Demain c’est loin
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Demain c’est loin
Je voulais parler du rap et plus particulièrement des voyous (thugs) et de leur philosophie.
Mais en réalité j’ai davantage parlé de moi-même et de mon rapport à cet art particulier.
« Mourir à trente ans, passer du bon temps »
Iam
Cette manière d’appréhender le monde est un luxe.
Le luxe que peuvent s’offrir ceux qui ne sont pas nés sous la bonne étoile.
Il faut comprendre que la vie de voyou (thug life) est une quête d’identité, une image de soi recherchée, à travers tous les miroirs que peuvent tendre les autres (la société notamment).
Le désir fondamental est comme dans toute quête narcissique ou artistique, quelque chose d’opaque et qui tend à celui qui cherche à se voir, un reflet toujours fuyant mais qui tente de se figer dans un message.
Cette logorrhée est vraiment le signe d’une impuissance à naître.
L’avenir est écrasant :
« D’emblée, les murs sont réservés comme des places de parking »
Iam
La société ne veut pas accoucher d’eux.
Et en même temps, les voyous combattent ouvertement la société et font tout pour mériter son mépris.
Cette situation est paradoxale.
Parce que les voyous sont prisonniers de cet engrenage où l’absence de reconnaissance de la société épouse parallèlement une volonté de la choquer et de mériter ce nom qu’elle leur donne.
Sur ce symptôme se greffe bien des justifications de type : la société est mauvaise.
Mais ce n’est pas cela qui est intéressant.
Ce qui est fascinant, c’est de voir que des enfants non voulus renversent les rôles et pensent qu’ils peuvent ne pas vouloir la société.
Or, c’est peut-être cela le désir fondamental et fou qui guide leur quête d’identité.
Ils veulent, à l’image d’un Tupac Shakur, refaire le monde pour pouvoir être reconnu.
Ce n’est pas d’ailleurs le ressort des seuls rappeurs mais également de bien des artistes engagés.
Donc, pour résumer, l’impossibilité de la naissance crée le désir d’accoucher soi-même du monde afin de pouvoir renaître en lui.
Mais ce qui est particulier c’est que la société n’est jamais totalement soumise, c’est toujours elle qui guide le jeu des naissances, même quand les artistes engagés la critiquent, ils continuent de lui donner le pouvoir signifiant, c’est d’elle qu’ils parlent, c’est pour elle qu’ils parlent et tous les noms, parfois d’oiseaux qu’ils lui donnent, ne sont qu’une façon d’être nommés par elle. Parce que nous sommes piégés par le nom que nous donne l’Autre. Cette lutte pour créer soi-même son identité est perdue d’avance.
« Je pense pas à demain, parce que demain c’est loin »
Iam
La temporalité du rappeur est maladive, ce n’est pas un simple jeu car le « je » justement est en cause.
C’est sans doute ce qu’il y a de sublime dans le rap : cette authenticité.
C’est grâce à cet espace imaginaire, qui se crée, que l’auditeur de chansons engagées peut lui-même se retrouver et éprouver le plaisir que procure ce désir caché de reconnaissance.
La société qui nous donne un nom est fantasmée pour nous donner l’illusion d’un autre nom plus respectable à nos yeux.
Nous recherchons une sorte de nouveau baptême qui remplacerait le nom qu’elle nous a déjà donné et qui nous blesse.
Cette blessure narcissique est une impossibilité à assumer son existence.
Comme nous n’aimons pas être responsables de nos maux nous projetons nos échecs sur autrui.
Or, il nous faut des spectateurs pour justifier notre déni du réel.
Voilà pourquoi l’artiste engagé a besoin d’un public.
L’objet qu’il refoule menace sans cesse de refaire surface, il lui faut l’aide des autres pour le maintenir hors de toute lucidité.
L’écriture n’est donc pas toujours une thérapie, elle sublime le désir refoulé et peut permettre d’évacuer certaines frustrations mais elle crée, dans un jeu subtil de miroirs, une fausse identité qui peut alimenter le refoulement.
