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Message par Vargas Sam 8 Sep 2007 - 13:58

Hétérographie à vif :
Les vies de Pessoa



Armand Guibert,Préface au Gardeur de troupeaux et autres poèmes de Caeiro, Gallimard a écrit:Comparer à d’autres Pessoa l’unique – nous l’avons tous fait – est vain. Apollinaire, Hopkins, Svevo, Lorca, Rilke, Kafka, Ungaretti, Michaux, étaient d’une essence parente, mais il surplombe cette ligne de crête. Dans sa langue d’inventeur, il a su matérialiser l’abstraction. Esprit religieux dont le doute est une force, insomniaque dont l’état d’éveil est zébré d’éclairs, velléitaire qui ne manque jamais le train (il ne voyage qu’en lui-même), habillant sa tendresse de cris, il s’est dépassé en plongeant aux abysses atlantiquement glauques de l’altérité. Par lui l’énigme ontologique est résolue aussitôt que posée – du moins ne cesse-t-il, ce raté de l’humble vie mortelle, de nous associer, sensationniste dans l’au-delà, au foisonnement de ses contradictions, poignantes comme le vrai.
Antonio Tabucchi a écrit:Il faut imaginer un pays, le Portugal, qui vit pendant 20 ans (1914-35) un âge d’or de la littérature : poètes, essayistes, prosateurs, aux personnalités impossibles à confondre, et quelquefois contradictoires, tous cependant de la plus haute qualité, y sont à l’ouvrage en même temps, se rencontrent, s’opposent. Un expérimentateur violent et débordant, animateur de diverses avant-garde, comme Alvaro de Campos, un nihiliste désolé comme Bernardo Soares, un poète métaphysique et hermétique comme F. Pessoa, un néo-classique comme Ricardo Reis et derrière eux tous, un maître précocement disparu : Alberto Caeiro.
Eh bien : tous ces auteurs, toutes ces œuvres, tous ces destins furent une seule multitude parce qu’ils sont tous nés de l’invention éclatée et proliférante d’une seule personne, l’anagraphique F. Pessoa, obscur employé d’une société commerciale de Lisbonne, où il avait pour fonction d’écrire des lettres en anglais
Robert Bréchon (à propos du jeune Pessoa) a écrit:puisqu’il ne peut être vraiment lui-même, il lui reste à sortir vraiment de lui. Puisqu’il ne peut être unique, il lui faut tenter de fonder son être sur la multiplicité. Son aptitude à imaginer des sensation et des émotions qu’il n’éprouve pas à « vivre des vies étrangères », à « se sentir des êtres différents » […], il s’agit de les cultiver et d’en tirer parti pour compenser l’absence de stabilité et de personnalité et atteindre à un niveau supérieur de l’expérience qui intègre toutes les sensations, toutes les émotions, toutes les vies, tous les êtres […] « Il justifie cette entreprise par l’exemple de la nature, qui est pure diversité. Refuser la prison de l’identique, c’est suivre les lois de la vie. « Il n’y a pas de critère de la vérité, sinon ne pas être conséquent avec soi-même. L’univers n’est pas conséquent avec soi-même. La vie n’est pas conséquente avec elle-même puisqu’elle meurt ; le paradoxe est la forme typique de la Nature.

***


Alberto Caeiro (1889-1915)

Caiero, dont le nom renvoit peut-être à celui de Mario Sa-Carneiro est un homme aux cheveux blonds, aux yeux bleus, comme si son physique laissait déjà présager qu’il appartient à un âge mythique et immobile, à un présent pa[c/ss]ifié de pastorale, à jamais décalé du quotidien.

Il est né à Lisbonne mais passé presque toute sa courte vie à la campagne. Il fût sans métier et presque sans instruction (juste l’école primaire).
Caeiro a perdu très tôt son père et sa mère, et est resté chez lui, vivant de petits revenus. Il vivait avec une vieille tante.
Son œuvre respire un paganisme diffus qui cache la volonté de détruire le catholicisme portugais et l’orthodoxie de l’ « esprit ibérique ».
Il a écrit : « Je me sens une joie immense à la pensée que ma mort n’a aucune importance. »
Caeiro meurt jeune de tuberculose

Dans un projet de préface à la traduction anglaise des poèmes de Caeiro, Pessoa écrit :
« Caeiro ne voit les choses qu’avec les yeux, pas avec l’esprit (…) la seule chose qu’une pierre lui dit, c’est qu’elle n’a rien à lui dire. On peut concevoir un état d’esprit semblable à celui-là, mais on ne saurait le concevoir chez un poète. Cette façon de regarder une pierre peut être définie comme la manière totalement non-poètique de la regarder. Le fait magnifique chez Caeiro c’est qu’il produit de la poésie à partir de ce sentiment, ou plutôt de cette absence de sentiment positivement ce qui, jusqu’à maintenant ne pouvait être conçu que comme sentiment négativement.»

