Un poème de Leconte de Lisle
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Un poème de Leconte de Lisle
Leconte de Lisle appartient au mouvement poétique dit parnassien, coincé au XIXème siècle entre romantiques, naturalistes et symbolistes. Le Parnasse alors, défend "l'art pour l'art" - autant que cette thèse est possible, sachant que son goût pour les exotismes passés et parallèles démontre sa soif d'inspiration hors art, quoiqu'ensuite ce soit souvent pour témoigner d'une émotion purement forte. Mais enfin, il y a - à ma connaissance - "un réalisme brutal", dans l'âme du Parnasse. Cela est manifeste dans les Poèmes barbares, de Leconte de Lisle, dont voici le dernier ou l'avant-dernier poème, Solvet Seclum :
Tu te tairas, ô voix sinistre des vivants !
Blasphèmes furieux qui roulez par les vents,
Cris d'épouvante, cris de haine, cris de rage,
Effroyables clameurs de l'éternel naufrage,
Tourments, crimes, remords, sanglots désespérés,
Esprit et chair de l'homme, un jour vous vous tairez !
Tout se taira, dieux, rois, forçats et foules viles,
Le rauque grondement des bagnes et des villes,
Les bêtes des forêts, des monts et de la mer,
Ce qui vole et bondit et rampe en cet enfer.
Tout ce qui tremble et fuit, tout ce qui tue et mange
Depuis le ver de terre écrasé dans la fange
Jusqu'à la foudre errant dans l'épaisseur des nuits !
D'un seul coup la nature interrompra ses bruits,
Et ce ne sera point, sous les cieux magnifiques,
Le bonheur reconquis des paradis antiques,
Ni l'entretien d'Adam et d'Ève sur les fleurs,
Ni le divin sommeil après tant de douleurs ;
Ce sera quand le Globe et tout ce qui l'habite,
Bloc stérile arraché de son immense orbite,
Stupide, aveugle, plein d'un dernier hurlement,
Plus lourd, plus éperdu de moment en moment,
Contre quelque univers immobile en sa force
Défoncera sa vieille et misérable écorce,
Et, laissant ruisseler, par mille trous béants,
Sa flamme intérieure avec ses océans,
Ira fertiliser de ses restes immondes
Les sillons de l'espace où fermentent les mondes.
Blasphèmes furieux qui roulez par les vents,
Cris d'épouvante, cris de haine, cris de rage,
Effroyables clameurs de l'éternel naufrage,
Tourments, crimes, remords, sanglots désespérés,
Esprit et chair de l'homme, un jour vous vous tairez !
Tout se taira, dieux, rois, forçats et foules viles,
Le rauque grondement des bagnes et des villes,
Les bêtes des forêts, des monts et de la mer,
Ce qui vole et bondit et rampe en cet enfer.
Tout ce qui tremble et fuit, tout ce qui tue et mange
Depuis le ver de terre écrasé dans la fange
Jusqu'à la foudre errant dans l'épaisseur des nuits !
D'un seul coup la nature interrompra ses bruits,
Et ce ne sera point, sous les cieux magnifiques,
Le bonheur reconquis des paradis antiques,
Ni l'entretien d'Adam et d'Ève sur les fleurs,
Ni le divin sommeil après tant de douleurs ;
Ce sera quand le Globe et tout ce qui l'habite,
Bloc stérile arraché de son immense orbite,
Stupide, aveugle, plein d'un dernier hurlement,
Plus lourd, plus éperdu de moment en moment,
Contre quelque univers immobile en sa force
Défoncera sa vieille et misérable écorce,
Et, laissant ruisseler, par mille trous béants,
Sa flamme intérieure avec ses océans,
Ira fertiliser de ses restes immondes
Les sillons de l'espace où fermentent les mondes.
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Re: Un poème de Leconte de Lisle
Ça sent l'opium.
maraud- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 2352
Date d'inscription : 04/11/2012
Re: Un poème de Leconte de Lisle
Charles-Marie Leconte de Lisle n'en fumait pas. Ce n'est pas un baudelairien buveur d'absinthe et fumeur dans les paradis artificiels par les correspondances cénesthésiques, ni un rimbaldien adepte du dérèglement de tous les sens. Il veut l'art pour l'art dans sa tour d'ivoire pas encore hermétique, comme chez Mallarmé.
Invité- Invité
Re: Un poème de Leconte de Lisle
" L'art pour l'art..." Nietzsche , dans l'un de ses moment émotionnel, en a dit:" l'art pour l'art", c'est " l'art pour rien".
Si l'on envisage l'art pour l'art, il faut dire ce qu'est l'art pour la vie ?