Il existe bien des motifs de refoulement mais c’est essentiellement de se savoir fautif qui en est le moteur principal.
Certains de nos actes nous accablent, nous ne les supportons pas.
La culpabilité creuse cette faille narcissique et ce besoin de rachat.
La rengaine est toujours la même : dans un monde meilleur je n’aurais pas agi ainsi.
Ce qui est peut-être vrai, sauf que le problème est justement que cette explication ne nous satisfait pas, sinon nous n’aurions pas besoin de nous justifier.
Pourquoi ne pas penser à demain ? Pourquoi refouler l’avenir ? Sinon parce que nous sommes dévastés par nos choix passés ?
Ne pas pouvoir naître, c’est être incapable de projeter une image de soi satisfaisante dans l’avenir. Quelque chose s’est bloquée en nous.
Mais dire qu’on est impuissant à naître est une quête de reconnaissance, une manière de s’inventer.
Voilà pourquoi il nous faut parler.
Nous comblons nos failles identitaires passées.
L’image qu’on invente est toujours trompeuse car elle ne creuse pas l’abîme mais tourne autour et cet abîme devient la roue de notre existence.
Analyser cette structure est complexe mais certains éléments se répètent inlassablement qui méritent d’être vus comme des rouages d’un mécanisme.
Ne pas penser à demain est un moyen de ne pas affronter les problèmes et donc de se réfugier dans l’incompréhension.
Ce refuge est aussi celui de l’idéalisme : rêver une société parfaite plutôt que d’affronter la réalité.
Je dis cela parce que j’ai l’impression que ce mécanisme est prépondérant dans la manière négative dont on pense la société.
Elle n’est qu’un miroir tendu à notre mauvaise foi.
Ceux qui agissent vraiment sont heureux et ne sont pas dans le ressentiment.
Pourquoi un individu n’est-il pas prêt à affronter la réalité ?
Peut-être que certains pensent que c’est parce que la réalité est trop dure et qu’ils n’en peuvent plus. Dans certains cas, cela doit être vrai.
Mais j’opte plutôt pour un mauvais régime mental qui trahit un rapport à l’Autre défectueux.
Cet Autre est celui qui nous donne un nom.
Nous sommes parlés bien plus que nous parlons.
Et parfois nous parlons uniquement pour être parlés à nouveau, dans un sens qui nous aille mieux.
L’Autre qui nous nomme peut prendre la figure de la société, de l’école, des jugements portés sur nous, des médias, d’un courant philosophique etc.
Mais c’est quand on s’en prend à l’Autre qu’on peut le reconnaître, comme si nous devions nous venger de l’insatisfaction chronique que nous procure celui qui nourrit notre soif d’identité.
Aucune identité ne nous comble et il nous faut nous venger de cet abîme laissé en nous.
Parce que sans doute, seul le désir enfantin, la pure insouciance, ressemblerait à une satisfaction, nous sommes à jamais déchus de notre désir le plus absolu.
En revanche, nous avons à assumer notre destin et nous devons, amor fati, apprendre à l’aimer.
Ce n’est pas, certes, le plaisir constant et absolu dont nous rêvions, mais c’est le seul réel et si nous le prenons en charge, il peut être bien plus satisfaisant que toutes les chimères adolescentes.
Je dis « adolescentes » car ces rêveries ont encore l’absolu de l’enfance, l’immaturité de la jeunesse mais sont déjà perverties par l’image de soi et la conscience du temps.
Il faut donc apprendre à aimer la société, cette seconde mère, telle qu’elle est.
Il faut apprendre à aimer tous ces autres qui forment le Grand Autre avec lucidité et sans que notre « je » soit outre mesure impliqué dans l’affaire.
Le rappeur dit souvent « je » car comme beaucoup d’artiste, sa quête est narcissique.
Il y puise son élan et peut-être son talent.
