Qu'est-ce que l'amour ?

[Bergame]

Je me rends compte que, depuis le temps que ce forum existe, jamais il n'a traité de l'Amour ! Oh il y a bien eu quelques interventions, quelques témoignages (dont le très bel hommage de Saint-Ex à sa compagne disparue, qui se cache quelque part dans ce forum) mais, étrangement, jamais une discussion n'a été lancée sur le sujet. Il me semble qu'il est donc largement temps de demander pardon à Eros.

Et pour lancer cette discussion, je me propose de commenter le plus beau texte que je connaisse : Le discours de Diotime. Ceux qui voudront le lire dans son intégralité le trouveront par exemple ici.
Ou dans son écrin originel, Le Banquet, dialogue de Platon dont le sujet central est, effectivement, l'Amour. Dans ce dialogue, comme il est bien connu, les convives de Phèdre sont invités, chacun à leur tour, à sacrifier à Eros. Et quand vient le tour de Socrate, celui-ci répond -de manière caractéristique lorsqu'il doit faire état d'un savoir quelconque- en rapportant l'enseignement à laquelle une devineresse étrangère l'initia lorsqu'il était jeune.

La première chose que Diotime enseigne donc à Socrate, c'est que, contrairement à ce que celui-ci pense, l'Amour n'est pas beau. Mais il n'est pas laid non plus. La nature profonde d'Eros est d'être un intermédiaire, entre la laideur et la beauté, entre les hommes et les dieux : Un démon.
(de même d'ailleurs que le philosophe se tient entre l'ignorance et le savoir, puisque Diotime fait immédiatement le parallèle entre l'amour et la philosophie -j'ai d'ailleurs déjà abordé ce parallèle ailleurs).

C'est dire que Eros est fondamentalement désirant :

Celui qui ne pense pas être dépourvu n'a donc pas le désir de ce dont il ne croit pas avoir besoin d'être pourvu.

Mais l'Amour, qui se tient entre la laideur et la beauté, est perpétuellement habité par le désir de posséder cette beauté qu'il n'a pas.
Ainsi, dit Diotime, ceux qui, comme Socrate, disent que l'Amour est beau (les romantiques, disons) pensent en fait à l'objet aimé. Mais le sujet aimant, lui, il n'est pas beau : Il est rude, sauvage, chasseur, "en manque", et perpétuellement insatisfait.

Socrate (en bon philosophe qu'il est déjà) reconnaît la beauté du discours de Diotime, et en demande davantage. Il pose donc une question simple, et logique : A quoi donc, selon toi, l'Amour sert-il dans la vie humaine ? Et Diotime se lance alors dans une démonstration ébouriffante. Elle commence par définir la notion de "création [poiesis]" : Le passage du non-être à l'être. Elle note que le terme est essentiellement utilisé pour désigner une petite partie des créateurs : Les artistes (les poètes, à son époque). Mais, continue-t-elle, beaucoup d'hommes "créent" : Les marchands, les gymnastes, les scientifiques. Ce faisant, ils font advenir quelque chose dans le monde, quelque chose qu'ils désirent posséder et dont la possession pourrait les satisfaire -au moins partiellement et temporairement. Et, demande-t-elle, la félicité ne consisterait-elle pas, pour eux, à ce que l'objet de leur désir leur appartienne toujours ? Si fait, répond Socrate. Hé bien il en est de même des "amoureux" : Là aussi on utilise un terme générique alors qu'il ne s'agit que d'une forme particulière de l'amour.

Voici donc en résumé, conclut-elle, à quoi se rapporte l'amour: A la possession perpétuelle de ce qui est bon.

Socrate est maintenant en passe d'être conquis. Mais Diotime continue : A quelle activité humaine se rapporte l'amour ? On a commencé à le dire, ça a à voir avec la "création". Diotime précise maintenant : Il s'agit de fécondité.

L'union de l'homme et de la femme est en effet un enfantement, et dans cet acte il y a quelque chose de divin ; c'est même, chez ce vivant qui est mortel, un caractère d'immortalité : La fécondité et la procréation.

Notons bien : Diotime a déjà dit que l'amour était un démon, un intermédiaire entre les hommes et les dieux. Elle déroule donc : Par l'amour, au travers de l'amour, les hommes tendent à la divinité, ils s'approchent de cette faculté strictement divine à laquelle, pourtant, ils aspirent : L'immortalité.

Mais rappelons-nous : L'Amour n'est pas n'importe quel démon -car il y en a d'autres. Il est celui qui désire la Beauté. Alors comment ça se passe ?

C'est pourquoi, toutes les fois que l'être fécond vient au voisinage d'un bel objet, il en éprouve un apaisement délicieux qui le fait s'épanouir, et alors il enfante, il procrée.

En fait, ce n'est pas aussi simple que ça en a l'air. Parce que rappelons-nous que l'Amour, lui, n'est pas beau, il est surtout désirant, chasseur. Il faut donc, ajoute-t-elle, qu'il y ait "accord" entre les deux parties. Ainsi, l'objet de l'Amour, ce n'est pas tant la Beauté elle-même que la possibilité, au travers de la procréation, de se reproduire. C'est l'immortalité.

La nature mortelle cherche, selon ses moyens, à se perpétuer et à être immortelle. Or le seul moyen dont elle dispose pour cela, c'est de produire de l'existence, en tant que perpétuellement à la place de l'être ancien, elle en laisse un nouveau, qui s'en distingue [...] C'est, vois-tu, de cette façon que se sauvegarde toute existence mortelle : Non pas en étant à jamais totalement identique comme est l'existence divine, mais en faisant que ce qui se retire, et que son ancienneté a ruiné, laisse après soi autre chose de nouveau, pareil à ce qui était. Voilà, dit-elle, par quel artifice, dans son corps comme en tout le reste, ce qui est mortel, Socrate, participe à l'immortalité.

