L'homme, un projet ?
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L'homme, un projet ?
Je prends conscience de quelque chose : Une large part de la philosophie moderne s'est construite à partir de l'idée d'un anti-essentialisme : L'homme est un projet, un "jeté", ce qui est important n'est pas tant ce qu'il est -et d'ailleurs qu'est-il ?- que ce qu'il devient. Une représentation, donc, "génétique" de l'homme, "dynamique", "évolutive", "processuelle" peut-être.
Or, il me semble que les implications sont multiples :
- D'abord, un schéma théorique génétique intègre, ne serait-ce qu'implicitement, un telos. Quel est donc le telos de ce projet ? Qu'est-ce que pourrait être un homme pleinement accompli pour ces philosophies ? Sans doute ces doctrines présupposent-elles que ce but soit perpétuellement inatteignable, qu'il reste constamment un projet, car autrement la théorie menacerait d'être auto-contradictoire. Mais ce telos, même implicite -et surtout s'il est implicite, en fait- doit tout de même donner une direction au processus, voire baliser son cheminement. Quel est-il ?
- Cette dimension "processuelle", "dynamique" de la théorie intègre-t-elle une notion de rythme ? Et si non, n'y a-t-il pas risque d'emballement et de perte de contrôle ?
- Quand j'y réfléchis, je me dis que cette représentation anthropologique était en effet parfaitement adéquate à la modernité, à ses principes de progrès, de croissance, d'innovation, de rapidité, d'adaptabilité, de flexibilité. Mais ce que vivent une partie me semble-t-il importante des individus aujourd'hui, c'est plutôt l'expérience d'un égarement, le sentiment de s'être éloignés d'eux-mêmes -c'est-à-dire, implicitement, d'un point de départ-, de s''être perdus en route,
Or, il me semble que les implications sont multiples :
- D'abord, un schéma théorique génétique intègre, ne serait-ce qu'implicitement, un telos. Quel est donc le telos de ce projet ? Qu'est-ce que pourrait être un homme pleinement accompli pour ces philosophies ? Sans doute ces doctrines présupposent-elles que ce but soit perpétuellement inatteignable, qu'il reste constamment un projet, car autrement la théorie menacerait d'être auto-contradictoire. Mais ce telos, même implicite -et surtout s'il est implicite, en fait- doit tout de même donner une direction au processus, voire baliser son cheminement. Quel est-il ?
- Cette dimension "processuelle", "dynamique" de la théorie intègre-t-elle une notion de rythme ? Et si non, n'y a-t-il pas risque d'emballement et de perte de contrôle ?
- Quand j'y réfléchis, je me dis que cette représentation anthropologique était en effet parfaitement adéquate à la modernité, à ses principes de progrès, de croissance, d'innovation, de rapidité, d'adaptabilité, de flexibilité. Mais ce que vivent une partie me semble-t-il importante des individus aujourd'hui, c'est plutôt l'expérience d'un égarement, le sentiment de s'être éloignés d'eux-mêmes -c'est-à-dire, implicitement, d'un point de départ-, de s''être perdus en route,
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Bergame- Persona
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Re: L'homme, un projet ?
Ceci interpelle le philosophe, sans doute. Parce que l'identité - je vais appeler comme ça pour l'instant, nous verrons plus tard ce que la discussion peut réserver à cet égard - on la comprend souvent comme fixité.
En mentionnant tout de même que la fixité identitaire n'est pas forcément l'absence de tout changement (tu ne dis pas autre chose d'ailleurs mais ici je ne réfute pas, je veux seulement le dire autrement), ceci parce qu'il doit bien y avoir un sujet qui change ou de ce qui change et qui est supposé être le même. Moi avec moustaches ou sans moustache, c'est bien toujours moi et l'on ne compare (pour les opposer) le moustache et sans moustache que parce qu'ils m'appartiennent tous deux.
Donc personne n'évite la substance.
Pour ce qui est de ceux qui se revendiquent comme des "identitaires" et les guises où ils nichent leurs prétentions, j'ai beaucoup de mal à me faire une idée générale de ce qu'il faut en penser tant je suis frappé par les disparités et les contradictions. Que l'on parle de "bloc" me surprend, la bloquité étant la dernière chose qui me serait venue à l'esprit. Pas parce que le Basque n'a rien à voir avec le Breton, mais parce qu'il n'y a aucun rapport, pas d'identité dans ce en quoi le Basque ou le Breton met sa bloquitude.
En mentionnant tout de même que la fixité identitaire n'est pas forcément l'absence de tout changement (tu ne dis pas autre chose d'ailleurs mais ici je ne réfute pas, je veux seulement le dire autrement), ceci parce qu'il doit bien y avoir un sujet qui change ou de ce qui change et qui est supposé être le même. Moi avec moustaches ou sans moustache, c'est bien toujours moi et l'on ne compare (pour les opposer) le moustache et sans moustache que parce qu'ils m'appartiennent tous deux.
Donc personne n'évite la substance.
Pour ce qui est de ceux qui se revendiquent comme des "identitaires" et les guises où ils nichent leurs prétentions, j'ai beaucoup de mal à me faire une idée générale de ce qu'il faut en penser tant je suis frappé par les disparités et les contradictions. Que l'on parle de "bloc" me surprend, la bloquité étant la dernière chose qui me serait venue à l'esprit. Pas parce que le Basque n'a rien à voir avec le Breton, mais parce qu'il n'y a aucun rapport, pas d'identité dans ce en quoi le Basque ou le Breton met sa bloquitude.
Courtial- Digressi(f/ve)
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Re: L'homme, un projet ?
Bergame a écrit:Je prends conscience de quelque chose : Une large part de la philosophie moderne s'est construite à partir de l'idée d'un anti-essentialisme : L'homme est un projet, un "jeté", ce qui est important n'est pas tant ce qu'il est -et d'ailleurs qu'est-il ?- que ce qu'il devient. ........
- ........ce telos, même implicite -et surtout s'il est implicite, en fait- doit tout de même donner une direction au processus, voire baliser son cheminement. Quel est-il ?
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- Quand j'y réfléchis, je me dis que cette représentation anthropologique était en effet parfaitement adéquate à la modernité, à ses principes de progrès, de croissance, d'innovation, de rapidité, d'adaptabilité, de flexibilité. Mais ce que vivent une partie me semble-t-il importante des individus aujourd'hui, c'est plutôt l'expérience d'un égarement, le sentiment de s'être éloignés d'eux-mêmes -c'est-à-dire, implicitement, d'un point de départ-, de s''être perdus en route,
Dans la remarquable série de cours de Hublin, professeur invité du collège de france, il y a quelques pépites. L' une d'entre elle dit que nous ne descendons d'aucun des ossements sur les quels se penchent les archéologues...qu'une descendance serait statistiquement improbable.
Il veut par là, insister sur le concept actuel du " buissonnement " de l' évolution des especes.
Cette évolution tâtonnante et opportuniste doit ( me semble t il ) être utilisée par analogie ( ou plutôt homologie) pour répondre à ton interrogation.
Pour une entité qui évolue par "éliminations", il ne peut y avoir de projet. Choisir un projet ou même une direction, c'est rigidifier un processus adaptatif et donc le fragiliser ( ce qui n' écarte pas la nécessité d' une rigidification).
Tout ce qu'on peut qualifier de projet ,... a postériori n'était , à priori qu' un comportement opportuniste.
Pour ta dernière proposition, (je dirais plutôt anthropocentrique), concernant la modernité, il me semble qu'il faut rechercher la raison de la contradiction sur la piste de l' organicisme:
Les intérets de l' entité émergente " société" divergent des intérets de l' individu. Ce processus qui était latent et embryonnaire , nécessaire à la socialisation et qui a mis des milliers d'années à se roder, a été poussé depuis le néo et a explosé depuis peu.
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TIMSHEL
kercoz- Digressi(f/ve)
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Re: L'homme, un projet ?
Arendt: ""S' il y a un projet, une route ...elle ne peut mener qu' au paradis ou à l' Enfer """
entendu ce jourd' hui .
https://www.youtube.com/watch?v=bSob1dKKN6o
entendu ce jourd' hui .
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TIMSHEL
kercoz- Digressi(f/ve)
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Re: L'homme, un projet ?
Oui, tu me renvois à l'identité, Courtial, c'est bien normal, j'en ai déjà parlé. Mais ce que je voulais surtout pointer ici, c'est combien cette représentation anthropologique a porté la modernité, combien elle est adéquate en particulier au capitalisme -cette déterritorialisation, cette dé-historisation de l'individu, cette orientation vers l'avenir, cette liberté, cette idée que tout individu est en quelque sorte l'entrepreneur de sa vie, cette adaptabilité, flexibilité... Et en même temps, ce que j'entends autour de moi, c'est plutôt le sentiment d'une étrangeté à soi-même, le sentiment de s'être perdu en chemin. Et le besoin ou le souhait de revenir à des "choses vraies", de "se retrouver", d'être "davantage à l'écoute de soi-même", etc.
Alors effectivement, cela rejoint sans doute la thématique de l'identité, mais pas sous l'angle de cet essentialisme nationaliste, régionaliste, religieux, etc. érigé en doctrine. Plutôt sous l'angle de l'expérience subjective d'être "soi" -ou de ne pas l'être. Qu'est-ce que ce "soi", je n'en sais rien -c'est à chacun de le dire, s'il le peut. Et sans doute que ce "soi" n'est pas monolithique, bien entendu, ni même unidimensionnel. Mais n'empêche que beaucoup de gens font actuellement l'expérience subjective, intime, de ne pas être "soi".
Ce qui me fait penser à ceci : Si l'on revient au fameux texte de Sartre sur le garçon de café, ce qui me frappe désormais, à la lumière de ce qui précède, c'est que cette analyse est réalisée du point de vue d'un tiers qui observe le garçon de café. C'est dit très clairement dès l'entame et rappelé régulièrement :
Et encore autrement dit : Quelle est la légitimité de Sartre (et des phénoménologues) à dire ce que les hommes, dans leur généralité, pensent et vivent intimement, et ce, sans jamais avoir besoin de leur demander ? Moi, j'entends constamment les individus se définir eux-mêmes, dire : "je suis chef de projet, j'ai 34 ans, je suis d'origine arménienne, je suis joueur, je suis intéressé par les questions politiques, etc." Je dirais même qu'il y a peu de manière plus efficace d'agacer quelqu'un que de lui démontrer qu'il n'est pas cohérent avec lui-même, qu'il s'auto-contredit, soit en paroles soit en actes. Les individus ne sont pas dans une distance plastique et ludique vis-à-vis de leur propre identité, il me semble au contraire qu'ils sont plutôt à la recherche d'invariant, de permanence, d'unicité -toujours problématique néanmoins.
Alors effectivement, cela rejoint sans doute la thématique de l'identité, mais pas sous l'angle de cet essentialisme nationaliste, régionaliste, religieux, etc. érigé en doctrine. Plutôt sous l'angle de l'expérience subjective d'être "soi" -ou de ne pas l'être. Qu'est-ce que ce "soi", je n'en sais rien -c'est à chacun de le dire, s'il le peut. Et sans doute que ce "soi" n'est pas monolithique, bien entendu, ni même unidimensionnel. Mais n'empêche que beaucoup de gens font actuellement l'expérience subjective, intime, de ne pas être "soi".
Ce qui me fait penser à ceci : Si l'on revient au fameux texte de Sartre sur le garçon de café, ce qui me frappe désormais, à la lumière de ce qui précède, c'est que cette analyse est réalisée du point de vue d'un tiers qui observe le garçon de café. C'est dit très clairement dès l'entame et rappelé régulièrement :
Sartre observe un individu et en induit des considérations que, dans un accès de barbarie, j'appellerai "psychologiques". Il prétend savoir ce que cet individu pense, ce qu'il "se sent" rien qu'en l'observant. Alors même, et c'est presque paradoxal, que sa conclusion consiste précisément à dire que le garçon de café "ne se sent" pas garçon de café, que, "du dedans, il ne peut être immédiatement garçon de café". Mais, au fond, qu'en sait-il ? Qui sait si cet individu que Sartre observe, si on lui demandait qui il est, ne déclarerait pas immédiatement, et comme allant de soi : "Ben, je suis serveur." Autrement dit : Quelle est l'expérience subjective de cet individu ?Considérons ce garçon de café. Il a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, un peu trop rapide, il vient vers les consommateurs d'un pas un peu trop vif, il s'incline avec un peu trop d'empressement, sa voix, ses yeux expriment un intérêt un peu trop plein de sollicitude pour la commande du client, enfin le voilà qui revient, en essayant d'imiter dans sa démarche la rigueur inflexible d'on ne sait quel automate tout en portant son plateau avec une sorte de témérité de funambule, en le mettant dans un équilibre perpétuellement instable et perpétuellement rompu, qu'il rétablit perpétuellement d'un mouvement léger du bras et de la main. Toute sa conduite nous semble un jeu. [...] Mais à quoi donc joue-t-il ? Il ne faut pas l'observer longtemps pour s'en rendre compte : il joue à être garçon de café. Il n'y a rien là qui puisse nous surprendre : le jeu est une sorte de repérage et d'investigation. L'enfant joue avec son corps pour l'explorer, pour en dresser l'inventaire ; le garçon de café joue avec sa condition pour la réaliser.
