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Antigone

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Message par Grégor Ven 29 Mar 2024 - 9:02

Antigone n’est pas Ismène.
L’une est positive, l’autre négative.
L’une parle au nom de la mort, l’autre au nom de la vie.
Pourquoi est-ce Antigone qui semble être privilégiée par Sophocle ?
La première raison pourrait-être dans le rapport à la mort, qui est vraiment ce qui nous rend humain, au sens spirituel du terme. Sans ce rapport à la mort, nous ne valons pas mieux que des bêtes penserait peut-être un Grec. Même si cela est peut-être injuste pour les animaux, qui eux aussi ont un rapport à la mort qui leur est propre. Toujours est-il que notre rapport à la mort nous définit en tant qu’être spirituel et métaphysique.
En refusant une sépulture à Polynice, Créon nie son humanité et l’humanité de tous ceux qui acceptent un tel châtiment.
Antigone parle au nom de lois sacrées.

Sophocle a écrit:φίλη μετ᾽ αὐτοῦ κείσομαι, φίλου μέτα,
ὅσια πανουργήσασ᾽. ἐπεὶ πλείων χρόνος
ὃν δεῖ μ᾽ἀρέσκειν τοῖς κάτω τῶν ἐνθάδε

Ayant commis un crime pieux, chère je me coucherai auprès de qui m'est cher ;
Car j'aurai plus longtemps à plaire à ceux qui sont sous terre qu'à ceux qui sont ici.



Oἴ κάτω (ceux qui sont sous terre) désignent une autre dimension de l’existence, placée sous le signe de la mort et du souvenir de ceux qui ne sont plus. L’argument est fallacieux, sauf pour celui qui croit à une vie après la mort, mais du moins est-il représentatif d’une pensée qui sait que la spiritualité est primordiale et incontournable. Ce πλείων χρόνος (temps plus long) pourrait désigner pour ceux qui comme moi ne croient pas à une existence après la mort, un temps différent, celui du rapport singulier que nous entretenons avec notre mort, qui n’est rien d’autre que la totalité de notre vie. Les décrets d’un Créon sont passagers et ne font qu’effleurer notre condition intime d’être humain.

Sophocle a écrit:CRÉON

- Et ainsi, tu as osé violer ces lois ?

ANTIGONE

-  C'est que Zeus ne les a point faites, ni la Justice qui siège auprès des Dieux souterrains. Et je n'ai pas cru que tes édits pussent l'emporter sur les lois non écrites et immuables des Dieux, puisque tu n'es qu'un mortel. Ce n'est point d'aujourd'hui, ni d'hier, qu'elles sont immuables ; mais elles sont éternellement puissantes, et nul ne sait depuis combien de temps elles sont nées. Je n'ai pas dû, par crainte des ordres d'un seul homme, mériter d'être châtiée par les Dieux. Je savais que je dois mourir un jour, comment ne pas le savoir ? même sans ta volonté, et si je meurs avant le temps, ce me sera un bien, je pense. Quiconque vit comme moi au milieu d'innombrables misères, celui-là n'a-t-il pas profit à mourir ? Certes, la destinée qui m'attend ne m'afflige en rien. Si j'avais laissé non enseveli le cadavre de l'enfant de ma mère, cela m'eût affligée ; mais ce que j'ai fait ne m'afflige pas. Et si je te semble avoir agi follement, peut-être suis-je accusée de folie par un insensé.

Κρέων

καὶ δῆτ᾽ ἐτόλμας τούσδ᾽ ὑπερβαίνειν νόμους ;

