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Le mariage insolite de Marie la bretonne

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Le mariage insolite de Marie la bretonne Empty Le mariage insolite de Marie la bretonne

Message par Tenzin Dorje Sam 10 Oct 2009 - 1:03

Le mariage insolite de Marie la Bretonne est chanson qu'on m'a faite découvrir il y a quelques jours. Elle fut écrite et chantée par Tri Yann, un groupe de musique bretonne traditionnelle. Et moi, j'entends une chanson : j'entends des rimes encapsulés ou alternés, des enjambements et des rejets, des infractions au code du discours, des registres, etc.

Voici une vidéo du morceau :




1. Elle a retiré son tablier > enjambement
Pour mettre une robe de mariée.
Elle a caché ses mains dans des gants
Et ses pieds dans des souliers... blancs.
Elle s'est regardée dans le miroir > enjambement
Et s'est trouvée belle.

2. Puis elle est descendue en chantant > enjambement
En offrant ses sourires au printemps,
Aux grands arbres, aux fleurs et aux oiseaux
S'est assise près de l'étang
Se voyant et s'admirant... dans l'eau.

3. C'est lorsqu'elle voulut se relever
Qu'elle vit un jeune homme s'approcher
Il semblait sortir du fond de l'eau > enjambement
Tout mouillé, ] rejet elle l'a trouvé... beau > enjambement
Et elle a compris à son regard > enjambement
Qu'il la trouvait belle

4. Et son corps ne s'est pas défendu,
Et l'amour en elle s'est répandu,
Et la cloche a sonné au château.
C'est alors que l'inconnu > enjambement
S'est perdu, ] rejet a disparu... dans l'eau

5. Elle est remontée dans le grenier,
A rangé dans la malle d'osier,
La robe, les souliers et les gants,
A remis son tablier... blanc > enjambement
Pour préparer le repas du soir.


Cette chanson (ce récit) est historique au sens il est vraisemblable et raconté. Pourtant, au niveau de la contextualisation, déjà s'introduit un passé composé qui déroge au registre historique et se présente comme une infraction. Compte tenu du récit, ce n'est pas seulement qu'il y déroge, c'est qu'il se dérobe. Une telle infraction choque. L'Histoire (parce qu'elle demeure une Histoire) est racontée au passé simple, selon ce que Saussure qualifie de registre discursif (non-historique). Les enjeux d'un tel procédé sont, par exemple, de dénoter d'un lien fort et d'un rapport de proximité entre l'énonciateur et l'énoncé. En outre, ce procédé est inclusif au sens ou il rapproche le lecteur. Il l'invite, il l'interpelle. Il configure un horizon d'attente : le suspens est un enjeu.

"Elle a retiré son tablier", dans un registre discursif, entend qu'elle est active, elle agit contre son destin de ménagère (apparemment) ou de "femme à tablier". Tout est écrit comme si Marie la bretonne se dérobait à sa fonction, à l'éthique et aux convenances (voir bienséance). Pourtant, c'est "pour mettre une robe de mariée" qu'elle se soustrait à sa fonction (éthique) et depuis l'âge classic jusqu'au XVIIIème siècle, le mariage se présente comme le plus haut sommet et le plus grand témoignage éthique et fonctionnaire. Il appelle bienséance et convenances, il a, pour champ lexical : estime, reconnaissance, etc. Un tel champ lexical a été particulièrement bien travaillé par les salons de Précieuses (La Fayette, comtesse de Picardie, etc). Est-ce réellement paradoxal, de se dérober à l'éthique par le mariage qui est éthique ? Oui et non. Non dans la mesure où, on le verra plus tard, Le mariage insolite de Marie la bretonne est consacré : il s'inscrit dans un stade religieux et relève de la conception Précieuse de la Grâce.