Et Diotime peut alors revenir sur ses précédentes distinctions : Les hommes "dont la fécondité réside dans le corps" se tournent vers les femmes, et leur façon d'être amoureux consiste à engendrer des enfants. Ceux dont la fécondité réside dans l'âme engendrent des oeuvres d'art, des pensées, etc.

Pourtant, il ne faudrait pas croire que ces différentes activités soient distinctes. Bien au contraire, elles sont même liées, et il faut plutôt les envisager comme des étapes de l'existence envisagée comme une initiation. Car il faut d'abord commencer, jeune, par aimer un corps, un seul beau corps. Ensuite, il faut se rendre compte que la beauté est présente dans d'autres corps, voire dans tous les corps, qu'il existe donc une Beauté en soi. Dans un troisième temps, l'amoureux s'intéressera à la Beauté dans les âmes, et sera ainsi conduit à reconnaître ce qu'il y a de désirable dans certaines règles de conduite. Ultérieurement, il portera son regard vers les connaissances et contemplera le "vaste océan du Beau". Avant, finalement, de découvrir le Beau lui-même, éternel et divin, dont toutes les choses belles participent : Véritable et dernier objet du désir amoureux, enfin à même de perpétuellement le satisfaire.

Et qui oserait dire que ce discours n'est pas... beau ?

[maraud]

Beau sujet!

peut-on faire la généalogie de l'amour ?

Je retiens une phrase citée par Nietzsche : " dans le véritable amour c'est l'âme qui englobe"

J'aime bien l'idée " d'englober" parce qu'elle m'inspire l'idée de sphère ,symbole de totalité tel qu'un " monde" par exemple. Aimer c'est en quelque sorte crée un monde à soi.

[Vanleers]

Aimer c'est en quelque sorte créer un monde à soi.

Je propose une définition pragmatique de l’amour.
Aimer quelqu’un ou quelque chose, c’est se réjouir de l’existence de celui-ci ou de celle-là et agir en conséquence.
Cette définition s’inspire de Spinoza qui définit l’amour comme « Une joie qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure ».
Et aussi de sa devise : « Bene agere et laetari » que je lis à l’envers : « Être dans la joie d’où suit un bien agir ».

[alain]

Je pense qu' on peut distinguer différentes formes de l' amour.
On n' aime pas de la même façon un mari ou une femme qu' un frère ou une sœur.

Bergame tu dis :

"
Ainsi, dit Diotime, ceux qui, comme Socrate, disent que l'Amour est beau (les romantiques, disons) pensent en fait à l'objet aimé. Mais le sujet aimant, lui, il n'est pas beau : Il est rude, sauvage, chasseur, "en manque", et perpétuellement insatisfait ".

L' amour sensuel est surtout celui des jeunes hommes et femmes. Parce que l' objet aimé ( le corps) est objectivement beau et désiré ( en accord avec les canons de la beaute d' une société).
Quand l' âge vient, l' objet devient de plus en plus sujet.
Ce n' est plus un corps qui est aimé mais le sujet qui habite ce corps.
Cela vient avec la maturité.
De même on ne va pas aimer un ami ou une sœur pour la beauté de son corps.

Vient ensuite la notion des qualités/ défauts liées au sujet.
La aussi, je pense qu' il y a une question de maturité.
On ne fait presque aucune concession quand on est jeune, mais l' âge venant, on devient capable d' en faire et d'aller chercher l' amour en profondeur, au delà des apparences et de qualités ou défauts de la personne.

A mon sens, plus l' amour est profond, moins il est lié au corps en tant qu' objet, et plus il est lié à la personne en tant que sujet.

[maraud]

Aimer c'est en quelque sorte créer un monde à soi.

Je propose une définition pragmatique de l’amour.
Aimer quelqu’un ou quelque chose, c’est se réjouir de l’existence de celui-ci ou de celle-là et agir en conséquence.
Cette définition s’inspire de Spinoza qui définit l’amour comme « Une joie qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure ».
Et aussi de sa devise : « Bene agere et laetari » que je lis à l’envers : « Être dans la joie d’où suit un bien agir ».

"Pragmatique" dites-vous ?
Considérer les expédients qui mènent à l'action efficace présuppose une intention d'agir et donc de "cultiver" l'amour.... J'ai un doute à ce sujet, ça m'évoque les mariages arrangés etc. ( je ne défends pas plus " l'amour courtois" que j'apparente à la prédation avec des crocs séduisants)

Aimer quelqu’un ou quelque chose, c’est se réjouir de l’existence de celui-ci ou de celle-là et agir en conséquence.

Oui, ça c'est bien dit!
D'autant que cela laisse entrevoir une problématique: si l'existence de l'autre nous réjouis, peut-on rester dans la joie en possédant cet autre ?
Le paradoxe ne serait-il pas que l'on perd la joie en possédant la cause de notre joie?

« Être dans la joie d’où suit un bien agir »

Qu'est-ce qu'agir quand on est dans la joie ?
Quand j'éprouve (furtivement) la joie, j'agis comme un enfant....( ce que je fais, je le fais pour rien, parce que cette "action" n'est plus intéressée)

[Vanleers]

A maraud

J’entends « pragmatique » au sens de concret.

L’amour véritable pour autrui est oblatif et non possessif.