Ἀντιγόνη

οὐ γάρ τί μοι Ζεὺς ἦν ὁ κηρύξας τάδε,
οὐδ᾽ ἡ ξύνοικος τῶν κάτω θεῶν Δίκη
τοιούσδ᾽ ἐν ἀνθρώποισιν ὥρισεν νόμους.
οὐδὲ σθένειν τοσοῦτον ᾠόμην τὰ σὰ
κηρύγμαθ᾽, ὥστ᾽ ἄγραπτα κἀσφαλῆ θεῶν
νόμιμα δύνασθαι θνητὸν ὄνθ᾽ ὑπερδραμεῖν.
οὐ γάρ τι νῦν γε κἀχθές, ἀλλ᾽ ἀεί ποτε
ζῇ ταῦτα, κοὐδεὶς οἶδεν ἐξ ὅτου ᾽φάνη.
τούτων ἐγὼ οὐκ ἔμελλον, ἀνδρὸς οὐδενὸς
φρόνημα δείσασ᾽, ἐν θεοῖσι τὴν δίκην
δώσειν· θανουμένη γὰρ ἐξῄδη, τί δ᾽ οὔ;
κεἰ μὴ σὺ προὐκήρυξας. εἰ δὲ τοῦ χρόνου
πρόσθεν θανοῦμαι, κέρδος αὔτ᾽ ἐγὼ λέγω.
ὅστις γὰρ ἐν πολλοῖσιν ἐς ἐγὼ κακοῖς
ζῇ, πῶς ὅδ᾽ Οὐχὶ κατθανὼν κέρδος φέρει;
οὕτως ἔμοιγε τοῦδε τοῦ μόρου τυχεῖν
παρ᾽ οὐδὲν ἄλγος· ἀλλ᾽ ἄν, εἰ τὸν ἐξ ἐμῆς
μητρὸς θανόντ᾽ ἄθαπτον ἠνσχόμην νέκυν,
κείνοις ἂν ἤλγουν· τοῖσδε δ᾽ οὐκ ἀλγύνομαι.
σοὶ δ᾽ εἰ δοκῶ νῦν μῶρα δρῶσα τυγχάνειν,
σχεδόν τι μώρῳ μωρίαν ὀφλισκάνω.

Nous voyons qu’Antigone invoque les lois divines de Zeus et des Dieux souterrains (ceux consacrés à la mort), qui ne sont ni d’hier ni d’aujourd’hui mais qui sont éternelles. Il s’agit donc d’une lutte entre les lois non écrites et immuables, sacrées, et les lois temporelles, politiques, diurnes.
Ce sens du sacré, nous le retrouvons dans notre philosophie, mais certainement sous une autre forme. Pour nous, il s’agit d’un rapport singulier à l’existence, une dimension sacrée de l’existence éphémère. Mais en même temps, dans notre rapport à la mort, se trame aussi l’histoire de notre vie, notre destinée et la responsabilité que nous avons du souvenir que nous laisserons de nous. Ce souvenir peut sembler dérisoire, puisque nous ne serons plus rien, mais nous attachons un certain prix à ce reflet de nous-même que nous tend la mort.
Mais ce rapport singulier à l’existence, s’il est pratique lorsque nous voulons nous détacher de l’objectivité des phénomènes perçus comme extérieurs à l’existence individuelle, risque de cacher la part la plus importante de l’être que nous essayons de décrire.
En effet, le sujet que nous sommes, notre reflet, n’est pas la totalité du là que nous expérimentons, il n’en est qu’une partie, souvent dérisoire au regard de l’immensité que nous traversons : notre corps extérieur.
La terre n’est-elle pas le corps extérieur de l’homme ?
Tous ces corps que nous absorbons pour nos besoins, qui nous reconstituent jour après jour, nous inscrivent dans l’universel.
Tout ce que nous utilisons pour notre confort se substitue également à notre corps, comme un manteau est une seconde peau.
Et puis, au-delà des intérêts que nous prenons aux différents biens de cette terre, nous sommes cette présence des choses qui nous émerveille et nous subjugue.
Cette simple conscience.
Mais cette terre est sacrée car nous ne faisons que la traverser, nous sommes des passagers.
Ce n’est pas seulement nous qui mourrons mais le monde meurt avec nous.
Or cette dimension du vécu nous hante.
C’est elle qui invente des dieux et des causes supérieures, des fantômes et des lois immuables.
Comment ne pas regretter tant de beauté et comment ne pas regretter le manque de sensibilité d’un Créon qui semble si indélicat et si terre-à-terre.
Antigone est l’être métaphysique par excellence.
La vie, représentée par la terne Ismène, semble trop roturière.
Il faut à Antigone cette lutte à mort afin d’affirmer son existence en tant qu’être métaphysique.
Antigone existe à partir du moment où elle choisit de risquer sa vie pour s’affirmer en tant qu’être métaphysique.
Grégor
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