Mais il est le véritable destinataire de son message, à travers lequel il embarque son public qui se retrouve dans un même reflet, un code partagé, un langage assez vaste pour signifier un imaginaire commun.
Il se parle au fond à lui-même, comme dans un journal intime.
Et pourtant il s’adresse aux autres et se leurre ainsi sur le véritable destinataire.
Je fais semblant de te parler mais je me parle à moi-même.
Pourquoi ce besoin de faire semblant de s’adresser à un autre, sinon pour se donner l’illusion de pouvoir choisir son nom ? On croit façonner l’autre pour qu’il nous voit tel qu’on aimerait être vu. Mais en réalité, personne ne nous regarde autant que nous-mêmes et nous n’intéressons pas beaucoup les autres. Du moins, tel semble être le premier stade, jamais vraiment franchi par les artistes narcissiques, où chacun ne parle à l’autre ou de l’autre que pour parler de soi.
Tout ramener à soi, tel semble être la quête narcissique qui guide certains artistes qui veulent à tout prix être vus parce qu’ils sont conscients de ne pas être auteurs de leur nom et qu’ils veulent se le réapproprier en utilisant les autres.
« Qui suis-je ? » demandent-ils, « qui m’a donné ce nom ? », « Donnez m’en un autre ! » implorent-ils. Mais tout le monde se moque de leur requête, chacun ne cherchant que son propre nom et ne parlant que pour lui-même.
Cette quête est un peu suicidaire car personne ne se leurre complétement mais tout le monde refoule cette vérité. Que vaut un nom que l’on se donne seul et que valent ces regards épris d’eux-mêmes ? Le nom que nous donneront les autres sera toujours désagréable à entendre et celui que l’on se donne inutile. Cela débouche sur de l’agressivité comme dans la lutte entre le maître et l’esclave chez Hegel. Cette parole impossible amène un conflit pour la reconnaissance, une lutte à mort. Or, seule la mort nous regarde vraiment, à travers notre quête d’identité et de reconnaissance. Nous nous voyons mort et transfiguré. Nous jouons avec notre ultime reflet. Parce que l’ultime destinataire de notre message, c’est nous-mêmes, mais que nous serons morts. Donc il n’y a pas réellement de destinataire, sinon une mise en scène spectaculaire d’un long et vaste suicide. Sauf que le spectacle n’aura pas lieu puisque personne n’y assistera.
En effet, cette impossible présence de l’autre en tant que spectateur, se dédouble d’une impossible présence du sujet. Le sujet n’est que de la littérature, il n’a pas de nom. Sinon celui que l’on refuse obstinément de lui donner, celui qui nous hante et nous fait parler pour rien.
Donc le problème semble doublement insoluble et la solution est si douloureuse que nous mettons toute notre énergie à la fuir.
Il existe bien sûr d’autres voies intersubjectives, plus mesurées, où la quête absolue de soi s’estompe un peu pour laisser la place à un autre que soi.
Mais cet élan semble si originaire que l’on ne gagne sur lui que par éclairs de lucidité, sans jamais parvenir à être suffisamment attentif pour ne pas se parler à soi-même quand on parle à d’autres.
Mais en réalité j’ai davantage parlé de moi-même et de mon rapport à cet art particulier.
« Mourir à trente ans, passer du bon temps »
Iam
Cette manière d’appréhender le monde est un luxe.
Le luxe que peuvent s’offrir ceux qui ne sont pas nés sous la bonne étoile.
Il faut comprendre que la vie de voyou (thug life) est une quête d’identité, une image de soi recherchée, à travers tous les miroirs que peuvent tendre les autres (la société notamment).
Le désir fondamental est comme dans toute quête narcissique ou artistique, quelque chose d’opaque et qui tend à celui qui cherche à se voir, un reflet toujours fuyant mais qui tente de se figer dans un message.
Cette logorrhée est vraiment le signe d’une impuissance à naître.
