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Nietzsche, Par-delà bien et mal, I-III

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Message par Rêveur Dim 21 Aoû 2016 - 2:36

J'ai récemment eu à réaliser un travail sur Nietzsche, et plus spécifiquement sur les sections I à III de Par-delà bien et mal. Je vous le propose donc ici. Il s'agissait de synthétiser le texte (la pensée).
  Il y aurait plein de remarques préliminaires à faire sur la nature du travail, sur le style, sur etc. Disons l'essentiel (enfin du moins ce qui me vient à l'esprit).
  D'abord, je suis désolé de vous proposer un travail "partiel" en ce sens qu'il ne commente qu'une œuvre de Nietzsche, et que 3 sections encore. Ceci étant dit, ce sont les sections les plus importantes de l’œuvre, qui donnent toute la méthode et les fondements de la pensée que Nietzsche développera dans la suite. Mais il est vrai que j'aurais pu perfectionner mon travail en travaillant sur les sections suivantes et en complétant à partir de ça certaines parties, en levant certaines interrogations etc. Si je ne l'ai pas fait, c'est que je crains que si je ne publie pas assez vite, je ne vais jamais le faire, et ce serait bête parce que c'est une bonne occasion de vous proposer un contenu que j'espère intéressant. Mais je pourrai revenir sur mon travail plus tard, compléter, etc. De toute façon, il s'enrichira des commentaires qui pourront lui être faits.
  Ensuite, et à l'inverse, on pourra lui reprocher sa longueur. D'ailleurs, j'ai fait plus que ce qui m'avait été demandé. Largement plus, en fait. J'ai toujours débordé partout. Je suis un esprit qui déborde. J'ai le syndrome de la page noire. Ceci étant, il y a des sous-titres qui permettent de se focaliser sur ce qui intéresse le plus.
  En parlant de ces sous-titres, je précise qu'ils ne constituent pas purement de véritables titres de sections exposant en un mot-clef ce qui y sera dit fondamentalement. Ils sont en fait plus proches des passages relevés dans les journaux (les passages qu'ils mettent en valeur, en gras, parce qu'ils expriment une idée majeure, parce qu'ils sont puissants, ou pour une autre raison). En fait, je trouve cette organisation originale et agréable tant à écrire qu'à lire du moins je l'espère.
  Je suppose qu'il me faudrait ajouter d'autres remarques, mais je le ferai plus tard, elles ne me viennent pas encore. Place donc au texte ! Il sera publié en plusieurs messages, et seulement une partie ce soir même.


Dernière édition par Rêveur le Dim 21 Aoû 2016 - 2:45, édité 1 fois

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Message par Rêveur Dim 21 Aoû 2016 - 2:37

Nietzsche, Par-delà bien et mal, parties I-III

  En 1886 paraît Par-delà bien et mal, œuvre « qui complète et éclaire » Ainsi parlait Zarathoustra1 : « c'est une sorte de commentaire de mon Zarathoustra » (lettre à …), qui dit « les même choses que mon Zarathoustra, mais différemment, très différemment ». Du fait que des mêmes choses soient dites différemment, il ne faut guère s'étonner, quand on a lu le style énigmatique et prophétique de Friedrich Nietzsche dans Par-delà bien et mal : c'est d'abord un jeu avec la langue (et avec les langues : N. use régulièrement de français, latin et italien), une succession de points de suspension et de tirets cadratins dans de longues phrases, de guillemets et d'italique, de retours à une ancienne idée ou d'évocations d'une idée développée plus tard voire pas développée du tout dans la suite du texte ; mais le caractère prophétique du texte joue aussi dans sa complexité, ainsi donc que dans sa propension à exprimer d'une certaine façon ce qui pourrait être dit peut-être plus simplement, en tout cas d'une autre manière : car si N. laisse découvrir certaines passions et une évidente direction générale, tant thématique qu'idéologique, on n'est jamais à l'abri d'un second degré, d'une raillerie discrète,2 où le lecteur subit la subtilité, en fait la force (nous étudierons ce thème plus tard), de l'auteur ; et N. exprime bien plutôt ce qui sera que ce qui devrait être.
Plan de l'œuvre
  Les "sections" que nous étudierons dans une première partie (suivra une étude des trois sections suivantes écrite par un autre étudiant, et trois parties sur la GM) sont les sections I à III, intitulées, dans l'ordre : I) Des préjugés des philosophes, II) L'esprit libre, et III) La religiosité. Suivies par des "Maximes et intermèdes" (quatrième section), ces trois sections sont thématiquement très proches, N. ne se privant pas de parler des philosophes et de leurs "préjugés", des esprits libres et de la religion hors des sections qui leur sont spécialement consacrées.
  Les titres sont éloquents, ils parlent d'eux-mêmes. On les résumera cependant (cela permet de situer ce qui sera dit par la suite et qui ne respectera pas nécessairement l'ordre linéaire du texte) en disant :
- Que la première section commence par traiter du problème de la vérité et de la volonté de vérité, ainsi que des oppositions de valeurs (des oppositions entre bien et mal, dont le dépassement constitue la revendication du livre et lui donne son titre), jusqu'à réduire celles-ci (la volonté de vérité comme les oppositions de valeur) à une expression de ses pulsions (pulsions qui sont à l'origine de toutes philosophies), ces pulsions se ramenant par ailleurs à ce que N. appelle la volonté de puissance. Pour développer ces idées, N. procèdera à une recherche philologique et psychologique, critiquant les pensées exprimées par les philosophes et cherchant leur origine pulsionnelle, en particulier leur origine raciale (les hommes du nord, du sud, les anciens Grecs...), faisant émerger de cette recherche sa propre pensée et sa propre thèse de la volonté de puissance, à la fois philologiquement ou, pourrait-on dire, philosophiquement (à travers l'étude des philosophies et de leurs erreurs), et psychologiquement (montrant l'expression des pulsions, et de la volonté de puissance, dans la pensée des philosophes qui sont avant tout des hommes). Enfin, l'émergence d'esprits libres et d'un dépassement de la morale sera évoquée à l'issue de cette section, ouvrant vers la suivante.
- Que la seconde section développera la distinction entre forts et faibles, opposition qui prétendra à remplacer (quoique jamais tout à fait explicitement) les oppositions de valeur (dans la GM, la distinction entre bon et mauvais devra se substituer à celle entre bon et méchant, la dernière ayant d'ailleurs historiquement remplacé la première) ; et en déterminant des attributs propres aux forts, décrira le profil de l'esprit libre et du nouveau philosophe (à qui le surhomme, déjà présent dans le Z., s'ajoutera dans la GM), en les situant parmi leur temps. N. prend soin à cette occasion de distinguer le vrai esprit libre de celui mal nommé et du libre penseur (qui s'identifient plus ou moins), qui sont surtout des produits de leur temps et de ses idées modernes que N. récuse. L'esprit libre se caractérise principalement par son indépendance voire sa (bonne) solitude. À ces réflexions, N. en ajoutera sur la nécessité de vivre dans le monde, celui qui nous concerne, à savoir le monde apparent, et non le "monde vrai", ainsi que sur le dépassement de la morale.
- Que la troisième section contiendra l'étude du préjugé ou de la maladie (que N. traitera en médecin) particulière qu'est la religiosité. N. insistera sur le christianisme, mais d'autres religions seront étudiées ; c'est un large éventail qu'il déploiera, avec des divisions jusqu'à l'intérieur d'elles, principalement du christianisme (en particulier entre le christianisme du nord ou le protestantisme, et le catholicisme du sud ou des latins, et entre le christianisme antique et le moderne). N. poursuivra là sa recherche psychologique (plus que philologique), relevant les instincts propres à la religiosité. Il évaluera par ailleurs la force et la faiblesse de la religion et des croyants, montrant ainsi les effets de la religion. Il pourra ensuite déterminer l'usage possible de la religion dans une œuvre d'élevage et d'éducation de l'humanité, à réaliser par les nouveaux philosophes quand ils arriveront.
Ces trois sections se trouvent précédées d'une préface de N., où il semble désigner l'ennemi, ce à quoi il s'oppose, et qui représente le contraire de l'esprit libre et des nouveaux philosophes, et de la philosophie de N. elle-même : c'est le dogmatisme :
Il y a de bonnes raisons d'espérer que toute entreprise dogmatique en philosophie, en dépit des allures solennelles de vérité définitive et universelle qu'elle s'est données, n'ait peut-être été qu'une noble gaminerie et gaucherie de débutant
Allemand malgré lui
  À travers la caractérisation du dogmatisme, en négatif se découvrira la propre pensée de Nietzsche.
  Arrêtons-nous d'abord un court instant sur les derniers mots de la citation. Bien que N. critique toute l'histoire de la philosophie (et, en définitive, de l'humanité), plusieurs profils récurrents se retrouvent derrière ses critiques. On trouve notamment la balourdise, attribuée au premier plan à l'esprit allemand, ou plus largement à l'esprit protestant ou à la race du nord. Ce dernier cas entre dans son étude des différentes races – et de leurs instincts ou caractérisations particulières. Dans celle-ci, N. en viendra à dire qu'on peut difficilement traduire d'une langue à une autre le tempo propre à cette langue. Ainsi pour l'allemand et le "presto" :

L'Allemand est quasiment inapte au presto3 dans sa langue : et donc aussi, peut-on raisonnablement en conclure, à bien des nuances* parmi les plus délicieuses et les plus audacieuses de la pensée libre, à l'esprit libre. (II §28)
  On retrouve bien ici l'esprit libre par opposition. À ce manque de presto s'ajoute un manque de "delicatezza", plus spécifiquement chez les protestants cette fois :

Le protestantisme est tout entier dépourvu de delicatezza méridionale. (III §50)
  Cette finesse qu'il manque aux Allemands, on la retrouve chez N., dont le style est travaillé, et énigmatique comme on l'a dit en introduction : il ne se contente pas de la défendre, mais en use dans sa défense. Et c'est sans doute pour cela qu'il use abondamment de mots latins, français ou italiens, en particulier pour exprimer ces idées de nuances, de presto, de delicatezza : soit qu'il insiste sur leur incompatibilité (ou difficile compatibilité, car après tout N. parvient à exprimer ses idées en allemand), soit que leur notion étant absente à la langue allemande, elle doit être nommée en une autre. N. parvient à exprimer ses idées en allemand venons-nous de dire : il s'arrange ainsi de sa langue et cherche malgré elle à s'exprimer le plus librement et le plus finement. Il peut pour ce faire compter sur la ponctuation, dont nous avons déjà signalé en introduction son utilisation riche : N. peut insister sur des mots, exprimer des nuances, jouer sur le tempo, associer des idées, grâce aux guillemets, aux tirets cadratins, à l'italique...4 À cela s'ajoutent ses nombreux jeux de mots5. Mais ce n'est pas tout : si N. récuse la balourdise de l'allemand, il peut toutefois compter sur ce par quoi il assure le plus de possibilités, à savoir la liberté propre à l'allemand de créer de nouveaux mots.6 Notons d'ailleurs que si N. s'opposait absolument à ceux qu'il critique et prenait leur contrepied sans chercher ce qu'il peut y avoir de pertinent chez eux, il dépendrait autant d'eux que s'il les suivait toujours. Mais on voit bien qu'il trouve un apport jusqu'aux chrétiens – et raille les modernes qui méprisent ceux-ci sans valoir mieux qu'eux.7
Les nuances, contre les oppositions de valeurs
  Comme nous le verrons, la grammaire conditionne tout autant que la race (mais d'ailleurs elle va généralement de pair avec elle) la pensée. Avec ce tempo, ce presto, cette delicatezza, ce sont les nuances qui sont perdues, c'est :
cet art de la nuance qui constitue le plus grand bénéfice de la vie
Dans le paragraphe 31 d'où est extraite cette citation, N. traite de la jeunesse et de son épreuve8 de la falsification, de l'artificiel, du caractère interprétatif de toute compréhension de la réalité - y compris celle du jeune, après mais aussi avant l'épreuve déjà. Son << goût de l'inconditionné >> est trompé. De ce goût de jeunesse pour l'inconditionné, on doit ensuite se repentir, après avoir découvert (éprouvé) l'artifice :

On doit expier durement d'être ainsi tombé sur les hommes et les choses à coups de oui et de non.
  On voit qu'il s'agit principalement ici de la contrariété inconditionnelle, de l'opposition absolue de valeurs ; nous parlerons plus tard de la vérité comme absolu. Celle-ci est principalement traitée dans le paragraphe 2. Elle y est donnée comme propre aux métaphysiciens :

La croyance fondamentale des métaphysiciens, c'est la croyance aux oppositions de valeurs.
  Nietzsche reproduisant le raisonnement des métaphysiciens, leur fait dire que le contraire ne pouvant naître du contraire (plus particulièrement le contraire "bon" du contraire "mauvais" - l'ajout est de nous), il faut que la vérité, l'action désintéressée, ne naissent pas de leur contraire (l'erreur et l'utilité personnelle), mais d'une valeur plus élevée : l'être, la "chose en soi". Mais N. note que s'étant juré << de omnibus dubitandum >>9, il faudrait aux métaphysiciens aller jusqu'à douter, premièrement qu'il y ait des oppositions, et deuxièmement que les oppositions qui les amènent à leurs conclusions ne soient pas << de simples appréciations de surface, de simples perspectives provisoires >>. Par ailleurs, c'est en << interpréta[nt] en injectant ces oppositions dans le texte et dans l'état de fait >>, de la transformation miraculeuse d'un homme mauvais en saint, que << la psychologie telle qu'elle existait jusqu'alors fit ici naufrage >> (III §47), ne pouvant expliquer ce que précisément les métaphysiciens niaient possible, à savoir la naissance d'un contraire à partir de son contraire : c'est donc qu'il n'y avait pas une opposition absolue, inconditionnée, entre l'homme mauvais et l'homme bon ou le saint.
   Le langage en particulier est en cause :