Et encore autrement dit : Quelle est la légitimité de Sartre (et des phénoménologues) à dire ce que les hommes, dans leur généralité, pensent et vivent intimement, et ce, sans jamais avoir besoin de leur demander ? Moi, j'entends constamment les individus se définir eux-mêmes, dire : "je suis chef de projet, j'ai 34 ans, je suis d'origine arménienne, je suis joueur, je suis intéressé par les questions politiques, etc." Je dirais même qu'il y a peu de manière plus efficace d'agacer quelqu'un que de lui démontrer qu'il n'est pas cohérent avec lui-même, qu'il s'auto-contredit, soit en paroles soit en actes. Les individus ne sont pas dans une distance plastique et ludique vis-à-vis de leur propre identité, il me semble au contraire qu'ils sont plutôt à la recherche d'invariant, de permanence, d'unicité -toujours problématique néanmoins.
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Bergame- Persona
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Re: L'homme, un projet ?
Je ne vois pas où il y aurait une induction psychologique dans ce texte. Sartre dit simplement que le garçon de café joue à être garçon de café, ce qui évidemment peut donner lieu à l'induction selon laquelle nous jouons tous un rôle.
Mais cette induction ne me paraît pas psychologique. Peu importe ce qui se passe dans la tête du garçon de café. Peu importe qu'il se revendique garçon de café qui connaît son métier, ou qu'il essaie de le devenir, ou qu'il y mette de la distance en s'en amusant, ou au contraire qu'il se sente aliéné dans son costume de serveur. Dans tous ces cas différents la description sartrienne s'applique, car comme tu l'as justement dit elle adopte le point de vue du spectateur et non de l'acteur.
Mais cette induction ne me paraît pas psychologique. Peu importe ce qui se passe dans la tête du garçon de café. Peu importe qu'il se revendique garçon de café qui connaît son métier, ou qu'il essaie de le devenir, ou qu'il y mette de la distance en s'en amusant, ou au contraire qu'il se sente aliéné dans son costume de serveur. Dans tous ces cas différents la description sartrienne s'applique, car comme tu l'as justement dit elle adopte le point de vue du spectateur et non de l'acteur.
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euthyphron- Digressi(f/ve)
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Date d'inscription : 01/06/2011
Re: L'homme, un projet ?
Bergame a écrit:[...]e que je voulais surtout pointer ici, c'est combien cette représentation anthropologique a porté la modernité, combien elle est adéquate en particulier au capitalisme -cette déterritorialisation, cette dé-historisation de l'individu, cette orientation vers l'avenir, cette liberté, cette idée que tout individu est en quelque sorte l'entrepreneur de sa vie, cette adaptabilité, flexibilité... Et en même temps, ce que j'entends autour de moi, c'est plutôt le sentiment d'une étrangeté à soi-même, le sentiment de s'être perdu en chemin
Nous ne devons pas fréquenter les mêmes milieux et avoir les mêmes gens autour de nous, voilà tout. Pour sûr que dans les sociétés à l'air raréfié, dans les salons hyper select dont tu es la vedette, parmi les raffinés, les intellos, les Parisiens, on se livre à la quête personnaliste de soi, mais moi, vois-tu, je suis du Peuple, je vis en province avec des gens simples comme moi, au contact de la nature, dans la glèbe et proche de la grossiereté de mes ancêtres.
Et moi j'entends "on est chez nous", cantine hallal et saucisson, Mac Do et burka, etc.
Et pas "qui suis-je" ? et les affres pascaliennes que tu évoques.
C'est comme ça qu'on est chez nous, à la campagne.
Je ne dis pas toutefois que nous soyons dépourvus de toute dimension spirituelle et quand nous avons terminé le travail agricole harassant qui occupe la plus grande partie de notre temps, nous pouvons nous adonner à la phénoménologie. Et mentionner quelques erreurs, au besoin.
Bergame a écrit:Alors même, et c'est presque paradoxal, que sa conclusion consiste précisément à dire que le garçon de café "ne se sent" pas garçon de café, que, "du dedans, il ne peut être immédiatement garçon de café". Mais, au fond, qu'en sait-il ? Qui sait si cet individu que Sartre observe, si on lui demandait qui il est, ne déclarerait pas immédiatement, et comme allant de soi : "Ben, je suis serveur." Autrement dit : Quelle est l'expérience subjective de cet individu ?
Et encore autrement dit : Quelle est la légitimité de Sartre (et des phénoménologues) à dire ce que les hommes, dans leur généralité, pensent et vivent intimement, et ce, sans jamais avoir besoin de leur demander
Il ne s'agit absolument pas de se mettre dans la tête d'un garçon de café et de penser à sa place. Cela, ça s'appelle du "psychologisme", et chez nous, à la Ferté-sous-Jouarre, on n'apprécie pas du tout ça. (En plus, chez nous, il y a des bistrots, pas des cafés, comme chez toi, mais on ne se met pas dans la tête de la serveuse, on lui passe juste la main au cul ; c'est au reste ce qui distingue un café de chez toi et un bistrot de chez nous, ceci sans analyse psychologique). Et on ne croit pas à un "dedans" (un "dedans" de la tête de la serveuse, ni non plus un "dedans" de "la Conscience", comme vous dîtes à Paris).
Non, on ne sait pas ce qu'il y a dedans la tête d'un garçon de café, ce que l'on sait (je veux dire : ce que nous enseigne la phénoménologie), c'est qu'on n'est pas un garçon de café comme on est une table ou une paire de chaussures. C'est une condition et pas une essence, quoi qu'il se passe au dedans de la tête du serveur. Etre serveur, ou être Français, ou être un salonnard n'a pas pour nous le même sens qu'être une vache et la conséquence qu'une vache est une vache et le coq un coq.
Courtial- Digressi(f/ve)
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Date d'inscription : 03/07/2008
Re: L'homme, un projet ?
Bergame a écrit: Les individus ne sont pas dans une distance plastique et ludique vis-à-vis de leur propre identité, il me semble au contraire qu'ils sont plutôt à la recherche d'invariant, de permanence, d'unicité -toujours problématique néanmoins.
2 choses sur cette "mise en scène de la vie quotidienne": ( du moins mon avis)
- si l' individu prends toujours une "distance" ludique avec sa propre identité, c'est pour éviter d' être confronté à l' absence d' une identité de référence stabilisée.
-Pour un rôle social majeur ( comme l' est le garçon de café) l' attitude la plus "facile" pour l' individu qui incarne ce rôle est la neutralité du rôle, donc le jeu surligné , surjoué. De ce fait, en désincarnant ce rôle , il n'est pas impliqué par la prise de risque qu'implique toute interaction.
Un excellent bouquin sur le jeu de rôle du larbin, dont l' auteur m" échappe: "Le saint office"
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TIMSHEL
kercoz- Digressi(f/ve)
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Date d'inscription : 01/07/2014
Re: L'homme, un projet ?
Sacré Courtial ! Qui après avoir tant fustigé les "instincts criminels de la plèbe" (l’expression est de BHL, j’ai pensé qu’elle te plairait bien), si prompte à lyncher son prochain à moins qu’on n’y prenne bonne garde, se revendiquerait presque maintenant de la ruralité profonde –presque, car en artiste de la conversation, tu sais laisser poindre de cette raillerie bon enfant qui fait ton charme à l’égard de ces peigne-culs du terroir, incultes, catholiques et franchouillards. C’est sans doute l’avantage des identités protéiformes, on imagine le plaisir qu’il y a à passer de l’une à l’autre et, ainsi, se jouer d’autrui.
Mais cela étant dit, et pour redevenir sérieux une seconde, si ça ne t’ennuie pas trop :
J’imaginais bien qu’en qualifiant l’analyse de Sartre de "psychologique", j’allais –encore !- vous faire dresser sur vos ergots. Car je sais les trésors d’énergie déployés par les phénoménologues pour entériner l’idée que leurs analyses ne ressortent surtout pas de la psychologie. Mais il se trouve :
1. Que j’ai lu Brentano
2. Que j’ai lu les critiques de Piaget à l‘égard de la phénoménologie
3. Que –vous n’avez pas pu ne pas le remarquer- les querelles de chapelle, fussent-elles universitaires, m’indiffèrent.
Donc je lis Sartre, et je prends tout bonnement au sérieux ce qu’il écrit. Sartre est en train d’observer –ou de prétendre observer, bref- le comportement d’un garçon de café, et de ce comportement, il infère un "état mental" –ou appelez-le comme vous le voulez. Voilà tout. Vous ne voulez pas appeler cela de la psychologie, c’est votre problème. Ça y ressemble quand même fichtrement –pour quiconque connaît un peu la psychologie- si ce n’est que c’est de la mauvaise psychologie.
Je lis ce que tu écris, euthyphron, et tu as raison, bien sûr : Sartre expose ce qui apparaît à ses yeux, il est observateur d’un acteur. Mais il n'est pas que cela. Je reprends :
Car comme le disait Aron, nous ne pouvons pas nous contenter de décrire le comportement des individus dans notre environnement, et de fait, nous ne nous en contentons pas : Nous sommes aussi constamment en train d’élaborer des hypothèses visant à expliquer ces comportements. Et ces hypothèses, nous les inférons à des "contenus mentaux" : "S’il fait Y, c’est parce qu’il pense/ressent/désire/espère/etc. X" Et regarde bien, c’est exactement ce que fait Sartre :
Or, ce schéma explicatif, ce type d’hypothèse-là : "S’il fait Y, c’est parce qu’il pense/ressent/se vit/désire/espère/etc. X", c’est ce qu’on peut légitimement appeler une "hypothèse psychologique". Simplement, et encore une fois, c’est de la mauvaise psychologie, puisque c’est de la psychologie qui, comme administration de la preuve, ne fait appel qu'à une "expérience de pensée" : Sartre prétend savoir ce que pense ce serveur, et ce, sans même avoir besoin de le lui demander. Est-il télépathe ? Non, bien sûr, c’est simplement qu’il part du principe que nous pensons tous peu ou prou la même chose.
Or, avec Courtial, je prétends que c’est faux. Oui, avec Courtial, puisque Courtial vient de nous apprendre que dans les salons parisiens où je me pavane, on ne pense manifestement pas la même chose à propos du même sujet que dans les troquets de province qu’il est réduit -le pauvre !- à fréquenter. Et comment le sait-il ? Pas par expérience de pensée, mais parce que, sur ce coup-là, il a écouté ce que les gens disent. C’est bien. Mais fais gaffe Courtial, tu es sur la voie de devenir "scientifique" !
Comme Weber l’écrivait à propos de Nietzsche et de Marx, les analyses des philosophes sont très intéressantes, à titre d’hypothèses. Mais seulement à titre d’hypothèses ; ensuite, pour bien faire, il faudrait opérationnaliser un peu tout ça.
Ce qui m’amène d’ailleurs à dire que l’universalisme n’est pas qu’une position philosophique, c’est la condition épistémologique de la philosophie –c’est-à-dire la seule qui pourrait justifier que la philosophie conduise à un quelconque savoir. D’où, évidemment, sa centralité pour les "philosophes".
Bien. Alors maintenant, puisqu’on en est à l’épistémologie : Les objets sociaux ne sont pas au même titre que les objets physiques ou naturels. Cela est bien clair. Un homme, c’est, au même titre qu’une vache. En revanche, un garçon de café n’est sans doute pas au même titre qu’un raton-laveur. L’"Etat français", le "capitalisme", "Google" ne sont pas au même titre qu’un lapin, une montagne, ou une table. Et pourtant, ils sont. C’est-à-dire que l’Etat français est un Etat. Que Google est une entreprise. Que le capitalisme est… disons un système économique. En quel sens sont-ils ? Au sens de représentations, de concepts, d’idées, bref d’"états mentaux" –toujours- plus ou moins partagés par les hommes.
