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Le Clandestin des Lumières.

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Message par neopilina Sam 22 Mar 2014 - 3:47

Son père a dit : " Jamais vu un comme celui-là ". Moi non plus. Ce type allongé sur une chaise longue, sous une vaste tonnelle, caresse d'une main, affectueusement, notons, c'est rare chez lui, un de ses chiens endormis, et de l'autre sirote un verre d'une des plus excellentes limonades bien glacée, sur une plage en Enfer, au coeur de la Mer du Couchant. Et moi, malgré mes nombreuses incursions, qui m'ont tant couté, j'y transpire encore beaucoup : il faut dire qu'après lectures et relectures, dans différents ordres, des trois biographies de référence en français, j'arrive au tiers de l'oeuvre complète abordée chronologiquement ( Ca sera bien le seul, avec Platon, en tant qu'écrivains. ). Et ce soir, il m'a exténué jusqu'au vertige. Mais, ô joie, mes efforts sont récompensés, j'ai rejoins l'unité profonde du personnage, je le " vois ". J'imagine bien notre bon Ulysse hagard, accablé, éreinté, débouler.
- " Alors valeureux voyageur, ça ira !? Joins-toi donc à nous quelques moments, il me semble que tu en as grand besoin !! "
Je savais depuis longtemps que Donatien hantait cette région là de la Mer du Couchant, la pire, celle que nous nommons proprement infernale. Mais pas encore à ce point : aussi assurément, résolument. Alors qu'aucun individu n'y vient que contraint et ne rêve, éperdument, que d'en repartir le plus vite possible. On s'y trouve dans un " premier temps ", qui a duré une bonne dizaine d'années chez moi, fort malmené, c'est là qu'on reçoit les pires coups. Le sort le plus fréquent ici est la pathologie, la folie, l'échec atroce, disloquant, du moi. Le titre de Voyageur ne s'usurpe pas. Lui, il y fonce tout droit, délibérément, endure, oui, " endure ", comme Ulysse, et ici, bien mieux. Que dis-je ? Il est ici chez lui. Je ne lui connaît pas de parallèle. Sade est indispensable. Oui, plus que souvent, on vacille, le livre nous tombe des mains, il faut reprendre son souffle, faire une pause. Il savait ce qu'il faisait : imprimer, imprimer, à tout prix, que tout ne soit pas perdu, saisi, détruit, brulé. Assurer sa place : " Je suis Là, et il faudra bien un jour faire avec ". C'est à dire avec " Là ", à cause de, grâce à, on ne sait pas trop, à lui. Ainsi incroyablement disposé, conformé, il ne cesse de le constater et de le  dire, il a chevauché son Destin avec une dureté, plus que nécessaire ici, encore hors de portée de l'esprit du commun, et qui en fait pour toujours cet incroyable et si nécessaire Voyageur. Le plus insensé, en tous cas celui qui me vient à l'esprit présentement, avec lui ? Qu'il ne se soit pas trouvé complétement écrasé, laminé, détruit, fracassé, anéantit, intérieurement, par son " Destin ", qu'il n'en soit pas devenu la pantelante marionnette, qu'il ne soit pas devenu fou et/ou un criminel effréné, dont on aurait oublié le nom depuis longtemps. Mais non, lui, insistons, il est donc en mesure de le faire, il fait front, affirme qu'il va penser tout cela et tenter de faire système, ainsi conformé. Sade est dans un premier temps dans l'action, il est tout le temps d'emblée tout entier là, rien ne l'arrête, et surtout pas constitutivement, et très tôt se pose des questions, jusqu'au premier grand enfermement, 1778-1790. A partir de là, il songe à éclaircir sa place au sein du Monde, dont il faudra exploser l'Horizon, pour trouver place. Et il s'interroge : " Est-il en nous de se refaire ? ". Ca dépend, c'est plutôt rare. Il est de ceux qui en avait la capacité et qui l'a fait dans une mesure absolument significative. C'est un " incurable " délinquant, qui s'est posé le plus tôt des questions fondamentales, qui entre en prison, c'est un grand penseur, c'est à dire dans la mesure du Sujet qu'il est a priori, qui en sort, et qui a fait d'importantes " concessions ", il n'agit plus, il pense et écrit. Pas un penseur mondain, un intellectuel, mais un Explorateur déterminé, robuste. Pas de bol, on enferme un délinquant, un marginal absolu, une menace pour sa classe, son monde, c'est le penseur et l'écrivain qu'on maintient entre quatre murs, et qu'on renfermera avec le même arbitraire et pour ces raisons en 1800. Entre temps la Terreur l'enfermera, et il sentira le couperet de si près qu'il en sera décoiffé, ce qui lui fera renoncer à toute activité publique et politique. Se coltiner Sade, c'est agrandir considérablement et indispensablement, l'Horizon, les Régions connues, à ce que le Sujet a de plus infréquentable, redoutable : la Forteresse névrotique. Rien que tenter de l'approcher coute.

Allez. Surprenez-moi. Sur quelle plage de l'Odyssée, très précisément, nous trouvons-nous ?


Dernière édition par neopilina le Mer 2 Avr 2014 - 21:44, édité 1 fois

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Message par Vargas Jeu 27 Mar 2014 - 21:28

Celle où l'on arrive après avoir navigué en rejetant toute autre boussole par-dessus bord que son propre coup de dé ?

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Message par neopilina Ven 28 Mar 2014 - 1:31

Joli ! Mais non, pas de hasard " ici ", surtout pas " ici ",  Le Clandestin des Lumières. 4017359721  .

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Message par poussbois Ven 28 Mar 2014 - 2:19

Sur l'île de Circé ?

J'ai regardé, c'est l'île d'Eéa. Je ne sais pas s'il y a des plages... Wink

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Message par neopilina Sam 29 Mar 2014 - 2:36

Arrivant toujours par la Mer, on conçoit facilement qu'Ulysse et ses compagnons, puis Ulysse seul, très précisément à partir de l'épisode qui nous intéressent d'ailleurs, choisissent des plages pour débarquer.
Non, ce n'est pas chez Circé, qui quoique en dehors du monde " normal ", visible, des " hommes mangeurs de pain ", est clairement à l'écart du coeur de la Mer du Couchant, et des ses horreurs constitutives, elle met en garde Ulysse à leurs propos : l'ile centrale et les autres dangers, qui forcément devront lui couter, qui l'entourent de très près.
Il est bien question de l'ile au Coeur de la Mer du Couchant, de la névrose, du temps le plus reculé dans l'histoire du Sujet, le lieu d'une ingestion abominable, sacrilège, qui fera délirer les compagnons d'Ulysse et qui leur coutera la vie, c'est l'ile du Trident, des Vaches ou Boeufs du Soleil, Dieu qui voit tout.
Que serait l'Appétit, la Gourmandise, le Chocolat, etc, sans la Coprophagie ? L'oralité est la première forme de " Sexualité ", c'est à dire façon d'actualiser une Intention constitutive du Sujet, du " Sexe " avant le sexe, c'est a priori étonnant, mais pas si on considère que la " Sexualité " est la façon privilégiée par le Sujet pour actualiser Ses Intentions constitutives, d'où une telle jouissance lors de l'orgasme, " le Monde est achevé ", toutes les Intentions névrotiques constitutives satisfaites. C'est un bon compromis pour le Sujet, l'essentiel se fait, s'actualise, sans qu'il le sache. Le Sujet n'aime pas la " lumière ", mais sur cette ile, le Dieu voit tout. Et on sait assez que la Sexualité de l'adulte intègre synthétiquement celles qui l'ont précédé, notoirement analité et oralité, d'où, chez moi, " Sexualité " avec une majuscule et des guillemets. Le Sujet accomplit une foule d'Intentions névrotiques positives et/ou négatives concernant telle ou telle Figure de son Histoire la plus ancienne, oralement et/ou via les excréments, d'où la Situation de cette ile au Coeur et la grande proximité des autres menaces, névrotiques radicales, universelles, avec celle-ci.
De même, que serait Pénélope sans Calypso ?
Il n'y qu'une seule façon de le savoir : retrancher les secondes aux premiers.
Théoriquement, c'est seul, nu, incognito, dépouillé de Ses Fantômes qu'Ulysse revient, et donc neuf, " ecce Homo ". " Théoriquement ", en effet, Homère nous prévient que ça ne sera pas le cas : Ulysse devra accomplir la prophétie de Tirésias pour terminer Son Périple. Et, puis le massacre des prétendants, par exemple, nous montre bien, qu'ulysse n'est pas débarrassé de Son propre " Achille ", Hybris, et c'est Athéna qui met fin à celle-ci, met un terme à la violence, c'est la dernière à avoir la parole dans le chef d'oeuvre, avec l'Iliade où l'Hybris triomphe s'entend, d'Homère : " Arrêtes ! Mets un terme ... " Homère était un prodigieux Comptable, il a fait ce qu'il a pu, il le savait. Je trouve que c'est pas mal, je n'ai pas encore vu mieux, ni même aussi bien. Je me contente, modestement, de terminer le Tryptique !
Même ceux qui aiment passionnément Sade, disent tous qu'il y a trop de scènes de coprophagie, par exemple, dans " Les 120 journées de Sodome ou l'École du libertinage ", le chef d'oeuvre inaugural du règne de Sade. Ils se désolent, littéralement, j'ai sous les yeux un texte de Gilbert Lely, épinglé à se titre : " En effet, sur les six cents cas anormaux narrés par les historiennes, sans compter la fiction proprement dite où cette pratique répugnante abonde, plus de la moitié offre l'image d'une ingestion d'excréments, autonome ou associée à une autre passion ". Très exactement comme une énorme tâche sur un immense chef d'oeuvre. On convoque le Kraft-Ebing ( Annuaire que je n'ai toujours pas l'intention de consulter. ) : " une seule fois dans les neuf cent pages in-quarto du recueil ". Gilbert Lely ( Vie du marquis de Sade, dernière édition, 1989, Mercure de France. ) regrette sa présence " monstrueusement exagérée ", " Si le fantôme du marquis, par l'organe des tables tournantes, daignait nous demander notre sentiment sur les 120 journées, et, d'abord, en un mot, comment nous avons trouvé cet ouvrage, nous oserions lui répondre, ainsi que le capitaine Bordure à l'interrogation du père Ubu, curieux de savoir si son hôte avait bien diné : " Fort bien, monsieur, sauf la merde ". Etc, etc, etc. Et moi, avec tout le très sincère respect que j'ai pour Gilbert Lely et consorts, qui m'aident tant à connaître Sade, je rétorquerais : " C'est que vous ne savez pas compter ! "
Sade est un philosophe maladroit, fébrile, mais il l'est jusqu'à la racine de l'âme et viscéralement, il a toujours considéré que rien d'autre que la connaissance en général, et la philosophie en particulier, ne lui permettrait de tout comprendre, à commencer par soi-même. Imbibé des Lumières, il s'en réclamera toute sa vie. Il veut absolument tout penser, " Faire système " chez lui est une question de salut, de rédemption, une nécessité vitale, un de ses plus constants moteurs. Il vilipendera toute sa vie les " endormis ", les Horizons étriqués où il ne trouve pas sa place. Il faut un instant imaginer ce jeune homme de 22 ans que rien n'arrête, qui a déjà tant expérimenté, faire jouer et imprimer clandestinement " Le philosophe soi-disant ", par exemple. Comme je l'ai dit au dessus, je ne lui connais aucun parallèle pour ce qui est de déambuler dans l'Enfer névrotique avec cette aisance. C'est un Explorateur résolu, dur. On peut le dénigrer autant qu'on veut, et il y a de quoi, mais il reste définitivement un immense personnage, incarnant un très grand effort, là où c'est le plus pénible : il faut bien se mettre en tête que Sade dérangera toujours parce qu'il se tient debout " là " où on ne veut absolument pas regarder. Lely citant son ami René Char, qui lui-même parle des 120 journées, " Derrière cette persienne de sang brule le cri d'une force qui se détruira elle seule, parce qu'elle a horreur de la force, sa soeur subjective et stérile ", ajoute " Or, sur les proies délicieuses, ressuscitées à l'aube de la cent vingt et unième journée, le langage étendra sa merci ". C'est très exactement ça : les 120 journées s'élancent du plus profond de l'abîme sauvage, de " derrière cette persienne ... ", jusqu'à la lumière, qui seule les neutralise. On dit que cet ouvrage est inachevé, on sait que Sade n'y a pas retouché, n'y est pas revenu, après l'avoir terminé, je suis de ceux qui partage le sentiment, très répandu, qu'il est inachevable, au fur et à mesure que le torrent, le cri, se répandent, ils se figent, s'apaisent, d'eux-mêmes, en mots.