Aimer quelqu’un, c’est-à-dire me réjouir de son existence, me déterminera à agir de façon désintéressée à son égard.

[Grégor]

J'avais écrit deux textes sur l'amour :
L'un sur l'amour romantique et le second en complément du premier, je vous les transmets :

L’amour romantique

Tout ce que j’écris est largement inspiré de Steven Pinker (Comment fonctionne l’esprit)

Certains êtres sont capables d’aimer très fort et ne savent pas pourquoi ils aiment aussi fort. Les motifs de leur amour leur échappent.
Ce n’est pas la valeur objective de l’être aimé qui les séduit car quelqu’un pourrait avoir plus de valeur objectivement et pourtant l’amoureux fou ne change pas de sentiment dès qu’il rencontre un meilleur partenaire potentiel.
Il aime quelque chose de singulier chez son amante, qui lui est propre.
Tout cela pourrait relever d’une stratégie de notre cerveau.
Car nous sommes comme invités dans notre propre esprit et nos émotions sont déclenchées à notre insu par des mécanismes sélectionnés par l’évolution afin de nous permettre de jouer certains rôles sociaux.
En effet, l’amour est une promesse et chacun investit beaucoup dans sa relation amoureuse.
À tel point que trouver un partenaire fiable et être soi-même digne de confiance est stratégiquement crucial.
Quoi de plus fiable qu’un amour romantique ?
En effet, un tel amour dépasse la raison et ne porte pas sur les valeurs empruntables d’une personne mais sur sa singularité même. Un-je-ne-sais-quoi d’ineffable qui caractérise l’essence de l’être aimé.
Voilà pourquoi, peut-être, certains artistes cherchent-ils à révéler cette essence par leurs œuvres afin d’être aimés pour ce qu’ils sont au plus profond d’eux-mêmes ?
Perdre un être aimé d’un tel amour peut tuer son amant.
En effet, le chagrin est peut-être une émotion programmée pour nous anéantir automatiquement si nous ne prenions pas soin de celui que l’on aime. Par exemple, l’amour que l’on éprouve pour un enfant nous fait envisager sa perte comme inacceptable au point que nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que ce drame ne se produise pas. Pourtant si nous perdons un enfant ou notre amour, même si nous ne sommes responsables en rien, nous souffrirons le martyre, parce que ce sentiment est automatique et ne dépend pas de nous.
C’est parce que nous sommes capables de programmer de tels sentiments incontrôlables que nous pouvons inspirer confiance aux autres. Un amoureux qui serait capable de tourner la page de son amour sans chagrin ne serait pas très fiable. Il en va de même pour la menace qui ne serait pas suivie de colère. Si la colère est incontrôlable c’est qu’elle doit faire disjoncter la raison et le calcul qui pourraient apaiser la vengeance. De même en amour, l’amoureux prend des risques importants en accordant sa confiance à quelqu’un qui pourrait le trahir et le faire souffrir, alors même que la raison pourrait le calmer, s’il se disait par exemple que celle qui le trahirait ne mériterait pas un tel amour. Mais il n’en est rien, aucune raison, aucun argument du bon sens, ne peut désamorcer le chagrin immense que l’amoureux romantique a programmé dans son cœur, en l’offrant à son élue.
Le chagrin, qui plus est, n’est un moyen de dissuasion efficace de trahir son amour que s’il est certain et terrible. Voilà pourquoi de telles émotions ne peuvent pas être simplement effacées au moment voulu, si elles veulent rester dissuasives.
Cette étrange faculté de programmer des sentiments incontrôlables afin d’inspirer confiance aux autres est vraiment incroyable. En effet, longtemps nous avons opposé, dans notre culture occidentale, l’amour à la raison. En réalité, les passions, comme on dit, ne sont pas du tout des forces occultes et déraisonnables mais des stratégies sociales, développées au cours de l’évolution afin d’inspirer confiance aux autres.
L’amour a des raisons que la raison doit ignorer, afin de n’être pas un simulacre d’amour.
Si, comme le personnage du Joueur de Dostoïevski, vous n’êtes pas prêt à vous jeter d’une falaise par amour, alors vous n’êtes pas digne d’être aimé. Si vous croyez que l’argent vous permettra de gagner son cœur, comme à la fin du roman, votre amante vous jettera au visage vos billets d’un regard plein de mépris. En effet, l’argent, n’importe quel nabab aurait pu lui en offrir, mais pas un tel amour. Alexis se fourvoie au moment où il croit que la chance lui a enfin souri. Or, sa chance ce n’était pas de devenir riche mais d’être aimé pour ce qu’il était. Il perd de n’avoir pas cru en son amour. Il n’est plus digne de confiance.
La confiance est donc le mot clef de l’amour romantique si une telle théorie est valable.
Elle permet d’expliquer pourquoi nos émotions doivent demeurer incontrôlables afin de n’être pas les jouets de nos calculs et de notre mauvaise foi.
Peut-être que les émotions sont le reflet de nos volitions changeantes et des caprices du monde qui ne permettent pas à nos engagements d’être suffisamment fiables. Sinon la sélection naturelle n’aurait pas programmé de tels sentiments qui nous obligent malgré nous et malgré les changements incessants du monde, à être fiables.

