Sur un fragment du Poème de Parménide

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Message par Grégor Lun 26 Juin 2023 - 15:23

« Allons, je vais te dire et tu vas entendre
Quelles sont les seules voies de recherche ouvertes à l’intelligence ;
L’une, que l’être est, que le non-être n’est pas,
Chemin de la certitude, qui accompagne la vérité ;

L’autre, que l’être n’est pas : et que le non-être est forcément,
Route où je te le dis, tu ne dois aucunement te laisser séduire. »

Εἰ δ' ἄγ' ἐγὼν ἐρέω, κόμισαι δὲ σὺ μῦθον ἀκούσας,
αἵπερ ὁδοὶ μοῦναι διζήσιός εἰσι νοῆσαι·
ἡ μὲν ὅπως ἔστιν τε καὶ ὡς οὐκ ἔστι μὴ εἶναι,
Πειθοῦς ἐστι κέλευθος - Ἀληθείῃ γὰρ ὀπηδεῖ -,

ἡ δ' ὡς οὐκ ἔστιν τε καὶ ὡς χρεών ἐστι μὴ εἶναι,
τὴν δή τοι φράζω παναπευθέα ἔμμεν ἀταρπόν·



Je voudrais livrer mon interprétation de ce fragment du poème de Parménide.
En effet « l’être est » signifie que la totalité du temps « est », d’un point de vue absolu, c’est-à-dire : passé, présent et avenir, soudés par la rigoureuse nécessité. En effet, si tout se suit avec une rigoureuse nécessité, alors il n’est pas de réelle distinction entre les événements, tout est Un. Prenons deux événement successifs : A et B. Si B suit A avec une rigoureuse nécessité, alors B est virtuellement déjà présent en A et B est toujours A. On peut écrire A=B. D’un point de vue absolu A et B sont le même. Ce n’est que pour notre entendement fini que A est distinct de B, notamment parce que nous sommes incapables de comprendre tous les événements du monde. Mais si nous étions capables de saisir le Tout et les lois du devenir, nous verrions que rien ne se perd mais que tout se conserve dans une configuration différente mais prévisible et de ce fait déjà là. Si nous nous dégagions de notre manière sensible et temporelle de voir les choses pour les contempler telles qu’elles sont en soi, absolument, alors peut-être ne verrions-nous qu’un seul temps absolu où tous les étants seraient liés et soudés. Un point de vue donc éternel.
Du point de vue de l’éternité le « non-être n’est pas ». En effet, ce que nous disons ne pas être est forcément absent, donc hors de notre présence. Mais cette absence n’est possible que d’un point de vue fini et singulier, du point de vue du tout et de l’éternité, rien ne manque et donc « le non-être n’est pas ».

Du point de vue de l’ignorant (celui qui est incapable d’envisager le point de vue de l’Absolu), « l’être n’est pas : et le non-être est forcément », ce qui signifie que si l’on renonce à envisager le Tout unifié et éternel, alors des temps peuvent s’échapper et advenir sans raison, dégagés de toute nécessité et tels qu’ils ne sont pas déjà là. Cela signifie que le réel n’est pas entièrement compréhensible, voilà pourquoi il est le chemin de l’ignorant. Si A est différent de B, que l’équation A=B est fausse, alors il n’est plus possible ni de retrouver A à partir de B, ni de prévoir B à partir de A. Ce que Hegel nomme l’Esprit, n’est plus. L’Esprit c’est justement l’instance qui fait que A devient B et non pas autre chose. Cette rigoureuse nécessité fait que du point de vue de l’Esprit absolu A=B et, pour nous, que nous pouvons comprendre comment A devient B et que à chaque fois que A sera, B adviendra : les mêmes causes provoquent les mêmes conséquences. Car il faut bien que les conséquences futures du présent ainsi que les causes passées existent quelque part (en esprit), sinon comment expliquer qu’elles se réalisent si exactement.
Le néant, ce qui n’est plus ou ce qui n’est pas encore, fait partie de ce qui est pour Parménide. L’Être englobe le néant, qui n’est pas rien mais est là, au moins virtuellement dans le présent. Or, connaître que l’être est et que le non-être n’est pas, signifie que nous sommes en droit de savoir : que le réel est compréhensible.
Voilà pourquoi une telle connaissance est le chemin de la certitude et de la vérité.