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La vie est belle!
maraud- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 2352
Date d'inscription : 04/11/2012
Re: Un poème de Leconte de Lisle
L'art pour l'art, c'était surtout une réaction devant tout le romantisme à la Hugo et Zola, qui faisaient de la littérature engagée par trop militante. Le problème serait le même après la Seconde Guerre mondiale entre, d'un côté, un Sartre et, de l'autre, un Mauriac. Naturellement, l'art pour l'art, ça ne veut rien dire, c'est effectivement l'art pour rien, or il n'y a d'art que pour - je ne sais pas, moi - la beauté, pour commencer, peut-être. L'émotion. Je n'en sais rien, ce n'est pas le débat, mais tu vois l'idée. En somme, la formule est creuse, mais le mouvement qui l'inventa ne l'était pas. Nous ne savons pas si Nietzsche a lu des Parnassiens, il n'en parle jamais, en dehors de la critique de leur formule extraite de tout contexte.
Sinon, qu'est-ce que l'art pour la vie à ton avis ?
Sinon, qu'est-ce que l'art pour la vie à ton avis ?
Invité- Invité
Re: Un poème de Leconte de Lisle
Destin a écrit:Sinon, qu'est-ce que l'art pour la vie à ton avis ?
L'art pour l'art peut être compris comme l'affirmation d'un mouvement, un cri de ralliement en quelque sorte. Et il est vrai que la formulation est relativement absurde, même si on peut la repêcher en indiquant que la liberté est la condition et l'étendard de l'art, et que , donc, on est en droit ,d'un point de vue artistique, de formuler quelque chose qui n'est pas tenu d'obéir au sens logique, à la sémantique... Breton ne manquera pas d'exploiter le filon pour le porter jusqu'au fait artistique " sauvage" , hors conscience.
Bon, ce n'est, en effet pas le sujet.
...............
Nietzsche pensait que l'art avait pour objet d'embellir la vie.
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La vie est belle!
maraud- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 2352
Date d'inscription : 04/11/2012
Re: Un poème de Leconte de Lisle
Oui, l'art pour l'art est un cri de ralliement c'est évident, peut-être un peu trop vite pris au mot par Nietzsche. Cela dit, au mot, elle est bêtement tautologique, CQFD. Je dirais aussi que ce cri contient une exigence artistique, qui disait en somme : "Hugo et Zola (par exemples) sont veules." La tour d'ivoire pas encore hermétique, tout ça tout ça.
Quant à embellir la vie, oui, l'art selon Nietzsche ; en fait, étant donné que toute vie est illusion pour Nietzsche - ce qui est corroboré par la science actuelle (cf. les Lois de l'attraction mentale, par la Tronche en Biais, émission de zététique sur Youtube) - (cette illusion tendrait-elle à "la vérité" non sans quelque relative réussite, dans son genre) l'art vient nous soulager de "la vérité" (mais la vérité a, chez Nietzsche, un statut très particulier, elle pourrait être mortelle). Finalement, l'art plaide pour un type de vie (celui de l'auteur), en faveur d'un type de vie (celui porté dans l’œuvre, de loin en loin). Bref : Nietzsche inaugure la psychocritique, un peu comme Freud "psychanalyserait" des œuvres d'art, diversement ...
Quant à embellir la vie, oui, l'art selon Nietzsche ; en fait, étant donné que toute vie est illusion pour Nietzsche - ce qui est corroboré par la science actuelle (cf. les Lois de l'attraction mentale, par la Tronche en Biais, émission de zététique sur Youtube) - (cette illusion tendrait-elle à "la vérité" non sans quelque relative réussite, dans son genre) l'art vient nous soulager de "la vérité" (mais la vérité a, chez Nietzsche, un statut très particulier, elle pourrait être mortelle). Finalement, l'art plaide pour un type de vie (celui de l'auteur), en faveur d'un type de vie (celui porté dans l’œuvre, de loin en loin). Bref : Nietzsche inaugure la psychocritique, un peu comme Freud "psychanalyserait" des œuvres d'art, diversement ...
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Re: Un poème de Leconte de Lisle
En fait, ce qui me plaisait dans ce poème - et, en prenant conscience à l'instant, ce poème ne me plaît plus - c'est précisément que l'auteur semble comme jeter la balle-Terre se fracasser contre un mur au loin comme on éclate un œuf, sous le coup de quelque hargne. Bref : pour impressionnant que soit ce poème, je répète que, soudain, il me déplaît, précisément à cause du type de vie qui l'anime : celui de l'auteur, hargneux ; celui du thème, morbide. Cette hargne et cette morbidité sont, au fond, mal compensées par sa tonitruance tonale.
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Re: Un poème de Leconte de Lisle
Je l'ai reçu comme l'expression d'un ado révolté, l'expression poétique d'un ado en crise. Dans le droit fil de cette posture, on trouve aujourd'hui " la tête de mort" qui se décline même en paillettes rutilantes sur la poitrine des jeunes filles mi-conformes, mi "New age"...
Sans psychologiser le truc, on peut se demander quel lien il pourrait y avoir entre l'image mentale qu'exprime ce texte et l'apparition du super héros des comics ?
