"idée reçue" est une idée reçue
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"idée reçue" est une idée reçue
Je ne suis pas complètement sûr de poster au bon endroit, mais bon, c'est à ça que servent les lignes en marge.
Le titre est à la fois provocateur et énigmatique. Il est plus clair si on le lit comme du chinois ancien (je ne parle pas du lexique mais de la structure de phrase, pensez au cheval blanc pour ceux qui connaissent la référence).
Quand j'étais petit, à l'école, on m'a parlé des Gaulois, dans mes cours d'histoire - de France ? Là-dessus, vous seriez tentés de réagir (même dans votre tête) : "Ah oui, nos ancêtres les Gaulois, etc.". Mais (peut-être parce que je ne vivais pas outre-mer, ou surtout que mon éducation remonte à il y a pas tant d'années que ça) ce n'est pas ça que j'en ai gardé. On voudrait bien que j'en aie retenu ça, que mon idée reçue (au sens de mon idée de base) soit celle-ci, or, pour tout vous dire, ce n'est pas le cas.
Quand j'étais petit, l'idée que j'avais retenue était que sur le territoire de la France, vivait anciennement un peuple appelé les Gaulois, qu'il avait été vaincu par les Romains puis remplacé par les Francs. C'était ça mon schéma global. Sans que je questionne plus que ça ce que signifiait "remplacé". Si donc on m'avait interrogé (et je me l'étais fait moi-même un petit peu, mais sans plus creuser), j'aurais dit qu'ils avaient été chassés et qu'ils n'étaient plus là. J'étais persuadé que, génétiquement, ethniquement, j'étais un Franc.
J'ai donc été très étonné quand, au cours de recherches sur les nations, les peuples, etc., notamment les Celtes, j'ai creusé cette question que j'avais laissée inconsciemment en suspens, et "découvert" que, au fond, en un sens, je suis en fait un Gaulois, mon sang contient plus de gaulois/celtique que de franc/germain ou romain.
Bien entendu, la question est plus complexe. Où arrêter les frontières (et du reste quelles frontières ? Recherches Philosophiques §153) de cette identité ethnique gauloise ou celtique, dans la seule Gaule chevelue, dans toute l'Europe celtique, etc. ? Et il est vrai que ce qui fait l'identité (tant d'un point de vue ontologique que gnoséologique1) d'un peuple est sa culture, sa langue, etc. Mais là où je veux en venir, c'est que ce que j'avais retenu n'était pas mieux, même était pire, que de croire que j'étais tout bonnement un gaulois ayant subi les influences romaine et germanique.
Je pense que vous avez l'idée de mon sujet. "idée reçue", le jeu de langage, peut créer des idées reçues, voire, en tant que ce schéma de pensée est reçu sans être particulièrement questionné, être une idée reçue.
Je ne dis certes pas que la cause, ultimement, de ce résumé personnel, est nécessairement la seule chasse aux idées reçues comme méthodologie éducative (je me souviens mal de la forme exacte sous laquelle c'était enseigné2, et je n'ai pas sous la main le programme scolaire - du début du siècle), mais disons qu'en tout cas elle y a probablement un peu contribué, et qu'elle y contribue effectivement en général (dans d'autres cas), comme je vais tenter de le mettre en évidence. - Par ailleurs, comme la philosophie a (me semble-t-il) un grand rôle à jouer dans notre société contemporaine3 et qu'un bon philosophe aujourd'hui, je pense, est un philosophe de terrain (idée développée typiquement par l'altruisme efficace4 et la philosophie expérimentale5), j'irai faire des sondages là-dessus (par exemple sur les Gaulois), quand j'en aurai l'occasion.
La chasse aux idées reçues (le jeu de langage) me paraît avoir (produit) chez "nous" les plis suivants : 1) face à une réponse commune ou supposée commune à une question, et qui présente une faille, nier la réponse ou lui substituer une réponse alternative 2) face à un fait ou une opinion (ou quelque chose entre les deux), trouver voire inventer une fausse interprétation supposément commune, sans vraiment chercher si cette dernière est vraiment commune 3) face à une affirmation couramment partagée (voire même supposément, encore une fois), et qui d'une manière ou d'une autre heurte le politiquement correcte ou nos prénotions, trouver voire inventer une faille.
Vous lirez ici une certaine dégradation progressive. Bien sûr (et de ce fait même), il n'y a pas une stricte délimitation.
1) Ici donc je pourrais ranger ce que j'ai évoqué plus haut. On est là parfois encore tout près d'une "authentique" (pour ainsi dire, sinon "honorable" ou "légitime") chasse aux idées reçues (plus largement aux erreurs6). Une affirmation telle que "nos ancêtres les gaulois..."7 est fragile ou critiquable, et on le met en évidence. Le problème vient quand on le fait en ne prenant pas le problème par le bon bout. Comme après tout c'est la même société qui a produit celui qui dit que le nuage radioactif s'est arrêté aux frontières du territoire de nos ancêtres les Gaulois, et celle qui raille ces affirmations, il n'est pas surprenant qu'au fond, des processus similaires soient à l'oeuvre dans le premier et le second mouvement.
Typiquement, à la question "Quels sont tes ancêtres ?", on proposera une nouvelle réponse : "en vérité les Romains / les Francs" au lieu de montrer que le problème tient dans la question (re7).8
Mais les exemples sont innombrables. Ainsi, partout où il y a deux explications complémentaires, comme pour expliquer le vol des avions (voir l'excellente vidéo de ScienceEtonnante sur le sujet : https://www.youtube.com/watch?v=r-ESaj_4ujc), face à une affirmation qui part dans un sens, on peut opposer celle opposée et complémentaire (sans percevoir cette complémentarité). Et bien sûr, vous avez peut-être à l'esprit cette fameuse image où deux hommes sont à un bout d'un 6/9, l'un disant donc "Non ! c'est un six !", l'autre : "Mais non ! c'est un neuf !".
Ca peut arriver avec Monty Hall, et j'attends la réponse de notre participant kercoz sur l'autre fil. Et ça arrive avec le paradoxe des deux enfants : voir à ce sujet (sauf kercoz tant qu'il a pas répondu, sinon c'est de la triche9) la série de vidéos de Science4All (https://www.youtube.com/watch?v=ZEukm18IMkw&list=PLtzmb84AoqRQkc4f38dueiPf8YUegsg8n) et la vidéo de M Phi (https://www.youtube.com/watch?v=8ArJN4CQs84).