Or, cet homme que j’observe, assis à cette terrasse de bistrot, est un garçon de café. Non pas (seulement) parce que c’est ainsi que je le vois, parce que c’est ainsi qu’il se donne à voir à mes yeux, non pas seulement parce qu’il s’agit d’un rôle social, que je connais, et que, je pense, il joue, mais parce que, si je lui demande qui il est, il y a des chances pour qu’il me réponde : "Ben, je suis le serveur !" C’est ainsi que lui-même se définira, si vous daignez l'écouter. Ou peut-être autrement, d’ailleurs. Mais en tout cas, il se définira. Et rien ne permet de dire qu’il est, avec l’identité qu’il déclinera ainsi, dans un rapport plastique et ludique.
Que l’identité soit multidimensionnelle, je le crois. Mais ce n’est pas pour autant qu’il s’agit d’une garde-robe de costumes qu’on enfile au gré des humeurs et des situations. Et j’ose espérer que mes interlocuteurs "philosophes" ou "enseignants en philosophie", si prompts à dégainer l’épée aussitôt qu’ils subodorent un quelconque danger pour leur profession (et en même temps l’une de leurs passions sans doute, bref, une part de leur identité), sauront faire preuve de la réflexivité attendue pour accueillir sereinement cette idée (et ainsi faire œuvre –horreur !- d’introspection).
Et peut-être même, qui sait, en discuter -l'espoir est toujours permis.
Mais cela étant dit, et pour redevenir sérieux une seconde, si ça ne t’ennuie pas trop :
J’imaginais bien qu’en qualifiant l’analyse de Sartre de "psychologique", j’allais –encore !- vous faire dresser sur vos ergots. Car je sais les trésors d’énergie déployés par les phénoménologues pour entériner l’idée que leurs analyses ne ressortent surtout pas de la psychologie. Mais il se trouve :
1. Que j’ai lu Brentano
2. Que j’ai lu les critiques de Piaget à l‘égard de la phénoménologie
3. Que –vous n’avez pas pu ne pas le remarquer- les querelles de chapelle, fussent-elles universitaires, m’indiffèrent.
Donc je lis Sartre, et je prends tout bonnement au sérieux ce qu’il écrit. Sartre est en train d’observer –ou de prétendre observer, bref- le comportement d’un garçon de café, et de ce comportement, il infère un "état mental" –ou appelez-le comme vous le voulez. Voilà tout. Vous ne voulez pas appeler cela de la psychologie, c’est votre problème. Ça y ressemble quand même fichtrement –pour quiconque connaît un peu la psychologie- si ce n’est que c’est de la mauvaise psychologie.
Je lis ce que tu écris, euthyphron, et tu as raison, bien sûr : Sartre expose ce qui apparaît à ses yeux, il est observateur d’un acteur. Mais il n'est pas que cela. Je reprends :
Sartre ne se contente pas de décrire, il interprète aussi le comportement de cet acteur qu'il observe, il cherche à l'expliquer.Considérons ce garçon de café. Il a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, un peu trop rapide, il vient vers les consommateurs d'un pas un peu trop vif, il s'incline avec un peu trop d'empressement, sa voix, ses yeux expriment un intérêt un peu trop plein de sollicitude [notez au passage la première inférence] pour la commande du client, enfin le voilà qui revient, en essayant d'imiter [notez au passage la seconde inférence] dans sa démarche la rigueur inflexible d'on ne sait quel automate tout en portant son plateau avec une sorte de témérité de funambule, en le mettant dans un équilibre perpétuellement instable et perpétuellement rompu, qu'il rétablit perpétuellement d'un mouvement léger du bras et de la main.
Car comme le disait Aron, nous ne pouvons pas nous contenter de décrire le comportement des individus dans notre environnement, et de fait, nous ne nous en contentons pas : Nous sommes aussi constamment en train d’élaborer des hypothèses visant à expliquer ces comportements. Et ces hypothèses, nous les inférons à des "contenus mentaux" : "S’il fait Y, c’est parce qu’il pense/ressent/désire/espère/etc. X" Et regarde bien, c’est exactement ce que fait Sartre :
Avec derrière, la petite rhétorique qui va bien, et qui prétend faire passer cette inférence pour une simple évidence :Toute sa conduite nous semble un jeu. [...] Mais à quoi donc joue-t-il ? Il ne faut pas l'observer longtemps pour s'en rendre compte : il joue à être garçon de café.
En somme, Sartre dit : "Le garçon de café a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, etc. C'est parce qu'il joue à être garçon de café."Il n'y a rien là qui puisse nous surprendre
Or, ce schéma explicatif, ce type d’hypothèse-là : "S’il fait Y, c’est parce qu’il pense/ressent/se vit/désire/espère/etc. X", c’est ce qu’on peut légitimement appeler une "hypothèse psychologique". Simplement, et encore une fois, c’est de la mauvaise psychologie, puisque c’est de la psychologie qui, comme administration de la preuve, ne fait appel qu'à une "expérience de pensée" : Sartre prétend savoir ce que pense ce serveur, et ce, sans même avoir besoin de le lui demander. Est-il télépathe ? Non, bien sûr, c’est simplement qu’il part du principe que nous pensons tous peu ou prou la même chose.
Or, avec Courtial, je prétends que c’est faux. Oui, avec Courtial, puisque Courtial vient de nous apprendre que dans les salons parisiens où je me pavane, on ne pense manifestement pas la même chose à propos du même sujet que dans les troquets de province qu’il est réduit -le pauvre !- à fréquenter. Et comment le sait-il ? Pas par expérience de pensée, mais parce que, sur ce coup-là, il a écouté ce que les gens disent. C’est bien. Mais fais gaffe Courtial, tu es sur la voie de devenir "scientifique" !
Comme Weber l’écrivait à propos de Nietzsche et de Marx, les analyses des philosophes sont très intéressantes, à titre d’hypothèses. Mais seulement à titre d’hypothèses ; ensuite, pour bien faire, il faudrait opérationnaliser un peu tout ça.
Ce qui m’amène d’ailleurs à dire que l’universalisme n’est pas qu’une position philosophique, c’est la condition épistémologique de la philosophie –c’est-à-dire la seule qui pourrait justifier que la philosophie conduise à un quelconque savoir. D’où, évidemment, sa centralité pour les "philosophes".
Bien. Alors maintenant, puisqu’on en est à l’épistémologie : Les objets sociaux ne sont pas au même titre que les objets physiques ou naturels. Cela est bien clair. Un homme, c’est, au même titre qu’une vache. En revanche, un garçon de café n’est sans doute pas au même titre qu’un raton-laveur. L’"Etat français", le "capitalisme", "Google" ne sont pas au même titre qu’un lapin, une montagne, ou une table. Et pourtant, ils sont. C’est-à-dire que l’Etat français est un Etat. Que Google est une entreprise. Que le capitalisme est… disons un système économique. En quel sens sont-ils ? Au sens de représentations, de concepts, d’idées, bref d’"états mentaux" –toujours- plus ou moins partagés par les hommes.
Or, cet homme que j’observe, assis à cette terrasse de bistrot, est un garçon de café. Non pas (seulement) parce que c’est ainsi que je le vois, parce que c’est ainsi qu’il se donne à voir à mes yeux, non pas seulement parce qu’il s’agit d’un rôle social, que je connais, et que, je pense, il joue, mais parce que, si je lui demande qui il est, il y a des chances pour qu’il me réponde : "Ben, je suis le serveur !" C’est ainsi que lui-même se définira, si vous daignez l'écouter. Ou peut-être autrement, d’ailleurs. Mais en tout cas, il se définira. Et rien ne permet de dire qu’il est, avec l’identité qu’il déclinera ainsi, dans un rapport plastique et ludique.
Que l’identité soit multidimensionnelle, je le crois. Mais ce n’est pas pour autant qu’il s’agit d’une garde-robe de costumes qu’on enfile au gré des humeurs et des situations. Et j’ose espérer que mes interlocuteurs "philosophes" ou "enseignants en philosophie", si prompts à dégainer l’épée aussitôt qu’ils subodorent un quelconque danger pour leur profession (et en même temps l’une de leurs passions sans doute, bref, une part de leur identité), sauront faire preuve de la réflexivité attendue pour accueillir sereinement cette idée (et ainsi faire œuvre –horreur !- d’introspection).
Et peut-être même, qui sait, en discuter -l'espoir est toujours permis.
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Bergame- Persona
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Re: L'homme, un projet ?
Moi,je suis resté au début du sujet,quand tu dis Bergame,se perdre en route.
La route, le chemin, tracé, balises,jalons.....
A tâtons, il faut des explorateurs,aller à la reconnaissance,decouvrir,se tromper,revenir sur ses pas.
Douter.
Ne pas savoir.
Prendre le temps,le rythme que tu évoques me parait essentiel.
L'errance ou son sentiment,peut-être un signe d'impatience ?
Depuis ce matin,je pense beaucoup à ce mat sur lequel Ulysse se fit attacher.
Le danger de certaines voi(e)x(s).
Je pense avec toi ,Bergame, que l'homme en projet est un vrai sujet.
je viens de voir Taubira sur onpc,qui martèle l'importance à ses yeux de la constitution,de la règle,la loi.
vivre ensemble tel est le projet
La route, le chemin, tracé, balises,jalons.....
A tâtons, il faut des explorateurs,aller à la reconnaissance,decouvrir,se tromper,revenir sur ses pas.
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Ne pas savoir.
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L'errance ou son sentiment,peut-être un signe d'impatience ?
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Soyez patient envers tout ce qui n'est pas résolu dans votre cœur et essayez d'aimer les questions elles-mêmes
lanK- Digressi(f/ve)
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Re: L'homme, un projet ?
Bergame a écrit:Mais cela étant dit, et pour redevenir sérieux une seconde, si ça ne t’ennuie pas trop :
J’imaginais bien qu’en qualifiant l’analyse de Sartre de "psychologique", j’allais –encore !- vous faire dresser sur vos ergots. Car je sais les trésors d’énergie déployés par les phénoménologues pour entériner l’idée que leurs analyses ne ressortent surtout pas de la psychologie. Mais il se trouve :
1. Que j’ai lu Brentano
2. Que j’ai lu les critiques de Piaget à l‘égard de la phénoménologie
3. Que –vous n’avez pas pu ne pas le remarquer- les querelles de chapelle, fussent-elles universitaires, m’indiffèrent.
Oui, Brentano, Piaget, ce sont des noms que j'ai entendus. Prononcés par un Parisien, venu chez nous y a pas longtemps. On avait bien rigolé.
Lui un peu moins quand la veille de son départ, on lui a piqué ses quatre roues de bagnole et qu'on a empalé son chien à la porte de la grange. C'te partie de rigolade ! Mais bon, j'ai cru comprendre que tu n'appréciais pas trop notre humour, alors je passe...
On a regardé quand même dans le dictionnaire à "phénoménologie" et on n'a pas vu Piaget, mais Husserl.
J'imagine que par souci d'objectivité, pour éviter les querelles de chapelle, tu as préféré ne pas le lire? C'est vrai que si tu le faisais, il se pourrait que tu sois convaincu, voire même que tu croies à ses mensonges, que tu sois influencé dans ton jugement. Quand il dit par exemple qu'il y a un "parallélisme strict entre phénonémologie transcendantale et psychologie", des trucs comme ça. Et du coup, étant convaincu, tu perdrais ton objectivité.
Mais c'est sans doute par ce qu'en dit Piaget (ou ce que n'en dit pas Brentano) qu'il faut en passer.
Cela ne nous étonne plus chez nous : on connaît déjà des tas de types qui ont réfuté Marx, par exemple, mais qui ont pris la précaution principielle d'éviter de le lire.
Sartre ne veut pas montrer qu'il est capable de lire dans la tête d'un garçon de café. D'ailleurs, il n'existe pas, ce garçon de café, il n'a donc pas de tête. La question de savoir ce que je peux savoir de l'autre, du pour autrui, de ce que l'autre voit ou sait de moi, Sartre le traite pendant 200 pages, avec une certaine subtilité.( Le passage que tu cites n'est pas dans cette section et ce n'est pas cela qui l'intéresse ici). Mais on ne peut pas dire qu'il s'en fout ou qu'il considère que cela va de soi, ou qu'il a une naïveté quelconque là-dessus.