L’avenir est écrasant :
« D’emblée, les murs sont réservés comme des places de parking »
Iam
La société ne veut pas accoucher d’eux.
Et en même temps, les voyous combattent ouvertement la société et font tout pour mériter son mépris.
Cette situation est paradoxale.
Parce que les voyous sont prisonniers de cet engrenage où l’absence de reconnaissance de la société épouse parallèlement une volonté de la choquer et de mériter ce nom qu’elle leur donne.
Sur ce symptôme se greffe bien des justifications de type : la société est mauvaise.
Mais ce n’est pas cela qui est intéressant.
Ce qui est fascinant, c’est de voir que des enfants non voulus renversent les rôles et pensent qu’ils peuvent ne pas vouloir la société.
Or, c’est peut-être cela le désir fondamental et fou qui guide leur quête d’identité.
Ils veulent, à l’image d’un Tupac Shakur, refaire le monde pour pouvoir être reconnu.
Ce n’est pas d’ailleurs le ressort des seuls rappeurs mais également de bien des artistes engagés.
Donc, pour résumer, l’impossibilité de la naissance crée le désir d’accoucher soi-même du monde afin de pouvoir renaître en lui.
Mais ce qui est particulier c’est que la société n’est jamais totalement soumise, c’est toujours elle qui guide le jeu des naissances, même quand les artistes engagés la critiquent, ils continuent de lui donner le pouvoir signifiant, c’est d’elle qu’ils parlent, c’est pour elle qu’ils parlent et tous les noms, parfois d’oiseaux qu’ils lui donnent, ne sont qu’une façon d’être nommés par elle. Parce que nous sommes piégés par le nom que nous donne l’Autre. Cette lutte pour créer soi-même son identité est perdue d’avance.
« Je pense pas à demain, parce que demain c’est loin »
Iam
La temporalité du rappeur est maladive, ce n’est pas un simple jeu car le « je » justement est en cause.
C’est sans doute ce qu’il y a de sublime dans le rap : cette authenticité.
C’est grâce à cet espace imaginaire, qui se crée, que l’auditeur de chansons engagées peut lui-même se retrouver et éprouver le plaisir que procure ce désir caché de reconnaissance.
La société qui nous donne un nom est fantasmée pour nous donner l’illusion d’un autre nom plus respectable à nos yeux.
Nous recherchons une sorte de nouveau baptême qui remplacerait le nom qu’elle nous a déjà donné et qui nous blesse.
Cette blessure narcissique est une impossibilité à assumer son existence.
Comme nous n’aimons pas être responsables de nos maux nous projetons nos échecs sur autrui.
Or, il nous faut des spectateurs pour justifier notre déni du réel.
Voilà pourquoi l’artiste engagé a besoin d’un public.
L’objet qu’il refoule menace sans cesse de refaire surface, il lui faut l’aide des autres pour le maintenir hors de toute lucidité.
L’écriture n’est donc pas toujours une thérapie, elle sublime le désir refoulé et peut permettre d’évacuer certaines frustrations mais elle crée, dans un jeu subtil de miroirs, une fausse identité qui peut alimenter le refoulement.
Il existe bien des motifs de refoulement mais c’est essentiellement de se savoir fautif qui en est le moteur principal.
Certains de nos actes nous accablent, nous ne les supportons pas.
La culpabilité creuse cette faille narcissique et ce besoin de rachat.
La rengaine est toujours la même : dans un monde meilleur je n’aurais pas agi ainsi.
Ce qui est peut-être vrai, sauf que le problème est justement que cette explication ne nous satisfait pas, sinon nous n’aurions pas besoin de nous justifier.
Pourquoi ne pas penser à demain ? Pourquoi refouler l’avenir ? Sinon parce que nous sommes dévastés par nos choix passés ?
Ne pas pouvoir naître, c’est être incapable de projeter une image de soi satisfaisante dans l’avenir. Quelque chose s’est bloquée en nous.
