La bêtise

[Morologue]

Tiré de ... à cause d'une citation de Musil, par Vanleers.


M'est d'avis que la bêtise, tout aussi souvent, est dans la béatitude, bouche bée, mutique, coite et benoîte, laconique et lapidaire à ses heures pas perdues, ni piquée des hannetons. Mais, surtout, qu'elle est là où on l'allègue et abandonne, par bêtes collusions et airs. L'inverse de l'astuce, finalement.

[axolotl]

Où se trouve la bêtise ? Bon sujet, indéniablement et beaucoup s'y sont frottés.
On devrait ouvrir un topic sur ce sujet quoiqu'à part Flaubert je sais pas qui a écrit sur la bêtise
mais sûrement plein de gens.

[Morologue]

à part Flaubert je sais pas qui a écrit sur la bêtise
mais sûrement plein de gens.

Robert Musil ?

[axolotl]

Ah bon, Robert Musil où ça? L'homme sans qualités ?
ah non j'avais pas lu désolé
Robert Musil (Über das Dummheit) a écrit:
Il n’est pas une seule pensée importante dont la bêtise ne sache aussitôt faire usage ; elle peut se mouvoir dans toutes les directions et prendre tous les costumes de la vérité. La vérité, elle, n’a jamais qu’un seul vêtement, un seul chemin : elle est toujours handicapée. La bêtise dont il s’agit là n’est pas une maladie mentale ; ce n’en est pas moins la plus dangereuse des maladies de l’esprit, parce que c’est la vie même qu’elle menace.

Dummheit en allemand je crois bien que ça veut dire "bêtise" précisément.
Ah tiens première nouvelle! Je connaissais pas ce texte de Musil

[Morologue]

Philosopher défend-il contre la bêtise ? ... Je veux dire : s'il y a de la bêtise, peut-on dire que ça philosophe, à strictement parler ? ... La bêtise est-elle exclue du philosopher qui, en en contenant, s'annulerait comme philosophie ? ... Certainement aux yeux de celui qui en allègue et abandonne ce "philosopher" comme bêtise alors ... sauf à être anti-intellectualiste voire populiste, et en somme rejeter la philosophie en général par bêtise comme bêtise, je suppose. Ce qui n'empêche pas l'intellectualisme d'être bête - à ne pas confondre avec l'intellectualité.

[axolotl]

La première question d'accord.
Si on considère que le préjugé qui passe avant le raisonnement chez quelqu'un est un signe de bêtise, oui... Philosopher défend certainement de la bêtise ou d'une certaine bêtise d'un point de vue abstrait... Il est plus facile de désintégrer un atome qu'un préjugé, selon Einstein
Si on inclut les "opinions par pétition de principe" genre les idées reçues de Flaubert dans la définition de la bêtise, "j'ai décidé que une fois pour toute que..." dans ce cas nous serions beaucoup à être bêtes car des opinions défavorables voire même favorables de prime abord ne résisteraient pas à l'analyse philosophique. Pourvu qu'on trouve le bon contradicteur en face de soi ou qu'on pratique une introspection approfondie style psychologie des profondeurs.
C'était d'ailleurs je crois tout le jeu des sophistes, philosophes selon moi que je trouve dévalués dans l'histoire car ayant la réputation d'être capable de prouver n'importe quoi à n'importe qui...

[Morologue]

Aussi la sophistique n'est-elle pas bête. D'expérience, je vois que les personnes qui accusent autrui d'être sophiste, de sophisme, se prennent elles-mêmes trèèès au sérieux. Au fond, le "véritarisme" qui en serait l'opposé (depuis Platon) ne veut pas voir qu'il sophistique à sa façon : c'est un genre qu'on se donne ès connaissances, prenant la frivolité pour une futilité. Mais la vérité, c'est qu'un sophiste a une puissance que la rancœur "véritaire" supporte mal. Elle, bêtement, croyait que sa "vérité" suffisait, mais une autre vérité l'avait prise de court.

[Vanleers]

Où se trouve la bêtise ? Bon sujet, indéniablement et beaucoup s'y sont frottés.
On devrait ouvrir un topic sur ce sujet quoiqu'à part Flaubert je sais pas qui a écrit sur la bêtise
mais sûrement plein de gens.

« La philosophie, c’est nuire à la bêtise » est une définition souvent rencontrée qui se réfère à Nietzsche (Le Gai Savoir, 328)

Clément Rosset a parlé de la bêtise, plusieurs fois dans son œuvre.
Jean Tellez, qui lui a consacré un livre (La joie et le tragique. Introduction à la pensée de Clément Rosset – Germina 2009), commente ces passages et écrit, notamment :

La bêtise reste prise dans des objets dérisoires. Elle veut à tout prix en dire quelque chose d’intelligent au lieu d’en reconnaître l’insignifiance

[Morologue]

Le propos de Jean Tellez me fait penser aux philosophants médiatiques, Enthoven en tête, avec ses Matières premières et autres "post-barthésismes". Et puis, bien évidemment :

Esprit de pesanteur, quand tu nous tiens ^^

Ce qui ne signifie pas que Jean Tellez ait raison, je n'y ai pas réfléchi.