Pour le restant, j'ai oublié de te dire que chez nous, à la campagne, non seulement on est vulgaire et grossier, mais on est sordide, en plus. Prend mon cas par exemple : je suis en vacances, eh bien je refuse de faire des heures sup' non payées. La gratuité, l'art pour l'art, c'est pas notre truc. Vous faîtes peut-être ça chez vous, mais nous on est syndiqué, désolé.
Pour ton argument massue, faudra donc revenir dans quinze jours.
Cet argument massue (l'asile de l'ignorance) je l'entends tous les jours au bureau : "mais m'sieur, vous nous dîtes que quand le lion bouffe la gazelle, il se fout de la morale, qu'est-ce que vous en savez, m'sieur, vous êtes pas dans sa tête, au lion " ?
Pour l'instant, je fais relâche. Merci de respecter la quiétude du travailleur et ses congés payés.
Courtial- Digressi(f/ve)
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Date d'inscription : 03/07/2008
Re: L'homme, un projet ?
Bergame a écrit:Sacré Courtial ! Qui après avoir tant fustigé les "instincts criminels de la plèbe" (l’expression est de BHL, j’ai pensé qu’elle te plairait bien), si prompte à lyncher son prochain à moins qu’on n’y prenne bonne garde, se revendiquerait presque maintenant de la ruralité profonde –presque, car en artiste de la conversation, tu sais laisser poindre de cette raillerie bon enfant qui fait ton charme à l’égard de ces peigne-culs du terroir, incultes, catholiques et franchouillards.
C'est moi qui souligne. J'ai bien saisi l'ironie adoptée. Il n'empêche, très sérieusement, je veux rappeler une sorte d'événement historique passé quasi inaperçu : à partir de et depuis 1986, les statistiques du ministère de l'éducation nationale disent que les petits ruraux sont passés devant les petits citadins en matière de résultats ( Diplômes, examens, etc., etc., etc. ). La ville est un des fruits les plus directs de la révolution néolithique. Dés qu'une région du monde connait cette révolution, on voit la ville émerger. Mais il y a loin, voire de plus en plus loin, de la ville à la cité. Grâce au triomphe global du " libéralisme " ( Lequel ? ), le tissu social souffre partout, mais il n'est pas besoin d'avoir inventer l'eau chaude pour se rendre compte, en faire l'expérience simplement en se promenant, en se rendant chez une connaissance citadine, etc., que si c'est vrai en milieu rural c'est bien pire en ville. Ce que d'autres statistiques, celles du ministère de l'intérieur, etc., confirment parfaitement. J'appartiens donc à une de ces générations qui a vécu la fin de l'exode rural, j'ai vu des villages se vider, j'ai connu l'ancien village, et 20 ans plus tard, les mêmes villages, plus exactement ceux qui sont bien desservis par le réseau routier ( Je tiens à rassurer : il reste de prodigieux trous du cul de la terre en France ! Mais même eux se dotent de la fibre haut-débit, etc. ! ), ont non seulement retrouvé leur ancien effectif historique, d'avant exode rural, mais ont vu leur population augmenter via moults lotissements, etc. Ma femme, particulièrement impliquée dans le tissu social local pour des raisons professionnelles, me parle parfois d'untel ou untel, et moi je lui réponds " Mais c'est qui ça !? Je connais pas ! ", et puis elle laisse tomber : " C'est des nouveaux, le lotissement " X " de Y ( Nom du patelin. ) ". Je connais quelques uns de ces " nouveaux " ( Je mets des guillemets, parfois ça fait plus de 10 ans qu'ils sont là. ), et très clairement, explicitement : ils ont fui la ville, opter pour un autre mode de vie. En plus, il faut le dire, ce n'est pas les plus pauvres, pour acheter, construire, avoir deux voitures, faire garder les enfants, etc., il faut un minimum de moyens. Les petites " terreurs " des collèges ruraux, c'est bien, toujours, les enfants des familles de marginaux divers, ancestraux, du cru, certainement pas les enfants des " nouveaux ".
_________________
" Tout Étant produit par moi m'est donné (c'est son statut philosophique), a priori, et il est Mien (cogito, conscience de Soi, libéré du Poêle) ". " Savoir guérit, forge. Et détruit tout ce qui doit l'être ", ou, équivalents, " Tout l'Inadvertancier constitutif doit disparaître ", " Le progrès, c'est la liquidation du Sujet empirique, notoirement névrotique, par la connaissance ". " Il faut régresser et recommencer, en conscience ". Moi.
C'est à pas de colombes que les Déesses s'avancent.
neopilina- Digressi(f/ve)
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Re: L'homme, un projet ?
neopilina a écrit:Ma femme, particulièrement impliquée dans le tissu social local pour des raisons professionnelles, me parle parfois d'untel ou untel, et moi je lui réponds " Mais c'est qui ça !? Je connais pas ! ", et puis elle laisse tomber : " C'est des nouveaux, le lotissement " X " de Y ( Nom du patelin. ) ". Je connais quelques uns de ces " nouveaux " ( Je mets des guillemets, parfois ça fait plus de 10 ans qu'ils sont là. ), et très clairement, explicitement : ils ont fui la ville, opter pour un autre mode de vie. En plus, il faut le dire, ce n'est pas les plus pauvres, pour acheter, construire, avoir deux voitures, faire garder les enfants, etc., il faut un minimum de moyens. Les petites " terreurs " des collèges ruraux, c'est bien, toujours, les enfants des familles de marginaux divers, ancestraux, du cru, certainement pas les enfants des " nouveaux ".
Je confirme : il y a un "grand remplacement", comme dirait Marion, mais qui n 'est pas tout à fait celui auquel elle pense. J'ai bien connu deux coins en particulier dans fin années 60 et années 70 : la Bretagne pas belle (Côtes du Nord, rebaptisées, c'est signicatif, Côtes d'Armor. "Pas belle" est ironique ; elle est très belle, mais pas friquée) et les Landes.
Je suis revenu vingt ans après : le désastre. Tous les coins que j'avais connus, et qui étaient fort miséreux, étaient très peuplés, la campagne est maintenant déserte, les anciens petits villages qui grouillaient d'activités économiques, c'est une pitié de voir tout fermé, tout mort : des garages, des magasins de matériel agricole (d'engrais, de machines, etc.) des coopératives en ruine, des auberges qu'il y avait à tous les coins de route, bondées le dimanche où on se défonçait avec un pinard immonde: tout fermé tout fini.
Par ci par là, en effet, des lotissements, mais dans le genre modeste, dans ce coin. Souvent des gens du crû revenus de Paris pour passer "chez eux" une retraite bien méritée, mais dont le montant (de la retraite) est très mesuré. Pour ceux qui connaissent, je parle de la zone Quintin- Chatelaudren, en gros). Je connais pas mal de gens là-bas : je les respecte et je les aime. Et je n'ai pas de leçon de ruralité onfraytiste à recevoir (1)
Les Landes : c'était tout aussi miséreux, mais désert. Aujourd'hui, vous vous baladez et vous avez le droit au spectacle des superbes villas dans tous les coins et, de ce que vous voyez de la route, vous avez l'impression d'être au Salon de l'auto : Porsche Cayenne, Mercédès machin, 4x4 bidule, Jaguar trucmuche (pas mal de britiches).
Donc oui, ça se repeuple, mais c'est pas les mêmes et pas partout.
(1) Ni d'heideggerianisme. Faut-il rappeler à Onfray (et quelques autres) que jouer les pécors, c'est une pose heideggerienne ? Moi je ne suis qu'un paysan méprisé par les Raffinés, par les Hors-sol, les pas chtoniens, ceux qui sont chez nous mais pas chez eux, on a déjà entendu cette chanson. Elle est plutôt saumâtre. (A l'époque dont je parle, je n'ai jamais entendu cet air en Bretagne et, croyez-moi si vous voulez, j'ai l'oreille sensible, au moins là-dessus).
Qu'on le traite de pétainiste et d'antisémite est une falsification immonde, mais qui ne part pas de rien. Est-ce que Bourdieu, qui est plus pécor que lui, s'amusait à ce genre de plaisanteries (sauf tout à fait à la fin de sa vie, quand il s'est mis à son autobiographie) ?
Courtial- Digressi(f/ve)
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Date d'inscription : 03/07/2008
Re: L'homme, un projet ?
Les gens là-bas te remercient.
La prochaine fois que tu viens dans le coin, fais-moi signe, et viens boire un coup à la maison. Y a plus de pinard immonde mais on trouvera bien de quoi le remplacer!
La prochaine fois que tu viens dans le coin, fais-moi signe, et viens boire un coup à la maison. Y a plus de pinard immonde mais on trouvera bien de quoi le remplacer!
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amicus plato sed magis amica veritas
euthyphron- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 1505
Date d'inscription : 01/06/2011
Re: L'homme, un projet ?
" Chtonien ", oui !, mais complétement à l'abri de toute dérive völkisch et analogues.
P.S. Pas très vin, mais j'ai une collection de gnôles locales très recherchée !
P.S. Pas très vin, mais j'ai une collection de gnôles locales très recherchée !
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C'est à pas de colombes que les Déesses s'avancent.
neopilina- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 8364
Date d'inscription : 31/10/2009
Re: L'homme, un projet ?
Et nous revoilà déjà à Vichy, Pétain, l'antisémitisme et le reste. Qu'est-ce que c'est que cette manière de faire dériver systématiquement tous les sujets ? Moi, je suis content (pour eux) que les petits fonctionnaires syndiqués de l'Education Nationale soient en congés, mais j'aimerais leur faire une proposition : Qu'ils en profitent pour se reposer, décompresser, qu'ils s'aèrent l'esprit et reviennent à ces petites joies simples qu'offre la vie à la campagne. Il n'y a pas qu'à eux que ca fera des vacances.
Et puis quand ils seront aptes à reprendre leur dur labeur, qu'ils reviennent lire ce qui précède. Personne, Courtial, personne n'a dit que Sartre se foutait de la question de savoir ce que l'autre pense, ou qu'il considérait que cela allait de soi. En revanche, moi, j'ai bien critiqué son analyse du garçon de café. Si c'est objectable, je t'en prie : Tu as 15 jours pour y réfléchir et proposer quelque chose qui ait un peu de contenu. Franchement, vu la facilité et le dilettantisme dans lesquels tu te complais depuis quelques temps, moi au moins ca me changera.
Mais avant de subir ce désormais habituel tir de barrage, pour ma part, je voulais simplement faire part de cette expérience : Oui, je vois et j'entends beaucoup de gens autour de moi, dans mon environnement personnel et professionnel, témoigner de ce sentiment de s'être éloignés d'eux-mêmes. Là encore, on n'est pas obligé de faire la même expérience, mais je ne vois vraiment pas ce qu'il y a de si terrible à l'entendre. Et du reste, blague à part, ce qui nous différencie à cet égard est peut-être moins une distinction Paris/province qu'une proximité plus ou moins grande avec le monde de l'entreprise.
Tous ces gens à la recherche de sens ! Tous ces gens, arrivés à la quarantaine, qui font le point. Je suis effaré par le nombre de "burn-outs" dont je prends connaissance, par exemple. Tous ces gens qui se retrouvent écrasés par une machine, ceux-là mêmes à qui on avait dit qu'ils étaient libres, qu'ils étaient les acteurs de leur vie, que leur avenir ne dépendait que d'eux-mêmes, et bla-bli bla-bla.
En fait, l'origine de ce sujet, c'est que j'ai assisté tout récemment au séminaire annuel de la Société Française de Management. Que des chercheurs, enseignants dans les grandes écoles de commerce. A priori, pas des gauchistes convaincus ! Hé bien, à ma grande surprise, il ne fut question, durant cette journée, que de la crise de confiance vis-à-vis de l'entreprise. Son impact sur l'environnement, son rôle dans les crises, sa bureaucratisation croissante, son influence politique et anti-démocratique... Et néanmoins, y a-t-il à l'horizon la moindre chance d'évolution ? Les grandes entreprises sont devenues tellement puissantes qu'elles semblent désormais se développer loin au-dessus de la tête des hommes. Il n'y a même plus d'actionnaires, bon sang de bonsoir ! Il n'y a même plus de propriétaires, plus de responsables ! Le capital est tellement dilué, tellement fluide, que les grandes entreprises deviennent des sortes de Molochs autonomes. Savez-vous qu'une directive européenne a récemment fixé la durée minimale de détention d'une action ? 500 millisecondes ! Le temps n'est plus très éloigné où les grandes entreprises "existeront" d'une vie propre, comme en apesanteur, arc-boutées sur des IA, une existence virtuelle, mobile, mais aux conséquences bien réelles sur nos propres existences -à nous, pauvres humains, irrémédiablement ancrés dans un territoire, irrémédiablement assignables à un corps physique. Mais libres, bien sûr, libres...