Le langage peut bien, ici comme ailleurs, rester prisonnier de sa balourdise et persister à parler d'oppositions là où il n'y a que des degrés et un subtil échelonnement complexe (II §24)
  On retrouve ce mot de balourdise.
  Mais surtout, on voit que l'appréciation nuancée, subtile, est appelée à se substituer aux oppositions de valeurs. Commentons que ce n'est pas sans poser problème, car s'il y a un échelonnement avec un degré plus ou moins élevé de "bien", on retrouve un extrême dans son absence et l'autre, contraire, dans sa présence maximale (ce degré ne serait-il jamais atteint). Mais N. ne précise pas de quoi il y a des degrés, et sans doute lui faut-il d'abord relever l'aspect nuancé et subtil (et finalement indéterminé, insuffisant) de cette appréciation, parce qu'il ne peut rendre compte que par lui de ce qui ne sera exprimable que sous un autre échelon, une autre vue, par-delà la morale : sans doute, donc, est-ce un premier pas.
  On retrouve donc ce qui donne son titre à l'ouvrage. Et cela permet de bien préciser ce point : qu'il s'agit de dépasser, non : le bien, et le mal ; mais bien et mal ensemble, une appréciation qui se décline en deux opposés - car ces deux opposés sont en définitive fictifs, ils sont des inventions de l'homme.10 Cette expression se retrouvera à plusieurs reprises dans l'ouvrage, et notamment pour clôturer la première section.

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Message par Rêveur Dim 21 Aoû 2016 - 2:44

Y a-t-il une vérité chez Nietzsche ?
  L'opposition de valeurs, c'est aussi celle entre (la valeur de) la vérité et (de) la non-vérité. C'est ainsi à cette problématique, à travers l'idée de volonté de vérité, que N. réduit le problème de la vérité et de la recherche de la vérité.
  Au début de sa préface comme de son premier paragraphe, N. montre le spectacle navrant d'une recherche de vérité interminable et dans laquelle les philosophes se comportent tous gauchement, ainsi dans sa première phrase :

À supposer que la vérité soit femme, eh bien ? n'est-on pas en droit de nourrir le soupçon que tous les philosophes, pour être dogmatiques, ne comprenaient pas grand-chose aux femmes ?
  N. a ainsi une question à poser : pourquoi s'acharner dans cette recherche (infructueuse), qu'est-ce qui motive à chercher tant la vérité ? Sans doute la résolution de la recherche se trouve-t-elle ainsi là : avant de continuer à chercher l'introuvable, il faudrait voir, d'abord ce que nous cherchons, et surtout, parce que cela explique ce que nous cherchons, pourquoi nous le cherchons : pourquoi cette recherche de la vérité ? que faisons-nous exactement ? Il y a donc une volonté de vérité (expression récurrente), et finalement une valeur de cette vérité. Mais N. questionne cette valeur :

Nous interrogeâmes la valeur de cette volonté. À supposer que nous voulions la vérité : pourquoi pas plutôt la non-vérité ? Et l'incertitude ? Même l'ignorance ?
  En quoi N. se voit comme novateur, prophète d'un temps futur (nous anticipons là peut-être, ces points seront travaillés plus tard) :

- Et le croira-t-on, nous avons en fin de compte le sentiment que le problème n'a jamais encore été posé jusqu'à présent, - que c'est nous qui, pour la première fois, le voyons, le fixons, le risquons ? (I §1)
  Il est seul (et cette solitude, cette indépendance, caractérisera le fort, l'esprit libre que sans doute N. est censé être, et encore les nouveaux philosophes) dans sa démarche, dans son projet, qui se résout dans cette décortication de la volonté de vérité, parce que le problème de la valeur de la vérité amène au problème des oppositions de valeurs (qui est d'ailleurs posé plutôt après, surtout dans le paragraphe 2 comme on l'a dit) et à son dépassement, par-delà bien et mal, mais surtout à la valeur elle-même, aux pulsions qui se ramèneront à la volonté de puissance, à l'issue de la recherche philologique.11
  Et cela conduira à une nouvelle clef d'évaluation de la pensée :
La fausseté d'un jugement ne suffit pas à constituer à nos yeux une objection contre un jugement ; c'est en cela peut-être que notre nouveau langage rend le son le plus étrange. La question est de savoir jusqu'à quel point il favorise la vie, conserve la vie, conserve l'espèce, et peut-être permet l'élevage de l'espèce (I §4)
  Il faudra toujours le garder à l'esprit pour comprendre les critiques de N. qui suivront et sa démarche.
  Le dogmatisme consiste donc lui dans un rapport à la vérité. Le dogmatique absolutise la vérité, s'en fait le défenseur, et l'universalise : ce sont ces trois aspects, ou plutôt les deux derniers, le premier, celui de l'inconditionné, ayant déjà été traité, qui seront étudiés à présent.
  Le dogmatisme ayant absolutisé la vérité, ou finalement donc sa valeur, sans questionner ce fait premier (mais partant de cette vérité absolue, admise en tant que telle), il amène à se faire son grand défenseur, son martyre. Mais :

Cela […] entaureauise [que de] se donner le rôle de défenseur de la vérité sur terre.
  Dans ce même paragraphe 25, N. recommande :
  Soyez prudents, vous, philosophes et amis de la connaissance, et gardez-vous du martyre ! De la souffrance "par amour de la vérité" !
N. use surtout d'ironie : << comme si "la vérité" était une personne assez inoffensive et balourde pour avoir besoin de défenseurs ! >>, tout en renvoyant à l'échec inévitable qu'ont connu tous ceux qui se sont faits martyrs au nom de la vérité (évoqué dans notre étude de la préface). Mais c'est surtout par la raillerie envers ces martyrs, qui se sont abandonnés à une solitude mais pas la "bonne solitude", ainsi Spinoza et Giordano Bruno, ces martyrs qui << finissent toujours par devenir […] des assoiffés de vengeance et des confectionneurs de poison raffinés >>. N. conclut :

Le martyre du philosophe, le "sacrifice de sa personne à la vérité" fait apparaître au grand jour ce qu'il portait en lui d'agitateur et de comédien
  En somme, c'est sans doute le fait de rabaisser l'homme en le plaçant en-dessous de sa vérité, qui conduit N. à cette récusation. N. s'attachera ainsi à montrer la prévalence du philosophe sur sa philosophie, et de l'homme sur le philosophe – et de la volonté de puissance sur l'homme. Dans un fragment posthume, N. s'écrira :

Non pas le bien, mais l'homme supérieur ! Platon vaut mieux que sa philosophie ! Nos instincts sont meilleurs que leur expression conceptuelle. Notre corps est plus sage que notre esprit. (X, 26 [355])
  Ou plutôt, N. montrera que la philosophie se réduit au philosophe, etc. : mais le penseur fort, l'esprit libre, lui, en a conscience, alors que le dogmatique croit que la vérité qu'il défend est véritablement quelque chose d'autre que lui.
  En somme, c'est encore ce rabaissement de l'homme sous la vérité que la prétention à l'universalité : la vérité est bien censée alors nous dépasser, n'être pas proprement notre vérité. On trouve ainsi cette caractérisation du dogmatisme dans le paragraphe 43, à laquelle il oppose le nouveau philosophe :

  Cela blesse nécessairement leur orgueil [aux nouveaux philosophes], leur goût également, que leur vérité doive être encore une vérité pour tout un chacun : ce qui fut jusqu'à présent le souhait et le sens secrets de tous les efforts dogmatiques. "Mon jugement est mon jugement : autrui n'y a pas droit si facilement" - dit peut-être un tel philosophe de l'avenir.12
  N'oublions pas, pour bien comprendre ces critiques, que l'objection contre un jugement n'est plus sa fausseté.
  Est-ce à dire qu'il n'y a plus de vérité ? Nous avons déjà vu que N. doutait que les oppositions de valeurs fussent autre chose que des perspectives provisoires ; en fait, toute pensée, chez N., est perspective – nous le verrons plus au long par la suite. Mais si le monde apparent, le monde des perspectives, est finalement le monde lui-même, le monde "vrai" n'existant pas (encore une fois, nous verrons cela par la suite), il reste alors qu'avoir la perspective la plus étendue, c'est connaître, s'il est permis d'employer le verbe, le plus du monde, qu'on peut s'efforcer d'avoir le plus de vérité13 ; ou, pour le dire plus précisément, et même plus clairement, reprenant les mots d'une connaissance d'internet : << un Homme, pour autant qu'il parviendrait à embrasser les perspectives de nombre de ses congénères (élargissement de la perspective, amplification/augmentation/développement de son champ de conscience), aurait accès au réel anthropo-logique/-morphique/-centrique. C'est donc que, nietzschéennement, il est une vérité principielle, suivie de vérités circonstancielles plus-et-moins englobantes, catégorialement. Ainsi y aurait-il des Hommes plus "gros de vérités" que d'autres, plus "petits", où en vérité la vérité-toute-la-vérité-rien-que-la-vérité, pourrait tuer quelque plus "petit". >>13 (la note donne la référence, à laquelle je renvoie pour la question de la vérité chez Nietzsche)
La volonté de vérité
  Étendre sa perspective en embrassant celles des autres (ce qui, en passant, ne signifie pas les admettre pur vraies ; et ce qui par ailleurs se distingue du mouvement dans l'autre sens : embrasser les opinions des autres n'est pas universaliser la sienne), c'est précisément ce que N. mettra en place au cours de sa recherche philologique. Mais ce n'est pas tout. Cette recherche permettra aussi de faire émerger le caractère perspectif de la vie, l'absence de monde vrai, et en dernière instance la thèse de la volonté de puissance ; tout ceci en partant premièrement de la dissection de la volonté de vérité, et de la remise en question de valeur de la vérité, et finalement de la valeur des pensées.
  Dans le paragraphe 344 du Gai savoir, N. met en évidence le caractère moral de la volonté de vérité. Après avoir ramené la science à la volonté de vérité absolue, il demande si celle-ci est la volonté de ne pas tromper ou de ne pas être trompé. Puis il relève que dans le second cas, ce n'est pas moral, contrairement au premier, mais c'est un calcul. Or, il vaudrait si la vérité valait vraiment mieux que la fausseté, les jugements vrais que les faux. Mais pour N., cela n'est pas du tout évident, et même, les jugements faux valent souvent davantage que les vrais :

Par conséquent la "volonté de vérité" signifie non pas : "Je ne veux pas me laisser tromper", mais – il n'y a pas d'autre alternative – "Je ne veux pas tromper, pas même me tromper moi-même" : – nous voilà sur le terrain de la morale.
  Mais comme il n'est rien en ce monde que perspectives, apparences, interprétations, falsifications, ne pas tromper serait aller contre le principe même de la vie, et N. en vient à penser qu'il y a, derrière cette volonté de vérité, comme une volonté de mort. Si donc (ici, nous interprétons la transition) elle est possible, si la vie a fait émerger cette volonté, c'est sans doute qu'elle se pense comme volonté de vie par rapport à un autre monde, un monde vrai par opposition au monde apparent :

L'esprit véridique dans ce sens audacieux et dernier, tel que le présuppose la croyance en la science, affirme par là même un autre monde que celui de la vie, de la nature, de l'histoire, et pour autant qu'il affirme cet "autre monde", eh bien, ne doit-il pas nier son contraire, ce monde-ci, notre monde ? (II §34)
  Il est inacceptable pour N. de refuser le monde ("notre monde") pour un soi-disant monde vrai. C'est encore se priver de vie, mais de façon subtile : c'est déguiser sa non-vie (ou plutôt volonté de non-vie).14

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bien - Nietzsche, Par-delà bien et mal, I-III Empty Re: Nietzsche, Par-delà bien et mal, I-III

Message par Rêveur Dim 21 Aoû 2016 - 14:20

La recherche philologique et psychologique
  Maintenant que nous avons vu tout ça, nous pouvons étudier la recherche philologique mise en place par N.
N . se donne (à lui ou à ceux qui étudient la philosophie etc.) divers titres : médecin, psychologue, esprit libre... Entre autre, il dit de lui : << Qu'on me pardonne, à moi, vieux philologue qui ne résiste pas au malin plaisir de mettre le doigt sur les mauvaises techniques interprétatives >> (§22). Par opposition à sa philologie, il en qualifie d'autres de mauvaises : celle des physiciens qui n'admettent pas que leur interprétation - physique de la réalité - en est une, dans la suite du paragraphe 22 ; et, nous l'avons déjà vu, l'interprétation psychologique morale se heurtant au miracle de :

la succession immédiate d'opposés, d'états de l'âme sur lesquels on porte un jugement de valeur opposé
  La conversion brutale de Saint-Paul en serait-elle un exemple ? N. termine ainsi :