Exemple relativement récent, j'avoue ne pas retrouver le lien10, mais je me souviens d'un échange entre Dupont-Aignan et les Décodeurs (ou le Décodex) visant à qualifier l'état de logements pour migrants : les Décodeurs arrivent pour rétablir les faits, sauf qu'en fait la dispute consiste à interpréter les faits (où situer l'échelle pour qualifier ces logements ?). Désolé si vous n'avez pas la référence à l'esprit, de toute façon ce n'est qu'un exemple.
Un autre exemple que je connais un peu. On accuse communément Rousseau, soit de constituer un terreau pour le totalitarisme, soit de prôner un retour à la nature, et dans les deux cas c'est faux... Enfin, ça c'est ce qui se dit. Car, quant à savoir si c'est une accusation commune, si j'ai vécu le second en direct (un professeur de philosophie dans un cours de philosophie politique assez caricatural quoique pas inintéressant), le premier est rare aujourd'hui. Au fond, vous entendez plutôt généralement dire que certains pensent que Rousseau prône un retour à la nature, alors qu'en fait ce n'est pas vrai ! - Et ça nous mène au second point. Mais je voudrais d'abord terminer avec celui-ci.
Et est-ce si faux que ça ? Quant à la deuxième accusation, de fait, elle est, telle quelle (et encore, j'aurais pu la rédiger plus radicalement), caricaturale et pas hyper intéressante : mais il serait de mauvaise foi de considérer qu'on ne peut lier d'aucune manière Rousseau au totalitarisme, alors que nos schémas politiques ont évolué avec Rousseau et d'autres penseurs politiques majeurs, et que ce sont ces schémas qui ont produit le totalitarisme (qui n'est pas tombé du ciel) ; et que de fait certaines idées chez Rousseau, et particulièrement bien sûr la formulation de sa réponse au problème du Contrat Social, coeur du livre éponyme s'il en est, qui dit bien que chacun doit abandonner sa personne etc., peuvent être rattachées, en tout cas comparées, à la question du totalitarisme. Lire ce passage avec notre regard contemporain et notre expérience historique n'est pas sans pertinence, tant qu'on ne laisse pas ce contexte nous aveugler et nous faire lire sans lire.
Quant à l'autre point, il y a là encore du vrai là-dedans. D'une part, quand on parle de rousseauisme (c'est parfois ainsi qu'on exprime cette idée : le rousseauisme est un (pré)romantisme, par exemple), on ne parle pas de Rousseau. Et puis Rousseau a bien remporté son prix avec un Discours sur les sciences et les arts, première oeuvre majeure, qui critique de front la civilisation et les sciences et les arts. Et un Discours sur l'origine etc. qui invite à une certaine nostalgie (je peux citer des passages si vous voulez que j'appuie ce point) envers un passé imaginé ("anhistorique" : autre exemple possible à étudier, d'ailleurs) de l'humanité. En lisant encore l'Emile ou les Rêveries, vous ne pouvez pas rejeter en bloc ce discours. Il est certes vrai que dans le Contrat Social, Rousseau déclare que l'homme à l'état de nature est débile etc. et qu'il ne s'est jamais exprimé autrement. Mais d'une part ce passage ne discrédite pas complètement les interprétations partagées plus haut, d'autre part, si, pour prendre cet exemple (j'ai cherché un peu pour en trouver un bon), Victor Hugo disait que le jeune aiglon était un grand homme à la figure seulement entachée par quelques mauvais plis qu'il avait noblement corrigés, et qu'il n'avait jamais dit autre chose, on se permettrait de faire une moue entendue...
2) Encore une fois, il y a progression, ce n'est pas une typologie absolument rigoureuse et aux frontières parfaitement définies.
Ce 2e type peut paraître proche du 1er. En fait, j'ai particulièrement à l'esprit un échange que j'ai eu il y a peu sur Quora (un site pour poser des questions et donner des réponses, avec une communauté francophone relativement réduite mais plutôt compétente). Le sujet (la question posée) portait sur les idées reçues (dans le domaine du cinéma, je suppose ; je rechercherai plus tard la conversation même si ce n'est pas hyper important). C'est un thème assez courant sur Quora, et qui du reste produit du contenu intéressant et réellement enrichissant de façon générale.
Un quoran (l'équivalent d'un digressif) citait cette idée reçue voulant que la ligne originelle de Han Solo dans un échange fameux avec Padmé dans SW V aurait été "[ I love you] - I love you too", et qu'il l'aurait corrigée (lui-même, par intuition géniale11) pour "I know". Le quoran ajoute : en vérité, la véritable réplique prévue était etc. (je ne me souviens pas par coeur), et elle a été changée au cours d'une discussion avec le réalisateur.
Voilà. Or, point intéressant : je n'avais pas entendu l'idée reçue. Je tombe sur la correction avant la version antérieure. Et, notamment à cause de ça, je me dis, bon, et au fait, c'est quoi la source de ce quoran ? Donc je lui demande. C'est là que le cocasse commence. Il me répond quelque chose du genre : "la source ? euh...ben...peu importe, tout le monde le sait (lol), et faut arrêter de demander des sources tout le temps. Euh...il y a une interview avec le réalisateur". Alors là, je maintiens l'échange. Et d'abord, je vais me faire une petite vérification. Pour commencer, je vais sur YouTube, où je trouverai sans doute ladite interview. Et là, je tombe en premier sur une interview de Harrington (au passage, par charité, vertu majeure de débat, je présume que le quoran a également cherché du côté des sources et en anglais) ! Je me dis, bon, ça me renseignera sans doute. Et là, Harrington partage ce qui est selon ce quoran une idée reçue. Donc, source, derechef. L'autre est agacé (alors que s'il se met à sa place, j'ai Harrington, source primaire s'il en est, face à un inconnu sur internet qui parle au nom du sens commun), et me dit que tous les amateurs de SF le savent (re-lol). Là encore, reconnaissez que c'est cocasse.
