Savoir, est-ce cesser de croire?
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Savoir, est-ce cesser de croire?
Savoir, est-ce cesser de croire ?
On oppose habituellement la croyance au savoir, l’opinion et la foi à la science. Cette opposition, conçue comme une exclusion, est due au platonisme, construit sur la dichotomie entre opinion et savoir. L’histoire semble justifier l’idée que la croyance et le savoir s’excluent : l’essor moderne de la science atténue les croyances religieuses et les superstitions. Si la religion subsiste, c’est parce que la science ne peut pas répondre à toutes les questions. L’exclusion est aussi logique : dès lors qu’on sait, on n’a plus besoin de croire (sauf si le sujet refuse la vérité et préfère délirer, mais dans ce cas nous parlons d’illusion et non de croyance). Mais pour que le savoir abolisse entièrement la croyance, il faudrait qu’il soit absolu, qualitativement (certain) et quantitativement (complet). Ce savoir n’est pas humain. L’homme sait beaucoup de choses et peut élargir ses connaissances, mais son savoir est toujours incomplet et relatif. Donc savoir réduit la croyance mais ne la supprime pas. Nous définirons d’abord le savoir humain : ce savoir n’est-il qu’une forme élaborée de croyance ? Nous verrons ensuite que croire et savoir ne s’excluent pas, mais collaborent dans la formation et l’exercice du jugement.
L’homme sait-il ou croit-il qu’il sait ? Les gens croient savoir, mais en fait n’ont que des opinions. De plus, ils questionnent rarement leurs convictions (qui sont souvent des préjugés). D’après Socrate, non seulement les hommes ne savent pas, mais ne peuvent pas savoir, car savoir (au sens absolu) est le propre de Dieu. L’homme ne fait que spéculer, et la science humaine, par rapport à la science divine, n’est qu’une forme de croyance (on trouve cette idée dans le Parménide de Platon en 134 a). Socrate est plus sage (et non plus savant) que les autres hommes, non pas parce qu’il sait plus de choses, mais parce qu’il sait qu’il ne sait rien, hormis qu’il ne sait rien. Le seul savoir humain est donc la conscience de sa propre ignorance. Mais cette conscience ne nous rend pas savants et ne change pas la nature hypothétique de notre savoir. Elle la rend seulement conscience. On ne cesse pas de croire en sachant qu’on ne sait rien, on cesse seulement de croire que l’on sait.
Cependant, les opinions et croyances humaines ont des degrés de scientificité et de certitude. Elles ne sont pas toutes comparables. Une théorie scientifique, même si elle reste relative, est plus objective et plus certaine qu’une superstition ou qu’une spéculation métaphysique. On distinguera donc les croyances objectives (les inférences), fondées sur la raison et l’expérience, des opinions subjectives, qui sont généralement des préjugés ou des spéculations. La science n’abolit pas la croyance puisqu’elle est elle-même une forme de croyance, comme l’a démontré le philosophe sceptique David Hume, mais elle cherche à remplacer les mythes et les superstitions par des théories fondées sur le raisonnement et l’expérience. Par conséquent, la science et le raisonnement ne suppriment pas la croyance, mais changent notre façon de croire.
Mais comment avoir une opinion scientifique sur ce qui transcende le monde ou l’expérience ? C’est impossible. Le champ métaphysique restera toujours hypothétique et spéculatif. Mais ce n’est pas parce qu’on ne peut pas connaître scientifiquement le monde invisible et transcendant que nous devons cesser d’y croire ou d’y penser. La science ne concerne que l’expérience. Ce qui est au-delà regarde la philosophie (la métaphysique en particulier) et la foi. La science ne peut rien prouver ni réfuter dans ce domaine. Donc les opinions et les spéculations métaphysiques ne sont ni rationnelles ni irrationnelles (puisque la science ne peut pas prouver leur fausseté). Par conséquent, la science et la religion ne sont pas exclusives. Elles définissent seulement deux champs du réel. L’un peut être expérimenté, l’autre seulement révélé (par Dieu et les prophètes), imaginé (par l’art et la littérature) ou supposé (par la raison spéculative).
Certaines choses (dont les futurs contingents) ne peuvent pas être connues, prévues ou jugées scientifiquement. Tout ce qui est jugé ou délibéré est de ce ordre (le jugement, au sens artisotélicien ou pascalien, n’est pas analytique mais synthétique, et par conséquent est plus intuitif que rationnel). Tout jugement subjectif (l’interprétation par exemple) et délibératif est une forme de croyance parce qu’il est incertain.
Cependant, juger n’est pas conjecturer. Le jugement intègre est un jugement rationnel ou aussi rationnel que possible. Pour cela, il doit s’appuyer, d’une part, sur l’information (essentielle pour bien juger, c’est pourquoi on parle de jugement informé) et sur la culture et l’expérience du juge. Donc juger ne dispense pas de s’informer et de se cultiver. Au contraire, c’est parce que le jugement (opposé au raisonnement déductif) est incertain par nature qu’il doit être aussi réfléchi et informé que possible. Dans son Art de la guerre, Sun Tzu conçoit rationnellement la stratégie militaire, en éliminant la divination et en valorisant le calcul (concernant l’approvisionnement et le rationnement des troupes, le coût de la guerre, les chances de victoire, etc.) et l’information (récoltée par espionnage). Un bon juge (quel que soit son domaine, stratégique ou autre) n’est pas intuitif ou inspiré, comme le soutient Platon, mais expérimenté, méthodique, prudent et informé.
En conclusion, le savoir (la science) n’exclut pas la croyance (la religion), et la croyance (le jugement) n’exclut pas la raison (le calcul) ni le savoir (la culture et l’information).
Kokof- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 157
Date d'inscription : 07/03/2019
Re: Savoir, est-ce cesser de croire?
Kokof a écrit:Savoir, est-ce cesser de croire ?
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En conclusion, le savoir (la science) n’exclut pas la croyance (la religion), et la croyance (le jugement) n’exclut pas la raison (le calcul) ni le savoir (la culture et l’information).
A mon ( pas si) humble avis, ta démarche introspective n' apporte que peu d' éclaircissement sur ce problème. Demandes toi quel est le rôle du savoir ou de la croyance.
Je te propose l' approche éthologique:
-Savoir ou/et croyance sont des certitudes qui autorisent l' agir. Pour agir un être vivant doit savoir.
-Notre problème c'est l' émergence de la raison qui va mettre en doute ce savoir....Et comme l' agir, (c'est à dire la continuité des comportements "gagnants"), est nécessaire à la survie, il faut donner à la raison, des raisons d'agir ( peu importe la véracité de ces raisons). "On" fournira donc à la raison, des croyances ...qui justifient la perpétuation de comportements pourtant peu raisonnables.
_________________
TIMSHEL
kercoz- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 4784
Date d'inscription : 01/07/2014
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