je ne crois pas du tout que le monde s'efface, je crois qu'il résiste. Et je crois d'ailleurs que la philosophie de la Nature de Hegel est une ineptie. Je suis dualiste ET je pense que tout objet de connaissance nous est donné dans l'expérience -donc, nécessairement, je vis dans la contradiction -et je pense même qu'en fait, c'est le lot de tout homme (edit : Je crois, l'implication mérite réflexion, mais je crois bien). Simplement, et c'est essentiellement ce que je retiens, d'ailleurs, de Hegel, je crois que l'esprit ne hait rien tant que la contradiction, le conflit avec lui-même, et qu'il n'aspire qu'à le résorber. Et même, je crois qu'il trouve toujours un moyen de le résorber, d'une manière ou d'une autre. Ca, c'est très clair, et je pense que Hegel a parfaitement raison sur ce point -ce qui, au passage, rend le projet kantien d'autant plus grand à mes yeux. Simplement, je pense que nous ne résolvons pas tous la contraction de la même manière. La dépasser est en effet une possibilité, l'ignorer en est une autre, par exemple. La recouvrir également, en rester à quelques crans plus hauts dans la régression causale, c'est ainsi que pratiquent les sciences, je crois.


Dernière édition par Bergame le Ven 1 Fév 2013 - 12:18, édité 1 fois

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Message par cedric Ven 1 Fév 2013 - 12:16

Bergame a écrit: Mais le concept de "contradiction" implique la logique, la rationalité. Il n'y a que dans l'ordre de la raison que la contradiction est.

Raison. Logique. Rationalité.

Parle t 'on ici d'une seule et même chose ?

En quoi la logique serait une équivalence de la raison, un indicateur privilégié ?

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Message par cedric Ven 1 Fév 2013 - 12:21

Bergame a écrit: Je suis dualiste ET je pense que tout objet de connaissance nous est donné dans l'expérience -donc, nécessairement, je vis dans la contradiction -et je pense même qu'en fait, c'est le lot de tout homme (edit : Je crois, l'implication mérite réflexion, mais je crois bien)

Est-ce que cette position " englobante " résiste à une anthropologie psychologiste ?

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Message par euthyphron Ven 1 Fév 2013 - 15:27

Chut a écrit:Tous vos discours un peu généraux me convainquent pas de grand-chose. Dans le domaine de la connaissance affirmer qu'un projet est impossible est tout aussi délirant que d'affirmer qu'un projet est possible, je n'hésite pas à l'affirmer.
Dire que Kant est délirant n'est-ce pas dire que tout philosophe est délirant ? Spinoza avec ses définitions, ses théorèmes et ses démonstrations c'est pas un délire du même ordre ?
Petite récapitulation, en m'excusant de faire l'impasse sur Hegel, je n'ai pas révisé.
1) Kant est un grand philosophe. Il vaut la peine qu'on le critique, ce qui est la marque des meilleurs. Pas de doute là-dessus.
2) Je nettoyais mon esprit, "délirant" est sorti tout seul, pardon pour la bavure chef. Bien que à la réflexion, justement comme dit Bergame, Kant est l'anti-schwärmerei par excellence, donc finalement est-ce qu'il ne mérite pas un petit coup de boomerang, hum?
3) Le susnommé Spinoza est très suspect, d'accord avec vous chef. Ils doivent faire partie de la même bande. La bande de ceux qui vendent des vérités définitives à la sortie des lycées.
4) Kant veut faire la police. Dire une fois pour toutes ce que l'on peut connaître et ce qu'il n'est pas autorisé de chercher à connaître. D'un côté, les phénomènes et le royaume des vérités scientifiques définitivement acquises; de l'autre, obligation d'avoir la foi. Rationnelle, la foi, cela va de soi. Dans les limites de la simple raison, même, ne jamais dépasser les frontières c'est trop dangereux.
5) Il peut être intéressant de faire le lien avec ses prédécesseurs. Descartes, lui aussi, veut nous conduire de certitude en certitude au royaume des vérités définitives. Mais aussi comprend-il qu'il lui faut fonder son projet. Comment puis-je être absolument certain de quoi que ce soit sans un fondement lui-même absolu? Hume, lui, nous apprend que la raison ne peut que dénoncer une contradiction, et qu'il n'y a de contradiction que dans les relations d'idées. Donc, nous pouvons constater qu'un fait se reproduit, jamais comprendre qu'il se reproduira nécessairement. Descartes est terriblement ambitieux, Hume est un faux modeste. Kant veut n'être ni l'un ni l'autre. Mais il est les deux. Il a l'ambition folle de dresser la carte du territoire du connaissable (pas du connu, du connaissable), et la fausse modestie de poser comme n'étant pas un savoir ce que d'après lui tout être raisonnable doit croire.
6) Que retient-on de Kant? Je ne parle plus des déperditions causées par l'inimitable style du grand homme, mais je n'en pense pas moins. La leçon retenue est qu'il n'y a plus matière à philosopher. Il y a la science d'un côté, posée comme vraie selon le postulat qui dit que la vérité est l'accord des esprits fondés sur les règles de l'entendement, lui-même fondé sur l'idée qu'on peut parvenir à déduire la liste exhaustive des catégories. Il y a de l'autre la métaphysique, supposée nous intéresser suffisamment pour qu'on en postule les règles de foi nécessaires pour calmer les ardeurs troubles de notre conscience. Plus de place pour l'amateur de dialectique là-dedans, je sens même qu'il n'en faudrait pas beaucoup pour qu'on le prenne pour un sophiste.
7) Je trouve qu'il manque, dans l'oeuvre de Kant, une réflexion sérieuse sur le langage. Ce qui m'a fait dire "délirant", c'est le projet d'écrire la vérité sous une forme objective, définitive, et intégrale.