Bon, avec le recul et des vérifications, je présume que le quoran avait sans doute raison (mais sa démarche est très discutable). J'ai certes épluché un script original (je suis un esprit très pointilleux et, disons, cartésien), mais j'ai fini par m'arrêter parce qu'à vrai dire je m'en fous un peu de cette histoire.
Mais ce qui est très intéressant, c'est ce point : manifestement, dans ce cas, l'idée communément partagée (entre fans de SF) est qu'il existe une idée reçue au sujet de la réplique de Han Solo, alors qu'en fait etc. D'où : l'idée reçue est une idée reçue.
En vérité, ils n'ont vraisemblablement pas cherché très loin ce que les gens pensaient vraiment, ils n'ont pas vérifié si l'idée était reçue. Le fait est que l'idée a surtout une source fiable, donc qu'on est très loin d'une interprétation commune qui aurait émergé par vulgarisation et téléphone arabe (on peut considérer que c'est la source authentique des idées reçues).
Il y a ainsi là comme une affaire de trafic d'idées reçues, qu'on se partage entre sachants pour se flatter l'égo.
Cela illustre la sentence de Confucius : "les hommes de peu sont les voleurs de la vertu".12 Un exemple spécifiquement pour cette phrase : la fameuse courbe de compétence associée à l'effet Dunning-Krueger qui est un cas d'effet Dunning-Kruger13.
Et cette histoire (entre autre) illustre (de façon transposée) l'idée de de Mesquita selon laquelle arriver au pouvoir et se maintenir au pouvoir sont deux choses différentes, et l'humanité pèche souvent par cette confusion. De même donc, on présente dans une logique de combat une vérité face à une idée reçue qui n'existe pas vraiment, de sorte que l'enjeu réel n'est pas d'imposer la vérité face à cette interprétation, mais, puisque c'est déjà fait, de présenter cette vérité. Ainsi, maintenant qu'il est globalement admis que "nos ancêtres les Gaulois" est une notion naïve, au lieu de le dire une énième fois (en risquant de professer, ce faisant, des contre-vérités), expliquons plutôt ce que c'est qu'un peuple, que la civilisation celtique, la Gaule, etc. Pour parler un peu simplement, soyons constructifs.
3) J'en viens à mon troisième point. Je tâcherai d'être succinct (pour cette fois).
La question qu'il pose, c'est la motivation réelle de la chasse aux idées reçues.
Ca peut être la "passion" de la vérité et le besoin de corriger les erreurs.
Qui peuvent être couplés à des questions d'ordre morale (corriger des erreurs dommageables).
Et parfois on se concentre plus sur les opinions mauvaises que sur celles fausses.
Et il y a l'orgueil de savoir, en s'opposant aux autres, etc., et là-dessus on peut embrayer sur du kercoz (ou du Nietzsche). Je pense qu'il y a un gros effort à faire par ici ; et quand vous lisez des debunks, des retours sur des idées reçues, et ainsi de suite, votre soupçon ne manque de tomber sur les réelles motivations des auteurs - évidemment, il faut cependant éviter d'assumer celles-ci, et les garder seulement comme des points d'interrogation suspendus.
Bon, je me limiterai en exemples.
Dans le cadre de Black Lives Matter, je suis tombé par hasard sur un certain nombre de contenus, défendant le mouvement et produisant un effet un peu inverse sur moi en raison de leurs manquements à la vérité. Je pensais à l'origine qu'effectivement la police était assez raciste, qu'elle tuait disproportionnellement des Noirs, etc., et en fait les chiffres lus correctement (je veux seulement dire avec méthode) ne permettent pas de tirer des conclusions aussi unilatéralement.
Or donc, les remarques et les faits s'échangeaient dans la "fachosphère", et les médias de debunkage type décodeurs ne pouvaient manquer de traiter le sujet, et il est évident qu'ils n'auraient pas une approche complètement impartiale (ce sont des journalistes, des hommes, qui y travaillent, et on imagine difficilement un journaliste du Monde se poser sérieusement la question de savoir si oui ou non la police américaine est raciste, etc.). Et je suis tombé par hasard sur cet "article" : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/06/04/aux-etats-unis-les-blancs-sont-majoritairement-tues-par-d-autres-blancs_6041778_4355770.html. Pour reprendre ses mots, il s'agit, dans la seconde partie, d'une "escroquerie intellectuelle". Et il est vraiment triste de lire qu'un sociologue sérieux (j'ai eu depuis l'occasion de l'écouter à la télé, et disons qu'il paraît globalement parler de ce qu'il sait) se soit compromis dans une telle affaire. Je vous laisse lire ce debunkage si ça vous intéresse, et si vous ne voyez pas les problèmes, je vous expliquerai.
Ce cas est un exemple typique de ce que rapporte Science4All (je rechercherai un lien) : quand on soumet des problèmes de mathématiques, même élémentaires, sous une forme politisée, à des gens, ces derniers deviennent mathématiquement stupides. Ou pour le formuler ainsi, la politisation du sujet amenuise leur capacité de raisonnement et de rigueur. Là encore, on peut faire du kercoz là-dedans (de la psycho, etc.).
Un autre cas est celui des stéréotypes (synonyme d'idées reçues), sur lesquels notre esprit contemporain a un rapport ambigu. D'un côté, on aimerait qu'ils soient vrais quand ils mettent en évidence la différence entre les cultures (surtout s'ils promeuvent les cultures extérieures), de l'autre on veut qu'ils soient faux, voire on le déclare péremptoirement, dès lors qu'on a à l'esprit la connotation négative de stéréotype et que plus ou moins consciemment on joue au gentil soldat qui lutte contre les stéréotypes. À cet égard, mention honorable à Paul Taylor dont je pensais (pour préparer le présent texte j'ai rapidement consulté une de ses vidéos Stereotrip) qu'il allait tomber dans la banale recherche de contre-exemples (qui n'infirment pas les stéréotypes qui sont de toute façon des vérités générales et relativement vagues), et qui finalement décide de les étudier en voyant sur place (certes en une seule semaine chrono) et en demandant l'avis à des "experts" (pour l'Allemagne, un sociologue, un historien et un humoriste).
La chaîne YouTube de Max Bird (https://www.youtube.com/channel/UC-4WUubuVGowG_R7gdgesPA), consacrée aux idées reçues, est un certain exemple de dégradation telle que je l'ai présentée (due à l'épuisement des sujets clairs et franchement bien vus, par exemple sur la tomate, et au désir croissant pour lui, ayant une audience, de commencer à donner un peu son avis et mettre un peu de "politique" dedans).