Comment ? Le "miracle", rien qu'une faute d'interprétation ? Un manque de philologie ? -
  En somme, c'est le dogmatisme sous toutes ses formes qui représente une mauvaise philologie : quand il refuse son caractère interprétatif et personnel, et quand il interprète selon les oppositions de valeur.
Mais N., lui, sans nier qu'il n'interprète également, creuse, cherche à aller au fond, à débusquer les raisons premières et véritables de chaque pensée – il parle ainsi régulièrement de << points d'interrogation >> : << que vous placez derrière vos paroles de prédilection et vos doctrines favorites (et à l'occasion derrière vous-mêmes) >>15.
  N. se fait ainsi psychologue. Il présente ainsi (entre autre) le psychologue :

L'âme humaine et ses limites, l'ampleur couverte jusqu'à présent par les expériences intérieures de l'homme, les hauteurs, les profondeurs et les distances de ces expériences, toute l'histoire de l'âme écoulée jusqu'à présent et les possibilités qu'elle n'a pas encore épuisées : voilà ce qui est pour un psychologue né et ami de la "grande chasse" le terrain de chasse prédestiné.(III §45)
  Étudier une philosophie, c'est étudier un philosophe, et en définitive un homme :

Peu à peu s'est révélé à moi ce que fut toute grande philosophie jusqu'à présent : à savoir l'autoconfession de son auteur et des sortes de mémoires* involontaires et inaperçues ; et encore le fait que les intentions morales (ou immorales), en toute philosophie, ont constitué le véritable germe vital à partir duquel à chaque fois, la plante a poussé tout entière. (I §6)
  La vraie question est ainsi : << à quelle morale veut-on (veut-il –) en venir ? >>. Mais N. va plus loin que réduire la philosophie à l'homme : la pensée consciente est encore elle-même une conscientisation de quelque chose de plus profond et de secret même à celui qui la pense :

La plus grande part de la pensée consciente d'un philosophe est clandestinement guidée et poussée dans des voies déterminées par ses instincts. Derrière toute logique aussi et son apparente souveraineté de mouvement se trouvent des évaluations, pour parler plus clairement, des exigences physiologiques liées à la conservation d'une espèce déterminée de vie. (I §3)
  N. raille les dialecticiens qui prétendent avoir << découvert et atteint leurs opinions propres en vertu du déploiement autonome d'une dialectique froide, pure, d'un détachement divin >> (I §5). Il cite Kant et sa dialectique, et Spinoza et la forme mathématique qu'il donne à sa philosophie.
  La question, finalement, au-delà de "à quelle morale veut-on en venir ?", pourrait être : "quel instinct inspire cette pensée ?", voire "de quel instinct est-ce la philosophie ?", en quoi on ne ferait que reprendre presque littéralement N. :

Mais celui qui examinera les instincts fondamentaux de l'homme afin de se faire une idée du degré précis auquel ils peuvent être entré en jeu ici en tant que génies inspirateurs (ou démons, ou farfadets –), trouvera qu'ils ont déjà, tous autant qu'ils sont, fait de la philosophie un jour (I §6)
  Comme la question de la vérité se ramène à celle de la valeur de la vérité et de la volonté de vérité, et en dernière instance, aux pulsions – et, complètera N., à la volonté de puissance –, comme pour comprendre une pensée est connaître (la psychologie de) l'homme qui l'a pensée, et ses pulsions, comme tout se ramène à l'homme et ses pulsions, son âme :

Le psychologue qui "offre un sacrifice" [en s'aventurant par-delà bien et mal] de la sorte – ce n'est pas le sacrifizio dell'intelletto, bien au contraire ! – pourra du moins légitimement exiger en retour que la psychologie soit de nouveau reconnue pour maîtresse des sciences, que les autres sciences ont pour mission de servir et de préparer. Car désormais, la psychologie est de nouveau le chemin qui mène aux problèmes fondamentaux. (I §23)
Le rejet de l'atomisme
  Précisons que cette âme ne correspond pas à l'âme chrétienne, ni par ailleurs à l'âme comme substance spirituelle telle que pensée en particulier par Descartes. Toutes ces notions participent d'une même idée, que N. juge réfutée, à savoir l'atomisme ; le paragraphe 12 en particulier y est consacré. N. y écrit ainsi :

En effet, alors que Copernic nous a persuadés de croire, à l'encontre de tous les sens, que la terre n'est pas immobile, Boscovich a enseigné à abjurer la croyance au dernier bout de terre qui "demeurait immobile", la croyance à la "substance", à la "matière", à l'atome-résidu-de-terre et à l'atome-caillot : ce fut le plus grand triomphe sur les sens que l'on ait remporté jusqu'à présent.
  Commentons que dans le paragraphe 14, N. disait noble le mode de vie de Platon qui allait contre le témoignage des sens, << la plèbe des sens, comme le disait Platon >>.
  Ce refus de l'atomisme, N. l'étend à ce qu'il considère comme un autre atomisme, celui de l'âme, indestructible, éternel, indivisible (c'est en effet précisément ce qu'on entend par atome, du grec atomos : insécable), notamment sous sa forme leibnizienne de monade. Pour réfuter Descartes, ce dont il s'occupe en particulier en §16-17, N. dit qu'il y voit l'influence de la grammaire avec laquelle, pour l'action "penser", il faut un sujet, "je", d'où : "je pense", et le cogito cartésien. Mais comment savoir que c'est ce "moi" qui pense, et plus encore qu'il y a même quelque chose qui pense ? Et par ailleurs, si je dis "je pense", ou même seulement "Ca pense" ou encore "Pense" (des réductions de plus en plus rigoureuses), il reste encore que << je compare mon état du moment à d'autres états que je connais en moi pour établir ainsi ce qu'il est : du fait de ce renvoi à un "savoir" autre, il n'offre pas pour moi de "certitude" immédiate >> - certitude immédiate à laquelle précisément le "je pense", le cogito cartésien, prétend.
  Refusant l'âme en ce sens, N. peut lui substituer sa propre notion, d'une << "âme mortelle", âme-multiplicité du sujet" et "âme-structure sociale des pulsions et des affects" >> : on voit qu'il réduit alors l'âme aux pulsions, et on voit donc quelle place a cette réfutation dans la pensée de N., qui ne sert pas seulement à réfuter d'autres pensées, montrer la réfutabilité des pensées en général, ou donner un exemple de préjugé de philosophe dû à telle ou telle pulsion, mais permet d'installer sa propre pensée.
Les pulsions
  Il n'est pas évident de dégager précisément les pulsions que N. dévoile derrière les pensées, parce qu'il est souvent railleur, voire méprisant – voire insultant ? N. est plus explicite dans ses considérations sociologiques et raciales (qui sont encore psychologiques) – que là où il dégage des pulsions "spontanées" individuelles, pourrait-on dire. Relevons néanmoins, avant d'en venir aux races et à la grammaire, quelques cas étudiés par N.
  Le paragraphe 7 semble au second degré et requiert l'interprétation. La mienne est qu'il se moque bien ici d'Epicure (je tiens à le préciser parce que j'ai déjà entendu une analyse le présentant comme purement anti-platonicien) :

[Epicure] s'offusquait des grands airs et de la théâtralisation dans lesquels Platon et ses disciples étaient passés maîtres, – ce qui était loin d'être le cas d'Epicure!, lui, le vieux pédagogue de Samos, qui se tenait dissimulé au fond de son jardinet d'Athènes, et écrivit trois cents livres, qui sait?, peut-être par fureur et esprit de rivalité envers Platon ?
  Un cas où N. est plus explicite est celui du problème de la liberté ou de la non-liberté de la volonté (pour N. quant à lui, le mot "liberté" ne peut se rapporter – se prédiquer – à celui de "volonté"), dans le paragraphe 21 :

Les uns [qui prétendent la volonté libre] ne veulent pour rien au monde laisser échapper leur "responsabilité", leur foi en eux-mêmes, leur droit à leur mérite (les races vaniteuses entrent dans ce groupe –) ; les autres veulent à l'inverse n'être responsables de rien, n'être judiciables de rien et, mus par un intime mépris d'eux-mêmes, aspirent à se décharger d'eux-mêmes sur n'importe quoi d'autre.
  Enfin, il est un instinct que N. récuse par-dessus tout : c'est l'instinct démocratique. N. défendra contre l'égalité et la démocratie la hiérarchie et une forme d'aristocratie. Cet instinct démocratique est par exemple responsable de la croyance des physiciens en une "conformité de la nature à des lois", lois qui, à l'instar de leur avatar politique, assurent l'égalité, tous (citoyens dans un cas, êtres naturels dans l'autre) étant égaux devant la loi (cf §22).

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Message par Rêveur Dim 21 Aoû 2016 - 17:18

Psychologie sociale
  N. évoque régulièrement les races, distinguant en particulier entre les races du nord (balourde, etc.) et du sud (nous l'avons déjà vu). La psychologie ne se réduit pas à l'individu isolé (d'autant que N. réfute l'atomisme, en particulier celui de l'âme, nous le verrons), elle étudie des instincts qui, pourrait-on dire ironiquement, "transcendent" les hommes. En somme, la psychologie nietzschéenne est une alternative à la biologie darwinienne (qui tend par ailleurs à s'y substituer, N. récusant Darwin et sa théorie de l'évolution, pour des raisons que nous ne pouvons pas développer ici, sinon celle, que nous verrons ensuite, que le vivant ne conserve pas premièrement sa vie mais libère sa force, cf §13. Ajoutons que chez N. c'est bien la psychologie qui est maîtresse des sciences – alors que ce serait plutôt la biologie, ou une certaine biologie, sans doute pas chez Darwin, mais du moins chez un certain nombre de néo-darwiniens, voyant par exemple dans le temps une invention sélectionnée par l'évolution ; certes N. ne refuserait pas cette dernière conception, mais elle ne découle pas chez lui d'un matérialisme mécaniste, d'une physique, mais bien, plutôt, d'une psychologie) :

Concevoir [la psychologie] comme morphologie et doctrine de l'évolution de la volonté de puissance, comme je la conçois – voilà qui n'a encore été effleuré par les pensées de personne (I §23)
  Un élément particulièrement important d'une race (certes parfois peut-être extrinsèque à elle) est la langue, la grammaire. Comme nous l'avons déjà évoqué, chaque langue possède son propre tempo dont il est pour N. impossible (sinon extrêmement ardu) de rendre compte dans une traduction (cf § ; sur le tempo, lire aussi §) Ce n'est pas qu'une question de linguistique ou d'art, parce que la langue conditionne par là la pensée. Le presto ou la delicatezza amène dans l'italien aux nuances, inaccessibles ou presque (N. serait une exception à la règle, à moins qu'il ne suffît de connaître une autre langue) aux allemands les nuances – et amenant donc au dogmatisme, ou à la << niaiserie allemande* >>.
  Nous avons vu que le langage faisait croire à l'opposition des valeurs :

Le langage peut bien, ici comme ailleurs, rester prisonnier de sa balourdise et persister à parler d'oppositions là où il n'y a que des degrés et un subtil échelonnement complexe (II §24)
  Dans la préface, << une séduction exercée par la grammaire >> constitue l'une des possibles premières pierres << de ces édifices de philosophes sublimes et inconditionnés que bâtirent les dogmatiques jusqu'à présent >>.
  Le philosophe est appelé à dépasser la grammaire et à penser malgré elle :

Le philosophe ne serait-il pas en droit de s'élever au-dessus de la foi en la grammaire ?
  N. traitera spécifiquement de la grammaire et de son rôle dans l'origine de la pensée (et son rapport à la race) dans le paragraphe 20. Il y relève que les concepts se développent ensemble, comme une gigantesque toile d'araignée (inter-net... La métaphore, y compris de la toile d'araignée, n'est pas de lui). Tous ceux qui insistent sur l'importance des définitions ou tous les lecteurs de dictionnaires doivent bien le reconnaître : des concepts servent à en définir d'autres, dans une sorte de cercle vicieux géant, où l'on ne trouvera pas de concepts premiers, encore que les philosophes aient tenté d'en trouver. La grammaire qui détermine les liens entre les concepts détermine en définitive la pensée, et la parenté linguistique amène à une parenté dans la pensée ; ou bien est-ce dans l'autre sens, la grammaire ou les relations entre les concepts étant déterminées par la race. N. conclura le paragraphe par :

Le charme exercé par des fonctions grammaticales déterminées est en dernière analyse le charme exercé par des jugements de valeurs physiologiques et des conditions de race.
L'interprétation
  L'autre élément-clef que N. dégagera de sa recherche philologique (plus spécifiquement philologique cette fois, la philologie étant entendue comme interprétation – du "texte"), c'est le caractère interprétatif ou perspectif de toute pensée et de toute compréhension de la réalité – nous l'avons déjà vu. Ainsi, pour N. :

Les nobles spectateurs exaltés de toute l'Europe ont interprété [la Révolution française], de loin, si longuement et si passionnément, en y injectant leurs propres mouvements de révolte et enthousiasmes, jusqu'à ce que le texte disparaisse sous l'interprétation (II §38)
  De même, les physiciens projettent leurs propres lois sur le monde pour le comprendre (cf §22, déjà cité). Et c'est encore la critique qu'il adressera aux stoïciens (dans le paragraphe 9) : ceux-ci ne se conforment pas à la nature, mais au contraire, conforment (interprètent) la nature à (selon) leur propre pensée. Citons un passage qui montre par ailleurs le caractère dogmatique du stoïcisme tel que N. l'entend :