Mais dire qu’on est impuissant à naître est une quête de reconnaissance, une manière de s’inventer.
Voilà pourquoi il nous faut parler.
Nous comblons nos failles identitaires passées.
L’image qu’on invente est toujours trompeuse car elle ne creuse pas l’abîme mais tourne autour et cet abîme devient la roue de notre existence.
Analyser cette structure est complexe mais certains éléments se répètent inlassablement qui méritent d’être vus comme des rouages d’un mécanisme.
Ne pas penser à demain est un moyen de ne pas affronter les problèmes et donc de se réfugier dans l’incompréhension.
Ce refuge est aussi celui de l’idéalisme : rêver une société parfaite plutôt que d’affronter la réalité.
Je dis cela parce que j’ai l’impression que ce mécanisme est prépondérant dans la manière négative dont on pense la société.
Elle n’est qu’un miroir tendu à notre mauvaise foi.
Ceux qui agissent vraiment sont heureux et ne sont pas dans le ressentiment.
Pourquoi un individu n’est-il pas prêt à affronter la réalité ?
Peut-être que certains pensent que c’est parce que la réalité est trop dure et qu’ils n’en peuvent plus. Dans certains cas, cela doit être vrai.
Mais j’opte plutôt pour un mauvais régime mental qui trahit un rapport à l’Autre défectueux.
Cet Autre est celui qui nous donne un nom.
Nous sommes parlés bien plus que nous parlons.
Et parfois nous parlons uniquement pour être parlés à nouveau, dans un sens qui nous aille mieux.
L’Autre qui nous nomme peut prendre la figure de la société, de l’école, des jugements portés sur nous, des médias, d’un courant philosophique etc.
Mais c’est quand on s’en prend à l’Autre qu’on peut le reconnaître, comme si nous devions nous venger de l’insatisfaction chronique que nous procure celui qui nourrit notre soif d’identité.
Aucune identité ne nous comble et il nous faut nous venger de cet abîme laissé en nous.
Parce que sans doute, seul le désir enfantin, la pure insouciance, ressemblerait à une satisfaction, nous sommes à jamais déchus de notre désir le plus absolu.
En revanche, nous avons à assumer notre destin et nous devons, amor fati, apprendre à l’aimer.
Ce n’est pas, certes, le plaisir constant et absolu dont nous rêvions, mais c’est le seul réel et si nous le prenons en charge, il peut être bien plus satisfaisant que toutes les chimères adolescentes.
Je dis « adolescentes » car ces rêveries ont encore l’absolu de l’enfance, l’immaturité de la jeunesse mais sont déjà perverties par l’image de soi et la conscience du temps.
Il faut donc apprendre à aimer la société, cette seconde mère, telle qu’elle est.
Il faut apprendre à aimer tous ces autres qui forment le Grand Autre avec lucidité et sans que notre « je » soit outre mesure impliqué dans l’affaire.
Le rappeur dit souvent « je » car comme beaucoup d’artiste, sa quête est narcissique.
Il y puise son élan et peut-être son talent.
Mais il est le véritable destinataire de son message, à travers lequel il embarque son public qui se retrouve dans un même reflet, un code partagé, un langage assez vaste pour signifier un imaginaire commun.
Il se parle au fond à lui-même, comme dans un journal intime.
Et pourtant il s’adresse aux autres et se leurre ainsi sur le véritable destinataire.
Je fais semblant de te parler mais je me parle à moi-même.
Pourquoi ce besoin de faire semblant de s’adresser à un autre, sinon pour se donner l’illusion de pouvoir choisir son nom ? On croit façonner l’autre pour qu’il nous voit tel qu’on aimerait être vu. Mais en réalité, personne ne nous regarde autant que nous-mêmes et nous n’intéressons pas beaucoup les autres. Du moins, tel semble être le premier stade, jamais vraiment franchi par les artistes narcissiques, où chacun ne parle à l’autre ou de l’autre que pour parler de soi.