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Message par Chut Ven 1 Fév 2013 - 19:04

:D

Dès l’intro de la CR pure, il y a des trucs qui à mon avis passent mal. Je veux parler de cette coupure d’emblée possible et radicale de l’expérience d’avec des connaissances pures a priori est je trouve très délicate à envisager.

D’un point de vue psychologique ça ressemble à un déni possible de connaissances apportées par l’expérience. On ne nie pas que l’expérience puisse apporter de la connaissance mais on affirme qu’à un moment on peut se détacher de observation de l’expérience et prolonger sa réflexion tout en continuant d’être en lien direct avec la vérité, avec la réalité.

Et là l’objet de la connaissance devient la connaissance de soi mais dans sa dimension détachée de tout objet. Il y a là évidemment une contradiction qui se présente naturellement et qui dit qu’on devient soi-même en partie par la confrontation avec ce qui n’est pas soi. On ne peut prétendre se connaître soi-même, passé les limites du cogito, en niant tout effet d’interaction avec ce qui n’est pas soi. On ne peut se regarder sans miroir.

Qui peut amener des dérives du genre : les résultats expérimentaux ne sont pas cohérents mais la théorie est juste. Or la logique veut que si les résultats ne sont pas cohérents il y a forcément quelque chose qui merde dans la théorie. On n’est pas loin de porter une attaque à la logique, ce qui peut pourquoi pas s’envisager mais il faut avoir du répondant. La parade peut être celle-ci : la théorie reste toujours juste car c’est une théorie spéciale qui se caractérise par un détachement de toute considération de , de tout rapport avec, l’expérimental. Se pose alors le problème de la valeur réelle de la théorie, de son intérêt, hors le fait d’être constituée de développements valant par eux-mêmes.

Si je me connais comme quelqu’un de gentil mais que tout le monde se plaint de ma méchanceté, soit je travaille sur la validité de ma « gentillesse», et notamment sur l’origine de cette idée en moi, soit je l’envisage à la fois librement et en me soumettant à quelque chose qui me dépasse comme une vérité a priori et donc je construis une énorme machine à caractéristiques indestructibles destinée à prouver que mis à part le fait que le monde entier me trouve méchant, je suis absolument et purement gentil, et que c’est ça qui compte au fond.

Cette histoire de jugement pur a priori faisant partie de la connaissance et en plus donc non intégré à un mouvement dialectique comme tout jugement ordinaire, c’est déjà essayer de lier des termes contradictoires.

D’ailleurs dès le départ on est tout près d’un problème de contradiction il me semble. Quand il écrit « tout changement a une cause, est une proposition a priori mais non pas pure » et qu’un peu plus loin il écrit : « Maintenant qu’il y ait dans la connaissance humaine (…) des jugements pur a priori , c’est ce qu’il est facile de montrer (…) Veut-on le tirer de l’usage le plus ordinaire de l’entendement ? On le trouvera dans cette proposition, que tout changement a une cause. »

Mais finalement, n’est-ce pas là un jugement porté sur la réflexion, sa dérive permanente et finalement le phénomène qu’illustre Kant, cette tendance très vite à se laisser emporter par la théorie, à pousser plus loin et pourquoi pas très loin les conséquences d’objets axiomatiques qu’on pense détenir plus ou moins solidement à un moment donné ?
Les limites de la connaissance ne sont-elles pas là ? c'est-à-dire finalement des limites méthodologiques liées au chemin qu’on peut se permettre à partir des prémisses choisies ?
Limites qu’on a tendance à dépasser très facilement, quand on ne retourne plus sans cesse au réel, qu’on ne sonde plus sans cesse la validité des bases choisies qu’on finit par trop y croire et qu’on se laisse emmener par l’illusion de l’auto-validation de la théorie, de la réflexion qui s’élabore et grandit, et qu’on laisse nous emmener en une croisière plaisante.

Elle n’est-ce pas là finalement la critique permanente de la raison à faire, en forme de question : d’où pars-je pour penser et dire ce que je dis ? et quelle vérification puis-je envisager qui puisse valider ou au contraire invalider le point où je suis rendu et par conséquent la théorie que je suis ?

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