Enfin bref, peut-être que j'ai mes obsessions, moi aussi, c'est vrai. Comme disait l'autre pignouf, on a les nazis qu'on peut ! Tiens, j'aurais bien besoin de vacances, moi aussi.
Et puis quand ils seront aptes à reprendre leur dur labeur, qu'ils reviennent lire ce qui précède. Personne, Courtial, personne n'a dit que Sartre se foutait de la question de savoir ce que l'autre pense, ou qu'il considérait que cela allait de soi. En revanche, moi, j'ai bien critiqué son analyse du garçon de café. Si c'est objectable, je t'en prie : Tu as 15 jours pour y réfléchir et proposer quelque chose qui ait un peu de contenu. Franchement, vu la facilité et le dilettantisme dans lesquels tu te complais depuis quelques temps, moi au moins ca me changera.
Mais avant de subir ce désormais habituel tir de barrage, pour ma part, je voulais simplement faire part de cette expérience : Oui, je vois et j'entends beaucoup de gens autour de moi, dans mon environnement personnel et professionnel, témoigner de ce sentiment de s'être éloignés d'eux-mêmes. Là encore, on n'est pas obligé de faire la même expérience, mais je ne vois vraiment pas ce qu'il y a de si terrible à l'entendre. Et du reste, blague à part, ce qui nous différencie à cet égard est peut-être moins une distinction Paris/province qu'une proximité plus ou moins grande avec le monde de l'entreprise.
Tous ces gens à la recherche de sens ! Tous ces gens, arrivés à la quarantaine, qui font le point. Je suis effaré par le nombre de "burn-outs" dont je prends connaissance, par exemple. Tous ces gens qui se retrouvent écrasés par une machine, ceux-là mêmes à qui on avait dit qu'ils étaient libres, qu'ils étaient les acteurs de leur vie, que leur avenir ne dépendait que d'eux-mêmes, et bla-bli bla-bla.
En fait, l'origine de ce sujet, c'est que j'ai assisté tout récemment au séminaire annuel de la Société Française de Management. Que des chercheurs, enseignants dans les grandes écoles de commerce. A priori, pas des gauchistes convaincus ! Hé bien, à ma grande surprise, il ne fut question, durant cette journée, que de la crise de confiance vis-à-vis de l'entreprise. Son impact sur l'environnement, son rôle dans les crises, sa bureaucratisation croissante, son influence politique et anti-démocratique... Et néanmoins, y a-t-il à l'horizon la moindre chance d'évolution ? Les grandes entreprises sont devenues tellement puissantes qu'elles semblent désormais se développer loin au-dessus de la tête des hommes. Il n'y a même plus d'actionnaires, bon sang de bonsoir ! Il n'y a même plus de propriétaires, plus de responsables ! Le capital est tellement dilué, tellement fluide, que les grandes entreprises deviennent des sortes de Molochs autonomes. Savez-vous qu'une directive européenne a récemment fixé la durée minimale de détention d'une action ? 500 millisecondes ! Le temps n'est plus très éloigné où les grandes entreprises "existeront" d'une vie propre, comme en apesanteur, arc-boutées sur des IA, une existence virtuelle, mobile, mais aux conséquences bien réelles sur nos propres existences -à nous, pauvres humains, irrémédiablement ancrés dans un territoire, irrémédiablement assignables à un corps physique. Mais libres, bien sûr, libres...
Enfin bref, peut-être que j'ai mes obsessions, moi aussi, c'est vrai. Comme disait l'autre pignouf, on a les nazis qu'on peut ! Tiens, j'aurais bien besoin de vacances, moi aussi.
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Bergame- Persona
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Date d'inscription : 03/09/2007
Re: L'homme, un projet ?
D'accord pour l'ensemble. Une " petite " restriction tout de même : les milliers de milliards versés aux actionnaires n'ont absolument rien de virtuels, c'est cela qui meut le Monstre qui éreinte et humanité et planète, et expressément ils en veulent toujours plus.
Des milliers de cadres sup quadra ou quinqua, complices un temps du système, ne l'oublions pas, fuient l'entreprise, un monde qui les a aussi essoré, lessivé, pressuré.
Le " libéralisme ", et moi, je me " contente " de celui dont on fait l'expérience, celui qui existe en actes, tue, détruit, etc. ad nauseam.
P.S. J'ai un chiffre complémentaire pour la détention d'une action, la moyenne actuelle est de ... 4 secondes !
Des milliers de cadres sup quadra ou quinqua, complices un temps du système, ne l'oublions pas, fuient l'entreprise, un monde qui les a aussi essoré, lessivé, pressuré.
Le " libéralisme ", et moi, je me " contente " de celui dont on fait l'expérience, celui qui existe en actes, tue, détruit, etc. ad nauseam.
P.S. J'ai un chiffre complémentaire pour la détention d'une action, la moyenne actuelle est de ... 4 secondes !
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C'est à pas de colombes que les Déesses s'avancent.
neopilina- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 8364
Date d'inscription : 31/10/2009
Re: L'homme, un projet ?
Euh... maintenant que j'ai enfin compris de quoi il retournait au fond, à savoir des zentreprises, je regrette d'avoir persiflé si légèrement sur un sujet aussi grave : les états d'âme de la zentreprise (autrement nommés : le blues du manager).
En tant que petit fonx appointé et avec congés payés, je ne suis pas à même de comprendre la métaphysique entrepreneuriale.
Je peux rire, je peux pleurer, mais pas comprendre.
En tant que petit fonx appointé et avec congés payés, je ne suis pas à même de comprendre la métaphysique entrepreneuriale.
Je peux rire, je peux pleurer, mais pas comprendre.
Courtial- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 2030
Date d'inscription : 03/07/2008
Re: L'homme, un projet ?
Bergame a écrit:En somme, Sartre dit : "Le garçon de café a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, etc. C'est parce qu'il joue à être garçon de café."
... si je lui demande qui il est, il y a des chances pour qu’il me réponde : "Ben, je suis le serveur !" C’est ainsi que lui-même se définira, si vous daignez l'écouter.
Le garçon de café ne connaît que ce jeu là... Il joue au seul jeu qu'il connaisse. Il ne se définit pas, il dit à quel groupe il appartient, celui des garçons de café... Où je suis, je ne sais pas s'ils diront je suis ingénieur ou garçon de café... Nous ne disons que cela, les groupes auxquels nous appartenons et pourquoi les autres sont mieux ou moins bien. Sarthe ne peut pas savoir ce que pense un garçon de café, car il est philosophe, pas garçon de café. Un garçon de café pense qu'il a mal aux jambes, qu'il va rentrer tard ce soir car c'est lui qui doit nettoyer le percolateur, il pense au client qui lui a laissé 20€ de pourboire... Il ne pense pas "je suis un garçon de café", ça c'est la réponse qu'il donne à ceux qui ne s'en sont pas rendu compte...
Mais pour la question initiale, la toute première... Le sens est porté par la Raison qui est arbitraire. Quand la Raison évolue trop vite, par exemple parce qu'une société devenue trop complexe "s'emballe", que tout change trop rapidement, ce n'est plus la Raison de personne, alors il n'y a plus de sens... Jusqu'à ce qu'un dictateur prenne le pouvoir pour imposer la sienne, ce qui stabilisera une autre Raison, tout aussi arbitraire. Mais la stabilité empêche l'innovation, alors après un certain temps, le dictateur n'arrivera plus à suivre et ceux qui veulent briser la stabilité reprendrons le pouvoir... et tout ira bien... jusqu'à ce que la Raison redevienne instable...
Le sens ne peut être que commun, car moi, n'est qu'un enfant de la Raison.
Nous ne pouvons pas faire comme si l'homme maîtrisait la société...
Re: L'homme, un projet ?
Non, je ne crois pas du tout qu'il joue, en aucune manière, à être garçon de café.
Je répète, il faut bien voir ce que Sartre écrit : "Il a le geste un peu trop rapide, il s'incline avec un peu trop d'empressement, bref il joue" comme les enfants, en somme, jouent à la marchande ou au gendarme. Mais non ! Est-ce qu'à l'âge adulte, on joue à être ? Est-ce qu'on joue à être enseignant en philosophie, par exemple ? Ah, parfois, peut-être, il doit arriver de prendre des poses un peu forcées, la tête légèrement penchée vers l'arrière, le regard perdu dans le vague, et déclamer ses citations : "A ce propos, il me revient à la mémoire ce mot si profond, si puissant de Bergson, qui disait..." Mais j'espère pour l'enseignant en question, qu'à ce moment précis, un mince sourire pince ses lèvres, qu'il y introduit un peu de second degré, ce qu'on appelle à juste titre de la distanciation, qu'il sait qu'il joue. Ou bien s'il se prend réellement, sincèrement, pour un grand esprit parce qu'il cite Bergson devant un parterre de gamins pubères -tout comme les enfants, encore une fois, croient, sincèrement, à leur jeu- alors je plains son ridicule -et sans doute, ses élèves également.
Nous ne jouons pas à être, nous sommes. Ce qui ne signifie pas que cet "être" soit monolithique ni achevé. Nous sommes constamment engagés dans une définition de nous-mêmes, et celle-ci évolue dans le temps bien entendu. Par ailleurs, nous nous définissons aussi en rapport à Autrui, bien évidemment. Cette définition est le résultat toujours transitoire d'une dialectique moi-autrui, et cet Autrui peut être un groupe, tout à fait -il l'est même souvent. Oui, nous appartenons à des groupes, ou plus exactement nous nous sentons appartenir à des groupes. Et ce sentiment d'appartenance est une part de notre définition de nous-mêmes, c'est-à-dire de notre identité (celle du moins que nous revendiquons à instant T).
Je crois que nous avons beaucoup de problème avec la question de l'identité, nous avons beaucoup de difficulté à l'appréhender sereinement. Il y a depuis la IIe GM une sorte de black-out sur cette question, qui mérite à mon sens d'être déconstruit. Ce que j'en pense, et ce dont témoignent à mon sens les philosophies "modernes" que je citais en préambule, c'est que l'identité a été envisagée comme :
Et l'articulation avec le capitalisme me semble évident. Cet Homme-là, cet Individu sans attaches, sans appartenance communautaire, sans enracinement territorial, sans religion ni idéologie, critique de l'Etat et du rôle pédagogique des parents, engagé dans l'abolition systématique de toutes limites ou contraintes s'érigeant face à sa liberté principielle, cet Homme hybriesque-là, c'est exactement le type dont l'Entreprise avait besoin, à la fois comme ressource et comme débouchée.
Onfray l'a effectivement dit d'un mot : "On nous avait promis le paradis, et nous découvrons l'enfer." Et je crois que toutes les personnes broyées par la machine Entreprise dont je parlais, et toutes celles qui vont l'être avec la prochaine crise -puisque, comme vous le savez, nous sommes sans doute à l'aube d'une nouvelle "crise"- sont des personnes qui, je crois, ont cru à ces promesses. C'est peut-être en cela qu'elles se sont perdues.
Alors maintenant, peut-on déconstruire cette représentation anthropologique "moderne" ? Je le crois. Il suffit pour cela d'être un tout petit peu plus nuancé et dialectique.
De dire en particulier que l'identité n'est pas seulement assignée par autrui. Parmi l'ensemble des feedbacks qui nous sont adressés par autrui, s'opère une sélection -plus ou moins consciente : Il y a ce que nous acceptons, ce que nous refusons, ce contre quoi nous luttons, ce que nous revendiquons. Notre identité est toujours à définir avec et contre Autrui.
De dire ensuite que nous pouvons parfaitement ressentir un sentiment d'appartenance pour le groupe X, et pas pour le groupe Y. Et pourquoi pas ? De toutes façons, malgré toutes les philosophies, c'est ce qui se passe. Et même les prétendus universalistes finissent toujours par révéler, par montrer, qu'ils ont des affinités avec telle catégorie ou telle communauté d'individus, et moins avec telle autre.
Pourtant, cela étant dit :
- Aucun sentiment d'appartenance n'est jamais exclusif. Chacun de nous est engagé dans différents groupes, qui ne se recoupent jamais parfaitement : Famille, profession, communauté religieuse, ethnie, communauté nationale, cercle d'amis, parti politique ou syndicat, etc.