Tout ramener à soi, tel semble être la quête narcissique qui guide certains artistes qui veulent à tout prix être vus parce qu’ils sont conscients de ne pas être auteurs de leur nom et qu’ils veulent se le réapproprier en utilisant les autres.
« Qui suis-je ? » demandent-ils, « qui m’a donné ce nom ? », « Donnez m’en un autre ! » implorent-ils. Mais tout le monde se moque de leur requête, chacun ne cherchant que son propre nom et ne parlant que pour lui-même.
Cette quête est un peu suicidaire car personne ne se leurre complétement mais tout le monde refoule cette vérité. Que vaut un nom que l’on se donne seul et que valent ces regards épris d’eux-mêmes ? Le nom que nous donneront les autres sera toujours désagréable à entendre et celui que l’on se donne inutile. Cela débouche sur de l’agressivité comme dans la lutte entre le maître et l’esclave chez Hegel. Cette parole impossible amène un conflit pour la reconnaissance, une lutte à mort. Or, seule la mort nous regarde vraiment, à travers notre quête d’identité et de reconnaissance. Nous nous voyons mort et transfiguré. Nous jouons avec notre ultime reflet. Parce que l’ultime destinataire de notre message, c’est nous-mêmes, mais que nous serons morts. Donc il n’y a pas réellement de destinataire, sinon une mise en scène spectaculaire d’un long et vaste suicide. Sauf que le spectacle n’aura pas lieu puisque personne n’y assistera.
En effet, cette impossible présence de l’autre en tant que spectateur, se dédouble d’une impossible présence du sujet. Le sujet n’est que de la littérature, il n’a pas de nom. Sinon celui que l’on refuse obstinément de lui donner, celui qui nous hante et nous fait parler pour rien.
Donc le problème semble doublement insoluble et la solution est si douloureuse que nous mettons toute notre énergie à la fuir.
Il existe bien sûr d’autres voies intersubjectives, plus mesurées, où la quête absolue de soi s’estompe un peu pour laisser la place à un autre que soi.
Mais cet élan semble si originaire que l’on ne gagne sur lui que par éclairs de lucidité, sans jamais parvenir à être suffisamment attentif pour ne pas se parler à soi-même quand on parle à d’autres.
Grégor- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 366
Date d'inscription : 14/04/2022
Re: Demain c’est loin
.
En complément d'essence identique mais de mode différente.
En complément d'essence identique mais de mode différente.
_________________
Le matérialisme scientifique est une philosophie.
Le matérialisme scientifique n’est autre que la philosophie logiquement appropriée à l’activité scientifique.
Au nom de l'art, de la science et de la philosophie, ainsi soit-il.
Saint-Ex- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 2881
Localisation : Deux-Montagnes, près d'Oka
Date d'inscription : 01/07/2023
Re: Demain c’est loin
C'est trop facile quand un amour se meurt
Qu'il craque en deux parce qu'on l'a trop plié
D'aller pleurer comme les hommes pleurent
Comme si l'amour durait l'éternité
Tais-toi donc, grand Jacques
Que connais-tu de l'amour
Des yeux bleus, des cheveux fous
Tu n'en connais rien du tout
Et dis-toi donc grand Jacques
Dis-le-toi bien souvent
C'est trop facile
C'est trop facile
De faire semblant.
Qu'il craque en deux parce qu'on l'a trop plié
D'aller pleurer comme les hommes pleurent
Comme si l'amour durait l'éternité
Tais-toi donc, grand Jacques
Que connais-tu de l'amour
Des yeux bleus, des cheveux fous
Tu n'en connais rien du tout
Et dis-toi donc grand Jacques
Dis-le-toi bien souvent
C'est trop facile
C'est trop facile
De faire semblant.
hks- Digressi(f/ve)
- Nombre de messages : 12511
Localisation : Hauts de Seine
Date d'inscription : 04/10/2007
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