Dernière édition par neopilina le Lun 31 Mar 2014 - 1:51, édité 3 fois

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Message par poussbois Sam 29 Mar 2014 - 3:20

Pourtant Circé et son élevage de pourceaux, capable de rappeler la nature animale de l'homme, me plaisait bien. La déchéance, la domination des corps, la sexualité associée à la bassesse, ce sont des thèmes qu'on aurait pu retrouver. Bon, accordé pour l'île du soleil pour le ténébreux Sade.

Le commentaire de Lely (que je ne connais pas), que tu rapportes me parait totalement en accord avec la partie du public de Sade que j'exècre et vomis.

"oui, Sade c'est vraiment formidable, mais les passages coprophages, non, vraiment, c'est exagéré"...

Mais pas exagérées, les séances de tortures, d'empalement, de démembrement, l'enfer carcéral, l'aléatoire féodal qui tombe sur des victimes au hasard de leur présence...

Je l'imagine tout à fait commenter Ferreri "ouiii, Ferreri, faurmidâââble, mais vraîmeeent, la grande bouffe et sa scène d'explosion intestinale, non vraîmeeeent, ca gache le reste... et "ya bon les blancs" quelle déchéance pour cet homme... "

En fait, c'est un public (masculin) qui prend un réel plaisir à cette lecture et qui critique les quelques passages qui leur noue la queue ou l'estomac, au choix. Il faut dire que le fist fucking fait des ravages dans les milieux versaillais. L'élite renoue avec les rites médiévaux de l'esclavage des corps... youpi.

Dans Sade, il faut tout prendre pour aller au bout de l'horreur : la coprophagie écœurante comme la sodomie qui les excite tant. J'ai peur que ton Lely ne soit un gros pervers érudit qui apporte pas mal d'infos intéressantes mais qui me parait tout à fait à côté de ce qu'est réellement Sade et que tu décris assez bien dans la fin de ton texte. Tu confirmes ?

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Message par neopilina Sam 29 Mar 2014 - 13:50

Lely est résolument du coté de la littérature, c'est lui-même un artiste, un poète français, compagnon des surréalistes, ami de nombreux écrivains qu'on connait tous au moins de nom, de Char, et qui ont bien voulu participé à ses éditions de Sade ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Gilbert_Lely ), je dirais même, sans aucune hésitation, un littéraire pur.
Je crois que les deux points de vue, le littéraire et le philosophique, sont absolument complémentaires, nécessaires, dans un tel cas.

Poussbois a écrit : " oui, Sade c'est vraiment formidable, mais les passages coprophages, non, vraiment, c'est exagéré ..."
Mais pas exagérées, les séances de tortures, d'empalement, de démembrement, l'enfer carcéral, l'aléatoire féodal qui tombe sur des victimes au hasard de leur présence... "

Les horreurs de Sade nous prennent à la gorge en agressant l'intimité humaine et en fouillant inlassablement là où on ne voudrait surtout pas que ça remue d'un cil, ni regarder ni voir, mais c'est de la littérature. Alors oui, cette prise de distance, parfois si aisée avec d'autres qu'on ne s'en rend pas compte, ressort ici, on nous prend à la gorge et on nous entraine au fond du puits central, névrotique, du tour de force salutaire, de l'impérative nécessité. Je discutais cette semaine avec une amie médecin, on est du même patelin, j'ai 44 ans, elle 50, elle m'a dit en rigolant : " Sade c'est bien, mais à nos ages ! " Elle parlait clairement de l'acquisition d'une certaine capacité de recul. Je fais un parallèle, Nietzsche : un grand philosophe, qui est aussi un grand écrivain, artiste, une autre grande plume compulsive. Ce qui nécessitera de prendre plus de distance, de recul, avec sa philosophie. On sait trop bien ce qu'on donné des lectures trop littérales de Nietzsche. Combien de fois, à cause de l'artiste, le philosophe Nietzsche est-il outrancier, s'égare t-il ? Un nombre incalculable de fois. On voit souvent parfaitement que certaines réalités sont loin de ses yeux quant il écrit, et manifestement cela a des conséquences.
Lely est trop littéraire, esthète, et moi, trop philosophe, comptable, tant mieux ! Il me ramène un tant soi peu du coté des Muses, que je néglige tant depuis mon entrée en philosophie, et moi je lui rétorque, avec Sade, qu'il ne sait pas compter ! La complémentarité, c'est bien, ce n'est pas du luxe, surtout avec un Gaillard tel que Sade.
Maintenant que j'ai lu et relu les trois biographies de référence de Sade en français, je serais absolument incapable d'en recommander une, maintenant, je suis trop engagé dans ma découverte du personnage, ce sont trois regards, sensibilités, compétences, différentes, sur le phénomène, elles sont complémentaires, me sont aussi précieuses l'une que l'autre.

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Message par neopilina Dim 25 Mai 2014 - 1:54

Là où Ulysse endure terriblement, on a reconnu les affres de la Mer du Couchant, Sade s'installe, et installe, construit, consciencieusement, minutieusement, lucidement, le Château de Silling des 120 Journées de Sodome. Il y invite, y conduit, cordialement, rien de moins qu'Autrui, avant d'abattre le pont et de faire murer les ouvertures. Il ne faut pas s'y tromper : la séquestration est bien radicale, métaphysique. La violence faite aussi, elle a déjà commencé, et ce ne qu'un début. Elle sera insoutenable.

Sade philosophe ? Sade homérique, stupéfiant Arpenteur métaphysique, plutôt. Selon le sens commun, Sade ne philosophe pas, soit. Mais il est bien certain qu'il est au-dessus et au delà de l'immense majorité des philosophes et des philosophies. La plupart des philosophies sont des miniatures de paille sous le brulant soleil du Continent sadien. Il a épuisé avec la plus grande efficacité toutes ses ressources d'incendiaire, laissant un paysage dévasté au Centre duquel subsiste une Colonne de basalte noire fumante, le double scandale du Mal sexualisé, d'une " Sexualité " refuge notoire, voire privilégié, du Mal, toujours bien plus inducteur qu'on ne veut bien l'admettre. Aujourd'hui, je suis revenu d'une inadvertance, mienne en tous cas, à propos de Sade. Il est foncièrement gai et même affable avec son prochain : ce n'est tout simplement pas sa faute si son Domaine de prédilection ne l'est pas du tout et si l'Autre n'est pas à la hauteur. Cela fait donc quelques mois que je lisais des choses comme : " Doux et honnête quand on le sera avec moi; très vert et très correctif quand on me manquera ", sans véritablement les entendre. C'est finalement un lieu commun que de ne pas distinguer le bonhomme qui disparaît derrière les monstres vertigineux qu'ils dévoilent. Une des innombrables raisons pour lesquelles il suscite un si vif rejet. Sade est de ceux, franchement rares, qui au " Soyez durs " de Nietzsche auraient pu, à bon droit, rétorquer : " Fumiste ". C'est parfaitement sémillant, qu'il invite le Voyageur, déjà bien éprouvé, tremblant, à s'installer, à se reposer, à prendre un verre de limonade bien fraiche et déjà amplement mérité.
Mais j'ai déjà fait ce Voyage. Rien que pour pouvoir s'installer " là ", il faut des années. Le Sujet n'en ressort pas indemne. En même temps c'est le but. Et pourtant ce diable de Donatien vient encore de me faire passer une suante journée.
Sade incarne, comme personne d'autre n'a voulu et pu le faire, cette, forcément, " par Nature ", terrifiante et éprouvante Difficulté, que ne saurait éluder aucun Voyageur, aucune philosophie, digne de ce nom. Passant par Thionville, son oeil d'ancien militaire ne peut pas s'empêcher de noter : " ... ; cette place est peu spacieuse, mais très forte. La tête de Pont jeté sur la rivière ferait un morceau de dure digestion ". Sade, il est vrai particulièrement bien disposé, s'est délibérément fait une spécialité des " morceaux de dure digestion ".

Le paragraphe " Sade philosophe " de sa fiche wikipédia me semblait particulièrement indigent, je me suis permis de le refondre, en conservant les éléments existants, les deux premiers alinéas et le passage souligné :

" Sade s’est toujours proclamé philosophe : « Je suis philosophe, tous ceux qui me connaissent ne doutent pas que j’en fasse gloire et profession ». Jean Deprun, dans son article d’introduction aux Œuvres du marquis dans la Pléiade pose la question « Sade fut-il philosophe ? » pour répondre par l’affirmative : « Sade est philosophe au sens polémique du mot. Philosophe ne veut pas dire ici confrère posthume de Platon ou de Descartes, mais adepte des Lumières. »

Sade est résolument un homme des Lumières et son matérialisme a toujours procédé des Lumières les plus radicales. Les « dissertations » (le mot est de lui) philosophiques qu’il fait alterner avec les scènes de ses romans sont le plus souvent des emprunts directs — parfois de plusieurs pages — aux philosophes matérialistes des Lumières : d’Holbach, La Mettrie, Diderot.