Votre orgueil veut prescrire et incorporer à la nature, même à la nature, votre morale, votre idéal, vous exigez qu'elle soit une nature "conforme au Portique" et vous aimeriez faire en sorte que nulle existence n'existe qu'à votre propre image – en formidable, éternelle glorification et universalisation du stoïcisme !
  Car la nature est purement indifférente, elle agit indifféremment ; il faut dire que N. partage premièrement une physique héraclitéenne (sans entrer dans les détails, car il va de soi qu'on trouve encore des dissensions entre elle et N.) avec les stoïciens, mais que si de fait on peut la considérer indifférente chez Héraclite, et si la guerre y est le principe et le père de toutes choses, les stoïciens ont fait évoluer cette physique et y ont ajouté une certaine intention, un esprit, un nous, peut-être à la lecture d'Anaxagore ou, sans doute plus probablement, avec l'enseignement des néo-platoniciens que Zénon de Clition a eus pour maîtres16. Il en est d'ailleurs de même loin à l'est, chez les taoïstes, qui présentent une communauté de pensée très grande avec les stoïciens (sans qu'on puisse pourtant, ou très difficilement, soupçonner qu'ils eussent un contact), et ont comme eux une pensée physique très héraclitéenne (encore une fois, il ne s'agit que d'une ressemblance, pas d'une influence, bien entendu), de laquelle ils parviennent pourtant à tirer une morale (toutefois plus fidèle sans doute quant à elle à l'indifférence de la nature héraclitéenne, le mot se trouvant dans le Tao-Tei King de Lao-Tseu17).
Le caractère interprétatif de ces pensées n'est toutefois pas une critique, c'est un fait, qu'il étend (dans le même paragraphe) à toute la pensée, en particulier à toute la philosophie :

Ce qui s'est produit avec le stoïcisme continue à se produire aujourd'hui, sitôt qu'une philosophie commence à croire en elle-même. Elle crée toujours le monde à son image, elle ne peut faire autrement. La philosophie est cette pulsion tyrannique même, la plus spirituelle volonté de puissance, de "création du monde", de causa prima.
  Là réside la "bonne" philologie : admettre qu'on interprète :

À supposer que cela aussi ne soit que de l'interprétation – et vous mourrez d'envie de faire cette objection ? – eh bien, tant mieux. – (I §22)
  Car toute pensée se fait avec des mots, avec des nombres, avec des jugements, avec des éléments transposés à la réalité, qui n'appartiennent qu'à l'homme (ou à ses pulsions) :

Sans tenir pour valides les fictions logiques, sans un étalon de mesure de la réalité référé au monde purement inventé de l'inconditionné, de l'identique à soi, sans une falsification constante du monde par le biais du nombre, l'homme ne pourrait vivre, – [...] renoncer aux jugements faux serait renoncer à la vie, nier la vie. (I §4)

Le monde apparent et la volonté
  Et donc par ailleurs, il ne faut pas chercher un monde "vrai", supérieur, un "arrière-monde" dira-t-il dans d'autres œuvres (un monde des Idées, un espace-temps pur, un monde de métaphysicien, un "Être" ou encore un monde supérieur d'une religieux, une transcendance), car notre monde, le seul monde, et surtout << le monde qui nous concerne >>, c'est ce que les partisans des arrières-mondes appellent le "monde apparent" :

Si l'on voulait, avec l'enthousiasme vertueux et la balourdise de bien des philosophes, abolir complètement le "monde apparent", eh bien, à supposer que vous en soyez capables, – dans ce cas du moins, il ne resterait rien au plus de votre "vérité" ! […] Pourquoi le monde qui nous concerne – ne pourrait-il pas être une fiction ? (II §34)
  N. reproche à Schopenhauer de vouloir s'en extirper, de croire possible la contemplation désintéressée (de la volonté et ses effets) où l'on ne veut plus, et le saint qui ne veut plus (sans même nécessairement être en rapport à la volonté comme dans la contemplation)18, et de faire de celui-ci un modèle – pensant la volonté pessimistement, presque comme une volonté de puissance à l'instar de N., s'exprimant par la confrontation (notamment dans l'architecture où la résistance s'oppose à la pesanteur, ou dans les tragédies où les volontés contradictoires se confrontent).

Qui comme moi, mu par quelque désir énigmatique, s'est longuement efforcé de penser le pessimisme en profondeur et de le délivrer de l'étroitesse et de l'ingénuité mi-chrétiennes mi-allemandes avec lesquelles il s'est présenté dernièrement à ce siècle, à savoir en prenant la forme de la philosophie schopenhaurienne […], celui-là aura peut-être, sans le vouloir à proprement parler, ouvert les yeux sur l'idéal inverse : sur l'idéal de l'homme le plus exubérant, le plus débordant de vie, celui qui dit le plus grand oui au monde, qui ne s'est pas simplement résigné à ce qui fut et est, et n'a pas simplement appris à le supporter, mais tout au contraire veut l'avoir de nouveau, tel que cela fut et est, pour toute l'éternité, criant insatiablement da capo [depuis le début]

De la volonté à la volonté de puissance
  Dans le paragraphe 19, N. étudie (critique) la volonté schopenhaurienne. Elle tire son origine, selon lui, d'un préjugé du peuple, qui fait croire à Schopenhauer qu'elle est parfaitement connue, alors que << le vouloir me semble avant tout quelque chose de compliqué, quelque chose qui n'a d'unité que verbale >>. En le décortiquant, N. y trouve

d'abord une pluralité de sentiments [d'où on part, où on va, et l'effort musculaire] […] en second lieu il faut encore du penser [une pensée qui commande] […] En troisième lieu, la volonté n'est pas seulement un complexe de sentir et de penser, mais encore et surtout un affect : et plus précisément cet affect qu'est celui du commandement. Ce que l'on appelle << liberté de la volonté >> est essentiellement l'affect de supériorité à l'égard de celui qui doit obéir : << je suis libre, "il" doit obéir >>
  Or dans la volonté, nous sommes donc simultanément celui qui ordonne et celui qui obéit (mais nous nous abusons en nous synthétisant dans un "je") ; et en tant que nous obéissons, << nous connaissons les sentiments de contrainte, de pression >> (etc.) :

"Liberté de la volonté" - voilà le mot dont on désigne cet état de plaisir multiple de celui qui veut, qui ordonne et simultanément se pose comme identique à celui qui exécute, – qui, en tant que tel, jouit de triompher des résistances, mais juge par-devers soi que c'est sa volonté elle-même qui a véritablement surmonté ces obstacles. […] L'effet c'est moi*
  Or donc, << à supposer que rien d'autre ne soit "donné" comme réel que notre monde de désirs et de passions, […] est-ce que ce donné ne suffit pas à comprendre aussi, à partir de son semblable, le monde que l'on appelle mécanique (ou "matériel") ? >> Dans un fragment posthume, N. soutient ainsi qu'il manque quelque chose aux physiciens, que l'analyse de N. complète la leur :

Ce victorieux concept de "force", grâce auquel nos physiciens ont créé Dieu et le monde, a encore besoin d'un complément : il faut lui attribuer une dimension intérieure que j'appellerai "volonté de puissance", c'est-à-dire appétit insatiable de démonstration de puissance ; ou d'usage et d'exercice de puissance, sous forme d'instinct créateur, etc. ()
  Il faut qu'il en soit ainsi << si nous croyons à la causalité de la volonté >>, c'est-à-dire finalement à la causalité : alors, suivant les exigences de la méthode définies dans le même paragraphe ainsi qu'en §13 : << C'est en effet ce qu'ordonne la méthode, qui doit être essentiellement économie de principes >>, il ne faut croire qu'à la causalité de la volonté. Or, la volonté ne peut agir que sur la volonté - non sur la chair, sur les muscles, sur la matière. N. affirme donc comme sa thèse (nous avons vu que c'était là sa rigueur que d'y voir seulement une thèse, une interprétation), que tout (en particulier les affects, ou pulsions, ou instincts, à quoi il réduisait toutes pensées : << Que la volonté de puissance est la forme primitive de l'affect, que tous les affects n'en sont que des développements. >>) puisse se ramener en dernière instance à << une unique forme fondamentale de volonté >>, la volonté de puissance :

Le monde vu du dedans, le monde déterminé et désigné par son "caractère intelligible" – il serait précisément "volonté de puissance" et rien d'autre. –


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Message par Rêveur Dim 21 Aoû 2016 - 17:25

Forts et faibles
  Cette volonté de puissance se dévoile en particulier dans la pensée. La philosophie est ainsi, en définitive, non seulement << l'amour de sa sagesse à [soi] >>, mais encore, plus profondément, << l'amour de sa vie à soi >>, ou sa justification, sa défense ; une philosophie témoigne d'un genre d'homme, de vie. Mais surtout, cela se vérifie dans les échanges, les duels pourrait-on dire, par ailleurs directs ou indirects (ici, nous ajoutons nos propres éléments) entre philosophes (<< Que les philosophes peuvent être perfides ! >>, I §7) : il y a ainsi des pensées (dogmatiques) qui, en tyrans, prétendent à l'universalité, c'est-à-dire veut s'imposer à l'humanité ; autres sont celles des esprits libres qui au contraire font tout pour rester leur propriété (sans doute est-ce pour cela que << tout ce qui est profond aime le masque >> II §40). Commentons que l'on devine aisément la volonté de puissance, non pas seulement dans les débats télévisés, mais encore dans les discussions (les duels ?) philosophiques de forums, où parfois la volonté de prendre le dessus semble tout ce qui compte et guide la discussion, de sorte que certains prétendent que ce n'est que pour se valoriser que l'on va sur les forums. 19
  Dans le cadre de cette interprétation du monde selon ce principe premier, unique cause, qu'est la volonté de puissance, le dépassement de la morale, des oppositions de valeurs, entre bien et mal, au profit d'une considération nouvelle par-delà bien et mal prend d'autant plus son sens. En outre, quand N. critique la volonté telle qu'entendue populairement ou dans la philosophie de Schopenhauer (qu'il réduit d'ailleurs à une croyance populaire), il écrit :

La "volonté non libre" est mythologie : dans la vie réelle on n'a affaire qu'à des volonté fortes et faibles.
  Ainsi donc, il ne faut plus valoriser le bien, la vertu, encore moins l'ascèse, la sainteté comme négation de la volonté ou de la vie (ce qui revient au même), mais la force – dans la GM, il s'agira d'opposer (à nouveau) bon et mauvais au lieu de bon et méchant.
  N. caractérisera de différentes manières, principalement dans la deuxième section (sinon dans d'autres sections suivantes mais ne rentrant pas dans notre étude présente), la force, le fort. Nous pouvons soulever – ils sont bien dans le livre, mais ne sont pas donnés comme plusieurs aspects séparés, cette division est de nous – quatre aspects (tous plus ou moins liés). Le premier a déjà été traité, il s'agit de la finesse, de l'esprit de nuance. Le second a également été vu, c'est la conscience de ce qu'est toute pensée et en particulier de ce qu'est sa propre pensée, du fait

que la conscience << trahit, mais plus encore cache quelque chose >> (II §32), qu'elle se ramène à des instincts, et en dernière instance à la volonté de puissance. Deux autres aspects sont à traiter spécifiquement (mais liés toutefois) à présent : l'épreuve et la solitude ou indépendance.