- Bréchon : « Pour Caeiro, les choses coïncident absolument avec leur surface, et elles n’ont d’autre réalité que leur apparence[…] L’idée d’une signification ou d’une totalité est une maladie de notre pensée. La seule forme de pensée légitime est celle qui permet de consommer le monde par la sensation. »

- José Blanco : « Il avait trouvé le seul principe positif capable de fonder une philosophie débarrassée de l’erreur essentielle de la métaphysique (à l’origine de tous les maux : anthropomorphiser la nature en la considérant comme une totalité) en affirmant le mystère sans Mystère de l’univers : « La Nature ce sont des parties sans un Tout »


- L’une des intuitions centrales de Pessoa :
le phénomène ayant fondé, fait le grandeur de la culture européenne a causé son malheur ; la conscience réflexive.
Repli de la conscience qui se prend elle-même pour objet. Science, philosophie, etc…
Mais l’excès de conscience, créé un déséquilibre, une distance entre soi et le monde. L’homme hyperconscient perd le sens de la relation immédiate et de l’échange symbolique.
Il fait l’épreuve de l’absence du réel. Alors cette culture se retourne contre elle-même pour se contester.


Dernière édition par le Sam 8 Sep 2007 - 14:25, édité 1 fois
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Message par Vargas Sam 8 Sep 2007 - 14:06

Fernando Pessoa(1888-1935)


Son père meurt quand il a 5 ans.
Il créé son premier hétéronyme à 6 ans : le chevalier de Pas, ami imaginaire français. Pessoa part à 8 ans en Afrique du Sud avec sa mère où son beau-père est nommé consul. Il y suit brillamment une éducation purement britannique et se passionne pour la littérature anglophone (Poe, Shakespeare, Keats, Tennyson, Dickens en particulier).
Il se met précocement à écrire des poèmes imitant le style des grands écrivains de langue anglaise.
Au début, il pense opter pour devenir écrivant anglais.

Puis il retourne au Portugal en 1905 où il suit à l’université des cours de Lettres et philosophie, à Lisbonne qu’il ne quittera jamais.
Il découvre alors les décadentistes et symbolistes français et belges (Baudelaire et Mallarmé surtout).
Après avoir rapidement abandonné ses études, il monte une imprimerie qui fait aussi tôt faillite.
Il s’éprend pour sa langue maternelle et décide définitivement d’écrire en portugais. Il vit modestement en étant secrétaire à la correspondance étrangères pour des maisons de commerce, et n’a pas d’horaires fixes.

- Pessoa publia en son nom des articles de politique (Théorie de la république aristocratique, considérations postrévolutionnaires, Oligarchie des imbéciles par exemple), de sociologie (par rapport à la première guerre mondiale, entre autre) confinant parfois au prophétisme, souvent à un nationalisme de lettres et de mythes .
Cela aura un aboutissement avec Message (1934), seule oeuvre poétique publiée en son nom, recueil de poésie mystiques et hermétiques, blason de mythes nationaux convoquant entre autre le sébastianisme.

En 1928, parait un texte, Interrègne ou défense de la dictature militaire au Portugal avant qu’il ne se mette à écrire des pamphlets humoristiques contre Salazar.
En réaction à la censure il décide de ne plus rien publier au Portugal en octobre 1935.
En même temps, il a écrit un dialogue paradoxal, le banquier anarchiste dans lequel, mêlant rhétorique, humour et moralisme, il évoque un anarchisme individuel au-delà des idéologies et des théories établies.

Il meurt en décembre 1935, écrivant sur son lit de mort
I know not what tomorrow will bring
(je sais point de quoi demain sera fait/ je ne sais pas ce que l’aube apportera)
En 1985, son corps fût transporté au Panthéon où il repose aux côtés des poètes/navigateurs Luis de Camoes et Vasco de Gama


Sébastianisme :
croyance fortement ancrée dans la pensée lusitanienne que Dom Sébastien (jeune roi du Portugal qui endetta tout le pays pour lever une armée et aller à la conquête de la Terre Sainte.
A la bataille de Ksar él-Kébir en 1578, son armée fut défaite en deux ou trois heures et il disparut sans qu’on retrouve son corps) sera de retour, apparaissant sur le Tage par une nuit dans le brouillard (cela renvoit à un fond culturel celte, en parallèle à celui du roi Arthur parti en Avalon).
Le retour du roi sera le signe de l’avènement du Cinquième Empire prophétisé dans l’interprétation du songe de Nabuchodonosor par Daniel (chute des quatre royaumes provisoires :Grèce, Rome, Chrétienté, Europe), la Jérusalem terrestre mené par un Occident lusitanien devenant pour Pessoa, l’âge de gloire de la création artistique et culturelle que le Portugal initierait (et dont, il serait ineffablement le supra-Camoes).
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Message par Vargas Sam 8 Sep 2007 - 14:24

Ricardo Reis (1887-1919)


Il est né à Porto. Reis s’exile au Portugal l’année de sa mort car il est monarchiste. Il y exerce la médecine.
Il préface les livres et participe à la publication de l’œuvre de son maître Caeiro. Désabusé et précieux, il en a isolé et stylisé l’aspect intellectuel et païen.