De là peuvent se décliner bien des attitudes fausses et douloureuses. Cette croisée des chemins que nous présente Parménide est aussi celle qui sépare une vie heureuse d’une triste vie. En effet, comprendre la nécessité de la vie et ne pas soupirer auprès d’autres mondes possibles est une condition nécessaire au bonheur. La tristesse est une connaissance inadéquate de la réalité. On voudrait ce qui n’est pas, comme si le non-être pouvait être, c’est-à-dire un temps qui soit hors de la nécessité éternelle de l’être. Comment être malheureux si l’on accepte le réel ? Sans compter que le fait de se lamenter entretient l’impuissance, on continue de soupirer auprès de ce qui n’est pas, au lieu d’affronter ce qui est. La tristesse qui consiste à ne pas supporter ce qui est, peut très bien créer un monde illusoire afin de pallier cette souffrance. Dans ce monde illusoire la souffrance cesse parce qu’elle est masquée par le fantasme adoré. Ce déni du réel devient un dédoublement du réel. Or, nous agissons dès lors au sein de ce monde illusoire et prenons des causes inconsistantes pour des causes véritables. Nous déployons donc notre énergie dans le vide, au lieu de suivre la voie sûre de l’être, où des causes certaines enveloppent leurs conséquences nécessaires.
Nous voyons, avec cet exemple, que la voie de l’être peut aisément être troublée par notre nature qui aime fantasmer sa vie plutôt que de suivre l’âpre sentier de la vérité et de la science.
La racine de tout mal est donc la superstition qui nous incite à considérer des causes incertaines pour des causes véritables et à déployer tous nos efforts en vain et souvent pour notre malheur, car notre nature n’est pas telle qu’elle puisse se satisfaire de projets chimériques et d’illusions éphémères. La loi de l’entropie fait qu’en tant qu’êtres organisés nous devons lutter pour notre conservation et il est bon de comprendre les caractéristiques réelles de notre nature, plutôt que les délires d’un esprit livré à l’emprise d’une foi superstitieuse.
Le monde est ou n’est pas, cela signifie qu’il est ainsi et ne peut pas être autrement.
Accepter cette dure vérité est le seul projet qui libère et rende heureux. Les deux étant complémentaires, car il n’est pas de liberté sans compréhension et la compréhension rend heureux, puisqu’elle nous permet d’agir au maximum de notre puissance.
Du moins, tel peut être le bonheur, si on l’envisage d’un point de vue purement positif.
Mais comme nous l’avons écrit assez récemment dans un autre texte, la situation de l’homme n’est pas purement celle d’un être de savoir, dénué de profondeur et qui chercherait uniquement à maximiser sa puissance d’agir, même si une telle définition (aussi radicale soit-elle) n’est pas totalement dénuée de fondement et participe grandement au bonheur. Cette profondeur du Dasein, de l’être-là, peut nous être révélée par l’expérience de l’Angoisse. Or, cette expérience n’est rien de positif, il s’agit même d’envisager sa propre fin, qui en soi n’est rien, une simple transformation de matière, mais qui pour nous est la fin de tout possible. La pensée positiviste pose à plat notre expérience et en fait un objet purement de pensée. Le monde devient ainsi entièrement compréhensible et peut être soumis à notre volonté. Or, réaliser notre volonté, agir au maximum de notre puissance, telle est notre première définition du bonheur. Mais une autre définition semble poindre, moins volontariste, qui sans être un retour aux illusions de l’ego, n’en est pas moins sensible à sa situation particulière et aux tonalités fondamentales d’un être qui n’est pas, contrairement à l’Esprit, éternel mais éphémère. Cette sensibilité à sa propre finitude nous installe dans un monde irrémédiablement perdu. Nous acceptons cette perte et ce deuil qui rendent ce monde si beau. Nous n’en faisons pas un néant, absorbé dans l’être Un et Éternel, ce qu’il est en soi mais pas pour nous. Ce que ce monde est pour nous n’est pas rien, même si du point de vue de la connaissance cela n’est rien.
Parménide avait raison et tort à la fois.
Cet « à la fois » est la marque de deux pensées parallèles, qui chacune possède sa raison d’être et qui tout en contredisant l’autre ne peut pas vraiment l’atteindre, car elles se situent sur des plans différents, l’une en soi, du point de vue de l’Absolu et de l’infini et l’autre Pour soi, du point de vu d’un être humain, fini et mortel.
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Message par neopilina Mer 28 Juin 2023 - 1:03

A minima, mais dans un cas pareil, c'est déjà l'essentiel, je peux écrire " Non-Être ", c'est donc qu'il n'est pas absolument tel, c'est autre chose.
Sinon. C'est vrai, certains philosophes (des grands, de très grands " comptables ") voient surgir, comme un diable, sous leur plume le néant ou encore le non-être (Descartes, Kant, Hegel, etc.). C'est les premiers étonnés, mais donc il ne fallait pas, c'est précisément parce que se sont de très grands philosophes, " comptables ". Pour faire système, il faut être aussi complet que possible, alors si quelque chose manque, il s'imposera quand même par défaut, le " non-être " ou le " néant ", sont des avatars d'un ou de plusieurs manques des dits systèmes. En philosophie, même une grandeur négative, est une chose, in extenso, au sens positif du terme, c'est, ça existe, etc.

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" Tout Étant produit par moi m'est donné (c'est son statut philosophique), a priori, et il est Mien (cogito, conscience de Soi, libéré du Poêle) ". " Savoir guérit, forge. Et détruit tout ce qui doit l'être ", ou, équivalents, " Tout l'Inadvertancier constitutif doit disparaître ", " Le progrès, c'est la liquidation du Sujet empirique, notoirement névrotique, par la connaissance ". " Il faut régresser et recommencer, en conscience ". Moi.
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