Je pense qu'avec tout ça, je vous ai présenté un tableau assez construit et développé sur le sujet. J'ai posé le problème. Alors, vous me direz, et maintenant, quoi faire ?
1) Déjà, il va de soi que je ne dis rien d'absolument nouveau, je tâche plutôt de participer à une meilleure mise en place d'un cadre constructif pour débattre, pour échanger, pour progresser en vérité. Et je recommande les initiatives de par exemple Science4All (https://www.youtube.com/watch?v=jOBYSDVbvB4&list=PLtzmb84AoqRTFS8c7hX0IaMkmdQckZtZ6), Chat Sceptique (malgré quelques réticences sur sa démarche et son positionnement dans ses vidéos les plus récentes), ou même Victor Ferry, pour ne citer que ces exemples.
2) Ensuite, je pense qu'il est important de poser ces diagnostics. Et d'autant plus si la taille de mon texte ne vous a pas effrayés, et vous participez à votre tour en les affinant. On a vraiment tendance à ne pas discuter ce qu'on fait quand on debunke ou qu'on attaque des idées reçues, sous prétexte que c'est une démarche noble et que ce sont des idées reçues (parfois le seul fait qu'elles sont communément admises les discrédite).
3) Puis (attention séquence teasing), j'aurai l'occasion de poursuivre le diagnostic et la réflexion dans mes Méditations Wittgensteiniennes.
4) Et ailleurs mais j'ai oublié dans quel projet précisément, et puis il est tard, pas le temps de retrouver.
5) Du reste, il faut bien garder à l'esprit que idée reçue est idée reçue est idée reçue ou encore 道聽之道聽,之道聽也, pour ainsi dire...
1 : Sur ce second point, voir la question de ce qu'on cherche quand on cherche qui était le peuple celtique, abordée dans l'excellent livre d'Alice Roberts, The Celts, Search for a Civilization.
2 : il y a là manifestement une simplification opérée par la mémoire (c'est du reste comme ça que fonctionne la mémoire), à mettre en relation avec l'effet Mandela.
3 : Je l'ai déjà évoqué dans marep...présentation sur le fil idoine, et aurai l'occasion de le développer dans d'autres contextes.
Du reste, à vrai dire, le présent fil contribue déjà à le mettre en évidence.
4 : Pensez à Peter Singer. Deux vidéos de M Phi : https://www.youtube.com/watch?v=DY_X8szLrbU, https://www.youtube.com/watch?v=JefwhxJWmik
5 : Interview par M Phi : https://www.youtube.com/watch?v=xc31-WwVlRw
6 : La différence (spécifique) de la première pourrait être qu'elle a une dimension politique ou morale : on ne corrige pas seulement des erreurs particulières, mais des erreurs répandues, donc on a une efficace significative, et ces erreurs peuvent parfois avoir des implications morales.
7 : C'est une affirmation déguisée. Voir le paradoxe de la double question ("as-tu terminé de battre ton père ?" est un exemple/illustration courant)
8 : Et cette remarque devrait vous parler en tant que "philosophes" (ou en philosophie) : voilà pourquoi la philosophie a un mot à dire - tant qu'elle reste sérieusement philosophique.
9 : Non pas que le problème que je lui ai posé s'y trouve, en fait je l'ai inventé (et même changé en cours de route), mais ces vidéos pourraient l'aider à mieux comprendre.
10 : peut-être par ici : https://tv.marianne.net/focus/content-decodex-va-sauver-les-medias-ou-pas--3 Mais je n'ai pas d'abonnement (déjà que j'oublie chaque mois depuis plus d'un an de me désabonner d'Atlantico et Figaro que j'ai à peine lus - je m'étais abonné juste pour lire quelques articles).
11 : De même que dans Indiano Jones, lors du duel de sabres avorté par un médicament à base de plomb.
12 : - Entretiens, XVII, 12-14 :
子曰:「色厲而內荏,譬諸小人,其猶穿窬之盜也與?」Le maître dit : D'apparence de fermeté, d'intérieur faible, ainsi les hommes de peu, comme ceux qui pénètrent les maisons pour voler.
子曰:「鄉原,德之賊也。」Le maître dit : Ces humbles paysans sont les voleurs de la vertu.
子曰:「道聽而塗說,德之棄也。」Le maître dit : Propager ce qu'on entend sur la voie*, c'est abandonner la vertu.
Je traduis, en veillant à restituer l'original sous une forme pure et ouverte sans trancher dans mon interprétation (vous comprendrez ce dernier mot si vous lisez du chinois ancien).
* : Voie, dao (ou Tao) peut ici désigner la voie au sens de dao, doctrine, vérité, ou bien le chemin (entendre en chemin, on the go, etc.).
13 : https://twitter.com/Tournesol94450/status/1314904632901218304
https://twitter.com/Bunker_D_/status/1191760662667702272
https://epistemax.com/esprit-critique/cessons-lappel-a-dunning-kruger/
Le titre est à la fois provocateur et énigmatique. Il est plus clair si on le lit comme du chinois ancien (je ne parle pas du lexique mais de la structure de phrase, pensez au cheval blanc pour ceux qui connaissent la référence).
Quand j'étais petit, à l'école, on m'a parlé des Gaulois, dans mes cours d'histoire - de France ? Là-dessus, vous seriez tentés de réagir (même dans votre tête) : "Ah oui, nos ancêtres les Gaulois, etc.". Mais (peut-être parce que je ne vivais pas outre-mer, ou surtout que mon éducation remonte à il y a pas tant d'années que ça) ce n'est pas ça que j'en ai gardé. On voudrait bien que j'en aie retenu ça, que mon idée reçue (au sens de mon idée de base) soit celle-ci, or, pour tout vous dire, ce n'est pas le cas.
Quand j'étais petit, l'idée que j'avais retenue était que sur le territoire de la France, vivait anciennement un peuple appelé les Gaulois, qu'il avait été vaincu par les Romains puis remplacé par les Francs. C'était ça mon schéma global. Sans que je questionne plus que ça ce que signifiait "remplacé". Si donc on m'avait interrogé (et je me l'étais fait moi-même un petit peu, mais sans plus creuser), j'aurais dit qu'ils avaient été chassés et qu'ils n'étaient plus là. J'étais persuadé que, génétiquement, ethniquement, j'étais un Franc.