[Grégor]

L'amour et la nature
Nous avions écrit un texte sur l’amour romantique dans lequel nous avions commencé à réfléchir sur le rôle des émotions et plus particulièrement celle de l’amour passionné ou romantique. Nous avions dégagé comme cause : la confiance qu’un tel amour inspire. Mais pourquoi une telle confiance est-elle nécessaire à l’amoureux ou l’amoureuse ? Nous n’avions pas du tout évoqué la cause de la cause. Les émotions, en général, pilotent les animaux que nous sommes. Une émotion nous fait agir (emouere en latin : mouvoir hors de).
Richard Dawkins, l’auteur du Gêne égoïste, soulève peut-être dans son chapitre sur La guerre des sexes, l’élément fondamental de l’amour : la course à l’abandon de sa progéniture. En effet, le premier qui abandonne l’enfant à son partenaire est avantagé dans la course à la reproduction, puisqu’il sait que son partenaire n’osera pas laisser mourir sa progéniture (il sait donc que ses gènes ne seront pas abandonnés) et qu’il peut donc se consacrer à de nouvelles reproductions. Cette fuite face à ses responsabilités parentales est d’autant plus difficile que le parent a investi plus d’énergie dans cette tâche. Or, les femelles mammifères sont très désavantagées, du fait de l’ovocyte couteux qu’elles doivent produire, de la longue période où elles portent l’enfant et enfin de la période d’allaitement. Elles ont comme un boulet qui les empêche d’abandonner le si couteux bébé.
Je conçois ce qu’a de choquant cette perspective sur l’éducation.
Je rappelle seulement qu’il s’agit là du point de vue égoïste des gênes et non pas du point de vue de l’auteur.
Je partage cet effroi devant la perspective de devoir abandonner ses propres enfants. Mais comme je suis un brin provocateur, j’ajouterai qu’il est tout de même moins rare qu’un homme abandonne ses enfants plutôt qu’une femme. Cette donnée devrait nous faire réfléchir sur le rôle des gênes et de la nature, y compris chez un être de culture tel qu’homo sapiens deux fois.
Pourtant cet effroi devrait nous faire comprendre que l’homme mâle n’est pas complétement désengagé de l’éducation de ses enfants. On peut mesurer d’une manière amusante son degré de fidélité et donc d’engagement auprès de sa femme et de ses enfants, en mesurant la taille de ses testicules et en comparant le résultat obtenu avec celui des autres grands singes. De telles études ont été menées et donnent un résultat moyen. L’être humain, d’après la taille de ses testicules serait donc d’une fidélité moyenne. Cela signifie concrètement qu’il participe à son foyer mais n’est pas contre quelques tentatives extérieures de multiplier ses chances d’avoir des descendants.
Bien sûr l’homme n’est pas seulement un être de nature, il est aussi un être de culture, voire un être libre, autodéterminant ses actions (causa sui). Pourtant de telles études sont corroborées par des expériences qui prouvent que les hommes, en moyenne, ont plus tendance à rechercher des expériences sexuelles rapides voire quasiment immédiates. Alors que les femmes ont plus tendance à chercher à mieux connaître leur futur partenaire. Or, culturellement, le risque de tomber enceinte, grâce aux différentes méthodes contraceptives, est aujourd’hui assez faible pour une femme. Mais tant que de telles études seront corroborées, nous serons en droit de penser que la nature continue de s’exprimer, même chez l’être humain.
Donc l’amour est lié à l’engagement nécessaire en vue de l’éducation du jeune homo sapiens sapiens. En effet, une femme seule, à l’époque où nos gènes ont façonné notre nature, c’est-à-dire l’époque préhistorique, n’avait que très peu de chance de pouvoir éduquer seule ses enfants. Elle avait donc besoin d’un mari fidèle. Quand je dis qu’« elle » avait besoin, je m’exprime mal, je veux dire que ses gènes avaient besoin d’un mari fidèle, ou pour être encore plus précis, que les gènes de l’abandon de ses enfants ont peut-être causé la mort des progénitures qui n’ayant pas été sélectionnées par l’évolution ne sont plus présentes aujourd’hui. En revanche, ceux qui, mus par une émotion violente qu’on appelle l’amour, sont restés auprès de leurs enfants et leur permirent de survivre, ont favorisé par leur comportement la transmission de ce gène particulier qui est encore présent de nos jours.
Il faudrait complexifier encore ce schéma simpliste et ajouter que l’homme étant un animal social, la société joue un rôle aussi dans l’éducation et la prise en charge des enfants, la famille également. Tout cela peut aussi s’étudier et a déjà été étudié, Steven Pinker en parle également dans son livre (Comment fonctionne l’esprit).
Il me suffit d’avoir développé ma thèse, qui n’est qu’une hypothèse, selon laquelle l’amour romantique, n’est pas en réalité seulement une passion déraisonnable et mystérieuse, une élection divine ou je ne sais quelle bizarrerie métaphysique, mais peut s’expliquer par le fait que les bébés humains sont extrêmement particuliers, couteux et compliqués à élever : la prise en charge de leur éducation nécessite beaucoup d’amour au sein du foyer familial (voire même au-delà : au sein de la société toute entière) et les gènes qui ont survécu sont ceux qui favorisaient un tel attachement.
Bien sûr, nous parlons là des causes naturelles de l’amour, nous avons peut-être en tant qu’êtres conscients nos propres raisons d’aimer. Pourtant, les émotions se contrôlent-elles ? Peut-on choisir volontairement d’être amoureux, de désirer une personne ?
Nous voyons bien que l’amour n’est pas seulement un choix, mais également quelque chose de naturel en nous. Donc, il n’est pas tout à fait inutile de s’intéresser à la nature humaine. Cet intérêt ne nous enferme pas dans une sorte d’animalité, mais au contraire nous donne les clefs pour mieux maîtriser notre nature, nos émotions, notre comportement. Être libre passe par la connaissance de notre nature, à mon sens.