- Bréchon : « R.Reis incarne l’aspect le plus orthodoxe du paganisme gréco-latin. Le sentiment païen se définit chez lui par le sens de la continuité et de la mesure » (à l'image de l'appollinien nietzschéen).
En fait, il pastiche l’épicurisme d’Horace ; car il accuse par son faux paganisme,son projet demeurant un échec. Son œuvre renvoie aussi à Anacréon et aux Stoïques.

***


Alvaro de Campos (1890-jamais mort)


Pessoa : « J’ai mis […] en Alvaro de Campos toute l’émotion que je n’accorde ni à moi ni à la vie. »

-Lettre à Casais Monteiro du 13/1/1935 : « Alvaro de Campos est né à Tavira le 15 octobre 1890. » « Il est ingénieur naval à Glasgow arrivé… il est maintenant à Lisbonne en inactivité. »
Pendant des vacances, il fait un unique voyage en Orient, dont il en a ramené le poème Fumerie.

Bréchon :« A. de Campos veut embrasser toute la complexité du monde ; il en accepte toute la contingence, le désordre, l’impureté, la turbulence, l’excès[…] Campos exprime la volonté d’abandon et d’adhésion totale ».
Son œuvre est à rapprocher de celle de Walt Whitman mais aussi de l‘écriture de l’existence absurde.
A la même époque, le futurisme de Marinetti se répand à travers l’Europe.

Il connaît, en parallèle à Pessoa, une première période décadentiste Campos a isolé la part émotive, qu’il a appelé Sensationnisme et qui correspond à sa seconde période. En fait, le sensationnisme s’applique aussi à l’œuvre de Pessoa-orthonyme.


Extrait d’une lettre de Pessoa à un éditeur anglais sur le sensationnisme :
1) L’unique réalité de la vie est la sensation. En art, l’unique réalité est la conscience d’e la sensation.

2) Dans l’art, il n’y a ni philosophie, ni éthique, ni même esthétique, qu’elle qu’en soit la part existante dans la vie. Dans l’art il n’y a que des sensations et la conscience que nous en avons. Quels que soient l’amour, la joie, la douleur qui existent dans la vie, dans l’art ce ne sont que des sensations ; en eux-mêmes, ils n’ont aucune valeur pour l’art. Dieu est une sensation à nous car une idée est une sensation, et on l’utilise en art seulement pour exprimer certaines sensations – comme le respect, le mystère, etc… Aucun artiste ne peut croire ou ne pas croire en Dieu.

3) L’art, dans sa définition pleine, est l’expression harmonique de notre conscience des sensations.

4) Les 3 principes de l’art sont :

I chaque sensation doit être pleinement exprimée, c’est-à-dire la conscience de chaque sensation doit être vannée jusqu’au fond ;
II la sensation doit être exprimée de telle façon qu’elle ait la possibilité d’évoquer – comme un halo autour d’une manifestation centrale définie –le plus grand nombre possible d’autres sensations.
III le tout ainsi produit doit avoir la plus grande ressemblance avec un être organisé, car c’est la condition de sa vitalité.

Principe de I la sensation II la suggestion III la construction.
De 1916 (suicide de Sa-Carneiro) à 23, la verve poétique de Campos l’abandonne. Sa fougue est devenue nostalgie de l’époque de ses tumultueuses odes.


Homme de science, amoureux des machines, bouillonnant, pulsionnel, prolixe apologétique et pamphlétaire, ses deux Odes principales (la Triomphale et la Maritime) firent le succès et le scandale de la revue à laquelle Pessoa participait aussi.
Poète du tout dire, du sentir de toutes les façons possibles à la fois, du dérèglement de l’époque.
Il est le disciple de Caeiro qui tendant le plus tragiquement à la re-préhension du monde, s’écarte le plus d’une intranquillité de la psyché, confinant entre la figure du juif errant, du sado-masochiste, voyeuriste intellectualisant, de l’explorateur ambigu, hypersensible au moindre contact

***


Bernardo Soares : le semi-hétéronyme


Selon Pessoa, son style et sa psychologie se définissent par « la rêverie et l’incohérence psychologique. ».
Il a à peu près le même travail que Pessoa,est comme lui asocial, mythomane, mais aussi narcissique et ne se sent pas d’être propre.
Son Livre de l’Intranquillité (ou du remuement intérieur ; celui de Michaux et des trous n’est pas loin) rédigé en fragments qu’il aurait écrit en marge de ses livres de compte, n’a été publié qu’en 1982 et a profondément remis en question toute l’éxégèse pessoenne.
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