Cependant, et c'est tout le problème de Sade, il en a lui-même parfaitement conscience, on relève trois importantes déviances dans sa pornographie, et développées par les personnages qu'il met en scène dans celles-ci, par rapport aux principes des Lumières dont il est lui-même un des plus fermes représentants : " l’isolisme ", l’homme désirant, chez Sade, est un solitaire ; autrui n’est pour lui qu’une proie, un moyen de plaisir ou, au mieux, un complice, " l’intensivisme ", il faut pour que le plaisir soit complet que le choc soit le plus violent possible, tout est bon quand il est excessif, et " l’antiphysisme ", la nature est mauvaise et la seule façon de la servir est de suivre son exemple, la nature ne dispose que d’éléments en nombre fini, le meurtre, la destruction sous toutes ses formes lui permettent non seulement de multiplier, mais de renouveler ses productions. Sade est tout entier ce noeud gordien. Lumière radicale, il est aussi un homme hanté par une sexualité où règne le mal. C'est ainsi qu'on peut lire dans une oeuvre non-pornographique l'exact contraire de ce qu'on peut lire dans une oeuvre pornographique. Exemple; dans sa pornographie on voit ses libertins développer avec une effrayante et implacable logique " l'antiphysisme ", ailleurs il ne cesse de dire, à propos des passions, " comme si la nature se mêlait de tout cela ". Après son ralliement complet aux Lumières (1777), il cesse d'être un délinquant pour devenir un écrivain. Penseur rigoureux, total, il attend, exige, que la philosophie pense tout. Avec Sade, le nouvel horizon que viennent d'élaborer les Lumières, est déjà caduque, immédiatement renvoyé à ses carences. Il faudra bien un jour penser le mal et " l'infracassable noyau de nuit " (A. Breton) " de l'inconnu sexuel " (J.J. Pauvert), qui parfois se chevauchent, et même fusionnent chez Sade. C'est là qu'il attend le philosophe ou autre, d'un pied qu'on ne vit jamais aussi ferme ici ".

A titre personnel, je place Sade parmi les cinq plus grands bonhommes qu'il m'a été donné de fréquenter. Sade est une Sentinelle, un Rappel, déplaisants. Et ce n'est pas tant Sade qui est déplaisant, mais bien ce qu'il ne cesse de rappeler à notre bon souvenir, autre cause majeure du rejet dont il fait l'objet. Sade est un remède aux miniaturisations, aux réductions, aux escroqueries, aux idéologies, aux dévoilements, qui s'empressent aussi vite de revoiler le plus plus gênant. Les Lumières sont bien plus grandes, fécondes, avec Sade.

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Message par neopilina Mer 25 Juin 2014 - 2:51

Sade a été un pré-romantique, un romantique, et il est le premier romantique, sans aucun doute possible, a avoir jeté le romantisme au feu.
En combien de temps ? Il n'est malheureusement pas possible de répondre à cette question : on n'avait pas encore inventé le chronomètre de précision !

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Message par neopilina Dim 28 Sep 2014 - 3:02

Mort de J.J. Pauvert.
Je ne suis pas bibliophile pour un sou. J'ai un seul volume de la " Pléïade ", parce que j'y ai été contraint : l'intégralité des textes qu'il contient ne sont pas autrement disponibles en français ( " Les présocratiques ". ).
Mais il y a quelques mois j'ai acheté un exemplaire, aux souscripteurs, numérotés, tirage à 475 exemplaires, de la Juliette de Pauvert de 1948/9 !
Dans sa somme sur Sade, indispensable, " Sade vivant " ( Revue en 2013, en un volume depuis. ), on voit bien qu'il ne comprend pas la relation Sade-Constance. Ils se rencontrent en juin 1790, deux mois après sa libération, ils ne se quitteront plus. Moi, si : j'ai ma Constance.
Avant même d'être enfermé, Sade est un marginal, une anomalie : il aura toute sa vie l'existence d'un sous-marin. Pauvert clôt par " L'histoire de Sade n'est pas finie ... " J'ai forgé pour lui " Le Clandestin des Lumières ". J'en suis assez fier.
Le Zarathoustra a dit : " Soyez durs ". Sade est de ceux qui auraient droit à ce luxe insensé : " Fumiste ! "

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" Tout Étant produit par moi m'est donné (c'est son statut philosophique), a priori, et il est Mien (cogito, conscience de Soi, libéré du Poêle) ". " Savoir guérit, forge. Et détruit tout ce qui doit l'être ", ou, équivalents, " Tout l'Inadvertancier constitutif doit disparaître ", " Le progrès, c'est la liquidation du Sujet empirique, notoirement névrotique, par la connaissance ". " Il faut régresser et recommencer, en conscience ". Moi.
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Message par neopilina Lun 3 Nov 2014 - 2:26

Je proposerais de temps en temps des extraits des textes de Sade qui actuellement ne se trouvent pas reconnus comme étant de lui ( J'ai copieusement amendé sa fiche Wikipédia dans ce sens, j'attends des réactions officielles. ), et que, après lecture plus que minutieuse, je lui attribue formellement, d'autant plus que Sade, auteur foncièrement clandestin prend soin de semer des petit cailloux. L'un de ses innombrables pseudonymes dans la presse, alors qu'il est enfermé, son nom ostracisé par la lettre de cachet, sera " le petit Poucet " ! De quoi faire découvrir un Sade méconnu, plus nuancé, posé, paisible. Inhabituel ? Oui, et bienvenu. Le personnage méritait d'être nuancé, ces ouvrages et d'innombrables libelles paru dans la presse, le confirme. Dés que je me plonge dans l'impression de l'époque, je ne passe pas deux jours sans trouver au moins un billet de lui, ce type a habité son époque bien plus qu'on ne l'imagine, ne le sait, aujourd'hui. La légende d'un Sade retranché de l'univers par les murs de la prison est parfaitement erronée, et, eut égard au peu que j'ai déjà découvert, je sais de façon certaine, catégorique, éléments à l'appui, qu'elle est appelée à passer.

Je commence par quelques extraits de " Conseils d'un militaire à son fils " par le baron d'Anglesi, première édition 02/81. Sade est en forteresse et son fils ainé va bientôt rejoindre l'armée. Un père ancien militaire, combattant, et donc parce qu'enfermé prend sa plume pour conseiller son fils, et en même temps écrire un livre : Sade a écrit toute sa vie, surtout quand il est enfermé. Et beaucoup plus tôt qu'on ne le savait, j'ai fait remonter la date de son plus ancien imprimé connu à 1762. En l'occurrence, une petite pièce, " Le philosophe soi disant ", qui était jusqu'alors connue uniquement via manuscrit, imprimée et jouée aux Italiens à Bordeaux cette année là, il a 22 ans. Voir dans la section " Bibliographie ", où je lui attribue 9 " nouveaux " textes. Les " Conseils " connaîtront un important succès, de nombreuses rééditions, seront traduit en plusieurs langues, se retrouveront très vite dans toutes les bibliothèques militaires ( École de Guerre, d'officiers, etc. ), j'ai également retrouvé une édition augmentée de 1802 sous le titre " Guide du jeune militaire ". Le livre est, entre autres, un étonnant, a priori puisque venant de Sade, examen minutieux, apaisé, lucide, d'une longue liste de vertus, de fausses vertus, de dangers, de risques, de défauts, etc. : " De la Force & de la Santé ", " De la Bravoure & du Courage ", " De la Grandeur d'âme ", " De l'Amour de la Patrie ", " De la Fermeté ", " De l'Intrépidité ", " De la Discipline ", " De l'Humanité ", " De la Modestie ", " De la Prudence ", " De l'Honneur ", " Du faux Honneur ", " De la Discrétion ", " De la raillerie ", " De la Médisance ", " De la Colère ", " Du Mensonge ", " De l'Orgueil et de la Vanité ", " De la fausse Gloire ", " Du danger des Passions ", " Du Jeu ", " Du Vin ", " De l'Amour ", " De l'amitié ", etc.

Je respecte scrupuleusement la typographie d'une copie numérisée et réimprimée d'une édition de 1784 à Dresde.

Page 3, début de " Épitre dédicatoire à mon fils ", début et fin.
" Vous entrez, mon fils, dans une carrière brillante, mais hérissée de difficultés. Je ne puis vous les montrer que de loin, & vous guidez seulement de la voix & de l'oeil. Livré à vous-même, vous avez besoin de conseils. Un père qui se flatte de trouver un jour en vous, la consolation & l'appui de la vieillesse, est trop intéressé à vous en donner de bons pour vous égarer : recevez-les avec confiance; ils sont le fruit de l'expérience, de la méditation & du travail. Suivez-les avec docilité, vous les trouverez tous dictés par la tendresse.
 Vous avez embrassé un état, où la plupart des jeunes gens n'envisagent que l'indépendance, le plaisir & l'oisiveté qu'ils en croient inséparables. Vous êtes perdus, mon fils, si vous partagez leur erreur. Connaissez mieux la carrière que vous allez parcourir; il n'en est aucune qui exige plus de génie, de talens, plus de force d'esprit & de corps, plus de renoncement à soi-même, plus d'empire sur ses passions, plus d'étude, plus d'obéissance, plus de conduite.
 Ce tableau vous surprendra, si vous n'avez encore fait attention qu'à de jeunes Militaires, étourdis, présomptueux, qui, vains de la noblesse de leur état, se figurent que leur uniforme doit en imposer; que leur brevet leur tient lieu de savoir, de talens, de vertus, & qu'il ne faut qu'être braves pour remplir tous les devoirs de leur profession ...
 J'appuie les leçons que je vous donne, d'exemples & de traits épars dans l'Histoire. Ainsi placés à coté du précepte, ils doivent produire sur vous l'effet que j'en attends. Méditez-les, mon fils; pénétrez-vous des maximes des illustres Militaires, & des Grands Hommes dont j'emprunte la voix; faites-en la règle de vos actions; elles vous conduiront à la gloire & au bonheur. Puissé-je en être témoin, & m'enorgueillir un jour d'être votre père ".

Page 18.
" Il faut des passions à l'homme : les étouffer, c'est priver l'âme de son ressort le plus puissant, les modérer, les diriger vers le bien, c'est le chef-d'oeuvre de la philosophie. Mais si l'habitude des vertus, si les réflexions les plus judicieuses sont souvent impuissantes contre les efforts des passions; si l'homme le plus attentif sur soi-même, ne peut espérer d'acquérir une sagesse infaillible, du moins, avec le secours de l'âge, & et d'une raison long-tems exercée, pourra-t-il parvenir à ce moindre degré de folie, dans lequel consiste peut être toute la sagesse humaine ".