[Grégor]

Enfin un texte bien plus personnel sur l'amour :

Loin de moi, près de toi

Le titre de ce dessin animé laisse rêveur.
Nous avons regardé ma compagne et moi ce énième film animé japonais et c’est toujours le même émerveillement, la même sensation d’avoir trouvé dans cet art, l’endroit où je voudrais vivre. Ces films échappent selon moi à la niaiserie en ce qu’ils s’incarnent dans la vie quotidienne. Le même sujet traité à la manière de Walt Disney sombrerait dans l’enfantillage. Parce que les héros américains échappent à la réalité, ils sont comme déconnectés du quotidien, à grand renfort de superpouvoirs et autres effets spéciaux. Mais là rien de tel. Les personnages ne sont pas des super-héros, ils sont certes admirables, mais ils travaillent, font leurs tâches quotidiennes et c’est cette attitude courageuse et persévérante vis-à-vis des difficultés de la vie qui est valorisée. L’esthétique même, somptueuse, du dessin et de la couleur, magnifie les choses familières.
Il est un je-ne-sais-quoi qui m’émeut dans ces films. Les émotions semblent franches, honnêtes et triomphantes. Quelque chose de naïf, au sens du XVIIIème siècle français, où les émotions sont encore intactes, non blasées. Complétement opposé à l’esprit décadent et fin de siècle du XIXème. Ce qui marque peut-être le mieux cette naïveté est sans doute la musique. J’aime ces musiques qui emportent l’âme et l’émeuvent. Ces musiques sensibles et certes un peu simplistes. Nous avons l’impression qu’elles s’adressent à des cœurs eux-mêmes simples.
J’estime que c’est une chance de pouvoir être touché par cette grâce. Cela montre que malgré toutes les sophistications que nous connaissons des arts les plus recherchés, les plus blasés et les plus dégoûtés de tout, nous n’avons pas renoncé à cette vie simple et facile, à ces élans authentiques d’un bonheur sentimental.
Est-ce lié à l’amour ? Nous avons eu la chance de rencontrer le grand amour. Mais je me dis souvent que même s’il existe une part de hasard et qu’il faut beaucoup de chance pour trouver quelqu’un qui aime aussi fort que nous aimons, du moins en ne renonçant jamais à vivre une grande histoire, nous avons fait la moitié du chemin. Ceux qui renoncent au grand amour et au bonheur ne se donnent aucune chance de le rencontrer.
L’amour d’ailleurs a bien des visages. Cette philia peut être une grande amitié ou n’importe quelle relation entre des êtres. L’amitié est la base de toute relation, même amoureuse. L’amitié n’est possible qu’entre gens vertueux, qui partagent les mêmes valeurs, qui sont honnêtes et respectueux l’un envers l’autre et qui ont le même sens de la justice.
Les gens malhonnêtes n’ont pas d’amis et ne peuvent pas en avoir, car ils ne sont pas sincères.
On peut se demander en bon moraliste français si la sincérité existe et si nous ne jouons pas le rôle de l’homme sincère afin d’en récolter les bénéfices et si ainsi tout ce que nous disons n’est pas vain et trompeur, plus encore que les être désenchantés qui nient le bonheur.
Cette comédie de la vertu est peut-être écœurante pour certains. Elle m’émeut profondément.
Les moralistes sont peut-être trop puristes. Au nom de la perfection d’une intention ils renoncent à la joie de faire le bien sur terre. Peu importe que ce soit en tant que comédien que je fasse une belle action, si elle est belle, je l’ai peut-être faite au nom de cette beauté même.
La beauté du film d’hier m’encourage à aimer aussi sincèrement que ces personnages fictifs, parce que nul plaisir n’est plus grand que celui de vivre sous ce soleil fraternel.
Ceux qui se croient revenus de tout, qui ont peur de se faire avoir, tirent un certain orgueil de leur position confortable. Mais j’aurais l’impression de gâcher ma vie si je sacrifiais mon amour sur l’autel de ce sentiment de puissance. Car certes, le bonheur est fragile, il nous met en danger. Serge Gainsbourg n’écrivait-il pas : "fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve" ? Mais il faut accepter de s’éloigner de soi, de se perdre, de se jeter à l’eau, si l’on veut rencontrer quelqu’un et s’en approcher.
Les errances amoureuses sont toutes liées au fait que nous choisissons mal celui ou celle pour qui nous nous engageons. Peu de gens méritent notre véritable amour. Si on est honnête et sincère il faut se garder des vipères !
Beaucoup de gens sont inconstants et faibles, leur cœur est tout petit. Ils n’ont que peu de vertu quand ils en ont encore le goût. Avant de vouloir partager sa vie avec l’un de ces êtres superficiels, il faut y regarder à deux fois.
Si j’ai eu de la chance de rencontrer un être exceptionnel, il me semble que nous ne nous serions pas reconnus l’un en l’autre, si, malgré bien des défauts que je me reconnais, je n’avais pas le cœur simple.
C’est un peu de cette simplicité du cœur à laquelle nous donne accès ces beaux films.
Je suis tellement heureux de pouvoir me dire que je suis la même voie.
Longtemps après que le film soit terminé j’ai l’impression que son esprit se prolonge à travers ma vie. J’habite ce même jardin, cette même rue, cette même maison joyeuse.
Je dois tout cela à ma compagne. Sans elle, les mêmes lieux seraient des déserts et les mêmes films me feraient pleurer de rage et de désespoir. Voilà comme la vie tient à peu de choses ! Une rencontre fortuite. Une rencontre rare. Et nous voilà heureux, notre vie nous comble à en avoir honte.
Pourtant, afin que la leçon de notre vie ne soit pas tout à fait perdue, nous insistons sur le fait qu’il existe une part de mérite, le bonheur n’est pas totalement gratuit. Cela peut paraître prétentieux, et certes tous les gens malheureux ne méritent pas leur malheur, mais sans doute qu’a contrario les gens heureux méritent leur bonheur. Seul le bien peut rendre parfaitement heureux, les mauvaises personnes ne goûtent jamais ce bonheur subtil.
Nous sommes un peu revenus des Fleurs du Mal et nous ne recherchons plus d’hypocrites lecteurs. On peut donc revenir du fait même d’être de tout revenu. Les poésies les plus malsaines et les cœurs les plus déchirés, les âmes tordues, damnées et folles, toute cette beauté autre, qui défia la morale, n’ont pas pu l’atteindre véritablement, quelque chose dans notre cœur a survécu. Tant mieux.