L'épreuve
  Nous avons vu que la volonté se ressentait à travers les obstacles surmontés, et que la volonté de puissance consistait en une volonté de démonstration de puissance. Autant dire que l'épreuve constitue un élément-clef de l'expression de la volonté de puissance, de l'expression de la puissance. Le fort en particulier doit é-prouver sa force pour la prouver (éventuellement aux autres, mais surtout à lui-même – sans doute d'ailleurs la force réside-t-elle notamment dans le fait de prouver à soi plutôt qu'aux autres sa puissance ; N. fustigera ainsi l'instinct démocratique, grégaire pourrait-on dire, l'instinct de troupeau20).
  L'épreuve est particulièrement l'épreuve de la pensée, celle à laquelle il soumet les autres en philologue ou psychologue, mais aussi sa propre pensée, comme il l'exprime dans Aurore :

Ne jamais réprimer ni te taire à toi-même une objection que l'on peut faire à ta pensée ! Fais-en le vœu ! Cela fait partie de la loyauté première de la pensée. Tu dois chaque jour mener aussi campagne contre toi-même. Une victoire ou une redoute conquise ne sont plus ton affaire, mais celle de la vérité, – mais ta défaite aussi n'est plus ton affaire ! (§370) 21
  Nous pouvons revenir ici sur les points d'interrogation que nous avons évoqués (le terme revient régulièrement dans le livre) :

Il pourrait bien y avoir dans chaque petit point d'interrogation que vous placez derrière vos paroles de prédilection et vos doctrines favorites (et à l'occasion derrière vous-mêmes) une véracité plus méritoire que dans tous les grands gestes solennels et les atouts que vous abattez devant les accusateurs et les cours de justice ! (II §25)
  Il reste ainsi des questions (donc des épreuves) à leur poser, des questions qu'eux n'osent se poser eux-mêmes. N. prendra soin de les questionner, de tâcher de poser à chacun la question qui le gêne particulièrement. Cela commence dès le début de l'ouvrage, quand il questionne la valeur de la vérité. Il en est de même dans sa critique de l'atomisme, des certitudes immédiates, et en particulier du sujet pensant, du je pense, ou cogito. On pense à ce passage du paragraphe 16 :

Quiconque se fait fort, en invoquant une espèce d'intuition de la connaissance, de répondre immédiatement à ces questions métaphysiques, comme le fait celui qui dit "je pense, et je sais que ceci à tout le moins est vrai, réel, certain" – celui-là trouverait aujourd'hui tout prêts, chez un philosophe, un sourire et deux points d'interrogation. "Monsieur, lui ferait peut-être comprendre le philosophe, il est improbable que vous ne vous trompiez pas : mais pourquoi vous faut-il la vérité à tout prix ?
  Toute philosophie garde toujours ainsi un point d'interrogation ; le fort ou l'esprit libre continue à creuser et à questionner, et fixe avec grand intérêt ce point d'interrogation, alors que le faible ou le dogmatique le camoufle et tâche de ne pas le voir, et de l'oublier s'il l'a vu. N. l'exprime aussi par l'idée de conviction : 
Dans toute philosophie, il y a un point où la "conviction" du philosophe entre en scène : ou, pour le dire dans le langage d'un antique mystère :
adventavit asinus
pulcher et fortissimus (I §8 ) 22
  La science peut bien se targuer de se refuser toute conviction, elle continue alors, note N. dans le Gai savoir (dans le paragraphe 344 déjà évoqué), à avoir la conviction de refuser toute conviction. Cela permet de comprendre ce passage du paragraphe 24 :
Et c'est uniquement sur ce fondement d'ignorance, désormais inébranlable et granitique, que la science a eu jusqu'à présent le droit de s'élever, la volonté de savoir sur le fondement d'une volonté bien plus vive, de la volonté de ne-pas-savoir, d'incertitude, de non-vrai ! Non comme son contraire, mais – comme son affinement !
  En définitive, la volonté de vérité se ramène ainsi à une volonté de non-vérité, sans doute d'arrêt des recherches, de cloisonnement, de circoncision du réel, de << vérité définitive et universelle >>. C'est précisément le contraire que défend N. : continuer à chercher, démasquer tous les points d'interrogation, expliquer les convictions, expliquer les pensées, par des instincts, par la race, par la grammaire, ne pas cloisonner le réel mais au contraire l'étendre sans cesse, ne pas faire triompher une perspective mais au contraire triompher de chacune en tant qu'elle prétend à l'universalité, à la tyrannie des autres.
  C'est aussi l'épreuve de << la dureté, la violence, l'esclavage […], tout ce qui est méchant, terrible, tyrannique >> (II §44), autrement dit ce qui s'oppose à la vie, à la volonté, l'épreuve proprement dite donc, qui sert à << l'élévation de l'espèce "homme" >>. Le fort nietzschéen n'est pas un cyrénaïque poussé à l'extrême, un pur "pourceau d'Epicure", qui se laisserait aller à tous ses plaisirs, ni même qui dépenserait son énergie pour se combler ; mais il doit faire l'expérience de n'être pas comblé et plus encore d'une véritable contrainte, d'une tyrannie, d'une volonté contraire, pour éprouver sa propre volonté, sa volonté de puissance, et se renforcer (<< Ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts >>).
L'indépendance
  Mais c'est encore (et surtout ?) l'épreuve de la solitude, de l'indépendance :

On doit se mettre à l'épreuve pour se prouver que l'on est destiné à l'indépendance et au commandement ; et ce en temps voulu.
Dans ce même paragraphe 41, N. invite à << ne pas rester lié >>, ni à une personne, ni à une patrie, ni à une pitié, ni à une science, ni (il est là mystérieux) à sa propre rupture, ni à nos propres vertus ; et de conclure : << On doit savoir se préserver : la plus forte mise à l'épreuve de l'indépendance >>
  Citons encore le paragraphe 29 :

Il n'appartient qu'au plus petit nombre d'être indépendant : – c'est un privilège des forts.
  L'esprit libre sera ainsi seul parmi son temps, ignoré, laissé dans sa solitude. Il en est différemment du nouveau philosophe qui aura l'occasion selon N. d'élever l'Humanité (cf en particulier III §61) ; celui-ci sera toutefois encore une exception parmi les hommes, les nouveaux philosophes seront rares – la seule différence donc est qu'eux commanderont à l'humanité.
  Toutefois, la solitude n'est pas la fuite de la réalité et des hommes, que, nous l'avons vu, N. récusait (en particulier chez Schopenhauer).
Ainsi, dans le paragraphe 26, il soutient que si :

Tout homme hors du commun aspire instinctivement à sa citadelle et sa retraite secrète où il soit délivré de la foule, du grand nombre, de la majorité, où il puisse oublier la règle "homme", lui qui en est l'exception
  ...En revanche, s'il est encore plus fort, il aspire finalement à cette règle qui est supérieure à l'exception, et il s'attache à connaître le plus possible les hommes, à augmenter ses connaissances ; et il doit en particulier tendre les oreilles là où l'on dit du mal de l'homme (cf même paragraphe).
La solitude et la subversion
  Par ailleurs, cette solitude revêt un caractère subversif et << dangereux >>. D'abord, dans la suite du paragraphe 29, N. écrit :

Et qui s'y essaie [à être indépendant], même nanti du droit le plus strict, mais sans y être contraint de toute nécessité prouve par là qu'il n'est probablement pas seulement fort, mais encore téméraire jusqu'à l'exubérance.
  Il peut s'égarer, se retrouve isolé du reste des hommes, seul parmi son temps, découvre les instincts les plus cachés de l'homme, y compris de lui-même. N. insiste à plusieurs reprises sur le caractère dangereux de la vie de fort, d'esprit libre, s'aventurant par-delà bien et mal. 23 Parfois, il semble les désigner ainsi du point de vue des hommes de son temps, des hommes-moyens, et on peut se demander s'il ne s'agit pas plutôt de subversion que de dangerosité.
  Il faut dire que N. n'hésite pas à les – voire à se – qualifier immoraux (cf §23 : << Une doctrine qui défend le conditionnement réciproque des "bonnes" et des "mauvaises" pulsions suffit, en tant qu'immoralité raffinée, à susciter détresse et dégoût dans une conscience morale encore forte et vaillante >>). Dans la fin du paraphe 23 qui clôt la première section, N. présente lyriquement l' "expédition" par-delà bien et mal. Par ailleurs, dans le paragraphe 32, N. distingue à l'humanité trois périodes relativement à la morale, celle pré-morale où l'on juge en fonction des conséquences, celle morale proprement dite, où l'on juge selon la provenance, mais où celle-ci est identifiée comme étant l'intention, sous-entendu l'intention consciente qui << trahit, mais plus encore cache quelque chose >>. Enfin, il est une troisième période que N. annonce, la période extra-morale, qui n'ignore pas ce qui est caché par l'intention, ce qui est plus profond en l'homme, une période du << dépassement de la morale, en un certain sens même l'autodépassement de la morale >>. Citons-le encore :

Nos vue les plus hautes doivent de toute nécessité – et par obligation ! – passer pour des folies, en certaines circonstances des crimes lorsqu'elles parviennent de manière illicite aux oreilles de ceux qui ne sont pas prédisposés ni prédestinés à les entendre. (II §30)

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bien - Nietzsche, Par-delà bien et mal, I-III Empty Re: Nietzsche, Par-delà bien et mal, I-III

Message par Rêveur Dim 21 Aoû 2016 - 17:30

L'incroyance et la religiosité
  Les esprits libres tels que N. les entend se distinguent : d'une part (mais en fait les deux profils que nous allons présenter se recoupent), des << "libres esprits" mal nommés [qui font partie des niveleurs] - en ce qu'ils sont des esclaves éloquents et polygraphes du goût démocratique et de ses "idées modernes" >> (II §44), et d'autre part des "libres penseurs" (cf III §58) qui pensent soi-disant hors du joug des religions – correspondant en cela aux "incroyants".
  Comme cela a déjà été dit, N. ne prend pas obstinément (et dogmatiquement) le contrepied de ceux qu'il réfute, et surtout ne se met pas dans un camp, mais tâche de com-prendre avec << l'art de la nuance >> (II §31) les différentes perspectives, les différents aspects des différentes pensées, jusqu'à éventuellement aller dans le sens de ceux qu'on pouvait voir comme ses antipodes, ou aller contre ceux dont il semblait partager la pensée. Ainsi, N. s'oppose au christianisme (ou plus généralement à la religion) dans tout son livre (au moins les trois premières sections, et en particulier bien sûr la troisième), mais s'oppose tout autant (en fait davantage encore) aux libres penseurs et à la masse incroyante qui méprise les chrétiens et se voit au-dessus :

Toute époque a sa propre espèce divine de naïveté, pour l'invention de laquelle elle pourrait susciter l'envie d'autres époques : – et que de naïveté, de naïveté vénérable, puérile et infiniment balourde n'y a-t-il pas dans cette foi du savant en sa supériorité, dans la bonne conscience de sa tolérance, dans l'assurance dénuée de soupçon et simpliste avec laquelle son instinct traite l'homme religieux comme un type de moindre valeur et inférieur, qu'il a dépassé, de très loin, de très haut, lui, le petit nabot plébéien et présomptueux, le besogneux et zélé ouvrier intellectuel et manuel des "idées", des "idées modernes" ! (III §58 )
  C'est en particulier le travail, la << fureur de travail moderne, bruyante, qui accapare chacun de nos instants >> qui << éduque et prépare […] à l'incroyance >>. Ce n'est donc pas un athéisme fort, un effort de supériorité, d'arrachement au joug de la religion, que cette incroyance, mais plutôt un abandon de la question, une lassitude, une faiblesse, une lâcheté, et qui ose pourtant mépriser la croyance qu'elle n'a pas le courage ni la force de véritablement défier. Au contraire en est-il des esprits libres, et de N. qui appelle (pour les nouveaux philosophes, sans doute) à commettre la troisième pire cruauté religieuse, après le sacrifice des êtres chers, en particulier le premier né, dans la période pré-morale, puis, dans la période morale, celle des instincts forts, pour mener l'ascèse : le sacrifice de Dieu, de << tout ce qui est saint, tout ce qui fait guérir, tout espoir, toute croyance à l'harmonie cachée, aux félicités et justices futures >> (III § 55) – dans la période extra-morale sans doute.
  En somme, c'est une régression continue que le passage, d'abord de la religiosité grecque au christianisme (aussi celle du christianisme ancien au nouveau), ensuite du christianisme aux idées modernes, démocratiques, et à l'incroyance. Nous avons vu le second ; le premier est présenté particulièrement en deux passages, au paragraphe 49 :

Ce qui provoque la stupéfaction dans la religiosité des anciens Grecs, c'est la plénitude effrénée de reconnaissance dont elle déborde : – c'est une espèce d'hommes très noble qui se comporte ainsi face à la nature et à la vie ! – Plus tard, lorsque la plèbe devient prépondérante en Grèce, la peur déferle sur la religion aussi ; et le christianisme était en train de se préparer.
  Et dans la préface qui le disait plus directement : << le christianisme est du platonisme pour le "peuple" >>.
  Si N. s'attelle à l'étude de la religiosité durant toute une section, c'est pour une bonne part en raison du caractère multiple de la figure de celle-ci. On pourrait même se demander si N. n'en trouve pas dans les idées modernes, à la lecture du paragraphe 53 : << il me semble que l'instinct religieux, quant à lui, est en pleine croissance, – mais qu'il refuse justement avec une profonde méfiance de s'assouvir à la manière théiste >>.
  Sans développer trop longuement l'analyse que propose N. de toutes ces formes de la religiosité, relevons-en rapidement quelques distinctions : N. distingue entre les religiosités du sud et celles du nord qui n'est pas doué en matière religieuse, en particulier le protestantisme qui manque de << delicatezza méridionale >> (III § 50, déjà cité) ; entre la foi chrétienne originelle, << continuel suicide de la raison […], sacrifice de toute liberté, de tout orgueil, de toute confiance en soi de l'esprit ; et en même temps asservissement et autodérision, automutilation >>, et celle moderne, molle, << sourd[e] à toute la nomenclature chrétienne, ne sent[a]nt plus la nuance horriblement superlative attachée, pour un goût antique, au paradoxe de la formule de "Dieu mis en croix" >> (III §46) ; entre l'Ancien Testament, où l'on éprouve << terreur et respect >>, et le Nouveau, qui << renferme en abondance l'authentique et doucereuse odeur de renfermé des grenouilles de bénitier et des petites âmes >> (III §52).
Les effets de la religion
  N. insiste à quelques reprises sur l'importance et même la grandeur qu'a eues l'Eglise chrétienne ou les autres religions en Europe ou dans le monde en général ; il ne faut pas négliger leur apport civilisationnel (<< Ce qu'on leur [aux religions] doit est inestimable ; et y a-t-il quelqu'un d'assez riche en reconnaissance pour ne pas se trouver pauvre face à tout ce que, par exemple les "hommes d'Eglise" du christianisme ont fait jusqu'à présent pour l'Europe ! >>).
Mais surtout, la religion a eu des effets sur l'homme, sa grandeur, sa puissance, sur le type d'hommes peuplant l'humanité. N. relève deux effets positifs de la religion. D'abord, point traité dans le paragraphe 62, la religion console, cherche à conserver la vie et à prendre parti pour ceux qui souffrent. On pourrait y voir une action au profit des faibles, mais il ne faut pas confondre les faibles avec ceux qui souffrent ; et en fait ce sont mêmes les forts qui ont jusqu'ici le plus souffert. Mais surtout, ce que la religion a apporté de meilleur, c'est l'épreuve, l'épreuve de l'ascèse, la contrainte face à la volonté et à la vie. Nous avons déjà cité (dans le passage sur l'épreuve) le paragraphe 44 qui en traite ; ajoutons cet extrait du paragraphe 61, qui exprime la même chose mais désignant plus spécifiquement la religiosité :

L'ascétisme et le puritanisme sont des moyens presque indispensables d'éducation et d'ennoblissement lorsqu'une race veut triompher de sa provenance plébéienne et travaille à s'élever à la domination future.
  Néanmoins :

Si l'on dresse le bilan d'ensemble, les religions qui ont existé jusqu'à aujourd'hui, à savoir les religions souveraines, ont été parmi les causes principales qui ont maintenu le type "homme" à un degré très modeste, – elles ont conservé trop de ce qui devait périr. (III § 62)
  Ainsi, la consolation, l'aide, qu'elles apportaient à ceux qui souffrent, si elles avaient un aspect positif, d'autant plus que les forts souffraient le plus, elle a été finalement trop néfaste. En fin de ce paragraphe 62, N. est encore plus virulent, du moins agressif, en tout cas railleur :

Ne dirait-on pas que l'Europe a été dominée pendant dix-huit siècles par une volonté de transformer l'homme en avorton sublime ?