J'ai donc été très étonné quand, au cours de recherches sur les nations, les peuples, etc., notamment les Celtes, j'ai creusé cette question que j'avais laissée inconsciemment en suspens, et "découvert" que, au fond, en un sens, je suis en fait un Gaulois, mon sang contient plus de gaulois/celtique que de franc/germain ou romain.
Bien entendu, la question est plus complexe. Où arrêter les frontières (et du reste quelles frontières ? Recherches Philosophiques §153) de cette identité ethnique gauloise ou celtique, dans la seule Gaule chevelue, dans toute l'Europe celtique, etc. ? Et il est vrai que ce qui fait l'identité (tant d'un point de vue ontologique que gnoséologique1) d'un peuple est sa culture, sa langue, etc. Mais là où je veux en venir, c'est que ce que j'avais retenu n'était pas mieux, même était pire, que de croire que j'étais tout bonnement un gaulois ayant subi les influences romaine et germanique.
Je pense que vous avez l'idée de mon sujet. "idée reçue", le jeu de langage, peut créer des idées reçues, voire, en tant que ce schéma de pensée est reçu sans être particulièrement questionné, être une idée reçue.
Je ne dis certes pas que la cause, ultimement, de ce résumé personnel, est nécessairement la seule chasse aux idées reçues comme méthodologie éducative (je me souviens mal de la forme exacte sous laquelle c'était enseigné2, et je n'ai pas sous la main le programme scolaire - du début du siècle), mais disons qu'en tout cas elle y a probablement un peu contribué, et qu'elle y contribue effectivement en général (dans d'autres cas), comme je vais tenter de le mettre en évidence. - Par ailleurs, comme la philosophie a (me semble-t-il) un grand rôle à jouer dans notre société contemporaine3 et qu'un bon philosophe aujourd'hui, je pense, est un philosophe de terrain (idée développée typiquement par l'altruisme efficace4 et la philosophie expérimentale5), j'irai faire des sondages là-dessus (par exemple sur les Gaulois), quand j'en aurai l'occasion.
La chasse aux idées reçues (le jeu de langage) me paraît avoir (produit) chez "nous" les plis suivants : 1) face à une réponse commune ou supposée commune à une question, et qui présente une faille, nier la réponse ou lui substituer une réponse alternative 2) face à un fait ou une opinion (ou quelque chose entre les deux), trouver voire inventer une fausse interprétation supposément commune, sans vraiment chercher si cette dernière est vraiment commune 3) face à une affirmation couramment partagée (voire même supposément, encore une fois), et qui d'une manière ou d'une autre heurte le politiquement correcte ou nos prénotions, trouver voire inventer une faille.
Vous lirez ici une certaine dégradation progressive. Bien sûr (et de ce fait même), il n'y a pas une stricte délimitation.
1) Ici donc je pourrais ranger ce que j'ai évoqué plus haut. On est là parfois encore tout près d'une "authentique" (pour ainsi dire, sinon "honorable" ou "légitime") chasse aux idées reçues (plus largement aux erreurs6). Une affirmation telle que "nos ancêtres les gaulois..."7 est fragile ou critiquable, et on le met en évidence. Le problème vient quand on le fait en ne prenant pas le problème par le bon bout. Comme après tout c'est la même société qui a produit celui qui dit que le nuage radioactif s'est arrêté aux frontières du territoire de nos ancêtres les Gaulois, et celle qui raille ces affirmations, il n'est pas surprenant qu'au fond, des processus similaires soient à l'oeuvre dans le premier et le second mouvement.
Typiquement, à la question "Quels sont tes ancêtres ?", on proposera une nouvelle réponse : "en vérité les Romains / les Francs" au lieu de montrer que le problème tient dans la question (re7).8
Mais les exemples sont innombrables. Ainsi, partout où il y a deux explications complémentaires, comme pour expliquer le vol des avions (voir l'excellente vidéo de ScienceEtonnante sur le sujet : https://www.youtube.com/watch?v=r-ESaj_4ujc), face à une affirmation qui part dans un sens, on peut opposer celle opposée et complémentaire (sans percevoir cette complémentarité). Et bien sûr, vous avez peut-être à l'esprit cette fameuse image où deux hommes sont à un bout d'un 6/9, l'un disant donc "Non ! c'est un six !", l'autre : "Mais non ! c'est un neuf !".
Ca peut arriver avec Monty Hall, et j'attends la réponse de notre participant kercoz sur l'autre fil. Et ça arrive avec le paradoxe des deux enfants : voir à ce sujet (sauf kercoz tant qu'il a pas répondu, sinon c'est de la triche9) la série de vidéos de Science4All (https://www.youtube.com/watch?v=ZEukm18IMkw&list=PLtzmb84AoqRQkc4f38dueiPf8YUegsg8n) et la vidéo de M Phi (https://www.youtube.com/watch?v=8ArJN4CQs84).
Exemple relativement récent, j'avoue ne pas retrouver le lien10, mais je me souviens d'un échange entre Dupont-Aignan et les Décodeurs (ou le Décodex) visant à qualifier l'état de logements pour migrants : les Décodeurs arrivent pour rétablir les faits, sauf qu'en fait la dispute consiste à interpréter les faits (où situer l'échelle pour qualifier ces logements ?). Désolé si vous n'avez pas la référence à l'esprit, de toute façon ce n'est qu'un exemple.
Un autre exemple que je connais un peu. On accuse communément Rousseau, soit de constituer un terreau pour le totalitarisme, soit de prôner un retour à la nature, et dans les deux cas c'est faux... Enfin, ça c'est ce qui se dit. Car, quant à savoir si c'est une accusation commune, si j'ai vécu le second en direct (un professeur de philosophie dans un cours de philosophie politique assez caricatural quoique pas inintéressant), le premier est rare aujourd'hui. Au fond, vous entendez plutôt généralement dire que certains pensent que Rousseau prône un retour à la nature, alors qu'en fait ce n'est pas vrai ! - Et ça nous mène au second point. Mais je voudrais d'abord terminer avec celui-ci.