[Saint-Ex]

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L'amour et un sentiment vif qui pousse à aimer quelqu'un, à lui vouloir du bien, à l'aider en s'identifiant à lui.









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[Kercos]

Beurk !

[Bergame]

"Beurk"... quoi ?
Ce n'est quand même pas la notion d'"amour" qui te fait dire "beurk" ?

[Kercos]

 "Beurk"... quoi ?
Ce n'est quand même pas la notion d'"amour" qui te fait dire "beurk" ?

Non, c'est une forme de réaction à l'exhibition de trucs qui gagnent à rester intimes ....sorte d'écoeurement comme avec un gâteau trop sucré ou trop gras qui coule sur les doigts......Je ne te recase pas le caniche ...mais il y a de ça.

https://twitter.com/G_Gwen/status/805461997160632321

[Saint-Ex]

 "Beurk"... quoi ?
Ce n'est quand même pas la notion d'"amour" qui te fait dire "beurk" ?

Non, c'est une forme de réaction à l'exhibition de trucs qui gagnent à rester intimes ....sorte d'écoeurement comme avec un gâteau trop sucré ou trop gras qui coule sur les doigts......Je ne te recase pas le caniche ...mais il y a de ça.

https://twitter.com/G_Gwen/status/805461997160632321

J'avais en effet produit un long message où il était question d'un essai de ma copine Peggy Sastre sur l'amour, d'une réflexion sur la mort de Roméo et Juliette, d'un exercice littéraire sur les amours d'enfant et aussi d'une réflexion sur la femme de ma vie, avec qui j'ai passé soixante ans de malheurs et bonheurs mêlés

La réaction de Quercoz : Un Beurk dégoulinant [...] fraîchement sortie d'une affection hémoroïde.

Alors j'ai supprimé mon message. On ne mélange pas les torchons et les serviettes ! ...

En attendant «l'exhibition de trucs», à savoir mon long messages sur l'amour, qui n'était certainement pas destiné aux premiers [...] saignant de constipation diarrhéique, c'était la suite de ça :

Je me rends compte que, depuis le temps que ce forum existe, jamais il n'a traité de l'Amour ! Oh il y a bien eu quelques interventions, quelques témoignages (dont le très bel hommage de Saint-Ex à sa compagne disparue, qui se cache quelque part dans ce forum) mais, étrangement, jamais une discussion n'a été lancée sur le sujet. Il me semble qu'il est donc largement temps de demander pardon à Eros.

Ce n'était pas ça ...

https://twitter.com/G_Gwen/status/805461997160632321

... de la part d'un redresseur de torts autoproclamé du nom de Keros qui s'est tout à coup pris pour Gotlib.

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[alain]

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L'amour et un sentiment vif qui pousse à aimer quelqu'un, à lui vouloir du bien, à l'aider en s'identifiant à lui.









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C' est comme ça que je le vois : identification, comprendre  la personne, connaître ses " qualités " et ses " défauts ".
Ce n' est pas un long fleuve tranquille.
Il peut y avoir des heurts, des incompréhensions, même de la jalousie et de la violence parfois ... je dirais que l' amour c' est d' aimer MALGRÉ TOUT.
C' est en fait quand la somme du bonheur dans la relation l' emporte sur TOUT LE RESTE.

[Bergame]

 "Beurk"... quoi ?
Ce n'est quand même pas la notion d'"amour" qui te fait dire "beurk" ?

Non, c'est une forme de réaction à l'exhibition de trucs qui gagnent à rester intimes ....sorte d'écoeurement comme avec un gâteau trop sucré ou trop gras qui coule sur les doigts......Je ne te recase pas le caniche ...mais il y a de ça.

Ah, tout le monde n'a pas la même capacité à appréhender ses propres émotions ni à les exprimer, c'est certain. Et surtout, c'est terrible, mais tout le monde n'a pas la même capacité à ressentir les émotions. Mais au final, qu'y a-t-il de plus beau, de plus puissant dans l'existence, que l'amour ?

-si ce n'est, peut-être, la haine ?

[Saint-Ex]

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au final, qu'y a-t-il de plus beau, de plus puissant dans l'existence, que l'amour ?

-si ce n'est, peut-être, la haine ?

Cette mise au point effectuée, je vais replacer ici le message sur l'amour que j'avais effacé plus haut, mais sous une autre forme, par plusieurs mouvements un peu plus développés.

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[Saint-Ex]

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PREMIER MOUVEMENT :

Ma copine Peggy Sastre a produit un essai sur l'amour.




Cet essai jette un éclairage drôle et décapant sur la dépendance affective dont souffrent encore trop souvent les femmes.

La question n'est pas d'opposer émancipation et amour, mais de comprendre ce que les sciences ont à nous dire sur la toxicité du surinvestissement amoureux.