- La relativité des affinités n'empêche aucunement la compréhension. Car notre capacité d'empathie n'est pas limitée à nos affinités. J'affirme qu'il est possible de comprendre un partisan de Poutine, un soldat de Daesh, un électeur du Front National, un fan de Bernard-Henri Lévy -même si, l'empathie relevant de la personnalité, nous ne sommes dans doute pas également doués à cet égard. Et nous sommes (fort heureusement, du reste) capables de trouver des terrains d'entente, d'échanger, avec des catégories d'individus vis-à-vis desquels nous ne nous sentons pas forcément d'affinités -j'aimerais croire que ce forum en est une démonstration parmi d'autres.
En somme, l'"essentialisme" est un homme de paille.
Je répète, il faut bien voir ce que Sartre écrit : "Il a le geste un peu trop rapide, il s'incline avec un peu trop d'empressement, bref il joue" comme les enfants, en somme, jouent à la marchande ou au gendarme. Mais non ! Est-ce qu'à l'âge adulte, on joue à être ? Est-ce qu'on joue à être enseignant en philosophie, par exemple ? Ah, parfois, peut-être, il doit arriver de prendre des poses un peu forcées, la tête légèrement penchée vers l'arrière, le regard perdu dans le vague, et déclamer ses citations : "A ce propos, il me revient à la mémoire ce mot si profond, si puissant de Bergson, qui disait..." Mais j'espère pour l'enseignant en question, qu'à ce moment précis, un mince sourire pince ses lèvres, qu'il y introduit un peu de second degré, ce qu'on appelle à juste titre de la distanciation, qu'il sait qu'il joue. Ou bien s'il se prend réellement, sincèrement, pour un grand esprit parce qu'il cite Bergson devant un parterre de gamins pubères -tout comme les enfants, encore une fois, croient, sincèrement, à leur jeu- alors je plains son ridicule -et sans doute, ses élèves également.
Nous ne jouons pas à être, nous sommes. Ce qui ne signifie pas que cet "être" soit monolithique ni achevé. Nous sommes constamment engagés dans une définition de nous-mêmes, et celle-ci évolue dans le temps bien entendu. Par ailleurs, nous nous définissons aussi en rapport à Autrui, bien évidemment. Cette définition est le résultat toujours transitoire d'une dialectique moi-autrui, et cet Autrui peut être un groupe, tout à fait -il l'est même souvent. Oui, nous appartenons à des groupes, ou plus exactement nous nous sentons appartenir à des groupes. Et ce sentiment d'appartenance est une part de notre définition de nous-mêmes, c'est-à-dire de notre identité (celle du moins que nous revendiquons à instant T).
Je crois que nous avons beaucoup de problème avec la question de l'identité, nous avons beaucoup de difficulté à l'appréhender sereinement. Il y a depuis la IIe GM une sorte de black-out sur cette question, qui mérite à mon sens d'être déconstruit. Ce que j'en pense, et ce dont témoignent à mon sens les philosophies "modernes" que je citais en préambule, c'est que l'identité a été envisagée comme :
1. Assignation par autrui : C'est-à-dire que ce contre quoi prétendaient argumenter les philosophies modernes, c'est l'idée que l'identité de l'individu lui soit attribuée par un autre, et même, souvent, un Grand Autre. Corollaires de cette idée, et en vrac : Toutes les analyses à propos des stéréotypes "stigmatisants", de la discrimination, du rôle de l'Etat dans cette attribution de l'identité (et de la menace totalitaire à cet égard), éventuellement de l'autorité parentale, etc.
2. Essentialisme : C'est-à-dire que ce contre quoi prétendaient argumenter les philosophies modernes, c'était l'idée que définir ce qu'est X, c'est aussi définir ce que X n'est pas, donc tracer des limites, des frontières entre X et non-X. Et les frontières, ce n'est pas bien, il faut pas. D'une manière générale, tout ce qui limite, tout ce qui contraint la liberté humaine est à abolir. Donc les philosophies modernes sont "naturellement" pour ainsi dire, universalistes. La seule chose, disent-elles, que nous sommes, que nous pouvons être, c'est un Homme -un homme générique, universel, et à comprendre comme engagé dans un process évolutif, un homme en tant que projet. Voila, nous sommes tous des projets. En revanche, nous ne pouvons pas vraiment , réellement, être Chinois, Italien, musulman, juif, garçon de café, chef de produit dans l'alimentaire, enseignant en philosophie, non, ca c'est forcément un jeu.
Et l'articulation avec le capitalisme me semble évident. Cet Homme-là, cet Individu sans attaches, sans appartenance communautaire, sans enracinement territorial, sans religion ni idéologie, critique de l'Etat et du rôle pédagogique des parents, engagé dans l'abolition systématique de toutes limites ou contraintes s'érigeant face à sa liberté principielle, cet Homme hybriesque-là, c'est exactement le type dont l'Entreprise avait besoin, à la fois comme ressource et comme débouchée.
Onfray l'a effectivement dit d'un mot : "On nous avait promis le paradis, et nous découvrons l'enfer." Et je crois que toutes les personnes broyées par la machine Entreprise dont je parlais, et toutes celles qui vont l'être avec la prochaine crise -puisque, comme vous le savez, nous sommes sans doute à l'aube d'une nouvelle "crise"- sont des personnes qui, je crois, ont cru à ces promesses. C'est peut-être en cela qu'elles se sont perdues.
Alors maintenant, peut-on déconstruire cette représentation anthropologique "moderne" ? Je le crois. Il suffit pour cela d'être un tout petit peu plus nuancé et dialectique.
De dire en particulier que l'identité n'est pas seulement assignée par autrui. Parmi l'ensemble des feedbacks qui nous sont adressés par autrui, s'opère une sélection -plus ou moins consciente : Il y a ce que nous acceptons, ce que nous refusons, ce contre quoi nous luttons, ce que nous revendiquons. Notre identité est toujours à définir avec et contre Autrui.
De dire ensuite que nous pouvons parfaitement ressentir un sentiment d'appartenance pour le groupe X, et pas pour le groupe Y. Et pourquoi pas ? De toutes façons, malgré toutes les philosophies, c'est ce qui se passe. Et même les prétendus universalistes finissent toujours par révéler, par montrer, qu'ils ont des affinités avec telle catégorie ou telle communauté d'individus, et moins avec telle autre.
Pourtant, cela étant dit :
- Aucun sentiment d'appartenance n'est jamais exclusif. Chacun de nous est engagé dans différents groupes, qui ne se recoupent jamais parfaitement : Famille, profession, communauté religieuse, ethnie, communauté nationale, cercle d'amis, parti politique ou syndicat, etc.
- La relativité des affinités n'empêche aucunement la compréhension. Car notre capacité d'empathie n'est pas limitée à nos affinités. J'affirme qu'il est possible de comprendre un partisan de Poutine, un soldat de Daesh, un électeur du Front National, un fan de Bernard-Henri Lévy -même si, l'empathie relevant de la personnalité, nous ne sommes dans doute pas également doués à cet égard. Et nous sommes (fort heureusement, du reste) capables de trouver des terrains d'entente, d'échanger, avec des catégories d'individus vis-à-vis desquels nous ne nous sentons pas forcément d'affinités -j'aimerais croire que ce forum en est une démonstration parmi d'autres.
En somme, l'"essentialisme" est un homme de paille.
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...que vont charmant masques et bergamasques...
Bergame- Persona
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Date d'inscription : 03/09/2007
Re: L'homme, un projet ?
Bergame a écrit:Non, je ne crois pas du tout qu'il joue, en aucune manière, à être garçon de café.
Je répète, il faut bien voir ce que Sartre écrit : "Il a le geste un peu trop rapide, il s'incline avec un peu trop d'empressement, bref il joue" comme les enfants, en somme, jouent à la marchande ou au gendarme. Mais non ! Est-ce qu'à l'âge adulte, on joue à être ? Est-ce qu'on joue à être enseignant en philosophie, par exemple ? Ah, parfois, peut-être, il doit arriver de prendre des poses un peu forcées, la tête légèrement penchée vers l'arrière, le regard perdu dans le vague, et déclamer ses citations : "A ce propos, il me revient à la mémoire ce mot si profond, si puissant de Bergson, qui disait..." Mais j'espère pour l'enseignant en question, qu'à ce moment précis, un mince sourire pince ses lèvres, qu'il y introduit un peu de second degré, ce qu'on appelle à juste titre de la distanciation, qu'il sait qu'il joue. Ou bien s'il se prend réellement, sincèrement, pour un grand esprit parce qu'il cite Bergson devant un parterre de gamins pubères -tout comme les enfants, encore une fois, croient, sincèrement, à leur jeu- alors je plains son ridicule -et sans doute, ses élèves également.
Nous ne jouons pas à être, nous sommes.
Il n'y a pas d'alternative : ce n'est pas être ou jouer à être.
Pour ce qui se rapporte aux professeurs, tu devrais les interroger : les enquêtes et sondages, ça peut servir. Je serais curieux d'apprendre combien il y a de profs qui ne perçoivent aucun rapport entre leur activité et le théâtre, qui disent qu'ils se contentent d'être, sans rien jouer.
(Pourquoi les élèves sont-ils étonnés (ou rigolards, etc.) s'ils découvrent une photo du prof en maillot de bain ou jouant à la pétanque ? Qu'est-ce qui motive cette réaction ? ).
Je suis surpris de ta surprise : Sartre mentionne d'ailleurs l'extrême banalité de ce qu'il raconte, il parle du commissaire-priseur avec son petit marteau, du croque-mort avec sa mine perpétuellement "de circonstance", de l'épicier ("et pour la petite dame, qu'est-ce que ce sera ? Fait pas chaud, hein", etc...Il n'a pas "le droit" de dire à la cliente qu'il a lu hier soir un beau poème de Rimbaud, la cliente va croire que ce n'est pas vraiment un épicier) et de toute les professions qui exigent un peu de représentation.
C'est sans doute moins difficile que de jouer ce que l'on n'est pas. Ca, c'est pour les menteurs et les artistes, qui sont une minorité.
Dans les reality shows, ce sont tous des acteurs (des gens qui prennent cela comme tremplin pour une carrière dans le spectacle, très souvent) et ils agissent devant une caméra, donc ce sont des acteurs, des joueurs, mais comme ils ne sont pas très doués, ils jouent à être ce qu'ils sont. On a donc des intellos qui jouent les intellos, des machos qui jouent les machos, les pétasses qui jouent les pétasses, des timides qui jouent les timides, etc. Ils le sont et ils le jouent, il n'y a pas d'exclusion réciproque.
Quant à la distanciation (qui est aussi un procédé de théâtre, brechtien, etc.), elle signifie seulement qu'on n'est pas comissaire-priseur comme on est une table, mais je l'ai déjà indiqué.
Courtial- Digressi(f/ve)
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Date d'inscription : 03/07/2008
Re: L'homme, un projet ?
Bergame a écrit:De dire en particulier que l'identité n'est pas seulement assignée par autrui. Parmi l'ensemble des feedbacks qui nous sont adressés par autrui, s'opère une sélection -plus ou moins consciente : Il y a ce que nous acceptons, ce que nous refusons, ce contre quoi nous luttons, ce que nous revendiquons. Notre identité est toujours à définir avec et contre Autrui.
Ce que tu dis est un peu compliqué pour moi, car je ne connais pas grand chose à la Philosophie avec un grand P. Mais, il me semble pourtant que je suis d'accord avec toi (tout autant d'ailleurs qu'avec les nuances de Courtial). Je préférerai détricoter un peu, car parler du capitalisme et de l'identité dans un même thème, je ne sais pas faire.
La question de l'identité me semble plus simple que cela, même si je sens que tu vas la nuancer car je ne sais pas plus qu'un autre répondre à la question "qui je suis". Je vais revenir à je pense donc je suis. Le problème sous-jacent est la question de savoir si j'existe... Nous raisonnons dans le monde clos des connaissances humaines, ce qui existe n'existe que parce que nous savons le différencier d'autres choses que nous considérons également comme étant existantes. Je ne peux donc pas dire que j'existe parce que je pense car je ne peux pas démontrer mon existence par rapport à moi-même, uniquement par rapport aux autres choses.