Et est-ce si faux que ça ? Quant à la deuxième accusation, de fait, elle est, telle quelle (et encore, j'aurais pu la rédiger plus radicalement), caricaturale et pas hyper intéressante : mais il serait de mauvaise foi de considérer qu'on ne peut lier d'aucune manière Rousseau au totalitarisme, alors que nos schémas politiques ont évolué avec Rousseau et d'autres penseurs politiques majeurs, et que ce sont ces schémas qui ont produit le totalitarisme (qui n'est pas tombé du ciel) ; et que de fait certaines idées chez Rousseau, et particulièrement bien sûr la formulation de sa réponse au problème du Contrat Social, coeur du livre éponyme s'il en est, qui dit bien que chacun doit abandonner sa personne etc., peuvent être rattachées, en tout cas comparées, à la question du totalitarisme. Lire ce passage avec notre regard contemporain et notre expérience historique n'est pas sans pertinence, tant qu'on ne laisse pas ce contexte nous aveugler et nous faire lire sans lire.
Quant à l'autre point, il y a là encore du vrai là-dedans. D'une part, quand on parle de rousseauisme (c'est parfois ainsi qu'on exprime cette idée : le rousseauisme est un (pré)romantisme, par exemple), on ne parle pas de Rousseau. Et puis Rousseau a bien remporté son prix avec un Discours sur les sciences et les arts, première oeuvre majeure, qui critique de front la civilisation et les sciences et les arts. Et un Discours sur l'origine etc. qui invite à une certaine nostalgie (je peux citer des passages si vous voulez que j'appuie ce point) envers un passé imaginé ("anhistorique" : autre exemple possible à étudier, d'ailleurs) de l'humanité. En lisant encore l'Emile ou les Rêveries, vous ne pouvez pas rejeter en bloc ce discours. Il est certes vrai que dans le Contrat Social, Rousseau déclare que l'homme à l'état de nature est débile etc. et qu'il ne s'est jamais exprimé autrement. Mais d'une part ce passage ne discrédite pas complètement les interprétations partagées plus haut, d'autre part, si, pour prendre cet exemple (j'ai cherché un peu pour en trouver un bon), Victor Hugo disait que le jeune aiglon était un grand homme à la figure seulement entachée par quelques mauvais plis qu'il avait noblement corrigés, et qu'il n'avait jamais dit autre chose, on se permettrait de faire une moue entendue...
2) Encore une fois, il y a progression, ce n'est pas une typologie absolument rigoureuse et aux frontières parfaitement définies.
Ce 2e type peut paraître proche du 1er. En fait, j'ai particulièrement à l'esprit un échange que j'ai eu il y a peu sur Quora (un site pour poser des questions et donner des réponses, avec une communauté francophone relativement réduite mais plutôt compétente). Le sujet (la question posée) portait sur les idées reçues (dans le domaine du cinéma, je suppose ; je rechercherai plus tard la conversation même si ce n'est pas hyper important). C'est un thème assez courant sur Quora, et qui du reste produit du contenu intéressant et réellement enrichissant de façon générale.
Un quoran (l'équivalent d'un digressif) citait cette idée reçue voulant que la ligne originelle de Han Solo dans un échange fameux avec Padmé dans SW V aurait été "[ I love you] - I love you too", et qu'il l'aurait corrigée (lui-même, par intuition géniale11) pour "I know". Le quoran ajoute : en vérité, la véritable réplique prévue était etc. (je ne me souviens pas par coeur), et elle a été changée au cours d'une discussion avec le réalisateur.
Voilà. Or, point intéressant : je n'avais pas entendu l'idée reçue. Je tombe sur la correction avant la version antérieure. Et, notamment à cause de ça, je me dis, bon, et au fait, c'est quoi la source de ce quoran ? Donc je lui demande. C'est là que le cocasse commence. Il me répond quelque chose du genre : "la source ? euh...ben...peu importe, tout le monde le sait (lol), et faut arrêter de demander des sources tout le temps. Euh...il y a une interview avec le réalisateur". Alors là, je maintiens l'échange. Et d'abord, je vais me faire une petite vérification. Pour commencer, je vais sur YouTube, où je trouverai sans doute ladite interview. Et là, je tombe en premier sur une interview de Harrington (au passage, par charité, vertu majeure de débat, je présume que le quoran a également cherché du côté des sources et en anglais) ! Je me dis, bon, ça me renseignera sans doute. Et là, Harrington partage ce qui est selon ce quoran une idée reçue. Donc, source, derechef. L'autre est agacé (alors que s'il se met à sa place, j'ai Harrington, source primaire s'il en est, face à un inconnu sur internet qui parle au nom du sens commun), et me dit que tous les amateurs de SF le savent (re-lol). Là encore, reconnaissez que c'est cocasse.
Bon, avec le recul et des vérifications, je présume que le quoran avait sans doute raison (mais sa démarche est très discutable). J'ai certes épluché un script original (je suis un esprit très pointilleux et, disons, cartésien), mais j'ai fini par m'arrêter parce qu'à vrai dire je m'en fous un peu de cette histoire.
Mais ce qui est très intéressant, c'est ce point : manifestement, dans ce cas, l'idée communément partagée (entre fans de SF) est qu'il existe une idée reçue au sujet de la réplique de Han Solo, alors qu'en fait etc. D'où : l'idée reçue est une idée reçue.
En vérité, ils n'ont vraisemblablement pas cherché très loin ce que les gens pensaient vraiment, ils n'ont pas vérifié si l'idée était reçue. Le fait est que l'idée a surtout une source fiable, donc qu'on est très loin d'une interprétation commune qui aurait émergé par vulgarisation et téléphone arabe (on peut considérer que c'est la source authentique des idées reçues).
Il y a ainsi là comme une affaire de trafic d'idées reçues, qu'on se partage entre sachants pour se flatter l'égo.
Cela illustre la sentence de Confucius : "les hommes de peu sont les voleurs de la vertu".12 Un exemple spécifiquement pour cette phrase : la fameuse courbe de compétence associée à l'effet Dunning-Krueger qui est un cas d'effet Dunning-Kruger13.