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[Saint-Ex]

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DEUXIÉME MOUVEMENT :

C'est une réflexion sur le plus grand amour de tous les temps entre un jeune homme, Roméo, et une jeune fille, Juliette.

Cet amour est encore aujourd'hui le sujet d'une pièce de théâtre jouée depuis des siècles dans de multiples interprétations partout dans le monde et aussi d'une multitude de films de grande qualité, les deux meilleurs étant à mon avis celui de Franco Zeffireli et celui de Léonard Bernstein.


Franco Zeffireli


Coup de foudre entre deux adolescents, l'un s'appelle Roméo Montaigu, l'autre Juliette Capulet.


Léonard Beinstein


Scène du balcon entre Roméo et Juliette dans le quartier Est de New York.

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[Saint-Ex]

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TROISIÈME MOUVEMENT :

J'ai produit il y a longtemps sur Digression un exercice littéraire sur les amours d'enfance.
Cet exercice s'exprime par un voyage répétitif aller-retour dans le temps.
Le titre de cet exercice : MARIE-MADELEINE.
Il relate une importante partie de la vie de l'enfant que j'ai été.
Rien n'a été inventé.
Même pas le prénom de la gamine devenue jeune fille.

Voilà :



MARIE-MADELEINE

C'était au début des années 2000. 

Google commençait à faire des ravages dans le secteur des moteurs de recherche, et l'idée de chercher à savoir ce qu'était devenue Marie-Madeleine me vint tout à coup à l'esprit. 

Je taperais son nom et je verrais bien ce que ça donnerait.


Marie-Madeleine, quand j'avais sept ans, je la connaissais déjà depuis toujours. Elle avait sept ans aussi... 

Les jours de chaleur, en été, nous faisions voguer des petits bateaux en papier dans la rigole de la rue que le cantonnier inondait pour la nettoyer au balai de broussailles. Oh, il y a longtemps...

Nous grandissions en même temps, presque toujours ensemble. Nous étions voisins. 

Nous nous échangions des images d'animaux trouvées dans les emballages de tablette de chocolat. Ou des timbres. Ou des capsules de bouteilles. À la plage, nous bâtissions des châteaux ou sculptions des poissons dans le sable mouillé.

Les heures passaient sans que nous ne nous rendions compte que c'était des semaines, des mois et des années qui lentement s'additionnaient. Huit ans. Neuf ans. Dix ans. 

Encore enfants tous les deux, nous allions aux rampes de mise à l'eau des barques du petit port pour lancer des galets en ricochets sur l'eau. 

Nos jeux se complexifiaient peu à peu. Ça a été la pêche à la ligne, puis la gymnastique aux agrès de la plage. Et puis aussi la lecture. 

Notre tout premier livre, à elle comme à moi, ça a été Don Quichotte, le doigt sur la ligne, suivant en même temps le récit, en lisant à voix haute et en éclatant de rire aux mêmes passages, le saladier-chapeau, Sancho balancé en l'air, etc. 

Onze ans. Douze ans. Treize ans.



Dans la fenêtre de Google, je tapai « Marie-Madeleine Bianquis » et appuyai sur Enter. Je ne sais plus si je fus surpris ou si ne le fus pas. Je sais simplement que son nom m'est apparu immédiatement, en haut de la liste, en bleu, et que j'ai cliqué dessus. 


Nos jeux se complexifiaient. Un jour, le hasard a voulu que nous nous retrouvions seuls chez elle un après-midi de chaleur. Comment tout s'est enchaîné alors, je ne saurais pas l'expliquer. Nous ne savions rien ni l'un ni l'autre de ce qui nous arrivait et qui nous prenait par surprise elle et moi. Tout s'est enchaîné sans que nous n'ayons un seul instant l'impression de pouvoir y faire quoi que ce soit. L'instinct le plus sauvage nous est carrément tombé sur le corps. Un vertige. Un firmament. Un gouffre. Un ouragan bienheureux. Des myriades d'étoiles au fond des yeux. 


Mon ordinateur n'était pas très rapide. Un texte s'est affiché lentement. Au bout de deux ou trois secondes, j'ai vu qu'il y était bien question de ma Marie-Madeleine à moi. Une minuscule image est apparue tout en bas du texte. Je ne voyais pas ce que c'était. La flèche de ma souris s'est transformée en main quand je l'ai placée dessus... J'ai cliqué.


Nous avons eu par la suite quelques fois le même vertige et vu les mêmes étoiles, mais Marie-Madeleine m'a dit un jour que c'était trop dangereux pour elle. Les jeunes filles étaient plus instruites de la vie, plus conscientes des dangers que les jeunes garçons. À cette époque, la pilule n'existait pas. Les préservatifs étaient introuvables. L'avortement était extrêmement dangereux. Le risque était trop grand pour celles qui avaient « fauté », comme on disait à cette époque. Pour une « fille-mère », comme on disait aussi, c'était l'enfer assuré toute la vie. La morale bien pensante régnait de façon tyrannique sur les corps et les esprits.

Nous sommes donc passés aux caresses, à la tendresse et à l'amitié la plus pure qui ait existé de mémoire d'amour courtois.

Mais un jour, nous avions à peu près quinze ans, les adultes sont tous devenus fous.

Il a fallu fuir. Elle a suivi ses parents. J'ai suivi les miens.

Nous ne nous sommes plus jamais revus...


Une photo se construisit lentement sur mon écran. D'abord les boucles de ses cheveux. Puis l'arc de ses sourcils. L'arrondi de ses oreilles. La limpidité de ses yeux. Le galbe de son nez. Le sourire de sa bouche. Un peu de son épaule. Et sa gorge devinée.