Dans le cas de l'identité cela nous amène à considérer que nous existons parce que nous sommes différents des autres, nous ne pouvons donc exister qu'en montrant nos appartenances. Sarkozy existe parce qu'il possède une Roleix, qu'il peut montrer son appartenance aux groupes qui en achètent (mais ce n'est pas gagné dans son cas). La difficulté est alors que notre identité propre, ce qui fait que nous sommes un être unique, la partie de nous qui n'appartient à aucun groupe, n'a pas de valeur sociale. Cela n'intéresse personne, sauf le PDG de facebook, que j'aime la glace à la vanille, ce n'est pas mon identité sociale, le fait que je sois garçon de café ou professeur. L'autre difficulté est que la valorisation sociale des groupes change au fil du temps, être ingénieur il y a 50 ans avait plus de valeur sociale qu'aujourd'hui. La société peut ainsi remettre en cause une partie de mon identité. La quête de sens ne peut se faire que par rapport aux valeurs sociales et si ces valeurs évoluent trop vite, je perds mon identité car je ne me reconnais comme appartenant à aucun groupe.
La question de l'identité me semble plus simple que cela, même si je sens que tu vas la nuancer car je ne sais pas plus qu'un autre répondre à la question "qui je suis". Je vais revenir à je pense donc je suis. Le problème sous-jacent est la question de savoir si j'existe... Nous raisonnons dans le monde clos des connaissances humaines, ce qui existe n'existe que parce que nous savons le différencier d'autres choses que nous considérons également comme étant existantes. Je ne peux donc pas dire que j'existe parce que je pense car je ne peux pas démontrer mon existence par rapport à moi-même, uniquement par rapport aux autres choses.
Dans le cas de l'identité cela nous amène à considérer que nous existons parce que nous sommes différents des autres, nous ne pouvons donc exister qu'en montrant nos appartenances. Sarkozy existe parce qu'il possède une Roleix, qu'il peut montrer son appartenance aux groupes qui en achètent (mais ce n'est pas gagné dans son cas). La difficulté est alors que notre identité propre, ce qui fait que nous sommes un être unique, la partie de nous qui n'appartient à aucun groupe, n'a pas de valeur sociale. Cela n'intéresse personne, sauf le PDG de facebook, que j'aime la glace à la vanille, ce n'est pas mon identité sociale, le fait que je sois garçon de café ou professeur. L'autre difficulté est que la valorisation sociale des groupes change au fil du temps, être ingénieur il y a 50 ans avait plus de valeur sociale qu'aujourd'hui. La société peut ainsi remettre en cause une partie de mon identité. La quête de sens ne peut se faire que par rapport aux valeurs sociales et si ces valeurs évoluent trop vite, je perds mon identité car je ne me reconnais comme appartenant à aucun groupe.
Re: L'homme, un projet ?
Il y a moyen de vous réconcilier ( du moins sur ce point).Courtial a écrit:Bergame a écrit:
Nous ne jouons pas à être, nous sommes.
Il n'y a pas d'alternative : ce n'est pas être ou jouer à être.
Pour ce qui se rapporte aux professeurs, tu devrais les interroger : les enquêtes et sondages, ça peut servir. Je serais curieux d'apprendre combien il y a de profs qui ne perçoivent aucun rapport entre leur activité et le théâtre, qui disent qu'ils se contentent d'être, sans rien jouer.
Bien sur que nous jouons. Tout le temps. C' est la "mise en scène de la vie quotidienne" de Goffman qui m' a convaincu, les textes de Bordieu aussi.
Mais notre problême c'est qu'on oublie qu' on joue , on se "prend au jeu" ou au "JE".
Nous n' avons pas d' identité fixée, propre, (sauf la carte). Nous adoptons une identité, fixons un rôle plus précis à chaque situation, même si par flemme, nous réutilisons des costumes connus , déja rodés. D'ailleurs ou se trouverait ce caractère caché fixiste ,puisque nous changeons TOUTES nos cellules tous les ans .
C'est la raison pour laquelle il y a souvent des interactions perturbées dans une relation triple ( 3 collègues ou 2 parents + 1 enfant) , alors que les intercations binaires sont excellents.
Prenons Pere Mere et Enfant
Le Rôle joué par P avec M est différent de celui qu'il joue avec E.....etc
Lors d' une interaction tripolaire, P va être obligé de composer un rôle médian, compatible avec les 2 rôles antérieurs.....En général un rôle plus neutre. Cette modification va être pris par M et surtout par E comme une trahison. Sa réaction va donc être agressive. Agression qui va être ni comprise ni admise par P et M. ...etc...et c'est pour celà que votre fille est muette.
Maintenant, il y a une raison qui m' intrigue pour que ces rôles publiques, juge, flic, garçon de café, prof, pute, necessitent un costume qui les fasse distinguer immédiatement.
Apres moult cogitation et en me référant à ma subjectivité préférée, j' en suis arrivé à une explication. Pour la faire mieux passer il me faut une référence encartée. Je vais choisir Arendt....et son boulot sur le concept d' Autorité.
Arendt dit tres justement que l' "Autorité" est un truc qui part non du dominant vers le dominé , mais du dominé vers le dominant. Il y a une demande de soumission, une négociation de protection, soumission, hierarchisation stratifiée , ...etc ( ce qui ressemble à mon truc sur l' agressivité intra machin inhibée...par hasard bien sur).
Elle parle évidemment d' une société théorique idéale, naturelle, archaïque. Et se désole du délitement de cette "culture" et pourtant ( a mon avis), se trompe en attribuant ces déboires sociétaux aux despotismes divers et avariés.
J' en reviens à nos moutons:
Le fait de jouer un rôle sociétal, avec costume et texte en figures imposées , n ' aurait il pas pour but de suppléer à cette autorité " naturelle" qui fait défaut du fait de l' hypertrophie du groupe. On espectait l' individu et son rôle admis , connu, ...on va respecter un artefact symbolique. On respecte la domination d' un juge, ( fut il le pire des connards), du fait de sa robe. Le garçon joue ou oublie qu'il joue la soumission, la servitude , pour satisfaire le client, qui achète plus cette servitude passagère que son café. Caché dans son déguisement servil, l' individu n'est pas insulté par sa servitude. Il n' y a pas de situation infamante si elle est jouée.
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TIMSHEL
kercoz- Digressi(f/ve)
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Re: L'homme, un projet ?
Alors, je ne dis pas que vos positions ne sont pas défendables -tout est défendable, en la matière- je dis que ce n'est pas conciliable. Et j'explicite mon point de vue : L'anthropologie de Goffman, c'est peu ou prou celle de Sartre -et ce n'est pas un hasard, Goffman est un héritier de la phénoménologie.
Ce que je dis à cet égard est simple : Le phénoménologue prétend dire ce qui apparaît. Sauf que cette déclaration d'intention n'est jamais suffisante : On ne se contente pas de décrire ce qu'on voit, on est toujours en même temps en train de l'interpréter, de l'expliquer -et particulièrement en sciences sociales.
Quand tu dis, par exemple, Courtial, qu'il n'y a pas d'exclusive entre être et jouer à être, je pense que tu fais une interprétation. Et je propose à ce moment-là -comme tu le fais, du reste, ce qui me semble effectivement la meilleure méthode- de ne pas se contenter d'interpréter (c'est-à-dire de réaliser des hypothèses) mais d'interroger l'empirie. Et l'empirie, dans le monde social, ce sont les hommes.
Donc, oui, interrogeons les enseignants : "Lorsque tu fais un cours à tes élèves, est-ce que tu enseignes, ou est-ce que tu joues à être enseignant ? Est-ce que tu essaies vraiment, sincèrement, de faire œuvre de pédagogie, ou est-ce que tu joues à être pédagogue ?" Toi, Courtial, essaie de te mettre dans la situation où quelqu'un t'interroge ainsi, sincèrement, que réponds-tu ? Moi qui ai un peu d'expérience de l'enseignement -moins que toi, sans doute, mais un peu- je peux te dire que je répondrai bien évidemment : "Non, bien sûr, je ne joue pas ! Quelle question idiote !" Et quand je cabotine -parce que cela m'arrive, bien sûr- je sais pertinemment que je cabotine.
Le langage parlé a des expressions spécifiques, d'ailleurs, pour désigner celui qui joue à être sans plus se rendre compte qu'il joue. On dit par exemple "qu'il s'y croit", on lui demandera éventuellement "pour qui il se prend."
Et tiens, pourquoi est-ce que je cabotine, d'ailleurs ? Pour générer un effet chez ceux qui m'écoutent, pour donner davantage de force à ce que je dis. Bref, j'utilise des effets, à ce moment-là, et suis dans une relation stratégique avec mes interlocuteurs. Encore une fois, le capitalisme a fait son beurre de cette représentation anthropologique.
Lorsqu'on cherche à expliquer le comportement des acteurs qu'on observe, il y a deux méthodes possibles :
- Celle qui consiste à juger, de son propre point de vue, pourquoi l'acteur X agit comme il agit.
- Celle qui consiste à demander à l'acteur X pourquoi il agit comme il agit.
J'ai toujours été étonné, sur des questions très précises, de l'écart existant entre les conclusions de ces deux types d'investigation. Et je persiste : La meilleure manière de comprendre pourquoi X agit comme il agit, la plus fiable et la plus légitime du point de vue de la connaissance, c'est de lui demander.
En d'autres termes, et pour revenir à l'exemple : Qui me dit que le garçon de café a le geste trop précis ? Sartre. Mais qu'est-ce que ca veut dire, trop précis, monsieur Sartre ? Trop, par rapport à quoi ? Quels sont vos critères, quels sont vos référents ? Et ne sont-ce pas irréductiblement les vôtres ? Au moment même où j'écris ces lignes, je suis dans un pub, et j'observe le ballet des serveurs. Pourquoi est-ce que ca ne me semble pas "trop", à moi ?
C'est dans l'œil de Sartre que le serveur a un geste "un peu trop" précis. Ce qui n'empêche aucunement monsieur Sartre de prétendre élever ses évaluations très subjectives au rang d'anthropologie universelle.
Remarque, je ne sais pas, ca peut être un type psychologique aussi, faut voir. Le gars qui se sentirait en permanence observé, en permanence en représentation, comme sur une scène, le comédien-né, quoi, c'est vrai qu'apparemment, ca existe aussi ? Bon, peut-être simplement que cela ne me ressemble pas -et ne ressemble apparemment pas aux gens "ordinaires" qui m'entourent à l'instant.
Ce que je dis à cet égard est simple : Le phénoménologue prétend dire ce qui apparaît. Sauf que cette déclaration d'intention n'est jamais suffisante : On ne se contente pas de décrire ce qu'on voit, on est toujours en même temps en train de l'interpréter, de l'expliquer -et particulièrement en sciences sociales.
Quand tu dis, par exemple, Courtial, qu'il n'y a pas d'exclusive entre être et jouer à être, je pense que tu fais une interprétation. Et je propose à ce moment-là -comme tu le fais, du reste, ce qui me semble effectivement la meilleure méthode- de ne pas se contenter d'interpréter (c'est-à-dire de réaliser des hypothèses) mais d'interroger l'empirie. Et l'empirie, dans le monde social, ce sont les hommes.
Donc, oui, interrogeons les enseignants : "Lorsque tu fais un cours à tes élèves, est-ce que tu enseignes, ou est-ce que tu joues à être enseignant ? Est-ce que tu essaies vraiment, sincèrement, de faire œuvre de pédagogie, ou est-ce que tu joues à être pédagogue ?" Toi, Courtial, essaie de te mettre dans la situation où quelqu'un t'interroge ainsi, sincèrement, que réponds-tu ? Moi qui ai un peu d'expérience de l'enseignement -moins que toi, sans doute, mais un peu- je peux te dire que je répondrai bien évidemment : "Non, bien sûr, je ne joue pas ! Quelle question idiote !" Et quand je cabotine -parce que cela m'arrive, bien sûr- je sais pertinemment que je cabotine.
Le langage parlé a des expressions spécifiques, d'ailleurs, pour désigner celui qui joue à être sans plus se rendre compte qu'il joue. On dit par exemple "qu'il s'y croit", on lui demandera éventuellement "pour qui il se prend."
Et tiens, pourquoi est-ce que je cabotine, d'ailleurs ? Pour générer un effet chez ceux qui m'écoutent, pour donner davantage de force à ce que je dis. Bref, j'utilise des effets, à ce moment-là, et suis dans une relation stratégique avec mes interlocuteurs. Encore une fois, le capitalisme a fait son beurre de cette représentation anthropologique.
Lorsqu'on cherche à expliquer le comportement des acteurs qu'on observe, il y a deux méthodes possibles :
- Celle qui consiste à juger, de son propre point de vue, pourquoi l'acteur X agit comme il agit.
- Celle qui consiste à demander à l'acteur X pourquoi il agit comme il agit.
J'ai toujours été étonné, sur des questions très précises, de l'écart existant entre les conclusions de ces deux types d'investigation. Et je persiste : La meilleure manière de comprendre pourquoi X agit comme il agit, la plus fiable et la plus légitime du point de vue de la connaissance, c'est de lui demander.