L'élan vers l'avenir
  Si les esprits libres, les forts, et mêmes les nouveaux philosophes bien qu'ils domineront, sont voués à la solitude, à n'être que des exceptions, s'ils sont les seuls à avoir vraiment conscience de cet avenir et de la volonté de puissance, ce n'est pas à dire qu'ils partagent une vérité (ou perspective) entièrement propre à eux, subjective, et qui ne pourrait pas intégrer les autres perspectives ; le premier venu ne peut pas prétendre que sa propre perspective peut-être complètement absurde est la grande et noble vérité qui annonce le futur : mais il y a déjà des signes de la perspective prophétique de N., et les hommes reconnaissent déjà confusément la force dont il parle.
Il en est ainsi dans la << défiance envers ces idées modernes >> dont N. parle dans le paragraphe 10, de ceux qui << veulent [peut-être] […] des idées qui permett[ent] de vivre mieux, c'est-à-dire avec plus de force et de gaieté d'esprit que les "idées modernes" >>. Certes ils ne sont pas des forts qui tendent l'oreille là où l'on dit du mal de l'homme (§26), mais en eux est présent un élan qui peut être réorienté. Ainsi :

L'essentiel en eux n'est pas qu'ils veuillent aller "en arrière", mais qu'ils veuillent – s'en aller ailleurs. Un soupçon de force, d'envolée, de courage, d'artisticité en plus : et ils voudraient aller vers le haut, – et non en arrière. (I §10)
  Et cette force est aussi présente chez les saints. Ainsi :

[Les hommes les plus puissants] pressentirent en [le saint] – et en quelque sorte derrière le point d'interrogation de son apparence frêle et pitoyable – la force souveraine qui voulait s'éprouver par une telle soumission, la force de volonté dans laquelle ils reconnaissaient et savaient honorer leur propre force et plaisir de dominer : ils honoraient quelque chose d'eux-mêmes en honorant le saint. (III §51)
  Par ailleurs, outre des signes et une force déjà présents, il y a des antécédents, comme, pour la reconnaissance de la nécessité de la hiérarchie et de l'inégalité des hommes, chez les Indiens et leur système de castes. Mais ce n'est pas tout : N. évoque à plusieurs reprises une inversion des valeurs. Les immoraux représentent l'<< inverse >> (de la masse, des moraux, des modernes), cf §44 : << Nous, qui incarnons l'inverse … >>. Par ailleurs, ce qui est bon pour eux, pour les forts, serait mauvais pour les faibles et inversement – cf §30. Or en fait, ce retournement des valeurs semble avoir été déjà effectué avant dans l'histoire de l'humanité : une première inversion a, pour reprendre des termes de la GM, dévalorisé les bons (les forts) en tant que méchants, et valorisé les mauvais (les faibles) en tant que bons, moraux. Développée principalement dans la GM, elle est déjà évoquée en certaines occasions dans Par-delà bien et mal. Cette inversion aurait eu lieu lors de l'avènement de la période morale. En particulier avec le christianisme, d'ailleurs << platonisme pour le peuple >> :
Jamais et nulle part encore, jusqu'à présent, il ne s'est trouvé d'audace aussi grande dans le retournement, de chose aussi terrible, riche en questions et problématique que cette formule [de "Dieu mis en croix"] : elle promettait un renversement de toutes les valeurs antiques.
Ainsi, l'œuvre du nouveau philosophe de réorienter l'élan, la force (le mot de réorientation est de moi – j'interprète), pourrait être une œuvre de réinversion des valeurs. Ils pourront ainsi faire usage de la religion – c'est le propos du paragraphe 61, qui introduit le projet d'élevage et d'éducation de l'humanité, en bref le projet politique nietzschéen. La religion instruit (par une éducation pratique) les dominés pour qu'ils puissent un jour dominer, mène les dominants à faire << l'épreuve des sentiments du grand dépassement de soi, du silence et de la solitude >>, et enfin elle amène les être ordinaires < qui n'existent que pour servir et pour l'utilité générale et n'ont le droit d'exister que dans cette mesure >> à accepter leur sort et les console, les maintient dans l'humilité et la pauvreté. On pourrait penser au sujet de ces derniers qu'il n'y a pas tant de différence avec ce que fait déjà la religion, le rabaissement méprisant en plus sans doute : mais précisément, quand les nouveaux philosophes dominent, les ordinaires, humbles et pauvres, ont conscience de leur rang de dominés – alors qu'avec la religion, au moins celle chrétienne, ce sont de tels êtres qui à la fois dominent ou sont dominés, ou même qui dominent et sont dominés tous à la fois (tous égaux devant Dieu), bien qu'il y ait chez eux, quand ils vivent entièrement leur christianisme, une épreuve capable de les renforcer (et faire d'eux des Pascal), et l'élan dont nous avons parlé.

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bien - Nietzsche, Par-delà bien et mal, I-III Empty Re: Nietzsche, Par-delà bien et mal, I-III

Message par Rêveur Dim 21 Aoû 2016 - 17:33

Nietzsche prophète
  C'est un projet politique que propose N. ; mais plutôt que ce qui doit être, il correspond à ce qui sera. N. n'a sans doute pas de désir qu'il se produise le plus tôt possible, il se produira de toute façon dans un temps futur, celui des nouveaux philosophes. À plusieurs reprises, N. déclare qu'il prévoit ce futur ; il écrit ainsi qu'il << voit se lever de tels philosophes nouveaux >> (I §2), ou qu'<< Une nouvelle espèce de philosophes est en train de se lever >> (II §42). Il va de soi que dans ces annonces, il n'emploie jamais le conditionnel, mais toujours l'indicatif.
  Et c'est ainsi qu'il faut prendre N., en particulier quand on veut le critiquer : avant tout comme un prophète qui prévoit notre temps, qui parle de notre époque. Il s'agit ainsi d'abord de ne pas s'arrêter à une lecture facile (à la fois de N. et de notre temps) et de croire reconnaître au moindre signe de violence ou d'apparente force (et plus encore d'apparente reconnaissance de la force et du rapport de force) le nietzschéisme. N. a beau être dur avec le christianisme, il l'est plus encore avec les idées modernes ; il a beau conspuer le stoïcisme et l'anéantissement aveugle de toutes passions (l'apathie), il y reconnaît, nous l'avons vu, un signe de force, quoique peut-être mal dirigée, et sans doute mépriserait-il l'assouvissement tranquille et confortable de toutes nos passions et jusqu'aux plus médiocres, sans aucune épreuve, sans rien d'autre qu'une jouissance facile, et qui en définitive ne laisse transparaître aucune force, voire laisse transparaître une faiblesse, celle du laisser-aller.
  On peut facilement reconnaître dans notre temps des signes de ce que N. annonçait ; en particulier, le dernier homme (Z.) de N. est extrêmement actuel24, sa figure ne laisse de se décliner aujourd'hui de nombreuses façons, entre autre celles qu'annonçaient Aldous Huxley25, Georges Orwell et Ray Bradbury (entre autre) à leur tour – les XIXe et XXe siècles sont à la fois des siècles de "fin de l'histoire" et de prévisions ou prédictions du futur, que ce soit chez les dialectiques hégélienne et marxiste, chez N. donc ou Orwell ou Huxley, ou dans l'imaginaire avec les mythes de la fin du monde (à travers le calendrier maïa par exemple), etc. Autrement dit, N. fait partie des lectures du futur, des clefs pour comprendre celui-ci, à condition de ne pas le surestimer (N. n'aimerait d'ailleurs sans doute pas qu'on le suive) ; la perspective nietzschéenne n'est-elle pas une perspective, à lire avec d'autre pour s'en forger une d'autant plus étendue et perçante qu'on aura intégré de perspectives diverses ?
  Néanmoins, s'il fallait trouver un exemple de mouvement nietzschéen contemporain, on pourrait songer au transhumanisme, qui pourrait sembler se rapprocher du surhumanisme nietzschéen. Ainsi, le transhumanisme vise à améliorer l'espèce homme, à renforcer les hommes, les rendre supérieurs, meilleurs au sens nietzschéen. Mais ne serait-ce pas caricaturer le projet nietzschéen, et ce qu'il appelle la force ? La force selon Nietzsche n'est pas (au moins pas seulement) la force physique, et si la volonté de puissance est une volonté d'exprimer son pouvoir et ses capacités, néanmoins, le transhumain à qui tout est accessible, qui n'a plus aucun effort à accomplir mais à qui tout obéit par un claquement de doigt, ne fait plus rien lui-même, et n'exprime plus vraiment sa propre force. Ajoutons-y que le transhumanisme, s'il pourrait d'abord concerner essentiellement les riches (qui ne se recoupent pas avec les forts, de sorte que ce ne sont pas nécessairement ceux qui "le méritent" qui auraient accès aux technologies transhumanistes), il a pour vocation de s'étendre à toute l'humanité, en commençant par ceux qui ont un corps faible et en veulent un comme les autres, jusqu'à ce que plus aucun ne puisse véritablement se distinguer des autres par son corps (ils seraient tous différents selon les fantaisies de chacun, mais aussi tous "normaux", de valeur égale), de sorte qu'il s'agit, pourrait dire N., d'un mouvement aux velléités démocratiques. Sans donc renier absolument toute manipulation transhumaniste, il est probable que N. n'aurait pas supporté le transhumanisme en soi, pensé en tant que mouvement global. Mais le nietzschéisme est multiple et permet toutes les interprétations et réappropriations, et beaucoup de nietzschéens sont sans doute capables de défendre le transhumanisme, sinon au nom du nietzschéisme en soi, du moins au nom d'un nietzschéisme. Ma propre lecture, d'ailleurs, n'est qu'une lecture.26
Quelle est la valeur du nietzschéisme ?
  À ces considérations, nous pourrions ajouter celle-ci : que, dans sa rigueur, la pensée de N. admet la critique voire la réfutation, se sait thèse (N. emploie le terme pour parler de sa "thèse" de la volonté de puissance), se sait perspective particulière, et ne se veut pas universelle (nous l'avons déjà vu). Autrement dit, des adversaires de N., en particulier ceux que N. récuse, les chrétiens, stoïciens et démocrates en particulier, peuvent répondre à N. à sa manière, et prétendre que la vraie force est celle stoïcienne, par exemple, en le justifiant par force railleries, emphases et envolées lyriques. Ce qui n'est pas pour réfuter le nietzschéisme, mais pour noter qu'il pourrait être attaqué d'une telle manière.
  En somme donc, on pourrait dire que N. essaie de nous séduire avec une certaine perspective, une certaine conception de la force, et qu'en exprimant sa pensée c'est comme sa force qu'il exprime (sa maîtrise de la langue, sa puissance lyrique, sont encore de la force).
Des personnages nietzschéens ?
  Pour trouver des personnages nietzschéens, on peut songer aux superhéros qui pourraient sembler être des surhommes. Sans que ce soit nécessairement naïf et loin du compte, rappelons-nous que la force nietzschéenne est subtile et ne consiste pas nécessairement à battre tout le monde en duel ; outre que le surhomme dépasse la morale et que ce n'est pas parce qu'un superhéros agit au nom du bien qu'il agit "bien" au sens nietzschéen (je veux dire celui le bon qui s'oppose au mauvais), et ce peut même être le contraire. Sans doute donc, faut-il chercher éventuellement aux "superméchants", ou même, peut-être plus intéressant, aux "anti-héros", qui agissent selon une conception propre du bien, et changent le monde, par des moyens et en vue d'une fin difficile à juger, généralement entre bien et mal (quoique, certes, pas nécessairement par-delà pour autant). Nous citerons pour exemple L et Light Yagami du manga Death Note, et Lelouch-Zero du manga-anime (nous nous baserons sur l'anime) Lelouch of the rebellion, à quoi nous ajouterons (parce qu'ils n'ont pas le profil typique d'anti-héros, dont on est généralement censé avoir le point de vue – interne) les personnages de Charles zi Britannia, du même Lelouch of the rebellion, et de Petyr Baelish, de la série Game of thrones (nous nous baserons, encore une fois, sur celle-ci, plutôt que sur le livre).