Et cette histoire (entre autre) illustre (de façon transposée) l'idée de de Mesquita selon laquelle arriver au pouvoir et se maintenir au pouvoir sont deux choses différentes, et l'humanité pèche souvent par cette confusion. De même donc, on présente dans une logique de combat une vérité face à une idée reçue qui n'existe pas vraiment, de sorte que l'enjeu réel n'est pas d'imposer la vérité face à cette interprétation, mais, puisque c'est déjà fait, de présenter cette vérité. Ainsi, maintenant qu'il est globalement admis que "nos ancêtres les Gaulois" est une notion naïve, au lieu de le dire une énième fois (en risquant de professer, ce faisant, des contre-vérités), expliquons plutôt ce que c'est qu'un peuple, que la civilisation celtique, la Gaule, etc. Pour parler un peu simplement, soyons constructifs.
3) J'en viens à mon troisième point. Je tâcherai d'être succinct (pour cette fois).
La question qu'il pose, c'est la motivation réelle de la chasse aux idées reçues.
Ca peut être la "passion" de la vérité et le besoin de corriger les erreurs.
Qui peuvent être couplés à des questions d'ordre morale (corriger des erreurs dommageables).
Et parfois on se concentre plus sur les opinions mauvaises que sur celles fausses.
Et il y a l'orgueil de savoir, en s'opposant aux autres, etc., et là-dessus on peut embrayer sur du kercoz (ou du Nietzsche). Je pense qu'il y a un gros effort à faire par ici ; et quand vous lisez des debunks, des retours sur des idées reçues, et ainsi de suite, votre soupçon ne manque de tomber sur les réelles motivations des auteurs - évidemment, il faut cependant éviter d'assumer celles-ci, et les garder seulement comme des points d'interrogation suspendus.
Bon, je me limiterai en exemples.
Dans le cadre de Black Lives Matter, je suis tombé par hasard sur un certain nombre de contenus, défendant le mouvement et produisant un effet un peu inverse sur moi en raison de leurs manquements à la vérité. Je pensais à l'origine qu'effectivement la police était assez raciste, qu'elle tuait disproportionnellement des Noirs, etc., et en fait les chiffres lus correctement (je veux seulement dire avec méthode) ne permettent pas de tirer des conclusions aussi unilatéralement.
Or donc, les remarques et les faits s'échangeaient dans la "fachosphère", et les médias de debunkage type décodeurs ne pouvaient manquer de traiter le sujet, et il est évident qu'ils n'auraient pas une approche complètement impartiale (ce sont des journalistes, des hommes, qui y travaillent, et on imagine difficilement un journaliste du Monde se poser sérieusement la question de savoir si oui ou non la police américaine est raciste, etc.). Et je suis tombé par hasard sur cet "article" : https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/06/04/aux-etats-unis-les-blancs-sont-majoritairement-tues-par-d-autres-blancs_6041778_4355770.html. Pour reprendre ses mots, il s'agit, dans la seconde partie, d'une "escroquerie intellectuelle". Et il est vraiment triste de lire qu'un sociologue sérieux (j'ai eu depuis l'occasion de l'écouter à la télé, et disons qu'il paraît globalement parler de ce qu'il sait) se soit compromis dans une telle affaire. Je vous laisse lire ce debunkage si ça vous intéresse, et si vous ne voyez pas les problèmes, je vous expliquerai.
Ce cas est un exemple typique de ce que rapporte Science4All (je rechercherai un lien) : quand on soumet des problèmes de mathématiques, même élémentaires, sous une forme politisée, à des gens, ces derniers deviennent mathématiquement stupides. Ou pour le formuler ainsi, la politisation du sujet amenuise leur capacité de raisonnement et de rigueur. Là encore, on peut faire du kercoz là-dedans (de la psycho, etc.).
Un autre cas est celui des stéréotypes (synonyme d'idées reçues), sur lesquels notre esprit contemporain a un rapport ambigu. D'un côté, on aimerait qu'ils soient vrais quand ils mettent en évidence la différence entre les cultures (surtout s'ils promeuvent les cultures extérieures), de l'autre on veut qu'ils soient faux, voire on le déclare péremptoirement, dès lors qu'on a à l'esprit la connotation négative de stéréotype et que plus ou moins consciemment on joue au gentil soldat qui lutte contre les stéréotypes. À cet égard, mention honorable à Paul Taylor dont je pensais (pour préparer le présent texte j'ai rapidement consulté une de ses vidéos Stereotrip) qu'il allait tomber dans la banale recherche de contre-exemples (qui n'infirment pas les stéréotypes qui sont de toute façon des vérités générales et relativement vagues), et qui finalement décide de les étudier en voyant sur place (certes en une seule semaine chrono) et en demandant l'avis à des "experts" (pour l'Allemagne, un sociologue, un historien et un humoriste).
La chaîne YouTube de Max Bird (https://www.youtube.com/channel/UC-4WUubuVGowG_R7gdgesPA), consacrée aux idées reçues, est un certain exemple de dégradation telle que je l'ai présentée (due à l'épuisement des sujets clairs et franchement bien vus, par exemple sur la tomate, et au désir croissant pour lui, ayant une audience, de commencer à donner un peu son avis et mettre un peu de "politique" dedans).
Je pense qu'avec tout ça, je vous ai présenté un tableau assez construit et développé sur le sujet. J'ai posé le problème. Alors, vous me direz, et maintenant, quoi faire ?
1) Déjà, il va de soi que je ne dis rien d'absolument nouveau, je tâche plutôt de participer à une meilleure mise en place d'un cadre constructif pour débattre, pour échanger, pour progresser en vérité. Et je recommande les initiatives de par exemple Science4All (https://www.youtube.com/watch?v=jOBYSDVbvB4&list=PLtzmb84AoqRTFS8c7hX0IaMkmdQckZtZ6), Chat Sceptique (malgré quelques réticences sur sa démarche et son positionnement dans ses vidéos les plus récentes), ou même Victor Ferry, pour ne citer que ces exemples.
2) Ensuite, je pense qu'il est important de poser ces diagnostics. Et d'autant plus si la taille de mon texte ne vous a pas effrayés, et vous participez à votre tour en les affinant. On a vraiment tendance à ne pas discuter ce qu'on fait quand on debunke ou qu'on attaque des idées reçues, sous prétexte que c'est une démarche noble et que ce sont des idées reçues (parfois le seul fait qu'elles sont communément admises les discrédite).