Page 123.
" Pensons bien, voilà les fonctions de l'esprit ! sentons bien ce que nous avons bien pensé, voilà le plaisir de l'âme ! mais trouvons notre bonheur dans celui des autres, voilà le période & le raffinement permis de la volupté ! "

Page 201. Ce passage est très particulier. On y voit un père en prison qui s'inquiète forcément de ce que pourrait en penser ses fils adolescents, de ce père chroniquement enfermé, même si donc ici il s'adresse à " son fils ", celui qui va embrasser la carrière militaire, si l'inquiétude d'être hâtivement jugé reste latente, mais parfaitement perceptible, il prévient aussi.
" Si vous êtes heureux, jouissez tranquillement de votre bonheur, justifiez la fortune par le bon usage que vous ferez de ses faveurs; mais si vous m'accablez par le fastueux étalage d'une félicité qui semble me reprocher ma misère, qui veut m'en faire rougir, & qui me la fait sentir plus vivement, vous devez vous attendre que j'userai du droit que vous me donnez d'examiner de près la source & l'usage de tous ces biens, & de me venger des humiliations que vous me faites éprouver ".

Page 299.
" ... ; mais un point essentiel est de s'accoutumer à penser & à écrire; en effet, ce n'est qu'en donnant l'essor à son imagination, ce n'est qu'en écrivant pendant long-tems, mal & beaucoup, qu'on apprend à rendre ses idées, à leur donner de l'âme, à avoir l'élocution nette & facile; ce dernier avantage est très essentiel, dans quelque grade que l'on soit ".

Page 308, on trouve un petit chapitre " Du coup d'oeil ". Ce qui n'étonne pas une seconde avec cet Observateur absolument exceptionnel, aptitude particulièrement bienvenue chez le militaire, qui va d'ailleurs montrer qu'il a conscience de ce don. Je donne le début.
" Le sentiment général est, que le coup-d'oeil ne dépend pas de nous; que c'est un présent de la Nature; que les campagnes ne le donnent point; & qu'en un mot, il faut l'apporter en naissant, sans quoi les yeux du monde les plus perçants ne voient rien On se trompe, dit Folard ( Je n'ai toujours pas compris cette formule, l'italique est de Sade. ). Nous avons tous le coup d'oeil selon la portion d'esprit & le bon sens qu'il a plû à la Providence de nous départir; il nait de l'un et de l'autre, mais l'acquis l'affine & le perfectionne, & l'expérience nous l'assure ".

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Message par neopilina Dim 8 Fév 2015 - 2:36

J'ai écrit quelque part que la mort naturelle du Sujet est le remboursement d'un crédit à la Nature. Comptablement, dialectiquement, dit, ça me parait nickel. Cette semaine, j'ai trouvé ça chez Sade : " La destruction totale de notre être est l'acquit que nous doit la nature ". C'est franchement autre chose. Et je n'arrive pas à trouver le point de vue. Une notion, celle du point de vue, qu'il a beaucoup, beaucoup, médité. Dans ses écrits de jeunesse, il est déroutant, désarmant, il ne s'en rend pas bien compte. Il est monté sur des Ressorts qu'il ne maitrise pas, pour le moins, il est complétement dans l'agir, il ne s'arrête que si on l'arrête (!). Plus tard, il saura en user, et terriblement. A graphomane, plumitif, compulsifs, il faut de suite ajouter protéiforme, sans oublier qu'il l'était d'abord dans la vie. Ce type c'est d'abord une envergure qui abasourdit, déconcerte, désoriente. Ironie grinçante, c'est quand il commence à se contrôler qu'on l'enferme durablement ( De 37 à 50 ans, 1777-1790. ).

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Message par neopilina Sam 26 Sep 2015 - 23:23

Sade et Nietzsche sont d'immenses, prodigieux, vertigineux, cyclothymiques. Je l'ai vu tout de suite, toute proportion gardée, j'en suis un. Passer des cimes aux abimes et donc ainsi de suite. Mais Nietzsche commet une erreur que ni Homère, ni Sade, par exemples, ne commettent : au fond d'un trou, ils ne métaphysiquent pas ( Et avec ce verbe, je le plagie sciemment, c'est à ma connaissance la plus ancienne mention de celui-ci. Il le forge ou en use donc, il est vrai très ironiquement, en raillant les métaphysiciens. ), ce n'est effectivement pas le lieu. En métaphysiquant là, à cause de cela, Nietzsche prête à des lectures, des méprises, des réductions, des malentendus, etc., très très fâcheux. Le dit lieu est parfaitement circonscrit par Homère, notamment à la fin des mésaventures du bon Ulysse, avec le Passage par, chez, les Phéaciens, peuple de Passeurs, avec la Mer du Couchant où rame notre héros, et c'est bien la Sienne. Et elle a sa géographie, son en haut, l'un des deux Planktes, le plus haut, qui crève le plafond des nuages, du ciel, même s'il est simplement évoqué par Circé, Ulysse choisissant l'autre route possible : Charybde et Scylla ! Où il aura l'occasion de contempler, suspendu au branches d'un figuier, symbole sexuel féminin, le en bas, le fond de la mer découvert par Charybde.
Sade est un très grand écrivain, c'est enfin reconnu. Il avait bien compris, bien mieux que moi, ce que sont la littérature, un roman. Dans ses chefs d'oeuvre, il faut le dire, ses romans pornographiques, il séquestre délibérément, machiavéliquement, radicalement, et donc en dernier lieu, formellement, littérairement, le " lecteur ", rien de moins qu'Autrui, pour l'emmener faire un petit tour en Enfer, le Sien, Sa Mer du Couchant, et par là même nous " invitent " à côtoyer le notre. Il faut arrêter de se voiler la face : c'est cela qui le rend insoutenable, cette séquestration et ce " voyage ", proximité, forcés. Les " 120 Journées " sont inachevées, Sade avait prévu 4 parties, seule la première est tout juste achevée, on voit encore des petites maladresses que Sade libre auraient sans aucun doute possible vues et corrigées. On sait comment il travaillait, comme beaucoup de génies c'était aussi un bosseur acharné, se relisait, annotait, en s'adressant à lui-même : " Là, vérifiez que ... " Et effectivement il fallait s'y retrouver ! A propos de cette première partie donc, je ne l'ai jamais lu clairement, alors pour dissiper un éventuel malentendu, il faut dire que c'est notoirement une ode à la coprophagie. Je reviens à mon propos. Mais Sade n'en finit pas de digresser dans ses romans pornographiques !! J'ai même une amie qui trouve ces digressions, si ce n'est intempestives, elle reconnait que Sade sans celles-ci n'est pas tout à fait Sade, un peu longues. Tout à fait. Mais là le mélange des genres est volontaire, délibéré, provocateur. Sade veut bien penser l'homme, ce n'est rien de le dire, il a passé sa vie à essayer de penser les " passions " ( Son oeuvre clandestine imprimée est encore largement méconnue. ), doux euphémisme, sauf qu'il n'était pas  " d'humeur " à euphémiser, il avait un très gros problème sur les bras : lui-même. Il veut, exige, donc que l'on pense l'homme en entier, Enfer catégoriquement inclut. Sinon, on encoure à bon droit, son mépris. A l'encontre de ceux qui veulent jeter Sade à la poubelle, je dis que nous avons un type d'envergure homérique, et même meilleur qu'Homère quant à l'Enfer. Déjà dit, " ici ", je n'ai jamais vu pied aussi ferme. Bien " noir ", inquiétant à souhait, etc., tout à fait, il me fait chroniquement frémir. Et ce qui me fait frémir ce n'est plus tant ses romans, quand on s'est bien mit dans la tête que c'est des romans. Je frémis beaucoup plus quand il décrit son trouble devant une oeuvre d'art montrant une exécution, par exemple. Mais une vraie exécution, la peine de mort, le révulse. Il est inquiétant, oui, mais c'est une mauvaise raison pour le réduire. Et encore aujourd'hui, il paye le prix fort pour ses romans pornographiques : impérativement, si on veut entendre la voix de Sade, il ne faut pas lire que cela. A cause de cela, il est encore largement méconnu, sous estimé.
Et puis il y a le droit au changement, après 1790, dés qu'on se penche un peu sur le bonhomme, il faut se rendre à l'évidence, ce n'est plus le même homme que celui arrêté en 1777. Si ses vieux démons le travaillent encore, ils n'auront plus droit qu'au truchement de la plume. Ce qui lui a toujours foncièrement convenu. C'est Sa Position. Faute d'un Monde adapté, à sa taille !, il a pratiqué toute sa vie et ce très tôt la clandestinité. Sade l'a très souvent écrit, il écrit pour la postérité. Son temps, son époque, sont encore bien trop étriqués pour lui. Sade nous tend ses livres en souriant et en sifflotant, l'effet est ménagé, travaillé. Ça va tanguer ! On va même transpirer. Mais avec un peu de persévérance, on découvre une jubilation de la vie, du génie, de l'intelligence, qu'on prend enfin plaisir à partager. Aux sommets.

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Message par neopilina Dim 11 Oct 2015 - 19:21

Le sujet de l'Iliade c'est effectivement la colère d'Achille, qui est déjà une incarnation notoire de l'hybris. Une énormité, oui, cyclothymique, encore oui, entre autres.
Tout le monde a compris qu'Ulysse c'est Achille, le Héros, qui vieillit idéalement, notoirement en affrontant ses propres démons constitutifs, c'est les péripéties dans la Mer du Couchant, et encore, Homère éprouve la nécessité de faire passer notre bon héros par la case " Phéaciens ", un peuple de " Passeurs ", plus, Ulysse n'en a pas terminé, de retour chez lui, pour être enfin totalement en paix : il lui faudra accomplir la prophétie de Tirésias ! Homère était un prodigieux " comptable " dialectique, métaphysique. Son oeuvre est ouverte, elle invite catégoriquement, avec cette prophétie, à poursuivre.
Pour Oedipe, il est déjà trop tard, j'entends, la Tragédie est déjà une régression relativement à Homère. Oedipe se fracasse sur les Murs du Destin, où le névrotique et le métaphysique, tragiquement donc, ne font toujours plus qu'un, restent confondus : c'est le propre de la Tragédie. Ulysse n'est pas prisonnier de son Destin, il y a une Issue : accomplir la prophétie de Tirésias. Homère nous dit qu'il y a une suite à " écrire ". Il réussit à séparer le névrotique, remarquablement circonscrit à la Mer du couchant, du métaphysique, dont il sera question comme il se doit une fois Ullysse revenu dans le Monde des Hommes mangeurs de pain, c'est à dire la civilisation, la culture. C'est uniquement, expressément, un Homme arraché à la Mer du Couchant, et à chacun la Sienne, ayant réglé ce problème, qui pourra accomplir la prophétie. Là où Homère réussit à séparer, la Tragédie par définition précipite. Sophocle, la Tragédie, commetent la même erreur que Nietzsche, qui est une incarnation de la Tragédie, version judéo-chrétienne !

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Message par neopilina Ven 15 Avr 2016 - 14:04

Courtial a écrit:La Chute de Robespierre n'a pas mis fin à la Terreur et la charette qui l'a emportée était loin d'être la dernière. Les types qui ont eu sa peau étaient d'ailleurs des terroristes distingués eux-mêmes, qui ont continué allègrement ensuite, mais en changeant de cibles (on a parlé de "Terreur blanche"). C'était pas les bons d'un côté et les méchants de l'autre, c'était un chouïa plus compliqué, vois-tu ?