Sans psychologiser le truc, on peut se demander quel lien il pourrait y avoir entre l'image mentale qu'exprime ce texte et l'apparition du super héros des comics ?
maraud- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 2352
Date d'inscription : 04/11/2012
Re: Un poème de Leconte de Lisle
Honnêtement, je trouve tes remarques excellentes : la première pour le point de vue qu'elle porte et qui fait sens chez moi, sans parler de "cette fatale poitrine", qui m'a beaucoup fait rire de justesse à sa façon ; la seconde pour sa pertinence : en effet, la déprime appelle le sauveur (un truc qu'on retrouve totalement dans une psychologie chrétienne, d'ailleurs : "moi incurable miséreux, seul le ressuscité me supportera").
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Re: Un poème de Leconte de Lisle
Je ne vois pas en quoi toute vie serait une illusion ?
Alors bien sùr, si on comprend comme non illusoire, donc réel, tout ce qui est absolu, eternel, hors du temps ....
Je dis simplement : qu'on me le montre ce non illusoire. Alors bien sûr, non. C'est impossible.Absolu , eternel : des pétitions de principe.
Alors bien sùr, si on comprend comme non illusoire, donc réel, tout ce qui est absolu, eternel, hors du temps ....
Je dis simplement : qu'on me le montre ce non illusoire. Alors bien sûr, non. C'est impossible.Absolu , eternel : des pétitions de principe.
Re: Un poème de Leconte de Lisle
Oui, l'allusion à l'illusion était justifiée, mais elle impliquait une trop grande digression s'il fallait aussi y inclure la " vérité", pour y répondre ( de laquelle Nietzsche se demandait quelle en était la dose que l'on pourrait supporter).
Nietzsche à opéré plusieurs conversions ( religieuses, philosophiques, esthétiques, politiques...), raison pour laquelle il est "toujours" plus ou moins à propos. Mais ses propres contradictions nous permettent d'affirmer, par exemple: " heureusement que la vie est illusion, car sans elle la vérité nous foudroierait instantanément"
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maraud- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 2352
Date d'inscription : 04/11/2012
Re: Un poème de Leconte de Lisle
Oui Maraud. Pour faire simple : illusion, latin in-lusio, "en-jeu", or la vie est toujours un enjeu dynamique perspectif. Serait-ce parce que tu n'as pas l'omniscience supputée à un présumé dieu total, tu es par définition illusionné. Or, ce dieu n'ayant pas besoin d'exister pour que tu n'aies pas cette science, tu es illusionné Toniov - CQFD - et il n'y a pas de quoi en faire un drame.
Invité- Invité
Re: Un poème de Leconte de Lisle
Utiliser un mème tiré du Père Noël est une ordure est soit de saison, soit mauvais signe quant à ta compréhension de ce qu'elle aurait été inattentive comme le personnage de Thierry Lhermite, de sorte à devoir y revenir. Finalement, elle pourrait être un mauvais signe de saison - bref, les deux ...
Invité- Invité
Re: Un poème de Leconte de Lisle
Il avait peut-être du goût pour les érotismes, mais ça sonne quand même assez creux : n'a pas la puissance du fond et de la forme qui veut, n'est pas Hugo qui le souhaite en passant. Si au moins la musicalité était à la hauteur.. mais non. Comparez à Verhaeren, trop peu connu, et vous sentirez le souffle passer.
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‚καλούμενός τε κἄκλητος θεὸς παρέσται'
Vocatus atque non vocatus deus aderit
Invoqué ou non, Dieu sera là.
Jans- Digressi(f/ve)
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Localisation : IdF
Date d'inscription : 27/09/2017
Re: Un poème de Leconte de Lisle
Destin a écrit:Utiliser un mème tiré du Père Noël est une ordure est soit de saison, soit mauvais signe quant à ta compréhension de ce qu'elle aurait été inattentive comme le personnage de Thierry Lhermite, de sorte à devoir y revenir. Finalement, elle pourrait être un mauvais signe de saison - bref, les deux ...
C'est une réplique que j'aime bien , tout comme la pièce de théâtre. En fait j'utilise cette réplique quand je ne suis pas vraiment convaincu par ce qu'on me dit - ou qu'on m'assène - mais que je n'ai pas le temps de répondre, pour de multiples raisons. Ici c'etait parce que je devais attaquer le boulot. Et maintenant comme j'ai sommeil je n'en dirai pas beaucoup plus et je pense que tout ça ne va pas m'empêcher de dormir. Et puis je traine une rinopharyngite depuis plus d'une semaine et je suis sous antibiotiques. Dans ces conditions, ma pensée fonctionne au ralenti...
Re: Un poème de Leconte de Lisle
C'est bien ce que j'avais cru comprendre : c'est mauvais signe, quoi.
Invité- Invité
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