Comme une aube, une aurore, un rayonnement, un soleil. 

Une douceur infinie. 




Marie-Madeleine Bianquis (†)


Et, me lacérant les tripes, m'arrachant le cœur, me déchirant le corps, tout à coup, là, sous mes yeux, entre parenthèses, un poignard...

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[Saint-Ex]

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QUATRIÈME MOUVEMENT :


La femme de ma vie.

Des yeux émeraudes (calme)
Une chevelure rousse (flamme)
Une voix à ensorceler tous les sorciers du monde
Un corps à aimanter tous les regards des mâles
Nous dansions, l'un contre l'autre, immobiles,
Dans un silence voulu par la foudre.

Je relisais mon texte sur MARIE-MADELEINE

La femme de ma vie avait pris l'habitude de regarder joue contre joue par-dessus mon épaule ce qui se déroulait sur l'écran de mon ordinateur. Même mes films porno se déroulaient sous sa vue.

Lorsqu'elle a vu l'histoire de ma copine d'enfance, Marie-Madeleine, elle a été étonnée par mon silence.

Elle a immédiatement compris que j'avais le plus grand besoin d'une vertigineuse consolation.

La femme de ma vie a toujours été plus riche que moi. Lorsqu'elle a hérité d'une propriété, en France, elle est allée la vendre, puis a déplacé son argent de l'autre côté de l'Atlantique, elle est donc revenue au Canada, et m'a achetée une grande maison en remplacement de celle, plus petite, que nous avions déjà, et aussi une voiture de luxe, et aussi encore elle m'a laissé un capital qui me permet aujourd'hui de jouer à l'architecte, l'un de mes plus grand rêves.

Elle m'a soutenue que ce n'était pas le cadeau qui comptait, mais qu'elle voulait me mettre à l'abris des malheurs de tous les besoins matériels.

Comment avons-nous tenu 60 ans ensemble, et pourquoi cette générosité à mon endroit ?

Le secret se trouve dans la méfiance totale de l'horreur que constitue la lassitude qui gagne tous les couples. Dès que la lassitude nous prenait, nous nous sommes séparés, elle allait en France, je restais au Canada. Elle revenait au Canada, et au bout de la période de bonheur des retrouvailles heureuses, et dès que la lassitude nous reprenait, je déménageait seul et la laissait tranquille, jusqu'au moment où le désir de retrouvailles nous reprenait encore plus fort que jamais.

Nous avons joué sincèrement le bonheur de nos multiples retrouvaille pendant 60 ans. L'amour c'est ça : C'est l'amour des commencements.

Sinon, pour garder sa beauté, l'amour se suicide. Comme celui de Roméo et Juliette.

Mille et une fois, nous avons vécu notre commencement :

Des yeux émeraudes (calme)
Une chevelure rousse (flamme)
Une voix à ensorceler tous les sorciers du monde
Un corps à aimanter tous les regards des mâles
Nous dansions, l'un contre l'autre, immobiles,
Dans un silence voulu par la foudre.

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[Saint-Ex]

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À Alain

Il est possible que tu entrevois aujourd'hui la teneur de ce que je te disais à propos de l'Éternel Retour du Même qu'est la manifestation de l'instant ...








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[Saint-Ex]

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CINQUIÈME MOUVEMENT :

Dans mon adolescence, après avoir été largement déçu par la philosophie enseignée par les pires Socrates fonctionnaires que la France ait pu produire, j'ai commencé à être très curieux des sciences en général et de la biologie en particulier.

J'ai découvert grâce à la biologie (grâce à la biologie comportementale, qui s'était déjà bien développée chez les Anglo-Saxons) que tous les couples, absolument tous les couples finissent pas se tromper un jour ou l'autre, c'est une constante absolue de la biologie humaine. Et c'est aussi la source de pas mal de délabrement amoureux et de divorces commandés par la haine ...

La femme de ma vie était parfaitement au courant de ce phénomène.

Nous avons donc décidé très tôt de ne jamais chercher à savoir ce que faisait l'un dans ses moments d'éloignement de l'autre.

L'amour le plus puissant doit la permanence de son existence à une association étroite avec l'amitié ...

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[Saint-Ex]

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SIXIÈME MOUVEMENT

Je ne vous dirais pas le détail des partouzes de mes 20 ans, du temps où je jouais de la guitare électrique dans un petit orchestre de rock n'roll qui se produisait régulièrement sur une scène devant laquelle se massait le harem des minettes les plus désireuses de plaisirs charnels.

Il y a l'amour, oui, le grand amour, encore oui, mais il ne faudrait pas que ce véritable, ce noble amour occulte l'animalité du plaisir d'une sexualité interdisant sur le coup la pensée, l'idée, l'être, le dasein et tout le tralala intellectuel complètement démoli au moment de la sauvagerie d'un coït bienfaisant pour les insécables épicuriens bien accrochés les uns aux autres.

Dans ces moments, on perd la tête ... Celui qui a dit ça est un grand philosophe ...




(Le rire de Saint-Ex, de Diogène, de Démocrite et de Zarathoustra)

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[Bergame]

L'amour c'est ça : C'est l'amour des commencements.

Peut-être.
Mais c'est beau de trouver quelqu'un qui comprend la nécessité d'éviter la routine du quotidien, qui peut s'éloigner sans larmes et revenir quand le désir reprend. C'est aussi difficile avec des enfants, je pense. Tu as une fille, je crois ? Comment vivait-elle ces séparations -si tu me permets la question ?

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