Tout à fait. Mais biographiquement, on voit bien que pour des raisons de proximité ( Même section. ), des prises de positions, que le destin de Sade fut à un moment étroitement et dangereusement lié à celui de Robespierre. Immédiatement après la chute de Robespierre, on voit un Sade euphorique, rapidement, chaudement, réhabilité, réintégré, par sa section, qui ne court plus aucun risque. Mais décidément, le vent du couperet l'a sérieusement décoiffé ( Il écrira : " Ma détention nationale, la guillotine sous les yeux m’a fait cent fois plus de mal que ne m’en avaient fait toutes les bastilles imaginables ". ), il continue prudemment à pointer à sa Section. Mais on ne l'entend plus et la suite c'est l'abandon total de toute activité politique, jusqu'à l'expression de toute opinion.

Courtial a écrit:Pour Sade, le fait qu'il soit le Diable dans ses écrits et un charmant garçon dans le civil, c'est une thèse, je crois que c'est en gros ce que dit Sollers. Et il donne l'argument a contrario (le même que le tien, si j'entends) : Marat, qui a commis quelques ouvrages érotiques, mais dans le genre tout gentil, tout mignon, tout doux, allait criant par les rues qu'il lui fallait 100 000 têtes (ou un chiffre comme ça) pour commencer à voir dans la Révolution une affaire sérieuse. Bon, ça c'est Sollers. Mais Pauvert (que je prends plus au sérieux, mais je n'ai pas ta connaissance de Sade, je n'en ai pas du tout, je peux m'aligner avec Poussbois dans ce rang) donne un tout autre son de cloche : ce n'est pas en rendant Sade sympa (ce qu'il n'était nullement) qu'on le sauvera. S'il se sauve, c'est comme écrivain, pas comme bonhomme.

Sade n'a effectivement rien de sympathique dans un premier temps. Jusqu'à ses 37 ans, je le colle sans aucune hésitation en taule dés qu'il attente à l'autre. Mais même à l'époque où il est un délinquant sexuel, on voit une curiosité hors norme qu'atteste, par exemples, des inventaires de bibliothèques. Sade rallie définitivement les Lumières en 1777, à 37 ans. En 1781 ( 41 ans. ), en matière de droit commun, il est libérable, mais on le maintient en prison, et cette fois c'est à cause de sa façon de penser, les archives de la police en font foi. Chez Sade, on peut dire que c'est l'intellectuel, l'humaniste potentiel et qu'il deviendra, qui corrigera définitivement le délinquant. Même avant 1777, le pouvoir n'aime pas cet homme et pas que pour ses moeurs. En matière de moeurs beaucoup d'autres aristocrates ont fait bien pire, mais contrairement à Sade, ils n'avaient pas pris leurs distances avec leur caste. Pauvert a une vision très noire de Sade, il le voit comme une sorte de Céline, et là je dis non. Sade est des Lumières, et il l'a beaucoup payé. Pauvert est bien sûr une mine d'informations sur Sade, et pourtant, avec beaucoup d'autres aujourd'hui, je pense qu'il minore le Sade des Lumières, il ne comprend pas Sade révolutionnaire, réduit cette période à une sorte de farce, mais personne n'oblige Sade a en être. Et " en être ", il en a rêvé toute sa vie. Même au sein des Lumières ( A quelques exceptions près, Marmontel, etc. ), il est tricard, mais cette fois à cause des affaires de moeurs.
Lors du " grand enfermement ", 1777 à 1790, de 37 à 50 ans, la biographie de Pauvert retranche littéralement Sade de l'univers. C'est faux : tout au long de cette période il a des contacts avec l'extérieur, prend part aux débats du moment, imprime, etc. Factuellement on a du mal à suivre sa trace parce que tout simplement la lettre de cachet induit l'interdiction de publier son nom. A l'époque, tout le monde sait qui se cache sous certains " masques ". Les lieutenants généraux de police ( Qui ont parfaitement saisi l'envergure du type. ), avec qui il a des accords, qu'il met à rude épreuve, le rappelle régulièrement à l'ordre, via la presse !! La même où Sade publie, sans que son nom puisse apparaitre. Le XX° siècle nous a rendus Sade ? Oui, mais c'est loin d'être fini. Et c'est moi qui ai initié cette seconde phase de la redécouverte, que plusieurs publications ont déjà entériné.

Pour celui qui a envie d'en finir avec sa première impression sur Sade, je l'invite à lire la seconde parties de ses " Variétés philosophiques et littéraires " de 1808 ( http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6471978g ). Avec cette indispensable précision sur le contexte, il est arbitrairement détenu depuis 1801, remue ciel et terre pour être élargi, Napoléon pourchasse l'athéisme. Exemple, Lalande astronome de renom et autrement irréprochable, est interdit d'Académies et d'impression sur ordre personnel de l'empereur à cause de son athéisme. Donc, dans le dit ouvrage Sade adopte une position déiste à la Rousseau, mais cette lecture n'en reste pas moins surprenante, agréable, édifiante.

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Message par neopilina Mar 21 Fév 2017 - 1:02

batispte a écrit:Comparer Sade à Robespierre fait-il sens ?

L'implicite, sauf erreur de ma part et tu me le dis si c'est le cas, c'est, du point de vue de la Révolution française, peut-on les mettre au même niveau, la réponse est bien sûr non. Robespierre est un " acteur " incontournable, devant être nommément cité, de cet événement. Sade, comme d'autres, voit Robespierre avancer ses pions, et, beaucoup plus rare, courageux, il le dit. Il a failli en perdre la tête. Sade pendant la Révolution aurait pu se venger de certaines personnes qui lui avait fait des torts, dont certains parfaitement, objectivement, injustes. Il y a eu beaucoup, beaucoup, moins scrupuleux. Je résume ce qu'on lit dans sa correspondance : " J'aurais pu me venger, mais je ne l'ai pas fait, voilà comment je me venge ".

hks a écrit:je sais qu'il défend Sade (ce qui n'est que très modérément mon cas )- Autant que je me souvienne de ma lecture de Sade, la femme n'y est pas un objet. Mon souvenir est assez est vague mais il me semble bien que la femme chez Sade est actrice /sujet acteur.
(du moins certaines le sont...pas toute évidemment, impossible de  dédouaner Sade ...de Sade  )

Avant de lire un mot de Sade, on doit savoir si c'est de la fiction ou pas. Parce que pour ceux qui ne savent pas, on peut lire dans la fiction très exactement l'inverse de ce qu'il peut dire en dehors. Et, bien sûr, actuellement, Sade est surtout connu pour ses fictions, où la femme, et l'homme d'ailleurs, pourront être à peu près tout et n'importe quoi, y compris au menu, etc. Quant à la grande digression de " La philosophie dans le boudoir ", soi-disant politique, elle est même publiée à part et commentée comme un discours de Sade à une des tribunes de la Révolution, c'est deux grands délires : la digression elle-même est un grand et manifeste délire ressortant de la fiction sadienne et le fait de la lire au premier degré est un autre grand délire. " La philosophie " est le roman le plus joyeux de Sade : il est en vie, il sort, contre toute attente, vivant des geôles de la Terreur. Sade est tout de même bien renseigné : il saura qu'il est le numéro 11 sur 28 noms de la dernière charrette de la Terreur, liste signée par Fouquier-Tinville. C'est le ressort le plus profond de cet ouvrage.

Le titre de ce fil c'est " Le clandestin des Lumières ", et je le montrerais. De même, il travaille au corps tout le XIX°, et ça aussi je montrerais.

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" Tout Étant produit par moi m'est donné (c'est son statut philosophique), a priori, et il est Mien (cogito, conscience de Soi, libéré du Poêle) ". " Savoir guérit, forge. Et détruit tout ce qui doit l'être ", ou, équivalents, " Tout l'Inadvertancier constitutif doit disparaître ", " Le progrès, c'est la liquidation du Sujet empirique, notoirement névrotique, par la connaissance ". " Il faut régresser et recommencer, en conscience ". Moi.
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Message par neopilina Mar 4 Avr 2017 - 16:26