[Bergame]

Nouvelle question, donc : Qu'est-ce que la bêtise ?

[Morologue]

La bêtise, c'est l'air bête, c'est-à-dire interdit (empêché de discourir bien) comme un animal, infans (sans discours, déjugé pour cela) ou, du moins, l'air "médit", "méfans" (discours méjugé, évalué mauvais, mal énoncé et mal pensé). Il s'agit d'une allégation et d'un abandon d'autrui à son sort, comme nul et non-avenu.

Il y a des bêtises provoquées à dessein, les médias en produisent à foison pour vendre, en nous procurant le sentiment d'être plus malins que le ou la malheureux-se pris-e dans les rets du montage perspectif (où l'animateur - présentateur ou politique valorisé - part of the system, tient généralement le beau rôle de connivence fallacieuse avec le spectateur).

Ce qui, plus généralement, révèle que la bêtise est affaire de perspectives, même quand on la perçoit ou croit la percevoir involontairement au quotidien. Et ainsi de croire quelqu'un-e bête, approfondit l'illusion collective de sa bêtise, un peu comme un-e diagnostiqué-e fou-lle peut se défendre de cette folie, qu'il-elle n'en passera que pour plus fou-lle (Vol au-dessus d'un nid de coucou).

Toute une sophistique très vraie dans son efficacité.

[axolotl]

Question collatérale: que peut-on CONTRE la bêtise ?
Et là maheureusement il me semble que la philosophie...
Peut-être le théâtre avec ses histrions comme ce monsieur Aucaigne que je trouve très drôle.

De Funes, Bourvil, Coluche et plein d'autres ont du faire beaucoup plus CONTRE la bêtise que la philosophie comme Voltaire ou Diderot: déjà, il faut admettre qu'on est bête ce qui n'est pas donné à tout le monde!
Et il faut savoir lire aussi et comprendre la philosophie ... Par contre je crois beaucoup plus au rire et à la caricature, comme au théâtre par exemple: voir Molière

[Morologue]

Voltaire était ironiste, axolotl.

Contre la bêtise, il n'y a que la convivialité. Or, il y a bien une philosophie convivialiste, de nos jours. Du moins correspond-elle plus à une sociopolitique, en proie au "système".
Philosophie de circonstance, aux représentants parfois surfaits à cause de ladite proie du "système", qui n'en révèle pas moins la nécessité de la bonhomie, de la bonne humeur, sans optimisme fallacieux, c'est-à-dire en accueillant les défauts (qui sont bien souvent des effets perspectifs, eux aussi : on ne peut pas avoir d'atomes crochus avec tout le monde, en partouze kikoolol).

Sur la proie du "système" : Le Monde - L'"happycratie" ou la dictature du bonheur. Comme dans le film Vice versa, ça nous révèle que la joie prend la tristesse pour de la bêtise, cette sotte euphorique !

[axolotl]

La bêtise est-elle humaine ?:

[Vanleers]

Nouvelle question, donc : Qu'est-ce que la bêtise ?

Voici une citation plus complète de Jean Tellez :

Les savoureuses analyses de la bêtise, dans Le réel et son double et dans Le Réel. Traité de l’idiotie, nous replongent dans la question du moi et de l’identité personnelle. Il se trouve que l’on n’est jamais sot quand on se donne simplement pour ce que l’on est. La bêtise est le danger que courent ceux qui veulent exhiber un double d’eux-mêmes. Ils subissent alors cruellement la loi du double qui est d’apparaître comme rien face au réel qu’il voudrait doubler : « La mise à l’écart de soi par soi […] aboutit à se confirmer à jamais dans son soi-même. » (Le Réel et son double p. 99). C’est en voulant à tout prix se donner pour ce que l’on n’est pas, connaisseur dans un domaine, compétent en quelque chose, que l’on se retrouve n’être ridiculement que soi, rien que soi.
A l’origine de la bêtise, il y a une sorte de choix délibéré pour l’intelligence : « On a pris conscience du problème de la bêtise ; on sait qu’il faut éviter d’être bête, et, à la lumière de ce scrupule, on a choisi une attitude “ intelligente ”. ». Cela rappelle la structure oraculaire en œuvre dans l’illusion, où l’esquive provoque l’accomplissement de ce que l’on redoutait : « La bêtise s’établit définitivement en elle-même pour avoir voulu échapper à la bêtise : elle devient stupide par peur d’être stupide. » (ibid. p. 109).
Il est très difficile de guérir la bêtise car elle se considère comme de l’intelligence en bonne et due forme. Elle a conscience « de constituer un relief de lucidité sur le fond de bêtise jadis menaçante, dont elle s’estime désormais définitivement affranchie. » (ibid. p. 108). Elle aura donc l’aspect et l’amplitude d’une rigueur et d’une probité intellectuelles. Elle pourra être cette « débauche désordonnée d’activité intellectuelle », dont témoignent, chez Flaubert, Bouvard et Pécuchet. Loin d’être cette passivité ou cette lourdeur d’esprit que l’on souligne habituellement, la sottise est donc « toujours en quête de connaissance, aux écoutes, aux aguets, sur le qui-vive. » (Le Réel. Traité de l’idiotie p. 144). Elle est en rapport profond avec la passion, non seulement en ce qu’elle court après des buts dérisoires, voire inexistants, mais en vertu de l’extraordinaire intensité de sa mobilisation.
La bêtise reste prise dans des objets dérisoires. Elle veut à tout prix en dire quelque chose d’intelligent au lieu d’en reconnaître l’insignifiance. On est sot de ne pas voir l’idiotie de toutes choses. On manque ainsi le réel qu’on croit pourtant analyser avec pertinence. (op. cit. pp. 95-96)