En d'autres termes, et pour revenir à l'exemple : Qui me dit que le garçon de café a le geste trop précis ? Sartre. Mais qu'est-ce que ca veut dire, trop précis, monsieur Sartre ? Trop, par rapport à quoi ? Quels sont vos critères, quels sont vos référents ? Et ne sont-ce pas irréductiblement les vôtres ? Au moment même où j'écris ces lignes, je suis dans un pub, et j'observe le ballet des serveurs. Pourquoi est-ce que ca ne me semble pas "trop", à moi ?
C'est dans l'œil de Sartre que le serveur a un geste "un peu trop" précis. Ce qui n'empêche aucunement monsieur Sartre de prétendre élever ses évaluations très subjectives au rang d'anthropologie universelle.
Remarque, je ne sais pas, ca peut être un type psychologique aussi, faut voir. Le gars qui se sentirait en permanence observé, en permanence en représentation, comme sur une scène, le comédien-né, quoi, c'est vrai qu'apparemment, ca existe aussi ? Bon, peut-être simplement que cela ne me ressemble pas -et ne ressemble apparemment pas aux gens "ordinaires" qui m'entourent à l'instant.
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Bergame- Persona
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Re: L'homme, un projet ?
Bergame, tout d'abord l'exemple du garçon de café de Sartre intervient dans le chapitre II de l'Etre et le Néant et plus particulièrement dans le sous-chapitre "les conduites de mauvaise foi".
Cette idée de mauvaise foi est assez claire : si tu demandes à ce garçon de café ce qu'il pense faire, il ne répondra pas "je joue au garçon de café". Il y a quelque chose d'infalsifiable en ce sens dans le discours de Sartre qui est que personne ne pourrait refuser son constat sans tomber sous le coup d'une réinterprétation de ses comportements en terme de mauvaise foi.
Ensuite pour Sartre il ne s'agit donc pas ici de donner de la valeur à un examen psychologique ou psychologisant (on pourrait dire que l'idée de "jeu" n'est d'ailleurs qu'une image), il fonde plutôt une ontologie, une métaphysique phénoménologique. Le garçon de café ce n'est qu'un effet ou une conséquence d'un constat plus profond : être, pour la réalité humaine, c'est être sur le mode négatif. Alors cela s'exprime à partir d'un vocabulaire psychologique (distraction, mauvaise foi, jeu d'acteur, projet) mais il s'agit au départ d'un constat ontologique pour Sartre. Nous n'existons pas comme les objets existent (ce que je dis est très connu), l'en soi est différent du pour soi et la réalité humaine justifie une dualisme ontologique pour Sartre.
A partir de là nous pouvons distinguer ratio cognoscendi et ratio essendi. Si métaphysiquement les exemples de Sartre sont des conséquences de son dualisme métaphysique, ce dernier n'est peut être découvert ou connu qu'à partir de ces exemples. Dans ce cas il faudrait justifier comment l'induction ici est possible, comment l'on peut passer des différentes conduites de mauvaise à la distinction entre en soi et pour soi (bien que ce ne soit pas l'ordre d'exposition dans l'Etre et le Néant). Alors seulement ici nous sommes confrontés à deux ordres d'enquête que tu précisais plus haut : soit l'on observe ces conduites de mauvaise foi soit on questionne ceux qui en sont les sujets (nous pouvons nous questionner nous même). Ici on retrouve alors une légitimité du discours psychologique bien qu'elle soit extorquée à la philosophie de Sartre.
Alors ? Que trouvons nous ? Tout d'abord que l'un des philosophèmes récurrents dans l'histoire de la philosophie est l'impossibilité structurelle de déterminer le moi. La question de l'identité (ou de la mêmeté, distinguée de l'identité humaine) tourne toujours autour de la même difficulté à savoir celle qui consiste à penser la réalité humaine à partir de du modèle épistémologique de la connaissance empirique. Chez Platon on résout ce problème avec les formes idéales, chez Hume on conclut à l'inexistence du moi ou on peine à fonder par l'habitude la persistance de l'identité de nos idées (on trouverait presque un harmonie préétablie en ce sens à la fin de la section 5 de l'Enquête), ou encore chez Kant on convertit Platon en Idée de la raison qui servent d'horizon d'unité pour la fonction de l'entendement, bref. On peut refaire toute l'histoire de la philosophie. Mais là Sartre (à l'aide d'Husserl puis d'Heidegger) se dit que la question a toujours été mal posée.
Et c'est bien la découverte fondatrice de Husserl à travers l’intentionnalité de la conscience qui indique la possibilité métaphysique d'un dualisme radicale entre l'être de l'homme et celui des choses qu'il connaît. La chose, c'est ce qui est constituée par une activité qui elle même ne peut pas être constituée étant donnée qu'elle est constituante : la conscience humaine. Et qu'en est-il de la conscience humaine qui se prend elle même pour objet ? Elle se constitue comme elle constitue les choses, elle se "chosifie". Nous nous traitons structurellement comme des choses. Ce n'est pas un choix, ce n'est pas une condition psychologique, pathologique etc. C'est la façon d'être de l'homme, comme le divertissement chez Pascal qui n'est pas une préférence mais un mode d'existence. Nous nous faisons choses et nous nous reproduisons comme des choses. Et nous nous organisons à l'aide de cette idée de l'homme comme chose. Nous faisons des films avec des personnages qui se font choses (en ce sens l'extrême chosification de l'homme c'est la caricature, le cliché). Nous nous traitons comme des personnages ou plutôt (pour éviter le vocabulaire psychologisant) nous n'existons qu'à partir (ou à travers) de(s) constructions idéelles qui ont pour horizon l'abolition de cette liberté métaphysique originaire de notre conscience-existence.
Conséquences ? Les gens ordinaires existent toujours mais ils peuvent être morts en un sens non-organique : la liberté de leur conscience ayant été recouverte, ensevelie (non abolie) par des années de pratiques chosifiantes (je suis père, fils, ouvrier, soldat, citoyen et je ne réinvestis jamais ces catégories autrement que sur le mode de la persistance). On ne se débarrasse pas de cette facticité de l'existence humaine et en ce sens le philosophe (Sartre) ce n'est pas celui qui réussit à échapper à sa condition (au contraire de Pascal qui pense pouvoir échapper au divertissement tant qu'il a le regard braqué sur sa foi). Sartre parle bien d'une transcendance absolue de la conscience et pourtant il faut également concevoir la possibilité de la perte de la conscience dans l'en soi (Sartre à la fin de l'oeuvre tente une genèse commune de l'en soi et du pour soi).
L'erreur c'est de croire à une anthropologie alors que, chez Pascal ou Sartre, cette dernière dépend d'une métaphysique (théologique ou phénoménologique). Dans tous les cas nous pouvons les juger à partir de leur fécondité et de fait, bien qu'infalsifiable et donc totalement explicatif, l'appareil théorique est séduisant et fonctionnel.
Cette idée de mauvaise foi est assez claire : si tu demandes à ce garçon de café ce qu'il pense faire, il ne répondra pas "je joue au garçon de café". Il y a quelque chose d'infalsifiable en ce sens dans le discours de Sartre qui est que personne ne pourrait refuser son constat sans tomber sous le coup d'une réinterprétation de ses comportements en terme de mauvaise foi.
Ensuite pour Sartre il ne s'agit donc pas ici de donner de la valeur à un examen psychologique ou psychologisant (on pourrait dire que l'idée de "jeu" n'est d'ailleurs qu'une image), il fonde plutôt une ontologie, une métaphysique phénoménologique. Le garçon de café ce n'est qu'un effet ou une conséquence d'un constat plus profond : être, pour la réalité humaine, c'est être sur le mode négatif. Alors cela s'exprime à partir d'un vocabulaire psychologique (distraction, mauvaise foi, jeu d'acteur, projet) mais il s'agit au départ d'un constat ontologique pour Sartre. Nous n'existons pas comme les objets existent (ce que je dis est très connu), l'en soi est différent du pour soi et la réalité humaine justifie une dualisme ontologique pour Sartre.
A partir de là nous pouvons distinguer ratio cognoscendi et ratio essendi. Si métaphysiquement les exemples de Sartre sont des conséquences de son dualisme métaphysique, ce dernier n'est peut être découvert ou connu qu'à partir de ces exemples. Dans ce cas il faudrait justifier comment l'induction ici est possible, comment l'on peut passer des différentes conduites de mauvaise à la distinction entre en soi et pour soi (bien que ce ne soit pas l'ordre d'exposition dans l'Etre et le Néant). Alors seulement ici nous sommes confrontés à deux ordres d'enquête que tu précisais plus haut : soit l'on observe ces conduites de mauvaise foi soit on questionne ceux qui en sont les sujets (nous pouvons nous questionner nous même). Ici on retrouve alors une légitimité du discours psychologique bien qu'elle soit extorquée à la philosophie de Sartre.
Alors ? Que trouvons nous ? Tout d'abord que l'un des philosophèmes récurrents dans l'histoire de la philosophie est l'impossibilité structurelle de déterminer le moi. La question de l'identité (ou de la mêmeté, distinguée de l'identité humaine) tourne toujours autour de la même difficulté à savoir celle qui consiste à penser la réalité humaine à partir de du modèle épistémologique de la connaissance empirique. Chez Platon on résout ce problème avec les formes idéales, chez Hume on conclut à l'inexistence du moi ou on peine à fonder par l'habitude la persistance de l'identité de nos idées (on trouverait presque un harmonie préétablie en ce sens à la fin de la section 5 de l'Enquête), ou encore chez Kant on convertit Platon en Idée de la raison qui servent d'horizon d'unité pour la fonction de l'entendement, bref. On peut refaire toute l'histoire de la philosophie. Mais là Sartre (à l'aide d'Husserl puis d'Heidegger) se dit que la question a toujours été mal posée.
Et c'est bien la découverte fondatrice de Husserl à travers l’intentionnalité de la conscience qui indique la possibilité métaphysique d'un dualisme radicale entre l'être de l'homme et celui des choses qu'il connaît. La chose, c'est ce qui est constituée par une activité qui elle même ne peut pas être constituée étant donnée qu'elle est constituante : la conscience humaine. Et qu'en est-il de la conscience humaine qui se prend elle même pour objet ? Elle se constitue comme elle constitue les choses, elle se "chosifie". Nous nous traitons structurellement comme des choses. Ce n'est pas un choix, ce n'est pas une condition psychologique, pathologique etc. C'est la façon d'être de l'homme, comme le divertissement chez Pascal qui n'est pas une préférence mais un mode d'existence. Nous nous faisons choses et nous nous reproduisons comme des choses. Et nous nous organisons à l'aide de cette idée de l'homme comme chose. Nous faisons des films avec des personnages qui se font choses (en ce sens l'extrême chosification de l'homme c'est la caricature, le cliché). Nous nous traitons comme des personnages ou plutôt (pour éviter le vocabulaire psychologisant) nous n'existons qu'à partir (ou à travers) de(s) constructions idéelles qui ont pour horizon l'abolition de cette liberté métaphysique originaire de notre conscience-existence.
Conséquences ? Les gens ordinaires existent toujours mais ils peuvent être morts en un sens non-organique : la liberté de leur conscience ayant été recouverte, ensevelie (non abolie) par des années de pratiques chosifiantes (je suis père, fils, ouvrier, soldat, citoyen et je ne réinvestis jamais ces catégories autrement que sur le mode de la persistance). On ne se débarrasse pas de cette facticité de l'existence humaine et en ce sens le philosophe (Sartre) ce n'est pas celui qui réussit à échapper à sa condition (au contraire de Pascal qui pense pouvoir échapper au divertissement tant qu'il a le regard braqué sur sa foi). Sartre parle bien d'une transcendance absolue de la conscience et pourtant il faut également concevoir la possibilité de la perte de la conscience dans l'en soi (Sartre à la fin de l'oeuvre tente une genèse commune de l'en soi et du pour soi).
L'erreur c'est de croire à une anthropologie alors que, chez Pascal ou Sartre, cette dernière dépend d'une métaphysique (théologique ou phénoménologique). Dans tous les cas nous pouvons les juger à partir de leur fécondité et de fait, bien qu'infalsifiable et donc totalement explicatif, l'appareil théorique est séduisant et fonctionnel.
Dernière édition par AlexisP le Dim 21 Fév 2016 - 22:10, édité 1 fois
AlexisP- Digressi(f/ve)
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