Quand j'ouvre un livre d'histoire, de façon tout à fait conventionnelle, la Révolution française commence le 14 juillet 1789 avec la prise de la Bastille, forteresse et prison royales. On abat d'authentiques murs, ceux de l'Ancien Régime, murs et Murs notamment sapés par les Lumières. Quelques jours plus tôt, dans la nuit du 3 au 4, manu militari, on transfère de la Bastille à Charenton, chez les fous, Donatien Sade qui haranguait, excitait, la foule du Faubourg Saint Antoine. A la date du 2 juillet, le gouverneur de la Bastille, le marquis De Launay, dont la tête finira au bout d'une pique, écrit : " Il s’est mis hier à midi à sa fenêtre, et a crié de toutes ses forces, et a été entendu de tout le voisinage et des passants, qu’on égorgeait, qu’on assassinait les prisonniers de la Bastille, et qu’il fallait venir à leur secours " et, demandant le transfert parle " d'un être que rien ne saurait réduire ". Il n'est pas question de discuter le point de vue de l'historien. Avec les Lumières, des Murs séculaires sont ébranlés, bousculés, abattus, le Sujet prend la clefs des champs, et pas que pour le meilleur. Pour une foule de raisons, ceux là même qui ont fait tomber ces Murs ne se sont guère aventurés au delà. Donc, parallèlement à l'ami historien qui a ses raisons, je me permets de relever que Donatien Sade, imbibé des Lumières jusqu'à la moelle, athée furieux, c'est très important, libertin " de naissance ", également méthodique voir maniaque, écrit sur le manuscrit intitulé " Les 120 Journées de Sodome ", c'est la graphie originale, rédigé à la Bastille : " Toute cette grande bande a été commencée le 22 octobre 1785 et finie en trente sept jours ". Il met au net, c'est son expression consacrée, de dix neuf à vingt deux heures, vingt soirées pour le recto, attaque aussitôt le verso et termine le 28 novembre. Et alors ? Avant même que des murs ne tombent, Donation monte à la Brèche, renverse, brise, fonce, tout droit, et tout ceux qui ont un tant soit peu cheminé, voyagé, verront la performance inouïe, il ne dévie pas, ne s'écarte pas, ne somatise pas, ne s'épuise pas, ne sublime pas, ne voile pas, n'abdique pas ( Sauf peut être en 1807, à 67 ans, de nouveau enfermé à Charenton, à perpétuité, où sur dénonciation, on lui confisque le monumental manuscrit des " Journées de Florbelle ou La Nature dévoilée " dont il vient de terminer la mise au net. ), etc., il s'enfonce comme jamais en Enfer, en Lisière, dans la Mer du Couchant, débarque sur l'île du Dieu qui voit tout, qui l'accueille comme il se doit : " Sois le bienvenu Très Haut et Très Puissant Seigneur, tu es ici chez toi ". Et Sade est effectivement chez lui, il s'installe et bâtit le château de Silling. Qu'il confortera, dés qu'on lui en laissera l'occasion. Je ne connais aucune autre trajectoire occidentale ( Je ne m'occupe pas des autres. ) aussi rectiligne, grande, longue. Il y a Homère et Sade, ensuite les autres. Les Lumières abattent les antiques Murs. Et que fait l'Europe depuis ? Elle s'égare, avance à tâtons, on a vu et on voit comment : empiriquement. Nous n'en finissons pas de nous débarrasser des séquelles, du poison judéo-chrétiens, à ce point là : nous n'y songeons même plus clairement. Et grâce à cette errance, même pas consciente d'elle-même en tant que telle, la Réaction, toujours bien éveillée et hyperactive, tyrannise toujours le Monde et ravage la planète comme un énorme parasite. Depuis peu, grâce à Michel Delon, on sait enfin quand le dernier monument des Lumières, " La Nouvelle Justine et l'Histoire de sa soeur, Juliette ", a été imprimé, entre 1799 et 1801. Alors que la Révolution française est terminée depuis longtemps, que le pouvoir a été usurpé par Napoléon et que cette publication vaudra un enfermement à Sade aussi arbitraire que définitif. Les Lumières abattent des Murs, des Paradigmes, repoussent l'Horizon, etc., mais comme je l'ai dit, c'est aussi bien pour le meilleur que pour le pire, et on sait qu'avec l'homme c'est toujours bien plus vite pour le pire. L'histoire grouille de tyrans opportunistes, de régimes totalitaires qui confisquent des révolutions, etc., on en a encore aujourd'hui. Et la déroute commence très tôt : on a des romantiques bien avant que Bonaparte n'usurpe le pouvoir, etc. Emblématiquement, le fils aîné de Sade, Louis-Marie, est un romantique pur sucre, très tôt proche de Bonaparte, officier, botaniste, musicien, bohème, il se battra à Eylau, Friedland, et sera tué en service près de Naples en 1809. Les Lumières ont cruellement manqué de matériel métaphysique, ont beaucoup détruit, et peu proposé, fondé, enraciné, ancré. Dés le début du XIX° siècle, l'Europe prend le chemin des déroutes, des égarements et ce jusqu'aux fosses communes, barbaries, nihilismes philosophiques, du XX° siècle. Après la déflagration des Lumières, sources de progrès, et par défaut, de déroutes, je distingue après celles-ci, à titre personnel, deux événements d'ordre métaphysique ( Sans évidement exclure un seul instant qu'il y en ait qui puisse m'avoir échappé. ) qui sans relever de la même échelle, importance, n'en fonctionnent pas moins très exactement de la même façon : le marxisme qui réintroduit d'autorité le Sujet a priori, escamoté par le cogito en l'état puis consorts, Hegel, etc., sous les formes constitutives et efficientes de cette idéologie ( Le Prolétaire, le Capital, le Bourgeois, les Classes, etc. ) et le cas Heidegger, qui réintroduit le Sujet a priori avec Son Souci, Son Dasein, etc. Dans les deux cas, on a le même phénomène a priori, comptablement, méthodologiquement, philosophiquement, infondé, illégitime, et donc, ce fut effectivement, concrètement, le cas, dangereux. Les Lumières ouvrent les écluses, mais il est tout à fait évident, expérimentalement, que ce qui a été libéré aurait pu, du, être mieux canalisé.

A Sade l'Homérique, il faut ajouter Sade l'Anti-moraline, spécifiquement. Sa détermination, sa fureur, sa vengeance, se sont déployées dans Sa " mesure " à lui, constitutive, gigantesque, titanesque, olympique, dans ce registre, et dans celle de l'injustice qui l'a pourchassé, menacé, enfermé plus de 28 ans, etc., à travers tous les pouvoirs, la société, sa famille et sa belle-famille : c'est un choc de Titans, c'est lui contre le Vieux Monde. Quelle injustice ? La perversité qui gît au coeur de l'Occident d'obédience monothéiste : la moraline. A travers le Sceptre et l'Encensoir, puis toutes les autres formes d'oppression ( Le très moral Robespierre qui veut sa tête, l'Empire qui décrète arbitrairement l'asile à vie, pour un livre immoral. ), c'est toujours elle qu'il combat. Non, la révolution sexuelle, et avec, à la suite, d'autres, n'ont pas eu lieu parce que ce dépassement, cette conquête, spécifiques à l'encontre de la moraline n'ont pas eu lieu : ils ne sont toujours pas explicites. Les Territoires libérés par les Lumières ne sont toujours pas conquis. Mais Sade les occupe, à sa façon, celle de ses libertins criminels, tout à fait. Sade a été militaire, c'est important ici, il sait ce que ça veut dire occuper le terrain. Je ne connais personne d'autre, aucun autre Voyageur, qui s'enfonce avec une telle aisance, un tel plaisir, dans la Nuit, la Mer du Couchant, l'Enfer, etc., et c'est donc un énorme euphémisme, ce faisant, il éprouve une joie vitale, consolatrice, salvatrice, jubilatoire, vengeresse, et utile, nécessaire, capitale. Cette possibilité, aptitude, capacité, quasiment contre-nature vis à vis de la genèse classique du Sujet, est exceptionnelle, à ma connaissance, unique. Réussir à le circonscrire, à le retranscrire, philosophiquement et explicitement, c'est réussir ce dépassement, cette conquête, auxquels son oeuvre invite, qu'elle exige : contre la moraline. Sade, Sentinelle et Flambeau dans la Nuit à vaincre, il complète idéalement, magnifiquement, Homère. Sade dit là où Homère ( Dont le cas n'est pas, rappelons-le, aggravé par un dressage monothéiste. Homère ne peut pas affronter quelque chose qu'il ne connaît pas. ) effleure, métaphorise, là où Ulysse endure, souffre et s'empresse de fuir, Sade déambule souverainement. Ulysse fuit au triple galop l'île du Soleil, qui voit tout, Sade, dans une Situation aggravée au dernier degré donc, s'installe, y construit le château de Silling, c'est Son Domaine, il tient, définitivement ( Avec ce qui a pu être sauvé, sans exclure l'hypothèse de bonnes surprises. ) la Position. Celle-ci, cet Ancrage, une fois évident, explicite, formalisé, situé, restera longtemps, très longtemps, la Référence, un Repère, dans le deuxième cercle, un Sillon humaniste via le dépassement de la moraline, c'est Cela le Combat de Sade. Sillon d'abord, formellement, insupportable ? Tout à fait, mais on verra aussi, " tout simplement ", qu'il ne pouvait pas en être autrement : c'est très exactement s'étonner qu'une lame puisse agresser le béton sans s'émousser, elles sont rares, mais il y en a. Circonscrire philosophiquement le Libertin criminel de Sade c'est conquérir, et cette fois très précisément, les Terres libérées, offertes, par les Lumières, notoirement, décisivement, donc, en terrassant explicitement la moraline. Condition sine qua none si on se propose de le faire via Sade puisque c'est Cela qu'il combat toute sa vie durant. Eut égard à ce qu'on possède de Sade aujourd'hui, on peut dire qu'au moins à partir de 1782, date du " Dialogue entre un prêtre et un moribond ", il a trouvé sa voie. Il faut bien ruminer les derniers mots, une note puisque le Dialogue est terminé, de celui-ci, prendre conscience de l'enjeu d'un tel dilemme, je cite : " Note. Le moribond sonna, les femmes arrivèrent, et le prédicant devint dans leur bras un homme corrompu par la nature, pour n'avoir pas su expliquer ce que c'était que la nature corrompue ". Telle est la Position de Sade, et par là même celle de ses libertins criminels, entre Monde et Nature : en Lisière. Il n'est pas le premier transgressif, marginal, venu. C'est de cette Position, que lui et ses anti-héros des fictions clandestines non-contraintes, auxquelles, bien examiné, il faut ajouter le très officiel " Aline et Valcour ou le Roman philosophique ", tirent leur immense pouvoir subversif, sans parallèle à ma connaissance. Le Libertin criminel de Sade, ce n'est pas n'importe qui, quoi. Il ne se laisse pas réduire, circonscrire par la médiocrité, l'étroitesse, la réduction, etc., torves, moralinesques : il exige que cet Horizon, Limite du Monde, soit abattu, dépassé, agrandi, etc., explicitement. Les Libertins criminels de Sade se situent, c'est Leur Position, au delà de cet Horizon moralinesque du Monde, ils se frottent directement à la Nature, l'ultime Horizon. Sade est d'une ténacité et d'une cohérence absolues : il poursuit, attaque, spécifiquement Ce qui l'a scandalisé, accablé, poursuivit, toute sa vie, la moraline. Achille et Ulysse sont de très grandes incarnations, Sade aussi, celle de la Subversion. Le Dieu des Juifs serait mort ? Pas du tout : ce Dieu est une Incarnation anthropomorphique d'une possibilité, d'abord d'ordre névrotique, de la moraline, et celle-ci est loin, très très loin d'être morte. Il faut purger l'égout, le marécage, à fond. La moraline est une médecine qui pour guérir d'une maladie en inocule un concentré, elle produit ce qu'elle condamne.

Et via son obsession, encore à peine effleurée aujourd'hui, pour l'impression, la publication, lui aussi avait compris à quel point, et sans doute mieux que nous, il vit, pense et écrit au XVIII° siècle, il connaît très très (!) bien les risques et les coûts, il est important " d'inoculer ", de diffuser. On retrouve le pragmatisme du militaire, il a une conscience aiguë des priorités, il sait qu'il mène un combat. Bien sûr, déjà dit, il y en a eu, il y en a et il y en aura encore pour qui la moraline n'est pas une question constitutive, intime, elle leur vient de l'extérieur, qui leur dit qu'ils ne sont pas " normaux ", etc., mais encore fallait-il le dire, et là, encore une fois, à ma connaissance, le témoignage de Sade, pour l'Occident, me semble absolument unique en envergure et en détails. Cette conquête constituera une étape majeure du progrès de la philosophie, un de ses enjeux les plus foncièrement propres. Avec Sade qui occupe le terrain comme personne, et il sait parfaitement ce qu'il fait et ce qu'il peut, je connais ces difficultés, et suite au geste de Freud, il me semble que c'est enfin à portée. Flaubert disait que Sade était " le dernier mot du catholicisme ", il pouvait dire monothéisme, la version catholique de celui-ci, voilà ce que génère en dernier lieu le monothéisme : une révolte et un rejet sans nom et paroxystiques. La moraline peut bien produire de temps à autre un Sade, un Nietzsche, etc., le plus souvent, on sait ce qu'elle produit, on l'a sous les yeux, à l'intérieur de soi et à l'extérieur, des Mondes d'Avortons tordus, ambivalents, hypocrites, mornes, mortifères ( Certains ont même supposé une " pulsion de mort ", très romantique du reste, c'est dire. ), auto-destructeurs, on dit " normaux " !, voire fanatiques, à des degrés divers, qui n'ont plus qu'à se résigner à telle ou telle sagesse palliative, les meilleurs ont fait de très édifiants états des lieux.