Dernière édition par Rêveur le Dim 21 Aoû 2016 - 18:23, édité 1 fois

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bien - Nietzsche, Par-delà bien et mal, I-III Empty Re: Nietzsche, Par-delà bien et mal, I-III

Message par Rêveur Dim 21 Aoû 2016 - 17:59

Death Note

bien - Nietzsche, Par-delà bien et mal, I-III Death-Note-3-death-note-22604451-1280-800
droite, L, à gauche, Light Yagami alias Kira)


  Parlons d'abord de Death Note. Le héros, ou antihéros, de ce manga, est un lycéen nommé Light Yagami qui découvre un carnet capable de tuer n'importe quel humain dont on écrit le nom avec le visage à l'esprit. Light décide de s'en servir pour changer le monde en tuant tous les criminels, ainsi que les enquêteurs (c'est surtout cela qui en fait un anti-héros - mais aussi qui donne du piment à l'histoire) qui le gênent dans ce projet. Si l'on pourrait le dire encore prisonnier des oppositions de valeurs, de la morale, il n'en demeure pas moins qu'il met au point un vaste projet, dont la fin est pour lui de rendre manifeste l'existence d'un justicier qui châtie les criminels, que la rumeur ne tardera pas à baptiser "Kira", et devenir le "dieu du nouveau monde" ; et pour cela, il use de son intelligence, et fait ainsi preuve de force sous de nombreux aspects : force physique (cf la partie de tennis du volume 3), force mentale (il ne laisse rien transparaître de ses émotions et tue discrètement sans avoir l'air perturbé par cela), et donc force intellectuelle (il termine premier national à un examen et se montre particulièrement rusé dans son duel intellectuel avec son rival L). Ce dernier par ailleurs a encore un profil de fort, et d'anti-héros (on adopte régulièrement aussi son propre point de vue), agissant également dans le secret, même dans l'ombre, d'abord sans se révéler (ni son nom ni son visage) aux autres, interagissant avec Interpol puis la police à distance via des ordinateurs et un intermédiaire tout aussi secret nommé Watari), se montrant tout aussi fort physiquement (il est l'adversaire de Light lors de la partie de tennis), psychologiquement, mentalement, intellectuellement... En parlant de psychologie, et pour continuer à rapprocher leur figure de celle de N. ou du fort nietzschéen ou du moins de sa pensée, Light et L se montrent fins psychologues, déduisant régulièrement les intentions, souvent dissimulées, des autres personnages ; et Light, par ailleurs, exprime souvent ce qu'il considère être le point de vue caché de la plupart des humains, en particulier leur adhésion non avouée à la cause de Kira, ainsi dans le volume 1 :

Regarde, Ryûk [un dieu de la mort], il y a même un site internet qui a été créé. Kira... Apparemment, ça viendrait de l'anglais, Killer, dans sa prononciation japonaise, et ça ne me plaît pas trop, mais je suis devenu mondialement connu sous ce nom Kira. En faisant une recherche avec le mot Kira, on obtient un nombre incroyable de pages. Dans la presse et à la télévision, pour l'instant, on ne parle que d'une succession de morts mystérieuses de criminels. Mais tous les gens de la terre ont déjà perçu ce qui se passe : il y a quelqu'un qui applique la sentence de la justice. Voilà comment sont les hommes, Ryûk. À l'école, dans la salle de classe... "Peut-on tuer quelqu'un qui est mauvais ?" est un sujet qui ne sera jamais posé... Mais supposons que ce soit le cas. Il est évident que tout le monde va jouer les gentils enfants et dire : "Non, ce n'est pas bien." Et bien sûr, c'est la réponse exacte. En public, l'homme sait qu'il a une attitude de façade à avoir. Mais ce qu'il pense vraiment est là. Par peur, devant tout le monde, personne n'admettra son existence, mais... Sur internet, où l'on ignore qui écrit quoi, Kira se propage. Personne ne le dit, mais tout le monde y pense : quelqu'un est en train d'éliminer toutes les mauvaises personnes. Et ceux qui n'ont rien à se reprocher crient au fond d'eux-mêmes "Vas-y, Kira !". Quant aux autres, ils tremblent à l'idée que le châtiment ne s'abatte sur eux aussi. Pfff... C'est parfait. Tout se passe exactement comme je l'avais prévu.

Light Yagami, parlant en tant qu'enquêteur - cachant le fait qu'il est Kira -, dans le volume 9, 'page' 75 : 'Reconnaissable'. L'idée de vérité qui s'affirme en vainquant les autres et qui ne devient 'la vérité' qu'après avoir dominé toutes vérité fait écho avec la penséee de N. L'idée de sacrifice dénote certes en revanche, mais il ne s'agissait que ça collât parfaitement, seulement que la figure du personnage se rapprochât de la figure du fort nietzschéen. a écrit:Je pense que Kira sait...qu'il fait le mal. Mais il est prêt à se sacrifier pour changer le monde. C'est ça, la vraie justice qu'il a choisie. Je pense que c'est ainsi que raisonne Kira. Il ne nous appartient pas de discuter pour savoir si Kira représente le bien ou le mal. Nous devons laisser cette tâche à l'opinion et aux penseurs. Nous, nous devons uniquement nous occuper de sa capture. Si le monde retombe dans le chaos une fois que nous aurons arrêté Kira, ce n'est pas notre problème. La justice... Le mal... La façon dont on pense dépendra des résultats. Si Kira se fait arrêter, il sera le mal. Si Kira gouverne le monde, il sera la justice.


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bien - Nietzsche, Par-delà bien et mal, I-III Empty Re: Nietzsche, Par-delà bien et mal, I-III

Message par Rêveur Dim 21 Aoû 2016 - 18:10

Code Geass

bien - Nietzsche, Par-delà bien et mal, I-III Latest?cb=20100627164903&path-prefix=es
(Lelouch , sous son masque – et son identité – de Zero)                                                    
  Lelouch alias Zero est d'un profil très semblable à celui de Light Yagami (leur Epic Pixel Battle a d'ailleurs déjà été demandé, et j'avoue que j'aimerais bien le regarder). Comme lui, il se retrouve doté d'un pouvoir – le Geass, lui permettant de manipuler quiconque en le regardant et en lui donnant un ordre. Il décide de s'en servir pour changer le monde, cette fois en débarrassant le Japon puis le reste du joug britannien, ou plus précisément du joug de l'Empereur britannien, Charles zi Britannia, son propre père, qui met en pratique une politique impérialiste, de terreur et de domination, étendant son Empire britannien sur le monde entier, divisé en sections, dont la section onze, le Japon - renommée Area 11, ses habitants devenant les Elevens. Il créera dans les premiers épisodes (de la première saison) l'Ordre des Chevaliers noirs, voué à la défense de la justice. Il le présente ainsi dans l'épisode 8, à l'issue d'une libération d'otages détenus par des terroristes nationalistes japonais, le Front de Libération Japonais :

Britanniens, inutile de vous inquiéter. Tous les otages détenus dans l'hôtel ont été sauvés. Je vous les renvoie. Tout le monde ! Craignez-nous, ou joignez-vous à nous ! Nous sommes...l'Ordre des Chevaliers Noirs ! Nous, l'Ordre des Chevaliers Noirs sommes les alliés de ceux qui n'ont pas d'armes ! Que ce soient des Elevens ou des Britanniens. Le Front de Libération Japonais a utilisé des tactiques sournoises, prenant des civils en otage, et les tuant de sang froid. C'était une action inutile. Nous les avons donc punis. Clovis, l'ancien Vice-Roi, était pareil. Il a massacré des Elevens désarmés. Je ne peux pas supporter de voir des actes cruels, et je l'ai donc puni. Je ne souhaite pas me battre. Mais les agissements des forts tuant aveuglément les faibles... C'est impardonnables ! Seuls ceux qui sont préparés à mourir peuvent tuer ! Quand les forts attaqueront les faibles à nouveau, nous reviendrons. Peu importe la puissance de l'ennemi ! Que les forts...nous craignent ! Que les faibles...viennent à nous ! Nous, l'Ordre des Chevaliers Noirs, jugerons le monde !
  La défense des faibles n'est pas absolument incompatible avec une figure nietzschéenne, au moins quand elle est réalisée par un fort, par un homme tel que Napoléon, que Nietzsche acclamait, par exemple (je ne dis pas que Napoléon défendait les faibles, et même il défend les forts quand il met en place des mesures vouées à récompenser le mérite, comme la Légion d'honneur ; mais il a pu en même temps défendre le peuple, les pauvres). En outre, Zero-Lelouch, tout comme Light Yagami, n'en éprouve un certain mépris pour la masse, pour les hommes médiocres qu'il côtoie, se sachant supérieur.
 
  Face à Zero-Lelouch se dresse son père l'Empereur de Britannia, qu'on peut encore plus rapprocher de Nietzsche ou du nouveau philosophe (en tout cas d'une figure nietzschéenne). Ainsi, il mène une politique impérialiste qu'il justifie par une glorification de la force. Les hommes sont inégaux, pour Charles zi Britannia, et cette inégalité est un bienfait, parce qu'elle permet d'évoluer et de devenir toujours supérieur. Mais nous ferions mieux de simplement lire deux discours qu'il prononce durant l'anime (le premier durant l'épisode durant l'épisode de la première saison, le second durant la seconde saison - je ne sais pas dans quel épisode) :

(Charles zi Britannia déclamant le discours ci-dessous. Le portrait derrière lui est celui du Prince Clovis, pour lequel il est censé donner "un mot de condoléance" – ça n'y ressemble pas)

Les gens...ne sont pas égaux. Ceux qui naissent rapides... Ceux qui naissent beaux... Ceux dont les parents sont pauvres... Ceux dont le corps est faible... Par la naissance, par la croissance et les capacités, tous les humains...sont différents ! C'est cela, les gens naissent pour être différents ! C'est pourquoi les gens se battent et rivalisent entre eux ! C'est de là que vient l'évolution. L'inégalité n'est pas un mal. L'égalité, elle, l'est. Qu'est-il advenu de l'UE dont les politiques étaient égalitaires ? Ils sont devenus les simples spectateurs d'un gouvernement dirigé par la pègre ! La Fédération Chinoise, qui rendit ses citoyens égaux, n'est que négligence. Mais nous, Britanniens, sommes différents ! Nous nous battons, nous rivalisons, et nous continuons d'évoluer ! Britannia seule va de l'avant, vers le futur ! La mort de mon fils Clovis est la preuve que Britannia continue d'évoluer. Nous devons nous battre ! Rivaliser, prendre, posséder, contrôler ! Là se trouve le futur ! All hail Britannia ! (répété et acclamé par la foule)
Discours prononcé dans la saison suivante :

Le monde est plein de mensonges. "Tu ne dois pas tuer", "Tu ne dois pas voler", "Tu ne dois pas apporter de faux témoignage", "Tu ne dois pas commettre l'adultère." : ce sont tous des mensonges, des duperies. "Je ne veux pas être tué.", "Je ne veux pas être victime de
vol." : voici pourquoi on utilise ces mensonges comme la justice et la morale pour protéger sa faible nature.
La vérité originelle est la survie du plus adapté. Il faut tout dévorer, fussent d'autres humains, la richesse, le pouvoir, ou le monde lui-même ! Britannia détruira ces mensonges du monde et mettra la vérité en avant !
All hail Britannia ! (répété et acclamé par la foule)
  On relèvera l'accent darwiniste (particulièrement à travers le lexique typiquement évolutionniste : "évolution", "inégalité", "adapté", etc. Cette référence est explicitement donnée, par exemple à travers le nom donné à un district hébergeant la majorité de la famille impériale : "Saint Darwin Street" - on peut y voir un jeu de mots avec la demeure du Premier ministre du Royaume-Uni, le 10 Downing Street. Et d'après le wiki de Code Geass, de fait, la théorie de Darwin a bien été institutionnellement adoptée - ou son adaptation sociale : le social darwinisme. Notons par ailleurs que le prénom de l'Empereur, Charles, renvoie à celui du scientifique.
  Mais notons que si c'était véritablement arrivé, Charles Darwin se serait retourné dans sa tombe. Il pensait ainsi que l'altruisme distinguait l'homme des autres animaux, et refusait qu'on appliquât sa pensée naturaliste à la politique – et il défendait les politiques égalitaires, que Charles zi Britannia dénonce.