3) Puis (attention séquence teasing), j'aurai l'occasion de poursuivre le diagnostic et la réflexion dans mes Méditations Wittgensteiniennes.
4) Et ailleurs mais j'ai oublié dans quel projet précisément, et puis il est tard, pas le temps de retrouver.
5) Du reste, il faut bien garder à l'esprit que idée reçue est idée reçue est idée reçue ou encore 道聽之道聽,之道聽也, pour ainsi dire...
1 : Sur ce second point, voir la question de ce qu'on cherche quand on cherche qui était le peuple celtique, abordée dans l'excellent livre d'Alice Roberts, The Celts, Search for a Civilization.
2 : il y a là manifestement une simplification opérée par la mémoire (c'est du reste comme ça que fonctionne la mémoire), à mettre en relation avec l'effet Mandela.
3 : Je l'ai déjà évoqué dans ma
Du reste, à vrai dire, le présent fil contribue déjà à le mettre en évidence.
4 : Pensez à Peter Singer. Deux vidéos de M Phi : https://www.youtube.com/watch?v=DY_X8szLrbU, https://www.youtube.com/watch?v=JefwhxJWmik
5 : Interview par M Phi : https://www.youtube.com/watch?v=xc31-WwVlRw
6 : La différence (spécifique) de la première pourrait être qu'elle a une dimension politique ou morale : on ne corrige pas seulement des erreurs particulières, mais des erreurs répandues, donc on a une efficace significative, et ces erreurs peuvent parfois avoir des implications morales.
7 : C'est une affirmation déguisée. Voir le paradoxe de la double question ("as-tu terminé de battre ton père ?" est un exemple/illustration courant)
8 : Et cette remarque devrait vous parler en tant que "philosophes" (ou en philosophie) : voilà pourquoi la philosophie a un mot à dire - tant qu'elle reste sérieusement philosophique.
9 : Non pas que le problème que je lui ai posé s'y trouve, en fait je l'ai inventé (et même changé en cours de route), mais ces vidéos pourraient l'aider à mieux comprendre.
10 : peut-être par ici : https://tv.marianne.net/focus/content-decodex-va-sauver-les-medias-ou-pas--3 Mais je n'ai pas d'abonnement (déjà que j'oublie chaque mois depuis plus d'un an de me désabonner d'Atlantico et Figaro que j'ai à peine lus - je m'étais abonné juste pour lire quelques articles).
11 : De même que dans Indiano Jones, lors du duel de sabres avorté par un médicament à base de plomb.
12 : - Entretiens, XVII, 12-14 :
子曰:「色厲而內荏,譬諸小人,其猶穿窬之盜也與?」Le maître dit : D'apparence de fermeté, d'intérieur faible, ainsi les hommes de peu, comme ceux qui pénètrent les maisons pour voler.
子曰:「鄉原,德之賊也。」Le maître dit : Ces humbles paysans sont les voleurs de la vertu.
子曰:「道聽而塗說,德之棄也。」Le maître dit : Propager ce qu'on entend sur la voie*, c'est abandonner la vertu.
Je traduis, en veillant à restituer l'original sous une forme pure et ouverte sans trancher dans mon interprétation (vous comprendrez ce dernier mot si vous lisez du chinois ancien).
* : Voie, dao (ou Tao) peut ici désigner la voie au sens de dao, doctrine, vérité, ou bien le chemin (entendre en chemin, on the go, etc.).
13 : https://twitter.com/Tournesol94450/status/1314904632901218304
https://twitter.com/Bunker_D_/status/1191760662667702272
https://epistemax.com/esprit-critique/cessons-lappel-a-dunning-kruger/
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Rêveur- Digressi(f/ve)
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Re: "idée reçue" est une idée reçue
Dans la vie courante, nous passons notre temps à utiliser des matériaux et des outils inventés par d'autres, et très peu de matériaux et outils produits par nous-mêmes : telles sont les idées reçues ou plutôt non-reçues. A tel point que d'aucuns ne produisent jamais rien qui ne soit reçu.
Mais ces idées reçues furent un jour crées par quelqu'un et ne furent donc pas des idées reçues mais originales.
Mais ces idées reçues furent un jour crées par quelqu'un et ne furent donc pas des idées reçues mais originales.
jean tardieu- Digressi(f/ve)
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Re: "idée reçue" est une idée reçue
mille excuses...
Dernière édition par jean tardieu le Mer 14 Oct 2020 - 17:43, édité 1 fois
jean tardieu- Digressi(f/ve)
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Re: "idée reçue" est une idée reçue
Exactement.jean tardieu a écrit:Mais ces idées reçues furent un jour crées par quelqu'un et ne furent donc pas des idées reçues mais originales.
Enfin, pour être complet, les idées reçues, typiquement sous forme de stéréotypes, n'ont parfois pas forcément besoin d'un auteur particulier, et donc d'être véritablement d'abord des "idées originales" ; mais disons qu'elles le sont dans une certaine mesure, chez ceux qui commencent à les forger à force de transmettre leurs propres idées et opinions.
Et donc de même, il est noble de relever une idée reçue et de la mettre à l'épreuve, la réfuter, etc. (quoique idéalement en donnant les clefs pour le faire, méthodiquement, etc.), mais ça l'est moins de se contenter de rapporter ce qu'un autre a dit à propos d'une idée reçue. Parce que ce faisant, on ne fait rien d'autre que rapporter une (nouvelle) idée reçue.
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Rêveur- Digressi(f/ve)
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Re: "idée reçue" est une idée reçue
Si les idées reçues doivent souvent être réinterrogées, certaines ont néanmoins le mérite de constituer des automatismes dans la progression d'un exposé : un peu comme les théorèmes qui n'ont pas à être redémontrés dans une progression logique.
Reste qu'un théorème (idée reçue) lui-même gagne à être examiné à la lumière d'une autre forme mathématique.
Reste qu'un théorème (idée reçue) lui-même gagne à être examiné à la lumière d'une autre forme mathématique.
jean tardieu- Digressi(f/ve)
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Date d'inscription : 26/09/2020
Re: "idée reçue" est une idée reçue
Et comme pour me contredire, je n'aborderai même pas les idées reçues "qui tuent". Ou poussent à tuer....
jean tardieu- Digressi(f/ve)
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