Présentement, le problème de la moraline peut être abordé, au moins, alternativement de deux façons complémentaires, à ce point, les progrès de l'une favorisent ceux de l'autre et ainsi de suite, j'en ai fait l'expérience, j'escompte beaucoup de leur convergence croissante. Il y a l'approche introspective quant à Soi via " psydisciplines ". C'est toujours à regret que je forge un terme, il y en a marre des jargons : c'est donc faute de mieux, de leur fait, et je me désole le plus profondément qui soit de la situation actuellement en vigueur dans ce domaine. Et il y a l'approche philosophique. C'est l'exercice des deux qui permettra d'acculer dans un coin cet objectif, de s'en saisir et de l'exposer à la lumière. Dernièrement, j'ai fait un effort relevant de l'approche quant à Soi ( " De la moraline ". ) dont j'estime les fruits assez consistants pour repasser à l'approche philosophique. Et là, ça sera donc, très évidemment, avec le meilleur auteur disponible à propos des " passions ", pour utiliser l'euphémisme désormais classique, et de la moraline, sous sa forme aiguë cristallisée par le monothéisme, c'est à dire Donatien Sade.

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Message par neopilina Jeu 3 Déc 2020 - 14:38

hks a écrit:Tu [neopilina] consacres une grande partie de ta vie à un ROMANCIER [Sade].

Voilà un sujet : littérature versus, ?, philosophie. Et les deux exemples évoqués sont absolument excellents : Sade et Sartre. Les deux sont extrêmement attachés à la littérature (ils l'aiment, c'est dire) et compétents en la matière (l'essai, " Idée sur les romans ", sur le roman de Sade, etc., et le cas Flaubert chez Sartre, etc.). Les deux veulent être des écrivains et des philosophes reconnus comme tels.

Trois remarques :
- Moi, ce qui m'intéresse, ce que j'aime, c'est la philosophie.
- Le roman et l'essai trouvent leur forme canonique au XVIII° siècle, donc au début du XVIII°, la première génération des Lumières (celle qui sape les fondations, la deuxième étant celle qui détruit effectivement, en acte, l'édifice) va recourir à toutes les formes d'écriture (poésie, théâtre, roman, essai, etc., etc.) et Sade, qui appartient à la deuxième génération (né en 1740) accompagne ce mouvement absolument général : Sade, à la fin de sa vie (1814), a compris toute l'importance, la consistance nouvelle, de l'essai philosophique. Ce que ne peuvent pas faire Voltaire, Rousseau, Diderot, etc., morts bien avant.
- Sartre, homme du XX°, en tant que tel, fait la différence : on a une oeuvre littéraire (le seul a refusé le Nobel, je trouve ça un peu hard, mais c'est Son problème), d'une part, une oeuvre philosophique, d'autre part.
- Conséquence pour Moi : dans le cas des Lumières en général et de Sade en particulier, je suis obligé de me coltiner leur littérature, en tant que véhicule pour moi, avec Sartre, non. Bon, je ne veux pas non plus cracher dans la " soupe ", lire Diderot, et quelques autres, c'est tout de même un prodigieux plaisir.

Et, donc, effectivement, à titre strictement personnel, je regrette que Sade et Sartre " perdent " de leur temps avec la littérature, ayant bien conscience que reprocher à Sade et à Sartre leur goût, leur amour, de la littérature, ça serait me reprocher d'être un naturaliste qui s'intéresse à la philosophie : Sade a parfaitement le droit de dire " mais moi, c'est moi, tout de même ! ", Sartre, aussi, et moi, aussi !! Et donc, ça serait aussi méconnaître des évolutions d'ordre historique qui " dépassent ", englobent, totalement, Sade, Sartre, tout le monde.

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Message par neopilina Ven 9 Juil 2021 - 15:40

Dans l'article que Wikipédia consacre à Sade, à la légende qui est en dessous de la copie du portrait de Sade par Van Loo, je viens d'ajouter cette mention :

Neopiwiki a écrit:En frontispice de " Vie et amours d'un pauvre diable ", 1788, on trouve le portrait de l'auteur. L'attribution de cet ouvrage à Sade est également débattue.

- " Vie et amours d'un pauvre diable ", 1° partie, avec le frontispice, avant la page de titre : https://books.google.fr/books?id=AasojhAGFKoC&printsec=frontcover&source=gbs_book_other_versions_r&redir_esc=y#v=onepage&q&f=true

- " Vie et amours d'un pauvre diable ", 1788, 1° et 2° partie (le frontispice est absent, et c'est souvent le cas) : https://books.google.fr/books?id=iH4TAAAAQAAJ&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=true

Je dis " également débattue ", je joue le " jeu ", sauf que ce n'est pas un jeu. Il faut l'avis des pairs, comme il se doit. Je suis très confiant. Cela fait presque deux ans que je lis ce texte, le recoupe avec d'autres, fais des recherches. On voit aussi que Sade est le premier à imprimer des lettres de Sade. Dans la deuxième partie, " Amours du pauvre diable ", il publie des lettres datant de l'épouvantable épisode de jalousie qui l'affecte à partir de 1781. Ces lettres sont adressés à la marquise mais il ne les a sans doute jamais envoyées : on savait que lors de cet épisode il avait dépassé les bornes, on le voit encore mieux ici. Même si épisodiquement il en prend conscience, il délire. Il est aussi question d'une " Sophie ". Au début du manuscrit des " Infortunes ", pour nommer " l'héroïne ", il hésite entre " Justine " et " Sophie ", ensuite il opte pour Justine, l'un des jeunes couples martyrs des 120 Journées se nomme Céladon et Sophie, dans " Aline et Valcour ", une des victimes principales (la principale ?) se nomme Sophie (elle est partout dans son ouvre, sans même être bien certain qu'elle se nommait effectivement Sophie), etc., etc. etc. etc. ...

Ce portrait n'est qu'un frontispice, gravé sur bois, en noir et blanc, petit format, et pourtant je suis bien certain qu'il détrônera le Van Loo qui ressemble à une nature morte. Que le Clandestin des Lumières refasse surface avec son portrait, c'est un excellent début ! Je suis extrêmement fier de rendre à Sade sa tête !! Si on lit bien, on voit très bien qu'il s'adresse à la postérité, aux futurs lecteurs. L'objectif premier de cet ouvrage est bien sûr l'impression de ce portrait alors qu'il est enfermé à la Bastille. Ne pas l'oublier en le lisant, il est incroyablement gai, primesautier, alors que ça fait 11 ans qu'il est enfermé et qu'il ne sait toujours pas quand il sortira. En bas à droite du frontispice on lit " F ....... Sa ", je lis donc " F[rançois] Sa[de]. François est son troisième prénom, et dans le livre il trouve judicieux de dire qu'il a reçu un extrait de baptême, etc. Quant au nom du graveur, un pseudonyme s'imposait ! En note, en bas de page 271 de la deuxième partie, on lit : " Il n'est point de Serpent, ni de Monstre odieux, / Qui par l'Art imité, ne puisse plaire aux yeux " ! Plus on cherche, plus on trouve. J'y reviendrais en son temps dans la série de notices intitulées " Les drouilles littéraires de Donatien Sade ", où j'en suis seulement à l'année 1785.


Le Clandestin des Lumières. Fronti10


Dernière édition par neopilina le Sam 17 Juil 2021 - 23:26, édité 1 fois

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Message par hks Sam 10 Juil 2021 - 21:45

Résume moi le problème.

Si je comprends bien, on n'attribue pas officiellement le "clandestin" à Sade.

Moi je trouve une ressemblance entre les portraits
(à vue  d'artiste comme on dit).

Un graphologue résoudrait peut être la question.
Je pense non pas à la graphologie classique mais à la graphologie stylistique celle employée récemment dans l'affaire Gregory .


A la différence de la graphologie - qui analyse la forme de l’écriture manuscrite - la stylométrie s’intéresse au style de l’écriture. Une tournure de phrase singulière, une syntaxe particulière, une ponctuation inhabituelle... L'un de ces éléments pourrait permettre de rattacher l’auteur d’un courrier aux lettres du corbeau et ainsi éclaircir l'opaque mystère qui subsiste à Lépanges-sur-Vologne
Les  critiques littéraires savent faire depuis longtemps des analyses de style...mais il se peut que plus pointu, empirique, et finalement plus au ras des pâquerettes, moins littéraire, pourrait aider.

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Message par neopilina Sam 10 Juil 2021 - 23:23

hks a écrit:Résume moi le problème. Si je comprends bien, on n'attribue pas officiellement le " clandestin " à Sade.

Pour l'ouvrage intitulé " Vie et amours d'un pauvre diable " et son frontispice, oui.

La situation est celle-ci. D'abord la copie du Van Loo est classiquement considéré comme " portrait supposé ".
A contrario, on sait de façon absolument catégorique que Sade s'est fait faire le portrait par Van Loo et que Mlle Rousset, une amie du couple, qui avait, comme on dit, un très très joli coup de crayon, avait fait une copie de ce portrait par Van Loo et que cette copie a été envoyée au prisonnier. Mlle Rousset était, en dessin, une dilettante, je la vois mal faire un frontispice. Elle a fait aussi un autre portrait, celui du professeur de guitare de la marquise. Ce portrait aussi a été envoyé au prisonnier, mais lors de l'épisode délirant de jalousie qui saisit Sade à partir de la mi 1781, le portrait du professeur est couvert d'injures, lardé de coups de canif, et ce faisant Sade s'est blessé, il y a des tâches de sang sur ce dessin. Pour commencer, ça serait bien de pouvoir comparer ces deux dessins, la copie du Van Loo, par on ne sait qui, et le portrait du professeur par Mlle Rousset. Problèmes : on sait juste que le " portrait supposé " (qui n'est pas forcément le dessin de Mlle Rousset) et le portrait du professeur de guitare sont dans des collections privées qui ne collaborent pas avec la recherche. Et ce n'est pas rare. Chaque fois que des inédits (1), mais connus, passent en vente, on espère une publication, souvent en vain.   Le Clandestin des Lumières. 177519025

hks a écrit:Moi je trouve une ressemblance entre les portraits (à vue  d'artiste comme on dit).

Je les compare régulièrement. Le nez, la bouche, et le front " fuyant " (décrit aussi à l'écrit à l'époque) me semble coller.