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bien - Nietzsche, Par-delà bien et mal, I-III Empty Re: Nietzsche, Par-delà bien et mal, I-III

Message par Rêveur Dim 21 Aoû 2016 - 18:22

Lord "Baelizsche"
bien - Nietzsche, Par-delà bien et mal, I-III 7-9290bien - Nietzsche, Par-delà bien et mal, I-III Foto_original_do_b_w_de_friedrich_nietzsche_cartao_postal-ref8e0307b0f8489baf9aa15b6c31cc44_vgbaq_8byvr_324

(la ressemblance n'est-elle pas frappante ?)
  Le personnage de Petyr Baelish, ou, pourrait-on dire, de Petyr Baeliezsche, serait long à traiter. Évoquons seulement certains aspects de lui.
  Lord Baelish est un personnage orgueilleux et avaricieux qui << veut tout >>. Bien que né d'une famille relativement modeste (par rapport à ceux qu'il veut dépasser), il acquiert progressivement de l'importance et de l'influence, notamment à travers ses réseaux d'espions, car selon lui, il est une vérité que trop ont oubliée : << Knowledge is power >> (au début de la saison 2). À plusieurs reprises, il déclare à Sansa Stark qu'il regrette qu'on ne vive pas dans un monde d'amour, mais sachant l'ingénuité du personnage de Sansa, que Baelish n'ignore pas, on peut parier qu'il ment (d'autant qu'il prévient de ne pas se fier à lui dès le début). Par ailleurs, la leçon importante, quand il dit cela, c'est que "Nous ne vivons pas dans un tel monde". Il voit ainsi le monde tel qu'il est, comme une suite de tromperies, voyant en chaque habitant de Port-Réal (la capitale de Westeros le continent où se déroule l'essentiel de l'histoire) un menteur. Dans la même veine, il rétorque, à Lord Varys qui dit avoir agi pour le bien du royaume, que le royaume, qu'est-ce sinon les mille épées prises des mains de ses ennemis par Aegon, fondateur du royaume s'il en est, qui forment le trône de fer, mais qui ne sont en vérité pas mille : autrement dit, c'est << une histoire qu'on se raconte l'un à l'autre encore et encore, avant de se souvenir que c'est un mensonge (on reconnaît là N. dévoilant les mensonges par lesquels on vit) ; et quand Varys lui demande ce qu'il reste quand on abandonne le mensonge, sinon le chaos, le gouffre (Varys n'a de cesse, dans la série, de rechercher la paix, et en fait son credo), il répond :
Chaos isn't a pit. Chaos is a ladder. Many who try to climb it fail and never get to try again. The fall breaks them. And some, are given a chance to climb. They refuse, they cling to the realm or the gods or love. Illusions. Only the ladder is real. The climb is all there is.
  Cette citation dévoile une vision du monde singulièrement proche de celle de Nietzsche et sa thèse de la volonté de puissance.
  On la trouve ici :


Dernière édition par Rêveur le Dim 21 Aoû 2016 - 18:38, édité 2 fois

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Message par Rêveur Dim 21 Aoû 2016 - 18:25

Notes
0 : L'édition utilisée est celle de GF Flammarion, avec la traduction (et la présentation qui a aidé pour l'introduction) de Patrick Wotling.
1 : À partir de maintenant, l'initiale Z. désignera Ainsi parlait Zarathoustra ; elle ne sera toutefois pas utilisée quand le nom est cité. Par ailleurs, N. désignera Friedrich Nietzsche, et GM la Généalogie de la morale.
2 : cf par exemple : §7, §
3 : En italien dans le texte. Pour indiquer l'emploi d'une autre langue, le mot sera laissé dans celle-ci, sauf si c'est du français, auquel cas il sera suivi d'une astérisque, comme dans la suite de la citation.
4 : On peut difficilement renvoyer à des exemples, l'ouvrage entier étant écrit de cette manière. De toute façon, les nombreuses citations qui ont été faites l'illustreront.
5 : Le meilleur exemple en est sa critique de Kant et de sa faculté de faire des jugements synthétiques a priori, où il fait se demander Kant comment il peut y avoir des jugements synthétiques a priori, à quoi il lui fait répondre que c'est "par la faculté d'une faculté", "par la faculté de" étant une expression similaire en allemand à "grâce à" ; s'il fallait traduire le jeu de mots, il faudrait lui faire dire : "par la vertu d'une vertu", entendant "vertu" en son sens originel de "puissance".
6 : C'est ainsi qu'en allemand, il n'existe pas de plus long mot, car on peut en créer un aussi long qu'on veut. Un exemple qu'il m'a été donné d'entendre, était "La casquette du capitaine qui a navigué sur un bateau etc.", tout ceci se traduisant en un seul mot.
7 : cf en particulier III §58. Ce sera étudié particulièrement dans "L'incroyance et la religiosité".
8 : Sur l'épreuve, voir la partie dédiée.
9 : "de omnibus dubitandum" : "Il faut douter de tout" (expression alors d'actualité – dans sa version latine – puisqu'elle figure chez Marx et Kierkegaard – c'est même le titre d'un livre de ce dernier).
10 : Le titre en effet est d'abord allemand : Jenseits von Gut und Böse, et Gut et Böse (bien et mal) y sont au nominatif, et non au datif qu'attend von, ce qui signifie qu'ils sont traités en tant qu'adverbes et non que noms (donc ne se déclinent pas). Je m'appuie sur l'édition par Gallimard des Œuvres Complètes, dont j'ai lu par hasard ce passage.
11 : Sur la solitude et sur le dépassement de la morale, voir la partie sur la solitude (et la subversion).
12 : Cela rappelle une citation du Chat de Philippe Geluck, de son premier album : << Je n'aime pas que les autres partagent mon opinion. J'ai l'impression de n'avoir qu'une demi-opinion. >>
13 : Jérémy "Malcolm S. Cooper" Stoerckler, qui a accepté que je cite un article, "Nietzsche, anti-véritaire ?" de son blog hackingsociopolitique.blogspot.com.
Ajoutons que nous pouvons appuyer cette analyse en particulier sur le paragraphe 39 :
Quelque chose pourrait être vrai : tout en étant nocif et dangereux au suprême degré ; et il se pourrait même que l'existence ait cette propriété fondamentale de faire périr quiconque la connaîtrait complètement, – de sorte que la force d'un esprit se mesurerait à la quantité précise de "vérité" qu'il parviendrait à supporter, plus clairement au degré auquel il aurait besoin de la diluer, de la voiler, de l'adoucir, de l'émousser, de la falsifier.
14 : Peut-être en partie pour cela, mais surtout pour des raisons que nous verrons plus tard, dans la partie sur l'épreuve, N. ramène la volonté de vérité à une volonté de non-vérité.
15 : Nous verrons cela en particulier dans la partie sur l'épreuve.
16 : Xénocrate, d'après Timocrate, et Polémon, d'après Diogène Laërce
17 : cf en particulier V (traduction par Liou Kia-hway, édition folio sagesses) :

L'univers n'a point d'affections humaines ;
toutes les choses lui sont comme chien de paille.
Le saint n'a point d'affections humaines ;
le peuple lui est comme chien de paille.
  Dans le Tao-Tei King, l'homme sera invité à agir par le non-agir.
Lire aussi ce passage (XVI) :

Atteins à la suprême vacuité
et maintiens-toi en quiétude.
Devant l'agitation fourmillante des êtres,
ne contemple que leur retour.
18 : Contempler, et contempler avec désintéressement, sans plus vouloir, c'est néanmoins encore, selon Schopenhauer, contempler les effets de la volonté, comme quand on contemple une œuvre architecturale, fruit de la guerre entre la pesanteur et la résistance.
19 : Il suffit pour s'en rendre compte (je veux dire pour voir dans quelle mesure on l'observe) de lire n'importe quelle discussion. On pourra cependant s'intéresser particulièrement à celles qui parlent du sujet, comme Rituel introductif (Liberté Philo) ; De l'incontournable dispute ; Anonymat et interaction (Forum de philosophie) ; Est-il impoli d'affirmer une vérité ? ; Comment bien discuter ? ; Quelle est la raison de notre présence ici ? (Digression). En passant, je recommande par ailleurs la discussion Nietzsche, la volonté de puissance, sur Digression.
20 : cf II §44 :
Ce à quoi ils aimeraient tendre de toutes leurs forces, c'est la généralisation du bonheur du troupeau dans sa verte prairie, avec pour tout le monde sécurité, absence de danger, bien-être, allègement de la vie ; les deux chansonnettes et doctrines qu'ils entonnent le plus généreusement s'appellent "égalité des droits" et "compassion pour tout ce qui souffre", – et ils tiennent la souffrance elle-même pour quelque chose qu'il faut abolir.
C'est le profil du dernier homme qui est ici dressé.
21 : Encore une fois, cela rappelle le Tao-Tö King :

Produire et faire croître,
produire sans s'approprier,
agir sans rien attendre,
guider sans contraindre,
c'est la vertu suprême. (X)
22 : "Arriva un âne, beau et bien costaud"
23 : cf §2 : << Peut-être ! – Mais qui est disposé à se soucier de tels dangereux peut-être ! >>, §4 << Reconnaître la non-vérité pour condition de vie : c'est là à coup sûr une manière dangereuse de résister aux sentiments de valeur habituels ; et cela suffit pour qu'une philosophie qui s'y risque se place d'emblée par-delà bien et mal >>, §23, §29, §30, §44.
24 : Le rejet de la souffrance, la recherche d'un bonheur du troupeau, la lâcheté, la croyance au progrès et au statut de privilégiés de l'histoire, se retrouve aisément chez nos contemporains (en passant, et pour sortir du cadre nietzschéen, ce n'est pas à dire que notre époque soit fondamentalement mauvaise : en ayant ses défauts, elle s'en épargne d'autres, par exemple une témérité allant jusqu'au désir de guerre ou de violence – l'extrémisme arrive sans doute en réaction : il représente sans doute l'exception)
25 : D'après le Meilleur des mondes, Brave New World (Temps futurs, ou Ape and essence, est plus obscur, et je ne saurais en traiter). Voici un florilège de faits sur le Meilleur des mondes, dressant son profil ainsi que celui du dernier homme, pardon, je veux dire, de l'habitant du Meilleur des mondes : Ils répètent que "tout le monde est heureux à présent", substituent à la procréation naturelle et à la famille une incubation artificielle dans un centre dédié (où commence l'histoire), où les cellules-œufs sont clonées (bokanovskifées) ; éduquent les enfants par conditionnement "non rationnel" selon les besoins sociaux (en particulier pour les faire consommer le plus possible) ;
stérilisent absolument leur environnement (les femmes prennent chaque jour un Succédané de Grossesse dans une sorte de gymnastique) ; font faire aux individus des jeux érotiques dès le plus jeune âge (sept ans voire moins) ; prohibent la fidélité (qu'ils n'appellent plus ainsi), considérant comme une question de santé publique qu'on n'ait pas de relation exclusive avec une femme ou un homme ; ne respectent aucune religion mais considèrent Ford presque comme une divinité (dans de nombreux noms, expressions, monuments, on remplace "Dieu" ou un autre nom par "Ford" - ainsi pour les dates qui sont avant ou après Notre Ford, NF, pour le Big Ben qui s'appelle Big Ford, ou pour "Oh ! mon Dieu !", "Au nom de Dieu !", etc. qui devient "Oh ! Ford !", "Au nom de Ford !" Etc.
26 : Quoiqu'il en soit, sur le sujet, on pourra lire la courte discussion "Nietzsche et le transhumanisme", sur le forum Liberté Philo.

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Message par Rêveur Dim 21 Aoû 2016 - 18:31

À venir (attention, je ne me promets rien, ou rien ne viendra - je me connais...) :
 - Interventions en prose nietzschéenne de plusieurs personnages critiqués par Nietzsche et qui répondent, ou même qui répondent sans que Nietzsche se soit adressé à eux (à l'origine, c'était pour les héberger que j'avais écrit "Quelle est la valeur du nietzschéisme ?" - qui constituait une introduction - avant de prendre conscience de l'impossibilité de le réaliser au vu du temps qu'il me restait. Enfin, c'était un temps négatif. J'étais beaucoup trop en retard, quoi.
 - Éclaircissements sur certains passages, corrections, nouvelles formulations etc.
 - Nouvelles parties où je traiterais des sections suivantes de Par-delà bien et mal, voire d'autres œuvres ?
 
 - Commentaires, critiques, etc.
 - Une discussion avec vous. bien - Nietzsche, Par-delà bien et mal, I-III 2101236583 pc

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Message par Botulia Jeu 24 Mai 2018 - 20:44

C'est marrant vous commencez en compilateur, vous analysez et vous concluez peu, mais cela m'a rappelé quelqu'un qui me parlait pendant une heure et après je suis devenu complètement fou. C'est ce que j'ai vu au milieu de ce que vous disiez, une disruption de la continuité de la raison quand on vous lit (volontaire).

Pourquoi Nietzsche ? Parce qu'il prêche la vie et la révolte. Alors que vous préférez l'inertie et la domination. Au fond c'est amusant la vie, ce que vous faîtes de la vie, vous passez beaucoup de temps à rendre fous les gens....


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Message par Jans Mar 29 Mai 2018 - 10:43

J'ai bien du mal à comprendre comment un traducteur de métier peut enlever les articles (par-delà le bien et le mal) en français — cela donne une étrangeté (au mieux, au pire une faute de langue) qui n'existe pas en allemand, car c'est la règle en allemand de ne pas mettre les articles dans une énumération. Dans ce cas, pourquoi calquer le français sur l'allemand ? les habitudes linguistiques sont différentes. Ce que sait tout traducteur.

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