[axolotl]

Le problème il me semble au travers de cet extrait est déjà et au départ un choix, entre une définition d'un côté qui serait extensive et l'autre intensive. Un gradient de la bêtise...
Extensif, cela renverrait à l'opposition duale entre bêtise/intelligence et intensif cela évoque forcément une graduation donc des normes. Il n'y a pas d'extrema comme Hegel avec le Mal absolu: on ne peut pas dire qu'il existe une intelligence absolue (sinon divine à ce moment-là, ce serait l'Omniscience) ou une bêtise absolue quoique... Quoique j'avoue être tombé -rarement mais ça marque comme tout le monde- sur des gens qui n'en étaient pas loin.
Le côté mis-en-situation aussi: être bête dans une situation donnée ne signifie pas la bêtise. C'est bien pour cela que la langue dite vulgaire a inventé les mots de "cons" et de "connerie", car évidemment étymologiquement la bêtise renvoie à quelque chose de fondamental et de "naturel": à la bête, à l'animal...
Avec la bêtise on est pris automatiquement dans quelque chose comme le darwinisme qui fait que nous serions l'espèce la plus intelligente, et donc le terme de "bêtise" indique bien qu'on est sorti de la condition animale pour entrer dans une autre, a priori intelligente. Et avec la bêtise on serait susceptible d'y retourner, donc finalement ce terme de "bêtise" est très évolutionniste...
Je crois que ce côté linguistique a une importance, l'étymon même du mot de bêtise alors que "connerie" on sait tous à quoi ça renvoie. A quoi ? Au lapin bien sûr qui en français ancien se disait conil...

[Vanleers]

Je relève dans le texte de Jean Tellez deux phrases, l’une au début et l’autre à la fin :

« Il se trouve que l’on n’est jamais sot quand on se donne simplement pour ce que l’on est. »

« On est sot de ne pas voir l’idiotie de toutes choses. »

Les deux phrases disent la même chose, « idiot » venant du grec Idiôtès qui signifie « simple, particulier, unique ».

Il n’existe que des essences singulières et il suffit de l’avoir compris et de ne pas l’oublier pour être étranger à la sottise, y compris au ressentiment excité par la supposée sottise de ses semblables.

[axolotl]

Je suis pas sûr qu'il existe un vaccin contre la sottise mais je veux bien essayer... Comme cobaye hahah!

( je connaissais pas l'étymon grec: ha bon , Idiotès veut dire simple, particulier et unique ? Donc pour eux l'intelligence devait se trouver du côté du général, ou de l'universel si j'interprète. Peut-être que ça n'a rien à voir en fait...)

P.S. sur le forum de sciences où je vais, ils citent l'effet Dunning-Kruger
Il semble que ce soit plus un "biais cognitif" (je reprends leur terme!) nous concernant surtout nous  les occidentaux plus que les asiatiques, qui eux ont tendance à se sous-estimer.
On en apprend tous les jours.

[hks]

et bien me voila rassuré. J'ai enfin compris que mes difficultés cognitives n'était pas dues à mon incompétence.

[Vanleers]

On ne peut que citer à nouveau la phrase de Musil :

« Il n’est pas une seule pensée importante dont la bêtise ne sache aussitôt faire usage »

Soupir !

[Morologue]

et bien me voila rassuré. J'ai enfin compris que mes difficultés cognitives n'était pas dues à mon incompétence.

Elles ne le sont que de tes ignorances, voire déficiences, mais c'est un peu la même chose, sous l'angle du manque, du défaut, et il n'y a pas de bêtise à en avoir. Qu'ensuite, quelqu'un puisse prétendre savoir, pouvoir, etc. cela peut bien passer pour bête (Flaubert la mit en scène chez le bourgeois, génialement), que cela fait surtout de toi un vain arrogant. Autrui peut bien te dire bête, à ce compte, pour ne pas dire con.

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