Pour la " graphologie ". Il y a quelques experts en écriture (sollicités pour les ventes, il y a aussi, peut-être les mêmes, des universitaires) qui identifient sans difficulté l'écriture de Sade.
Pour la stylistique, rien de mieux que de lire et relire inlassablement l'indubitable, pour rechercher Sade dans ce qui n'est pas encore reconnu comme étant de lui. Avec ici une difficulté spécifique, la doxa en cours, c'est que Sade imprime pour la première fois à 51 ans avec la Justine de 1791. Donc, antérieurement à ce texte, on recherche un Sade en devenir, pas encore mature, qui n'a pas trouvé sa voie, etc., pas forcément aussi caractéristique que tout ce qu'on a de lui et de relativement tardif dans sa vie. Sauf que Marat, Restif, parlent d'imprimés de Sade avant 1791 ! Alors, les grands biographes disent qu'on n'a rien retrouvé et passe très vite à la suite.
Pour la stylométrie, je ne sais pas si cette technique récente est utilisée avec des écrivains. Avec ceux-ci, les experts en écriture et les spécialistes suffisent, me semble t-il.

Et donc, à propos de " Vie et amours d'un pauvre diable ", c'est d'abord en vertu du texte que j'attribue cet ouvrage à Sade. Après la fin de la deuxième partie (" Amours du pauvre diable "), il y a un petit " texte " intitulé " APPERÇU " (page 254 à la page 272, j'ai donné les liens permettant d'accéder aux textes ci-dessus). Pour moi, c'est une farce dont la finalité est, encore une fois, d'attirer l'attention sur le portrait en frontispice.

(1) Exemples, connus mais non-publiés :

- Les Coquilles d'oeufs. Conte en décasyllabes et rimes, 16 pages manuscrites (vente Teissier et Sarrou, Hôtel Drouot, Paris, du mercredi 15 juin 2016).
- Fable (sans autre mention de titre.). Seul écrit de ce genre connu actuellement, 4 pages manuscrites (vente Teissier et Sarrou, Hôtel Drouot, Paris, du mercredi 15 juin 2016).
- Lors de la vente « Livres et manuscrits » du 30 octobre 2017, chez Sotheby’s, à Paris, reparaît un ensemble connu depuis le début du XIX° siècle. Il est constitué de 11 papillons manuscrits autographes de Sade (formats divers : entre 108 x 39 mm et 81 x 21 mm) qui commentent 12 dessins originaux (96 x 59 mm), à l’encre et mine de plomb, avec rehauts de bistre, sanguine et lavis d’encre. Ces dessins sont des projets de gravures qui illustrent le début du texte de Juliette (dans l'édition de Michel Delon pour la Pléiade, vol. III, on les trouve p. 203, 229, 233, 261, 265, 303, 321, 323, 353, 355, 395 et 437). Les bibliographes attribuant la suite de gravures à Claude Bornet (1733-1804). Bien qu'il ne les ait pas vus, Michel Delon estime qu'on ne peut les attribuer avec certitude à l’artiste, car il n’est pas certain que toutes les illustrations de Juliette soient de la même main (Idem, vol. II, p. 1268 et vol. III, p. 1380-1382). On constate dans ces billets l’implication de Sade dans l’élaboration de l’illustration, dictant à l’artiste la composition des images.

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" Tout Étant produit par moi m'est donné (c'est son statut philosophique), a priori, et il est Mien (cogito, conscience de Soi, libéré du Poêle) ". " Savoir guérit, forge. Et détruit tout ce qui doit l'être ", ou, équivalents, " Tout l'Inadvertancier constitutif doit disparaître ", " Le progrès, c'est la liquidation du Sujet empirique, notoirement névrotique, par la connaissance ". " Il faut régresser et recommencer, en conscience ". Moi.
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Message par neopilina Mer 8 Fév 2023 - 16:43

Récemment, j'ai déchiffré un affreux rogaton manuscrit dans les blancs d'un ouvrage imprimé. A minima, le contenu, les thèmes, les problématiques, sont foncièrement sadiens. En dernier lieu, seule une expertise en écriture peut trancher. Plus il est jeune, moins on a de documents manuscrits, moins c'est facile d'identifier son écriture. Le livre est une édition des oeuvres de Boileau (1636-1711), préfacée par lui-même, de 1685, accompagnée de sa traduction du traité " Du sublime " du Pseudo-Longin, avec des notes philologiques d'André Dacier (1651-1722) pour ce dernier. Sade (?), qui vénérait Boileau, outre quelques brèves mentions manuscrites, se laisse aller en utilisant une succession d'espaces libres en bas de pages, ça n'a pas été repris, corrigé, c'est très ingrat, il essaye de versifier, et à ce titre, il y a quelques mentions biffées relevant de ce travail, mais l'idée générale n'échappe pas. Les majuscules et la ponctuation sont presque totalement absentes, j'ai retranscris le peu qu'il y a. Pour tout arranger, un détenteur ultérieur de ce livre, au XVIII° siècle, a généreusement caviardé quelques lignes, que je signale avec des astérisques. Aucun élément objectif (chronologique, philologique, scientifique, etc.) ne permet de dater plus précisément cette production manuscrite. A contrario, si on connait un peu Sade, sa psychologie, sa trajectoire, son devenir, on peut très bien se livrer à quelques considérations internes. C'est un Sade jeune qui n'a pas encore opté résolument pour les positions qu'on lui connaît bien, l'athéisme et le matérialisme radicaux du XVIII° siècle. Quoi qu'il en soit, on a un homme en plein dilemme, il hésite, converse avec lui-même. Le dilemme moral (le bien et le mal, la morale, leurs fondements, etc.), c'était la vocation, si j'ose dire, de Sade, c'est le problème de sa vie : existentiel, philosophique et métaphysique. Je m'autorise une conjecture, une considération, plus profanes, prosaïques, eut égard au contenu, thèmes, exemples, évoqués. Il a peut être écrit cela après son mariage (à 23 ans) et une fois qu'il a couché avec sa belle-mère. Il évite d'être trop précis, noie le poisson, avec d'autres cas de figure, exemples, mais ça semble ressortir. Pour la transcription, je ne livre aucune lecture qui ne soit certaine. Le peu de mots qui est resté indéchiffrable est signalé par un point d'interrogation entre parenthèses, et ça n'empêche pas l'intelligence. Je distingue les différents bas de pages utilisés pour rédiger ce " texte " avec des tirets. Dans la seconde moitié du XIX°, ce livre a fait l'objet d'une restauration de professionnel, avec du papier vergé, et d'une belle reliure signée. Une attention qui mérite d'être relevée pour un tel volume.

- Si la foi du chrétien fait l'homme aristocrate

soyez bien assurés que ce nom ci me flatte

et qu'un aristocrate est toujours bon humain

il reconnaît son christ pour premier souverain

quand on est prévenu ce mot seul en impose

on confond aisément l'abus avec la chose

- (biffé : " quoi qu'il en soit (?) ")

les abus étaient grands mais (biffé : " Dieu qu'il est des sots ") on démontre aux sots

que le plus grand de tous c'est celui là des mots [lapsus pour " maux " ?]

et jamais suivant moi le vrai patriotisme

ne peut s'accommoder du matérialisme

- pourtant qui ne voit pas (biffé : " qu'il est prêché tout haut ") qu'on le prêche en tout lieu

****

****

****

****

pour les fermes croyants a t-on quelques égards

****

****

- entendez celui-ci vous dire quant à moi

je suis honnête bon et j'observe la loi

ce n'est pas que je craigne un enfer ou le diable

ce qu'on en dit je pense est un conte une fable

eh bien la vanité le fait parler ainsi

s'il feint d'être au dessus d'une crainte servile

d'être sans intérêt un citoyen utile

croyez que dans le crime il n'est pas sans souci

que si la passion s'empare de son âme

il sera comme un autre un perfide un infâme

pourvu qu'impunément ou bien sans être vu

il puisse exécuter le plan qu'il a conçu

- je compte donc bien plus sur un homme timide

qu'une humble foi retient et qui la prend pour guide

aussi je n'aime point que l'on déprise tant

(biffé : " (?) pas tant ")

l'espoir du paradis la crainte du tourment

puisque Dieu seul est bon essentiellement

celui qui pour lui plaire a fait maint sacrifice

l'emporte sur celui qui cède à la malice

vainement l'on dira qu'il est plus généreux

d'être par point d'honneur et par goût vertueux

l'un ou l'autre motif est règle fort peu sûre

pour vaincre en bien des cas la fragile nature

ainsi chacun le sent la seule humaine loi

n'équivaudra jamais au flambeau de la foi

dira t-on nous pouvons sans avoir la croyance

redouter les remords de notre conscience

mais dans sa propre cause on est trop indulgent

l'un se dira j'avais besoin de cet argent

l'autre dira qui[l] peut modérer sa colère

j'aurais dans ce moment tué je crois mon père

celui-ci se dira l'amour est un vainqueur

qui malgré qu'on en ait s'empare de tout coeur

ah si vous conceviez tout ce qu'elle a de charmes

vous auriez je suis sûr aussi rendu les armes

en eut été ma soeur ma mère ou mon enfant

je n'eus pu me tenir le vin est échauffant

nous étions sans témoin elle était toute nue

c'est sans réflexion que j'ai porté ma vue

ah n'allez pas plus loin qui ne sent comme vous ["vous", c'est à dire lui-même, une manie bien connue chez Sade, les marges de ses manuscrits pullulent de " corrigez cela ", etc.]

que dans l'occasion les plus sages viennent [sic] fous

et puisque qu'avec la loi souvent l'homme (?) (?) calle [sic, pièce en bois servant à en soutenir un autre, le masculin est possible au XVIII° siècle]

comment dans certains temps tiendriez vous bon sans elle

ou s'il on perd la grâce en ayant de l'orgueil

malgré sa foi l'on peut trouver plus d'un écueil

et qui ne conçoit pas que pour peu que l'on doute

que le chemin du ciel est une (biffé : " rude ") étroite route

que si l'on croit surtout qu'il n'est point d'avenir

on est dans bien des cas un mortel à fuir.

- on peut être voleur (biffé : " homici ") assassin adultère

empoisonner sa femme et jouir de sa mère

dans ce cas ci surtout comme on est sans un tiers

si l'on ne craint pas Dieu (biffé : " l'on est toujours partant ") tous les deux sont pervers

tout homme est en un mot tellement égoïste

qu'il peut s'homicider s'il est las d'être triste

or de cela je conclus qu'il faut qu'il craigne Dieu

pour qu'on soit sûr de lui en tout temps en tout lieu

ne me dites donc pas moi je suis fort honnête

cependant je crois finir comme la bête

allez il ne vous faut que bonne occasion

pour vous voir tout passer à votre passion

je le redis sans lui (biffé : " un philosophe ") dans bien des cas un homme

peut être plus brutal qu'une bête de somme

- la foi de la concorde c'est le plus sur garant

chacun conçoit ceci sans être pénétrant

- et puis que Dieu voulut suivant ce qui nous semble

que les hommes en paix vécussent tous ensemble

on conçoit que la foi n'est pas un conte bleu

parce qu'on la voit bien entrer dans les desseins de dieu

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