3ème strophe, "Elle voulut se relever". Le passé simple est introduit dans le récit historique qui répond, enfin, à un registre historique. L'énonciateur se distancie de l'énoncé, il devient passif comme s'il ne pouvait plus rien faire pour elle. Marie elle-même est passive (passé simple), d'autant qu'elle "voulut se relever" mais ne le put pas. "Elle vit" passivement et brièvement : le jeune homme apparaît littéralement, il se présente comme une apparition. Il est peut-être celui pour qui un horizon d'attente avait été préalablement configuré par le passé simple et l'infraction de Marie à sa fonction. Il est l'apparition surprenante (surprise appartient à la passivité) mais pourtant attendue ou espérée. Ainsi l'horizon d'attente était-il plutôt un "horizon d'espérance". En effet, "il semblait", c'est-à-dire que Marie ne sait rien de lui, ce qui met la surprise (passive) en relief. En outre, "il semblait" c'est-à-dire "il lui semblait beau", c'est l'impression de la jeune fille, nous sommes comme "placés dans sa tête et dans son coeur", le récit focalise sur Marie, et cette focalisation annonce un retour de Marie à elle-même et à son pouvoir d'agir. En effet, "elle l'a trouvé beau" : à nouveau, l'usage du passé composé se profil comme une activité de la part de Marie. Après la sur-prise (passive), elle entre-prend (active) - les deux mots font partie du même champ lexical Précieux, même racine étymologique. "Elle l'a trouvé beau et elle a compris", on trouve un enjambement qui dénote de la continuité. Continuité de la participation active de Marie. En outre, elle "comprend", c'est-à-dire qu'elle n'est plus "surprise", elle comprend, c'est-à-dire qu'elle est active et non plus serf de la surprise. "Comprendre" appartient au champ lexical précieux - lui aussi - et plus précisément au vocabulaire galant. Lorsqu'on est galant, on entre-prend, on com-prend. Pourtant, la figure du destin et de la nécessité préside à nouveau dès la strophe suivante : son corps ne s'est pas défendu, elle est à nouveau serf. Le contraste surprise / entreprise, passion / estime, reconnaissance et bienséance est constamment présent dans le texte.
Quant à l'accumulation d'enjambement (presque une infraction à l'ordre du discours), elle est susceptible de bénéficier des enjeux suivants : "Il semblait sortir du fond de l'eau Tout mouillé / Elle l'a trouvé... beau Et elle a compris à son regard Qu'il la trouvait belle" c'est-à-dire qu'ils sont liés, leur relation est continue, renforcée par cette accumulation d'enjambement. Leur relation se présente comme un "bloc" solide. Leur passion est très forte.

Strophe 4, retour du registre historique (passé simple) et de la passivité dont il dénote. Marie est (sur)prise par son destin. Si l'apparition du jeune homme était inattendue et surprenante, elle était aussi, ce qu'on ne peut comprendre qu'après coup, inévitable et nécessaire. Une telle conception relève de ce qu'on appelle encore aujourd'hui "la grâce". La grâce (de l'âge classic des Précieuse) qui, comme la définissait Bergson, se présente comme la situation surprenante et pourtant inévitable et nécessaire. Qui n'a jamais dit, "notre rencontre dans ce bar, c'était un coup du destin" ?
Marie la bretonne est tellement passive (passé simple, grâce) que son corps lui est substitué "Et son corps ne s'est pas défendu" : et c'était inévitable, (et) son corps ne s'est pas défendu. "Et la cloche a sonné au chateau", c'est-à-dire que sa fonction (à laquelle elle s'était activement soustraite au début) s'impose à nouveau. Mais la cloche a sonné : elle ne sonnait pas, elle ne sonna pas. Il s'agit d'une infraction au code qui veut que les objets, quand bien même ils sont symboliques, ne sont pas actifs (pas de passé composé associé au "prédicat objectif"). Oui, la cloche est personnifiée.

"C'est alors que l'inconnu s'est perdu, ] a disparu". Entre "s'est perdu" et "a disparu", il y a ce qu'on qualifie, en littérature, de rejet. Par ce rejet, le terme "s'est perdu" est isolé de l'expression qui le succède. Il est isolé, mis en relief, mis en lumière ou bien relégué dans l'ombre. Ce rejet dénote de la séparation entre Marie et le jeune inconnu : il s'est perdu, il est isolé, il s'est perdu parce qu'isolé. La rupture dramatique est consommée. Et cette rupture ne pouvait pas ne pas avoir lieu (grâce) dans la mesure ou il était attendu que la fonction de laquelle elle s'était soustraite se réaffirme.

Quand à la structure de la versification et à la rime, elle est susceptible d'offrir une perspective globale du récit. En effet, les rimes sont alternés (AABB) mais les strophes sont imparfaites : on trouve entre 5 et 6 vers à chaque strophe.


Les ryhmes sont alternés (AABB), mais les strophes sont imparfaites : il y a généralement 5 voir 6 vers. Entre 1 et 2 vers sont intrusifs, ils font intrusion à l'alternance. Parfois sont-ils mis au ban - lorsqu'ils sont placés à la fin - qu'il se présentent toujours comme une infraction. L'alternance, pour sa part, rend compte d'une distincion : deux personnes, la jeune fille et le jeune inconnu. Mais cette alternance est dialogique.
1ère strophe, les vers-intrus se situent à la fin, hors-alternance. La relation entre Marie et l'inconnu n'a pas encore commencé. 2ème strophe, l'intrus est au milieu. Il s'imisce, s'introduit, prend part à l'Histoire. Dernière strophe, l'inconnu a disparu, le vers intrusif est à nouveau placé - comme par hasard - en-dehors de l'alternance dialogique. Il est mis à part, isolé, rejeté.


Copyright ©️ 2009, Vincent Steffen ou tous droits réservés.


Dernière édition par Adam le Sam 10 Oct 2009 - 15:38, édité 2 fois

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